Colloque international «Francophonie et langues nationales»

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1 2 Dakar, le 21 novembre 2014 Colloque international «Francophonie et langues nationales» Allocution de Mme Imma TOR FAUS, Directrice à l OIF de la langue française et de la diversité linguistique Seul le texte prononcé fait foi

2 Mesdames et Messieurs, Au nom du Secrétaire général de la Francophonie, le Président Abdou DIOUF et de l Administrateur de l OIF, Monsieur Clément DUHAIME, je tiens en premier lieu à remercier très sincèrement les autorités universitaires sénégalaises, pour la tenue de cette importante rencontre à la veille du XVème Sommet de la Francophonie. Vous savez combien le thème de ce colloque «Francophonie et langues nationales» est cher à notre organisation qui en a fait l un des axes de travail de la Direction de la langue française et de la diversité linguistique que j ai l honneur d animer. Merci donc de nous avoir associés à la réflexion de ces deux jours. La question des langues nationales et en particulier, celle des langues africaines et créoles dans leur rapport avec la langue française, a de tout temps été au centre des préoccupations de la Francophonie institutionnelle. Au fil du temps, plusieurs projets d aménagement linguistique ont été mis en œuvre, non seulement pour promouvoir ces langues nationales, mais aussi pour les doter des outils nécessaires à leur diffusion et à leur évolution. 3

3 Faut-il rappeler que c est en 1997, qu apparaît, pour la première fois, dans la première Charte de la Francophonie l expression «langues partenaires» pour désigner ce que l on appelle dans d autres contextes les langues nationales ou les langues locales qui cohabitent dans la grande majorité des pays de la Francophonie avec la langue de communication internationale qu est le français. Le mot, «partenaire», comme vous le savent les éminents linguistes qui sont présents ici aujourd hui, a été emprunté à l anglais «partner» qui lui même vient de l ancien français. Le «Petit Robert» donne du mot «partenaire» plusieurs définitions dont celle-ci : «personne avec laquelle quelqu un est allié contre d autres joueurs». Dans tous les cas, le mot implique une alliance et une réciprocité : chacun est partenaire de l autre, et lorsqu il s agit de jeu ou de sport, les partenaires gagnent ou perdent ensemble. Contre qui? L ennemi commun est le monolinguisme, quel qu il soit, et l uniformisation, la pensée unique que celui-ci véhicule. On est toujours, si je puis dire, le partenaire de son partenaire. C est dire à quel point l avenir de la langue française est intimement lié à celui des langues nationales et vice versa. 4

4 Mesdames et Messieurs, La politique linguistique promue par la Francophonie est fondée sur le «partenariat» entre les langues nationales et la langue française ainsi que sur celui que ces nombreuses langues entretiennent entre elles. L OIF encourage l aménagement de relations de complémentarité et de coopération fonctionnelles, dans le plein respect des politiques linguistiques existant dans ses pays membres. Si la langue française avait été imposée pendant la colonisation, elle a été au lendemain des indépendances «choisie» par la plupart des pays africains comme langue officielle destinée à être utilisée dans l administration, à l école et dans la justice. Ce choix a renforcé la place et le rôle du français en Afrique. La langue française, au fil des ans, s est définitivement ancrée dans l Afrique francophone. A tel point que nous savons aujourd hui, grâce notamment aux travaux de l Observatoire de la langue française de l OIF, que l avenir de cette langue se joue désormais en Afrique. C était déjà ce que l ouvrage La langue française dans le monde affirmait avec force en 2010 et qui se confirme pleinement dans la nouvelle édition de ce rapport qui a été présentée ici même à Dakar le 6 novembre dernier. Avec 55% du total des locuteurs francophones quotidiens dans le monde, l Afrique est devenue le premier continent francophone. Entre 2010 et 2014, le nombre de francophones a augmenté de 15% en moyenne avec des taux supérieurs même à 30% dans certains pays comme le Sénégal. Le rapport montre que le 5

5 développement de certaines langues nationales majoritaires, comme le wolof ici au Sénégal ou le bambara au Mali se fait en parallèle de celui du français. Il s agit donc bien d une logique de complémentarité, de partenariat, pour en revenir au thème qui nous occupe aujourd hui. Dans le cadre de la valorisation des langues partenaires, en raison de leur importance et de leur complémentarité avec le français, l appui à ces langues par la Francophonie repose sur trois grands piliers : - Le pilier politique, d abord : la Francophonie, prônant le respect de la diversité culturelle et linguistique, est attentive à ces langues multiples, vecteurs des cultures et des traditions des peuples qui composent ses pays membres ; - Le pilier sociologique ensuite : les langues nationales et locales constituent le passage obligé pour communiquer avec les populations qui n ont pas eu, ou très peu, accès à l école. Situées en position de partenariat avec la langue française, elles favorisent la circulation des idées, des produits culturels et des contenus éducationnels. Leur mise en valeur est aussi de nature à favoriser la démocratie, en rendant possible une meilleure participation de tous à la vie citoyenne (les campagnes électorales se déroulent le plus souvent en langues nationales). - Le pilier pédagogique enfin : l apprentissage d une langue nouvelle passe par la maîtrise des structures de la «langue maternelle». Le mémorandum des ministres en charge de l éducation, en marge des Etats généraux de l enseignement du 6

