LES PRINCIPAUX DÉTERMINANTS DE L'EXPOSITION AUX FACTEURS DE RISQUE DU TRAVAIL DE PLACEUR DANS UN MAGASIN-ENTREPÔT

Transcription

1 LES PRINCIPAUX DÉTERMINANTS DE L'EXPOSITION AUX FACTEURS DE RISQUE DU TRAVAIL DE PLACEUR DANS UN MAGASIN-ENTREPÔT BERNARD DUFOUR Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité du travail, 0 de Maisonneuve Ouest, Montréal, Québec, Canada, H3A 3C bernard.dufour@csst.qc.ca MARIE ST-VINCENT Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité du travail Montréal, Québec, Canada MARIE LABERGE Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité du travail Montréal, Québec, Canada Résumé Une intervention ergonomique fut menée dans une entreprise de ventes au détail de type magasin-entrepôt. L'objectif était l'identification des principaux déterminants des facteurs de risque musculosquelettiques du travail de placeur pour ensuite entreprendre une démarche de recherche de solutions. L'analyse des données d'observations et d'entretiens ont permis d'établir un diagnostic qui fut validé auprès des travailleurs. Ces derniers ont par la suite mis en priorité les différents déterminants. Après avoir réalisé toute la pertinence de combiner différents outils de cueillettes de données pour interpréter les résultats, nous avons constaté que nos priorités différaient sensiblement de celles des travailleurs. Entre autres, cette disparité pourrait s'expliquer par les préoccupations des placeurs qui sont davantage en terme de difficultés que de risque physiques. Mots clés : placeur, commerce de détail, manutention THE MAIN CAUSES OF PHYSICAL RISK IN STOKERS WORKING IN A RETAIL SALES WAREHOUSE Abstract An ergonomic intervention was undertaken on stockers working activities in a retail sales warehouse. The objective was to identify the main risk factors responsible for musculoskeletal diseases and to begin research into appropriate solutions. Analysis of data obtained from observations and interviews permitted the establishment of causes that were later confirmed by the workers themselves. These causes were prioritized by the workers and finally compared with those determined by the ergonomists. Analysis revealed differences in priorities between researchers and workers which could be explained by the workers focus on difficulties at the workstation instead of physical risks. Keywords: stocker, retail sales, manual handling 8

2 INTRODUCTION Une intervention ergonomique fut menée dans une entreprise de ventes au détail de type magasin-entrepôt. La demande initiale consistait à évaluer les facteurs de risque, à identifier leurs principaux déterminants et à suggérer des transformations pour prévenir le développement de troubles musculo-squelettiques (TMS) aux postes de placeurs et d'emballeurs. Nous ne présenterons ici que la démarche visant à identifier les déterminants aux postes de placeurs. L'entreprise fait partie d'un réseau comportant environ quinze magasins au Québec. Les magasins-entrepôts comportent des caractéristiques particulières : les formats des produits y sont plus volumineux, la marchandise en vente est souvent présentée directement sur les palettes de transport, les clients circulent entre les rayons d'entreposage et cet espace d'entreposage est limité au maximum. Le magasin est divisé en une vingtaine de sections, chacune spécialisée dans une catégorie de produits. La nature des tâches réalisées, les caractéristiques des contenants manutentionnés et l'aménagement des présentoirs peuvent varier considérablement d'une section à une autre. Dans un quart de travail, les placeurs occupent leur poste de h00 à 10h00, puis sont affectés à d'autres postes jusqu'à 13h00 selon les besoins de l'entreprise. Le travail de placeur consiste à approvisionner le présentoir en produits et à assurer une mise en valeur de la marchandise par différentes stratégies de marketing. De façon plus concrète, le placeur manutentionne les produits d'une palette à un présentoir (étagère, palette au sol, réfrigérateur, etc.), il achemine directement des palettes pleines en présentoir à l'aide d'un transpalette manuel, il assure la présentation des produits par des opérations de déballages et de retournements, il modifie les emplacements des produits en présentoir pour favoriser les ventes. MÉTHODE La première étape de la démarche était l'identification des sections dont le travail des placeurs feraient l'objet de l'étude. Les objectifs poursuivis étaient de retenir les sections plus à risque de développer des TMS et qui dresseraient un tableau d'ensemble typique du travail de placeur dans une succursale. Pour ce faire, nous avons procédé à des observations et à des entretiens préliminaires informels afin de documenter la variabilité des caractéristiques de la marchandise manutentionnée, les manipulations de transpalettes, les opérations préalables sur le produit avant de mettre en présentoir, la nature et l'importance des différentes tâches, les stratégies motivant les modes opératoires, l'aménagement des lieux, les déplacements, le déroulement du quart de travail, les principales difficultés, le niveau d'autonomie, la spécificité de la section et les communications avec le cariste. De plus, un questionnaire fut distribué à 1 placeurs. Il comportait des questions sur les caractéristiques de l'emploi occupé et sur les perceptions de leurs douleurs. On y retrouvait également des questions sur l'anamnèse des symptômes jugés plus importants, sur des aspects de la charge mentale et des aspects psychosociaux. Finalement, neufs placeurs provenant de huit sections différentes furent retenus et acceptèrent de collaborer pour la suite de l'étude. Des entretiens individuels formels furent réalisés auprès des neuf participants pour comprendre les facteurs de risque et les déterminants non visibles du travail. Chacun des neufs employés participant à l'étude fut ensuite filmé au poste de placeur pendant leur quart de travail lors d'une journée représentative du travail. Nous avons analysé un échantillonnage de l'ensemble des séquences vidéo pour documenter les facteurs de risque physiques et les déterminants visibles du travail. 9

