Prédication du dimanche 27 sept. 2009

Transcription

1 Prédication du dimanche 27 sept par le pasteur Stefan Wild Texte principal : Marc Autre texte : Deutéronome Ça ne vous est jamais arrivé, lorsque vous assistiez à un mariage et que vous entendiez cette fameuse phrase liturgique : «désormais vous n êtes plus deux, mais un.», ça ne vous est jamais arrivé de vous demander : «oui, mais lequel?» Cette question ne devait pas vraiment tourmenter les contemporains de Jésus, tant il était évident que le mariage se concevait à partir de l homme et de l homme uniquement. C est la femme qui quittait sa famille pour intégrer la famille de son mari, et non l inverse. Nous en avons la preuve dans la question posée par les pharisiens : «dans quelles conditions est-il possible à un homme de répudier sa femme?» Jamais la question n est posée de savoir si et comment une femme peut jeter son mari. «Désormais vous n êtes plus deux, mais un.», «oui, mais lequel?». Les disciples ont dû être plus que surpris d entendre Jésus leur dire : «et si une femme répudie son mari et en épouse un autre, elle est adultère.» Une façon pour Jésus de dire : «pourquoi me demandez-vous dans quelles conditions il est possible à un homme de répudier sa femme et ne me demandez-vous pas dans quelles conditions il est possible à une femme de répudier son mari? A ces deux questions, celle que vous m avez posée et celle que vous ne m avez pas posée, je réponds : celui qui répudie son conjoint et en épouse un autre est adultère.» Essayons donc de comprendre cette sentence de Jésus en la replaçant tout d abord dans son contexte historique. Au temps de Jésus, le mariage ne reposait pas sur une conception romantique de l amour, mais sur la notion de contrat. L âge moyen du mariage devait se situer entre 16 et 20 ans pour les hommes, un peu moins pour les femmes. Il était précédé de fiançailles qui liaient les futurs époux et leurs familles. L idéal pour un père était de fiancer sa fille avant sa majorité fixée à 13 ans, car elle n avait alors pas son mot à dire sur le choix de son futur conjoint. Bien sûr, la prudence voulait qu on interroge l intéressée, mais cela n était pas toujours le cas. Le mariage lui-même avait généralement lieu un an plus tard. Durant ce laps de temps, les fiancés ne vivaient pas ensemble, souvent même ils ne se connaissaient qu à peine. Le jour des noces est un jour de grandes découvertes et souvent de grandes désillusions Le contrat de fiançailles stipulait comment les frais de noces seraient partagés entre les deux familles, la dot que le père de la jeune fille devait verser au futur foyer et le gage de mariage qui

2 devait revenir à l épouse en cas de décès de l homme ou de répudiation. Comme tout contrat, il comportait les motifs et principes de résiliation. C est sur ce terrain que les pharisiens interrogent Jésus en lui demandant dans quelles conditions il est possible de divorcer. Le Deutéronome dit qu un homme qui découvre quelque chose d inconvenant à sa femme peut la répudier à condition de lui fournir un acte de divorce. Il existe une célèbre polémique entre les deux grandes écoles rabbiniques rivales à l époque de Jésus, entre celle représentée par le pharisien Hillel et celle du pharisien Shammaï. Justement ces deux écoles se chamaillent sur les motifs de répudiation. Shammaï interprète le texte du Deutéronome en disant qu un homme ne peut divorcer qu en cas «d inconduite licencieuse et impudique» de la part de sa femme, ce qui concrètement veut dire en cas d adultère. Hillel prétexte des motifs plus futiles : un homme peut répudier sa femme si cette dernière ne sait pas faire la cuisine, voire si elle est bien moins belle que ce qu il imaginait Autant dire que l homme, selon Hillel, n a pas vraiment besoin de justifier sa conduite! Toutefois, si la répudiation est relativement facile, elle n est pas si fréquente que cela. N oubliez pas que la femme a droit à un gage si elle se voit répudiée par son mari, gage qui vient se rajouter à la dot que la femme va reprendre et ramener chez son père. Répudier sa femme coûte donc généralement très cher. Historiquement, il était plus courant que l homme prenne une deuxième femme et qu il continue d entretenir la première, s il en avait les moyens. A partir de cette réalité sociale, les pharisiens interrogent Jésus sur une question de droit. Jésus se voit confronté à une question de casuistique : dans quelles conditions est-il possible de répudier? Dit autrement, pour quelle école rabbinique, prends-tu position, pour celle d Hillel ou celle de Shammaï? Mais Jésus va répondre dans un tout autre domaine : il remonte à la Genèse pour tenir un discours différent sur la conjugalité, sur le mariage. S adressant à des pharisiens, Jésus dialogue avec des hommes qui connaissent très bien la Bible. Regardons ensemble ce fameux passage de la Genèse au chapitre 2. Le Seigneur Dieu prend l homme et il le place dans le jardin d Eden pour le cultiver et le gérer Le Seigneur Dieu se dit : «Il n est pas bon pour l homme d être seul. Je vais lui faire une aide qui lui convienne parfaitement.» Alors le Seigneur Dieu fait tomber l homme dans un sommeil très profond (la première narcose complète de l Histoire ). Il lui prend de son côté et il referme les chairs à leurs places. Avec ce côté, le Seigneur Dieu fait une femme et il l amène à l homme. Alors l homme dit : «cette fois, voici quelqu un comme moi! Elle tient vraiment de moi par tout son corps. On

