FORMATION SUR LE FILM PERSEPOLIS de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud

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1 FORMATION SUR LE FILM PERSEPOLIS de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud Le mercredi 19 octobre 2011, l association Collège au Cinéma 37 a invité Bertrand Pinier, animateur spécialisé dans le cinéma d animation pour parler du film d animation Persépolis de Marjane Satrapi et de Vincent Paronnaud programmé pour les élèves de 4 ème /3 ème au premier trimestre 2011/2012. Impressions des enseignants : Dans l ensemble les enseignants présents ont trouvé que ce film était une bonne adaptation de la bande dessinée, que c était un beau récit de vie mais avec un aspect noir. Le film est porté par la grand-mère et la petite fille. De plus, ce film représente le mariage de la grande Histoire et de la petite histoire des gens. Marjane Satrapi était sur France Inter dans l émission Les Affranchis pour présenter leur nouveau film Poulet aux prunes et elle en a profité pour parler de l actualité du film Persépolis : ACTUALITE DU FILM Une télévision privée tunisienne a programmé Persépolis ce qui a provoqué des manifestations contre la représentation de Dieu dans le film, interdite dans les pays musulmans. Marjane Satrapi est intervenue et s est positionnée : "C'est un contexte d'élection, c'est électrique! (...) Mais il faut se souvenir que les Tunisiens furent les premiers à mettre leur dictateur dehors! Le reste est anecdotique (...). Et surtout, il ne faut pas en tirer des conclusions hâtives ; il faut continuer de croire à l'élan démocratique" (Source : CENSURE EN IRAN Lors de la conférence de presse du film, Marjane Satrapi s est adressée au gouvernement iranien pour minimiser l impact politique et historique de son œuvre : «Peu importe l histoire, au cinéma, un scénario devient une fiction, puisqu on est obligé de construire une histoire, et dans la construction, il y a évidemment tricherie. Nous ne sommes pas en quête de la réalité, mais nous essayons de nous approcher le plus possible de la vérité. La réalité doit apparaître dans la presse, dans les journaux et aux informations, Le cinéma est présent pour raconter de bonnes histoires et le plus précisément possible, et c est ce que j ai fait.» LE FILM Persépolis, réalisé par deux graphistes de formation, est un récit autobiographique qui met en scène la vie de Marjane Satrapi. Bertrand Pinier était contre l adaptation de la bande dessinée au cinéma et il a douté sur les premières images en couleur mais a été conquis sur la totalité du film. Découpage du film : Début dans un aéroport de Paris puis flashback. 2 minutes Enfance de Marjane et se termine à l aéroport. 40 minutes Aéroport d Orly (en couleurs). 2 minutes Vie de Marjane en Autriche. 40 minutes Aéroport d Orly (en couleurs). 2 minutes Retour en Iran et vie de Marjane en Iran. 40 minutes Départ de l Iran pour la France. 2 minutes Aéroport d Orly (en couleurs). 2 minutes Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud ont travaillé trois mois seulement tous les deux sur la conception, la compression du scénario. Marjane Satrapi a dessiné les 600 personnages en model sheet (face, profil, ¾ arrière et ¾ face) ce qui est un record!

2 Dans les premières planches de la bande dessinée, il y a un côté naïf avec de mauvaises perspectives contrairement au tome 4 où les dessins sont bien plus travaillés. La bande dessinée est une continuité de planches successives de ce type. Sur les quatre premières images, le caniveau (nom donné à l espace entre chaque case) est systématiquement respecté, aucune fantaisie graphiste contrairement à Vincent Paronnaud (édité sous le pseudo de Winchluss), débridé mais avec un travail approfondi. Cette bande dessinée est éditée par L Association. Lorsque l on regarde à nouveau Persépolis, on se rend compte que ce sont que des gens venant du monde de la bande dessinée qui l ont réalisé. Il y a deux œuvres différentes, le film et la bande dessinée. Dans le film, la question de la retranscription du scénario en images se pose. Le premier choix graphique était de garder le noir et blanc mais ils savent qu ils ne peuvent pas faire du contraste simple suite au film Renaissance de Christian Volkman qui n a pas marché en raison, en partie, de ce manque de contraste qui fatiguait l œil du spectateur. Les autres choix graphiques sont : - Ouverture et fermeture sur des plans en couleurs (plans à l aéroport) - Conservation du noir et blanc - Choix de la ligne claire : tous les personnages sont travaillés au trait Il a fallu reformer des traceuses (repasser les dessins aux crayons avec la bonne épaisseur). Les choix graphiques entraînent des choix de production (héberger des traceurs, les former ). Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud souhaitaient beaucoup d extraits musicaux mais malheureusement en raison du coût trop élevé, il a fallu faire des choix. Ils ont pris quelqu un pour retravailler les musiques et même Eye of tiger est chantée par Chiara Mastroianni. Du coup, la production n a payé que les droits de reprise. Tous ces choix financiers permettent d obtenir l œuvre que Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud voulaient. Bertrand Pinier conseille de regarder le making of sur le DVD de Persépolis : La Face cachée de Persépolis. Dans ce documentaire, Marjane Satrapi ne dit jamais «je» mais «Marji» pour se protéger et pour ne pas revivre ses actions une deuxième fois. Persépolis est un film sur une petite fille en Iran qui pose la question de l exil. LES DECORS Sur les décors, il y a un dégradé de gris. Winchluss a fait la recherche graphique sur l Iran, sur Téhéran car Marjane Satrapi voulait que cette recherche soit faite par quelqu un d autre pour qu il y ait une distance. Du coup cette dimension onirique vient presque naturellement. Tout au long du film, le spectateur se trouve dans la représentation rêvée, fantasmée de Marji car Marjane peut reconstruire son histoire (lieux, personnages) mais il est plus difficile de se rappeler un paysage d où l intérêt de faire faire cette recherche par Vincent Paronnaud pour consolider ce côté flou.

