Le dialogue interconvictionnel

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1 Belgique - België P.P. Liège X 9/2046 Dossier: Le dialogue interconvictionnel Hicham Abdel Gawad Marcel Bolle de Bal Pierre-François de Béthune Pierre-Paul Delvaux Marc Dewrée Stéphane Gillot Dennis Gira Marianne Goffoël Marc Jacquemain Maurice Korn Patrick Nathan Muntz Guy Rainotte Gabriel Ringlet Johannes Robyn Bertrand Tréfois Jacques Willemart Rue du Houmier Florzé - Sprimont Tél. 04/ Fax 04/ info@reliures.org Périodique semestriel Prix de revient : 5 N 33 Automne-Hiver 2014

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3 Le dialogue interconvictionnel Relier, aller aux frontières pour créer des liens, mettre ensemble, non dans une belle unanimité ou un faux œcuménisme, mais communiquer pour débattre, confronter et construire ensemble un avenir qui nous soit commun. Dialogue lent, difficile, mais déterminant. Relier des agnostiques, des athées et des croyants de tous horizons, parce que nul ne possède l homme et la clef de son avenir. Et qu il y a péril si, au-delà du monde des marchands et de la finance, des nationalismes et intégrismes renaissants, il n existe pas de lieux de débats démocratiques sur le processus démocratique lui-même, la citoyenneté, l éthique..., s il n y a pas de place donnée à l autre. Aller aux frontières pour relier des hommes et des femmes appartenant à des traditions et des institutions philosophiques, spirituelles et religieuses différentes. Chacun avec sa spécificité, ses richesses, ses visions complémentaires ou contradictoires, convergentes et divergentes. Et pour cela, apprendre à découvrir l autre et s ouvrir à lui, approfondir sa propre identité sans crispation, entrer en dialogue, en débat et entamer des actions autour de valeurs communes. La liberté de pensée et la démocratie ne sont jamais acquises, elles sont une lutte quotidienne con - tre l obscurantisme, le dogmatisme, le sectarisme, la démission, l ignorance, la peur. Le spectre du conflit intolérant et dogmatique n est pas écarté. Il y a péril. Quelle société voulons-nous? De nombreuses questions se posent en deçà des différences idéologiques. Et d abord : comment allons-nous vivre comme citoyens, demain? Pour y répondre, des convergences qui traversent des obédiences diverses peuvent être trouvées. Ce que vous venez de lire n est autre que l éditorial du premier numéro de la revue, repris dans chaque numéro. Il a toujours guidé notre démarche et n a pris aucune ride, bien au contraire. L actualité nous en rappelle d ailleurs quotidiennement la pertinence et l urgence. Pendant 17 ans, nous avons apporté notre contribution à une meilleure compréhension réciproque des points de vue de personnes appartenant à des traditions philosophiques, spirituelles et religieuses différentes, tant sur des sujets spirituels que sur les questions de société. En guise de clôture, nous vous proposons une réflexion sur le difficile et trop rare dialogue interconvictionnel. Vous trouverez ici le témoignage de quelques personnes, associations et institutions où celui-ci se pratique. Ce qui importe dans ces différents lieux, ce n est pas la recherche d une unanimité mais une reconnaissance qui fait tomber les préjugés et les peurs. Et ce n est déjà pas si mal! Parfois, certains, en mettant entre parenthèses ce qui les différencie ou jugeant que l important est ailleurs, mènent des actions en commun. Quelle richesse lorsqu a lieu un véritable échange en profondeur entre deux ou plusieurs personnes, où chacun peut exprimer et accueillir ce qu il y a de meilleur ou de moins bien dans leurs traditions. Ce qui est en jeu, c est le rapport réel entre les humains, ce qui rend le vivre-ensemble possible : la justice et l amour. Le vrai sacré réside au cœur de l homme. Et nous ne pouvons nous résigner à accepter ce qui détruit l humain en nous, ni nous réfugier dans la quiétude de l entre-nous, ou dans celle que peuvent procurer les spiritualités, les croyances et leurs rites. Chaque tradition est appelée à tirer de son fond le meilleur en acceptant de se dépouiller de ce qui y fait obstacle pour, pas à pas, avec la richesse de nos diversités, nous mettre en marche vers un monde vraiment humain. Nous avons été heureux de vivre avec vous tous l aventure de Reliures et nous vous remercions pour vos encouragements et votre fidélité. Alain HENRY de HASSONVILLE Jacques HOSTETTER-MILLS Jacqueline CALEMBERT Françoise SILVERBERG Müserref YARDIM Stéphane GILLOT Myriam KÉNENS Aslan IGREK

4 Dialogue, Dialectique, Dialogique En tête du premier numéro de Reliures intitulé Vous avez dit Dieu? figurait un texte du sociologue, professeur à la Sorbonne, Michel Maffesoli exposant implicitement les liens étroits entre les notions de reliures et de reliances, cette dernière qui m est particulièrement chère. Je me permets de le citer : Religiosité ambiante = désir d être relié. Pour reprendre le terme proposé par le sociologue belge Marcel Bolle de Bruxelles (sic), la reliance est à l ordre du jour. Reliance représentant le religare latin, mais reliance aussi si l on pense à partir du sens anglais, mettant l accent sur la confiance : celle d une foi partagée. Le croyant et Le mécréant Sens, reliances, transcendances Marcel Bolle de BAl, Vincent HAnssens Marcel Bolle de Bal et Vincent Hanssens, ont eu le désir d'approfondir et de soumettre à un public le plus large possible la teneur de leurs conversations qu ils ont eues au fil des années. A travers ce dialogue entre le "mécréant" M. Bolle de Bal et le "croyant" V. Hanssens, les questions touchant à la science, à la religion, à la philosophie et à la morale sont abordées, avec pour objectif de cerner les multiples enjeux nécessaires aux échanges entre croyants et libres penseurs. Mols, 2009, 27,90 Réf.: REL12262 Prix Rel.: 25,11 Aujourd hui ce dernier numéro de Reliures est consacré au dialogue interconvictionnel. sujet stimulant qui s inscrit exactement dans le cadre d une des sept dimensions essentielles du projet de reliance humaine que j ai défendu à maintes reprises : échange des différences respectées, base même du dialogue recherché. Me voici donc particulièrement motivé pour aborder cette question du dialogue à partir de trois expériences personnelles dont les reliures/reliances illustrent bien mon propos. elles m incitent à vous offrir trois reliures-reliances entre la notion de dialogue d une part, la sociologie, la spiritualité et la philosophie successivement d autre part. Dialogue et sociologie : au-delà des contradictions Première expérience : mon dialogue avec Henri Janne, mon professeur de sociologie, directeur de mon institut de recherche, recteur de mon Alma Mater (l UlB). A nous, ses étudiants et ses collaborateurs, il présentait et défendait avec vigueur sa vision des trois dialectiques de l antagonisme, du conflit, du dialogue possibles pour gérer les contradictions de l action dans le domaine de la société (conception tout aussi valable, selon moi, dans celui des relations interpersonnelles). Présen ta - tion qu il résumait ainsi dans son maître-livre, Le système social 1 : - la dialectique de l antagonisme, qui se traduit par des ruptures, par des révolutions apportant un ordre social nouveau ; - la dialectique du conflit, qui se traduit par des compromis, apportant la paix dans l ordre établi, que transforme cependant progressivement le mouvement dialectique ; Marcel BOLLE DE BAL, professeur émérite (ULB) - la dialectique du dialogue, qui se traduit par la coopération, apportant, au-delà des compromis et de la paix, la justice, c est-à-dire un ordre qui se crée conformément à cette valeur vécue en acte par le dialogue au sein du système social. A cette troisième forme de dialectique - celle du dialogue - il accordait une place particulière 2 à partir des écrits de son collègue, l économiste François Perroux 3. Dialogue et spiritualité : au-delà des croyances et des convictions deuxième expérience : mon dialogue avec Vincent Hanssens, mon ami le plus intime, ancien vice-président du Conseil Académique de son Alma Mater (l UCl). Après une année d intenses échanges intellectuels et affectifs dûment enregistrés, nous avons publié un livre exposant l essentiel de ceux-ci : Le croyant et le mécréant 4. le premier enjeu que nous ayons eu à affronter, assumer et résoudre a été d ordre sémantique et méthodologique : allions-nous engager, autour de nos croyances et convictions personnelles, un dialogue ou un débat, des échanges empathiques ou argumentés? A ce moment, nous vivions concrètement l impact de nos cultures académiques spécifiques : celle céleste de l UCl à vocation de dialogue et de consensus, celle libre exaministe de l UlB misant sur le débat et la confrontation. dialoguant amicalement à ce propos, nous avons surmonté cette apparente opposition par la pratique d un dialogue/débat empathique. Au terme de ce processus, le croyant s est retrouvé encore plus croyant, le mécréant encore plus mécréant, et notre amitié plus profonde encore qu auparavant 2 Reliures 33 Automne-Hiver 2014