3 Enfin, chaque placeur fut rencontré en autoconfrontation afin de valider et enrichir l'interprétation des données des entretiens formels et de l'analyse des bandes vidéo. RÉSULTATS C'est à la suite de l'analyse de l'ensemble de ces données qu'il y a eu élaboration d'un diagnostic où il a été possible de distinguer les principaux déterminants des facteurs de risque physiques et psychosociaux. Ce diagnostic fut présenté aux travailleurs participant à l'étude pour validation et afin qu'ils puissent classer par ordre de priorité les déterminants les plus à risque de développer des troubles musculosquelettiques. Avant de porter leur jugement, nous les avons informés sur les facteurs de risque physiques et psychosociaux. Ils ont jugé prioritaires, dans l'ordre : l'équipement, l'aménagement des postes, les informations liées aux arrivages, l'organisation du temps de travail, les caractéristiques des contenants et le travail d'équipe. Le seul équipement utilisé par les placeurs est le transpalette. Il y a inadéquation entre certains types de transpalettes et de palettes et certains sont en mauvais état. Cette situation augmente les risques d'accident, elle crée de l'insatisfaction chez les travailleurs et l'effort déployé est plus grand. On reconnaît quatre types de problème liés à l'aménagement des lieux de travail : l'accès aux produits, la différence de hauteur entre la prise (basse) et le dépôt (haut), la hauteur maximale de dépôt et l'espace restreint. Une exposition plus grande aux facteurs de risque physiques tels la posture, l'effort, les manutentions supplémentaires et les manipulations supplémentaires de transpalettes en découlent. Les placeurs manquent d'informations quant aux heures d'arrivages. Cette situation occasionne de l'incertitude, des manutentions supplémentaires et augmentent les contraintes de temps. L'organisation du temps de travail cause de l'insatisfaction chez les placeurs. Le travail de fin de semaine, la durée des pauses du repas et la nature du poste occupé après 10h00 constituent des irritants. De la même façon, les caractéristiques des contenants comme le poids, le volume, la stabilité du produit, l'emballage et les prises occasionnent une exposition plus grande aux facteurs de risque physiques. On dénote comme dernier déterminant le travail collectif. Les difficultés à obtenir de l'aide et le mauvais synchronisme entre l'approvisionnement du cariste et le travail du placeur créent de l'insatisfaction et une charge de travail accrue. Il s'avère que les priorités des placeurs ne correspondent pas à celles des ergonomes. Dans le tableau 1, vous remarquerez des différences importantes dans l'ordre des priorités, plus particulièrement en ce qui a trait aux caractéristiques des contenants. 60

