1) Sur l'évaluation de la légitimité philosophique d'une pratique déjà établie.

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1 Avis sur le texte «Consultation philosophique socratique» Le texte intitulé «La Consultation Philosophique Socratique ou l art de philosopher dans le dialogue, nouveau paradigme pour la pratique de la philosophie?», ci-après dénommé uniquement «Texte», fait une présentation extensive et détaillée des fondements historico-philosophiques de la Consultation Philosophique Socratique (CPS), décrit son fonctionnement, présente ses principes éthiques et objectifs, propose des réponses aux critiques de différents domaines (tels que les professeurs de philosophie et les psychologues), reproduit des séances de consultation individuelle et de groupe, discute des similitudes et des différences avec certains courants philosophiques et avec la psychanalyse, en plus de faire plusieurs observations auxiliaires. Pour apprécier la pertinence du Texte comme thèse de philosophie, il est nécessaire de prendre en compte la spécificité de son objet d'investigation, à savoir une pratique en cours depuis vingt ans, ayant des dizaines de praticiens, exerçant son activité dans plusieurs pays. Comme le Texte comporte une partie théorique et plusieurs observations empiriques, de vérification factuelle, ainsi que des déclarations d'objectifs à atteindre, ainsi que des défenses explicites de la critique, nous devons formuler notre opinion à la suite d'une division qui prend en compte ces différentes facettes du travail. Tout d'abord, nous discuterons de la légitimité de l'évaluation de la dimension philosophique d'une pratique déjà établie. Ensuite, nous aborderons la qualité, la spécificité et l'approfondissement des fondements théoriques de la CPS proposés par le Texte. Enfin, nous nous concentrerons sur la question très importante de savoir si la CPS constituent une pratique violente pour le sujet, susceptible de lui nuire psychiquement. 1) Sur l'évaluation de la légitimité philosophique d'une pratique déjà établie. Le Texte est lié à son objet d'investigation sur trois plans: 1) descriptif, 2) de fondement historico-philosophique et 3) de défense de sa validité en tant qu'activité philosophique. Dans le premier aspect, il s'agit de décrire non seulement ses principes et règles, mais aussi son fonctionnement empirique et factuel, et pour cela le Texte apporte également des exemples de consultations effectivement menées. Dans le second aspect, le Texte cherche à montrer le lien entre la CPS et l'histoire de la philosophie, démontrant à quel point cette pratique est ancrée dans les conceptions philosophiques, comme l'existentialisme de Sartre et l'ontologie fondamentale de Heidegger, mais aussi en quoi elle diffère des courants théoriques proche, comme la pragmatique transcendantale et la psychanalyse. Traversant tous ces moments et se matérialisant dans des discours spécifiques, nous voyons le désir de l'auteur de défendre la CPS comme une activité philosophique, et pour cela il utilise des comparaisons directes entre la philosophie (en tant que recherche théorique et activité d'enseignement) et la CPS en tant que forme de dialogue.

