Claudia Covalciuc. [Début de la bande enregistrée]

Transcription

1 Claudia Covalciuc [Début de la bande enregistrée] Je m'appelle Claudia Covalciuc. J'ai immigré pour la première fois au Canada en décembre Je suis revenue au pays en tant que citoyenne canadienne en août Premiers mois de vie Mon père a toujours été absent de ma vie, même avant ma naissance. [01:00:03:18] Ma mère était réfugiée à Baden, en Autriche. Elle était originaire de Roumanie et mon père était originaire d'italie. Alors, je suis moitié roumaine, moitié italienne. Je suis née dans un camp de réfugiés le 1 er mai Un nouveau départ Ma mère se trouvait dans ce camp de réfugiés parce qu'elle s'était enfuie illégalement de la Roumanie après la révolution roumaine de [01:01:03:00] Lorsque j'avais six mois, on nous a expulsées du camp de réfugiés, puis nous avons immigré au Canada. Nous sommes arrivées à London, en Ontario, une jeune mère d'âge moyen tenant un sac-poubelle rempli de vêtements. L'expression «jeune mère» ne convient pas. Il s'agissait plutôt d'une mère d'âge moyen et d'une petite fille de six mois. [01:01:32:13] Et nous n'avions pas de relations, ni d'argent. C'est ainsi que nous sommes arrivées au Canada. Comme élève, j'aimais vraiment fréquenter l'école. J'adorais l'apprentissage, formel et informel. En classe, je prenais toujours part aux activités et aux interactions avec les autres. [01:01:57:22] Cette situation comportait ses difficultés. J'étais l'enfant unique d'une mère célibataire, une immigrante, à faible revenu, dans une famille frappée par la pauvreté, marginalisée. Nous avons toujours eu notre lot d'épreuves, en particulier lorsque je fréquentais l'école. Dès mon plus jeune âge jusqu'à ce que j'abandonne mes études en Ontario, j'ai dû faire face à l'intimidation au quotidien. [01:02:30:02] Je ne regrette pas, car j'en ai tiré des leçons. Je refuse de voir d'autres élèves se faire intimider. Mon origine ethnique et mon statut d'immigrante ont joué un rôle. Le fait que je sois une étrangère et que je ne passe pas pour une vraie Canadienne, aux yeux des autres, a alimenté cette intimidation. [01:02:58:00] J'éprouvais toujours une très grande confusion. Je disais toujours: «Je suis Canadienne, tout comme vous. Voilà ce que je suis. J'ai grandi ici. Voilà ce que je connais.» Il existait toujours cette forme 1

2 de tension entre le fait qu'on me considérait comme une étrangère, mais que je ne me percevais pas comme telle. D'une certaine manière, j'éprouve encore l'envie de me venger de cela aujourd'hui. Je me considère vraiment comme une Canadienne, même si les autres ne le voient pas toujours. Lorsque Claudia avait 11 ans, sa mère a décidé qu'elles retourneraient en Roumanie, leur pays d'origine. [01:03:30:00] On nous a contraintes à quitter London (Ontario). La municipalité prenait de l'expansion, et on a perdu la maîtrise de son développement. Nous habitions dans un immeuble à logements subventionnés. La nouvelle direction souhaitait le convertir en appartements universitaires de copropriété, parce que cela serait plus rentable. Retour en Roumanie [01:03:58:16] On a quadruplé notre loyer en l'espace d'un mois, alors que nous étions déjà frappées par la pauvreté et que notre revenu minimal nous permettait à peine de nous débrouiller. Sur le plan financier, nous ne pouvions plus nous permettre de demeurer là. Il n'y avait pas beaucoup d'autres possibilités, ni beaucoup d'autres réseaux de soutien dans la collectivité. [01:04:26:06] Je venais d'avoir 11 ans, alors je n'étais encore qu'une enfant. Je n'avais jamais vraiment quitté le pays auparavant: pour moi, il s'agissait donc d'une nouvelle expérience. En ce qui concerne les prétextes qui ont entouré notre départ, j'avais une vague idée de ce qui se passait, mais ma mère ne m'a jamais vraiment exposé la situation. Elle ne m'a pas dit qu il ne nous restait plus d'argent, et que nous ne détenions qu'un aller simple. L'enthousiasme a donc constitué ma première réaction: «Oh! Je ferai l'expérience de ma culture! C'est le pays d'où vient ma mère.» [01:05:00:12] «Cela va être fantastique. Je vais passer un été fabuleux.» Mais la réalité m'a vite rattrapée, et j'ai constaté que ce ne serait pas le cas. Claudia et sa mère sont arrivées en Roumanie, sans argent ni soutien familial. J'ai aussi éprouvé un immense choc culturel. J'avais grandi au Canada en tant que Canadienne: je ne me considérais pas vraiment comme une immigrante. Je ne me percevais pas comme une réfugiée. [01:05:30:21] Aller en Roumanie m'a obligée à prendre du recul. La langue et la culture à elles seules étaient très différentes de ce à quoi j'étais habituée, sans compter les gens et la vie quotidienne. 2

