cinéclasse les faussaires de Stefan Ruzowitzky Sortie le 6 février Edito Un regard oblique Entretien Sylvie Lindeperg Education à l image

Transcription

1 Edito Un regard oblique Entretien Sylvie Lindeperg Education à l image L émotion à distance De la salle à la classe Représentation indirecte cinéclasse les faussaires de Stefan Ruzowitzky Sortie le 6 février

2 éditorial Un regard oblique Comment représenter la Shoah au cinéma? Le film Les Faussaires, de Stefan Ruzowitzky, permet de poser une nouvelle fois la question. Comment éviter que l émotion, légitime, vienne envahir l écran et noyer la prise de conscience du génocide sous des larmes dont on ne sait plus si elles sont versées à propos du crime contre l humanité ou en raison des aventures tragiques de personnages de fiction tels que le cinéma a l habitude d en produire? En condamnant La Liste de Schindler de Steven Spielberg ou le feuilleton américain Holocauste, Claude Lanzmann, auteur de Shoah, documentaire de référence, nie la possibilité de la représentation : il y a quelque chose d obscène à poser les camps d extermination comme décor. Une autre approche est possible. On pourrait la qualifier d oblique. C est celle que propose Les Faussaires. Cette équipe de faux monnayeurs, artistes, imprimeurs, tous Juifs, sommés de produire des faux dollars et livres sterling, tenus au secret dans un baraquement aveugle au centre du camp de Sachsenhausen, n en perçoit l horreur, et le spectateur avec eux, qu à travers les cris, les gémissements, les détonations. L horreur est là, mais à distance. Cette distance nécessaire pour éviter de faire de l horreur un spectacle. Dossier réalisé par Christian Bonrepaux Le cinéma peut-il traduire la singularité absolue de l extermination des Juifs d Europe? L historienne Sylvie Lindeperg propose une réflexion sur l origine et le statut des images, documentaires et de fiction. Au-delà de la transmission d un savoir historique, elle plaide pour l éducation du regard. entretien Sylvie lindepe L E M ONDE L ÉDUCATION Les Faussaires vient s ajouter à un corpus de films, fictions et documentaires assez fourni. Les réalisateurs n ont pas peur de se colleter avec la Shoah? S YLVIE L INDEPERG Il n en a pas toujours été ainsi. Dans l immédiat après-guerre, cet événement ne trouve guère sa place sur les écrans. Nuit et brouillard, réalisé par Alain Resnais en 1955, n évoque pas dans son commentaire l extermination des Juifs d Europe. L idée de ce film, qui a reçu le soutien financier du ministère de l éducation nationale, est portée par une association d anciens déportés résistants qui souhaitent édifier la jeune génération en rappelant leur sacrifice. Un mouvement s opère à la fin des années 1970 : longtemps occultée, l extermination des Juifs s installe au premier plan. Nuit et brouillard devient alors emblématique du génocide. Ce n est pas totalement un contresens dans la mesure où Resnais avait monté dans son film des images des ghettos et de la déportation des Juifs. La diffusion de la II cinéclasse