5 des vertus d un bon dialogue! Dialogue et philosophie : au-delà de la dialectique troisième expérience : mon dialogue avec edgar Morin, mon maître-à-penser ès sociologie philosophique et/ou philosophie sociologique. depuis plus d un demi-siècle, j ai été séduit de façon constante par ses multiples écrits nous invitant à la réflexion et au dialogue. Point de départ de cette attirance : son vibrant plaidoyer en faveur d une mise en chantier du principe de la pensée complexe appelé à dépasser le paradigme de la raison simplificatrice (descartes : diviser pour comprendre ; taylor : diviser pour produire ), fondement historique de la modernité occidentale. Au centre de cette orientation théorique originale : la prise en compte des paradoxes, éléments essentiels des réalités humaines et sociales, résistant à la dialectique classique (thèse, antithèse, synthèse) : point de synthèse pour la majorité des situations paradoxales. en d autres termes : il s agit de dépasser la représentation binaire courante (ou/ou) par une conception plus orientale, à la fois ternaire et unitaire (et/et). echapper aux dilemmes le Bien ou le Mal, dieu ou satan, le Ciel ou l enfer, l amour ou la haine ; accepter ces réalités paradoxales l amour et la haine, le Bien et le Mal, le Ciel et l enfer, dieu et satan, composées donc de deux parties reliées, indissolublement complémentaires. la prise en considération de ces réalités complexes et paradoxales appelle donc, pour Morin, la nécessité de ce qu il nomme une approche dialogique (thème qu il développe abondamment dans les six tomes de La Méthode, son œuvre maîtresse 5 ).Qu entend-il par là? il nous en offre plusieurs définitions. J en retiendrai deux ici : l unité symbiotique de deux logiques qui se nourrissent l une l autre, se concurrencent, se parasitent mutuellement, s opposent et se combattent à mort 6, l association complémentaire, antagoniste, concurrente, d instances nécessaires à l existence d un phénomène organisé 7. Certes nous voilà apparemment assez loin du sens classique de la notion linguistique de dialogique ( qui se présente sous la forme d un dialogue ) mais cette rencontre de deux logiques contradictoires ne peutelle être envisagée, dans une pers - pective sociologique et/ou philosophique sous l angle d une forme particulière de dialogue? en nous proposant cette nouvelle approche conceptuelle, edgar Morin nous invite à dépasser l approche dialectique généralement admise, certes toujours utile et nécessaire mais insuffisante pour aborder la question des paradoxes ; pour rendre compte de certaines contradictions et antithèses insolubles. traduite dans le champ du dialogue interconvictionnel, que pourrions-nous avancer comme hypothèse? Cessons de penser que nous devons choisir entre la foi et le doute. les deux coexistent souvent : point de foi sincère sans une once de doute, point de doute lucide sans l un ou l autre acte de foi. ou encore : religion et athéisme, en tant que convictions ou conceptions, sont, elles aussi, étroitement reliées, complémentaires. la dialogique impose leur dialogue. trois expériences, trois pistes de réflexion qui nous suggèrent, si besoin en était, la profonde richesse de cette notion de dialogue, au cœur non seulement de la présente publication, mais aussi et surtout au cœur de la notion et du projet de Reliures. g 1. Henri Janne, Le système social. Essai de théorie générale, Bruxelles, editions de l institut de sociologie, 1968, p Henri Janne, op.cit., pp notamment dans sa préface à Karl Marx, Œuvres, Economie I, éd. établie par Max. Rubel, la Pléiade, Marcel Bolle de Bal et Vincent Hanssens, Le croyant et le mécréant. Sens, reliances, transcendances, Préface dialoguée d eddy Caekel - berghs et eric de Beukelaer, Bierges, ed. Mols, edgar Morin, La Méthode, 6 tomes, Paris, seuil, de 1977 à dans la collection Points essais, env. 10 par tome. 6. edgar Morin, La Méthode, I. La Nature de la Nature, Paris, seuil, 1977, p edgar Morin, La Méthode, III. La Connaissance de la Connais sance, Paris, seuil, 1984, p. 98. La franc-maçonnerie en débat Paroles croisées de deux Frères Marcel Bolle de BAl, Jacques FontAine dépassant les habituels commentaires historiques ou d'autosatisfaction ésotérique, les auteurs considèrent la maçonnerie comme un objet d'étude scientifique, théorique et pratique, dont elle peut ressortir enrichie, et posent un certain nombre de questions. en quoi la franc-maçonnerie se distingue-t-elle? Comment peut-elle ménager les aspects traditionnels sans renoncer aux approches contemporaines? Quelles mesures concrètes proposer?... dans un précédent ouvrage, Jacques Fontaine avait développé plusieurs concepts clés qui définissaient les principes d'une maçonnerie renouvelée, la franc-maçonnerie libérative. Une fois ces concepts rappelés, ainsi que les réactions de Marcel Bolle de Bal, s'engage un dialogue sans faux-semblants, dans lequel un certain nombre de thèmes sont abordés : le phénomène maçonnique, l'initiation, la mixité, les enjeux maçonniques, la fraternité et ses ambivalences, le travail en loge... en s'appuyant sur les sciences humaines, parfois négligées par l'ordre, cet ouvrage tente de fonder un regard original sur la franc-maçonnerie et d'apporter des propositions de réformes concrètes. Dervy, 2010, 18,33 Réf.: REL15940 Prix Rel.: 16,50 La fraternité maçonnique 4e édition Marcel Bolle de BAl la fraternité maçonnique, se révèle, une fois de plus, source de Force, de Beauté et de sagesse : elle est beaucoup plus qu'un mythe et une illusion : un mythe fondateur, une réalité existentielle, une expérience initiatique. n'est-elle pas, par essence, transcendante par rapport aux aléas des existences particulières". trois voyages jalonnent la quête initiatique de ce mythe fondateur : le premier explore la fraternité comme réalité anthropologique, le deuxième la fraternité comme rêve humain, le troisième la fraternité comme initiation maçonnique. Au terme de ces voyages, la fraternité maçonnique se révèle lien à inventer, reliance à travailler, oeuvre à accomplir. Edimaf, 2013, 23,10 Réf.: REL21086 Prix Rel.: 20,79 au péril des idées Les grandes questions de notre temps edgar MoRin tariq RAMAdAn loin des clichés attachés à leurs réputations, ce sont surtout deux intellectuels ancrés dans leur époque qui débattent ici de tous les sujets qui les rapprochent ou les éloignent : le conflit israélo-palestinien, l'islamisme et le terrorisme, l'antisémitisme et l'islamophobie, le communautarisme et la laïcité, les droits des femmes, la mondialisation et les révolutions arabes... Mais aussi leur conception de l'éducation républicaine. Archipel, 2014, 20,15 Réf.: REL23048 Prix Rel.: 18,14 Reliures 33 Automne-Hiver

6 Le dialogue : un compromis sur quoi? Quant aux religieux, aux responsables d'institutions religieuses, d Églises, ne doit-on pas s'interroger sur le dialogue qu'ils pourraient ou voudraient engager? non pas sur des questions pratiques, matérielles, de circonstances, d'organisation, mais bien sur le fond de leurs religions, sur les options nombreuses et divergentes que leurs fondateurs et ceux qui les ont suivis ont prises? Reposons donc la question : Que cherchezvous? Que voulez-vous trouver?. le jeu (le mot n'est pas péjoratif) ne consisterait-il pas à chercher quelle est la meilleure question à la réponse souhaitée? La recherche d'un compromis, indiquait la définition du Petit Robert. là, s'il s'agit d'une question de divergences entre religions, que signifierait compromis si ce n'est oubli (momentané) ou irrespect (conscient) de la différence ou de l'opposition? Ceux qui parlent de dialogue, ceux qui cherchent un compromis en matière de convictions se rendent-ils compte de ce qu'ils peuvent, de ce qu'ils risquent d'abandonner de ce qu'ils croient? il est facile de prendre pour un dialogue ce qui n'est qu'une juxtaposition de monologues sans interactivité, un prêt d'oreille plus ou moins attentif, une concession de temps polie à charge de revanche... très loin de cela, le dialogue idéal réellement novateur, s'il pouvait exister, demanderait une analyse comparative, point par point, de tous les arguments de chacun, une revue critique de tous les chapitres, un examen approfondi de tous les sens et de toutes les valeurs soutenus par les uns et les autres, et des interprétations croile premier sens du mot dialogue est simple et sans problème, comme l'écrit le Petit Robert : c'est un entretien entre deux personnes. Quoi de plus banal? Mais pour définir le dialogue, le dictionnaire précise : contact et discussion entre deux parties à la recherche d'un accord, d'un compromis. Voilà qui peut être diablement plus inconfortable. Quand il s'agit de ce que l'on peut appeler le dialogue interconvictionnel, celui qui peut avoir lieu entre les religieux, les croyants en dieu(x), ainsi qu'entre ceux-ci et les laïcs, la question que l'on peut que l'on doit se poser est : Que cherchez-vous? Que voulez-vous trouver?. dans ce contexte, que signifie alors contact et discussion entre deux parties à la recherche d'un accord, d'un compromis? Cette recherche d'un accord signifie-telle simplement coexistence pacifique, simple tolérance de l'un pour l'autre? ou collaboration vers un but commun qui dépasserait le cadre des convictions, par exemple dans une entreprise de solidarité? Alors, très bien. innombrables aussi sont les rencontres individuelles ou collectives de croyants en différents dieux qui considèrent qu'en vérité ils partagent le même dieu portant des noms différents et que leurs qualités humaines peuvent compenser cette divergence. et innombrables les rencontres entre croyants en dieu(x) et athées, qui peuvent, les uns et les autres, s'entendre au moins sur ce qui ne touche pas leurs convictions propres. très bien. Heureusement, des accords de vue sont possibles, surtout si les intéressés oublient ce qui les séparent. ou ce qui peut les séparer. Que voulez-vous trouver? Stéphane GILLOT, journaliste honoraire, cofondateur et animateur d'un Café philosophique sées des interprétations collectives et individuelles des mythes, légendes et récits à travers les âges... Interprétation et représentation interprétation : voilà, le mot est dit. tout est interprétation. le terme interprétation a deux sens que l'on peut distinguer. il s'agit d'abord de l'action de concevoir pour soi la réalité ou une partie de la réalité, d'accepter cette réalité et de la nommer plus ou moins objectivement, plus ou moins subjectivement en en transformant l'approche. Un autre sens qui nous intéresse est l'interprétation comme celle d'un acteur : il ne s'agit plus alors d'appréhender la réalité ou d'appréhender une idée, mais de vivre d'une certaine manière un rôle à accepter, à prendre ou à inventer pour soi. C'est le rôle de sa vie. or ce rôle de sa vie, accepté ou construit, sera influencé par l'autre interprétation, son interprétation de la réalité, autrement dit son interprétation de la vie. le dialogue interconvictionnel idéal comprendrait donc l'exposition et l'ouverture à l'autre de son interprétation personnelle de la vie et de sa représentation en termes de valeurs et d'images de valeurs. il s'agirait alors d'oser l'examen et la comparaison. et l'on s'apercevrait sans doute qu'il est impossible de s'affranchir de tous les déterminants connus et incon - nus qui influencent l'esprit humain et son imagination fertile capable d'élaborer les métaphores les plus valorisantes. Chacun a droit à son jardin secret, pense-t-on. Certes, et si l'on s'en satisfait sans nuire, il suffit de parler de monologue intérieur. ou pas... g 4 Reliures 33 Automne-Hiver 2014