3 l appellera femme de l homme parce qu elle a été tirée de l homme.» C est pourquoi l homme quittera son père et sa mère pour vivre avec sa femme. Et les deux deviendront une seule chair. L homme et sa femme sont nus tous les deux. Mais ils n ont pas honte l un devant l autre. Ce passage commence par dire deux choses : l humain est défini comme un être de solitude, et cette solitude n est pas bonne. Oui la solitude qualifie l humain : il est créé individu alors que l animal est créé espèce. Notre vie humaine est unique et irremplaçable, et personne ne peut vivre notre vie à notre place. L humain est conscient qu il est lui-même et pas un autre. Ce qui explique un perpétuel malaise que nous avons lorsque nous faisons face à de vrais jumeaux La suite du passage montre que l humain est appelé à vivre sa spécificité, son unicité dans un vis-à-vis, un côte à côte avec un autre-différent-de-lui-même. Cet autre est la femme. Entre l homme et la femme s instaure un jeu de différence et d attirance, de proximité et d altérité, qui qualifie l humanité. C est aussi la raison pour laquelle nous sommes si mal à l aise face à un couple d homosexuels : la différence, l altérité a été sérieusement gommée. «Voici enfin quelqu un qui mettra fin à ma solitude.» Ou plutôt, «voici enfin quelqu un qui me permettra de mieux vivre ma solitude.» Ce cri d Adam est suivi d une claire évocation de la sexualité : et les deux deviendront une seule chair. En fait le texte dit exactement : 1 l homme quittera son père et sa mère et s attachera à sa femme ; 2 les deux deviendront une seule chair ; 3 l homme et la femme étaient tous les deux nus. L apparition de la sexualité est encadrée par deux affirmations qui définissent le cadre biblique du mariage : l homme quittera son père et sa mère, et l homme et la femme étaient nus. Le fait de quitter son père et sa mère inscrit la sexualité dans un projet qui est différent de celui des parents. Avant d entrer dans la sexualité, l homme et la femme, en quittant père et mère, articulent la sexualité avec la responsabilité et la construction d une histoire qui leur est propre. Littéralement, les époux sont invités à abandonner les liens qui les attachent à leurs parents respectifs pour s attacher dorénavant à leur conjoint, pour imaginer ensemble un nouvel avenir commun, pour marcher aujourd hui sur une route qui leur est unique. Ensuite l évocation de la sexualité s accompagne de la remarque que l homme et la femme sont nus. Etre nu, c est être fragile, en vérité devant l autre, sans rien cacher, vulnérable. Le couple dans la Bible est un pauvre devant un pauvre, un fragile devant un fragile, un limité devant un limité. C est dans le cadre d un projet commun, mais aussi dans la vérité donnée et reçue que la sexualité prend une dimension qui va bien au-delà de la satisfaction d un besoin naturel ou de la perpétuation de l espèce. La sexualité devient le lieu où deux solitudes peuvent se rencontrer, s engager l une envers l autre dans le respect, imaginer des projets communs.

