Irène Gauthier Un Soupçon de Nostalgie

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1 Irène Gauthier Un Soupçon de Nostalgie 2

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3 Alex! Viens manger! Appelle ma mère. J emprunte la rampe d escalier pour la première fois de la journée. Depuis mon accident, je suis paralysé presque entièrement. J ai eu la chance (si on peut appeler ça de la chance) de pouvoir me servir de mes mains et de mes avant-bras après ça. On a implanté les nerfs qui manquaient et je peux m en servir à peu près comme avant, malgré les petits tremblements. Le bon point, c est que a ne va pas empirer. Le mauvais, c est que je ne peux rien changer à ma position. Je suis dépendant des autres Ma vie ne repose pas entre mes mains. Je ne pourrais jamais faire ce que je veux à cause de ce foutu accident. Aller à New-York et à Hollywood pour devenir un acteur, ou alors travailler à la Nasa Rien de tout cela ne sera jamais possible avec cet accident. Je suis arrivé en bas. Ma mère m a préparé mon plat préféré, le gratin de pâtes. Cela me réjouit et j entends mon estomac grogner. FLASHBACK J ai neuf ans, c est mon anniversaire. J ai invité tous mes amis à manger à la maison et ma mère m a préparé un gratin de pâtes avec du chou-fleur à l intérieur. Je ne suis 2 3

4 pas au courant de ça et je me jette dessus. Mon meilleur ami, Johnny, éclate de rire et s étouffe à moitié dans son verre d eau. Du coup, je me mets à rigoler avec mon gratin dans la bouche, et je recrache tout. Tout le monde se met à rire, même moi. Surtout moi. On finit tous par se calmer et on mange dans une ambiance plus que joyeuse. Plus tard, quand ma mère me révèle qu il y avait de chou-fleur dans le gratin, je m enferme dans ma chambre et boude. Quand elle revient, elle a une énorme assiette de lasagnes dans les mains et un grand sourire sur la figure. J ai super faim mais je me méfie. Elle me promet qu il n y a pas de légumes dedans et je me jette dessus. Puis le soir, je me brosse les dents, et je trouve un bout de carotte coincé entre mes dents, légèrement écartées. FIN DU FLASHBACK Je cligne doucement des yeux. Je n ai pas neuf ans, je suis dans mon fauteuil roulant. Cette révélation me fait un choc. Ce souvenir était tellement réel! Comme tous les autres, en fait. J esquisse un sourire triste et me mets à table. Ma mère me regarde elle aussi avec tristesse et ne dit rien. Elle sait que j ai fréquemment des souvenirs qui me remontent en tête. Même en entrant dans ma chambre, parfois, je me rappelle de choses heureuses, qui ne font en réalité qu augmenter ma tristesse. Jamais je n oublierais tous ces moments heureux de mon enfance, jamais. Mais le bonheur que j éprouve quand je me rappelle ces souvenirs, il est factice. Et je ne pourrais jamais l éprouver encore une fois. A la fin du repas, je remets mon fauteuil en marche et je retourne dans ma chambre. En ouvrant mon ordinateur, je vois quelques notifications Wattpad s activer, des messages Skype aussi. Je regarde d abord mes messages 24

5 Skype, même si je n ai pas souvent des notifications. C est Johnny qui me demande d aller au square à côté. Je ne peux pas refuser et le visage de ma mère s illumine quand je lui dis que je sors. Ça, ça vaut tous les efforts du monde. Quand j arrive devant le square, je suis préparé. Ça fait tellement longtemps que je n y suis pas allé que je vais forcément avoir un flashback. Je tente de refouler mes larmes et je ferme les yeux. FLASHBACK Cette fois, j ai treize ans. Je suis avec ma copine Lisa et je lui murmure des mots doux à l oreille. Ça la fait rire, bizarrement. Je me mets à rire moi aussi et le l embrasse. Elle voit le nouveau jeu, celui qu ils ont installé hier, et elle se met à me supplier de le faire avec elle. Je résiste un peu mais je cède après quelques négociations. Nous tournons ensemble sur le tourniquet et elle rit aux éclats. Peu de temps après, elle me dit qu elle commence à avoir mal au ventre. Je descends du tourniquet et j accélère pendant quelques instants. Elle hurle et je suis plié en deux par le rire. Je finis par le faire ralentir et elle tombe par terre en descendant. FIN DU FLASHBACK J ouvre les yeux. Le tourniquet est toujours là. Mais Lisa n est plus là. A la place, Johnny m attend patiemment, mais je vois qu il a quelque chose de très important à me dire. J espère que c est une bonne nouvelle. «Je peux le faire, je peux le faire, je peux le faire» je me répète dans ma tête. J enclenche mon fauteuil et je m avance dans le square tout en essayant de refouler tous les souvenirs de mon enfance que j ai passés ici. Johnny 2 5

6 s élance vers moi en courant, avec un air tout drôle sur le visage, et je ne peux m empêcher de rire. Johnny a toujours su me faire rire. Il est le seul à être réellement resté avec moi depuis le jour de mon accident. Ce doit être pour ça que je l adore. Il sait ce que j aime, il est loyal Bref, le petit ami parfait pour quelqu un en bonne santé. Mais lui, c est juste mon ami, et il a une copine. Quand je le lui dis, il est pris de fou rire, et je ne tarde pas à faire de même. On met du temps à s arrêter et tout le monde nous regarde bizarrement, avec un air dédaigneux pour lui et de la pitié pour moi. Je me rappelle tout à coup qu il voulait me dire quelque chose de sans doute très important et je le lui rappelle doucement. Il s arrête de rire et se met enfin à parler. J ai vu Lisa hier. Mon cœur fait un bond. Elle est partie juste avant mon accident et je lui en ai voulu plus que je n en ai jamais voulu à personne. Je m arrête vraiment de rire et je lui demande comment elle va. Cette nouvelle a refroidi ma journée qui commençait plutôt bien. «Elle va bien, je dirais. Bien sûr, elle m a demandé comment tu allais, si tu allais guérir Je me suis énervé et je l ai laissée là, en lui disant que si elle tenait vraiment à avoir des nouvelles de toi, elle n avait qu à regarder dans les journaux il y a 5 ans. Si elle pensait que tu allais la recueillir à bras ouverts quand tu étais guéri, elle avait qu à être là quand tu avais réellement besoin d elle.» Je regarde mon ami avec un air reconnaissant. Il est vraiment gentil, parfois. Quand je rentre chez moi, ma mère se jette sur moi et m assaille de questions. Où je suis allé? Est-ce que je me suis amusé? Je réponds patiemment car je sais qu elle est 26