En un lieu, en un instant, un cheval sauvage et libre et une femme sauvage et libre se sont rencontrés.

Transcription

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3 En un lieu, en un instant, un cheval sauvage et libre et une femme sauvage et libre se sont rencontrés.

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5 Ils ont fait corps, dans la nature et dans le vent. Ils ont parcouru de nombreux paysages, bu à de nombreuses sources, partagé de nombreux repas, dormi de nombreuses nuits, sous les étoiles côte à côte. Ils étaient libres et sauvages, ensemble.

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7 De cette union allait naître un magnifique centaure. Et, une histoire.

8 La femme, alors que l'enfant prenait corps en son sein, se transformait. Le cheval trouvait cela tout à la fois, beau et étrange. De nouveaux désirs, de nouvelles peurs prirent corps également chez la femme et cela l'effraya. Au cheval elle demanda protection et assurance de toutes choses. Le cheval fit de son mieux, mais en son corps rien ne changeait, et la femme, peu à peu, lui sembla comme à nouveau inconnue.

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11 Quand l'enfant centaure naquit, la joie fut telle pour chacun, que le cheval oublia quelque temps cette arrivé de la solitude. Pourtant, quand la femme nourrissait l'enfant, amour et admiration n'empêchaient pas l'isolement du cheval de grandir encore.

12 La joie ne fut pas la plus forte et le cheval s'éloigna, habitant sa solitude, à portée de regard.

13 La femme, habitée elle, par son besoin de protection et d'assurance de toutes choses, vit sa peur grandir encore, nourrit par l'éloignement du cheval.

14 Au centre de la clairière où elle demeurait avec leur enfant, la femme, un matin, se mit à pleurer doucement. Le lendemain, elle pleurait encore, et cela ne s'arrêta plus. Chaque jour qui passait, voyait ses pleurs s'amplifier, devenir bruyants, et occuper peu à peu tout l'espace de la clairière.

15 De mauvais jour en mauvais jours, les pleurs se transformèrent en hurlements. Les herbes de la clairière perdirent leurs couleurs, les arbres se détournèrent, et l'eau des sources devint filet. Plus personne n'osait parler.

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17 Le cheval leur tournait autour doucement, mais ne pouvait plus approcher ni de l'enfant ni de la femme qui l'effrayait vraiment à présent. La nuit, quand il lui semblait que femme et enfant dormaient, le cheval s'approchait et venait les sentir, les reconnaître et les aimer. La femme, elle, ne dormait jamais, sa vigilance était constante, dominée par une peur de la nuit des temps. Ne bougeant pas, gardant les yeux fermés, elle écoutait le cheval les humer et les aimer. Cela se répétait chaque nuit, aussi insupportable que cela soit à chacun.

18 Le temps, lui, passait, l'enfant centaure prospérait.

19 Elle n'était plus sauvage et libre, domptée par le cheval qui ravivait toutes les nuits son désir mais ne se laissait plus approcher le jour. Il n'était plus sauvage et libre, enchaîné par tous ces liens dans sa solitude. A ce point de l'histoire, ils n'étaient plus rien ni l'un ni l'autre, comme morts à eux-mêmes.

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21 Jours et nuits se succédaient, égaux en désir, peur et solitude. Rien ne voulait apparaître, rien ne disparaissait, et l'enfant centaure, lui, grandissait semblant ignorer ce capharnaüm assourdissant. Les arbres de la forêt racontent qu'en ces temps, nombres d'animaux évitaient cette clairière, autrefois si belle et si richement dotée.

22 Ce grand désordre a déplu. Au vents, à l'eau, à la terre et au feu. Le ciel s'en est mêlé.

23 Le vent s'est levé, la pluie est venue, le tonnerre à grondé, et les éclairs sont tombés sur la terre. Sur la clairière et ses environs, les éléments se sont déchaînés dans une grande colère.

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25 Le cheval, affolé, s'est mis à galoper en tous sens, sans même penser à fuir. La femme, elle, ne pensa qu'à couvrir de son corps le centaure pour le protéger, immobile. Peu à peu, la course du cheval s'est ordonnée. Il s'est mis à tourner, tourner autour de la femme et de l'enfant. Il tournait vite, très vite, de plus en plus vite. Il a tourné si vite et si longtemps qu'il a fini par n'être plus rien d'autre que ce mouvement. La femme alors aspirée par ce mouvement a perdu pied, s'élevant dans les airs. C'était une tornade créée par le mouvement du cheval et couronnée par la femme qui volait, l'enfant centaure dans ses bras. Tous les arbres de la forêt s'en rappellent encore aujourd'hui et tous racontent que cela a duré fort longtemps.

26 Au bout du fort longtemps, le cheval est tombé presque mort et la femme également, avec grand fracas. S'en est suivi un grand silence. Le cheval partit se terrer dans les bois et la femme se mit à bercer leur enfant sans relâche. Chacun étaient sidéré par ce qui venait de leur arriver. Figés devant les jours et les nuits, devant l'eau, devant l'air, devant la terre, devant le feu.

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29 Un matin lointain, la femme s'est mis à chanter, pour se consoler de sa trop grande peine et de sa perte. Elle chantait tout bas. Elle chantait tout son amour pour le mouvement qui semblait revenir, tout son amour pour la vie. L'amour qu'elle retrouvait intact dans l'absence. Son chant s'affirma dans le silence et elle retrouvait à travers lui sa sauvagerie et sa liberté. Avec le temps, son chant est devenu le chant profond.

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31 Le cheval, entendant ce chant, fût sidéré que ni la femme, ni son amour, ne soient morts. Il écouta longuement. Courageux, il vint faire face à la femme. En lui aussi, il y avait du mouvement et de la vie. Le cheval ne peut pas chanter, c'est ainsi. Mais il sait hennir, ruer, se cabrer, danser en quelque sorte. Chant et danse se sont mêlés ainsi. Chacun déployait sa sauvagerie et sa liberté, son chant et sa danse. Cela a redonné toutes leurs couleurs aux herbes de la prairie et les arbres ont trouvé le spectacle réjouissant. Après avoir chanté et dansé tant qu'ils ont pu, ils se sont endormis dans la clairière quelque peu dévastée.

32 Chacun dans leur nuit, ils ont beaucoup rêvé. Et dans leurs rêves, la sauvagerie avait le goût de la peur, la liberté le goût de la solitude.

33 Au matin, chacun est revenu du voyage de sa nuit un peu moins sauvage et libre, un peu moins apeuré et seul.

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35 L'enfant centaure grandit, avec cette histoire pour lui.