3 PHOTOS : J. OLCJYK série américaine Holocauste, aux Etats-Unis en 1978 et en France en 1979, marque probablement un tournant dans la mémoire et la perception de la déportation. Ont suivi Shoah, de Claude Lanzmann en 1985, et des œuvres de fiction comme La Liste de Schindler (1993), La gvie est belle (1998), pour ne citer que les plus commentées. Il est d ailleurs intéressant de considérer ces films dans le rapport qu ils entretiennent avec la connaissance historique. Holocauste se veut didactique, son réalisateur est conscient qu il s adresse à un public ignorant, d où la séquence de l œilleton qui lui permet de décrire avec précision le processus de mise à mort dans la chambre à gaz. Avec La Liste de Schindler, Spielberg part au contraire du principe que les spectateurs savent, désormais : dans la scène très discutable de la douche, un plan sur les pommeaux fait monter l intensité dramatique. Le cinéaste postule ainsi que le public attend que du gaz s échappe des installations de douche. Or cet effet cinématographique se conforme moins encore à un savoir qu à un fantasme puisque les cristaux de Zyklon B étaient jetés sur le sol où ils passaient à l état gazeux. On retrouve ce même rapport ambivalent au savoir, au fantasme et à l imaginaire dans La vie est belle. MDE Ces scènes d Holocauste et de La Liste de Schindler ont déclenché la controverse. S.L. Au cœur de ces polémiques ont souvent été mêlés deux ordres de considération : le constat de l absence d images du meurtre dans la chambre à gaz et le débat philosophique et éthique sur la question de l infigurable et de l irreprésentable. Les nazis ont construit une politique du secret autour de la destruction des Juifs. Claude Lanzmann élabore Shoah à partir de ce constat d invisibilité. Repères 1933 Adolf Hitler est nommé chancelier. Le premier camp de concentration officiel ouvre à Dachau Publication des premières lois raciales. Les Juifs perdent la nationalité allemande novembre, Nuit de cristal. Pogroms anti-juifs hommes juifs sont emprisonnés dans les camps de concentration (Dachau, Buchenwald, Sachsenhausen) Göring ordonne à Heydrich de mettre en place la «solution finale» Conférence de Wannsee. Heydrich présente les grandes lignes d un plan visant à l extermination des Juifs d Europe. cinéclasse III

4 entretien Sylvie Lindeperg Il condamne dans le même temps sévèrement les séquences d Holocauste et de La Liste de Schindler qui, par le moyen de la reconstitution et d une identification douteuse, prétendent placer les spectateurs au cœur du processus d extermination. Sylvie Lindeperg, historienne, est maître de conférences à l université Paris-III-Sorbonne. Elle a publié notamment, en janvier 2007, Nuit et brouillard, un film dans l histoire, éditions Odile Jacob. Ressources D. R. Internet Enseigner l Holocauste au XXI e siècle. Sur ce site très complet du Conseil de l Europe, des connaissances historiques, de nombreuses références littéraires et audiovisuelles. shoah/holo Livres Dans Le Cinéma et la Shoah, (Cahiers du cinéma, éditions de l étoile), le critique Jean-Michel Frodon réunit de nombreuses contributions d historiens, journalistes, philosophes. Une filmographie inédite de 300 longs et courts métrages et documents, de 1945 à nos jours. La Shoah à l écran, crimes contre l humanité et représentation (éditions du Conseil de l Europe), d Anne-Marie Baron, aborde les questions éthiques et esthétiques qui se posent au cinéma quand il traite du génocide. MDE Dans votre livre sur Nuit et brouillard, vous pointez également la différence de rapport à l histoire qui marque les films de Resnais et de Lanzmann. S.L. Michel de Certeau disait que faire de l histoire, c est aller visiter les morts pour qu à l issue de ce dialogue étrange, ils retournent moins tristes dans leurs tombeaux. Avec Nuit et brouillard, une partie de la société française, et particulièrement les enfants de déportés, se voyaient en quelque sorte restituer leurs morts et pouvaient trouver dans le film un tombeau symbolique. Shoah, à l inverse, est le lieu de la résurrection des assassinés, du retour permanent de ces morts sans sépulture. Il entend marquer la singularité absolue de l extermination des Juifs d Europe et son éternel présent. En ce sens, on peut considérer que Nuit et brouillard est un film «historien» quand Shoah, plus proche de Dante que de Michelet, serait un film «a-historien». MDE Nous n avons cité que quelques titres. Il en existe de nombreux autres. Y a-t-il des films à conseiller et d autres à bannir? S.L. Je ne suis pas très adepte de la prescription ou de la proscription. Quand on montre un film, il faut avant tout se demander pourquoi on le choisit, quelle question on souhaite lui poser, ce qu il a à nous dire. Un film n est pas un manuel d histoire illustré. Il peut servir à développer une réflexion sur la place de l événement dans l imaginaire social mais aussi sur la place de l image dans la société. Un exercice profitable consiste à suivre sur une période longue l évolution d un petit nombre de plans par exemple ceux tournés lors de la libération des camps. En étudiant leurs usages, leurs remontages dans les actualités filmées, les documentaires, les émissions télévisées, les fictions, on voit évoluer les regards portés sur ces images, les migrations du sens et de l interprétation qui en ont été proposées. Cette méthode permet d interroger le statut de chaque œuvre ou document. Car il convient de distinguer l acquisition du savoir historique et l éducation du regard. En 2005, TF1 et la chaîne Histoire ont diffusé une série télévisée de la BBC, Auschwitz, la solution finale. Ce programme mêlait des photographies, des plans d archives, des scènes de fiction interprétées par des comédiens et des images de synthèse reconstituant certains bâtiments des camps. La combinaison de ces différentes sources visait de manière louable à mettre à disposition d un large public les connaissances historiques les plus récentes. Le résultat est étrange. Le film est riche d un savoir factuel, y compris sur l histoire des images ; mais l ensemble est mis au service d un montage ultra-rapide qui s apparente au zapping, passant en quelques secondes d un plan à un autre sans qu aucune image ne puisse s inscrire dans la durée. Ce programme est le symptôme d une tyrannie du visible aux antipodes du film Shoah. La volonté de tout montrer s exprime notamment dans les images virtuelles de la chambre à gaz IV cinéclasse

