Elisabeth Zumstein Kennedy. La relation Ecole-Famille en contexte multiculturel (extrait). UNIL 2006

Transcription

1 13.4. Trame d un entretien Cette trame d entretien a été développée afin d aider les enseignants à concevoir un entretien transculturel. L expérience montre que les enseignants sont déstabilisés lorsqu ils ne peuvent plus "parler école", certains donnant l impression de mettre les pieds au mur tellement ils sont ainsi eux-mêmes face à un clivage. Ils ont donc besoin d un cadre précis et rassurant afin de pouvoir concevoir un entretien dans lequel on parle de choses apparemment sans liens avec l Ecole. Lorsqu on dit aux enseignants que les enfants sont victimes de clivages, les seuls clivages qui leur viennent à l esprit sont les différences entre les systèmes scolaires. Or, s agissant de clivages, on aurait tort de penser que de vérifier si les systèmes scolaires sont identiques ici et là-bas et d en analyser les différences pourrait suffire à surmonter les clivages ainsi que les difficultés qu ils engendrent. Ce sont des concepts plus profonds qu il faut réussir à rendre conscients, des façons de penser le monde, afin de les "synchroniser" et non pas de les faire s opposer. En général, les enseignants se contentent d'un seul entretien, à la fois par manque de formation et par manque de temps. Le temps investi n'en vaut alors souvent pas la peine, les résultats n'étant pas à la hauteur des attentes, faute d'une méthodologie correcte. Il vaut la peine de fixer un deuxième rendez-vous d entente avec la famille, au moment où tous sont déjà réunis. Cela évite des téléphones fastidieux pour trouver un nouveau moment. Et surtout cela évite de devoir contacter la famille "parce que ça va mal". Avec un rendez-vous déjà fixé, il suffira de faire le point, du positif d abord, puis de ce qui ne va pas. Avec un rendez-vous fixé dans l urgence, le positif passera à la trappe. Le manque de temps renvoie au problème des maîtrises de classe et de leur nécessaire redéfinition. Quelques évidences qu'il est pertinent de rappeler L'intégration a toujours un prix. Tout changement représente un risque de perte : d'orientation, de sécurité, d'un système de valeurs, de la protection du groupe, de proximité de personnes, d'appartenance, etc. Les perturbations diverses sont souvent autant de signaux d'un conflit de loyauté : problèmes de discipline, négation de problèmes, difficultés scolaires. Un premier entretien permettra de thématiser la problématique et d'amener la famille à passer de "ni ni " à "et et ". L'objectif de l'entretien sera de relever les signaux de détresse et d'engager le dialogue avec la famille, soit le père, la mère et l'enfant. En partant de l'histoire de la famille (qui est là, venu d'où et depuis quand, avec quel projet), il s'agira de faire prendre conscience aux parents de leur fonction et d'établir leur compétence. La présence des deux parents s'avère essentielle. Souvent l'école se contente de faire appel à celui qu'elle atteint le plus facilement, par exemple pour des raisons de langue (un parent ne parlant pas un mot de français) ou de disponibilité (séparation, horaires). Il y a ainsi un fort risque de disqualification du parent absent et de flou, flou dont joue l'enfant. Les risques encourus par un enfant traducteur (toute puissance ou position très inconfortable en cas de difficultés) doivent être pris en considération. La position de chef de famille doit être respectée et on s'adressera à lui. Il s'agit d'instaurer la confiance, ce qui peut prendre du temps. Il faut éviter de faire perdre la face aux parents et

