11 La montée de la Chine dans les échanges mondiaux

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1 11 La montée de la Chine dans les échanges mondiaux Françoise LEMOINE (CEPII) avec la collabortion de Denis UNAL-KESENCI et Guillaume GAULIER

2 RÉGIONALISATION ET MONDIALISATION Amorcée dès 1979, l ouverture de la Chine sur l extérieur s est amplifiée au cours des dernières années. Ses échanges ont progressé trois fois plus vite que le commerce mondial et elle réalise un cinquième des exportations mondiales dans l électronique grand public, le quart dans l habillement et le sixième des importations de minerai de fer. Les industries exportatrices chinoises se réorientent vers les produits technologiques. Initialement centrées sur les secteurs de l habillement et les produits divers comme le jouet, elles se positionnent désormais sur les biens d équipement, en particulier sur les produits de l électronique pour lesquels la Chine est devenue le premier fournisseur des États-Unis. Cette percée est due à la hausse spectaculaire des investissements étrangers, surtout asiatiques. Souvent sous contrôle étranger, ses entreprises côtières sont ainsi devenues le principal atelier de montage du complexe industriel en Asie. La Chine importe des composants des pays voisins et réexporte les produits finis dans le monde entier. Cependant, la demande intérieure progresse rapidement. Les importations qu elle génère dépassent maintenant celles destinées à l assemblage des produits pour l exportation. La Chine essaie aussi de réduire sa dépendance technologique vis-à-vis de l étranger. Elle augmente son effort de recherche et tente d imposer ses propres normes technologiques. Ses groupes industriels cherchent à acquérir une dimension mondiale dans certains secteurs de l électronique grand public (cf. rachats des téléviseurs Thomson et des PC d IBM ). La Chine a commencé à s ouvrir aux échanges avec l extérieur et aux investissements étrangers en Depuis, cette politique d ouverture s est affirmée et amplifiée et a abouti à l entrée de la Chine à l OMC en décembre La progression des échanges extérieurs chinois a été rapide dès les années quatre-vingt, et s est accélérée dans la décennie suivante. En 2003, la Chine est devenue le troisième exportateur mondial, derrière les États-Unis et l Allemagne, et devant le Japon et la France. Elle est le cinquième importateur mondial. La montée de la Chine dans les échanges internationaux au cours des années quatre-vingt-dix est inséparable du processus de globalisation, c est-à-dire de la réorganisation des productions sur une base mondiale. La Chine est devenue un acteur majeur de la globalisation. Progression et diversification des exportations : du textile à l électronique De 1990 à 2003, le commerce de la Chine a progressé trois fois plus vite que le commerce international ; ses exportations comme ses importations ont augmenté de 15 % par an, et les échanges mondiaux de 5,5 % par an. Au cours de cette période, la Chine a plus que doublé son poids dans le commerce international, qui atteint 5,5 % en 2002 (graphique 1). Ce sont les produits manufacturés qui ont assuré l expansion des exportations chinoises : avec une croissance de 20 % par an, ils constituent 85 % des exportations totales en 2002, contre 75 % en Les exportations de produits agricoles et alimentaires et de matières premières ont vu leur importance réduite d autant. 210