4 Tableau 1. Ordre des priorités des travailleurs et des placeurs Priorité des travailleurs Priorité des ergonomes Équipements 1 Gestion des stocks Aménagement des postes Organisation du temps de 3 travail Caractéristiques des 3 1 contenants Travail collectif 4 4 DISCUSSION D'une part, nous avons constaté la pertinence d'utiliser différents outils de cueillette de données pour obtenir des informations complémentaires quant aux facteurs de risques et déterminants. D'autre part, nous avons réalisé que, malgré une certaine rigueur méthodologique dans la cueillette et l'analyse des données, il peut subsister une divergence des représentations des priorités entre les ergonomes et les travailleurs. C'est-à-dire qu'il n'y a pas eu consensus quant aux déterminants prioritaires entre le groupe des placeurs et celui des ergonomes. En ce qui concerne le type d'outils de cueillette de données, l'analyse des bandes vidéo a procuré des données sur des facteurs de risque physiques et leurs déterminants visibles. Par exemple, il est possible de comprendre les liens entre l'adoption de postures contraignantes et la manutention de contenants offrants des prises inadéquates. Quant à eux, les entretiens ont permis de dégager les facteurs de risque psychosociaux et les déterminants non visibles du travail. Par exemple, un placeur mal informé de l'état d'acheminement d'une marchandise qui tarde à arriver se retrouve dans une situation de stress. De plus, les entretiens ont permis d'identifier des situations problématiques occasionnelles ou difficilement observables mais qui peuvent être lourdes de conséquences en terme d'exposition à des facteurs de risque physiques ou psychosociaux. Par exemple, les placeurs libèrent de l'espace en présentoir au début du quart de travail pour recevoir un nouveau produit. Or, la marchandise n'est pas encore arrivée et il reste peu de temps avant l'ouverture. Les placeurs suivent les consignes de l'employeur et replacent le produit original pour éviter de laisser un présentoir vide. Dans cet exemple, on identifie, en plus du stress, une exposition plus importante à des facteurs de risque physiques. À la lumière de ce qui précède, il nous apparaît essentiel dans le cadre d'une démarche ergonomique de considérer la prise de données d'entretiens et d'observations afin de s'assurer d'une identification la plus exhaustive des facteurs de risque et des déterminants. En plus, nous constatons que les données d'observations seules présentent des limites significatives lorsqu'il est temps d'interpréter les résultats ou d'identifier des pistes de solutions. Les données d'entretiens constituent alors la clé de voûte de la compréhension de l'activité de travail. 61

5 À la suite de la validation du diagnostic par les placeurs, nous avons réalisé que les priorités des déterminants des placeurs différaient des nôtres de façon significative. Comme il apparaît au tableau 1, les placeurs ont identifié comme prioritaire les équipements alors que les caractéristiques des contenants se retrouvent beaucoup plus loin dans leur liste des priorités. Pour les ergonomes, les caractéristiques des contenants constituent clairement la priorité d'intervention si l'on considère la répétition importante des manutentions. Nous nous sommes questionnés sur ce qui pouvait expliquer cette divergence dans la représentation de la gravité des problèmes. Selon le contexte de la démarche dans lequel elle s'inscrit, cette disparité d'opinions peut devenir lourde de sens. Par exemple, dans notre projet tous les problèmes identifiés ont été traités dans une démarche de recherche de solutions. Dans une autre intervention, le problème jugé prioritaire pourrait être soumis à ce processus de résolution alors que les autres pourraient ne pas être traités. On réalise ainsi toute la pertinence de comprendre ce qui entrave une représentation commune de la priorité des situations à corriger. Plusieurs hypothèses ont été posées pour tenter d'expliquer cette situation. Pour les placeurs, il est possible que les difficultés en lien avec les équipements transcendent les autres déterminants pour différentes raisons. Leur représentation de ce qu'est l'ergonomie ne diffère pas de la représentation populaire: elle est associée à des modifications des équipements et outils de travail. Les frustrations occasionnées par l'inadéquation et les dysfonctionnements du seul équipement de travail contribuent à l'évaluation de la priorité de ce déterminant. Les placeurs ont une méconnaissance de ce que sont les facteurs de risque physiques. Malgré les consignes de mettre en priorité les déterminants les plus à risque, nous croyons que les placeurs intègrent les difficultés vécues au travail et les risques d'accidents aux notions de facteurs de risque avant d'identifier les priorités d'actions. Leur représentation de la possibilité de réaliser des changements à la situation problématique a peut-être influencé le jugement des placeurs. En effet, il s'avère que les placeurs ne croyaient pas en la capacité de modifier les caractéristiques des contenants, contrairement aux transpalettes. Pour les ergonomes, il est plus facile de juger de l'importance de facteurs de risque physiques que de facteurs de risque psychosociaux. Nous avons donc tendance naturellement à mettre en priorité les déterminants définis davantage par des facteurs de risque physiques. Par ailleurs, il est force d'admettre que le manque de quantification des données observables lors de la manipulation des transpalettes rendait difficile une évaluation juste des risques réels. De plus, bien qu'il nous est possible de quantifier certains facteurs de risques physiques, il devient problématique de juger de l'exposition au risque lorsque des faits accidentels peuvent se produire en utilisant le transpalette, par exemple. 6

6 CONCLUSION Comme on peut le voir, une démarche combinant à la fois des données d'entretiens et des données d'observations permet de mieux comprendre l'activité de travail et de poser un diagnostic plus juste. Toutefois, il ressort qu'un processus d'échange doit être entrepris entre les ergonomes et les opérateurs à la suite de ce diagnostic pour uniformiser les priorités d'actions. Par ailleurs, nous croyons qu'il est important dans toute intervention ergonomique de tenir compte de l'ensemble des préoccupations des travailleurs et pas uniquement celles compromettant leur intégrité physique. À notre avis, cette façon de faire permet de pondérer les résultats et faciliter la poursuite de la démarche lors de la recherche de solutions. 63