5 Synopsis Les Faussaires d après L Atelier du diable, écrit par Adolf Burger. Sortie le 6 février Réalisation : Stefan Ruzowitzky Avec : Karl Markovics, August Diehl, Devid Striesow. Autriche-Allemagne, 2007, durée : 1 h 38 min. Berlin, Salomon Sorowitsch, juif sous l Allemagne nazie, roi des faussaires et expert en billets de banque, est arrêté par la Gestapo. Interné dans le camp de Sachsenhausen, il est chargé, avec le soutien d experts juifs triés sur le volet, d imprimer à grande échelle des devises étrangères pour affaiblir l économie des Alliés. Le film est inspiré d un fait réel relaté par Adolf Burger,l un des survivants. reconstituée dans laquelle le spectateur est déplacé comme dans un jeu vidéo. Puis la porte se referme, le plaçant au cœur du lieu de mise à mort avec le trou de l œilleton pour seule lumière MDE Les débats sur les films sont vifs. Sur les romans, ils existent, on l a vu à propos des Bienveillantes, de Jonathan Littell. Sans doute parce qu à la différence du cinéma, la littérature n est malheureusement plus un art populaire, ils restent beaucoup moins bruyants. Les enjeux éthiques sont pourtant les mêmes. S.L. Sans doute. Mais je veux m attacher à ce qui représente pour moi une différence fondamentale. L image et l écrit ont une manière différente de travailler dans le temps. Dans le cas du roman, l écrivain doit nécessairement passer par une forme d élucidation pour rendre compte de l événement. C est avec les mots et les agencements qu il a choisis que les lecteurs cheminent. L image fonctionne de façon différente. Dans le champ d une caméra ou d un appareil photographique, il peut exister un élément non choisi ou non repéré par l opérateur, mais pourtant présent, inscrit dans la photographie ou dans le plan (1). Ce gisant dans l image, cet impensé, échappe à la première lecture. Puis notre regard et notre horizon d interprétation se modifient avec le temps et cet élément capté accidentellement arrive enfin à notre conscience. Avec Nuit et brouillard, les fils de résistants se voyaient restituer leurs morts et pouvaient trouver une place où les ensevelir. Shoah, à l inverse, est le lieu de la résurrection des assassinés, du retour permanent de ces morts sans sépulture. (1) Alain Resnais, par exemple, a affirmé qu il ne s était pas aperçu que figurait la silhouette d un gendarme français sur la photographie du camp d internement de Pithiviers. Le document fut censuré. cinéclasse V

