Le Procureur c. Édouard Karemera, Mathieu Ngirumpatse, Joseph Nzirorera, affaire n ICTR T INTRODUCTION

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1 International Criminal Tribunal for Rwanda Tribunal pénal international pour le Rwanda UNITED NATIONS NATIONS UNIES CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE III Affaire n o ICTR T FRANÇAIS Original : ANGLAIS Devant les juges : Greffe : Dennis C. M. Byron, Président Emile Francis Short Gberdao Gustave Kam Adama Dieng Décision rendue le : 30 octobre 2006 LE PROCUREUR c. Édouard KAREMERA Mathieu NGIRUMPATSE Joseph NZIRORERA DÉCISION SUR LA REQUÊTE DE LA DÉFENSE EN CERTIFICATION D APPEL DE LA DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE INTITULÉE «NZIRORERA S EX PARTE MOTION FOR ORDER FOR INTERVIEW OF DEFENCE WITNESSES NZ1, NZ2 and NZ3» Article 73 B) du Règlement de procédure et de preuve Bureau du Procureur Don Webster Alayne Frankson-Wallace Iain Morley Saidou N Dow Sunkarie Ballah-Conteh Takeh Sendze Conseils de la Défense M es Dior Diagne Mbaye et Félix Sow, pour Édouard Karemera M es Chantal Hounkpatin et Frédéric Weyl, pour Mathieu Ngirumpatse M es Peter Robinson et Patrick Nimy Mayidika Ngimbi, pour Joseph Nzirorera CIII (F) 1

2 INTRODUCTION 1. Le procès en l espèce s est ouvert le 19 septembre Le 12 juillet 2006, la Chambre a rejeté la requête de la Défense demandant que des injonctions à comparaître soient délivrées aux témoins à décharge potentiels DN1, DN2 et DNZ3 pour qu elle puisse les rencontrer (la «Décision contestée») 1. La Défense de Nzirorera demande à la Chambre de l autoriser à interjeter appel de cette décision. Le Procureur s y oppose. DISCUSSION 2. La Défense fait valoir que, selon l arrêt Tadi}, «une Chambre [de première instance] est tenue, lorsqu'une Partie lui demande de l'aider à présenter sa cause, d accorder toutes les mesures qu'elle est à même de fournir aux termes du Règlement et du Statut 2.» Elle soutient qu en rejetant sa requête demandant que DNZ1, DNZ2 et DNZ3 soient enjoints à comparaître, la Chambre a failli à son obligation d accorder de telles mesures, portant ainsi atteinte à son droit d obtenir la comparution et l interrogatoire de témoins susceptibles de réfuter les témoignages à charge, conformément à l article 20. 4) e) du Statut du Tribunal. 3. La Chambre de première instance relève que selon la Chambre d appel, «[l]es Chambres sont investies du pouvoir de délivrer des ordonnances, assignations, citations, mandats et ordres de transferts nécessaires à l'enquête, à la préparation du procès ou à sa conduite 3.» Cela ne veut pas dire, cependant, qu une Chambre doive accorder toutes les mesures demandées par une partie simplement parce qu elle prétend avoir besoin d aide. Elle doit exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confèrent le Règlement et le Statut. Comme exposé dans la décision contestée, la Chambre d appel a fixé, conformément aux dispositions du Statut et du Règlement, les conditions qui doivent être remplies pour enjoindre à un témoin potentiel de venir déposer à une date et en un lieu donnés 4. Lorsque pareille mesure est demandée par un accusé, la Chambre doit apprécier si le Statut et le Règlement l autorisent à l accorder. 4. La Défense soutient qu en l espèce, les conditions requises pour la certification sont réunies. Elle ajoute que si elle décidait d accorder la certification, la Chambre devrait examiner le fond de l appel de la décision contestée, comme l a conclu la Chambre de première instance en l affaire Bagosora Le paragraphe B) de l article 73 du Règlement prévoit que [les décisions] concernant les requêtes présentées en application de l article 73 ne sont pas susceptibles d appel 1 Le Procureur c. Édouard Karemera, Mathieu Ngirumpatse et Joseph Nzirorera, affaire n o ICTR T («Karemera et consorts»), «Decision on Nzirorera s Ex Parte Motion for Order for Interview of