3 Cet automne-là, on m'a inscrite à une école locale, qui a refusé de reconnaître mes études canadiennes. L école voulait que je reprenne ma 5ème année. [01:06:02:03] La Roumanie ne considérait pas le système canadien comme équivalant. On m'a dit: «Bon, nous allons te classer en 5ème année.» On m a offert aucune ressource. Il existait une énorme barrière au niveau de la langue et des connaissances. Qu'il s'agisse des mathématiques, des sciences ou de la géographie, ce qu'on faisait en Roumanie différait complètement du système canadien. [01:06:29:05] J'ai subi de la discrimination et de l intimidation au cours des trois premiers mois. J'ai fréquenté six écoles locales différentes en l'espace de trois mois. Après cette période, ma mère m'a retirée du dernier établissement et a dit: «Tu n'étudieras plus jamais en Roumanie. La prochaine fois que tu iras à l'école c'est lorsque nous retournerons au Canada.» Au moment où j'ai compris que je devrais abandonner mes études, nous étions probablement en novembre [01:07:03:09] Alors, j'avais encore 11 ans lorsque je me suis rendu compte que je n'irais plus à l'école, qu'il n'entrait aucun revenu chez nous et que ma mère était incapable de prendre soin de moi. Nous avions un énorme problème. Il fallait qu'il se passe quelque chose. Comme j'avais une âme d'entrepreneure, j'ai démarré une petite entreprise dans le milieu des marchés aux puces. [01:07:31:03] Au début, c'était dur. Je faisais toujours face à la barrière linguistique. Je ne savais pas vraiment parler roumain et les gens ne connaissaient pas vraiment l'anglais. De plus, les gens me voyaient comme une jeune fille étrangère. Il y avait toujours cette crainte de l'exploitation. Je me suis trouvée dans différentes situations insolites qui auraient vraiment pu tourner en ma défaveur. [01:08:01:02] Tout en subvenant à ses besoins et à ceux de sa mère, Claudia a travaillé avec zèle pour revenir au Canada. Elle a rencontré des difficultés considérables au moment de faire appel à divers organismes et d'obtenir un passeport. J'avais abandonné mes études. Aucun tuteur légal ne prenait soin de moi; je n'avais pas de revenu, ni de résidence stable. Je disais : «Je suis une enfant dans le besoin, aidez-moi d'une manière ou d'une autre. La situation m'a presque fait réévaluer mon identité: étais-je vraiment Canadienne ou étais-je quelqu'un d'autre? [01:08:28:22] Des questions me traversaient constamment l'esprit. Je m'identifie comme étant Canadienne et j'adore être Canadienne. Mais 3

4 Retour au Canada cette identité s'accompagne de défis et il reste des points à améliorer. Nous devons comprendre que notre gouvernement n'est pas parfait. La société canadienne n'est pas parfaite non plus. Alors, nous devons tout simplement travailler et reconnaître ces imperfections. Après avoir économisé suffisamment pour un aller simple vers le Canada, Claudia a fait un voyage de 48 heures et est arrivée à Halifax tard dans la nuit, en août [01:09:02:03] Lorsque je suis arrivée à l'aéroport, je n'ai reçu aucune aide. Personne ne m'attendait, aucun parent ne prendrait soin de moi, et il n'existait pas de ressource ni d'organisme communautaire. J'étais une jeune fille naïve de 16 ans qui avait traversé des épreuves extrêmes. Je me trouvais là, revivant presque la même expérience que ma mère avait vécue 16 ans plus tôt. Je suis arrivée à l'aéroport un sac de vêtements à la main, c'était presque tout, et je détenais un passeport expiré. [01:09:35:00] C est tout. Je suis donc demeurée à l'aéroport pendant quelques heures, et il était vraiment très tard. Notre avion était arrivé à 23h30, alors j'ai presque passé toute la nuit à l'aéroport. J'avais dépassé le stade de l'épuisement. J'étais extrêmement nerveuse. Je me disais: «Bon, que va-t-il m'arriver, maintenant?» [01:10:01:19] Je suis une fille de 16 ans qui vient de revenir au Canada. Je ne connais personne. Je n'ai pas de foyer. Je n'ai pas de racines. Que va-t-il se passer? J'étais absolument terrifiée. Je me disais: «D'accord, tu peux y arriver. Tu trouveras une solution. Tu as toujours trouvé le moyen de te rendre là où tu voulais aller. Tu n'as qu'à continuer.» Une femme autochtone de la région était assise près de moi. Elle m'a regardée [01:10:30:04] et elle a compris que quelque chose n allait pas. «Bon, qu'est-ce qui ne va pas? Qu'est-il arrivé?» Je lui ai dit que j'avais quitté l'école cinq ans plus tôt, et que je venais à peine de revenir au Canada. Je n'avais aucun soutien. Je ne savais pas ce qui m'arriverait. Elle a répondu: «Rien ne va t'arriver. Nous trouverons une solution.» Elle est restée assise à réfléchir pendant quelques minutes. [01:11:00:17] Enfin, elle a dit: «D'accord, nous t'emmenons chez nous.» Claudia s'est jointe à cette femme et à sa famille, qui faisaient partie de la Première nation Eskasoni, établie sur l'île du Cap-Breton (Nouvelle-Écosse). La collectivité autochtone locale l'a adoptée par la suite. Une nouvelle vie À mon arrivée, on ne savait pas quoi faire de moi. Je me trouvais là, jeune fille de 16 ans sans famille ni revenu, et j'avais abandonné mes 4