2 En faisant une comparaison avec une thèse académique typique, c'est comme si quelqu'un non seulement fournissait les fondements historico-philosophiques de l'impératif catégorique de Kant, décrivait ses principes et ses formes d'utilisation, tout en défendant sa validité en tant que principe éthique. Dans ce cas, cependant, il s'agit d'un objet théorique, accessible à toute personne capable de comprendre les termes utilisés pour le décrire. La CPS, au contraire, est une pratique limitée aux lieux où elle est pratiqué. Tout ce que nous savons à ce sujet nous est venu indirectement, que ce soit par le biais d'articles ou du texte lui-même et puisque l'objet principal de l'évaluation est le texte, nous ne devons donc évaluer que les arguments qu'il contient. Décomposons notre approche de cet élément en thèmes: a) Il faut souligner dans un premier temps que les descriptions faites par l'auteur du Texte s'inscrivent dans un panorama général de défense de la légitimité philosophique de la CPS. Ce n'est pas un ensemble d'observations qui recherchent un certain degré ou une certaine forme de neutralité descriptive. Cela devient particulièrement pertinent, dans notre évaluation du Texte en tant que thèse philosophique académique, du fait que l'auteur du Texte est un praticien de la CPS, et, par conséquent, n'occupe pas une place précédemment qualifiée d'exempte d'intérêt pour ses observations. Compte tenu de l'engagement de cet auteur envers l'objet de son étude, toutes les descriptions empiriques de la réalité concrète de la CPS sont gravement biasées. Le Texte stipule à plusieurs reprises comment la CPS doit être, tant de la part du praticien que du Sujet, en référant tous les principes aux concepts et conceptions philosophiques. Mais comme c'est une pratique établie, nous sommes immédiatement amenés à nous demander: dans quelle mesure les praticiens suivent-ils ces déterminations dans leurs consultations? Dans quelle mesure les questions sont-elles philosophiques? Quelle rigueur philosophique est réellement obtenue dans les dialogues? Quel pourcentage des sessions dégénère en un simple chat ou une conversation banale, sans aucune qualité philosophique en soi? Il faut répondre à toutes ces questions par une observation méthodique, techniquement bien menée, selon des principes qui respectent l'éventuelle neutralité de la recherche scientifique. Il est nécessaire de faire des observations empiriques dans un certain nombre de cas suivant le principe d'un échantillon représentatif, dans plusieurs villes et pays, en vérifiant leurs différences et similitudes, pour finalement construire une description générale suffisamment fiable pour servir de base à une évaluation, qu'elle soit positive, neutre ou négative. Il n'est en aucun cas justifié que ces descriptions soient données par l'intéressé lui-même lors de la validation de la CPS. C'est une exigence minimale d'objectivité pour une thèse de philosophie académique. Il faut considérer que l'auteur ne veut pas seulement défendre l'idée ou le projet de la CPS, mais sa réalité concrète. Plusieurs fois, nous voyons l'auteur saluer la CPS comme une forme rigoureuse et philosophiquement vivante, la plaçant même au-dessus de tous les autres: 2

3 La CPS (...) part du Sujet et s adresse au Sujet à travers son discours et ses attitudes en respectant les grandes règles de la logique. Elle procède par un questionnement serré qui contraint l individu à produire un discours clair, argumenté et à se confronter à autrui par le biais des questions et objections. Elle est par ailleurs la seule pratique, encore à notre connaissance, qui développe de manière rigoureuse et systématique des compétences philosophiques et attitudes dans le cadre d exercices oraux ou écrits, pour les adultes comme pour les enfants. (67) 1 De nombreuses questions peuvent être posées à propos de ce passage: dans quelle mesure pouvons-nous être sûrs que la pratique concrète, dans les dizaines de séances de groupe et individuelles, "respecte les grandes règles de la logique"? Dans quelle mesure les discours des clients sont-ils clairs et argumentés? Comment évaluer la rigueur et le caractère systématique des consultations menées par des dizaines de praticiens? Comme nous l'avons dit plus haut, ces aspects ne sont pas simplement placés comme des «principes réglementaires», des lignes directrices et des préceptes pour les praticiens. Dans le passage ci-dessus et dans plusieurs autres, l'auteur dit ce que fait la CPS, comment elle procède, ce qu'elle pratique et pas seulement ce qu'elle doit faire, comment