3 Extrait : L histoire de l oncle (13 minutes 34 secondes) Les réalisateurs utilisent un système de décor de profondeur de plans. On n est pas dans la finesse de la perspective ou dans la volonté de créer un effet 3D mais on est vraiment dans la 3D crée par l addition de 2D ce qui n est pas sans rappeler le monde de la bande dessinée. Le dégradé de gris ne donne pas l impression que les personnages sont plaqués. Les moments de flash-back ou de rêve (apparition de Dieu, l histoire de l oncle Annouche) sont traités à la ligne claire et plus dans un dégradé de gris. Tous ces éléments font partie du choix graphique pour constituer le propos du film. Extrait : La métamorphose de Marjane à Vienne (48 minutes 53 secondes) Au lieu de montrer progressivement la transformation, ils ont fait la métamorphose en une minute trente secondes tout en simplicité et rapidité avec un écho au tableau Guernica de Picasso. En quatre plans, Marjane se transforme en femme renforçant l effet comique. Dans la bande dessinée, cela tient sur une page avec des vignettes de même taille. Les autres effets comiques du film sont : - Le passage dans le supermarché où deux femmes se battent. - L Autrichienne et son chien (effet comique récurrent). - La transformation de Marcus. - Eye of tiger Le film est sans cesse dans une construction entre humour et drame voire tragédie. Il y a un système de fondu entre deux paysages entre Vienne et Téhéran (48 minutes). Ce plan montre la névrose de Marjane de ne pas être en Iran auprès de sa famille qui souffre. Elle s imagine en permanence ce que pourrait être la vie des gens en Iran. A aucun moment, elle ne dit qu elle a peur pour ses parents ; il faudrait donner ces points de réalité aux élèves. Marjane Satrapi n a pas à refaire ce qu elle a fait dans la BD ; par contre, le film parle de la notion d exil, de construction personnelle et de rapport à la liberté. Elle subit une série de malheurs mais à la fin elle sera un être entier ce que l Iran n a pas la chance d avoir. Au début, le peuple croit en la révolution (le père de Marjane exulte) et ce peuple se fait voler sa révolution. Il faut préciser aux élèves que Marjane Satrapi est une grande bourgeoise dans son pays. En effet, dans la BD quand la guerre Iran-Irak est déclarée, la famille Satrapi est en voyage en Europe. Extrait : L histoire de l Iran (5 min 55 sec) Dans le film, cette séquence commence et se termine par le visage de Marji. Elle est faite de plusieurs scènes : - le début de la discussion. - la représentation de l Histoire racontée par le père (avec des marionnettes perse, souples et plates). - la scène dans le lit de Marji. Les réalisateurs vont à la simplification de l Histoire comme des adultes l expliqueraient à des enfants. Dans la bande dessinée (ci-dessous) 4 pages Le chah est appelé «le roi» par Marji. L Histoire n est pas représentée de façon onirique contrairement à la séquence du film mais dans une représentation assez réaliste. Dans le film, l accent anglais un peu outrancier, les mots simplistes des personnages font comprendre aux spectateurs qu ils sont dans la caricature mais les réalisateurs rajoutent une touche graphique dans le film, sorte de mise en abyme, qui fera directement comprendre le discours ironique aux spectateurs. Alors que dans la bande dessinée, le grand père est représenté comme aurait pu le dessiner Marjane, il ne l est pas dans le film car la phrase dite par Marji suffit à faire rêver : «Mon papi était un prince Kadjar».

