Les Misérables. de Victor Hugo. Clefs d analyse. par Alexandre Gefen. Petits Classiques Larousse - 63 Les Misérables

Transcription

1 Les Misérables de Victor Hugo Clefs d analyse par Alexandre Gefen

2 Clef 7 (p. 167 à p. 180) CLEFS D'ANALYSE Action et personnages 1. La quatrième partie du roman s ouvre sur un retour en arrière : quel laps de temps couvre-t-il? Pourquoi est-il nécessaire? Le retour en arrière couvre le laps de temps entre la vie au couvent et la rencontre des jeunes gens dans le jardin de la rue Plumet. Bien que l on connaisse l essentiel des événements de la vie de Cosette et Jean Valjean, il est justifié par le déplacement du point de vue. Dans les chapitres précédents, ils étaient envisagés du point de vue de Marius. Ici le retour en arrière permet d expliquer pourquoi Jean Valjean et Cosette ont quitté le couvent. Il a surtout pour fonction d éclairer l évolution de Cosette et de montrer comment elle découvre sa féminité et son pouvoir de séduction. Il est l occasion d une analyse psychologique qui fonde la vraisemblance de son amour pour Marius et motive la facilité avec laquelle elle accepte un rendez-vous amoureux. 2. Quelle est la particularité de la maison de la rue Plumet qui a dû séduire Jean Valjean? Elle a deux portes secrètes (qui permettent donc d entrer et de sortir de la maison, même si quelqu un surveille la porte d entrée principale). 3. Expliquez la raison pour laquelle Jean Valjean a décidé de quitter le couvent du Petit-Picpus. Que pensez-vous de cette décision? Il le fait par honnêteté envers Cosette ; comme elle ne connaît rien du monde, elle risque d accepter de devenir religieuse par ignorance des autres possibilités qu offre l existence. Jean Valjean veut qu elle puisse choisir sa vie librement et en connaissance de cause, même si, personnellement, il est parfaitement heureux au couvent. Il ne fait pas preuve d égoïsme, mais il agit pour le bonheur de Cosette en sacrifiant le sien. 4. Que pensez-vous de l attitude des deux jeunes gens? Vous paraît-elle invraisemblable ou pensez-vous qu elle reflète l expression normale des sentiments? La question dépend évidemment de la sensibilité individuelle des élèves. On peut juger peu vraisemblable qu une jeune fille, élevée au couvent et aussi surveillée et protégée que l est Cosette, accepte ainsi un rendez-vous avec un jeune homme qu elle ne connaît pas et qu elle tombe ainsi dans ses bras. Mais Hugo propose ici une vision romantique de l amour qui suit son instinct sans rien calculer ; il met ainsi en évidence la puissance du sentiment amoureux et son caractère arbitraire. 5. Pourquoi Jean Valjean éprouve-t-il un serrement de cœur lorsqu il constate la beauté de Cosette? Jean Valjean comprend que Cosette, devenue une jeune fille désirable, est en situation d être aimée et d aimer elle-même. Conscient qu elle éveillera inévitablement l amour d un autre homme, il pressent qu il est sur le point de la perdre. Son serrement de cœur anticipe sur la suite des événements.

3 6. À votre avis, quel genre de sentiment Victor Hugo veut-il éveiller chez le lecteur en décrivant la chaîne des forçats? Il cherche à éveiller la pitié et l indignation et à faire comprendre au lecteur qu il est anormal que l on en vienne ainsi à priver des hommes, même coupables, de leur humanité. Langue 7. Page 171, lignes 24-26, «Sa taille ses prunelles bleues» : quels sont les mots et les groupes nominaux en position de sujet dans cette phrase? Quel est leur point commun? Quel est l effet produit? «sa taille» ; «sa peau» ; «ses cheveux» ; «une splendeur inconnue» : ces noms se réfèrent à des qualités physiques de Cosette ; leur position de sujet donne l'impression que tous ces éléments agissent de leur propre chef et qu ils créent une nouvelle personne. 8. Page 174, lignes 25-26, «Il me semble que si je trouvais sur mon chemin» : Expliquez le caractère cruellement ironique de cette phrase. Cosette énonce ici un sentiment de peur compréhensible, puisque le traitement infligé aux forçats paraît porter atteinte à leur nature humaine : en voyant ce spectacle, elle n est pas certaine d avoir affaire à des hommes («Père, est-ce que ce sont encore des hommes?»). Mais, sans qu elle puisse s en rendre compte, l hypothèse qu elle émet est contredite par sa situation puisque c est justement à «un de ces hommes-là» qu elle doit la vie. La phrase a un caractère ironique parce qu elle se prête à deux lectures contradictoires. Plus simplement, la phrase est ironique parce que Cosette se trouve précisément avec un forçat et que non seulement elle n en meurt pas, mais qu elle lui doit la vie. La phrase est d autant plus cruelle que Jean Valjean ne peut pas lui dire la vérité. 9. Page 176, ligne 64, «Tais-toi! Tu le sais!» : Commentez le passage au tutoiement. Conformément aux usages de l époque, les jeunes gens se vouvoient. Par pudeur, Cosette n ose pas répondre explicitement «oui» à la question de Marius qui lui a demandé si elle l aimait. Mais le tutoiement joue le même rôle qu un aveu : en effet, en tutoyant le jeune homme, elle le traite comme quelqu un dont elle est très proche et elle montre qu elle accepte l intimité amoureuse. Elle dévoile ainsi son émotion, ce qui rend les mots superflus. 10. Page 176, ligne 72, quelle particularité grammaticale présente la phrase «Un baiser, et ce fut tout». Quel est l effet produit? La première proposition est une phrase nominale : on sous-entend «ils se donnèrent» ; le procédé permet de mettre en évidence le baiser.