6 Les personnages des Faussaires doivent-ils accomplir la mission que les nazis leur ont attribuée? Doivent-ils saboter leur travail au risque d y perdre la vie? Un des enjeux du film est aussi celui de la résistance, remise d actualité dans les établissements scolaires par la lettre de Guy Môquet. Bons pères de famille, diplômés de l université, cultivés et amateurs de musique classique, les bourreaux nazis n étaient pas tous des brutes ou des malades. L éducation ne les a pas empêchés de commettre les crimes les plus abominables. éducation à l image L émotion à distance VI cinéclasse Salomon Sorowitsch, roi des faussaires, va devoir, pour le compte des nazis, créer des fausses devises étrangères. L argument du film est tiré d un fait réel. Le collège Pasteur de Longjumeau (Essonne) fournit un démenti à ceux qui affirment que l enseignement de la Shoah est impossible dans les banlieues difficiles. Classé en ZEP, cet établissement est fréquenté par une population d origine très mixte issue d un milieu social défavorisé. Sur le trottoir d en face, une mosquée salafiste est ouverte depuis plusieurs années. Professeure d histoiregéographie, Claire Podetti aborde la Shoah sans inquiétude. «Sans doute parce que nous le menons en équipe, enseignants d histoire et de lettres mêlés.» Le film Les Faussaires lui apparaît conduire à des pistes fort intéressantes, notamment quant à l établissement des responsabilités dans l extermination des Juifs d Europe. Lors de leurs procès dans l après-guerre, nombre de nazis ont construit leur système de défense sur la notion de rouage : ils ne faisaient qu exécuter des ordres dont la genèse et la finalité leur échappaient. «Le personnage de Bernard Krüger démontre les limites de cette assertion. C est Krüger qui a conçu l idée d inonder les puissances alliées de fausse monnaie afin de saper leur économie. Le pouvoir nazi l a validée ensuite. On voit bien que les initiatives pouvaient venir de la base et qu il y avait adhésion à un système.» Le crime de bureau, celui de l organisateur qui, tel Adolf Eichmann, planifie les convois de déportation, n est

7 possible que s il existe un bureaucrate ; et s il y a un bureaucrate, il y a un individu. L enseignante souligne que l exploitation pédagogique doit être accompagnée d un travail d explication : «Il est important, par exemple, de développer la différence qui existait entre camp de concentration, tel que l était Sachsenhausen où était l atelier de fausse monnaie, et camp d extermination, comme Auschwitz Pour préciser ensuite que le taux de mortalité dans les camps de concentration restait très élevé et que le travail forcé parmi les détenus affaiblis avait des effets tragiques.» Esprit de résistance L enseignante relève que certaines séquences du film mettent en évidence le processus de déshumanisation : à son arrivée à Sachsenhausen, Salomon Sorowitsch, le personnage principal, expert en fausse monnaie, se présente par son numéro : il a appris dans son lieu de détention précédent qu il n avait plus de nom, que son identité était un matricule. Pour Claire Podetti, il est possible de prendre appui sur cet extrait pour conduire, à partir de la perte d identité, une réflexion sur les stratégies de survie mises en œuvre par les déportés : si la perte d humanité induisait une part d animalité marquée par la lutte quotidienne et individuelle pour la survie, d autres solidarités se manifestaient. «Chaque année, dans nos classes, nous invitons Ida Grinspan, ancienne déportée d Auschwitz. Elle nous parle de cette solidarité à deux ou trois qui a permis à nombre de détenus de tenir le coup. Elle-même n a dû la vie sauve qu à l attention d une infirmière d origine polonaise. Le film montre deux situations où s exerce cette solidarité : dans le cas d un jeune tuberculeux dont les camarades s efforcent de dissimuler la gravité de la maladie qui l aurait envoyé à une exécution certaine ; et dans celui d un jeune père de famille qui veut se suicider après avoir appris l exécution de sa femme et de son enfant.» Les Faussaires amène à se pencher sur une autre forme de solidarité, celle de la résistance. Ainsi, lorsque le commissaire Herzog, l officier en charge de l opération, demande au groupe qui a réussi à fabriquer des fausses livres sterling de produire des faux dollars, doivent-ils travailler sérieusement et continuer à bénéficier d un traitement de privilégiés par rapport aux autres déportés de Sachsenhausen, et, dans ce cas, aider objectivement l effort de guerre de l Allemagne nazie? Faut-il au contraire résister et saboter le travail au risque de perdre leurs privilèges, voire la vie? «Le passé communiste d Adolf Burger le pousse à la résistance, précise Claire Podetti. J aimerais travailler sur ce point avec mes élèves : de quelle manière des gens jeunes, d origines sociales différentes, se dressent au péril de leur vie face à l injustice. Là, on s éloigne de l histoire pour aller vers l instruction civique. Cela rejoint les préoccupations mises au jour dans les établissements scolaires avec la lettre de Guy Môquet.» Les Faussaires, un film pas si éloigné de l actualité. Au retour des camps, les déportés se sont tus sur la réalité des camps. Bien peu de monde était prêt à les entendre. Faut-il collaborer avec les nazis ou saboter le travail au risque de perdre la vie? Le débat fait rage au sein du groupe de faux monnayeurs. Le communiste Adolf Burger va choisir la résistance. cinéclasse VII

