Petit retour en arrière :

Transcription

1 «C est en route que l on voit si les bagages sont bien chargés». Ce proverbe inscrit sur une carte postale affichée depuis plus d un mois sur l armoire de ma chambre attire mon regard dès que j entre dans la petite pièce Petit retour en arrière : «- Emmanuelle, il y a du courrier pour toi sur la table». Quoi? Je me dirige vers la table, et oui, c est bien mon nom écrit sur l enveloppe mais il y a quelque chose d étrange l adresse indiquée est celle d Hautecombe (lieu de ma formation précédant le départ en Israël). Et là, je comprends J ouvre un peu trop brusquement l enveloppe et je tombe sur deux cartes postales écrites par cinq amis de Nantes (merci encore les z amis). En effet, Adriaan, l un d eux, m avait demandé quelques jours avant mon départ si j avais bien reçu leur courrier et toute déçue, j avais répondu que j étais partie d Hautecombe sans le recevoir Je ne pensais alors jamais voir ce courrier ici. Et il était là, posé sagement sur la table Imaginez la joie de l arrivée de ce courrier, si inattendu. J étais tellement touchée par tous ces petits mots, destinés à me souhaiter du courage avant le départ et me voilà alors en Terre Sainte depuis plus de deux mois -

2 Pourquoi cette phrase m interpelle autant? L expérience que je vis ici depuis maintenant trois mois est effectivement un voyage, un grand voyage intérieur. Les virages sont parfois serrés, la chaussée dégradée, la météo mauvaise pour distinguer les panneaux de directions et la route peut se faire un peu trop étroite à mon goût. Et pourtant Qu est-ce qu elle en vaut le détour cette route, que le paysage est magnifique et que les rencontres sont belles. C est vrai, mes bagages chancellent de temps en temps, assez souvent même. Ce serait en effet vous mentir que vous dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Les épreuves sont présentes. Être coupée pendant six mois de ses repères, de son confort, de ses habitudes amène à un plongeon intérieur qui n est pas toujours agréable et néanmoins inévitable. Dans ce déplacement extérieur et intérieur, je peux aussi par moments m attarder sur ce qui me dérange plutôt que sur sa richesse. Certains jours, je préfèrerais me retrouver dans une ville plus «normale» et sans tension. Certains jours, je préfèrerais me sentir dans une vraie maison, et non pas dans une maison avec des habitants de passage. Et pourtant, c est une chance incroyable de vivre sur cette terre si riche, si unique, à 10 minutes à pied du St Sépulcre, à 10 minutes à pied du Mont des Oliviers. C est une chance incroyable d avoir le monde entier qui passe dans sa maison. Et d ailleurs, c est bon que mes bagages perdent un peu l équilibre dans les virages ou dans les bosses. Je ne regrette en rien cette aventure, même quand je suis éprouvée. Elle m apprend jour après jour mes limites et mes dons. Elle m apprend ce qui fait mes joies, elle m apprend mes attaches et mes peurs. Elle m apprend à aimer avec simplicité. Non, je ne regrette en rien cette aventure, car justement, mes bagages sont bien chargés. Avant le départ, ils ont été installés avec précaution. Je mesure ici la chance d avoir vécu la formation à Hautecombe. Je mesure la chance d être entourée par des personnes qui savent m écouter, me conseiller, et vivre avec mes hauts et mes bas. Mais par dessus tout, mes bagages sont bien chargés, car la corde utilisée pour les attacher est la plus solide qui soit. Quels que soient l ampleur du virage, ou la difficulté de la piste, la corde retient tout et atténue le choc. Je peux rouler en toute confiance car je sais que la corde est là. Et finalement, c est bien que la route ne soit pas si facile car c est dans les obstacles que je peux vraiment me rendre compte de l importance de cette corde. Vous l aurez sans doute deviné, cette corde, c est le Seigneur.

3 Chers parrains, chers amis, chère famille, Après cette petite introduction où ma plume s est hasardée à prendre un peu de hauteur, passons aux choses concrètes et à ce que j ai vécu ces quatre dernières semaines. Une des premières particularités de ce mois a été la visite de la tribu Clément, du 1er au 9 mars, presque tous réunis à l exception de ma soeur Héloïse qui a dû rester en France pour les études. Une semaine pour venir me rendre visite, découvrir la terre qui m accueille, mes missions, les personnes avec qui je vis et que je côtoie. En plus d une très agréable semaine passée en famille pendant laquelle nous avons traversé la Terre Sainte Jérusalem, Galilée et Tibériade, Bethléem, Judée et Mer Morte - cette semaine m a aidé à repartir dans le service et dans les missions, de manière renouvelée. En effet, après deux mois passés à Jérusalem, l effet de la découverte commençait à s estomper et j ai bien senti que mes yeux et mes sens s accoutumaient petit à petit à la spécificité de ce pays. Les voir s émerveiller, s étonner ou se troubler devant le soleil, le souk, le mur de séparation, les lieux saints, la présence des trois religions, les paysages, m a permis de retrouver mes premières impressions, de réaliser à nouveau les richesses de cette terre et ma chance d y vivre pendant ces quelques mois. Moment Skype avec Héloïse