2 leur donner vraiment la parole, même si on pense connaître les faits qui les ont conduits dans ce pays. Le premier entretien Il s'agit dans un tout premier entretien, avec les familles d'ici et d'ailleurs : - De se saluer et de se présenter : "Bonjour, je suis le maître de classe de votre enfant, je m appelle tel et tel. Merci d avoir pris la peine de (d être venu, d avoir répondu à mon invitation)" - De faire connaissance plus largement, en évitant absolument "Vous êtes les parents de Y? Voici ce qui ne va pas." - D'engager le premier entretien positivement (c est-à-dire autrement que ce qui se fait encore souvent en focalisant exclusivement sur les mauvais résultats de l'enfant par des accusations et une stigmatisation de l'élève et en enjoignant un changement par l affirmation des exigences non satisfaites de l'école). Suggestion : partir de soi-même et de ses propres identités, par exemple l origine des prénom et nom : "Je m appelle moi-même tel et tel, des noms qui me viennent de et qui sont d origine " - De poser le problème et d'expliquer brièvement la raison de l'entretien : "l'école se fait du souci pour votre enfant qui semble " 1 - De poser des questions sur la situation problématique : "Nous 2 ne comprenons pas bien pourquoi " ou "Quelque chose empêche-t-il 3 votre enfant de...?" - De passer à des questions plus larges, centrées sur le parcours de la famille, sur ses projets, sur ses valeurs - De développer un intérêt pour la réalité de l'autre. - De permettre à la famille de prendre conscience d'un ici souvent fort différent du là-bas. - D'évoquer d'abord là-bas pour pouvoir construire les passerelles avec ici. Ce n'est qu'après avoir bien posé ce cadre que d'autres entretiens centrés sur ici pourront avoir lieu. Le premier entretien aura donc une suite (au moins un, voire deux autres entretiens qu on fixera d'avance) centrée plus fortement sur les aspects purement pédagogiques (lien entre les deux systèmes scolaires, l'ancien et le nouveau, entre les manières de s'y prendre là-bas et ici, entre les valeurs importantes là-bas et ici ). Les questions à poser Cela pourrait être : - Comment se passerait la scolarité de votre enfant là-bas? Votre enfant réussirait-il mieux qu'ici? 1 Formulation qui permet de mettre les partenaires à l'aise en gommant la culpabilisation de la "faute de l'enfant" (mais pas le problème lui-même) et en répartissant les charges du côté de l'enseignant qui devient ainsi représentant d'un système scolaire bienveillant. 2 nous: idem 3 quelque chose empêche-t-il: idem

3 Qu'est-ce qui ferait qu'il réussirait mieux? Qui l'aiderait? Ferait-il des devoirs? Avec qui? Comment? Quand? Que ferait-il en dehors des cours? Que feriez-vous avec votre enfant les jours sans école? Qui vous aiderait à éduquer votre enfant? Comment feriez-vous pour lui poser / imposer des limites? Ces questions feront toujours la navette entre là-bas et ici, avant et maintenant. L'identification du statut de l'élève est importante pour l aider dans son parcours : certains permis n'autorisent aucun apprentissage ou n'offrent aucun débouché dans la vie professionnelle et il existe plus de 50 types de permis en Suisse. Par exemple, l'aspect des sorties scolaires est important : il est éthiquement indéfendable de ne pouvoir prendre tous les élèves en sortie parce que certains n'ont pas de permis adéquat pour traverser les frontières. La métaphore de l'arbre Sibilla Schuh suggère d'utiliser l'image de l'arbre qui grandit. Sur quel terreau grandit-il? Celui d'ici? Celui de là-bas? Va-t-il devenir un arbre d'ici? De là-bas? De quels engrais a-t-il besoin?. Si on a deux tables à disposition et qu on visualise l'arbre, l'image est parlante : arbre planté d'un côté ou de l'autre, grand écart entre les deux tables ou même disparition entre les deux tables, mais aussi possibilité de créer des passerelles ou un pont solide et de plonger les racines dans les deux terreaux. L'explicitation Dans un deuxième temps, il s'agira aussi de vérifier - Les connaissances qu'a la famille du système scolaire et d'orientation, ainsi que des aides financières possibles 4 en ne perdant pas de vue qu'il s'agit d'un sujet ardu et spécialisé. - Les valeurs de la famille : qu'est-ce qui est important pour les parents dans l'éducation de leur enfant? Que souhaiteraient-ils qu'il fasse plus tard? - Ce que l'école attend d'un élève - L'attitude qu'un élève devrait avoir pour réussir son intégration dans l'école : règles de politesse et salutations, ponctualité, affaires à apporter, devoirs, présentation des travaux, utilité et fonctionnement du carnet de l'élève 5, Il est utile d'expliciter qu'il serait souhaitable d'ici la fin de la scolarité obligatoire de réussir à mettre sur pied un projet de formation à partir des trois points de vue en présence, soit l'école (l'élève a les résultats pour accéder à ), les parents (nous souhaiterions que notre enfant ), et l'enfant (j'aime, je m'intéresse à ) et que cela implique la nécessité de discussion(s) puisque l'école ne peut, seule, décider de l'orientation de ses élèves. 4 Si nécessaire, la famille sera mise en contact avec les conseillères sociales présentes dans l'établissement. 5 Constatation a été faite que les documents écrits n'apportent souvent pas les résultats escomptés, y compris ceux traduits en diverses langues, et qu'un contact direct simplifie les choses. C'est pourquoi l'école devrait réfléchir aux moyens à utiliser pour encourager ce type de contact: mise à disposition facilitée des numéros de téléphone des familles (par exemple sur les listes des élèves par branches), FAX installés chez les médiateurs, etc.

