Laëticia Frichet. Un Combat perdu d avance

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1 Laëticia Frichet Un Combat perdu d avance 2

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3 Chapitre 1 Louis Nous sommes dimanche soir et elle est toujours là. Sur son balcon je la vois verser une nouvelle fois toutes les larmes de son corps. Je l ai aperçu pour la première fois dimanche dernier, j avais terminé ma dissertation de français et j avais décidé d aller marcher dans la rue d en face. Après dix minutes j ai entendu une porte claquer et de faibles sanglots. Et c est là que je l ai vu. Jamais je n oublierai la détresse que dégageait son regard ce premier soir. Jamais je n oublierai toute la souffrance qu exprimait son cœur. Et jamais je n oublierai ces milliers de frissons qui ont parcouru mon corps. Au lycée je n avais jamais fait attention à elle auparavant. Elle semble brisée, sur le point de lâcher prise. Elle reste au bord du vide, sous la pluie qui vient de commencer à tomber. Ses larmes se mêlent à l averse. Ses cheveux avant blonds et bouclés sont désormais châtains et lisses. Ils lui 2 3

4 arrivent au niveau de la taille. Une taille fine, elle est magnifique. Elle regarde droit devant elle, le regard complètement vide et sombre. Pas une once d espoir, juste de la douleur. Et comme à chaque fois depuis maintenant une semaine, je reste là devant chez elle à la regarder souffrir sans réagir, sans l aider. Je pourrais lui crier d arrêter, lui dire de ravaler ses larmes et de se relever. Mais au lieu de ça j attends le moment où ses jambes vont la lâcher, le moment où elle va s écrouler au sol avant de se recroqueviller sur elle-même et de plonger sa tête dans ses genoux. La pluie cache le bruit de ses larmes mais je sais qu elle n a pas encore arrêté. Son corps tremble. Elle finit par se relever, renifle une dernière fois et tente de se calmer avant de retourner chez elle. Et comme à chaque fois j ai un pincement au cœur me demandant comment une fille de seulement 17 ans peut être brisée à ce point-là. Comment l esprit d une jeune femme peut être aussi perdu, aussi détruit et chamboulé. Et puis finalement c est à mon tour de décider de rentrer, la tête pleine de diverses pensées concernant toujours la même personne. Elle. Il est six heures vingt quand mon réveil sonne, je n ai pas dormi ou alors très peu. J ai réfléchi durant des heures au pourquoi du comment. Une semaine qu elle m obsède. Une semaine que je change de position encore et encore sans jamais réussir à dormir. Une semaine que chaque nuit je revois les traits de son visage, ses yeux si sombres, son nez, ses 24

5 lèvres ; de magnifiques lèvres mais sans vie. Jamais un sourire, jamais un rire. Puis je vois ses cheveux dans le vent, sous une tornade monumentale, une tempête qui fait disparaître son corps petit à petit. Il ne reste que ses yeux, pleins de larmes et de douleur. Un cri majestueux rompt ce silence puis je me réveille, essoufflé. Après un long soupir plein d ennui et de fatigue je me lève enfin. J allume le jet de la douche et me glisse à l intérieur. La température bien trop élevée pour le corps d un être humain me brule la peau. Six heures quarante-cinq minutes, je sors de ma bulle et me prépare avant de partir. Je tente de peigner mes cheveux mais ils ne l entendent pas de cette oreille. Je laisse tomber, me brosse les dents, prends mon sac et franchis la porte. Il faut que je lui parle. Aujourd hui. Sept heures. J arrive au portail du lycée, salut quelques amis et pars poser mon sac sous les arcades du bâtiment. Il est spécial mais j aime bien le style ; unique. Il forme un demi-cercle et est composé de dizaines d arcades en pierre. Ses couleurs sont simples ; grises et blanches. Je file avec mon groupe d amis mais je n écoute aucune de leurs blagues, aucune de leurs plaintes. Je tourne en rond sur moimême à sa recherche. J observe chaque banc, chaque casier mais rien. Elle n est pas là. Oh mec je te parle! Je me retourne et remarque Josh et les quatre autres me fixer d un regard interrogateur et agacé. 2 5

6 Oui Pardon tu disais? Répondis-je. Rien, laisse. Ça a sonné. Murmure-t-il en soupirant avant de partir chercher son sac. Dix-sept heures quinze. Elle n est pas venue de la journée. Je pars vers sa maison. J ai besoin de lui parler maintenant. Pourquoi? Peut-être parce que j ai déjà laissé s échapper une personne importante à mes yeux. Peut-être parce que ce jour-là je me suis promis de toujours venir en aide aux autres. Ce jour-là je me suis promis que plus jamais je ne perdrai quelqu un sans avoir agi. Peu avant sa maison je passe devant un grand entrepôt sans doute abandonné à en juger l état des vitres et des murs. Et à ma grande surprise elle est là, sur le toit. Je jette mon sac sur le trottoir et m engage à rentrer. C est très grand mais il n y a aucun meuble, rien. Je repère très vite un escalier qui mène à l étage suivant puis au toit. J appuis sur la poignée hésitant et pousse la porte lentement. Elle grince et c est alors que la jeune fille se retourne subitement. C est après plusieurs secondes que je me rends compte que j avais cessé tout mouvement, toute action, même celle de respirer. Je tente de reprendre un rythme cardiaque normal avant de lui lancer un Salut pas très convaincant. Elle secoue la tête et reprend sa position initiale. Je m avance et m assoie à côté d elle au bord du mur, au bord du vide. C est très haut mais ça ne semble pas la déstabiliser. Elle continue de fixer le vide avant de sortir son téléphone de son jean bleu déchiré et d enclencher une musique 26

