DESIGN DE SERVICES PUBLICS : UNE AUTRE MANIÈRE DE FAIRE

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1 DESIGN DE SERVICES PUBLICS : UNE AUTRE MANIÈRE DE FAIRE Organisateur LA 27 e RÉGION Animateur, Délégué général, La 27 e Région L organisation des services publics semble rester la même depuis plusieurs décennies. Pour qu elle évolue, un dialogue entre la culture de l administration et d autres cultures s impose, et notamment : - l innovation sociale, qui développe des modèles économiques sophistiqués susceptibles d interpeller le rôle de l acteur public - l open-source, qui essaime au-delà du domaine du logiciel, à travers par exemple les fab labs 1 ; par ailleurs, la culture de l excellence de l administration a à apprendre de la «culture de la débrouille» qui caractérise l open-source - le design, qui peut permettre à l administration d embrasser la complexité des sujets qu elle traite, dans une vision globale et systémique et non plus dans une organisation en silos. Selon Roger Tallon, «le design n est ni un art, ni un mode d expression, mais une démarche créative méthodique qui peut être généralisée à tous les problèmes de conception.». Les méthodes du design peuvent ainsi s appliquer à des processus, à des services voire aux politiques publiques. Des laboratoires pour décadrer l action publique Christelle CARRIER Fabrique de l Hospitalité, Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Strasbourg Repenser la maternité et l unité de soins palliatifs du CHU La fabrique de l hospitalité est un laboratoire de l innovation au sein du CHU de Strasbourg. Elle accompagne notamment le changement dans une phase de restructuration des services. Elle a ainsi réfléchi avec l ensemble de l équipe soignante et médicale à la réfection de la maternité du CHU et des services proposés à la parturiente, de manière à ce que le lieu puisse répondre aux attentes des familles (démédicalisation des soins, place du père dans le parcours, etc.). En articulant le service autour de la patiente, les espaces de la maternité ont été repensés, y compris ses espaces publics, devenus lieux de rencontres entre patients et professionnels. Cette réflexion a également permis une plus grande horizontalité du service de maternité. En service depuis six ans à ce jour, la maternité ne s est pas dégradée et demeure un lieu où les professionnels peuvent mettre en œuvre leur projet médical et soignant. 1 Les Fab labs sont des «laboratoires de fabrication», ouverts, qui permettent même à des non-spécialistes de fabriquer des objets grâce à des outils informatiques mis à leur disposition. Page 1 sur 6

2 La fabrique est également intervenue sur une unité de soins palliatifs. Passer d une dynamique curative à une dynamique palliative n est pas aisé pour la communauté hospitalière. Il a fallu accompagner l équipe soignante dans sa réflexion sur son service, autour des patients d une part et de l accompagnement des familles d autre part. Ainsi, les chaises et les sources de lumière peuvent être aussi bien utilisées par le patient que par leur famille, de manière à ce que ces dernières sentent qu elles ont aussi leur place. Un travail horizontal en mode projet La fabrique de l hospitalité utilise de nouveaux outils et de nouvelles conceptions, tels que la modélisation ou la scénographie, qui permettent aux professionnels de visual iser le service, d expérimenter leur propre parcours ainsi que celui de l usager dans celui -ci. Ces outils de décision rassemblent l ensemble des professionnels de l hôpital, ce qui casse la forte hiérarchisation de la structure. D ailleurs, la fabrique es t rattachée à la direction générale du CHU pour éviter tout enjeu de pouvoir et permettre à l ensemble des équipes de l hôpital de progresser ensemble, dans une dimension projet. Elle joue un rôle d interface sur des missions spécifiques, entre l hôpital, les besoins des usagers, les ressources extérieures (sociologue, designer, etc.) et les partenaires de l hôpital (Agence Régionale de Santé ARS, collectivités, etc.), de manière à conserver un cadre global à son travail. D autres expériences de laboratoire d innovation Enfin, des laboratoires d innovation existent ailleurs en Europe. Par exemple, le ministère danois des Finances a créé un Mind Lab dont l objectif est d améliorer le service aux usagers. Ces laboratoires d innovation ne sont pas des projets excentriques. Le design des politiques publiques est en développement dans le monde. La Grande-Bretagne et le Danemark développent un savoir-faire en la matière. Il existe ainsi aux Pays-Bas une brigade «anti-bureaucratie» au sein-même de l Administration 2. Ces exemples correspondent à un esprit nouveau, qui appuie sur les aspects positifs plutôt que sur les points qui divisent. Le design, une démarche pluridisciplinaire pour traiter la complexité Nicolas COUTURIER Designer, Studio G.U.I et enseignant dans le cadre du Diplôme Supérieur d Arts Appliqués (DSAA, Lycée Le Corbusier à Strasbourg La méthodologie du design est ce qui rend son application aux politiques publiques intéressante. Un designer part en effet des problèmes et des besoins de l usager pour réinterroger le cahier des charges. Par exemple, un projet de réaménagement d une gare à Corbigny a fait appel à un designer. En immersion sur place, le designer part à la rencontre de tous les acteurs, associations, élus, usagers, et «invisibles» gravitant autour de la gare. L objectif est de récolter la parole et les expériences de chacun pour les représenter ensuite, par exemple sur une carte, afin de construire une compréhension commune des enjeux, plutôt que d additionner les points de vue. Le designer utilise également le prototypage. Par exemple, un collectif de six étudiantsdesigners a créé une maquette pour tester et expérimenter la gestion de l espace d une crèche hospitalière. Il s agit ainsi de tester des services avant leur lancement. La maquette permet de parler des espaces, des volumes et des modes de circulation dans un lieu puis d établir des scénarios. Autre exemple de prototypage, non-spatial cette fois-ci, le Mind Lab du ministère des 2 Pour plus d informations, consulter le site Internet de la 27 e région : Page 2 sur 6