7 L indispensable dialogue Aujourd hui, les problèmes auxquels nous devons faire face sont aussi nombreux que complexes : le début et la fin de la vie, la manipulation génétique, les grands principes de justice sociale - qui sont pour beaucoup de personnes moins universels que nous le prétendons ; et puis il y a les tragédies humaines créées par la guerre, par le terrorisme et par les autres formes de violence (violences conjugales, violences envers les enfants, les femmes, les immigrés, la nature, etc.) ; nous ne pouvons pas ignorer non plus toutes les questions qui se posent autour de la santé, de la famille, de la sexualité toutes ces questions, et bien d autres, auxquelles aucun individu, aucun groupe, ne peut préten - dre donner une réponse adéquate et définitive, nous invitent à réfléchir sur notre manière d être dans le monde pluriel d aujourd hui. et c est là où le dialogue entre en jeu. il va, d ailleurs, bien au-delà de la tolérance mais il est relativement peu pratiqué et pourtant, il est proprement indispensable. Dialogue et respect dire que le dialogue va bien audelà de la tolérance peut sembler choquant pour ceux qui la considèrent comme une attitude, voire une vertu, absolument fondamentale pour la construction d un monde plus juste, plus paisible, plus ouvert. le problème, c est qu il ne suffit pas de tolérer les autres, leurs croyances, leurs convictions, leurs manières de penser et de vivre pour Dennis GIRA, spécialiste du bouddhisme et du dialogue inter-religieux 1 que le monde s améliore. Pour comprendre pourquoi, il suffit de méditer la phrase : X tolère Y. il est clair qu il n y a là qu un seul acteur dans l acte de tolérer : X. Y est là, mais il (ou elle) est dans une situation tout à fait particulière et troublante. en réalité, il subit la tolérance! il peut se demander ce que X attend de lui. Peut-être rien! il peut aussi avoir l impression que la tolérance va de pair avec la domination car il sait bien que ce sont habituellement les riches qui tolèrent les pauvres, et non pas l inverse, les personnes intellectuellement douées qui tolèrent celles qui ne le sont pas, etc. Quand on se met à la place de quelqu un qui est toléré, on commence à comprendre pourquoi il peut ne pas apprécier cette expérience. Mais en quoi est-ce que le dialogue diffère radicalement de la tolérance? Remplaçons dans notre phrase le verbe tolérer par le mot dialoguer et cela donne : X dialogue avec Y. tout change. d abord, il y a nécessairement deux acteurs, et non pas un seul, dans cet acte de dialoguer. et ils sont à égalité. ensuite, celui qui s engage dans le dialogue montre, par ce fait même, qu il s intéresse à ce que l autre pense et vit, qu il est convaincu que cet autre a quelque chose d important à lui dire. Bref, il attend beaucoup de l autre! et l autre le comprend bien. C est ce respect qui fait la différence. (il est clair que beaucoup de personnes qui se disent tolérantes sont aussi convaincues que les autres ont quelque chose d important à leur dire mais ici il s agit simplement de souligner que l attitude de ces personnes est en fait beaucoup plus dialogale que tolérante. et leurs interlocuteurs le saisissent sans doute très bien et entrent volontiers, eux aussi, dans la dyna- Le dialogue à La portée de tous (ou presque) dennis GiRA l auteur entend mettre son expérience très originale du dialogue au profit de tous. Que le dialogue soit interreligieux, interculturel (il est lui-même entre plusieurs cultures, plusieurs langues et religions), mais aussi politique, philosophique, et jusqu'au dialogue dans le couple, l'amitié, etc. Ce livre part d'exemples précis et vécus pour nous faire entrer dans la démarche originale du dialogue avec l'autre. exemples souvent déroutants, parfois pleins d'humour, qui illustrent ce qui aide et construit le dialogue et ce qui peut le bloquer et le détruire parfois. et pourquoi. on découvre les règles d'or du dialogue, ses bonheurs mais aussi ses écueils, ses drames. Bayard, 2012, 18 Réf.: REL19371 Prix Rel.: 16;20 Le Lotus ou La croix Les raisons d un choix dennis GiRA l auteur livre les raisons qui l ont amené à choisir le christianisme plutôt que le bouddhisme. il engage ainsi une profonde réflexion sur la conception de la divinité, de la voie spirituelle, de la résurrection et de la réincarnation, à partir de son expérience personnelle. en approfondissant les spécificités de chacune des deux religions, des deux voies, il nous conduit à un choix, le sien, fondé sur la primauté chrétienne donnée aux relations interpersonnelles, à l amour du prochain et au sens du pardon. Bayard, 2014, 19,90 Réf.: REL4813 Prix Rel.: 17,95 Le bouddhisme à L'usage de mes filles dennis GiRA l auteur présente dans un langage simple, à l'usage des jeunes (et des moins jeunes!), la doctrine du bouddhisme, ses rites et sa discipline, sa conception de la vie, de la souffrance, du "Moi", de la mort, du prochain... il parle aussi des bouddhismes et montre le risque des comparaisons ou des oppositions faciles avec le christianisme. Seuil, 2000, 14,70 Réf.: REL23873 Prix Rel.: 13,23 Reliures 33 Automne-Hiver

8 mique du dialogue.) Le dialogue : un exercice structurant Ce respect ne va pas de soi pour tous et c est pourquoi il faut le fonder. C est un travail que tous ceux qui veulent s engager dans le dialogue doivent faire, chacun puisant dans les ressources qui sont les siennes (sa philosophie de vie, sa religion, etc.). Puisque cet article vise un public très large, nous nous limiterons à une réflexion sur les fondements humains de ce respect, et donc de tout dialogue, en puisant surtout dans la dynamique même de la relation interpersonnelle laquelle est proprement structurante pour tout être humain et donc pour toute société. notre point de départ sera une expression qu on entend souvent dans certains milieux : toute personne est un mystère. ici cette affirmation n a rien d un article de foi! le mot mystère ici ne désigne pas une réalité ou une vérité que nous ne comprendrons jamais. il s agit plutôt d une réalité si profonde, si riche, que nous ne cesserons jamais de la découvrir. on comprend mieux le sens et la portée de cette affirmation quand on essaie d imaginer ce que serait notre monde en l absence de ce principe. en effet, si la personne humaine cessait d être un mystère, dans le sens que nous Les religions d'aujourd'hui Une histoire pour quel avenir? dennis GiRA, Jean-luc PoUtHieR la religion est au cœur de l'actualité. elle recouvre cependant des expériences très différentes selon les époques et selon les continents. Ce livre s'efforce d'en donner, d'une façon synthétique, les principales dimensions : les origines, les sources, les rites, les grandes figures, l'évolution au cours de l'histoire, les tendances actuelles. en huit chapitres : le judaïsme ; le christianisme ; l'islam ; l'hindouisme ; le bouddhisme ; le confucianisme et le taoïsme ; les religions traditionnelles ; les fondamentalismes et les nouveaux syncrétismes. Avec des cartes, des illustrations et des analyses. Petite encyclopédie Larousse, 2008, 11,30 Réf.: REL23874 Prix Rel.: 10,17 avons donné à ce mot, la vie ensemble deviendrait un enfer. Chacun pourrait imaginer avoir totalement compris les autres. Mais au lieu de les comprendre, il ne ferait que les réduire à l idée qu il se fait d eux à un moment donné au lieu d être radicalement ouvert à ce qu ils sont en profondeur. si les choses se passent mal dans la vie d un couple, par exemple, ou dans n importe quelle autre relation, c est très souvent parce que le mystère de la personne n est plus respecté : l un des partenaires réduit l autre à l idée qu il se fait de lui ou d elle. il prend sur lui de définir ce qui échappe à toute définition et n attend donc plus rien de l autre. Alors, le dialogue et toute relation interpersonnelle authentique de - viennent impossibles. et à l opposé, qui n a jamais fait l expérience que c est dans le processus même de la découverte de l autre, dans sa différence, qu on se découvre soi-même? Le dialogue en pratique la personne qui veut vraiment s engager dans le dialogue doit s armer de plusieurs attitudes qui n ont pas vraiment la cote aujourd hui, et notamment l humilité. dans cette humilité, il reconnaîtra qu il y a une distinction à faire entre la vérité en soi et ce qu il peut en comprendre. Mais cela ne s arrête pas là! tour à tour, il va saisir les distinctions qu il a à faire entre ce qu il peut comprendre de la vérité et ce qu il en comprend réellement ; entre ce qu il en comprend réellement et ce qu il peut en dire ; et, enfin, entre ce qu il peut dire de la vérité et ce que les autres peuvent comprendre de ses paroles. C est vertigineux!! C est aussi ce qui montre à quel point le dialogue est vraiment indispensable. Personne, nous l avons vu, ne peut prétendre répondre définitivement aux questions qui se posent aujourd hui dans tous les domaines. il est évident que nous avons besoin les uns des autres pour nous approcher peu à peu de la vérité qui, elle aussi, est mystère. en effet, personne ne peut se permet - tre d imaginer que ce qu il com - prend de la vérité coïncide parfaitement avec cette vérité. Celui qui s isole des autres dans cette recherche s enferme dans une illusion qui est le produit de son autosuffisance. il sera incapable de reconnaître le caractère évolutif des questions qui nous préoccupent et de notre manière d y répondre. Conclusion souvent les gens très ouverts au dialogue se demandent que faire quand les autres refusent de dialoguer. eh bien, dans ces circonstances, on ne peut pas dialoguer! C est sans doute là que la tolérance devient importante, à condition que ceux qui adoptent cette attitude ne s y enferment pas définitivement. il est possible aussi que ceux qui se montrent peu ouverts au dialogue aient simplement une autre idée de ce qu est le dialogue, car il faut avouer que cet exercice est le plus souvent pensé et vécu de manière très occidentale. se mettre à l écoute de l autre sur ce point, c est à la fois s ouvrir à lui et pratiquer le dialogue tel que nous le comprenons. et quand tout dialogue semble vraiment impossible? on peut toujours alors rester un être de dialogue et ne jamais perdre de vue le fait que cet autre, qui est sans doute autrement autre que nous l imaginons, demeure toujours un mystère à découvrir, un mystère qui peut aussi nous aider à mieux découvrir le mystère que nous sommes. le dialogue est donc véritablement un long chemin de patience qui nous permet de découvrir la beauté et le mystère de l autre et les nôtres. g 1. dennis Gira a été directeur adjoint de l institut de science et de théologie des Religions de l institut Catholique de Paris de 1986 à Actuellement à la retraite il continue à donner des cours à l institut Catholique de lyon, au Centre sèvres et dans plusieurs grands séminaires. 6 Reliures 33 Automne-Hiver 2014

9 Ceci n est pas un dialogue En évoquant Magritte et son célèbre tableau de la pipe, on pourrait dire de la pratique du dialogue qu elle est à la fois la chose et la représentation qu on s en fait, à côté de la dialectique qui se dégage de cette confrontation pour nous inciter à nous méfier des apparences, cette trahison des images. Eh oui, c est compliqué le dialogue et les notions méritent d être précisées. idéalement le dialogue n est en rien une discussion ou un débat ou un discours mais bien une sorte d échange entre deux ou plusieurs personnes, non pas dans le but de vaincre ou de convaincre autrui mais, dans une écoute active et un respect mutuel, pour échanger des arguments faisant sens pour chaque locuteur et prolongeant la réflexion propre de chacun d entre eux. Ce type de communication qui est un langage verbal et non verbal, de surcroît susceptible de transformer chaque intervenant en toute liberté, est intéressant pour un psy car il le renvoie à ses méthodes d action psychologique où, quelque part, les inconscients devraient se parler, non seulement en psychanalyse mais également dans les multiples thérapies qui en sont dérivées. l étymologie dia, ce qui traverse, et logos, la parole, nous emmène vers une traversée d un genre particulier entre êtres humains. Pour nous, ce dialogue devrait aboutir à une remise en question de soi, un surplus de compréhension de soi-même et des autres, un élargissement du champ de conscience, bref à un cheminement séduisant, gage de paix et de fraternité humaine. Quand on considère les dialogues de sourds dont nous sommes capables ou les fantasmes de puissance et les volontés de changer l autre qui nous habitent, on peut s interroger sur les faibles capacités de dialogue que nous manifestons tous les jours. C est ici qu interviennent notamment les différents travailleurs des sciences humaines, dont l objectif est de restaurer des possibilités de dialogue, par-delà les blocages de l éducation et les diverses frustrations de l existence qui entraînent le risque de la désillusion, du retrait social et de la déprime. en entendant rester sur un plan psychologique, je voudrais survoler quelques techniques, bien que le terme renvoie autant à des méthodes d action psychologique qu à des façons d être dans cette relation privilégiée de confiance et de confidence qui s établit entre le thérapeute et son client. Rappelons que c est au départ d une écoute attentive des difficultés actuelles et passées de la vie d une personne que se dégagent des mécanismes mis en œuvre par celle-ci à son insu. dans le meilleur des cas, une modification est attendue dans la façon d être, par la prise de conscience progressive d attitudes et de phénomènes quotidiens et répétitifs, conscients et infra-conscients. tels sont les buts recherchés dans les thérapies, par-delà les écoles de pensée et les théories qui s y réfèrent. il ne faudrait pas croire toutefois que les psychothérapies seraient une sorte de médecine alternative ou de médecine douce. le domaine psychologique a ses indications et contre-indications propres ; il a ses nombreuses variantes aussi (et le profane risque à juste titre de s y perdre), Maurice KORN, psychiatre depuis les thérapies d accompagnement psychologique, de sophrologie, de thérapies de relaxation ou de rêve éveillé jusqu aux psychothérapies plus longues qui entendent effectuer un travail davantage en profondeur et non exempt de résurgence de souffrances liées à des conflits anciens non résolus. Car il ne suffit pas d écouter seulement, premier pas dans l aide, il faut encore arriver à mobiliser les ressources positives de la personne en malêtre : la parole du psy ne peut devenir dialogue que lorsqu on est prêt à l entendre. les thérapies de couple se sont fortement développées, on s en doute, là où la capacité de dialoguer est tous les jours mise à l épreuve depuis que les couples recherchent, voire exigent, un épanouissement personnel associé à un bon degré de contentement plus ou moins réciproque. tous les ingrédients de la vie commune seront à nuancer, à décortiquer, à travailler : les disputes toxiques, les non-dits, les difficultés à se faire entendre, les épisodes douloureux mal cicatrisés, les volontés de changer l autre, les drames, etc. de grandes épreuves à traverser ensemble tantôt souderont le couple, tantôt seront le marchepied de sa désintégration. C est qu il est souvent dur d entendre les besoins et les désirs de l autre et d accepter d y répondre en partie mais tel est Reliures 33 Automne-Hiver