4 Les pharisiens qui interrogent Jésus le font à partir de la chute. Ils s interrogent sur la façon dont la loi doit intégrer le fait que le mariage ne se vit pas toujours selon l idéal biblique. Que faire face à la violence conjugale? Que faire face à l adultère? Ils se situent au niveau du contrat qui protège les faibles, ici les femmes répudiées. Dans quelles conditions un homme a-t-il le droit de répudier sa femme? Jésus répond à un autre niveau, celui d avant la chute. Il ne méprise pas le droit, ne vit pas dans le déni du péché viscéralement attaché à tout être humain. Mais Jésus interpelle ses interlocuteurs, et nous avec, pour les renvoyer à leur propre réalité conjugale. C est à cause de la dureté de votre cœur! Jésus nous invite à prendre conscience que la dureté de notre cœur est la véritable raison de la difficulté de la conjugalité, voire de l échec de certains mariages. Que de couples où l un ou l autre des époux, quand ce n est pas les deux, se refusent à s attacher à son conjoint, que de couples où on observe deux individualités qui se croisent et se frôlent à peine, que de couples qui se résument à la juxtaposition de deux projets de vie opposés. Et que dire de ces époux qui se mentent continuellement, qui refusent de s ouvrir l un à l autre, qui préfèrent présenter un masque par peur du regard de l autre, qui ne se font par réellement confiance, qui ne croient dans les engagements pris : pour le meilleur comme pour le pire. Et finalement, il n est pas nécessaire d épiloguer sur ces sexualités qui ne se vivent pas dans l amour et dans le respect. Nos journaux sont régulièrement abreuvés de récits de viols, d abus, de coups, de domination. Bien trop souvent la sexualité n est plus le lieu du plaisir, mais celui de la contrainte et de la douleur, n est plus le lieu de la vie, mais celui de la blessure et de la mort. Que l homme ne sépare pas ce que Dieu a uni! Si nous sommes honnêtes, nos couples, tous nos couples, ont été ou sont menacés. Personne ne peut prétendre être complètement attaché à son conjoint, vivre avec lui une relation complètement vraie, ne faire réellement plus qu une seule chair dans laquelle l un et l autre époux se reconnaissent. Mais Jésus ouvre une piste libératrice : nos couples ne sont pas que des contrats entre deux êtres humains ou entre deux familles. Nos couples sont unis par Dieu.

5 Cela signifie que Dieu ne désintéresse pas de nos réalités de couple, bien au contraire. Pour Dieu, la solitude n est pas bonne, exception faite de quelques vocations au célibat. Le couple est l horizon vers lequel Il désire que nous regardions et vers lequel nous devons nous mettre en route. La conjugalité est dans la bonne et sainte volonté de Dieu. Alors Dieu ne nous abandonnera pas à notre sort. Il ne nous laissera pas nous débrouiller seuls avec nos problèmes. Pour un peu que nous reconnaissions la dureté de notre cœur, pour un peu que nous appelions Dieu à venir justement adoucir notre cœur et dans le couple cette démarche se doit d être commune à chacun des conjoints, alors je crois que Dieu nous montrera un avenir possible pour nos couples. Ces derniers pourront s épanouir petit à petit. Ils seront le lieu des plus grands attachements. Ils permettront aux conjoints de connaître la véritable libération de celui et de celle qui n est plus obligé de paraître, de jouer un rôle, de porter un masque. Nos couples seront le lieu par excellence où nos blessures anciennes, nos faiblesses actuelles pourront être amenées à la lumière où elles trouveront des soulagements et des guérisons. C est dans le cadre de nos couples que nous pourrons vivre la plus belle sexualité : celle qui est porteuse d amour, de plaisir et de vie. Laissons Dieu intervenir au sein de nos couples. Laissons-le tresser un projet de vie, une histoire d amour, une relation en vérité à partir de nos personnes. Laissons-le nous unir encore et encore : nos couples tendront alors vers l idéal que Dieu s est fixé depuis les premiers jours du monde. Car Dieu veut être la troisième personne de notre couple. On peut attaquer facilement une personne seule, cependant deux personnes peuvent mieux résister. Mais une corde à trois brins ne se casse pas facilement. (Ecclésiaste 4.12) Ainsi soit-il.