Defence Witnesses NZ1, NZ2, and NZ3», 12 juillet Le Procureur c. Tadi}, affaire n o IT-94-1-A, jugement, 15 juillet 1999, par Id. 4 Le Procureur c. Krsti}, affaire n o IT A, arrêt relatif à la demande d injonctions, 1 er juillet 2003, par. 10 ; Le Procureur c. Halilovi}, affaire n o IT AR73, Décision relative à la délivrance d injonctions, 21 juin Le Procureur c. Bagosora et consorts, affaire n o ICTR T, Décision sur la demande de certification d appel formée par Kabiligi relativement à la faculté pour la Défense de contre-interroger un témoin après son contre-interrogatoire par le Procureur, 2 décembre CIII (F) 2

3 interlocutoire sauf décision contraire de la Chambre dans un nombre de cas très limité qu il prévoit. La Chambre de première instance est investie du pouvoir discrétionnaire d accorder la certification si : 1) la décision contestée touche une question susceptible de compromettre sensiblement l équité et la rapidité du procès, ou son issue ; et 2) un règlement immédiat de la question par la Chambre d appel pourrait concrètement faire progresser la procédure. 6. Il incombe à la partie requérante de démontrer que les deux conditions posées par l article 73 B) sont réunies, et même si elle le fait, la certification doit demeurer exceptionnelle La présente Chambre a déjà conclu que l examen d une demande de certification ne devrait pas tenir compte du fond de l affaire 7. D autres Chambres de première instance ont adopté la même position 8. La Chambre estime également que la Défense a mal interprété la position que la Chambre compétente a adoptée sur la question en l affaire Bagosora. Dans une décision récente rendue en cette affaire, que la Défense n a pas citée, la Chambre a précisé sa position quant à la question de savoir si, lorsqu elle examine une demande d autorisation d interjeter appel, une Chambre de première instance doit ou non tenir compte du fond de l affaire. Elle a conclu que : Lorsqu il est fait droit à la demande de certification, c est à la Chambre d appel qu il appartient de déterminer la validité de la décision. De ce point de vue, il ne fait aucun doute que ce n est pas à la Chambre de première instance d évaluer la validité de sa propre décision lorsqu elle détermine s il y a lieu de faire droit à une demande d autorisation d interjeter appel. Par ailleurs, les Chambres de première instance ont l obligation d écarter les demandes de certification qui n ont aucune chance d aboutir 6 Le Procureur c. Arsène Shalom Ntahobali et Pauline Nyiramasuhuko, affaire n o ICTR T, Décision relative aux Requêtes de Ntahobali et de Nyiramasuhuko aux fins de certification d appel de la Décision relative à la Requête en urgence de la Défense tendant à voir déclarer irrecevables certaines parties de la déposition des témoins RV et QBZ, 18 mars, par. 15 ; Le Procureur c. Nyiramasuhuko et consorts, affaire n o ICTR AR73, «Decision on Pauline Nyiramasuhuko s Request for Reconsideration», 27 septembre 2004, par Le Procureur c. Karemera et consorts, «Decision on Defence Motion for Certification to Appeal Decision Granting Special Protective Measures for Witness ADE» (Chambre de première instance), 7 juin 2006, par Voir, par exemple, Le Procureur c. Casimir Bizimungu et consorts, affaire n o ICTR T, Décision relative à la demande de Bicamumpaka en certification d appel intitulée «Bicamumpaka s Request Pursuant to Rule 73 for Certification to Appeal the 1 December 2004 «Decision on the Motion of Bicamumpaka and Mugenzi for Disclosure of Relevant Material», 4 février 2005, par. 28. Dans l affaire Bizimungu, la Chambre a convenu que la question de savoir si la Chambre a commis une erreur de droit ou si elle a abusé de sa discrétion ne doit pas être examinée au moment d autoriser ou non l appel. Elle a souligné, cependant, qu en employant le terme «sensiblement» dans la première condition, les rédacteurs de cet article entendaient