4 Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais je vous ai parlé dans ma précédente lettre du manque de pluie qui a inquiété fortement le pays. La pluie n est pas tombée ou trop peu pendant les mois les plus favorables, et plus les semaines passées, plus c est devenu alarmant, au point tel que les trois religions ont appelé à prier pour la pluie. Le dimanche 9 mars, en début d après-midi, l eau a commencé à se déverser sur Israël. Pendant une semaine entière, il est tombé des cordes (j aime bien les cordes dans cette lettre). Ça a été pour moi une drôle de sensation de voir cette pluie tant attendue ENFIN là. C est comme si elle ne tombait pas seulement pour arroser, irriguer mais qu elle venait aussi nettoyer et laver toute la ville (la ville s est d ailleurs transformée en patinoire géante cette semaine-ci). Bref, une pluie signe de vie Lors de cette semaine, le vent a été glacial et ayant laissé mes affaires d hiver à ma famille, j ai pris un bon coup de froid Rhume, toux et le plus drôle pour mon entourage, des cordes vocales se transformant soudainement en version féminine de celles de Garou Hyam, m a alors préparé chaque jour un énorme thermos d une tisane magique anti-grippale et je suis aujourd hui de nouveau en forme ( =D ) Le service continue. Les personnes âgées me font toujours autant de bien. Mercredi dernier, je me suis levée avec un bon mal de crâne et je ne me sentais alors pas en grande forme pour passer une journée auprès de ces personnes. En arrivant au Centre et commençant mon petit tour habituel des salutations, c est avec étonnement que je les ai tous trouvés en pleine forme, avec de grands sourires. Vous savez bien qu à cet âge, ils peuvent être un jour en forme et le lendemain, un peu moins Les voir en forme m a immédiatement encouragée pour la journée. Car si eux sont en forme, alors mon mal de crâne n est pas si important. Il y a des semaines où j arrive au Centre et je m aperçois qu une table a une place vide. J ose alors à peine demander ce qui s est passé. Jusqu à présent, ce n était que des hospitalisations. Jeudi après-midi, nous avons perdu une des pensionnaires, la première depuis que je vais au Centre. Même si nous avons passé très peu de temps avec cette dame, j ai réalisé que c était vraiment un cadeau de pouvoir vivre cette mission, de pouvoir accompagner et partager les derniers instants de vie de ces personnes. Un beau moment avec eux a été la venue d un groupe de jeunes, âge lycée, la veille de la fête des mères au Moyen Orient (21 Mars). Nous les avons attendus une heure, tous installés dans la salle à manger, à se regarder dans le blanc des yeux Certains commençaient vraiment à s impatienter. Toutefois, à leur arrivée, ce sont pleins de petites étoiles que j ai vu apparaître dans les yeux de chacun. Les jeunes ont offert une rose aux dames. Ils sont restés ensuite pour entonner quelques chants. Ils ne savaient pas trop comment agir face à ces petits vieux, mais ces derniers étaient comblés de joie. En voyant leur visage rayonnant, je me suis dit que ça valait cent fois la peine d attendre une heure

5 Un autre très beau moment de ce mois a été l invitation de Lubna, femme de ménage du personnel, à venir manger chez elle. Lubna vit dans une situation familiale et financière difficile. Elle habite depuis 17 ans dans un ancien camp de réfugiés, que l on appelle encore «camp», et qui est aujourd hui un quartier de logements très pauvres. Nous étions 5 filles à venir chez elle. En arrivant, Lubna a commencé par nous faire un tour dans le camp, tenant par la main son petit dernier de 4 ans. Elle a pris le temps de nous expliquer tous les problèmes de ce type de logements : inondations, problème d évacuation des eaux, grand vis-à-vis entre les maisons ne permettant pas aux femmes de se sentir libres, même chez elles. Elle nous a ensuite présenté ses filles, de 12 et 13 ans, et nous a apporté un énorme plat typique composé de riz, de lentilles, d oignons puis nous Lubna (j ai préféré légèrement modifier la photo a offert thé et gâteau. Comme nous étions entre filles, elle a pu se afin qu on la reconnaisse moins. Elle n aurait pas souhaité que je mette une photo d elle.) livrer et nous partager ses difficultés de femme (musulmane) et de mère. Nous sommes reparties la panse complètement remplie, avec un petit bracelet comme cadeau. À l invitation, je savais déjà que c était un grand honneur mais c est en repartant que j ai pris conscience du cadeau qu elle venait de nous faire. Pour finir, ce serait dommage de ne pas vous parler du Carême à Jérusalem. La Communauté organise toujours des propositions «spéciales Carême», mais à Jérusalem, c est encore plus spéciale Il a été décidé que le Carême serait aussi un temps de découverte des Eglises orientales. Une fois par semaine, nous pouvons aller à un office de l Eglise melkite et chaque dimanche, nous allons à la messe maronite. Dans les autres propositions, nous avons également un repas simplifié le vendredi, une liturgie un peu plus spécifique et des temps de réconciliation proposés tous les quinze jours. J attends avec impatience de vivre la semaine Sainte à Jérusalem. De manière assez rare, toutes les Eglises vont fêter Pâques en même temps et à ceux-ci se rajoute aussi la fête juive de Pâque. Je sens que ça va être une semaine complètement folle à Jérusalem

6 Je pense désormais avoir fait le tour des différentes péripéties du mois de mars. À défaut de me répéter, merci pour vos retours, pour vos lettres, vos cartes, vos mails, vos skypes qui me font tant de bien. Je vous embrasse et prie pour vous, Emmanuelle. «Prend soin de moi, JET» =)