«levieux Honfleur» l Association Normande d Ethnographie et d Art populaire. BP Honfleur cedex

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1 l Association Normande d Ethnographie et d Art populaire «levieux Honfleur» BP Honfleur cedex La traite des noirs et l esclavage dans les ports normands par Eric Saunier, maître de conférences en histoire à l université du Havre et Jonathan Rabeau, étudiant en master Conférence du samedi 7 février 2015 organisée par la médiathèque de Honfleur (Résumé de J-P Le Blond) Depuis vingt ans, les recherches entreprises à l université du Havre, dans le cadre du programme «Normandie-esclavage», soutenu par la région, ont permis d éclairer le rôle des ports normands dans la traite et l esclavage des noirs. Les trois ports normands, Le Havre, Honfleur, et Rouen ont été impliqués avec des rôles différents et complémentaires : Le Havre et Honfleur pour l armement des expéditions, Rouen pour leur financement et la fourniture des cotonnades, improprement appelée «pacotille» qui servait de monnaie d échange avec les marchands d esclaves. I- La participation importante des ports normands et ses raisons. Les débuts de la traite dans les ports normands remontent à Elle s achève fin 1840 alors que la traite est devenue illégale, depuis 1815, mais est encore pratiquée au grand jour. Le dernier bateau identifié comme ayant pratiqué la traite illégale appartenait au négociant havrais Jules Mazurier et s appelait «Le Philanthrope». 399 expéditions sont parties du Havre et 125 de Honfleur. Le total 524, place, de façon surprenante, les ports normands en deuxième position des ports français, après Nantes d où sont parties 1402 expéditions, mais la mémoire s en est effacée. Le bombardement du havre en 1944 en a détruit les supports visuels, à l exception de la maison de l armateur qui était celle des Foäche. De plus, un véritable processus d oubli collectif s est mis en place. Plusieurs raisons expliquent que les ports normands soient devenus de grands ports négriers et dépassent Bordeaux et La Rochelle. Le commerce triangulaire supposait d abord la maîtrise des routes maritimes vers les côtes africaines puis vers l Amérique ainsi que celles du retour. Or les armateurs et les capitaines de Honfleur et du Havre maîtrisaient ces routes, grâce aux expéditions antérieures, vers les Antilles et les côtes du Brésil et du Pérou. Ils disposaient aussi d équipages sur place. La deuxième condition était de disposer d un arrière-pays riche. La richesse agricole du Pays de Caux et la présence d une pré-industrie cotonnière qui faisait la richesse des cotonniers rouennais, Page 1 sur 6

2 en mesure de fournir les cotonnades aux armateurs en monnaie d échange contre les esclaves, la facilité de leur acheminement par la Seine vers les deux ports de départ constituaient autant d atouts pour les ports normands. La troisième condition était de disposer d une autorisation de l Etat. Au début, les ports normands n ont pas participé au commerce triangulaire. Mais, en 1679, Colbert ouvrit, au Havre, une antenne de La Compagnie du Sénégal, dirigée par des Rouennais. De plus, l autorisation royale d abord octroyée à Rouen en 1716, fut étendue, en 1721, au Havre. A tous ces éléments s est ajouté un critère déterminant : jusqu à la fin du XVIIIème, Rouen, habitants, s est intéressée au commerce colonial mais pas spécialement à la traite des noirs, commerce difficile et contraignant. A partir des années 1770, la politique économique libérale menée sous l impulsion de l Angleterre, avec les traités de libre échange (1786), provoqua un afflux des produits anglais en Normandie. Rouen qui ne parvenait plus à écouler ses cotonnades reconvertit son activité vers le commerce colonial et effectuait 25% du commerce colonial français. Le commerce triangulaire et la traite des noirs en étaient un élément à côté du commerce en droiture avec les Antilles : 10% des bateaux havrais et honfleurais passaient par l Afrique et se livraient au commerce triangulaire. II - Spécificités des ports normands : un essor tardif. A) Le Havre et la traite des noirs. La participation des ports normands à la traite des noirs présente des particularités. Jusqu en 1721, la traite s effectua sous l égide des grandes compagnies. Le démarrage assez fort de la traite dans les ports normands s explique, en partie, par une substitution au commerce morutier, en déclin. Les 30 armements effectués entre 1679 et 1709 situent Le havre au 2 ème rang, derrière La Rochelle. Un pic de 18 expéditions apparaît en 1720 et Après l octroi de l autorisation royale, l augmentation resta paradoxalement assez faible, relativement aux autres ports. Les ports normands étaient, en effet, plus orientés vers le commerce en droiture que leurs négociants préféraient, en raison du tonnage modeste de leurs bateaux, des risques moindres qu il présentait et de sa rentabilité plus immédiate. Avec le commerce triangulaire, il fallait trois ans pour récupérer sa mise de fonds. Entre 1722 et 1745, jamais plus de deux expéditions annuelles, un léger accroissement apparaît entre 1745 et 1755 avec 3 à 5 expéditions annuelles. Puis, entre 1763 et 1773, une lente montée avec 4 à 8 expéditions annuelles, après la disparition du trafic négrier pendant la Guerre de Sept Ans ( ). Au cours de la troisième phase ( ), la traite des noirs connut avec 200 expéditions montées en 10 ans, un essor tardif lié aux difficultés et à la reconversion des cotonniers rouennais. Géographie des achats et des ventes. Les négociants havrais achetaient les esclaves essentiellement sur les côtes du Gabon et de l Angole (173 expéditions) déjà fréquentées par les Portugais et où le trafic était facilité par les réseaux Page 2 sur 6