exclure des questions sans intérêt particulier ou d ordre secondaire qui pourraient être soulevées au cours du procès ; Le Procureur c. Nyiramasuhuko et consorts, affaire n o ICTR T, Décision relative à la Requête du Procureur en certification d appel de la Décision de la Chambre de première instance du 30 novembre 2004 relative à la Requête en communication des moyens à charge, 4 février 2005, par. 11 ; Le Procureur c. Slobodan Miloševi}, Affaire n o IT T, Décision portant sur la Requête de l Accusation aux fins de certifier l appel de la Décision relative à la demande de l Accusation concernant une procédure de voir dire», rendue par la Chambre de première instance, 20 juin 2005, par. 4. CIII (F) 3

4 et qui, par conséquent, «ne pourrai[en]t pas concrètement faire avancer la procédure en l espèce 9» [traduction]. 8. Sur la base des arguments exposés ci-dessus, la Chambre doit maintenant déterminer si la Défense a démontré que les deux conditions posées par l article 73 B) étaient satisfaites. 9. La Défense fait valoir que la décision contestée touche une question susceptible de compromettre sensiblement l équité et la rapidité du procès, parce que le droit de l accusé à un procès équitable, et particulièrement son droit d obtenir la comparution et l interrogatoire de témoins conformément à l article 20. 4) e) du Statut est gravement compromis par le refus de la Chambre de lui donner accès à des témoins qui pourraient réfuter les dépositions à charge. Pour appuyer sa requête, la Défense se réfère à des décisions antérieures rendues par le Tribunal de céans dans les affaires Bagosora et consorts et Nyiramasuhuko et consorts, ainsi qu à une décision rendue par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone 10, affirmant que les questions qui y étaient posées étaient semblables à celle que la Chambre doit examiner en l espèce. Elle cite également d autres affaires où la Chambre compétente a statué sur l admission ou l exclusion de moyens de preuve, qui, affirme-t-elle, présentent beaucoup de ressemblances avec l espèce et qui excluaient d importants éléments de preuve à décharge au cours du procès. 10. Selon la Défense, en tranchant la question soulevée par la Défense concernant l accès à des témoins potentiels, la Chambre d appel pourrait concrètement faire avancer la procédure en l espèce car il s agit d une question qui ne manquera pas de resurgir pour d autres témoins à décharge potentiels. Il vaudrait donc mieux la clarifier au stade de la présentation des moyens de preuve à charge et avant que la Défense ne présente ses moyens. Si la demande de certification était rejetée et qu à l occasion d un recours introduit contre le jugement final de la Chambre de première instance, la Chambre d appel concluait qu une erreur a été commise, un nouveau procès devrait s ouvrir pour entendre les témoins à décharge qui n auraient pas été appelés à témoigner, ce qui aurait pour effet de retarder la procédure. La Défense soutient en outre que les témoignages qu elle demande sont si pertinents que si la Chambre n a pas usé de son pouvoir discrétionnaire pour délivrer des injonctions en l espèce, il est fort probable qu elle ne le fera jamais. La révision de la décision permettrait donc de faire avancer concrètement la procédure. 11. Dans la décision contestée, la Chambre n a pas catégoriquement privé l accusé de son droit d interroger un témoin, ni refusé absolument de délivrer des injonctions à comparaître pour tous les témoins potentiels susceptibles de réfuter les affirmations des témoins à charge. Cette décision ne portait d ailleurs pas sur la comparution de témoins au procès, mais sur une demande d injonction à comparaître en vue d interrogatoires hors audience. La Chambre étant saisie de demandes relatives à trois témoins potentiels bien précis, elle a statué sur la 9 Le Procureur c. Bagosora et consorts, «Decision on the Motion for