3 LA MONTÉE DE LA CHINE DANS LES ÉCHANGES MONDIAUX 1.Poids de la Chine dans le commerce mondial (%) Exportations chinoises 3 2 Importations chinoises Source : CEPII : base de données Chelem Dans un premier temps, au cours des années quatre-vingt, la Chine a percé sur les marchés mondiaux grâce à ses industries traditionnelles : le textile-habillement et les articles manufacturés divers, comme les jouets. Au cours des dix dernières années, elle a poursuivi son ascension commerciale grâce à une rapide diversification de ses exportations manufacturières. Si les exportations chinoises ont progressé dans tous les secteurs, cette progression a été particulièrement vive dans des secteurs où elle était encore peu présente dans les années quatre-vingt, comme le matériel électrique, et ceux basés sur de nouvelles technologies, comme les produits électroniques. Le textile-habillement, qui constituait le principal secteur d exportation au début des années quatre-vingt-dix, a reculé de 38 % à 24 % des exportations totales entre 1993 et Les machines et équipements sont devenus le principal secteur d exportation et fournissent en 2002 près de 40 % des exportations chinoises (18 % en 1993) (tableau 1). En 2002, les deux premiers postes d exportation de la Chine 1 sont les 1. Évolution des exportations de la Chine par grandes catégories de produits Structure, en % Machines et équipement 18,2 38,5 Textile et habillement 37,9 24,0 Articles manufacturés divers 11,1 10,8 Produits chimiques, matériaux de construction 8,6 9,2 Métallurgie, produits métalliques 5,1 5,8 Produits agricoles et alimentaires 11,7 5,3 Matériel de transport 2,1 3,2 Matières premières et combustibles 5,3 3,0 Total 100,0 100,0 Source : Statistiques douanières de la République populaire de Chine. 1 Au niveau de la nomenclature à deux chiffres du système harmonisé (SH). 211

4 RÉGIONALISATION ET MONDIALISATION équipements électriques (20 %), dont le poids a doublé depuis 1993, et les machines (15,6 %), dont le poids a triplé ; viennent ensuite, loin derrière et en relatif recul, les articles de confection (6,3 %) et les articles de bonneterie (4,9 %). Actuellement, la Chine reste le premier exportateur mondial d habillement, avec une part du marché mondial qui dépasse 20 %, et le deuxième exportateur de textiles (avec 13,5 % du marché, elle est derrière l Union européenne). Sa part de marché devrait encore s élargir avec l élimination, en janvier 2005, des quotas qui régissent les importations de textiles et habillement des grands importateurs que sont les États-Unis et l Europe. D après toutes les analyses, la libéralisation des échanges dans ce secteur devrait entraîner une concentration accrue des approvisionnements mondiaux sur la Chine. Depuis 1990, elle a acquis aussi de fortes positions (entre 10 % et 20 %) sur le marché mondial de l électroménager, de l électronique grand public et des équipements électriques (graphique 2). Cuirs et chaussures Articles manufacturés divers Vêtements de confection Électronique grand public Vêtements de bonneterie Matériel électrique Matériel informatique Appareils d'optique Source : CEPII, base de données CHELEM 2. L envolée des exportations chinoises : parts de marché en 1990 et 2002 Électroménager Tapis Meubles Horlogerie Ciment % des exportations mondiales Atelier du monde, la Chine dans la division internationale du processus productif La rapide diversification des exportations chinoises s est faite au profit des secteurs dont la demande internationale a augmenté le plus rapidement. Le commerce mondial de produits électriques et de produits électroniques a en effet augmenté beaucoup plus rapidement (respectivement de 7 % et 9 % par an de 1990 à 2001) que le commerce mondial dans son ensemble. La Chine s est ainsi positionnée sur les secteurs les plus porteurs de la demande. Cette capacité des industries manufacturières chinoises à s adapter à la demande mondiale résulte, pour une très large part, des délocalisations qu ont opérées en Chine les entreprises des pays industrialisés, et avant tout celles des