3 existants. Leur destination privilégiée se trouvait dans l île de Saint-Domingue vers laquelle Le Havre monta 196 expéditions, soit 90% de la traite havraise, la moitié étant concentrée sur le Cap Français. Les armateurs havrais. Parmi les 150 à 200 armateurs négriers représentant 25 à 30 familles qui émergent, en France, on a recensé 6 maisons havraises qui ont concentré 60% des expéditions avec la Compagnie des Indes et celle du Sénégal. La moitié des armateurs havrais a monté une ou deux expéditions, l autre moitié a pratiqué la traite dans une stratégie de diversification de l activité. Le Havre comptait une grosse proportion de petits négriers. La traite n était qu une activité d appoint dont le succès tardif a été lié à une conjoncture régionale difficile. B) Honfleur et la traite des noirs. (Le chapitre honfleurais a été traité par Jonathan Rabeau, étudiant en master.) Avec 125 expéditions, Honfleur se place en 7 ème position des ports négriers, entre Lorient (156) et Marseille (82). On distingue à Honfleur 4 périodes. 1- Entre 1715 et 1755, les armements furent effectués pour la Compagnie du Sénégal mais avec des équipages honfleurais. En 1743, la traite s ouvrit aux armateurs privés. Malgré cela, la traite restait une activité marginale Après la Guerre de Sept Ans et le traité de Paris (1763), la traite des noirs se développa à Honfleur. Entre 1763 et 1769, 29 armements ont été dénombrés, 4 par an en moyenne, notamment de la part de la famille Prémord, en particulier de Jean-Baptiste Prémord, auteur de 14 expéditions. Cependant le commerce en droiture et le grand cabotage alternaient avec le commerce triangulaire. 3- Pendant la période , les armateurs honfleurais s intéressèrent peu au commerce triangulaire auquel participèrent encore les familles Prémord et Bermon. 4- La troisième période ( ) marque l apogée de la traite des noirs avec 72 armements (60% de la traite honfleuraise) et une extension du nombre des acteurs : 34 armateurs et 67 capitaines y ont participé. Pour la seule année 1791, on a recensé 15 expéditions. Particularités honfleuraises. La traite honfleuraise s est effectuée de manière plus diversifiée que la traite havraise. Les sites d achat des esclaves se révèlent plus éclatés. Côtes de haute-guinée, de Zambie et du Sénégal, Côte de l Or, de Sierra Léone, du Ghana, du golfe de Guinée et parfois du Gabon, jamais plus au sud pour éviter les côtes fréquentées par les gros armateurs havrais, nantais et bordelais. Ainsi, les armateurs honfleurais recherchaient une diminution de la durée du processus d achat et de la mortalité et une garantie de rentabilité. L île de Saint-Domingue restait la destination privilégiée mais au Cap Français s ajoutaient la baie de Saint-Domingue et la côte sud de l île souvent délaissée par les capitaines français, ce qui avait Page 3 sur 6

4 conduit l état à octroyer des primes à ceux qui en faisaient leur destination. III- Impact sociétal de la traite. A) A Honfleur Les armateurs honfleurais qui ont participé à la traite payaient de 3 à 6 fois plus d impôts que le reste de la population et dominaient économiquement les autres armateurs mais on n a pas de certitude quant à l impact exact de la traite sur l acquisition de leur fortune. La traite des noirs nécessitait des investissements importants seulement à la portée des plus riches. De plus, Honfleur ne jouait que le rôle de port de relais ou de secours à côté de celui du Havre. Parmi les négriers honfleurais, on distingue deux groupes. 1- Une élite négrière, endogame, qui conçoit le mariage dans une stratégie économique. 2- Des négriers modestes formant un milieu plus ouvert et qui ne s impliquaient qu épisodiquement dans la traite des noirs. B) Le Havre. La traite s est étendue principalement sur 8 ans et ne représentait que 25% des capitaux, 75% l étaient dans le commerce en droiture. Mais au Havre, l impact social de la traite des noirs semble plus important qu on ne le pense. Les négriers y étaient peu nombreux, un armateur sur trois, mais 32 négriers, sur 45 membres, siégeaient au Comité des négociants, équivalent de la chambre de commerce actuelle. C étaient des armateurs déjà très riches qui se lançaient dans la traite, elle renforçait leur pouvoir. La traite, commerce compliqué, faisant appel à de nombreux intermédiaires, exigeait des capitaux importants, du temps et comportait des risques. Elle s adressait à des armateurs très riches. La traite des noirs a généré des mouvements migratoires. 900 personnes de couleur étaient employées, au Havre, comme employés de maison, travailleurs portuaires ou exerçant divers petits métiers. Leur présence diffuse intéressait l ensemble de la population. Le grand moment de la traite s arrêta en 1791 avec la révolte de Saint-Domingue. Jean-François Bégouen de Meaux, figure de proue du lobby négrier havrais, s opposa à l abolition de l esclavage et à l octroi du droit de vote aux hommes de couleur. Il obtint gain de cause avec le décret de 1791 qui a peut-être modifié le cours des événements et finalement favorisé la victoire des insurgés. En 1794, le gouvernement révolutionnaire abolit l esclavage, rétabli par Napoléon dans les colonies françaises en 1802 et aboli, à nouveau en La traite se poursuivit quoique de façon illégale jusque personnes y participèrent. Alors que partout se développaient les mouvements abolitionnistes, au Havre, ville attachée à la traite se mit en place une stratégie de silence et d endiguement. Les questions, à la suite de la conférence, ont permis au conférencier d apporter des précisions supplémentaires. Page 4 sur 6