4 Première page : Dernière page : Ce film est difficile à découper car la voix-off est sans cesse en train de faire des regroupements ce qui donne la fluidité au récit, il n y a pas de coupe franche. Au niveau de l image, il y a des fondus enchaînés, des fondus au blanc, au noir. Extrait : Marjane voit un cadavre (37 minutes 18 secondes) Dans la bande dessinée, cette séquence est traitée plus longuement (4 pages). Ce développement très long montre l importance du passage dans la vie de Marjane. C est à partir de ce moment-là que les parents vont se sentir en danger et décider de faire partir Marjane en Europe. Le procédé de fabrication d un film d animation commence par un scénarimage : avec ce système, les personnes qui vont travailler sur le film voient comment sera le film. En plus, les voix (= lip dub) ont été enregistrées avant ce qui permet une parfaite synchronisation avec les lèvres. Ensuite, les chefs animateurs dessinent la première et la dernière image de chacun des mouvements et les assistants animateurs font les intervalles c est-à-dire le mouvement. En animation, le découpage est une étape de travail naturelle. Découpage de cette séquence : Vue subjective depuis le missile et fondu sur cette image. Dans la bande dessinée, cette scène commence alors que Marjane fait les magasins et dans le film, Marjane est directement sur place.

5 Pour ces plans, on est à la hauteur de Marjane. Plongée sur elle avec vue subjective d un pasdaran. Il est souvent dit qu une plongée est créée au cinéma pour faire ressentir la supériorité ou l écrasement mais ce n est pas toujours le cas. Mais ici, même si le plan va très vite, une pression est posée sur le personnage. Cette position permet d avoir une plus grande profondeur de champ et d avoir les fumées à l arrière plan et donc de voir la menace. Lorsque le pasdaran laisse passer Marjane, le spectateur peut comprendre qu il s est passé quelque chose. De plus, dans les séquences précédentes, Marji a été confrontée à une série de morts proches d elle. A/ Travelling latéral sur Marjane courant sur la pente de droite à gauche B/ On la récupère Marjane en haut de la pente en train de monter.

6 C/ Ensuite, on a un «cut» sur Marji marchant sur des bouts de verres. Grâce à ses trois derniers plans, les réalisateurs arrivent à provoquer la longueur avec des plans larges, Marji descend, remonte La longueur est crée par l apparition du plan A dans le plan B (les voitures) appelée une ellipse. Dans le plan B, on commence à voir des bouts de verre ce qui fait le raccord avec le plan C. A partir du moment où Marjane arrive sur le lieu du drame, le temps est ralenti ce qui permet d être encore plus dans la confrontation du personnage. Dans la narration, le spectateur connaît la crainte de Marji pour ses parents. La musique commence à venir D/ Panoramique sur le bâtiment avec un raccord parfait de Marjane voyant l ampleur des dégâts (plan E) E/

7 Les réalisateurs ont fait le choix du dialogue plein cadre. Ce plan est important. Cette main qui glisse de l autre main signifie qu elle a vu quelque chose et que c est à ce moment-là que Marjane et sa mère vont se quitter. Dans le cinéma d animation, les plans dessinés ont tous une signification. Dans ce plan, l espace se distord. La mère a quitté la main de Marjane mais elle reste figée. Il y a une construction de la sensation qui va suivre.

8 Dans la bande dessinée, la main n est pas montrée car d après Bertrand Pinier, Marjane Satrapi ne se sentait pas la force de la dessiner, seule devant sa page blanche. Elle ne peut dessiner qu une case noire car c est un événement trop dur, trop fort. Dans le film, elle peut montrer cette main car elle a évolué et qu elle co-réalise le film. Elle fait référence au tableau Le Cri de Munch car décrire le cri qu elle a eu n aurait aucun sens alors elle crée un cri musical qui va venir le remplacer. Extrait : La dernière fête clandestine (1 h 22 min 45 sec) Dans la bande dessinée, cette séquence se passe avant le mariage de Reza et de Marjane alors que dans le film, elle a lieu avant le divorce et après la discussion avec sa grand-mère. La scène est longue et muette : le spectateur n a pas besoin d explication. Les pasdaran sont tous identiques, c est une masse qui représente l armée. A chaque fois que la scène se passe à Téhéran, il y a un raccord sur la montagne. Cette scène comprend trois moments principaux : - la fête insouciante - la visite des pasdaran - la course poursuite Dans cette scène, Marjane n est pas le personnage principal et l action va sortir de la pièce où elle est et continuer. Quand l homme tombe de l immeuble, la musique imite le battement de cœur qui s arrête lorsque l homme arrive au sol ; les violons s arrêtent et les basses augmentent. La dernière scène est un travelling arrière par «cut» avec des lignes blanches sur les personnages principaux. Les personnages qui courent sur les toits sont représentés comme des ombres chinoises dégradées dans la nuit qui donne une profondeur de champ. L association Collège au Cinéma 37 remercie Bertrand Pinier pour sa venue à Tours et pour son analyse du film Persépolis. Quelques sites utiles