3 Finances danois a organisé un événement public pour imaginer la nouvelle lettre des impôts. Le prototypage peut prendre aussi la forme de films, de scénarios, etc. Cette étape permet ainsi de fabriquer de l erreur possible et de la valoriser pour ensuite mieux innover. Enfin, l enjeu consiste à documenter ces processus pour encourager une démarche de réflexivité, permettre à chacun de réinterroger ce processus. Rendre public le processus est essentiel pour permettre à d autres de l améliorer. Par exemple, l ouvrage Design des politiques publiques recense des témoignages d innovation au niveau européen. Des outils comme Flickr et Youtube peuvent être aussi utilisés pour partager les expériences menées. Cependant, toutes les expériences ne sont pas reproductibles telles quelles : il faut en retenir les outils utilisés, plutôt que de rechercher des formules applicables directement. De plus, chaque travail de terrain nécessite de réinventer ces outils. Le design, dans sa dimension pluridisciplinaire, propose donc des grandes étapes pour la réalisation de projets, sans être un processus continu. La 27 e région estime que chercher la «bonne pratique» revient à penser que tous les projets se ressemblent. En outre, les bonnes pratiques ne présentent souvent que les meilleurs aspects d un projet, or savoir ce qui n a pas fonctionné ailleurs est encore plus intéressant. Documenter un projet revient donc à le raconter tel qu il se déroule, y compris dans ses aléas. Création d un laboratoire d innovation : premiers enseignements de la TRANSFO en région Champagne-Ardenne Gérard RUELLE Directeur général des services de la Région Champagne-Ardenne Avec l aide de la 27 e Région, la Région Champagne-Ardenne tente d instiller davantage de participation sur son territoire. Objectif : réinstaurer le dialogue entre la Région et le public Constatant la difficulté d instaurer un contact entre l institution régionale et le public, la Région Champagne-Ardenne a décidé de réfléchir à la manière de mieux associer ses citoyens à la définition des dispositifs qu elle finance et qui les concernent directement (lycées, transports, formation des demandeurs d emploi, etc.). Entre 2004 et 2010, plusieurs actions ont ainsi été mises en œuvre : une territorialisation de l action à travers une maison de la région présente dans chaque département, des comités locaux de réflexion autour des lignes de transports en commun, une rencontre annuelle entre le président de la Région et la population, etc. Cependant, ces actions distribuent l information à sens unique et ne permettent de toucher que des citoyens déjà impliqués dans la vie publique, et non de rencontrer les autres, notamment les jeunes. Pour instiller davantage de participation à l échelle de la Champagne-Ardenne, il a été décidé de centrer les actions sur la jeunesse. Pour cela, des actions innovantes ont été déployées sous la forme de résidences et de recherche-actions sur des équipements. Des actions déployées avec la 27 e Région Ce programme s appelle La Transfo, et est mené parallèlement en Champage Ardenne, en Bourgogne, en Pays de la Loire et en Provence Alpes Cote d Azur. Pour mettre en œuvre ce programme, la 27 e Région s installe en immersion au conseil régional de Champagne-Ardenne à raison d une dizaine de semaines réparties sur plus de deux ans. Nous sommes chargés de réinterroger les politiques jeunesses. Par exemple, en premier lieu, à titre de test il a été tenté de rapprocher les jeunes de l institution, en formant pendant deux journées des élèves de l école de la deuxième chance à La réalisation d une enquête puis en les invitant à interroger les personnes chargées de la politique de Page 3 sur 6