elle doit procéder et ce qu'elle doit pratiquer. De toutes les descriptions factuelles présentes dans le texte, celle qui nous semble la plus éclairante concernant ce problème de support empirique pour valider la CPS en tant que pratique philosophique est faite dans le cadre de la réponse que l'auteur fournit à l'accusation de la CPS d'exercer la violence sur les sujets: Certains psychologues nous accusent d être trop violents avec les Sujets et que cette supposée violence puisse avoir des effets dangereux sur la psyché des Sujets. A cela nous répondons quatre choses: premièrement cela ne nous est jamais arrivé en 20 ans d expérience (...). (132) Nous aborderons cette question de la nature violente de la CPS dans la troisième partie de notre évaluation; pour l'instant, nous nous concentrerons uniquement sur le problème de la vérification empirique. Plusieurs questions extrêmement importantes peuvent être soulevées: Comment pouvons-nous savoir, de manière sûre et impartiale, qu'aucun client n'a signalé de problèmes psychologiques et émotionnels résultant de consultations? Si l'auteur dit que «cela ne nous est jamais arrivé», suppose-t-il qu'il n'est pas au courant d'un nombre indéfini de cas qui, même survenant, n'ont pas été portés à la connaissance des pratiquants? Quelle est la validité d'une déclaration empirique faite par la partie intéressée lors de l'approbation de la CPS concernant les effets nocifs de la CPS? 1 Les nombres entre parenthèses indiquent les pages du Texte en cours d'évaluation. 3

4 Il s'agit d'un problème extrêmement pertinent, car si la CPS implique des dommages psychologiques et émotionnels à une partie quelconque de ses clients, elle ne peut en aucun cas être considéré comme philosophiquement valable. Étant donné que l'auteur du Texte est directement impliqué dans la CPS, étant lui-même un praticien de celui-ci, et ayant donc tout intérêt à sa légitimation, il serait donc essentiel qu'une déclaration comme celle-ci, qu'il n'y ait pas de préjudice psychologique et émotionnel pour les clients, soit faite pour une recherche avec une méthodologie à crédibilité scientifique et conceptuelle. En aucun cas, il ne peut être admis que cela est dit par l'intéressé dans la validité de la procédure, sans aucun soutien dans les données collectées objectivement. b) La CPS étant une pratique pratiquée par des dizaines de personnes, il est difficile d'en parler comme d'une évaluation philosophique, car sa qualité dépend de questions administratives, managériales, organisationnelles, etc., qui ne peuvent être articulées sur le plan théorico-philosophique. L'évaluation des performances d'un département de philosophie universitaire, par exemple, n'est pas philosophique, mais pédagogique et institutionnelle. Dans les deux cas, à la CPS et au département de philosophie, on peut s'interroger sur la qualification des praticiens, leur manière de rendre compte de leur activité, les principes de l'évaluation interne et externe, les instruments didactiques-pédagogiques utilisés dans chaque classe ou session et une série d'autres exigences sans rapport avec la qualification et la légitimité philosophique. Là encore, il faut répondre à ces questions sur la base de données empiriques collectées de manière objective, techniquement responsable et méthodologiquement légitime, ce qui n'est pas le cas des déclarations du Texte, proposées par l'intéressé dans l'approbation de la CPS. c) Le texte présente la transcription de certaines consultations, à titre d'exemples des procédures utilisées dans la CPS. Étant donné que des centaines de consultations ont été menées au cours des vingt dernières années, et compte tenu de la nature multiple et indéfinie des questions initiales posées par les clients, toute sélection de consultations portera la marque de son auteur, car il ne semble pas y avoir de critères objectifs pour accueillir certains et en rejetez les autres. Rien ne peut garantir que des consultations dont la qualité argumentative et philosophique est très mauvaise, impossible à défendre, et donc qui mettraient en cause la crédibilité de la CPS, ont été rejetées. Ainsi, comme les exemples influencent notre évaluation de la CPS, et l'auteur de la thèse est directement intéressé par son approbation, nous estimons une fois de plus que le soutien argumentatif en faveur de la CPS est insuffisant dans la sélection des consultations faites dans le texte. Ce type de ressource documentaire ne serait valable que s'il est réalisé par un auteur n'ayant aucun intérêt direct dans l'évaluation de la CPS. De toutes ces considérations, nous concluons que les arguments utilisés par le Texte pour défendre la CPS en tant que pratique légitimement philosophique doivent être rejetés lors de la recherche de soutien dans les descriptions empiriques de cette 4