5 LA MONTÉE DE LA CHINE DANS LES ÉCHANGES MONDIAUX pays asiatiques (Japon, Taïwan, Hongkong, Corée du Sud). Celles-ci ont transféré en Chine les stades de production à forte intensité de travail où la Chine leur offrait l avantage de très bas coûts salariaux (1). Des activités internationales d assemblage et sous-traitance se sont ainsi massivement implantées dans les provinces côtières chinoises. La Chine est devenue l atelier le plus compétitif d Asie, important des produits semi-finis et des composants et réexportant les produits finis. L assemblage et la sous-traitance concourent à près de la moitié des exportations chinoises en , plus encore dans les secteurs les plus dynamiques puisque ces opérations assurent les trois quarts des exportations de matériel électrique, de machines et d instruments de précision (graphique 3). Elles ont aussi un rôle important dans les exportations plus traditionnelles comme les cuirs et chaussures, les jouets. 3. Structure des exportations chinoises par produits et types de commerce en 2002 en % du total des exportations Machines électriques Machines Vêtements Produits chimiques Cuirs et chaussures Jouets, divers Fils et tissus Bois et papier Métallurgie Matières premières et combustibles Produits agricoles bruts Instruments Produits alimentaires Véhicules Matériaux de contsruction Commerce ordinaire Produits métalliques Assemblage Autres moyens de transport Source : Statistiques douanières de la République populaire de Chine, nomenclature HS (système harmonisé) Des importations dictées à égalité par la demande intérieure et par celle des industries exportatrices Les importations de la Chine répondent à deux types de besoins : ceux du marché intérieur et ceux des industries tournées vers l extérieur (assemblage). Les importations desservant la demande interne sont soumises au régime douanier normal (ordinaire) alors que les importations pour assemblage et réexportation bénéficient d un régime d exemption qui a fortement contribué à leur essor. Dans la première moitié des années quatre-vingt-dix, les importations pour assemblage ont progressé beaucoup plus vite que l ensemble et ont culminé à 50 % des importations totales en Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, les importations pour 213

6 RÉGIONALISATION ET MONDIALISATION le marché intérieur (importations dites «ordinaires») ont connu une progression accélérée, favorisée par la baisse des tarifs douaniers engagée par la Chine en vue de son accession à l OMC puis par le rebond de la croissance en 2003 (tableau 2). 2. Commerce de la Chine par régimes douaniers Importations Importations ordinaires 41,7 27,4 45,5 Importations pour assemblage 39,1 49,3 39,5 Importations pour investissements directs 19,2 12,6 5,1 Autres 10,7 10,0 Exportations Exportations ordinaires 51,4 42,7 41,5 Exportations après assemblage 46,6 54,5 55,2 Autres exportations 2,0 2,8 3,3 Source : Statistiques douanières de la République populaire de Chine en % du commerce total Les importations destinées au marché intérieur se composent principalement de machines (17 % de ce type d importation), de produits chimiques (17 %), de matières premières et de combustibles (16,8 %) et de matériel électrique (15,6 %). Les importations destinées aux industries d assemblage sont très concentrées sur le matériel électrique (39 %), les produits chimiques (15 %) et les fils et tissus (11 %). On voit ainsi que les besoins des industries d assemblage dominent largement la demande chinoise d importation de certains secteurs (matériel électrique, fils et tissus, cuirs) (graphique 4). 4. Structure des importations chinoises par produits et types de commerce en 2002 Machines électriques Machines Produits chimiques Métallurgie Matières premières & combustibles Fils et tissus Instruments de précision Bois et papier Véhicules Produits agricoles bruts Autres moyens de transport Produits alimentaires Cuirs et chaussures Jouets et divers Matériaux de contsruction Vêtements en % du total des importations Autres Assemblage Produits métalliques Source : Statistiques douanières de la République populaire de Chine, nomenclature HS (système harmonisé) 214

