Présentation de l Évangile selon saint Marc

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1 Présentation de l Évangile selon saint Marc Chacun des quatre évangiles du Nouveau Testament a son style propre, ses accents et son rythme. Ils constituent comme divers portraits d un unique visage : celui de Jésus. L évangile de Marc, le plus ancien, porte d emblée son regard sur l identité de Jésus. Qui est- il donc? Contre toute évidence, la réponse engage sur un chemin tous ceux qui tiendront en main et ouvriront son évangile Un évangile selon Marc Cet évangile ne nous dit rien de son auteur. Pourtant, même s il n est pas signé, très tôt - dès le II ème siècle - la tradition chrétienne s accorda pour l attribuer à Marc, l identifiant à ce «Jean surnommé Marc» cité dans les Actes des apôtres. Il serait le fils d une certaine Marie, qui possédait à Jérusalem une maison dans laquelle se réunissait une assemblée de chrétiens. (Ac 12,12) Il accompagne Paul et Barnabé - dont il serait un cousin (Col 4, 10)- au cours de leur premier voyage missionnaire. (Ac 13, 5.13) Plus tard, au cours de sa captivité à Rome, Paul le souhaite à ses côtés comme une aide utile pour poursuivre son ministère. (2 Tm 4, 11). C est à Rome qu il est en lien étroit aussi avec Pierre. (1 P 5, 13) La tradition fit alors de Marc «l interprète de Pierre», voyant dans cet évangile la volonté de conserver son témoignage. D après l affirmation de Papias, évêque en Phrygie vers 125, rapportée par le célèbre historien du IV ème siècle Eusèbe de Césarée, «Marc a écrit avec exactitude, mais cependant sans ordre, tout ce dont il se souvenait de ce qui avait été dit ou fait par le Seigneur». Pourquoi écrire un évangile? Chrétien de la deuxième génération, Marc n a pas été témoin oculaire du ministère de Jésus : il ne l a ni entendu ni accompagné. Avec la disparition progressive des apôtres ou d autres témoins, due aux persécutions ou à l âge, le besoin de conserver par écrit leur témoignage de vie et de foi est devenu impératif pour l Église primitive. Le projet de Marc n est pas celui d un historien ou d un journaliste "people" qui écrirait une biographie ou une vie de Jésus à sensations!... Il est celui d un croyant en Christ, désireux de transmettre, dans sa communauté mais surtout au dehors et aux générations suivantes, un témoignage de foi essentiel : la venue de Jésus est une «Bonne Nouvelle» (c est le sens du mot grec «évangile») pour tous les hommes, une annonce heureuse d une humanité aimée et sauvée par Lui. Son récit permettra à ce message de se diffuser plus largement, pour que d autres comme lui fassent la découverte et l expérience de la rencontre du Christ : il engage ainsi le lecteur à se mettre en route dans la foi à la suite du Sauveur. Un style bien à lui Marc a l art de raconter : il a un style direct, bref (c est le plus court des quatre évangiles), avec un vocabulaire simple et accessible. Il emploie souvent des diminutifs (petite barque en 3,9, petite fille en 5, 41, petits chiens en 7, 27, petits poissons en 8, 7, ).Son récit est vivant, il parle souvent au présent comme pour mieux mettre les paroles et gestes de Jésus dans l actualité de la vie de ses lecteurs. Certains trouveront sa manière d écrire un peu abrupte, avec parfois des répétitions. Cependant, son ouvrage est pensé, avec des constructions littéraires précises qui n ont rien d aléatoire (contrairement à ce qu écrivait Papias ci- dessus!). Ainsi des récits d appel (1, 16-20) ou d exorcismes (1, 21-28) sont construits sur des schémas précis, conformes à ceux figurant dans l Ancien Testament. Marc a emprunté certaines séquences ou unités littéraires déjà existantes (voir encadré sur la naissance des évangiles), mais il décide volontairement de les assembler : par exemple la série de «controverses» (discussions de Jésus avec ses opposants) que l on trouve de 2, 1 à 3, 6 ; ou celle des miracles (ces gestes sauveurs de Jésus, pris certainement parmi d autres) que l on peut voir de 4, 35 à 5, 43 ; ou encore celle des paroles de Jésus formant comme des discours que l on peut entendre en 4, 1-34 ou en 13, Sans oublier bien sûr l unité primordiale qu est le récit de la Passion et de la Résurrection (14, 1 à 16, 8).