5 pratique. Selon ce que nous pensons, le Texte, en tant que proposition de thèse académique de philosophie, ne pourrait faire l'objet d'une évaluation qu'en parlant des principes philosophiques et historiques qui sous-tendent la CPS, en caractérisant son concept de sujet, de dialogue, de théorie de l'argumentation, d'opposition à la philosophie académique et à la psychanalyse etc. Situé uniquement dans ce plan discursif, conceptuel et théorique, le texte peut faire l'objet d'un jugement impartial, quelle que soit la fiabilité des données empiriques. En conséquence, nous passons au deuxième point de notre évaluation, en nous concentrant sur la dimension théorique du texte. 2) Sur les fondements théoriques de la CPS dans le Texte Nous diviserons notre discussion sur ce point en deux parties: la présentation des fondements historico-philosophiques de la CPS et sa distinction avec la psychanalyse. a) Le fondement historico-philosophique de la CPS consiste essentiellement en de courtes présentations, en quelques pages et parfois en quelques paragraphes, des conceptions théoriques des grands philosophes. Ce qui nous semble le plus essentiel, en tant que caractéristique pertinente pour notre évaluation, est le fait que toutes les présentations de concepts, de thèmes et d'hypothèses philosophiques ont clairement pour objectif de caractériser la CPS, de donner une vue de son affiliation théoricophilosophique et de montrer combien sa pratique concrète a des éléments philosophiques et partage des valeurs et des principes conçus par de grands noms de l'histoire de la philosophie. Les présentations de la méthode et de la pensée de Socrate, Leibniz, Sartre, Heidegger et toutes les autres citées dans le texte peuvent être qualifiées d '"utilitaires" et n'ont aucune valeur en elles-mêmes. Nous ne voyons pas d'approfondissement significatif dans les références à ces théories philosophiques, car il n'y a pas de débat expressif avec la tradition des commentaires, pas même sur Socrate, la principale référence théorique de la CPS. De la page 53 à la page 64, on parle très superficiellement de Descartes, Spinosa, Leibniz, Kant, Hegel et Popper sans citer, mentionner ou critiquer un seul commentaire! La procédure suivie dans ces pages et dans les autres sessions centrales, se référant au sujet de la CPS, est d'expliquer une certaine conception d'un philosophe et de dire immédiatement comment ce principe ou concept est assumé, modifié ou rejeté par la CPS. En raison de toutes ces caractéristiques, il est clair que l'auteur du Texte veut une valeur philosophique pour son panorama historico-philosophique en raison de la multiplicité des caractéristiques philosophiques de la CPS, et non en raison de la qualité théorique et dissertative de chaque élément du Texte. Cette stratégie, cependant, ne semble pas légitime dans le cadre d'une thèse de doctorat académique en philosophie, car il est fondamental de montrer un approfondissement réflexif, théorique et conceptuel des thèmes traités, ce qui n'est pas atteint par la juxtaposition de nombreuses observations brèves et superficielles. 5

6 Bien que les exigences en matière de support bibliographique varient considérablement entre les départements de philosophie des universités, notre évaluation est que 42 éléments, comme c'est le cas avec le texte, énuméré à la page 474, sont trop insuffisants, confirmant la perception que les présentations par les concepts et thèmes philosophiques des auteurs de l'histoire de la philosophie sont superficiels, sous-développés, sans problématisation proportionnelle à l'importance d'une thèse de doctorat en philosophie. Notre conclusion est que toute la partie du fondement théorique de la CPS ne peut pas être évaluée positivement en soi, car elle n'acquiert un sens et une signification que par la manière dont elle caractérise cette pratique qui est déjà menée et mise en œuvre dans plusieurs ateliers. L'évaluation de la pratique concrète de cette conception de la philosophie dialogique dépendant de considérations empiriques, aucun des deux plans de caractérisation de la CPS ne peut donc être accepté comme légitime. b) Considérant que la CPS est une forme de philosophie ad hominem, pratiquée non seulement en groupe, mais aussi individuellement, à partir des questions posées par le client lui-même, il a vite fallu montrer