Les 25 ans de l Espace Mendes France jeudi 30 janvier 2014, Poitiers
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- Vincent Aubé
- il y a 8 ans
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1 1 Les 25 ans de l Espace Mendes France jeudi 30 janvier 2014, Poitiers Mon introduction au débat prendra la forme de coups de projecteurs autour de 3 questions, lesquelles reviendront ultérieurement dans nos échanges, ou non. On verra. Ces 3 questions que je souhaite formuler de manière audacieuse, les voici : - N est-il pas temps de dresser un nouveau paysage des sciences et des recherches? - Et de quoi ce nouveau paysage serait-il le nom? - Dans ce nouveau paysage, pour mieux connaître et agir de manière plus réfléchie, faut-il «revisiter» - et comment? la culture scientifique et technique. 1. Un nouveau paysage des sciences et des recherches? Ce qui nous est connu, - Les sciences et les recherches dites de la nature ; ce sont elles qui sont désignées comme «les sciences» ; elles concernent tout objet qu on trouve dans la nature. Elles font appel à des modèles, à des simulations pour le caractériser et recourent à la mathématique : la physique davantage, la chimie et la biologie, moins. Elles sont opposables, on dit aussi réfutables : elles se soumettent à l expérience. - Les sciences et les recherches dites de la culture ; ce sont elles qui sont dites «sciences humaines et sociales» : elles désignent avant tout l homme et les hommes, sujet et objet de et dans la nature, dans leur relation à la
2 connaissance et à l action, dans l espace et le temps, et sous toute perspective possible. Elles font appel à des grilles de lecture les plus rigoureuses possibles, allant jusqu au modèle, selon les disciplines. Jusqu à présent, elles n étaient que peu ou pas réfutables, peu mathématisables, plus ou moins affines aux statistiques quand il s agit de saisir les hommes en groupe. C est l histoire, la sociologie, l anthro-pologie, l ethnologie. J en oublie, bien sûr! Tout cela est bien connu. Ce qui nous est moins connu, - Les sciences et les recherches du calcul : si elles plongent très loin dans les expressions de l esprit humain, la place qu elles prennent aujourd hui est inouïe ou inédite, comme on voudra. C est pour cela que je m autorise à les distinguer des autres sciences et recherches. Aujourd hui, elles finalisent de manière systématique leur pouvoir spéculatif. Elles s intéressent à ce qu elles peuvent aborder comme (ou transformer en) projets. Il s agit avant tout des S&R mathématiques, statistiques et des probabilités, lesquelles inspirent celles de l économie (industrielle, de la propriété intellectuelle, mais aussi publique, monétaire, ), de la comptabilité du management, du marketing pour les entreprises, de la gestion des organisations, des sciences et recherches commerciales, également du droit (celui de la propriété intellectuelle et des affaires, fiscal, en particulier), et last, but not least les S&R bancaires, actuarielles (pour les assurances), financières, Or, dans certaines conditions, en particulier lorsque le calcul devient une fin en soi et non plus un moyen pour une fin extérieure à lui, les pratiques de ces S&R-là transforment les contextes et même les domaines qu elles inspirent : il m arrive 2
3 3 de dire qu elles tendent à naturaliser leurs sujets et leurs objets et qu elles les «cultualisent», qu elles les mettent en culte! Bref, elles sont performatives! Les S&R de la nature et de la culture, dans leur dialogue ou, plus souvent malheureusement, dans leur fréquente indifférence mutuelle, ont des vertus formatives. Elles ont inspiré la modernité, et, bien entendu, la notion même de progrès. Les S&R du calcul dont elles sont issues, elles, ont des vertus performatives quand elles prennent trop de place, pour le dire très vite. Au niveau des sociétés, elles exacerbent la modernité qu elles transforment en hyper-modernité ou en modernité tardive, épousant davantage une logique de pari que de progrès Certes, cette façon que j ai de voir les choses et de vous les présenter ainsi à travers un tel paysage épistémologique, c est une esquisse à critiquer bien sûr! Pour autant, à suivre son inspiration, elle pourrait dire bien des choses de nous, hommes contemporains occidentalo-centrés. 2. Mais de quoi ce nouveau paysage des S&R est-il le nom? Il est le nom de l extension indéfinie du domaine de l homo economicus comme énoncé de référence explicite ou implicite de nos raisonnements et de nos démarches. De fait, depuis 2 siècles, l homo economicus façonne, occupe, colonise même nos univers individuels et collectifs au point de reléguer les autres représentations dans des arrières-mondes bientôt difficilement repérables et accessibles. Je pense aux Humanités : la littérature, les arts, la philosophie, aux vertus