5 Quand les Rouennais apprenaient le départ d une expédition du Havre ou de Honfleur, ils envoyaient sur la Seine des allèges pour remplir les bateaux négriers de cotonnades qui serviraient de monnaie d échange contre les esclaves (pacotille) jusqu en Ensuite, les Rouennais ont ajouté à la fourniture de la pacotille l investissement de capitaux dans les expéditions. Ainsi, la maison Le Couteulx a financé 8% des expéditions havraises pour le négociant havrais Ruellan. Mais l investissement global des Rouennais reste à étudier. Cent à cent cinquante mille esclaves ont été transportés par les négriers havrais, 10% des esclaves embarqués sur des bateaux français. Une seule expédition est partie de Dieppe. Le port de Dieppe, bombardé et incendié par une flotte franco-hollandaise, en 1694, pendant la guerre de la Ligue d Augsbourg ne s était pas remis de ce désastre. De plus, l acheminement de la pacotille à partir de Rouen présentait plus de difficultés que vers Le Havre ou Honfleur. La durée d un voyage dans le commerce triangulaire s étendait jusqu à 18 ou 19 mois, au début. Par la suite, on a gagné 3 à 4 mois. La durée du chargement de la cargaison d esclaves pouvait varier de 10 jours à trois mois. Parfois il fallait faire plusieurs escales pour remplir le bateau. Le nombre des esclaves embarqués était déterminé par son tonnage et sa contenance, indiquée au départ, mais on remplissait le bateau au-delà de sa contenance On chargeait les esclaves, de nuit, par groupes de 5, et on les enchaînait sur le bateau. Si le départ se faisait attendre, on les nourrissait à bord. La mortalité était moins importante que sur les bateaux anglais mais le taux moyen de 8 à 10% ne signifie pas grand-chose et pouvait recouvrir des réalités différentes de même que la durée moyenne de survie des esclaves, estimée à 7 ans mais très variable selon les postes occupés. Dans les chaudières et les sucreries, la mortalité, très forte, conduisait à renouveler les effectifs tous les ans. Les équipages assez importants à cause des révoltes possibles tournaient autour de 40 à 50 membres. Ils n étaient pas spécialisés dans la traite. Les marins saisissaient souvent une opportunité selon le départ des bateaux que ce soit pour le commerce en droiture ou la traite. De ce fait beaucoup de marins ont participé à la traite. En Angleterre, on saoulait les marins pour les enrôler de force (pratique de la «presse»). En France on procédait de façon plus insidieuse en les incitant d abord à s endetter à la taverne pour qu ensuite ils n aient plus d autre issue que de s enrôler pour rembourser leurs dettes. Position des églises ; D après la religion chrétienne, pour obtenir son salut, il faut être libre. En conséquence, l esclave avait été théoriquement interdit, en France, à partir de Philippe le Bel mais l église catholique s est ensuite accommodée de la pratique de l esclavage. Les protestants anglais se sont montrés beaucoup plus critiques. Les personnalités très critiques, au Havre, étaient très minoritaires. Dans la société française, largement déchristianisé depuis le XVIIIème, plus que des arguments moraux, on mettait en avant des arguments économiques pour critiquer l esclavage, en objectant notamment qu un homme libre Page 5 sur 6

6 travaillait plus qu un esclave et que le pourcentage élevé d esclaves dans les sociétés coloniales faisait peser des risques de révolte. Tels étaient les arguments de La Société des Amis des Noirs qui émergea avant la Révolution. Pour une étude plus complète se reporter, notamment, à l article suivant du conférencier : - Eric Saunier : Le Havre, port négrier : De la défense de l esclavage à l oubli. Cahiers des Anneaux de la Mémoire, Les Anneaux de la Mémoire, 2007 p chez Persée par Mr Jean Mettas : Honfleur et la traite des Noirs au XVIIIe siècle Page 6 sur 6