une certaine proximité, mais surtout la distance de cette pratique par rapport à la psychologie et psychanalyse. En raison de notre plus grande intimité avec la théorie psychanalytique, nous nous limiterons aux thèmes qui la concernent. Le texte mentionne des concepts et des thèmes psychanalytiques dans plusieurs passages, mais principalement entre les pages 394 et 406. L'objectif central de l'auteur est de démontrer que la CPS diffère de la psychanalyse en ce qu'il s'agit d'une enquête sur l'être, sur la vérité du Sujet, alors que la psychanalyse aurait pour objectif premier de guérir ses patients, de restaurer leur santé mentale et leur bien-être. Avant d'aborder cependant la pertinence de ce positionnement, il est nécessaire de citer une déclaration extrêmement important faite par l'auteur: Il ne nous semble pas que l analyste argumente mais plus qu il essaie de lui faire comprendre, par la suggestion, une interprétation qu il a déjà faite sur son «cas». Nous disons cela avec prudence dans la mesure où nous ne sommes pas des experts de la psychanalyse mais c est l hypothèse que nous formulons au vu des textes de Freud et des discussions que nous avons eues avec des Sujets participant à nos consultations et qui par ailleurs étaient en psychanalyse. (394) Bien sûr, il serait excessif d'exiger que l'auteur du texte soit un «expert» en psychanalyse, mais il doit démontrer des connaissances suffisamment approfondies pour soulever une hypothèse critique aussi incisive. Le plus important, cependant, et qui constitue, comme nous le pensons, une grave insuffisance, est le fait que l'auteur affirme que cette hypothèse soulevée au début du passage provient, en plus de la lecture des textes de Freud, de discussions avec des clients de la CPS. Il est 6

7 inacceptable qu'une thèse de doctorat universitaire en philosophie soit basée sur des conversations informelles avec les clients de la CPS pour formuler une hypothèse qui défend la CPS elle-même en la différenciant de la psychanalyse. C'est un manque de rigueur théorique et d'engagement incompatible avec l'excellence d'une thèse de doctorat. Ainsi, toutes les formulations du texte sur la psychanalyse, principalement liées à la différence entre les procédures psychanalytiques et la CPS, doivent être rejetées en raison de la précarité de sa base de recherche. En termes de contenu, une hypothèse critique sur la psychanalyse mérite d'être mentionnée, en raison de son inadéquation flagrante avec les formulations de Freud: «Le souci de l analyste n est pas que le Sujet comprenne et voit tout ce qui se passe, en prenne conscience et l analyse, mais que le Sujet aille mieux, sorte de sa souffrance» (395). Il ne fait aucun doute que le but ultime de la psychanalyse est d'obtenir une guérison à la souffrance psychologique, mais cette guérison est une conséquence souhaitable du long processus d'analyse des symptômes, des actes fautifs, des rêves et des associations libres produits au cours des séances: «il s agit de rendre l'inconscient accessible à la conscience, ce qui se produit en surmontant la résistance» 2. Selon Freud, les expériences traumatisantes de la petite enfance fixent psychiquement certains contenus, qui continuent de faire pression sur la sphère consciente, produisant des formations de substitution, liées à des représentations refoulées par une forme d'association symbolique. Cette formation de substitution à l'idée refoulée les symptômes est protégée contre de nouvelles attaques de la part du soi défenseur, et au lieu d'un bref conflit, il y a maintenant une souffrance sans fin. Dans le symptôme, à côté du signe de défiguration, on peut voir un résidu de similitude, médiatisé en quelque sorte, avec l'idée à l'origine refoulée; et les voies, par lesquelles la formation substitutive a été générée, peuvent être découvertes au cours du traitement psychanalytique du patient, et pour sa guérison, il est nécessaire que le symptôme soit à nouveau traduit dans l'idée refoulée, en suivant ces mêmes voies. Si le refoulé est à nouveau accessible à l'activité psychique consciente, ce qui suppose le dépassement d'une résistance considérable, alors le conflit psychique que le patient a voulu éviter peut trouver une meilleure voie que celle offerte par le refoulement, sous la direction de l'analyste. 3 2 Sigmund Freud, «Die freudsche psychoanalytische Methode» («La méthode psychanalytique freudienne»), Gesammelte Werke, vol. V, Frankfurt am Main : Fischer, 1999, p.8. 3 Sigmund Freud, «Über Psychoanalyse. Fünf Vorlesungen, gehalten zur zwanzig jährigen Gründungsfeier der Clark University in Worcester, Mass., September1909» («À propos de la psychanalyse. Cinq conférences données à l'occasion du 20e anniversaire de l'université Clark, Worcerter, Massachusetts, septembre 1909»), Gesammelte Werke, vol. VIII, Frankfurt am Main : Fischer, 1999, p.25. 7