2 L évangéliste met donc sa capacité à saisir les événements et à les raconter au service de son unique objectif : la question de l identité de Jésus. Il est soucieux que l on ne s attache pas à une image partielle ou fausse du Christ. Les mots «puissance» ou «gloire» utilisés à maintes reprises ne suffiront certainement pas à dire qui est Jésus. Le lecteur doit prendre en compte le mystère de sa Passion et de sa mort, et cela de façon concrète dans sa propre vie, en s engageant à sa suite, jusqu au bout (8, 34). Communauté en crise Naissance des évangiles Si Marc se montre donc original dans sa manière d écrire, on aura garde d oublier, en le lisant, qu il est porte- parole d une Tradition déjà vieille. Il faudrait sans cesse pouvoir distinguer chez lui les trois étapes qui ont marqué la naissance des évangiles : 1. L enseignement de Jésus et son activité, avec ses disciples, dans la société juive au début du I er siècle (les années 28-30). 2. La prédication des apôtres qui ont repris les paroles et actes de Jésus en les expliquant aux communautés chrétiennes naissantes (dans les années 30 à 60). 3. Cette prédication primitive, d abord transmise oralement, puis progressivement mise par écrit pour répondre aux besoins des églises fondées en un temps et un espace déjà plus éloignée des origines (dans les années 60 à 100). Jacques HERVIEUX : L Évangile de Marc, in Les Évangiles, Textes et Commentaires. Bayard Compact, 2001, p Beaucoup pensent aujourd hui que c est à Rome, dans les années qu a pris corps l évangile de Marc. Sa composition se situe entre deux événements majeurs qui ont pesé sur la vie de la petite communauté chrétienne : le martyre de Pierre et Paul (entre les années 64 et 67) et la destruction du Temple de Jérusalem (en l an 70). Marc écrit pour une communauté composée de chrétiens venus pour la plupart du paganisme et parlant grec. Du coup, il prend soin de traduire certains mots araméens de Jésus (5, 41) ou de transcrire en grec des mots latins. Il est contraint d expliquer des coutumes juives (7, 2-11). Et il insiste de manière appuyée sur l ouverture à l universel et l accueil des païens au message de Jésus (par exemple avec la syro- phénicienne en 7, 24-30, et bien sûr avec le centurion en 15, 39). Ainsi, pour encourager sa communauté à rester missionnaire, Marc met en avant le souci de Jésus de porter sa parole et son action au- delà du monde juif. Sa prise de distance vis- à- vis des institutions juives renforce cet accueil de chacun dans sa différence. Le salut est offert à tous. Tous peuvent s approcher de l unique table du Seigneur. C est le sens de la double multiplication des pains (6, et 8, 1-10) et de l enseignement qui l accompagne (8, 14-21). La relation de chacun avec le Seigneur devient l essentiel de la vie de foi : pour Marc, vivre en disciple de Jésus, c est bien «être avec» lui, marcher avec lui et le «suivre sur la route» (10, 52). Vivre en présence du Seigneur est d autant plus important quand la communauté vit un temps de crise. L évangile porte des traces de ces temps troublés, et certaines paroles de Jésus résonnent plus particulièrement : ses appels à tout quitter pour le suivre (sa famille, ses biens, ses sécurités 10, 17-31), son invitation à prendre sa croix (8, 34-9, 1), son insistance à rester «vigilants» pour traverser les épreuves les plus difficiles (13, 9-20) : "La communauté à laquelle s adresse cet évangéliste avait vraisemblablement été bouleversée par les persécutions de Néron. Elle savait ce que c est qu être trahi, dénoncé, poursuivi, condamné et mis à mort. D où le souci de l évangéliste de proposer à ses lecteurs une véritable «théologie de la croix»" 1, pour comprendre vraiment qui est cet homme. 1 Pierre DEBERGÉ : Guide de lecture du Nouveau Testament, Bayard 2004, p. 45.