4 essentiellement dé-normalisatrices. De fait, l homo economicus est un formidable réducteur de diversité scientifique, sociale, écologique, culturelle, politique et, plus encore, un réducteur des conditions mentales de représentation de cette diversité dans ses multiples expressions. Il efface tant l inscription temporelle que nous faisons remonter maintenant à l homme de Toumaï, cher Michel Brunet, que la complexité du sapiens demens que nous n avons jamais cessé d être, cher Edgar Morin! Bref, aujourd hui, le modèle générique qu il incarne est l agent de normalisation et d auto-normalisation le plus puissant. Or, il se nourrit avant tout de ces S&R performatives dont je viens de parler, excitées par l écriture informatique et les réseaux numériques, à ce stade, eux-mêmes, encore fort normalisateurs! N y aura-t-il donc plus d extérieur possible ou envisageable à «l économicisation» des esprits et du monde?... A mon sens, on ne devrait jamais trop s éloigner de cette question. Une nouvelle frontière semble même assignée à cet homo economicus, en forme de passion triste qui le délesterait de la diversité de ses imaginaires possibles et le lancerait à la recherche de son propre Optimum individuel, mais aussi social. Des images concrètes de cela? En voici. L homme parmi les hommes réduit aux données numérisées dont il serait la source et le vecteur et, en retour, le réceptacle de données agrégées, et donc privées de toute subjectivité et altérité par apposition de l infaillible calcul algorithmique. Cet homme parmi les hommes alors enfermé dans un rôle et un comportement d autosurveillance participative, prisonnier d un incommensurable nuage numérique, soumis à son guide et à son contrôle. A son service? A l évidence, ce type de dynamique, par le jeu de nouvelles et puissantes régulations qu elle fait d ores et déjà émerger (je pense en particulier à la naissance d un marché 4
5 5 international des données personnelles porté par leur recyclage calculatoire permanent et sans frein) interroge directement le bien-fondé, la forme et le contenu des Politiques Publiques de Recherche et d Innovation, et même celles qui nous préoccupent ici-même particulièrement : la culture scientifique et technique. 3. Mieux connaître et agir : la culture scientifique et technique revisitée? Alors, mon premier mouvement est de nous inviter à mieux comprendre le rôle, l empreinte et l impact de ces S&R-là sur nos imaginaires, sur nos représentations, sur nos intentions, sur nos démarches, sur nos actions individuelles et, surtout, collectives (en particulier, sur les formes et modalités du travail, sur les productions, les consommations et les échanges qui en sont le fruit). Comment faire pour qu elles ne conduisent pas à un formatage davantage qu à une formation technoscientifique? Il nous faut envisager et régler cette ambivalence-là dans le meilleur sens possible : formation, oui, formatage, non! «L internet des objets» qui nous est promis dans quelques années, est-ce 100 milliards d objets numériquement interconnectés dont 7 à 8 milliards d humains, mus par ces S&R-là? «Tous projets»? Où passera donc alors la frontière civilisatrice entre intelligence collective et bêtise collective? Entre Métamorphose et Optimisation? Ambivalence à envisager et à régler. Nous sommes à l heure où les vertus formatives de toutes les sciences et recherches de la nature et celles de toutes les sciences et recherches de la culture, avec les Humanités, doivent être appelées à porter ensemble leurs contributions à la résolution des immenses enjeux humains et sociaux qui sont devant nous, tant en termes de Bien public que de Vivre-
6 6 ensemble je veux dire le travail, la ville, le climat, la justice, l agriculture, l eau, l énergie, la lutte contre la pauvreté, contre les inégalités, la santé, la sécurité collective, l éducation, la mobilité, que sais-je encore? -. Nous sommes bien à cette heure-là! Alors, quelles sont les conditions pour que les dispositions performatives des sciences et des recherches du calcul soient servantes et non «servilisantes», bref qu elles ne trans-forment pas nos avenirs en destins programmés? Ambivalence à envisager et à régler. Mon propos n est qu une introduction au débat, une invitation à proposer avec vous des grilles d interrogation à notre sujet : «Perspectives de la science pour tous». Car, il nous faut penser aux jeunes générations qui fouleront l Espace Mendes France dans 25 ans - Perspectives libres et critiques ou bien chemins programmés? - Formés par les sciences, ou performés? - Chacun dans la diversité solidaire de ses choix ou bien tous dans l unité statistique portée par des processus de calcul? Comment repenser la culture scientifique et technique dans sa capacité à continuer à porter les fondements critiques nécessaires à l éducation et à la formation des jeunes femmes et des jeunes hommes si l on souhaite leur éviter un destin d hommes et de femmes «simplifiés», comme le redoute le philosophe et ami Jean-Michel Besnier? Cette question, je la soumets donc à notre débat. Jean-Paul KARSENTY CNRS/ Paris 1 (Cetcopra)
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