8 Nous voyons que, contrairement à ce que dit l'auteur du Texte, le travail psychanalytique se concentre sur l'analyse des représentations conscientes, suivant un chemin lent et élaboré, jusqu'à ce qu'une traduction suffisante de l'inconscient à la conscience soit obtenue. Le symptôme, la souffrance, la contrainte psychique, bref, toute souffrance névrotique sera supprimée ou atténuée comme résultat attendu de ce processus de réflexion symbolique. La conclusion de ce point est que la part de fondement théorique de la CPS dans le texte est insuffisante pour plusieurs raisons: peu de profondeur des thèmes et concepts des théories étudiées, utilisation purement utilitaire de ces théories, peu de dialogue avec la tradition philosophique des commentaires de textes classiques, bibliographie réduite présentée pour la construction du texte, qualification précaire de son support face au caractère analytique de la psychanalyse et, enfin, méconnaissance d'un précepte élémentaire de clinique psychanalytique. Nous passons maintenant au dernier point de notre opinion, en nous demandant si la CPS peut être considérée comme une pratique violente. 3) À propos de la nature violente de la CPS. Comme nous l'avons dit, ce thème est abordé deux fois dans le texte, et dans le second, entre les pages 435 et 440, l'argument se déroule de manière plus abstraite, se concentrant plus spécifiquement sur le caractère violent de la pensée en tant que telle. Aux fins de notre évaluation, il est plus utile de se concentrer sur la première occurrence du thème, situé dans le contexte des différences avec la psychologie, entre les pages 131 et 136. Comme dans son approche de la psychanalyse, l'auteur reconnaît également son peu d'intimité avec la psychologie, et avoue également avoir basé ses réflexions sur quelques conversations informelles avec des psychologues et leurs clients: La psychologie est un domaine très vaste et nous n en avons pas une connaissance intime. Les différences dont nous faisons état nous sont apparues en nous confrontant avec des psychologues qui ont assisté à nos séances ou avec des participants eux mêmes impliqués par ailleurs dans des psychothérapies. (131) Suivant le même principe d'évaluation préalable, nous disons que ce soutien informel dans des discussions en dehors du cadre académique, sans identifier les participants, est précaire, insuffisant et inacceptable pour une thèse de doctorat en philosophie. Avant d'aborder spécifiquement les formulations de l'auteur concernant la nature potentiellement violente de la CPS, examinons de manière générale ce qui représente 8

9 la transformation de la philosophie en tant que théorie de la pratique de la consultation. La philosophie, en tant que discipline des cours académiques, a un large éventail d'objets et de formes de réflexion: théorie de la connaissance, philosophie morale, esthétique, ontologie, analyse du langage, etc. Dans chaque auteur ou école de pensée, il y a un plus ou moins grand questionnement sur la dimension existentielle humaine, ses désirs, ses valeurs, ses sentiments, ses modèles de comportement, etc. L'auteur du Texte a une conception de la philosophie qui privilégie totalement celle qui prend le sujet comme préoccupation. Toutes les autres, loin des questions existentielles ou morales, sont carrément dépréciées, notamment lorsqu'elles impliquent un grand nombre de termes techniques dans leur discours. Cette préférence ne poserait aucun problème, si elle n'était pas liée au fait qu'elle était utilisée pour soutenir un tournant essentiel: à partir d'une science d'investigation théorique, la philosophie devient un instrument d'enquête personnelle sur les motifs, les hypothèses, les valeurs, les idées, les sentiments. Autant une philosophie comme celle de Nietzsche et des existentialistes a un lien vivant avec notre conception de soi et nos modes de vie, elle reste à l'horizon des formulations générales, et c'est à chaque sujet de réfléchir à quel point ce contenu philosophique général peut être «appliquée» à son existence concrète ou y interfère. La CPS fait que la philosophie cesse d'être théorique et devient un exercice de remise en cause directe d'elle-même et des autres, posant le problème de la charge affective, émotionnelle et psychologique de cette lutte. Lorsque