10 la laïcité, c était d abord l émancipation de ce carcan moralisateur d une religion habituée à régner sans partage sur les con - sciences (et les corps!) et qui se croyait légitime à décréter urbi et orbi ce qui était bon pour chacun. la laïcité signait la défaite des berl enjeu des partenaires aspirant à une aide extérieure et rechignant à se précipiter d emblée chez les avocats. loin du rôle des gourous et des manipulateurs, celui du psy se doit de faire émerger de la personne une conscientisation de ce qu elle est et accepte d être, dans la visée d une amélioration de son fonctionnement sociétal et d un certain bonheur personnel. on comprendra que ce travail ne peut avoir lieu que dans le respect de règles éthiques guidant le thérapeute. Un sacré mot, le dialogue! le psychiatre, quant à lui, à côté des médicaments dont il dispose pour traiter tout un éventail de pathologies, se doit dans tous les cas d y adjoindre un dialogue digne de ce nom. les détresses humaines et les solitudes sont légion, variées, sans fin. Un père n arrive plus à communiquer avec son fils, un autre déprime et n entrevoit plus que le suicide comme issue, un autre encore craint de passer à l acte en devenant violent, un veuf depuis un an n arrive pas à se rétablir et n ose plus déranger ses amis, une mère s inquiète pour son adolescent qui s isole de plus en plus, une jeune fille longtemps abusée sexuellement dans le milieu familial ne parvient pas à revivre, un travailleur se sent harcelé sur son lieu de travail. Croire au dialogue et s en préoccuper, c est miser sur un avenir meilleur de notre humanité, pas moins. g en finir avec La tolérance? Différences religieuses et rêve andalou Adrien CAndiARd la place importante de l'islam dans l'europe d'aujourd'hui vient bouleverser le modèle de tolérance hérité des lumières, fondé sur la mise à l'écart des vérités religieuses jugées nécessairement irrationnelles. de cette tolérance, al-andalus apparaît souvent comme le modèle. Mais la véritable leçon de l'anda lousie est peut-être que le véritable respect ne cherche pas à gommer les différences pour parvenir au consensus. il serait urgent de faire revenir les questions religieuses dans le cercle de la raison, dont on les a exclues un peu hâtivement. PUF, 2014, 12 Réf.: REL23875 Prix Rel.: 10,80 Secularism or democracy (laïcité ou démocratie) est le titre de l ouvrage du philosophe hollandais Veit Bader, qui a consacré toute sa vie au travail sur l interculturalité et les relations entre l etat, les religions, la société. son titre est un jugement sans appel sur le secularism par quoi il désigne essentiellement la laïcité à la française, qu il voit comme une sorte de paternalisme d etat, très peu soucieux de la dignité et de l autonomie des personnes, et résolument hostile à la religion. Veit Bader est probablement sans nuance mais il met le doigt sur une forme de dérive ou d involution de la notion de laïcité dans le discours de ceux qui la défendent. Je partage assez bien ce jugement, au moins sur ce que je peux observer du monde francophone (France, Belgique francophone, Québec). il y a quarante ans, tous les militants progressistes étaient naturellement laïques. Certes, on connaissait déjà une certaine forme agaçante de laïcité bouffeuse de curés mais cela semblait un défaut sans grande importance face à la promesse majeure de la laïcité : celle d un monde débarrassé des prêcheurs et des prophètes, de tous ces gens pieux qui se croient investis du pouvoir de distinguer, seuls, le bien du mal, et d imposer leur vision à l ensemble de la société. La vraie morale gers déterminés à conduire le troupeau et prêts à tout pour récupérer les brebis égarées. la laïcité, même si elle avait d autres racines, accompagnait le grand mouvement des consciences pour la libre disposition de soi, qui anima la jeunesse du début des années 60 au milieu des années 80. Mais ce mouvement s est inversé progressivement il y a vingt-cinq ans. et l on en voit le résultat aujourd hui : le discours laïque s est retrouvé lui-même farci d interdits et de diktats. Une partie de la laïcité a, sur ce point fondamental, retourné sa veste : elle s est mise à parler de moins en moins de tolérance et de plus en plus d interdictions et d obligations. elle a commencé à s obséder sur les signes : cachez ce symbole que je ne saurais voir. elle a cessé d ouvrir les portes pour construire des murs. elle a abandonné la joyeuse maxime de Pascal la vraie morale se moque de la morale. elle n est plus la jeune fille espiègle qui fait la nique aux vieux moralisateurs, mais bien la vieille douairière qui tient la chandelle. Bien sûr, ce qui précède est un peu court. d abord parce que tous ceux qui se réclament de la laïcité n ont pas emprunté ce chemin et qu il en reste beaucoup (une minorité, cependant) qui continuent à s ancrer du côté de la révolte et de la désobéissance. ensuite parce qu il faudrait s interroger sur les fondements philosophiques de cette évolution, les fonctions fondamentales de la laïcité, la manière dont ces fonctions ont évolué et les raisons de ce durcissement. Je pose ces questions dans une série de textes, plus construits et plus élaborés 1. Mais au bout du compte, le sen- 8 Reliures 33 Automne-Hiver 2014

11 se moque de la morale (Blaise Pascal) timent de déception, voire de trahison, que l on peut éprouver quand on a connu la laïcité des années 70, il est bien dans ce retournement (ou cette confusion?) autour de l autorité : je croyais la laïcité du côté de Robin des bois, et je la retrouve assise aux pieds de Jean sans terre. Je l imaginais Guillaume tell et voilà qu elle prend les traits du bailli Gessler. il y a à ce cheminement des raisons compréhensibles, sans doute. dans ce moment où les peuples d europe ont peur, la demande de loi et d ordre se fait pressante et la religion n est certainement plus en mesure d y répondre, alors il semble que son vieil adversaire fasse l affaire. Quand l eglise ne peut plus répondre aux angoisses du temps, pourquoi ne pas aller chercher la contre-église? Cette évolution a très probablement quelque chose à voir avec l omniprésence de la laïcité dans le débat public. la laïcité a sans doute une capacité à exprimer ce besoin d autorité qui se fait jour dans nos sociétés et cela lui assure une certaine visibilité. Mais le prix à payer, c est le renoncement à ce qui fait son essence même, sa capacité à se mettre à distance de toutes les morales à prétention dogmatique et ainsi à garder les questions morales ouvertes, ce qui est le propre de la démocratie. il est temps que la laïcité se détourne de son obsession pour les signes, les règles et les interdits et retrouve l idée de Pascal. sinon, après avoir combattu le dogmatisme durant plus de deux cents ans, elle deviendra elle-même le dogmatisme du 21ème siècle. g 1. Marc Jacquemain, dix arguments laïques contre l interdiction du voile Marc JACQUEMAIN, professeur de sociologie à l Université de Liège in Marc Jacquemain et nadine Rosa- Rosso, Du bon usage de la laïcité, Aden, ou encore : Marc Jacquemain, la laïcité contre ellemême in tayush, Les défis du pluriel. Egalité, diversité, laïcité, Couleurs livres, 2014, Marc Jacquemain et Géraldine Brausch : neutralité de quoi, pour qui, comment?, La Revue nouvelle, septembre Les Lumières de La religion Jean-Marc FeRRY elodie Maurot (interviewer) Quelle place accorder aujourd'hui aux religions dans les démocraties? Que peut-on espérer du dialogue entre croy ants et noncroyants dans une société devenue plurielle et sécularisée? Quel rôle peut jouer la religion dans la modernité du XXie siècle? Jean-Marc Ferry prend à bras-le-corps ces questions difficiles, laissées en déshérence ou livrées aux excès de tous bords. Refu - sant les pièges d'un laïcisme souvent ignorant, tout comme les hégémonies religieuses, il reprend le fil d'une longue tradition philosophique qui a toujours pris au sérieux la question religieuse, même quand elle s'y opposait. Bayard, 2013, 19 REL21820 Prix Rel.: 17,10 notre Laïcité ou les religions dans l'espace public emile PoUlAt entretiens avec olivier Bobineau et Bernadette sauvaget Pourquoi donc la laïcité fait-elle toujours débat? Quels en sont précisément les principes? Connaît-on vraiment ses origines? Pourquoi est-ce l'islam et l'école, parfois les deux conjugués, qui déclenchent si souvent la polémique? Mais finalement, peut-on définir la laïcité? DDB, 8,50 REL23876 Prix Rel.: 7,65 du bon usage de La Laïcité Marc JACQUeMAin, nadine RosA-Rosso (dir) Contre une dérive, nous avons voulu rassembler des textes qui défendent, chacun à leur manière, et à partir de bords philosophiques différents, une autre façon de concevoir la laïcité : positive et démocratique, sans concession ni fadeur. la laïcité ici proposée organise, dans le respect des lois communes, la cohabitation pacifique des con ceptions religieuses et philosophiques. elle n est pas l organisation du combat con tre les religions. elle ne peut servir de prétexte pour justifier la discrimination à l égard de quelque citoyen(ne) que ce soit. Aden, 15 Réf.: REL11854 Prix Rel.: 13,50 Les défis du pluriel Egalité, diversité, laïcité tayush les procès d intention se multiplient et les imaginations s enflamment. sous des formes dures ou plus voilées, la xénophobie envahit l espace public, les médias et les réseaux sociaux. le groupe de réflexion tayush s est donné pour objectif de dégonfler les imaginaires et de faire entendre la voix des éternels accusés. les valeurs dont une société se prévaut ne sont pas à géométrie variable. C est le point de vue que défendent les quatorze textes réunis ici. Chacun adoptant un angle spécifique, de l école au travail, en passant par l antiracisme, le féminisme ou la laïcité, tous essayent de démystifier les fantasmes et de rappeler les exigences de la démocratie. Couleur livres, 2014, 18 Réf.: REL23840 Prix Rel.: 16,20 La Laïcité falsifiée Jean BAUBÉRot la nouvelle laïcité de la droite française se pare de valeurs partagées comme la démocratie, l'égalité des sexes et la liberté d'expression. il est donc urgent d'analyser, point par point, comment la laïcité peut être ainsi falsifiée et pourquoi on fait dire aussi facilement à la loi de séparation de 1905 le contraire de ce qu'elle a réellement dit. C'est ce que fait Jean Baubérot dans cet essai, où il démonte les mécanismes de la nouvelle laïcité et montre que, pour la promouvoir, il faut oser mettre en cause les structures dominantes de la société elle-même. dans deux chapitres conclusifs passionnants, il propose un programme républicain pour refonder la laïcité et une libération des cléricalismes d'aujourd'hui, grâce à la recherche d'un art de vivre : la laïcité intérieure. La Découverte, 2014, 11 Réf.: REL19369 Prix Rel.: 9,90 Reliures 33 Automne-Hiver

