«Non, je ne suis pas à toi»

Transcription

1 Histoires de vie Mary Genty «Non, je ne suis pas à toi», 2011 ISBN :

2 Menteuse! «Tu as violé ta fille?» Les mots de Nicole résonnent encore dans l escalier, me suivent dans la rue. Est-ce que mon père court derrière moi en criant menteuse? Non, il n a même pas essayé de me rattraper. C est l hiver, il est environ 18 h 30 et la nuit est tombée depuis longtemps. Je suis sortie de la maison en trombe. À présent je marche, vite, pas question de m arrêter. Il faut que je parte loin d ici. J ai le visage, le nez, les joues mouillés de larmes. Je suis terrifiée, c est la fin du monde. Soudain, de l autre côté du trottoir, j aperçois ma sœur cadette qui marche doucement sur le chemin de la maison. Elle ne se doute pas de ce que je viens de dire, de faire. Je ralentis, tente un pas dans sa direction avant de me figer sur place. Dans ma tête je suis sa grande sœur, celle qui s est occupée d elle et des autres petits. J ai envie de lui parler, de lui expliquer Mais je continue mon chemin, avec l horrible sensation de l abandonner. J ai peur, terriblement peur. Alors je reprends la marche en direction du centre-ville. Quelques minutes plus tard, j entre dans une cabine téléphonique et appelle Valérie, ma meilleure amie. Je parviens à peine à articuler : «Je peux venir chez toi? 1

3 Non, je ne suis pas à toi Où es-tu? À la fontaine. Attends-moi, j arrive!» Alors j attends, mains enfoncées dans les poches, au bord du trottoir. Les minutes me semblent des heures, je sursaute à chaque bruit. Enfin, j aperçois Valérie qui s avance vers la place, sur sa mobylette. Elle s arrête à ma hauteur et me fait signe de monter derrière elle. La mobylette vrombit et s élance de nouveau dans l obscurité. Lorsque nous arrivons chez elle, Valérie me prend par la main et m emmène dans sa chambre. Il y fait chaud, doux. Je me laisse tomber sur la couette en plume d oie, je regarde le bout de mes chaussures, la tête en vrac et les yeux brûlants. «Valérie, je peux dormir ici cette nuit?» Mon amie acquiesce avant de quitter la chambre pour prévenir ses parents. Elle prétexte une grosse dispute entre ma bellemère et moi et leur demande si je peux rester pour la nuit. Ils me connaissent bien et m ont toujours gentiment accueillie, pour partager un repas ou dormir. Les parents de Valérie acceptent donc, à la condition que je prévienne mon père et qu il soit d accord. L angoisse me serre la gorge de nouveau : «Je veux bien mais c est vous qui appelez. Moi, je ne peux pas.» Je vois la mère de mon amie se diriger vers le téléphone et composer le numéro que Valérie lui souffle. Les poings serrés, j épie la conversation qui s engage. Elle sera brève : mon père 2

4 Menteuse! donne son autorisation sans broncher. Je respire à nouveau et remercie d un sourire puis j aide Valérie à mettre la table pour le repas du soir. Au moins, cette nuit, je serai en sécurité. Lorsque je me réveille le lendemain, l angoisse envahit mon corps tout entier. Inlassablement, la scène de la veille se rejoue dans ma tête. Qu est-ce que j ai fait là? Qu est-ce que j ai dit à mon père, à sa compagne? Je ne sais pas si c est bien ou mal. Je me lève comme un robot, m habille et retourne dans le froid du matin. Valérie me conduit en mobylette jusqu à la gare. Quelques minutes plus tard je prends place dans le train qui m emmène loin d ici, chez ma mère, à Annecy. À cet instant je sais que le voyage sera sans retour, parce qu il est trop tard. J ai parlé. Le secret est levé. Je ne pourrai jamais revenir en arrière. 3

5 Sommaire Préface de Saverio Tomasella VII Menteuse! 1 Le ventre vide 5 À la dérive 19 Manon, petit grain de sable 37 Le secret de la princesse 41 Au pays de mon enfance 55 Le diable à l intérieur 69 La galère continue 79 Confrontations 97 Comme une abeille contre la vitre 117 Créer pour résister 125 Voir avec le cœur 137 La princesse a besoin d un nouveau nom 145 Le temps des réconciliations 153 Pour aller plus loin 159 À propos de l auteur