VIÊT NAM. Hanoi LAOS. Vientiane VIÊT NAM CAMBODGE. Phnom Penh. Hô-Chi-Minh-Ville (Saïgon) CHINE. Mer de Chine méridionale THAÏLANDE.

Transcription

1 CHINE MYANMAR (Birmanie) VIÊT NAM Hanoi Golfe du Tonkin LAOS Vientiane Mer de Chine méridionale Hainan Îles Paracel THAÏLANDE Bangkok VIÊT NAM CAMBODGE Golfe de Thaïlande Phnom Penh Hô-Chi-Minh-Ville (Saïgon) Îles Spratley

2 1975 EST UNE ANNÉE CLÉ dans l histoire de la péninsule indochinoise: les ÉDITORIAL par FLORENCE GRANDSENNE dossier Le communisme et les communistes d Indochine Khmers rouges entrent à Phnom Penh, les Nord-Vietnamiens à Saïgon, le Pathet lao prend le pouvoir à Vientiane. Cette concomitance n est pas le fruit du hasard mais celui de l enchevêtrement d histoires parallèles, dans lesquelles le Viêt Nam a joué un rôle majeur et dominant. Ces pays ont tous trois connu la colonisation française, puis durant la Seconde Guerre mondiale, celle, éphémère mais influente, du Japon. La lutte pour l indépendance et ses conséquences, la naissance ou le développement de guérillas révolutionnaires, ont été menées en parallèle. Puis ce fut la seconde guerre d Indochine, la guerre du Viêt Nam, qui a embrasé ces pays. Impossible pour le Laos et le Cambodge de rester neutres dans ce conflit, du fait de l influence, sur l ensemble des mouvements révolutionnaires, des Vietnamiens du Nord qui voulaient se constituer des alliés et étendre la lutte; lieux de passage de la piste Hô Chi Minh ravitaillant les troupes nord-vietnamiennes, ils devinrent à leur tour le théâtre des opérations militaires menées par les États-Unis. Le bilan fut lourd: après le départ des Américains, les trois pays devinrent des États communistes. Regroupement dans des camps, exécutions massives, disparition des libertés signèrent la mise en place de régimes totalitaires. 1. En parlant d «Indochine» nous ne faisons pas preuve d une nostalgie de mauvais aloi. Nous désignons simplement trois pays qui ont notamment en commun d avoir été colonisés par la France, de différentes façons d ailleurs, et d appartenir à une zone géographique commune dans laquelle il faudrait, sur ce strict plan géographique, inclure la Thaïlande, voire la Birmanie et la Malaisie. Le mot «Indochine» est attaché à des souvenirs coloniaux, et donc à des luttes en faveur de l émancipation nationale que nous évoquons longuement dans ce numéro. N 51 3

3 ÉDITORIAL Cette expansion du communisme dans la péninsule indochinoise pose de multiples questions sur ses causes, mais aussi sur la nature de ces régimes. Peut-on vraiment parler d une spécificité du communisme asiatique? Quelle est la part du marxismeléninisme, de l influence chinoise, de l influence soviétique dans les idéologies défendues par les Khmers rouges, le Vietminh et le Pathet Lao? On constate en tout cas que les différents mouvements communistes n ont pas simplement copié un modèle dominant, soviétique ou chinois, mais ont fait preuve d une relative autonomie, d autant plus remarquable qu ils ont souvent eu besoin de l aide de la Chine et de l URSS. La rivalité et la rupture sino-soviétique ont, il est vrai, compliqué les données et probablement facilité l expression de cette autonomie. Ainsi, Céline Marangé, loin de penser que Hô Chi Minh du fait de son engagement au PCF puis au Komintern et les dirigeants vietnamiens ont adopté tel quel le modèle soviétique, considère au contraire qu ils ont utilisé cette référence idéologique de manière flexible et adaptée aux circonstances d une lutte, dans un premier temps, indépendantiste. Il faut aussi se poser la question du contexte culturel dans lequel sont nés ces mouvements. Divers chercheurs suggèrent par exemple que l adoption du marxisme a été favorisée par l influence du bouddhisme un paradoxe pour une philosophie si empreinte de pacifisme. La question se pose particulièrement, bien sûr, à propos du Cambodge. Dans ce numéro, plusieurs articles reviennent sur ce terrible épisode. Comment expliquer l établissement, pendant plus de trois ans, de la dictature des Khmers rouges? Comment analyser, comment nommer cette politique qui entraîna la mort d environ deux millions de personnes, massacrées ou mortes de faim? Pierre Rigoulot nous présente les thèses de Henri Locard, qui, au terme de «génocide», instrumentalisé par les Vietnamiens, préfère celui de «politicide». Dans son enquête sur les origines du mouvement, c est l influence maoïste que Locard privilégie, mais il met aussi l accent sur le rôle tortueux joué par Norodom Sihanouk qui, pour se maintenir au pouvoir, n a pas hésité à jouer plusieurs cartes à la fois. Ilios Yannakakis, quant à lui, nous rappelle à quel point l opinion occidentale, 4 JUIN 2013