12 Convictions - Laïcité - Dialogue Johannes ROBYN, président de la Maison de la Laïcité Lucia De Brouckère à Bruxelles l Histoire nous montre à suffisance que l intolérance intrinsèque à la plupart des croyances n a pas vraiment favorisé le dialogue lorsqu elles sont partie prenante du pouvoir politique. Un grand problème réside dans le fait que les convictions religieuses sont, et ont souvent été, exploitées par les puissances financières et politiques. Ce détournement au profit de quelques-uns a conduit et conduit toujours au refus de l autre, au racisme et à des massacres sur des fondements religieux. de même l individu, quelles que soient ses croyances ou convictions, n est pas toujours lui non plus ouvert au dialogue. La belgique, état Laïque... ou presque Du principe à la réalité Jean-Philippe schreiber la Belgique est un État laïque, ou presque. sa Constitution résolument séparatrice le montre. toutefois, elle continue à faire la part belle aux cultes : en les finançant; en admettant qu ils interviennent dans l enseignement public, par les cours de religion; en perpétuant leurs privilèges archaïques dans l espace public. surtout, survivance d une histoire elle aussi dépassée, elle maintient à grands frais deux réseaux d enseignement, l officiel et le libre. dans cet essai décapant, Jean-Philippe schreiber invite à tourner la page, pour revenir à une authentique laïcité constitutionnelle : en mettant fin, progressivement, au financement public des cultes et aux cours de religion dans l enseignement officiel, en abrogeant les derniers symboles religieux dans l ordre public et en évoluant vers un réseau scolaire unique, sous l autorité de l État. Liberté j écris ton nom, 2014, 12 Réf.: REL23877 Prix Rel.: 10,80 en effet, la difficulté réside principalement dans le préjugé affirmant que nos croyances, provenant d un héritage familial et culturel séculaire, sont les seules valables. nous sommes persuadés que nos certitudes et nos convictions font partie de cet héritage culturel particulier, et, dans la plupart des circonstances, nous avons tendance à forger notre identité en fonction de cette différence par rapport aux autres. les limites à cette ouverture d esprit résident aussi en chacun de nous à comprendre notre propre intolérance face à d autres convictions. Admettre et comprendre qu il existe et a existé de tous temps des croyances et des convictions différentes des siennes peut favoriser la prise de conscience que le dialogue est indispensable pour réaliser une liberté de pensée et d expression nécessaires à une véritable démocratie humaniste. Actuellement la politisation des croyances mène le dialogue à l échec du fait de la récupération à des fins politiques et de pouvoir. les convictions sont du domaine individuel et non pas du domaine politique. Ce dialogue ne peut avoir lieu que si chacun relativise ses convictions et ses croyances dans un but humaniste et démocratique. nous sommes des citoyens responsables dans une société démocratique et partant nous sommes à l écoute de ceux qui semblent différents. nous cherchons le dialogue en vue de bien vivre Marc DEWRÉE, administrateur de la Fédération des Amis de la Morale Laïque ensemble car seule une connaissance mutuelle le permet. La démocratie implique le dialogue interconvictionnel la société se doit d être tolérante sans qu il y ait l idée de condescendance ni de permission ni d imposition. la tolérance active promeut la liberté de pensée et d expression. Au sein de l État, toutes les convictions peuvent s exprimer sans qu il y en ait une qui soit mise en exergue. la morale du pays est une morale démocratique indépendante des religions. il faut considérer l être humain dans son individualité et dans sa liberté de conscience. le dialogue permet de vaincre les préjugés, les certitudes et les amalgames. dans toutes les convictions et les religions, il existe des femmes et des hommes qui cherchent le dialogue. la force des mots, moteurs d échanges, est un des pièges dont nous devons nous émanciper. Aucun mot, dans la langue parlée courante, n a un sens unique. tout dialogue est, ou risque, d être faussé par l interprétation que nous donnons à nos mots. le dialogue permet, ensemble, de redéfinir les mots. la connaissance de la définition de chacun favorise la compréhension mutuelle. les limites de la discussion sont le retranchement derrière la foi ou les certitudes aveugles qui rendent le dialogue difficile, voire impossible, ainsi que les limites 10 Reliures 33 Automne-Hiver 2014

13 que se donne la société démocratique. les amalgames politiques et l incompréhension sont sources de difficultés. l espoir, notre espoir, à nous laïques, ne consiste pas à imposer une croyance ou un dogme à l individu, seule brique de la construction sociale ; il s agit de faire comprendre à chaque individu qu aucune croyance ou conviction ne peut s imposer par une loi à tous. la liberté de conscience, de pensée et de s exprimer sont les fondements d une société dans laquelle les êtres humains peuvent vivre en paix sans nécessairement être d accord entre eux Une telle société reste encore à construire, c est notre espoir etre humain, c est dialoguer, être laïque c est en plus être citoyen responsable et ouvert. Pour nous la Laïcité a un enjeu démocratique et la laïcité dans l Etat permet à chacun de vivre librement sa religion ou ses convictions. Le dialogue interconvictionnel permet justement de mieux connaître l autre pour apprendre à vivre ensemble dans le respect de chacun. Nous sommes des citoyens responsables et soucieux du dialogue. Henri Bartholomeussen (Prési - dent du Centre d Action laïque - Le soir, vendredi 20 juin 2014). g neutralité et faits religieux Quelles interractions dans les services publics? dominique CABiAUX, Françoise WiBRin, luan ABedinAJ et laurence BlÉsin la question du port de signes religieux dans les services publics se rencon tre partout. l équilibre historique atteint dans les sociétés d europe continentale entre institutions publiques et religion est aujourd hui bousculé. il devient souvent objet de conflit. Academia, 2014, 19,50 REL23808 Prix Rel.: 17,55 Enseigner la religion de l autre? le débat sur le maintien des cours de morale et de religion n est pas prêt de s essouffler il nous tiendra encore un certain temps en haleine sur le sort que le Politique réservera à ces cours. Bulles à la fois d éducation et de respiration, ces classes restent un lieu privilégié, dans le curriculum scolaire, qui permettent aux élèves de se poser des questions et de réfléchir ensemble sur le sens de la vie, de la morale, de l engagement. Aucun autre cours ne peut se permettre de prendre le temps d approfondir ce type de questionnement et de réflexion. en même temps, il ne fait à peu près aucun doute que les cours de religion et morale, tels qu ils sont organisés aujourd hui, sont appelés à évoluer. dans tous les pays européens où de tels cours sont proposés, on parle de les dé-confessionnaliser. Ceci répond à une volonté de clairement distinguer une éducation à l esprit critique ouverte à tous les possibles tels qu ils sont proposés par une société démocratique, d une éducation à un engagement résultant d un choix philosophique particulier. la première éducation peut être légitimement attendue des écoles par les pouvoirs publics qui les subventionnent avec les deniers communs. Certains, par contre, réclament que la seconde soit renvoyée à la sphère privée et ne soit plus prise en charge comme devoir d État. d aucuns voudraient donc remplacer les cours de morale et de religion par un cours unique d éducation à des valeurs citoyennes Guy RAINOTTE, inspecteur de religion protestante communes. la déclaration de politique communautaire de la Fédé - ration Wallonie-Bruxelles , Fédérer pour réussir, va d ailleurs dans ce sens puisqu on peut y lire que le Gouvernement instaurera sous cette législature, dans les écoles de l enseignement officiel, progressivement à partir de la première primaire, un cours commun d éducation à la citoyenneté, dans le respect des principes de la neutralité, en lieu et place d une heure de cours confessionnel ou de morale laïque. nous ne connaissons pas encore le programme qui sera élaboré pour ce cours, pas plus que les modalités d organisation, ni qui le donnera. on observe cependant que tous les projets ou réformes en cours dans les pays européens convergent autour de trois grands axes, à savoir le questionnement philosophique, la citoyenneté et le dialogue interconvictionnel. Au risque de faire une généralisation abusive, le monde laïque désirerait donner plus de poids aux deux premiers et réduire à portion congrue le troisième. toutefois, un colloque récent organisé par l UlB 1 a démontré clairement que la dimension religieuse est une donnée incontournable dans cette éducation commune. en effet, au-delà de la dimension religieuse, il y a toutes les questions liées à la pluralité des identités culturelles et convictionnelles. il est inconcevable de les évacuer d un cours qui aurait pour vocation de préparer les enfants et les ados au vivre-ensemble. Cependant Quand on pousse un peu plus Reliures 33 Automne-Hiver