7 LA MONTÉE DE LA CHINE DANS LES ÉCHANGES MONDIAUX La position de la Chine dans la segmentation internationale des processus de production a ainsi un effet déterminant sur la composition de ses importations, ce qui explique l importance que prennent les produits intermédiaires dans l ensemble des importations chinoises (63 % en 2002), et en particulier les pièces et composants (27,5 %). La Chine devient aussi de plus en plus un marché. L accélération de la croissance en 2003 a fait bondir les importations à destination du marché intérieur (+40 %) et en particulier les achats de produits agricoles et alimentaires (+48 %), de matières premières (+50 %) et de combustibles (+51 %). La Chine est devenue le deuxième importateur de pétrole après les États-Unis et un acteur de premier plan sur nombre de marchés de matières premières (nickel, cuivre, aluminium) et de denrées agricoles (soja, coton, huile de palme) où elle a contribué à la hausse des cours. Du fait à la fois de ses besoins internes et de son rôle d atelier du monde, la Chine occupe désormais une place importante dans la demande mondiale d un certain nombre de produits (graphique 5) : matières premières (minerais de fer et minerais non ferreux, produits agricoles non comestibles) ; produits semi-finis (fils et tissus, produits sidérurgiques, plastiques) ; machines ; composants électroniques, appareils d optique, etc. 5. Essor des importations chinoises : part dans les importations mondiales en 1990 et 2002 (en %) Minerais de fer Plastiques Composants électroniques Machines spécialisées Fils et tissus Appareils d'optique Machines-outils Fer et acier Minerais non ferreux Prod. agric. non comestibles Articles en plastique Matériel de télécommunication Sélection des 12 produits où la Chine réalise plus de 6 % des importations mondiales en 2002 Source : CEPII, Base de données CHELEM Impact sur les déséquilibres internationaux Les transferts en Chine de larges segments des industries asiatiques ont entraîné une vaste réorganisation des productions et des échanges en Asie (2). La géographie du commerce extérieur chinois montre un partage de la chaîne de valeur ajoutée entre la Chine et ses voisins. Pour ses activités d assemblage, la Chine s approvisionne principalement en produits intermédiaires et composants auprès des 215

8 RÉGIONALISATION ET MONDIALISATION pays industrialisés d Asie. La plus grande partie des exportations des dragons asiatiques et du Japon vers la Chine est constituée de produits destinés aux industries tournées vers l extérieur (et non au marché intérieur chinois) (tableau 3). 3. Le commerce de la Chine par régimes douaniers et principaux partenaires en 2002 Importations % Monde 4 Dragons Japon UE 15 États-Unis RDM Importations totales Importaions ordinaires Importations pour assemblage Autres Exportations % Monde 4 Dragons Japon UE 15 États-Unis RDM Exportations totales Exportaions ordinaires Exportations pour assemblage Autres Balance commerciale, G $ Monde 4 Dragons Japon UE 15 États-Unis RDM Total 30,4 3,2-5,0 9,7 42,7-20,1 Commerce ordinaire 7,1 3,1 1,1-3,1 6,7-0,8 Assemblage 57,7 7,2 3,1 19,6 39,9-12,1 Autres -34,4-7,2-9,3-6,8-4,0-7,2 Source: Statistiques douanières de la République populaire de Chine. 216 Les pays asiatiques, qui ont délocalisé sur le continent chinois les stades finals de fabrication dans de nombreuses industries, exportent désormais des produits intermédiaires vers la Chine, au lieu d exporter des produits finis vers les États-Unis et l Europe. Il en résulte de profonds changements dans le réseau des échanges internationaux : - les exportations de la Chine vers l Europe et les États-Unis se substituent à celles des autres pays asiatiques, une évolution qui est particulièrement spectaculaire pour les produits électriques et électroniques (graphiques 6 et 7 pour les États-Unis). Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, la Chine est le premier exportateur de produits électriques aux États-Unis, et sa progression s est accompagnée du plafonnement des exportations du Japon et des nouvelles économies industrielles (NEI : Corée du Sud, Hongkong, Singapour, Taïwan) (graphique 6). Dans le secteur des produits électroniques aussi, la Chine a effectué dans les années quatre-vingt-dix un extraordinaire rattrapage par rapport à ces exportateurs largement dominants sur le marché américain en 1992 ; elle dépasse le Japon en 2002 et rejoint en importance celle des NEI réunies (graphique 7). Ce changement dans la hiérarchie des fournisseurs traduit l effet de substitution entre la Chine et les pays industrialisés de la région mais montre aussi la concurrence entre la Chine et les pays de l Asean (Association des nations d Asie du Sud-Est), dont les exportations ont continué à progresser malgré celles de la Chine pendant les années quatre-vingt-dix, mais semblent depuis pâtir de la progression chinoise. Une redistribution analogue des positions des différents exportateurs asiatiques s observe sur les marchés de l Union européenne ;