8 de la salle à la classe Représentation indirecte Quelle place trouve Les Faussaires dans la représentation de la Shoah à l écran? Poser la question, c est se demander comment représenter le génocide des Juifs pendant la seconde guerre mondiale. La question fait beaucoup moins problème en littérature où le débat, pourtant soutenu, suscité par des romans comme Les Bienveillantes, le Goncourt de Jonathan Littell, trouve peu d écho. La faute sans doute au déclin de la lecture. Il en va différemment au cinéma. Si la problématique est fondamentalement la même, le fait de la mettre en images dans ce qui reste le mode culturel le plus populaire suscite les échanges les plus vifs. A propos de La Liste de Schindler, Claude Lanzmann, réalisateur de Shoah, documentaire de référence, a tranché : «L Holocauste est en ligne Retrouvez sur le site pédagogique du film : lesfaussaires Un dossier pédagogique réalisé par un enseignant d histoire Un dossier pédagogique réalisé par un enseignant d allemand Ainsi qu une série de liens vers les ressources en ligne autour du film. d abord unique en ceci qu il édifie autour de lui, en un cercle de flammes, la limite à ne pas franchir parce qu un certain absolu d horreur est intransmissible. Prétendre le faire, c est se rendre coupable de la transgression la plus grave. La fiction est une transgression ; je pense profondément qu il y a un interdit de la représentation.» Le propos de Lanzmann constitue une condamnation sans appel de toute tentative fictionnelle. Représentation indirecte Pour autant, les fictions existent. Elles jalonnent même le cinéma de la seconde moitié du XX e siècle. L intérêt du film de Stefan Ruzowitzky est de donner de la déportation et de l extermination des Juifs une vision oblique. Le sujet n est pas la tragédie en elle-même mais une histoire, authentique, qui s inscrit dans son cadre et en son cœur même, puisque l atelier de fausse monnaie est situé au centre du camp de Sachsenhausen, dans des baraquements aux murs aveugles. Les faussaires, et les spectateurs, ne perçoivent de l horreur qui les cerne que des détonations qui claquent, des gémissements, des supplications. Claire Podetti, professeure d histoiregéographie au collège Pasteur de Longjumeau, adhère à ce parti-pris dramaturgique. «La représentation est indirecte, soit en écho étouffé des bruits de l extérieur, soit par la réception tragique d une lettre qui annonce à un des faussaires que sa famille a été exterminée à son arrivée dans l enceinte du camp. Je trouve que c est une façon pertinente d enseigner la Shoah à des adolescents.» L enseignante ne distingue pas le documentaire, valide par essence, de la représentation fictionnelle qui ferait problème. Elle s attache à la fonction de l image. «Comme beaucoup, j ai utilisé des images dans mon enseignement. Je ne le fais plus. Forcément atroces, elles peuvent provoquer une fascination morbide. Elles peuvent aussi créer un sentiment de culpabilité, ce qui n est pas le but recherché. Le professeur lui-même doit se poser cette question éthique : quand je montre des images, qu est-ce que je recherche?» Si le ton de Stefan Ruzowitzky n est pas le même, l angle choisi pour dire la Shoah est comparable à celui de la comédie de Radu Mihaileanu Train de vie dans laquelle, avant d être déportés, les habitants d un shtetl organisent leur propre convoi ferroviaire. Dans les deux cas, la mise en scène fait le choix de la distanciation. Une manière de contourner l effet mélodramatique dans un sujet où l émotion est de toute façon présente sans qu il soit besoin de la scénariser, un travers que n évitait pas La Liste de Schindler, de Steven Spielberg, stigmatisée par Claude Lanzmann. VIII cinéclasse