14 dieu, ado-naï, allah et moi Guy RAinotte, réalisateur Un dvd à usage pédagogique sur le rapport que les jeunes entretiennent avec le religieux et la spiritualité, dans les trois courants monothéistes : christianisme, judaïsme et islam. 65 jeunes se sont confiés face à la caméra. ils sont chrétiens (catholiques et protestants), juifs et musulmans. Commentaires de : Anne debra, salah echallaoui, Philippe Haddad, Régina Muller, Gabriel Ringlet, Michel sasseville, olivier servais. Spirit of event, 22 Réf.: REL13219 Prix Rel.: 19,80 dieu? La parole aux enfants Pédagogie pour une spiritualité en mouvement Guy RAinotte, lytta BAsset Ce documentaire oecuménique vous invite à partir à la rencontre de spécialistes de l enfance et de la pédagogie, protestants et catholiques, qui ont décidé de prendre les enfants au sérieux, de partir de leur questionnement et de leurs représentations pour les aider à construire leur propre spiritualité. Vous découvrirez aussi des expériences d ateliers théologiques qui utilisent des techniques d animations aussi variées que l animation de discussions à visée théologique, le dessin, le récit, la confrontation avec l art religigieux. Meromedia, 2010, 20 Réf.: REL23878 Prix Rel.: 18 La narratologie appliquée aux textes bibliques Guy RAinotte Un outil pédagogique sous la forme d un coffret de deux dvd-vidéos. Près de 8 heures de vidéos accompagnées des documents pour appren dre et s exercer à la narratologie. Pour les 17 récits de l Ancien testament, vous retrouverez elena di Pede, Michael langlois et Corine lanoir. Pour les 23 récits du nouveau testament, vous découvrirez les lectures de simon Butticaz, elian Cuvillier, daniel Marguerat et Geert Van oyen. Un outil pédagogique original conçu pour les enseignants, les animateurs de groupes de lecture biblique, les étudiants et tout lecteur de la Bible désireux de renouveler son approche des récits. Cinéprodoc, 2014, 27 Réf.: REL23879 Prix Rel.: 24,30 loin la réflexion ou l analyse de ce qui se fait ou se dessine comme projets, l éducation au dialogue interconvictionnel se résume à une étude comparée des religions et courants convictionnels. Je pense qu un catalogue comparatif des doctrines et des rites n apporte pas grand-chose à l éducation vers une citoyenneté ouverte à la diversité et au dialogue interconvictionnel. Pas plus que cette approche purement cognitive n intéresse vraiment nos jeunes, et en particulier nos adolescents. Au-delà du fait qu il est très difficile de parler de la conviction de l autre sans tomber dans des schémas réducteurs, des caricatures, voire des stigmatisations, c est le sens que revêt l objectivation d une religion qui me pose question. Je me rappelle la très belle exposition Dieux, modes d emploi, initiée à Bruxel - les (tour et taxis, octobre 2006 à mai 2007) 2. Je suis sorti de cette exposition intéressé mais sans avoir, à aucun moment, été mis en résonance par rapport à mon vécu comme protestant. et je sais n avoir pas été le seul dit autrement, ce n est pas parce qu on fait l exposé même bien documenté d une religion qu on dit le moindre mot sur ce qu elle représente pour la vie des personnes qui s en réclament, sur ce que la religion fait aux gens 3. or, ce qui intéresse les jeunes, ce sont d abord des questions éthiques, voire basiques du quotidien : Qu est-ce que je fais si, Pourquoi devrais-je m intéresser à, etc. ensuite, on peut en emmener beaucoup vers des questions plus philosophiques sur le sens des choses et de l existence. enfin, certains se laisseront toucher par des questions plus théologiques. si la religion les intéresse, ce n est que par les implications qu elle peut avoir dans leur quotidien, que par les liens qu elle peut avoir avec les questions de sens qu ils se posent sur leur propre vie. A fortiori, quand on leur parle des autres religions, celles-ci n auront d intérêt que par la résonance qu elles ont dans ce que vivent ceux et celles qui s en réclament. et donc je me pose la question : comment, moi, protestant, suis-je à même de parler de ce que représente la religion israélite dans la vie d un juif? Cela m est impossi- ble Je fais le parallèle avec la shoah. Vous pouvez en parler à une classe, montrer des documents sur la condition juive pendant l occupation ou les camps de concentration. les élèves seront, au mieux, intéressés. Mais rien ne remplacera le témoignage d une personne qui a vécu un pogrome ou en a reçu les récits d un proche. Je défendrai ainsi le devoir, pour un état démocratique, d in - scrire dans son programme d enseignement l éducation à un re - gard, certes critique et documenté, sur le religieux, mais sans sousestimer l importance et la prise en compte du rapport affectif à l univers convictionnel. Un rapport qui est d ailleurs d autant plus fort que la conviction est forte. Qu est-ce qu une religion sans témoins? Une religion n est que par l onde qu elle provoque dans la vie de ses fidèles. Je ne pense pas que les jeunes laisseront un cours neutre sur les religions questionner leurs propres convictions, ni que ce cours les aidera à s ouvrir au dialogue, à la différence et au vivre-ensemble. Reste à trouver les modalités d organisation d un cours d ouverture au dialogue interconvictionnel qui soit en prise directe avec la vie. C est loin d être facile g 1. Religious and moral education in perspective (20-21 mars 2014). 2. elle a été montée depuis à Madrid, Québec, ottawa et Paris. 3. Pour reprendre le titre du livre d Anne Gotman (Éditions de la maison des sciences de l homme, Charenton-le-Pont, Reliures 33 Automne-Hiver 2014

15 Ouvrir les yeux sur ce qui se vit ailleurs Quand, voici maintenant 15 ans, je me lançais dans l aventure du dialogue interconvictionnel 1, je ne poursuivais qu un objectif : m enrichir de ce que les milieux que j allais rencontrer véhiculaient de plus beau. Pourquoi en suis-je arrivé à me dire que je ne devais plus me contenter de cet objectif dans les travaux que j allais continuer à entreprendre pour favoriser notre compréhension des cultures au - tres? C est en résumant deux récits de la littérature persane que je me ferai comprendre. Le Langage des oiseaux le premier, Le Langage des oiseaux 2, est bien connu, surtout depuis sa mise en scène par J.-Cl. Carrière au Festival d Avignon 3. C est en fait une reprise d une légende iranienne, celle du simorgh, versifiée par le poète mystique persan `Attar 4. les oiseaux, sous la conduite de la huppe, messagère d amour selon le Coran 5, ont décidé de partir à la rencontre de leur dieu suprême. Chacun se choisit une voie propre. la spiritualité qui leur convient. la plupart, au vu des sacrifices demandés, abandonnent. seulement trente d entre eux (en persan trente oiseaux se traduit par sî morgh) arriveront au but, mais surprise! en lieu et place d un dieu visible, audible, palpable, extérieur à eux, c est à leur propre image qu ils se heurtent. dieu, aucun des oiseaux pèlerins ne l a vu. Qui d ailleurs peut le voir? Mais comment, désormais, ne sont-ils pas assurés de son existence? la goutte de rosée brillerait-elle dans le pré du matin, si le soleil ne l illuminait 6? les oiseaux auraient-ils découvert leur propre image si l Absolu vers lequel ils avaient pérégriné ne l éclairait? Participer à une rencontre avec des milieux issus d une autre culture, et ne viser qu à s enrichir du meilleur qu ils véhiculent, finalement, n était-ce pas trop restrictif? saisir comment, dans la recherche du plus beau de soi, chacun tente de lever les obstacles susceptibles d assombrir la lumière de l Abso - lu, soleil qui met en lumière la perle de rosée que nous sommes, au-delà des apparences, n est-ce pas plus approprié? et parmi ces obstacles, outre une soif exacerbée des plaisirs, j entrevois, entre autres, la peur du qu en-dira-t-on, une conception purement matérialiste du monde, l assoupissement dans un agnosticisme destructeur, qui empêche toute prise de position, la suffisance, l amabilité du faible qui se sert de cette arme pour s imposer. Le onzième pas dans une fable merveilleuse 7, susan taqdis, conteuse iranienne contemporaine, nous raconte comment au zoo de téhéran, le lionceau Koutchoulou est satisfait de vivre dans sa cage de dix pas de large. C est qu à tout moment, il peut se prélasser en se frottant dans la fourrure de sa mère, et qu aucune journée ne se passe sans que le gardien n apporte de bons morceaux de viande. Mais un jour, ce dernier, après avoir déposé la nourriture destinée aux deux lions, oublie de fermer la porte. d habitude, quand Kout - choulou a fait dix pas, il se heurte la tête aux barreaux de la cage. Vat-il enfin oser le onzième pas? oui, il le fait, mais trouvant beau le bouquet de jasmin voisin de la porte, il s y couche en dessous et Jacques WILLEMART, docteur en Philosophie et Lettres (ULB), licencié en Langues Orientales Le cantique des oiseaux Farîd od-dîn AttâR Ce poème mystique de la fin du Xiie siècle raconte le voyage de milliers d oiseaux en quête de simurgh, oiseau mythique, manifestation visible du divin, à travers sept vallées symbolisant l'amour, la connaissance, la mort, etc. les trente oiseaux, parvenant à simurgh, n'y voient que le reflet d'eux-mêmes. Diane de Selliers, 2014, 25 Réf.: REL23074 Prix Rel.: 22,50 Le roi, Le sage et Le bouffon Le grand tournoi des religions shafique KesHAVJee suite à d'étranges rêves, le Roi d'un pays lointain, conseillé par son sage et son Bouffon, décide de convoquer le premier Grand tournoi de la Vérité. les concurrents sont des athlètes de haut niveau ; leurs disciplines sont l'athéisme et les grandes religions du monde. A la recherche de la Beauté éternelle et de la sagesse véritable, ils mettront tout en œuvre pour se dépasser et communiquer le meilleur d'eux-mêmes. Mais que se passe-t-il quand un juif, un chrétien, un musulman, un hindou, un bouddhiste et un athée se rencontrent? Qui sortira vainqueur de cette compétition? Une fable brillante et pleine d'humour, où les religions sont au cœur d'un récit passionnant. Points, 2000, 7,20 Réf.: REL1622 Prix Rel.: 6,48 Reliures 33 Automne-Hiver

16 la Maison de la laïcité de la louvière organisait depuis de nombreuses années des conférences sur des sujets variés, ac - cueillant, comme orateurs, des représentants issus de communautés philosophiques ou religieuses différentes. la limite de telles conférences se situait cependant dans la méthode institutionnelle utilisée : un débat entre représentants officiels. or, il nous a semblé percevoir, de la part du public, une envie de pros endort. C est l odeur du repas suivant qui l éveille. Aussitôt il se presse à l intérieur de la cage et reprend sa petite vie. il ignore bien sûr que d autres lionceaux, vivant dans la montagne, ou dans la savane, connaissent le bonheur de la chasse, de la liberté, de la vie dans une société moins restreinte que la sienne. Combien parmi nous, parce qu ils ne sont jamais sortis du cocon familial ou du cadre dans lequel ils ont grandi, n ont jamais osé franchir le grillage derrière lequel ils sont enfermés. ignorant ainsi qu il existe des ailleurs où sont promus d autres comportements, où se vivent d autres joies, d autres façons de concevoir l univers. suite aux activités entraînées par la tenue de la revue Foi et Sagesse, j ai fréquenté les milieux musulmans de namur et environs, je me suis inscrit aux cours de la Grande Mosquée de Bruxelles, aux ateliers organisés par la Maison de la laïcité de namur, j ai assisté à quelques réunions des Bahaïs de la région. si chacun de ces groupes a enrichi ma pensée, m a aidé à relativiser certaines de mes convictions premières, j ai dû constater que, sauf chez les Bahaïs, tous se complaisent à vivre entre eux, dans leur propre cage, sûrs autant de leurs certitudes que de leur façon d approcher la vérité. sans même aucun souci de savoir comment les autres groupes se perçoivent eux-mêmes. Comment combler pareilles lacunes? Comment apprendre à ouvrir les yeux sur ce qui se vit ailleurs? l idée d un atelier d anthropologie m est ainsi venue. Un atelier où les membres inscrits (ils seront dix) allaient avec moi, moi avec eux, élaborer un cours traitant de quelques mentalités très différentes de la nôtre. et lors de la première leçon, une leçon d initiation, nous avons pris conscience que ce cours serait fécond si nous partagions les deux convictions suivantes : - Que nous sommes tous produits d un milieu, non seulement dans nos comportements, mais aussi dans notre manière de penser, dans nos certitudes, comme dans notre façon de percevoir le monde. - Que nos morales, nos philosophies, notre manière d être et de penser ne sont, la plupart du temps, qu une façon, parmi d au - tres, de nous adapter au monde auquel nous nous heurtons. A titre d exemple, voici le programme élaboré pour l année qui vient : 1. Utilité de l anthropologie 2. Une culture en voie de disparition : celles des Peuls et Bambaras du Mali 3. la civilisation des indiens d Amazonie en lutte contre les entreprises qui exploitent leur forêt 4. le vaudou haïtien 5. le monde de la superstition 6. l Arabie saoudite avant l islam 7. le statut des intouchables en inde 8. Roms et Gitans 9. la peinture iranienne, une vision du monde originale. g 1. outre quelques articles ou quelques participations à des débats, tenue d une revue Foi et Sagesse pendant huit ans. 2. traduit en français chez Albin Michel, collection spiritualités Vivantes, sous le titre La Conférence des oiseaux. Mise en scène : Peter Brook. Popularisé et repris depuis par plusieurs autres théâtres : le théâtre de lausanne, l institut du Monde Arabe de Paris, l ecole du théâtre de l UlB. 4. décédé vers 1229 (627 de l année hégirienne). 5. entre salomon et la Reine de saba se tissaient de doux sentiments. la huppe (hudhud) transmet aux deux souverains les messages qu ils s envoient. Q. 27, 20 et ss. 6. Chacun d entre nous, même s il n est qu une petite mare de brousse, peut essayer de maintenir pure et paisible l eau de son âme, afin que le soleil vienne s y mirer tout entier, Amadou Hampaté Bâ, Aspects de la civilisation africaine, Paris, Présence africaine, 1972, p Le onzième pas, téhéran, éd. Zikr, T y crois, t y crois pas? Parlons-en Bertrand TRÉFOIS, directeur de La Maison de La Laïcité de La Louvière longer le dialogue de manière plus directe, au-delà du moment formel de la conférence et du rapport entre conférenciers et spectateurs. Accompagnés par le Centre Régional d Action interculturelle du Centre (CeRAiC) et la Bibliothèque provinciale du Hai - naut 1, nous nous sommes donc lancés dans un projet de dialogue interconvictionnel ayant pour vo - cation de créer des espaces de frottement 2 où des citoyens de con victions différentes peuvent échanger ensemble de la manière la plus directe possible. nous avons ainsi réuni, au sein d un groupe de 14 Reliures 33 Automne-Hiver 2014