4 11. Page 177, ligne 76, «Ils s étaient pris les mains» : quelle est la valeur du plus-que-parfait? En quoi permet-il ici de rendre compte de l état d émotion des deux jeunes gens? Le plus-que-parfait marque un passé accompli : l action de se prendre les mains est déjà effectuée, sans qu on l ait vue s accomplir ; ce procédé permet de rendre compte de l émotion des jeunes gens qui se sont rapprochés «sans s en rendre compte». Genre ou thèmes 12. Qu est-ce qu une idylle (page 167)? Une idylle est une histoire d amour pure et tendre entre deux êtres qui s entendent parfaitement : c est un amour idéal. 13. Montrez que la chaîne prive les forçats de leur humanité. Les forçats sont transportés en groupe, comme du bétail. Ils portent un carcan (une sorte de collier de fer) relié à une chaîne métallique : non seulement ils sont attachés comme des animaux, mais ils perdent leur individualité : ils ne sont plus des personnes, mais les pièces d une mécanique collective ; ils sont obligés de suivre le mouvement général. Le texte, qui compare la chaîne à un mille-pattes, précise qu ils sont «saisis par une sorte d unité inexorable». On les garde également comme des bêtes fauves : deux personnes armées ont un pied sur l extrémité de la chaîne. 14. Comparez le chapitre VI du livre V et le chapitre II du livre IX (jusqu à «il n avait plus qu à mourir», page 180, ligne 30). Vous prêterez notamment attention aux circonstances de lieu et de temps. Que pensez vous des phrases finales des deux passages? Alors que le chapitre VI décrit une rencontre heureuse, le chapitre II relate au contraire la disparition de l être aimé. Les deux passages sont symétriques. Dans les deux cas, le passage se déroule le soir, dans le jardin de la rue Plumet ; dans le livre V, on suit Cosette de la maison jusqu au banc de pierre où a lieu la rencontre des amoureux ; dans le livre IX, on suit symétriquement Marius de la grille jusqu au banc : mais Cosette n y est pas et il va, en vain, jusqu à la maison. L union des amants contraste avec la solitude de Marius. À la fin du chapitre VI, les amoureux se révèlent mutuellement leur prénom : ce faisant, ils deviennent l un pour l autre des êtres réels ; l énoncé du nom consacre l existence de l autre. L amour constitue pour eux une sorte de seconde naissance. À la fin du chapitre II du livre IX, au contraire, Marius pense qu il n a plus qu à mourir. Pour aller plus loin 16. Documentez-vous sur les bagnes : quelle est la différence entre le bagne et la prison? Pourquoi les forçats décrits ici doivent-ils faire ce voyage? Où vont-ils? Existe-t-il toujours des bagnes? Que pensez-vous de ce genre d établissements? À l origine, les condamnés étaient voués à ramer sur les galères royales ; l évolution de la marine débouche sur la suppression des galères en 1748 ; sont alors instituées des prisons, d abord flottantes (des pontons et des bateauxprisons), puis sur la terre ferme, toujours sous la responsabilité de la Marine. Les

5 prisonniers, livrés au caprice des gardiens, étaient souvent (mais pas toujours) employés comme ouvriers dans des conditions atroces qui étaient déjà jugées inhumaines à cette époque et qui justifient diverses tentatives de réforme). Les principaux bagnes français se trouvaient à Toulon, Brest et Rochefort. C est sans doute dans l un de ces deux derniers établissements que se rendent les prisonniers de la Chaîne décrits par Victor Hugo. C est en 1810 que le principe du travail pénible est posé comme principe de fonctionnement du bagne (travaux forcés). Les bagnards sont enchaînés deux par deux, mal nourris, soumis à un système de punitions et de châtiments corporels très dur, longtemps marqués au fer rouge et traînant un boulet. Depuis la fin du XVIII e siècle, ils perçoivent cependant un salaire (très faible) qui, à partir de 1820, est partiellement confisqué pour la constitution d un pécule (la «masse») qui leur est remis à leur libération. À partir de 1852, la déportation en Guyane (puis en Nouvelle-Calédonie à partir de 1863) remplace l incarcération en métropole. Les bagnards sont contraints d y rester après leur condamnation, pour une période limitée ou à vie. Ce système de déportation continue jusqu en 1938 (suppression des condamnations aux travaux forcés) ; il faut cependant attendre 1953 pour que la suppression définitive de la déportation s accompagne du retour des condamnés en France.