9 LA MONTÉE DE LA CHINE DANS LES ÉCHANGES MONDIAUX 6. Importations de produits électriques par les États-Unis en provenance d Asie en millions de dollars Chine 10 8 Japon Corée, Hongkong, Singapour, Taïwan ASEAN (hors Singapour) Source : CEPII, base de données Chelem 7. Importations de produits électroniques par les États-Unis en provenance d Asie en millions de dollars Corée, Hongkong, Singapour, Taïwan Japon ASEAN (hors Singapour) Chine Source : CEPII, base de données Chelem - la réorganisation des productions en Asie modifie la configuration des déséquilibres commerciaux bilatéraux entre les différents pays asiatiques et leurs grands partenaires. Ainsi, la contribution des différents pays asiatiques au déficit commercial américain révèle que le Japon et les NEI sont progressivement remplacés par la Chine comme principal responsable du déficit commercial américain (graphique 8). Il est à souligner que l essentiel de l excédent chinois sur les États-Unis (comme sur l Europe) provient des opérations d assemblage (tableau 4) ; 217

10 RÉGIONALISATION ET MONDIALISATION 8. Contribution des pays d Asie au déficit commercial des États-Unis, en % du déficit total Japon Corée, Hongkong, Singapour, Taïwan Chine Malaisie, Philippines, Thaïlande Source : CEPII, base de données Chelem - enfin, la contrepartie des changements observés dans les échanges entre l Asie et le reste du monde est l élargissement de la place de la Chine dans les échanges intraasiatiques. Entre 1990 et 2002, la contribution de la Chine aux échanges entre pays d Asie de l Est a doublé, pour atteindre 20 % en 2002 (cf. tableau 4). Elle devient un moteur du processus d intégration régionale. La division du travail, qui s intensifie entre la Chine et ses voisins, crée une configuration d échanges dans laquelle aux exportations directes des pays avancés d Asie vers les pays occidentaux se substituent des échanges triangulaires, les pays avancés d Asie exportant des produits intermédiaires vers leurs filiales en Chine, qui exportent des produits finis vers les États-Unis et l Europe. 4. Asie de l Est : distribution du commerce intrarégional, (en %) 2002 Importateur Exportateurs Japon NEI* Chine Asean** Asie de l Est Japon NEI* Chine Asean** Asie de l Est Importateur Exportateurs Japon NEI* Chine Asean** Asie de l Est 218 Japon NEI* Chine Asean** Asie de l Est * Nouvelles économies industrialisées : Corée du Sud, Hongkong, Singapour, Taïwan ** Asean (Association des nations d Asie du Sud-Est) hors Singapour Source : CEPII, base de données Chelem

11 LA MONTÉE DE LA CHINE DANS LES ÉCHANGES MONDIAUX Le rôle central des investissements étrangers La progression de la Chine sur les marchés mondiaux a été sous-tendue par des investissements étrangers massifs. De 1990 à 2002, la Chine a reçu un quart des investissements directs étrangers allant aux pays en développement (soit 6 % des flux mondiaux). Les deux tiers des capitaux ont été investis dans l industrie manufacturière, car le secteur des services était en grande partie fermé aux investisseurs étrangers jusqu à l entrée de la Chine à l OMC. Les investisseurs étrangers, en Chine comme ailleurs, ont obéi à deux grands mobiles : gagner en compétitivité sur les marchés internationaux en réduisant les coûts de production, pénétrer le marché local. Les autorités chinoises ont encouragé et canalisé les investissements étrangers dans les industries exportatrices, dans les secteurs de haute technologie et dans les industries où leur production venait en substitution des importations (typiquement, l industrie automobile). S il est impossible de distinguer dans les flux d IDE ceux qui sont allés à des activités exportatrices et ceux qui ont visé le marché local, il est clair que les entreprises à capital étranger (sociétés à capital mixte ou 100 % étranger) ont eu un rôle déterminant dans la progression des échanges extérieurs chinois. Entre 1992 et 2003, les deux tiers de l accroissement des échanges extérieurs de la Chine sont à mettre au compte des entreprises à capitaux étrangers implantées sur le continent. Actuellement elles sont responsables de plus de 55 % des exportations et des importations chinoises (contre respectivement 20 % et 32 % en 1992) (tableau 5). Les délocalisations opérées par les entreprises étrangères ont donc été sous-tendues par des investissements dans des filiales locales plus que par des contrats de soustraitance avec des entreprises chinoises. Les entreprises étrangères ont un rôle particulièrement important dans les échanges avec les pays d Asie, qui sont en grande partie des échanges intrafirme liés à la segmentation internationale des processus productifs. 5. Poids des entreprises à capitaux étrangers dans le commerce extérieur de la Chine Importations totales Entreprises à capital étranger, dont : Activités d assemblage Exportations totales Entreprises à capital étranger, dont : Activités d assemblage Source : Statistiques douanières de la République populaire de Chine 219

