Dents miroir Nick Gill

Transcription

1 Dents miroir Nick Gill JAMESJONES, 43 ans, blanc, mari de Jane, père de John et Jenny JANE JONES, 39 ans, blanche, mère de John et Jenny JOHN JONES, 20 ans, blanc, fils de James et Jane, frère de Jenny JENNY JONES, 18ans, blanche, fille de James et Jane, sœur de John La maison des Jones, dans l une des plus grandes villes de Notre Pays. JAMES entre. JANE : Bonsoir, mon chéri. JAMES : Bonsoir, ma chérie. JANE : Ça a été au travail? JAMES : Parfait, parfait. Quelques ventes, des rendez-vous avec des clients potentiels, sushis pour déjeuner, squash avec Peter de la compta, une anecdote désopilante que Paul a racontée dans l après-midi, un truc au sujet du cheval de son cousin, un petit flirt coquin avec la nouvelle réceptionniste, une petite bière rapide au pub en compagnie de Paul, encore une anecdote, riche journée pour Paul côté anecdote, et nous voilà ce soir. Et comment vont nos deux enfants, John et Jenny? JANE : Oh nos deux enfants, John et Jenny, vont bien ; ils sont en haut, en attendant le dîner. JAMES : Épatant. Et toi, ta journée? JANE : Rien de bien extraordinaire, je dois dire. Un jour de crise majeure pour beaucoup dans la sphère politique et financière sans aucun doute, mais pour nous, femmes au foyer dans l une des plus grandes villes de Notre Pays, la journée a été relativement calme. JAMES : Bon, la vie ne peut pas être qu une longue suite d aventures, pas vrai? JANE : Non, j imagine que non. La vie est belle, cependant. JAMES : La vie est belle, oui. JANE : Maintenant offre-toi donc un petit moment de lecture, là dans le fauteuil, pendant que je finis de préparer notre dîner. JAMES : Merci, mon cœur. Oh là là. Que vois-je? Encore un gros titre sur quelqu un qui s est fait poignarder. JANE : Non. JAMES : Si, j en ai bien peur. Encore un ado dans un des quartiers les plus pauvres de cette ville, l une des plus grandes de Notre Pays. Un de couleur, qu ils disent. Un noir. JANE : Oh mon chéri. JAMES : Je sais, je sais. JANE : Je sais bien comme ça te bouleverse. JAMES : Pour être franc, ah ça oui, ma chérie. JANE : Oh mais mon cœur, tu n aurais rien pu faire. JAMES : C est ce que je me dis. 1

2 JANE : Le problème, ce sont les noirs eux-mêmes, pas vrai? Ce sont eux le problème. C est juste une race violente, ils n y peuvent rien. Sinon, comment expliquer cette violence? C est un truc génétique, je suppose ; ils sont juste différents de nous. JAMES : Mmnnnn. JANE : Parce que, on habite tous dans le même pays, on a tous les mêmes avantages sociaux, mais c est pas moi que tu verras dans la rue avec un cran d arrêt, pas vrai? Je ne suis pas une personne violente. Je sais ce que j attends de la vie je veux être capable de donner à ma famille ce dont elle a besoin, je veux avoir une maison confortable pour qu on puisse y vivre bien à l aise tous ensemble. Mais ce que les noirs en attendent je n en ai pas la moindre idée. On les voit partout avec leurs centaines de marmots que toi et moi nous travaillons si dur pour faire vivre sur nos impôts, mon chéri, et on dirait qu ils ne cherchent pas du tout améliorer leur sort, ils se contentent de vivre aux crochets de l État, pas vrai? JAMES : Cet État si généreux. JANE : Cet État si généreux, exactement. On dirait qu ils ne veulent qu une seule chose, s entretuer à coups de couteaux. Eh bien moi ce que je dis, c est qu ils le fassent. Une fois que tous ceux qui veulent s entretuer se seront entretués, il ne restera plus que ceux qui ne veulent pas s entretuer, et on pourra enfin cohabiter en paix. JAMES : C est très juste ce que tu dis, tu sais ; mais ce n est quand même pas vrai pour tous les noirs, mon cœur. JANE : Non, bien sûr, tu as raison ; je généralise. Ils ne sont pas tous comme ça. JAMES : Il y a ce gentil garçon qui travaille à la banque. JANE : Tu vois, c est exactement ce que je dis, mon chéri. Il s est intégré, pas vrai? Il s est vraiment approprié notre culture, pas vrai? Il a arrêté de se promener avec un couteau, pas vrai? JAMES : Pas vrai? JANE : Oui, pas vrai? Eh bien si. JAMES : Si c est vrai. JANE : Oui mais il est l exception, pas vrai? JAMES : Pas vrai? JANE : Écoute, l autre soir je descendais du train après être allée en Ville acheter deux ou trois bricoles et il y avait une bande de noirs là à côté du quai. Ils étaient là, sans rien faire. JAMES : Tu ne m en as pas parlé. JANE : Eh bien, je ne voulais pas t inquiéter, mon chéri. JAMES : Ils bloquaient le quai, ces jeunes de couleur? JANE : Non ; mais justement c est ça qui était si sinistre. JAMES : Les lâches. JANE : Ils étaient là, c est tout, à parler. Et à rire par moments ; je ne sais pas de quoi. Et l un deux, n importe lequel, aurait pu avoir un couteau. JAMES : Tu es tellement courageuse. 2