4 LE COMMUNISME ET LES COMMUNISTES D INDOCHINE majoritairement dévouée à la cause du Nord-Viêt Nam, n a rien vu de ce qui se passait dans ce pays, et a parfois même admiré ce communisme à la sauce khmère. Vacciné, le Cambodge a abandonné le communisme, mais dans des conditions spécifiques liées à l invasion vietnamienne fin La période qui lui a succédé a été confuse, puisque les Khmers rouges n ont pas disparu de la scène politique avant la fin du siècle. Ceci explique l impunité dont ils ont bénéficié: si le pays a finalement mis en accusation quelques dirigeants, ce ne fut que très tardivement, car, un peu comme ce qui s est passé dans certains pays de l Est, d anciens Khmers rouges ont participé à la nouvelle gestion du pays. Le président Hun Sen est lui-même un ancien Khmer rouge. dossier Actuellement, la démocratie est loin de régner au Cambodge. Pin Yathay, victime des Khmers rouges et auteur d un des premiers ouvrages dénonçant les horreurs du régime L Utopie meurtrière montre que, malgré les Accords de Paris prévoyant la mise en place d un régime démocratique, multipartisme et droits de l homme sont loin d être respectés. Hun Sen maintient au Cambodge un régime personnel et clanique. Contrairement au Cambodge, le Laos et le Viêt Nam sont restés des pays communistes. Les différents auteurs insistent sur cette caractéristique; même si, aux yeux de l étranger, le communisme y semble une devanture creuse, un parti unique règne toujours et les oppositions ne sont pas tolérées. Néanmoins, l effondrement du communisme européen et soviétique est passé par là, et le paysage politique et économique de ces pays a été quelque peu modifié. Peut-on parler d ouverture et de libéralisation? Il faut rester prudent. Certes, la structure économique de ces pays a été modifiée par les transformations du monde. L aide soviétique a pris fin, les échanges avec les pays du CAEM aussi. Les deux pays communistes avaient le choix entre se refermer sur eux, comme la Corée du Nord, ou s ouvrir au monde: ils ont choisi de s intégrer aux organisations régionales (les deux font maintenant partie de l Asean) et internationales (l OMC). Christophe Jacqmin nous présente ainsi le réveil économique du Laos. Le pays fait N 51 5

5 ÉDITORIAL appel aux capitaux étrangers, surtout chinois, pour se développer. Cependant, la nature de ses réalisations économiques, extractions minières, exploitation du bois, production d hydro-électricité, même si celles-ci permettent une petite croissance du PIB, nous montre un pays dont l économie reste bien traditionnelle. Seul le tourisme, qui se développe de plus en plus, l intègre à une économie moderne. Tourisme aussi pour le Viêt Nam. Mais l analyse de Paul André souligne que l ouverture économique réalisée depuis les années 1990, rendue nécessaire par l échec de la politique menée depuis la réunification et la menace de disette, a plus pour fonction de renforcer le pouvoir de l État-Parti que d amener à une libéralisation politique. C est d ailleurs ce que confirme Stephen Launay qui définit les régimes de ces trois pays comme des «autoritarismes post-totalitaires». Certes, le Cambodge est entré dans une «transition démocratique boiteuse», mais Laos et Viêt Nam restent clairement des États communistes classiques. L auteur attribue ce refus de la démocratie à la culture politique des élites, qui exclut totalement les valeurs libérales. La longue carence d un véritable État, l influence du léninisme sont quelques-uns des facteurs à l origine de la mainmise de ces élites sur le pouvoir à des fins d intérêt personnel. Ainsi, ces régimes autoritaires ont-ils trouvé une voie leur permettant, tout en gardant les structures politiques traditionnelles, de participer à la mondialisation, via en particulier les capitaux chinois, et d augmenter le niveau de vie, sinon de toute la population, du moins de certaines couches sociales. Peut-on imaginer qu un pays comme la Corée du Nord emprunte le même chemin? Pierre Rigoulot montre que, à l heure où l on va commémorer le 60 e anniversaire des débuts de la guerre de Corée, le pays reste fermé, arc-bouté sur son idéologie, et que les signes annonciateurs d une possible évolution, bien que réels, sont fort ténus. 6 JUIN 2013