4 la jeunesse à la Région. Cette confrontation a donné lieu à une exposition dans laquelle les jeunes ont rendu compte de ce qu ils avaient compris des dispositifs de la Région et des incohérences qu ils ont trouvées en la matière. Ce type d actions vise à montrer d une part aux jeunes que la Région travaille pour eux et d autre part aux fonctionnaires de la Région que les jeunes ont une parole. Une deuxième expérience a été conduite autour de la carte Lycéo une carte qui donne droit à des réductions pour les lycéens. Grâce aux méthodologies du design auxquelles la 27 e région les a formés, les agents de la Région ont conçu eux-mêmes une méthode pour améliorer cette carte. Cela les a conduits à se rendre sur le terrain et à rencontrer les jeunes. En quelques jours, quatre améliorations majeures ont ainsi pu être apportées à la carte. Gérard RUELLE Ces éléments concrets témoignent d une triple ambition pour la région à travers un projet baptisé la TRANSFO, qui vise à : - retrouver des méthodes de dialogue avec la jeunesse, à travers trois chantiers prioritaires que sont la carte lycéo, la mobilité des jeunes et les dispositifs d informat ions sur la formation et l orientation - travailler sur l organisation interne de la Région, en instaurant des référents jeunesse dans chaque direction régionale, ce qui a pris du temps - mettre en place un laboratoire d innovation sociale intégré à la Région. Quelles conclusions en tirer? Dans ses ambitions, la Région doit toutefois rester réaliste. Un projet tel que celui bâti autour de la carte Lycéo couvre un petit périmètre et est plus simple à développer qu une orientation plus transversale des politiques régionales. Cependant, des méthodes nouvelles de contact avec la population peuvent naître de ces réflexions. Par ailleurs, l ensemble de l opération coûtera euros sur deux ans à la Région (jours/hommes compris côté conseil régional), un coût qui doit être mis en regard des économies qu elle permettra de réaliser. Par exemple, la TRANSFO peut permettre d identifier des dispositifs financés par la Région et ne concernant qu un nombre très faible de bénéficiaires. En outre, l opération permet d introduire de la transversalité entre les services, même s il est parfois difficile de mobiliser ces derniers autour du projet. Il faudrait ainsi pouvoir faire en sorte que l implication dans un projet de ce type puisse être considérée comme une formation de perfectionnement, au titre du droit à la formation tout au long de la vie. Ainsi, ce travail de transformation comporte trois enjeux : - un enjeu d efficience, dans le cadre duquel il faut avoir le courage de revoir certains dispositifs et donc de travailler en amont avec les utilisateurs dans ce cadre - un enjeu managérial - un enjeu démocratique, pour réinstaller la confiance entre le politique et l habitant. Débat avec la salle De la salle (Didier GORRON, Président directeur général, Transpacity) Cet atelier a prôné une démarche de décloisonnement entre les services. Je suggère en ce sens que les Entretiens Territoriaux de Strasbourg (ETS) s ouvrent davantage aux opérateurs privés, aux associations d élus et de citoyens, aux bureaux d études, etc., et réserve une journée entière au dialogue entre ces acteurs et les opérateurs publics. De la salle (Martine CONIN, directrice, conseil général du Val-de-Marne) Comment définir la haute qualité d usage sans s enfermer dans un système normatif? Par ailleurs, existent-ils des complémentarités entre le travail des consultants en organisation et celui des designers? Enfin, comment la démarche de design de services publics s inscrit-elle dans celle de la conception universelle? Page 4 sur 6

5 La 27 e Région est assez pragmatique puisque l enjeu principal est la qualité de conception des processus et des dispositifs, sans viser le projet idéal. Elle souhaite davantage éviter que les erreurs les plus manifestes soient commises. Pour cela, un dialogue de qualité et pérenne est nécessaire entre les parties prenantes à un projet. Le conseil, pour sa part, est un secteur qui considère l ingénierie publique comme un marché à développer, et qui n implique pas forcément le bien-être des politiques publiques. Les acteurs publics peuvent réintégrer la connaissance dont ils disposent plutôt que de la confier à d autres. Il faut requestionner le marché du conseil. Enfin, la 27 e Région s intéresse aux designers qui savent s adapter aux usagers. Or, ceux-ci sont rares. Peut-être faut-il développer les formations en la matière. Page 5 sur 6

6 SIGLES ARS : Agence Régionale de Santé CHU : Centre Hospitalier Universitaire DSAA : Diplôme Supérieur d Arts Appliqués ETS : Entretiens Territoriaux de Strasbourg Les propos énoncés dans ce document n engagent que la responsabilité de la personne citée. Compte-rendu des Entretiens territoriaux de Strasbourg 5 et 6 décembre 2012 CNFPT INET 2012 Réalisation : Page 6 sur 6