12 RÉGIONALISATION ET MONDIALISATION La participation des filiales étrangères aux échanges extérieurs chinois repose avant tout sur leurs opérations d assemblage et de transformation de produits intermédiaires et composants importés. Les entreprises à capitaux étrangers ont ainsi largement contribué à faire de la Chine l atelier du monde, ce qui leur confère actuellement un rôle largement dominant dans les secteurs les plus porteurs des exportations chinoises (équipements de télécommunication et matériels informatiques) (tableau 6). 6. Poids des entreprises étrangères dans les exportations manufacturières de la Chine, par branches, en 2002 (en %) Branches NACE Entreprises Entreprises à Ensemble chinoises capitaux des entreprises étrangers Total manufacturier Radio, TV et équipement télécommunication Informatique et bureautique Habillement Textiles Meubles, jouets, divers Mécanique Machines électriques Cuir Produits chimiques Autres Notes : Les entreprises à capitaux étrangers regroupent les joint-ventures et les entreprises entièrement étrangères Source : Statistiques douanières de la République populaire de Chine La libéralisation de la réglementation chinoise a considérablement élargi les possibilités pour les investisseurs étrangers de détenir 100 % du capital de leurs filiales en Chine (à l exception de certains secteurs). Les investisseurs étrangers manifestent une préférence marquée pour la création de ce type de filiales, qui assurent en 2003 un tiers des exportations chinoises (60 % des exportations de l ensemble des entreprises à capitaux étrangers). 220 Rattrapage ou dépendance technologique? Au cours des dix dernières années, les échanges extérieurs de la Chine ont enregistré une spectaculaire montée en gamme technologique (réf : OCDE, STI 2004/4). Selon les études de l OCDE, les produits de haute technologie représentaient 24 % des exportations chinoises en 2002, contre 10 % en Le contenu technologique des exportations chinoises se rapproche ainsi de celui des pays développés (3). Les analyses du CEPII utilisent une définition plus étroite des produits de haute technologie mais confirment la rapide montée en gamme technologique des échanges extérieurs de la Chine. Elles montrent que, entre 1997 et 2002, le contenu en haute technologie des exportations chinoises est passé de 7 % à 13 % et celui des importations de 11 % à 15 %, et que le déficit chinois dans ce domaine s est réduit (4). Les échanges de haute technologie de la Chine reflètent sa position dans la segmentation internationale des processus productifs. En effet, plus de la moitié de la haute