7 douce et triste. Les secondes passent très lentement. C est quoi? Demandai-je. Quoi? Répondit-elle d un air un peu trop sérieux. Cette musique, c est quoi? Je ne pense pas que tu connaisses. Dit-elle rapidement. Effectivement, je ne connais pas mais j aimerais bien. Lui dis-je en l a regardant droit dans les yeux. C est la première fois que je la vois de si près sans que ses yeux soient remplis de larmes. Ils sont bleus nuit entourés par un cercle semi-orange. Son regard est profond et intense. Elle replace une de ses mèches derrière son oreille et me répond. Le chanteur s appelle Johnny Cash et sa chanson s appelle hurt. C est très beau. Concluais-je. Elle ne répond pas et baisse les yeux avant de détourner le regard et de regarder à nouveau l horizon. Le soleil se couche, le ciel est rouge et les nuages se dispersent peu à peu. Le vent est léger et la chaleur agréable. La nuit commence à tomber. J ai toujours eu cette envie de poursuivre les rayons du soleil, pour ne jamais me retrouver seul dans le noir. Je souris et je la vois sourire aussi. Moi c est Louis et toi? Demandais-je. Pourquoi tu es venu ici? Répond-t-elle très vite. Je je t ai vu et j ai voulu Aller parler avec la pauvre fille, qui passe son 2 7

8 temps seule et écoute des musiques tristes? Me coupe-t-elle. Non Non ce n est pas du tout ça tu sais Laisse, je dois partir. Finit-elle par me cracher d un air coléreux. Je ne dis rien tout simplement parce que je ne comprends pas. Ni son changement d humeur ni pourquoi elle reprend son sac qu elle pose sur son épaule avant de récupérer son manteau en cuir et de se diriger à grandes enjambées vers la porte de sortie. Je baisse la tête et regarde mes pieds. Je gâche toujours tout. Moi c est Sara. Entendis-je. Je me retourne et la vois face à moi devant la porte, ses yeux se plantent dans les miens, une larme s en échappe puis elle part. Je reste là plusieurs minutes, à regarder dans la même direction qu elle auparavant, le sourire aux lèvres. Je n ai peut-être pas tout perdu finalement. Les étoiles apparaissent une par une dans le ciel mais je suis toujours là, au bord du vide, si proche de la chute. J aime cette sensation, cette idée de me dire que je contrôle mon destin, que je contrôle ma vie. Un geste suffirait à l éteindre. 28

9 Chapitre 2 Sara Je claque la porte de ma maison avant de m écrouler au sol. Andrew Belle a laissé la place à Keith Urban, tout aussi triste. Pourquoi il est venu me parler? Pourquoi cherche-t-il à entrer dans ma vie? Je m en veux d avoir réagi comme ça face à lui. Je me sens si stupide. Je n ai pas su quoi faire c était si soudain. C était tellement nouveau. Je monte à l étage presque en courant, afin d entrer dans ma chambre, d ouvrir la fenêtre, de prendre mon carnet ainsi qu un stylo et d écrire ce que je ressens. 22 septembre 2014, Je ne suis pas allée en cours aujourd hui, je n en avais pas la force. Rebecca m a encore fait une scène mais a fini par me laisser me recoucher et est partie à son bureau. Tu sais, face à mes crises elle ne dit plus grand-chose, elle ne se bat plus pour moi et tu sais 2 9

10 quoi? Je n ai plus envie de me battre non plus. Je n ai plus envie de jouer un rôle. Je n ai plus envie de perdre mon énergie jour et nuit à tenter d avoir une minute de bonheur qui n arrive jamais. Je suis montée sur le toit de l entrepôt comme souvent mais cette fois-ci je n étais pas seule non. Il est venu. Son prénom c est Louis, il a l air gentil et il est très mignon. Il a un sourire de fou. Pas les faux sourires que je vois tous les jours à travers mon miroir, non, un vrai. J aimerais savoir sourire comme ça, naturellement, sans me forcer. J aimerais me dire une fois dans ma vie que j ai réussi ; que j ai attrapé le bonheur et que je ne suis pas prête de le lâcher. Mais ça n arrivera pas. Mon état a pris le dessus et j ai senti les larmes monter. J ai pris peur. Je suis partie parce que je ne voulais pas qu il me voit comme ça. Comme je suis vraiment. La seule chose qui me reste à faire maintenant est de penser que peut être un jour nous nous reverrons de nouveau Les mots ne viennent plus et de toute manière je n ai plus envie d écrire. J explose encore une fois et sors sur le balcon. Il est haut, il suffirait juste de fermer les yeux et me laisser glisser juste un instant et tout irait mieux. Mais ça serait trop facile. Tu ne peux pas cesser de vivre aussi facilement. Sinon il n y aurait plus personne. Tu dois te battre constamment sans jamais t arrêter. Le jour où tu ne te bas plus, tu coules et tout est fini. Que trouve-t-on après la mort? Une question qui revient souvent. Peut-être le bonheur 210