17 pilotage, les représentants des convictions religieuses et philosophiques reconnues et présentes à la louvière par le biais d une communauté disposant d un bâtiment, à savoir : les musulmans, les catholiques, les protestants et les laïques 3. le projet, par la force des choses, contenait, dès sa genèse, de fortes limites : le judaïsme n y était pas représenté (aucune communauté structurée n étant installée à la louvière) et la condition pour y participer était de disposer d un lieu symbolique à faire visiter. Ce dernier point fit l objet de discussions, certains partenaires jugeant qu il eût été bon également d y inclure des groupes n ayant pas nécessairement de lieu symbolique à proposer. Mais il fut convenu, qu au moins pour la première année, nous nous limiterions à quatre lieux vitrines 4 : la mosquée, l église catholique, le temple protestant et la maison de la laïcité. des réunions du groupe de pilotage émergea l organisation, en septembre 2012, d une conférence inaugurale couplée au vernissage d une exposition d arts plastiques du monologue au dialogue proposée par trois artistes : l une bouddhiste, l autre musulman et le troisième juif (ce qui nous permit de toucher, ne fut-ce que symboliquement, deux autres convictions non représentées à la louvière). la saison s articula ensuite sur les visites des quatre lieux préalablement mentionnés. Chacune de ces découvertes était suivie d une pause conviviale prise en charge par les amphytrions et d un cafécitoyen autour d une thématique choisie en commun par les partenaires. Celle-ci ne devait pas être en corrélation avec le lieu dans lequel nous nous trouvions mais être suffisamment transversale pour pouvoir inciter au débat un public issu de la diversité convictionnelle. nous débattîmes ainsi, par exemple, des rites dans les locaux de la maison de la laïcité et de l humour dans ceux de la mosquée. la deuxième saison ( ) vit l entrée de nouveaux partenaires : la Maison de la laïcité de Morlanwelz, la Mos - quée de la Fédération islamique de Bel gique-section la louvière, l egli se évangélique italienne de la louvière ainsi que le Groupe socialiste d Action et de Réflexion sur l Audiovisuel (GsARA) qui créa un site web relatant le projet et réalisa un reportage. les visites continuèrent à se faire au sein des quatre convictions de départ mais en changeant les lieux : un monastère pour les catholiques, l église évangélique pour les protestants, la maison de la laïcité de Morlanwelz pour les laïques et la deuxième mosquée de la louvière pour les musulmans. des contacts furent pris, sans succès, avec la communauté orthodoxe et des francs-maçons d une commune voisine ainsi qu avec une association alévi de la louvière. le succès public fut au rendezvous des deux saisons, avec une moyenne de 90 participants par activité et des pics allant jusqu à 120 personnes à la mosquée ou à l église évangélique notamment, montrant sans doute l intérêt du public pour des lieux moins connus ou jugés plus exotiques. Une évaluation eut lieu sur base des points de vue des partenaires, des interviews qualitatives de plusieurs participants et des questionnaires quantitatifs rentrés. le rapport final est disponible en ligne 5. Voici quelques réflexions plus personnelles : on peut distinguer plusieurs catégories de participants : ceux qui venaient avec la volonté de montrer que leurs convictions (religieuses ou non) sont supérieures aux autres et qui souhaitaient en convaincre l assemblée, les curieux ouverts au dialogue, les personnes désireuses d expliquer leur parcours spirituel tout en se mettant à l écoute des autres ou plus simplement les fidèles des lieux visités. le dialogue s est situé à plusieurs niveaux : au niveau institutionnel où les représentants des différentes convictions ont appris et même pris plaisir à travailler ensemble (ce qui est un acquis important), au niveau public lors des cafés-citoyens et même de manière plus informelle mais néanmoins importante lors des pauses conviviales. Un véritable climat de confiance s est progressivement installé et des moments symboliquement forts ont été La reine, Le moine et Le glouton La grande fissure des fondations shafique KesHAVJee durant les jours heureux, il est facile de jouir de l'instant présent, dans l'insouciance des lendemains. Mais quand le malheur frappe soudain à la porte, le besoin de réponses fortes sur le sens de la vie et de la mort renaît. Que pouvons-nous croire, connaître, espérer? l'amour même a- t-il encore un sens? Qui pose ces questions voit affluer des réponses très diverses, et plus d'un est désorienté. Pour la famille royale d'un pays pas si lointain, plongée dans de multiples drames, un "Grand débat des convictions" s'impose. interviennent un professeur de philosophie, un scientifique athée, une enseignante de sagesse orientale et une mathématicienne croyante : leurs vérités sont passionnantes mais inconciliables. et si dormait en chacun de nous à la fois un athée, un agnostique et un croyant? Un roman pour apprendre à vivre avec courage et espérance la beauté fragile de nos vies. Seuil, 2014, 21 Réf.: REL23880 Prix Rel.: 18,90 vécus par les participants ainsi d ailleurs que des débats engagés qui n avaient évidemment pas pour vocation de mettre tout le monde d accord! la Maison de la laïcité de la louvière occupe une place particulière, compliquée mais passionnante dans ce dialogue, étant à la fois initiatrice et coordinatrice de celui-ci et devant, à cet égard, faire preuve de neutralité dans l organisation mais étant aussi partie prenante comme représentante des athées et agnostiques. 6 Ce projet est, à mon sens, une belle aventure humaine susceptible d influencer notre regard sur la manière dont les personnes vivent leurs convictions. il porte cependant en lui, un danger : celui d enfermer les gens dans leur identité convictionnelle. en effet, les participants avaient tendance, naturellement, à intervenir qui en tant que laïque, qui en tant que catholique ou musulman. or notre identité est bien plus complexe et reconnaître cette complexité est essentiel afin de ne pas limiter nos interlocuteurs à des étiquettes réductrices. 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18 sans doute s agit-il d un écueil inhérent au dialogue interconvictionnel qui demande à être dépassé par le biais d autres initiatives plus larges et en considérant qu il n est qu une partie du dialogue interculturel nécessaire au vivre-ensemble. Certains partenaires aimeraient, par exemple, pouvoir surmonter les clivages convictionnels actuels pour aboutir à un humanisme (ou une spiritualité?) commun(e). d autres jugent le projet actuel un peu trop intellectualisant et aimeraient s investir ensemble dans une action plus sociale et concrète. l avenir est cependant déjà en cours avec la réalisation d une version junior pilote à destination des enfants d une école de devoirs de la louvière, d une visite de la synagogue de Charleroi, d une conférence-débat sur les religions traditionnelles africaines et de lectures-vivantes à partir d ouvrages qui abordent, non sans humour, des questions touchant à la place des convictions Preuve que nous nous affranchissons progressivement du cadre de départ espérant ainsi contribuer à faire bouger les lignes (de frottement?) si modestement soit-il. g 1. Qui avaient tous deux des expériences à divers degrés sur la thématique. 2. sur cette notion, voir Altay Manço, in print/ [consulté en ligne le 1/10/2014] 3. la fameuse conception philosophique non confessionnelle reconnue par la Constitution et dont les personnes qui s en revendiquent sont appelées communément les laïques. Je n entrerai pas ici dans les polémiques relatives à cette appellation (le terme recouvrant également une autre réalité si l on se base sur la laïcité politique et non sur la laïcité philosophique ). 4. dans le présent article, les lieux concernés par le projet sont écrits sans majuscule quand il s agit du local et avec majuscule quand il s agit de l institution ou de l association en tant que telle bilanperspectives.pdf 6. notons que l on pourrait discuter longuement du fait qu elle représente ou pas les athées et les agnostiques mais cela demanderait sans doute un autre article Musique sacrée et dialogue interconvictionnel : L'écoute, une hospitalité Réticent oui, cet ami musulman était réticent, alors qu'il était actif dans la préparation des deux éditions du Festival de Musique sacrée de liège 1. et sa réticence tient au fait que pour nous la musique est avant tout un spectacle et non un acte. Ce qui est en jeu dans la musique sacrée, c'est quelque chose qui échappe au spectacle. les musi - ques sacrées pouvaient, par exemple, tisser la nuit qui suit la première pleine lune après l'équinoxe de printemps... C'était un lieu de questions et de réponses et non un spectacle. notons au passage que c'est encore cette pleine lune qui permet de fixer la fête de Pâques. Jankélévich élargit le propos quand il écrit : La musique a ceci de commun avec la poésie et l'amour, et même avec le devoir : elle n'est pas faite pour qu'on en parle, elle est faite pour qu'on en fasse ; elle n'est pas faite pour être dite mais pour être jouée... 2 est-ce que tout ceci nous échappe? est-ce illusoire de mentionner sur l'affiche du Festival Quand les différentes sensibilités s'écoutent...? le dialogue par la musique est-il une illusion? Je crois que non à condition de saisir ce que le dialogue implique, ce que l'écoute suscite, ce que la musique atteint en nous. Ce que le dialogue implique le dialogue est certainement un des grands défis de notre temps. Même s'il y a eu d'admirables précurseurs comme Érasme ou François de sales, l'urgence du dialogue est devenue évidence de survie suite aux dérives sanglantes du XX e siècle et de leurs répliques actuelles... dans son livre Le dialogue à la portée de tous... (ou presque), 3 dennis Gira propose une démarche limpide. des balises et obstacles qu'il énonce, je n'en retiendrai qu'une pour notre propos : avoir un principe organisateur ; autrement dit : une identité forte, mais qui ne doit pas être figée 3. tout est dit dans cette simple formule. identité et non repli... et notre tradition sacrée? Je crois, pour paraphraser Guille - baud, que nous dormons sur un trésor. Qu'en est-il de notre propre tradition? Je ne crois pas à l'approche naïve des grandes œuvres, ce qu'on appelle parfois les montagnes de l'âme. Mozart lui-même gagne à être introduit. sans quoi l'auditeur reste dans la simple alternative du J'aime/je n'aime pas.... le succès des émissions de Jean-François Zygel en est la preuve, à mes yeux. Ce que l'écoute suscite Au cœur du dialogue, quel qu'il soit, il y a la rencontre, et au cœur de la rencontre il y a l'écoute. Je crois que la véritable écoute met l'autre debout. l'écoute est l'hospitalité de l'âme, écrit Maurice Bellet. Même si elle est rare, l'écoute reconnaît à l'autre un espace et un temps où il peut naître à luimême, où il peut déployer son élan, où il peut découvrir qui il est sous un regard bienveillant. l'écoute ouvre un espace de désir puisque l'écoute pourrait fondamentalement s'exprimer par les mots : que veux-tu? Cette forte expérience est décisive pour celui qui est écouté, mais elle est aussi essentielle pour l'écoutant qui 16 Reliures 33 Automne-Hiver 2014

