Brian B. Merrant. Espoir, sors-moi du noir

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2 Brian B. Merrant Espoir, sors-moi du noir

3 Brian B. Merrant, 2017 ISBN numérique : Courriel : contact@librinova.com Internet : Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

4 À celles et ceux qui espèrent, luttent, rêvent et aiment.

5 «Si vous avez construit des châteaux dans les nuages, votre travail n'est pas vain ; c'est là qu'ils doivent être. À présent, donnez-leur des fondations.» Henry David Thoreau

6 Chapitre 1 De nos jours. On m appelle Jam au lieu de Jamy et j en suis plutôt satisfait. Jam Rockwell. C est un nom que j apprécie de lire sur les couvertures qui parsèment les étagères des librairies. Le «y» aurait été de trop, personnellement il me dérange un peu. J avais poussé le vice jusqu à proposer à mon éditeur de raccourcir le tout en indiquant que «Jam R.» en compagnie du titre, occultant de fait une part de ma généalogie qui n avait rien de vertueuse de toute façon. Il avait refusé. «Rockwell, Rockwell» avait-il répété, contemplatif, un brin songeur, les yeux levés au plafond blanc de son bureau londonien. «Rockwell, ça fait américain.» À croire qu un nom à consonance yankee suffisait à vendre des livres et leur garantissait le succès. Je ne me suis pas formalisé de ce choix car je n aurais jamais dû me trouver dans le bureau d un éditeur londonien. Ce n était qu un rêve de gosse, davantage qu un cliché : une erreur de parcours. On ne décide pas de son avenir dans la famille Rockwell. On devient médecin ou avocat, au pire professeur à l université. Mais pas écrivain. Ecrivain, ce n est pas un métier. La famille Rockwell ne tolère qu un chemin : rester personne ou devenir quelqu un. Il y a longtemps que j ai fait un pas de côté, le chemin tout tracé me semblait trop étroit. Suffocant. Amer. Aussi creux qu un horizon terne, sans espoir et sans rêves. Un grand écart émotionnel. J ai vécu une aventure extraordinaire, loin de mon foyer et de mes repères d adolescent. J ai erré, perdu dans le brouillard d un avenir opaque. J ai douté face aux vagues de la mer du Nord qui ne déposaient que des absences aux pieds des falaises. Dans le sous-bois, près du ruisseau,

7 j écoutais le silence murmurer ses questions lorsque l eau dansait. Mais j ai surtout rencontré deux êtres qui m ont aidé à grandir, à vivre et à espérer. Le pas de côté s est transformé en saut en parachute. Car écrire est une étonnante histoire d amour, mais ce n est pas la plus belle Cette histoire ne débute pas maintenant car elle a commencé il y a dix ans. À commencé, oui, car elle se poursuit encore. Il s agit un peu d une histoire sans fin. Nous étions en 2003 et j avais 18 ans depuis quelques jours. Mon parrain, l homme dont je vous transmets quelques mots au chapitre suivant, avait passé 79 ans sur terre. Soixante-dix-neuf années bien dépensées, selon ses dires, et malgré ses idées noires. C était un homme bon qui l ignorait et, j ai encore honte à le dire aujourd hui, je ne le savais pas non plus. Cela s explique aussi. Les doutes et les peurs sont des compagnons torturés qui jalonnent notre chemin, pourtant, à 18 ans, on se sent puissant, important aux yeux du monde, invincible. Mon parrain bénéficiait d un allié précieux, quoiqu il ait pu en douter : le temps. Il lui a apporté la capacité de remettre en cause et en jeu d innombrables éléments, ainsi qu une force que je désire posséder un jour. Cette force, c est l espoir. À ce stade vous pouvez douter de ma sincérité et je ne vous en tiendrai pas rigueur. Qui peut croire qu il n espère jamais? Evidemment, et vous avez probablement en tête des exemples de cette utilisation à tort et à travers. «J espère qu il ne pleuvra pas aujourd hui!» ou «j espère que le prix du gallon d essence va baisser!» Non, ce mot ainsi usité est creux, vidé de son sens profond. L espoir est