3 Qui est cet homme? Telle est la question qui traverse et structure tout l évangile de Marc. Présente dès le premier verset (1,1), la question de l identité de Jésus est au cœur de tout le récit, sur les lèvres de ceux qui voient Jésus à l œuvre, et finalement elle est posée par Jésus lui- même : «Pour les gens pour vous, qui suis- je?» (8, 27.29) Pour le lecteur, le premier verset qui sert de titre et annonce le contenu de l évangile, donne déjà deux indications importantes : Jésus est le «Christ» et «le Fils de Dieu» (1,1). Ces deux titres annoncent le plan de l évangile en deux grandes parties, et donnent déjà au lecteur des informations capitales, que les personnages dans le récit découvriront au fur et à mesure des événements. En effet, le premier titre de «Christ» est proclamé par Pierre, juste au milieu de l évangile, après une première partie (1, 14 8, 26) où tous se demandent qui est Jésus (la foule, les pharisiens, les disciples). Pierre affirme alors : «Tu es le Messie» (8, 29) Ce mot hébreu qui se traduit en grec par «Christ» - signifie «l Oint», celui qui a reçu l onction pour être l envoyé de Dieu. Pierre reconnaît que ce Jésus qu il a entendu parler et vu agir, est bien l envoyé de Dieu pour établir son Règne - son Royaume - à la fin des temps. D ailleurs, les premiers mots prononcés par Jésus dans l évangile l annonçaient : «Les temps sont accomplis : le Règne de Dieu est tout proche» (1, 15). Le second titre est donné par le centurion romain, qui en le voyant mourir s exclame : «Vraiment cet homme était le Fils de Dieu!» (15, 39). Cette seconde confession de foi clôt la seconde partie orientée vers la Passion, où il s agit de comprendre quel Messie Jésus est véritablement : c est sur la croix, par sa mort, que le Christ révèle au monde son identité et le sens de sa relation à Dieu. Cette révélation faite à Jésus lui- même à son baptême («C est toi mon Fils bien- aimé : en toi j ai mis tout mon amour» 1, 11) et à trois des apôtres à la Transfiguration («Celui- ci est mon Fils bien- aimé : écoutez- le» 9, 7) restera cependant cachée jusqu à la Passion et la mort de Jésus. Mais Marc a déjà mis son lecteur dans la confidence Chut, c est secret!... Au moment même où Pierre proclame ouvertement sa foi au Christ, Jésus donne un ordre étrange : «Il leur défendit alors vivement de parler de lui à personne» (8, 30) Puis pour la première fois, il leur annonce sa destinée de souffrance et de mort. (8, 31) Un mystère semble entourer la personne de Jésus : il manifeste sa puissance (exorcismes, guérisons, miracles, pardon des péchés) et il insiste en même temps pour que personne ne parle de lui : il fait taire les démons (1, 24 ; 2, 34 ; 3, 11), impose le silence aux malades guéris (1, ; 5, 45 ; 7, 36 ; 8, 26). Même après la Transfiguration, les disciples reçoivent pour consigne de ne «raconter à personne ce qu ils avaient vu». (9, 9) Ce motif du «secret messianique» présent fortement dans cet évangile peut surprendre ou déconcerter le lecteur. Comment comprendre que cette révélation soit offerte et en même temps doive rester cachée? Il s agit pour Marc de lever une ambiguïté majeure. Le monde juif de l époque attendait un Messie, mais essentiellement terrestre, politique, c'est- à- dire un libérateur de l occupation romaine et de son joug militaire et économique. Pour Jésus, il y a risque de méprise sur son identité réelle et sa mission véritable. La découverte de Pierre et des disciples semble prématurée. Il ne suffit pas aux disciples de dire que Jésus est le Messie pour comprendre qui il est. On peut se tromper sur le sens des mots. Si Jésus impose ainsi le silence, c est que sa messianité ne pourra être vraiment accueillie, dans la foi, qu après sa mort et sa résurrection. Le proclamer avant la Passion, c est se tromper sur la personne. Jésus est le Fils de Dieu, venu sauver par sa croix l humanité des forces du mal et de la mort. C est bien ce que révèlera la seconde partie de l évangile (8, 31 16, 8). Jésus lève lui- même progressivement le secret sur son identité profonde (14, 61-62) pour tracer un chemin pour ses disciples. Par trois fois, il annonce sa passion (8, 31 9, 31 10, 32-34). De manière déroutante mais nécessaire, le Messie sera un serviteur souffrant jusqu à la mort. La croix devient la seule clé pour comprendre et accueillir vraiment la messianité de Jésus, vainqueur du mal et de la mort. Et c est le centurion païen qui sera le premier à le proclamer. (15, 39)