3 JANE : Et je ne savais pas quoi faire. J étais pétrifiée, James ; j étais là, dans le train, et j étais à deux doigts de ne pas pouvoir descendre sur le quai. J avais tellement peur. Ils portaient des capuches, tu vois. JAMES : Des capuches? JANE : On pouvait pas voir leur visage du tout, James, parce qu ils étaient noirs, comme je te l ai dit ; j ai mentionné le fait qu ils étaient noirs? JAMES : Noirs? Non je ne crois pas, ma chérie, non. JANE : Eh bien, je ne pouvais pas voir leur visage parce qu ils l étaient. Tout ce qu on pouvait voir c était ces yeux blancs qu ils ont et ces dents blanches quand ils riaient ; on aurait dit des loups, mon cœur. J ai eu tellement peur. JAMES : Oh là là. Qu est-ce que tu as fait? JANE : Eh bien. Je suis descendue sur le quai, et je suis passée devant eux en regardant par terre. JAMES : Oh ma chérie. JANE : Ça a été un coup de chance, James, un vrai coup de chance qu ils soient restés là sans rien faire, sans faire attention à moi. JAMES : Allons, n en parlons plus. Tournons la page et savourons notre soirée, d accord? JANE : Tu as raison, bien sûr, mon chéri. JAMES : Le dîner est bientôt prêt? JANE : Oui, mon chéri. JAMES : John! Jenny! À table! J ai hâte de voir nos deux enfants, de retour du lycée et de l université, respectivement. JANE : Oui, ça fait vraiment du bien que John soit de retour de l université. JOHN et JENNY entrent. JENNY porte une tenue provocante. JAMES : Ah vous êtes là tous les deux. Comme c est formidable de vous voir tous les deux de retour du lycée et de l université, respectivement. JENNY : Bonsoir, papa. Mais je suis de retour du lycée tous les jours, comme toutes les autres lycéennes de dix-huit ans sexuellement actives de ma génération dans Notre Pays. JAMES : C est vrai, mais ton frère, lui, n est de retour que pour les vacances, ce qui explique qu il soit ici maintenant. JOHN : Certes. Bonjour papa. JANE : Écoutez-moi tout le monde, si on passait à table, d accord? JAMES : Alors, John, comment trouves-tu l université? JOHN : Je trouve que l université, c est intéressant, papa. JAMES : C est épatant. JANE : Oui, vraiment épatant, mon chéri. Des petits pois? JAMES : Merci. Et toi Jenny, comment trouves-tu le lycée? JENNY : Je trouve que le lycée, j ai un peu passé l âge, papa. JOHN : Tu as l impression d avoir passé l âge? JENNY : Oui, je pense que c est une très bonne façon de le dire. 3

4 JANE : Oui, c est une très bonne façon. JAMES : Ça n est pas la littérature qu il étudie? On s attend donc à ce qu il ait quelque facilité avec la langue, pas vrai? JENNY : Pas vrai? JANE : Si, c est vrai. JOHN : C est exactement ce que je ressentais quand j étais sur le point de quitter le lycée. J ai passé l âge, je me disais à moi-même. Je me dis que j avais raison. JAMES : Mais bien sûr que tu avais raison. Si tu es capable d avoir des formules comme j ai passé l âge à l âge que tu as, eh bien clairement tu as passé l âge, pas vrai? JANE : Pas vrai? JENNY: Mmm. JENNY : Je crois que tu as raison, papa. JAMES : Mais regardez-nous, on n est pas formidables, à avoir tous profondément raison. Ha ha. JANE : Ha ha. JOHN : Ha ha. JENNY : Ha ha. JAMES : Mmm, c est succulent, chérie. Qu est-ce que c est? JANE : Du poulet. JAMES : Du poulet? Comme c est intéressant. Franchement, je ne sais pas comment tu fais pour nous dégotter ces créations culinaires de derrière les fagots. JANE : C est Janice m en a parlé. Elle a trouvé ça au marché, et m a dit qu il fallait vraiment qu on l essaye. JOHN : C est très bon, maman. JANE : Merci, mon cœur. JAMES : Tu as avalé ça vite fait, Jenny. JENNY : Oui ; il faut que je me prépare pour ce soir ; Kwesi ne va pas tarder. JOHN : Qui? JENNY : Kwesi. C est mon nouveau petit copain. JANE : Oh, comme c est formidable que nous puissions faire sa connaissance. C est un drôle de nom ça, Kwesi. JENNY : Oui, c est africain. Silence interminable. JANE : Il travaille dans une Banque? JENNY : Non. JANE : Oh. Un temps long. JAMES : Eh bien, comme c est chouette qu on puisse faire sa connaissance. JANE : Oui, chouette. JAMES : Chouette. 4

5 JANE : Chouette. JAMES : Débarrasse ton assiette, dans ce cas, chérie, et file te préparer. JENNY sort. JAMES : Mmm. Quel excellent repas, ma chérie. Du p tu as dit que c était quoi déjà? JANE : Du poulet. JAMES : Incroyable. Il faudra que tu en refasses un de ces jours ; un succès triomphal, je dirais. JANE : Je suis si contente. JAMES : Eh bien, John, je pense que ta mère et moi allons nous retirer à l étage pour avoir un rapport sexuel. JANE : Oh, épatant. Ça fait un moment, pas vrai? JAMES : Un bon moment oui. Tu seras bien en bas, John? JOHN : Oui, parfaitement, papa. Je pense que je vais m asseoir là et lire un peu. Cela m avancera pour mes études. JAMES : Voilà une excellente idée. JAMES et JANE sorent. 5