Reconsideration Concerning Standards for Granting Certification of Interlocutory Appeal», 16 février 2006, par Le Procureur c. Bagosora et consorts, «Certification of Appeal Concerning Prosecution Investigation of Protected Defence Witnesses», 21 juillet 2005 ; Le Procureur c. Bagosora et consorts, «Decision on Certification of Interlocutory Appeal Concerning Prosecution Disclosure of Defence Witness Statements», 22 mai 2006 ; Le Procureur c. Arsène Shalom Ntahobali et Pauline Nyiramasuhuko, Affaire n o ICTR T, «Decision on Ntabohali s Motion for Certification to Appeal the Chamber s Decision Granting Kanyabashi s Request to Cross-Examine Ntabohali Using 1997 Custodial Interviews», 1 er juin 2006 ; The Prosecutor v. Norman et al., Tribunal spécial pour la Sierra Leone, affaire n o SCSL T, 28 juin CIII (F) 4

5 base des informations que la Défense lui a fournies concernant ces témoins. Aucune conclusion générale ne peut être tirée de la décision contestée quant à la manière dont la Chambre statuerait sur une future requête portant sur des injonctions à comparaître. Il est loisible à l accusé de demander la délivrance d injonctions permettant d interroger des témoins hors audience ou, le cas échéant, de les obliger à comparaître à l audience, et la Chambre statuera au cas par cas. 12. La Chambre estime aussi que la Défense a tort d invoquer plusieurs décisions rendues dans des cas qu elle rapproche du sien pour soutenir que la question soulevée touche au droit de l accusé à un procès équitable. La différence entre le cas présent et les autres c est que ceux-ci portent tous sur des questions d ordre général, ont donné lieu à un exposé du droit applicable, et concernent une vaste catégorie de déclarations et de témoins. Or, la décision contestée ne concerne pas une vaste catégorie de témoins et n a pas donné lieu à un exposé du droit, parce que la Chambre a examiné chaque demande d injonction au cas par cas en usant de son pouvoir discrétionnaire. 13. La Chambre rejette la référence de Nzirorera à la décision du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, qui a certifié l appel d une décision rejetant une requête demandant qu une injonction de comparaître soit délivrée au Président de la République. C était la première fois que le Tribunal spécial avait à se prononcer sur la question des injonctions à comparaître pour interrogatoire préalable à la déposition et la Chambre a considéré qu il était probable que la question se pose à nouveau. Son avis était partagé puisqu elle a tranché à la majorité, sa décision ayant suscité une opinion concurrente et une opinion dissidente. C est pour ces raisons que la Chambre de première instance a certifié l appel de sa décision 11. Le Tribunal spécial a délivré par la suite d autres injonctions à comparaître pour interrogatoire préalable à la déposition et la jurisprudence a établi qu en fin de compte, la décision de délivrer une injonction à comparaître relevait du pouvoir discrétionnaire ; elle a néanmoins fixé les conditions qui devraient être remplies pour qu une injonction puisse être délivrée, ce que la Chambre a unanimement pris en compte lors de l examen de la décision contestée. 14. En conclusion, la Chambre estime que la Défense n a pas démontré que la décision contestée soulevait une question susceptible de compromettre sensiblement l équité et la rapidité du procès, ou son issue. Comme la première condition exigée pour faire droit à une requête en certification d appel n est pas satisfaite, la Chambre estime qu il n y a pas lieu de continuer son analyse et rejette la requête en conséquence. PAR CES MOTIFS, LA CHAMBRE rejette la requête dans son intégralité. 11 The Prosecutor v. Norman et al., par. 12. CIII (F) 5

6 Fait à Arusha, le 30 octobre 2006 [Signé] [Signé] [Signé] Dennis C. M. Byron Emile Francis Short Gberdao Gustave Kam Président Juge Juge [Sceau du Tribunal] CIII (F) 6