4 Jésus, un incompris? A côté de cette tension du secret, se manifeste aussi chez Marc l incompréhension des disciples. Malgré un lien étroit qui les unit à Jésus, les disciples ne comprennent pas ce qui se passe, ce qui est en jeu, ni vraiment qui est leur Maître. C est même l inverse : plus ils sont instruits, moins ils comprennent! Ainsi Jésus leur révèle le mystère du Royaume de Dieu (4, 11), ils ne saisissent pas le sens des paraboles (4, 13), ni même le sens des actions de Jésus (6, 52 ; 7, 18). Et ce jusqu au bout, jusqu au dernier repas où Jésus leur dira : «Prenez, ceci est mon corps» (14, 22). Comme si, malgré tout le chemin parcouru «avec lui», Jésus restait pour eux un incompris. Ils ne peuvent que tous s enfuir au moment de la Passion. En ces temps de troubles et de persécutions que vit sa communauté, Marc tient à montrer que le Seigneur ressuscité au matin de Pâques ne peut être accueilli dans la vie des tous les jours qu avec les yeux de la foi. Et les yeux de la foi se tournent inévitablement sur la croix. «Vous cherchez le crucifié? Il est ressuscité, il n est pas ici.» (16, 6) Toute reconnaissance de la présence de Jésus Christ vivant doit se faire par l accueil dans nos vies du mystère de sa mort et de sa résurrection. Au risque sinon de se méprendre sur lui et d en faire un Messie à notre convenance, à notre mesure Refaire le chemin Il faut bien tout un chemin avec Jésus pour que les disciples ne portent plus sur lui un regard superficiel, ne projettent plus sur lui un désir de gloire sociale ou de puissance politique. Ce n est pas toujours facile de passer d un idéal de pouvoir à un idéal de service. Ce n est pas évident de penser que cet homme, consacré et envoyé par Dieu, doive monter à Jérusalem pour y être crucifié. Il faut souvent refaire cette route, en suivant Jésus comme Bartimée, l aveugle guéri (10, 52). Cependant Jésus marche devant nous : «Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez comme il vous l a dit» (16, 7). Avec les femmes au tombeau vide, chacun peut alors rechercher la présence de Jésus dans ce qui fait sa vie, sa «Galilée». Et chacun est invité à parcourir de nouveau l évangile à la lumière de la résurrection, et à retrouver Jésus en Galilée comme au début du récit, dans une boucle sans fin où chaque nouvelle lecture permettra d approfondir le mystère qui nous unit à lui. Allons! «Passons sur l autre rive!» (4, 35) Suivons Marc : il veut nous conduire, nous qui entendons ou lisons aujourd hui son évangile, à découvrir Jésus, à le reconnaître comme le «Christ, le Fils de Dieu», lui le Maître et Seigneur de nos vies. Aujourd hui encore il nous fera entendre son message de bonheur Père François Campagnac Responsable de la formation biblique Diocèse de Sens- Auxerre Pour aller plus loin : - Jacques HERVIEUX : L Évangile de Marc, in Les Évangiles, Textes et Commentaires. Bayard Compact, Pierre DEBERGÉ et Jacques NIEUVIARTS : Guide de lecture du Nouveau Testament, Bayard Philippe LEONARD : Évangile de Jésus Christ selon saint Marc, Cahier Évangile 133, Ed. du Cerf Caroline RUNACHER : Saint Marc, collection La Bible tout simplement, Ed. de l'atelier Camille FOCANT : L évangile selon Marc, Commentaire biblique : Nouveau Testament 2, Cerf 2004.

5 Composition de l évangile selon saint Marc - 1, 1-13 : Au Jourdain : de Jean- Baptiste à Jésus (prologue) «Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, le Fils de Dieu.» (1, 1) - 1, 14 8, 30 : «Qui donc est cet homme?» * 1, 14 3, 6 : Jésus et la foule * 3, 7 6, 6 : Jésus et ses proches * 6, 6 8, 30 : Jésus enseigne ses disciples «Tu es le Messie» (8, 29) - 8,31-16, 8 : Le Messie se révèle * 8, 31 10, 52 : Les annonces de la Passion lors de la montée à Jérusalem * 11, 1 13, 37 : Le complot. Jugement à Jérusalem * 14, 1 15, 47 : Trahi et condamné, le Messie est crucifié «Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu» (15, 39) * 16, 1-8 : Annonce de la résurrection au tombeau vide «Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez» (16, 7) - 16, 9-20 : Apparitions et début de la mission (appendice)