5 études cinq ans auparavant comme si je venais de tomber du ciel. [01:11:35:01] Beaucoup de gens étaient perplexes: «Bon, maintenant qu'elle est là, qu'allons-nous en faire?» Mon retour aux études m'a fait faire de grands progrès. C'était ma principale motivation, même lorsque je vivais en Roumanie. Je ne cessais de penser: «D'accord, je dois reprendre mes études pour arriver à quelque chose dans la vie», car c'est ce que je voulais faire. [01:11:57:23] Claudia s'est inscrite à une école secondaire de Nouvelle-Écosse. Elle a obtenu d'excellents résultats comme étudiante avec honneur. Mes études ont posé leurs propres difficultés. Chaque jour après la classe, je devais travailler à temps plein dans un restaurant local. Je devais me rendre à l'école en faisant de l'auto-stop. Ces propos feront peut-être rire certaines personnes, qui se demanderont: «Pourquoi faisait-elle du stop?» [01:12:30:00] J'avais quitté l'école communautaire pour fréquenter un autre établissement scolaire en ville, mais il était très éloigné de chez moi. Cette école offrait plus de cours et de ressources, d'où le problème de la trop grande distance et des autobus qui ne se rendaient pas aussi loin. Une nouvelle identité Je devais me rendre à l'école tous les jours en faisant de l'auto-stop, puis revenir chez moi par le même moyen pour arriver à l'heure au travail. [01:13:00:12] À 16, 17 et 18 ans, ma vie de Canadienne a donc été, sans aucun doute, très différente de celle qu'ont vécu la plupart des jeunes de cet âge. Mais je suis vraiment reconnaissante de toutes les épreuves que j'ai traversées. Elles ont réellement contribué à faire de moi la personne que je suis. Je me sens privilégiée de pouvoir témoigner de mon expérience et d'affirmer que j'ai surmonté toutes ces épreuves. [01:13:30:16] D'autres personnes peuvent y arriver aussi. Et je m'en félicite. Mon identité canadienne s'est transformée au fil des ans. [01:13:58:17] Lorsque j'étais plus jeune, je m'identifiais comme étant Canadienne. Je n'y avais pas vraiment réfléchi. Au cours de mon adolescence, j'ai commencé à m'interroger sur mon identité: étais-je vraiment Canadienne? Lorsque je suis revenue au Canada, je me suis vraiment redéfinie en tant que Canadienne. J'ai nettement concrétisé mon identité en m'affirmant comme Canadienne. Je me suis aussi identifiée aux communautés autochtones. [01:14:33:23] Ces gens formeront toujours ma famille. Mes racines sont incontestablement ancrées dans la culture, la tradition et les collectivités autochtones. 5

6 Je suis quelqu'un de très spirituel. J'ai adhéré aux pratiques autochtones, qu'il s'agisse de la hutte de sudation en passant par les cérémonies et par le tambour. Je joue du tambour dans un groupe de percussions de femmes autochtones. [01:14:59:18] Pendant l'été, je participe même à tous les mawiomis et les rassemblements. C'est une véritable passion et c'est ce que je suis devenue en tant que personne. Je suis très honorée de faire partie de cette culture. La moindre chose que je puisse faire pour rendre ce qu'on m'a donné constituera toujours une priorité. Claudia a obtenu son diplôme d'études secondaires et fréquente maintenant l'université Saint Mary s de Halifax. Elle est en voie de terminer son baccalauréat ès arts en criminologie et sociologie avec spécialisation en gouvernance autochtone. Elle espère étudier le droit. 6