6 français en Afrique subsaharienne francophone (Libreville, mars 2003), l avait bien souligné : «la prise en compte des langues nationales dans le cursus d enseignement est bénéfique pour le français». La question des langues nationales doit figurer au centre de toute réflexion portant sur l enseignement du français dans l ensemble des cycles de formation formelle et non formelle, ce qui me permet d aborder la problématique de l enseignement du français en contexte multilingue. Mesdames et Messieurs, Nous savons que le CLAD capitalise aujourd hui un demi-siècle d expérience sur cette question. La Francophonie autant. Mais comment renouveler la réflexion sur la coexistence entre le français et les langues nationales et sortir des sentiers battus dont certains ont mené plus loin que d autres? Comment donner un contenu consistant et pertinent au partenariat entre le français et langues nationales garant d un avenir prometteur et solidaire pour les populations? Quel contenu et quelle forme donner à ce partenariat? Voilà, à mon sens, les questions essentielles auxquelles nous devons répondre au cours de cette rencontre. 7

7 Le premier enjeu de ce partenariat se situe à l école. C est à l école qu un aménagement judicieux entre le français et les langues nationales doit se mettre en place dans nos pays membres. Et c est justement un accompagnement à ce processus que propose l Initiative «Ecole et Langues Nationales ELAN» qui est mise en œuvre dans huit pays de l Afrique subsaharienne francophone depuis janvier Vous me permettrez que je m étende sur cette Initiative dont l OIF est maître d ouvrage dans le cadre d un partenariat avec l Agence française de développement, l AUF et le Ministère français des Affaires étrangères. Le Partenariat mondial pour l Education a également financé un projet pilote de cette Initiative. ELAN constitue une offre francophone pour mieux réussir à l école. Elle vise à la promouvoir un enseignement apprentissage bilingue, prenant en compte, dès la première année de scolarisation, les acquis de l apprenant. L utilisation de la langue nationale, qui est dans la plupart des cas la langue maternelle de l enfant, en garantissant son développement affectif et psychomoteur, libère son potentiel et lui offre la possibilité de verbaliser toute son expérience. Les langues nationales sont le fondement premier de la personnalité des individus. Elles assurent l accès à l éducation pour un plus grand nombre d enfants en réduisant les redoublements coûteux et les échecs scolaires dus à l apprentissage précoce et difficile d une langue d enseignement étrangère au milieu. 8

8 Mais l introduction de la langue maternelle à l école ne peut se faire sans outils pédagogiques, sans description systématique des langues concernées, sans recherche métalinguistique et, surtout, sans une politique linguistique éducative volontariste. C est d ailleurs dans cet esprit de promotion et de diffusion des langues africaines que l OIF vient de publier un dictionnaire trilingue «sango-lingala-français». D autres dictionnaires et d autres outils tels que les bigrammaires français/langues nationales ou encore des lexiques spécialisés ont été réalisés ou sont en cours de réalisation. Mais le partenariat «français/langues nationales» doit aller au-delà de la sphère scolaire si on veut que ce partenariat soit complet. Il doit investir la vie sociale et économique des locuteurs bilingues. C est à ce niveau que se joue le second enjeu du partenariat. Il est à mes yeux le plus difficile car il pose l épineux problème du statut des langues nationales et l aménagement fonctionnel et convivial de leur utilisation dans l espace qu ils partagent avec le français dans la vie sociale et économique. Cette problématique doit être affrontée sereinement par les décideurs politiques des pays, en évitant les crispations qui ont parfois présidé au rapport entre le français et les langues nationales. Il faut une complémentarité fonctionnelle entre ces langues partenaires. 9

9 Mesdames et Messieurs, Avec des langues africaines rétablies dans leur rôle culturel et éducatif, la langue française sera ressentie comme l affirmation d une identité spécifique. L Afrique a besoin d une langue française «forte et puissante» et la langue française a besoin d un partenariat «fort, complémentaire et convivial» avec les langues nationales. Il n y a donc point de contradiction entre la promotion du français et celle des langues nationales africaines. Bien au contraire, il y a une complémentarité et une solidarité de destin. Et c est là tout le sens que nous donnons à la francophonie idéale : la diversité dans l unité. Avant de terminer mon propos, je voudrais formuler le vœu que ces journées de réflexion soient enrichissantes et fructueuses et qu elles contribuent non seulement au rapprochement des langues nationales et de la francophonie, mais aussi et surtout, à la promotion d un partenariat fonctionnel et convivial entre les deux espaces pour le plus grand bénéfice de nos Etats. Je terminerai par une phrase du Président Abdou DIOUF à qui je souhaite rendre ici un hommage appuyé parce qu il a été un promoteur convaincu de la diversité linguistique, dans la préface du rapport de LASCOLAF : «le temps du dialogue est arrivé, dialogue entre langues et cultures en présence, à l Ecole comme hors de l Ecole». Je vous remercie. 10