19 intérieure? Pierre-Paul DELVAUX, enseignant de lettres et de philosophie, engagé dans le dialogue interconvictionnel sous toutes ses formes 1. en 2012 et 2013, l'équipe du CRR a organisé deux éditions du Festival de Musique sacrée de liège. l'entreprise est provisoirement suspendue pour des raisons bugétaires. 2. Vladimir Jankélévitch, La musique et l'ineffable, seuil, 1983, p dennis Gira, Le dialogue à la porentre dans une démarche de vraie maturité. Jorge semprun le dit très bien dans son grand livre, L'écriture ou la vie. Ce qu'il dit de l'écriture peut être rapporté à l'écoute : Nul ne peut écrire s'il n'a le cœur pur, c'est à dire s'il est assez dépris de soi... (...) l'écriture, si elle prétend être davantage qu'un jeu, ou un enjeu, n'est qu'un long, interminable travail d'ascèse, une façon de se déprendre de soi en prenant sur soi : en devenant soimême parce qu'on aura reconnu, mis au monde l'autre qu'on est toujours. 4 se déprendre soi pour laisser l'autre exister, mais aussi pour se mettre soi-même au monde comme l'autre qu'on est toujours. l'enjeu est là et il est à la fois immense et urgent. Ce que la musique atteint en nous l'écoute de la musique est une activité particulière, mais on le constate tous les jours vitale pour beaucoup. on peut disserter longtemps sur les pouvoirs de la musique. Philippe Herweeghe, dans une causerie, cite trois liens que la musique favorise : un lien avec l'autre, un lien avec soi-même et l'entrée dans un temps particulier, un temps réglé par le compositeur et proposé par l'interprète. Comment entrer dans l'immensité grégorienne si on ne sait pas à quel point tout part des mots? Comment écouter la musique iranienne quand on ignore tout de la subtilité rythmique de cette démarche où on dénombre pas moins de 150 formules rythmiques classiques? Comment goûter la musique indienne qui semble parfaitement statique mais qui nous invite à faire l'expérience du temps? le poète français René daumal a de très belles pages sur ce sujet. Que dire encore de la musique soufi sur le ney, la flûte de roseau qui dit toute la nostalgie du spirituel? Rûmi l'exprime somptueusement. Jankélévich va plus loin. Le mystère musical n'est pas l'indicible, mais l'ineffable (...) l'indicible est accablant tandis que Sur l'ineffable il y a de quoi parler et chanter jusqu'à la consommation des siècles... Et qui peut affirmer, en ces matières : tout est dit? Non, jamais personne n'en aura fini avec un charme que d'interminables paroles et d innombrables musi ques n'épuiseraient pas ; ici beaucoup à faire, beaucoup à méditer, beaucoup à dire beaucoup à dire, et en somme et sans cesse tout à dire! Avec les promesses incluses dans l'ineffable, c'est l'espérance d'un vaste avenir qui nous est donnée. 5 sans cesse tout à dire... C'est l'inachèvement fondamental de l'humain. sylvie Germain situe bien les enjeux de l'inachevé quand elle écrit : Tout intégrisme hait le mouvement, l ombre, l errance et le silence ; le fanatisme exècre l étonnement et l inquiétude de la pensée, le mystère et l inachevé. 6 Sur un silence... Je voudrais terminer sur... un silence. Un silence qui n'écrase pas ce qui est en train de naître...g La musique et L'ineffabLe Vladimir JAnKÉlÉVitCH "Qu'est-ce que la musique? se demande Gabriel Fauré à la recherche du "point intraduisible", de la très irréelle chimère qui nous élève "au-dessus de ce qui est...". C'est l'époque où Fauré ébauche le second mouvement de son premier Quintette, et il ne sait pas ce qu'est la musique, ni même si elle est quelque chose! il y a dans la musique une double complication, génératrice de problèmes métaphysiques et de problèmes moraux, et bien faite pour entretenir notre perplexité. Car la musique est à la fois expressive et inexpressive, sérieuse et frivole, profonde et superficielle ; elle a un sens et n'a pas de sens. la musique estelle un divertissement sans portée? ou bien est-elle un langage chiffré et comme le hiéroglyphe d'un mystère? ou peut-être les deux ensemble? Mais cette équivoque essentielle a aussi un aspect moral : il y a un contraste déroutant, une ironique et scandaleuse disproportion entre la puissance incantatoire de la musique et l'inévidence foncière du beau musical. Seuil, 1983, 23,30 Réf.: REL23881 Prix Rel.: 20,97 Les échos du silence sylvie GeRMAin il est des moments innombrables où dieu se tait. où le cri de l'homme se heurte au silence, renvoyé par l'implacable écho. de ce silence de dieu, de cette absence d'amour, notre siècle porte les stigmates avec sa cohorte de charniers et génocides. toujours à reprendre, le cri de Job révolté devant la souffrance et la banalité du mal demeure d'actualité. C'est le point de départ de cette belle méditation de sylvie Germain, parcours où se croisent littérature et spiritualité, où monte la plainte de l'homme... DDB, 1996, 11,70 Réf.: REL Prix Rel.: 10,53 tée de tous (ou presque), Bayard, 2012, p Jorge semprun, L'écriture ou la vie, Folio pp Vladimir Jankélévitch, op. cit. pp sylvie Germain, Les échos du silence, ddb, p. 36. Reliures 33 Automne-Hiver

20 El Kalima Le Centre El Kalima est une association catholique fondée en Son objectif principal est de favoriser et d approfondir les relations, la rencon - tre et le dialogue entre chrétiens et musulmans. le Centre a pris comme nom el Kalima. el Kalima, en arabe, veut dire la parole. Ce nom a été choisi pour signifier notre volonté de nous tourner ensemble, chrétiens et musulmans, vers dieu, tout en s accueillant différents. Ce terme est familier aux chrétiens et aux musulmans. il montre à la fois la proximité et la distance car pour le chrétien, la parole de dieu s est faite chair en Jésus-Christ, tandis que les musulmans emploient ce même terme pour parler de Jésus alors que pour eux il n est que prophète. Le mythe de L'isLamisation Essai sur une obsession collective Raphaël liogier depuis le début des années 2000, un mot s est immiscé dans les débats publics : islamisation. la population musulmane, dont le nombre s accroîtrait dangereusement, chercherait à submerger, dissoudre, voire vassaliser les cultures européennes. l imaginaire du complot déborde ainsi peu à peu le cadre de l islamophobie ordinaire. il apparaîtra ainsi que la bombe démographique musulmane qui serait prête à éclater sur le triple front de l immigration, de la conversion et de la fécondité est un fantasme que les données réfutent. Quant au regain de ferveur spirituelle et au renouveau des formes d expression identitaire des musulmans vivant en europe, l analyse montrera qu ils n ont pas la signification conquérante ni même politique que suggère l épouvantail de l islamisme. il restera alors à expliquer pourquoi l europe, et la France en particulier, ont tant besoin de l ennemi musulman. Seuil, 2012, 16 Réf.: REL20164 Prix Rel.: 14,40 Deux facteurs expliquent la naissance du Centre le 1er étant le Concile Vatican ii (il y a 50 ans de cela). l eglise est alors soucieuse de nouveaux rapports avec les autres religions et plus particulièrement avec l islam. nous connaissons ce très beau texte de nostra Aetate qui commence par ces mots : l eglise regarde aussi avec estime les musulmans qui adorent le dieu Un, vivant... il faut situer le 2ème élément dans le temps. C est le boom économique. la Belgique fait appel à de la main d œuvre provenant du Maroc et de turquie. C est le début de l immigration dans les années 60. Concrètement, que se passet-il sur le terrain? dans les écoles, les enseignants se trouvent devant des élèves musulmans dont ils ne connaissent ni la religion ni la culture. dans les hôpitaux, le personnel soigne des patients musulmans dont il ignore les préceptes religieux et culturels. des jeunes musulmans rencontrent des jeunes chrétiens (ou autres) et se marient. Ces mariages posent un problème pastoral qu il faut aborder. A cette même époque, des touristes et hommes d affaires se rendent en Afrique du nord ou au Moyen orient et aiment être éclairés sur les us et coutumes de ces populations. en réponse à cette situation, un petit groupe de chrétiens religieux et laïcs se réunit sous la houlette de Marie Rose degive pour voir comment prendre en considération cette nouvelle situation. Avec l appui du Vicariat de Bruxelles s ouvre officiellement le Centre el Kalima, le 17 février 1978, après Marianne GOFFOËL o.p. 1 quelques années déjà de fonctionnement sans lieu précis. A cette date, il y a musulmans dont à Bruxel - les. Ces musulmans étaient discrets quant à leur appartenance religieuse. Aujourd hui, le Centre se trouve devant d autres défis dieter telemans Pour comprendre les défis, il s agit de prendre en compte deux facteurs. d une part, l évolution de la communauté musulmane à travers le temps et d autre part les événements internationaux qui ne seront pas sans avoir des répercussions sur la communauté musulmane en Belgique. Pour la clarté de mon propos, je propose de diviser le temps en quelques étapes. entre 1985 et 1995, il n y a plus de projet de retour pour les immigrés musulmans et c est le regroupement familial. Commen - ce alors une visibilisation de l islam. les pères sont préoccupés de transmettre à leurs enfants leurs traditions religieuses. sur un plan international, c est l événement Khomeiny. des personnes et des groupes contactent le Centre et nous demandent en fait, qu est-ce que l islam, au juste, expliquez nous! C est alors un temps d informations et de formations, caractérisé surtout par des cours et des conférences. Ceux-ci sont donnés principalement par des non musulmans. il n y a pas encore vraiment une élite intellectuelle musulmane avec qui nous pouvons collaborer sur pied d égalité. il était donc important de ne pas créer une situation d injustice. la période suivante se situe de 1995 à Après la théorie, on 18 Reliures 33 Automne-Hiver 2014