8 plus qu un sentiment, mieux qu une force, plus fort qu une certitude. L espoir c est la personne qui s éveille dans nos abysses et fait corps avec notre inconscient. Comme une volonté mystique, la transcendance d une part de nous que l on ignorait posséder. Je l ignorais également, ne croyez pas que je suis né avec cette puissance. Je la cherche encore. Je crois parfois l entrevoir puis, soudain, elle disparaît. La puissance de l espoir ne se dompte pas. Henry D. Thoreau disait qu il n y a aucun remède à l amour si ce n est aimer davantage. Je crois que l on peut emprunter sa formule et la transformer ainsi : il n y a aucun remède au renoncement, si ce n est espérer davantage. Cette formule est devenue mienne avec le temps. Je tente de l apprivoiser, d en saisir le sens secret. L essence des mots ne se trouve pas en eux mais hors d eux : en vous, en nous. Puisse cette histoire vous aiguiller, si vous voulez bien l écouter. Elle est le dernier cadeau qu un homme a offert à ce monde avant de rejoindre ses souvenirs.

9 Propos recueillis par Jam Rockwell. «Jamais je n aurais pensé vieillir un jour, sauf que ça s est produit. Je ne m en suis pas rendu compte Je viens de fêter mes soixante-dix-neuf ans. Les ai-je dépensés de façon judicieuse? Je ne sais pas. Le temps est un drôle de personnage, tantôt allié, tantôt ennemi, et personne ne connaît la profondeur de ses poches. Si je prends aujourd'hui la plume par procuration, c'est que j'ai bien conscience que ma main commence, au fond de ma poche, à toucher ma réserve de temps disponible. Sa proximité sonne pour moi comme une urgence. Il me faut transmettre, ne rien cacher. Tout dévoiler de la véritable histoire dissimulée derrière les contes fantastiques que vous découvrirez. Comme Jam vous saurez tout. S il est le garant de ma sincérité, il en sera autant votre guide. Aujourd hui, je suis un vieil homme dont l âge avancé s amuse de ses souvenirs. J ai tendance à oublier ce qui est mais me souviens de ce qui a été. Quand je me retourne et regarde les ombres qui dansent par-dessus mes épaules voûtées sous le fardeau d un chagrin indicible, je vois des visages, je reconnais des personnes côtoyées il y a bien longtemps, tandis que des silhouettes demeurent sans noms, des portraits sans formes. C est injuste Injuste pour celles et ceux qui ont sans aucun doute participé à façonner l être que je suis devenu mais qui ont déserté ma mémoire. Je vais essayer, du moins Jam va essayer de les ramener des ténèbres pour que vous les rencontriez aussi. C est important pour moi mais également pour eux. Quant aux autres, il me semble nécessaire de leur rendre un dernier hommage. Ils ont dépensé l intégralité de leur réserve de

10 présence terrestre, à présent Dieu seul sait où ils se trouvent. Il me reste un peu de temps, juste un peu de temps avant de les rejoindre, comme du papier à cigarette qui s apprête à se muer en cendres. Quand ce papier sera totalement consumé il sera trop tard et ces noms, ces visages, ces histoires seront enfermées au fond d une malle dont nul ne possède la clé. Sauf moi. Alors voici cette clé. Ouvrez cette malle, Jam l a fait voilà quelques jours et il ne regrette pas cette aventure. Elle ne recèle aucun danger si ce n est le risque de vous happer à l intérieur de vous-même. Peutêtre jugez-vous cela inutile, ou n en ressentez-vous pas l envie. Réfléchissez-y tout de même. Le temps n est pas éternel mais les histoires le sont, et si vous avez besoin d espoir, elles ont le pouvoir de le transmettre. Elles m ont sorti de la pénombre. C est un merveilleux cadeau, vous savez, de pouvoir saluer quelqu un le matin. Un simple «bonjour» peut éclairer une journée. Et s il est prononcé avec amour, il peut illuminer une vie. Le temps, dit-on, permet de tout effacer. Souvenirs, peines, douleurs, amours Rien ne résiste à son infatigable avancée. Rien ou presque. Elle était ma rose. La clé de voûte autour de laquelle j ai bâti ces contes, les seuls témoins de l adoration portée à celle qui est toujours mon monument à l horizon indépassable. Une évidence lumineuse Et rien n efface l évidence. Pas même le temps qui passe.»