4 13.5. Comment travailler avec un interprète communautaire Les coordonnées des interprètes communautaires sont affichées côté canapé bleu à la salle des maîtres non fumeurs. Démarche Appeler l interprète communautaire, lui dire le pourquoi de la demande d'entretien 6 et lui donner 2-3 moments possibles, ainsi qu'un numéro pour vous rappeler et confirmer l'entretien. Lui donner les coordonnées de la famille. Avant l'entretien Expliquez à l interprète ce que vous comptez aborder dans l'entretien. Lors de l'entretien Il serait souhaitable de rappeler aux parents qu'ils peuvent appeler l interprète pour entrer en contact avec l'ecole (soit vous) s'ils ont une demande à formuler. Vérifier que les parents ont les coordonnées de l interprète. Après l entretien En principe les interprètes communautaires devraient connaître les démarches pour les relevés d heures Croix-Rouge. Vous pouvez cependant leur rappeler de noter les détails sur la feuille spécifique aux Coudriers. Si problème: contacter la responsable EFM. Quelques observations récentes Les parents qui ne parlent pas le français suffisamment signent bravement les carnets, mais n'ont aucune idée de ce qu'est un dnf (at, oubli, etc.). Ils ne comprennent pas les renvois, ni les commentaires positifs. Les notes, les orientations et les possibilités futures sont un épais mystère pour eux. Quant aux excuses à rédiger en français, on peut imaginer que ce ne sont pas eux qui les font Une suggestion Vérifier avec les parents la compréhension de l'utilité et de l'utilisation du carnet de l'élève (ainsi que du carnet de devoirs qui est également un instrument assez obscur), ainsi que leur connaissance du système d orientation scolaire et professionnel (sans jargon). Fixer un deuxième entretien en profitant de la présence de tous. Demander à l interprète de contacter la famille la veille pour éviter un rendez-vous manqué. Demander à la famille s ils sont d accord avec cette procédure. 6 Si possible formulé en positif, sans quoi les parents risquent de se dérober (par ex. "L'Ecole est en souci et aimerait comprendre comment aider au mieux votre enfant").

5 13.6. Extrait du cahier des charges des interprètes communautaires de la Croix Rouge But de la fonction Assurer aux migrants la possibilité de s exprimer dans leur langue maternelle et aux services utilisateurs de travailler dans les conditions optimales de compréhension. - Faciliter à chacune des parties l accès à la culture de l autre. Médiation culturelle Avoir des compétences socioculturelles, qui permettent à l interprète d être aussi médiateur culturel tout en respectant, suivant la demande de l utilisateur, les différentes manières d interpréter, soit : - l interprétariat élargi par la médiation culturelle - la traduction mot à mot Ethique Capacité d exercer - dans la stricte rigueur du secret de l entretien, - dans le respect de la personne du client et de l utilisateur, quelles que soient leurs origines et leurs particularités