13 LA MONTÉE DE LA CHINE DANS LES ÉCHANGES MONDIAUX technologie importée est incorporée dans des pièces et composants et/ou dans des inputs destinés aux opérations d assemblage. Les quatre cinquièmes des exportations de produits de haute technologie sont issus des opérations d assemblage et soustraitance. L intensité technologique des exportations chinoises résulte du contenu high-tech des inputs importés plus qu elle ne reflète la capacité interne d innovation. En 2002, les pièces et composants constituent le principal poste d exportation de haute technologie de la Chine, montrant ainsi que dans la division internationale des processus productifs la Chine n est pas seulement située en bout de chaîne (assemblage du produit final) mais aussi au milieu de la chaîne de production. Les opérations de délocalisation tendent à remonter les filières de production, et la Chine se trouve insérée dans une division de plus en plus fine du travail avec le reste du monde. Les entreprises à capitaux étrangers ont un poids écrasant dans les échanges de haute technologie de la Chine. Elles assurent les deux tiers de ses importations et les trois quarts de ses exportations de haute technologie en 2002 (tableau 7). En outre, ce sont les entreprises à capital entièrement étranger qui prennent la part du lion dans ces échanges puisqu elles font près de la moitié des échanges de haute technologie en La détention de la totalité du capital apparaît ainsi comme une condition du transfert de technologie, les investisseurs opérant dans des activités de haute technologie tenant à avoir le contrôle total de la gestion de l entreprise. Mais l importation de haute technologie par des firmes entièrement étrangères ne favorise pas sa diffusion dans les tissus industriels. Le poids des entreprises chinoises dans ces échanges apparaît d ailleurs en relatif déclin. 7. Répartition des échanges chinois de haute technologie par types d entreprises, en % Types d entreprises Importations Exportations chinoises joint-ventures entièrement étrangères Total Source : Statistiques douanières de la République populaire de Chine La montée en gamme technologique de la Chine dans le commerce international apparaît ainsi indissociable de sa dépendance accrue à l égard des capitaux et technologies étrangers. Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, les autorités chinoises mettent en œuvre une nouvelle politique technologique afin de dégager le pays d une telle dépendance. Les dépenses de Recherche & Développement de sont accrues. Elles représentent 1,3 % du PIB en 2003 et devraient atteindre 1,5 % en 2005 (contre moins de 1 % en 1999). Par ailleurs les autorités ont engagé un effort pour définir et imposer des normes techniques propres, notamment dans le domaine des logiciels informatiques, des télécommunications, afin de diminuer les coûts de la dépendance (royalties) et de renforcer les capacités nationales d innovation. Cette politique est en même temps un 221

14 RÉGIONALISATION ET MONDIALISATION moyen pour la Chine de continuer à promouvoir ses industries nationales dans le nouveau contexte créé par son entrée à l OMC, qui limite les autres instruments de protection (et le piratage). Ce choix ne va pas sans risques, car la mise au point de nouvelles normes peut mener à des échecs ou des impasses et impliquer des coûts d opportunités pour certaines entreprises locales. Mais c est ainsi que la Chine parie sur la possibilité de maîtriser son avenir technologique tout en continuant à tirer parti de la globalisation. Enfin, les investissements à l étranger des grandes entreprises chinoises se développent et ont pour but non seulement d élargir leurs marchés en acquérant des réseaux de distribution mais aussi de se procurer de nouvelles technologies. En 2004, les contrôles sur les sorties de capitaux ont été assouplis pour faciliter ce type d opérations. Deux grandes entreprises chinoises ont procédé à des rachats spectaculaires de secteurs d activité de firmes multinationales. TCL a acquis la production de téléviseurs de Thomson et Lenovo la production d ordinateurs personnels d IBM. On voit ainsi émerger de grandes entreprises chinoises en voie d internationalisation. Pour en savoir plus (1) LEMOINE F. et ÜNAL-KESENCI D., «Assembly Trade and Technology Transfer : The Case of China», World Development, Vol.32, n (2) GAULIER G., LEMOINE F. et ÜNAL-KESENCI D., «China s Integration Into Asian Production Networks And Its Implications», 2004, (3) OCDE (2004), «An Emerging Knowledge-Based Economy In China? Indicators from OECD Data Base», STI Working Paper, 2004/4 (4) LEMOINE F. ÜNAL-KESENCI D., «Investissements étrangers et rattrapage technologique», dans Le Devenir financier de la Chine, Revue d Économie Financière, n 77,