le sujet cesse de réfléchir par lui-même sur la signification existentielle des concepts philosophiques et devient la cible d'un questionnement par les autres, cela implique la nécessité de prendre en compte les limites émotionnelles et la capacité psychique à faire face aux défis inhérents à cette activité. De telles limites et capacités, cependant, ne sont pas seulement stipulées par la perception consciente du sujet de lui-même. De nombreux troubles de la personnalité peuvent être aggravés dans cette situation sans que le sujet s'en rende compte. L'auteur dit à la page 84: «L authenticité se révèle en période de crise. C est la raison pour laquelle la CPS, pour laquelle une attitude authentique est essentielle, doit provoquer ces crises, ces ruptures, pour générer de l authenticité». La question à se poser est: comment le praticien peut-il savoir si de telles crises et ruptures ne sont bénéfiques qu'à la recherche d'authenticité et ne sont pas un facteur de perturbation psychique et émotionnelle d'une personne souffrant d'un psychisme fragile? L'ensemble du texte suppose un sujet absolument autonome, conscient de ses limites psycho-émotionnelles, capable de voir ses limites et de faire face aux défis d'une enquête directe et incisive du praticien de la CPS. Le praticien n'étant ni psychiatre, ni psychologue, ni psychanalyste, cette supposition est non seulement naïve, mais dangereuse. Voyons le passage suivant: 9

10 (...) nous pouvons être pris par la gêne voire la colère lorsqu autrui nous renvoie par effet miroir une attitude qui nous déplaît. Si nous sommes authentiques et convenons que cette attitude est habituelle, nous accepterons avec plus ou moins de grâce et d humilité la remarque. Si au contraire nous sommes de mauvaise foi et feignons l étonnement, nous refuserons énergiquement le jugement ou nous montrerons carrément agressifs en ayant recours par exemple à une attaque ad personam pour mettre à terre l adversaire. (91) Or, il existe d'autres possibilités de réaction en plus d'être authentique et d'agir de mauvaise foi: on peut être blessé intérieurement, sans capacité de réaction perceptible pour le praticien et le Sujet. Face aux occurrences successives de cette situation d'agression au forum intime, de graves conséquences psycho-émotionnelles peuvent survenir. Au vu des différentes formulations du Texte, on peut dire que la pratique de la CPS implique un degré considérable de violence contre les personnes. L'auteur du texte en est conscient: «Le courage de dire la vérité est aussi un travail de maitrise de ses émotions : celui qui dit la vérité sait bien ce qu elle risque de provoquer comme réactions violents chez l allocutaire» (100). Or, comment le praticien peut-il savoir si les Sujets ont suffisamment de capacité pour discerner en eux-mêmes à quel point ces réactions violentes peuvent leur causer des dommages psychiques au fil du temps? L'auteur a une conception extrêmement rationaliste de l'être humain, supprimant autant que possible l'importance des émotions comme déterminants de la vie individuelle, car il sait parfaitement que la CPS a besoin de Sujets suffisamment capables de maîtriser leurs émotions. Si le mot et les formulations linguistiques ne sont pas considérés comme suffisamment forts face aux affections, la CPS devient discutable et peut être désapprouvé. Ce passage le démontre: «Le questionnement du pourquoi de l émotion a également un effet performatif immédiat : nommer l émotion qui nous traverse c est déjà la mettre à distance et donc nous en sortir, nous changer et nous libérer en quelque sorte, si l on considère qu un schéma émotionnel est une forme d aliénation du Sujet» (121). Dans cet extrait, il y a l'extrême optimisme du domaine des émotions par le mot et la vision péjorative des affections. Enfin, procédons à l'analyse des réponses directes données par l'auteur à la nature violente de la CPS. La première affirmation à analyser est: (...) notre fil conducteur reste de trouver les concepts structurants et de les articuler dans une «dissertation de l être» du Sujet et non de réduire la souffrance d un patient à la condition tout de même que cette souffrance n empêche pas le Sujet de penser, ce qui disqualifie d emblée certains états 10

11 pathologiques nécessitant une prise en charge médicale psychiatrique. Mais en général les personnes souffrant à ce point ne pensent pas à consulter un philosophe praticien pour se guérir. (131) L'expression «en général» implique qu'il y a des personnes ayant des problèmes psychiatriques qui consultent un philosophe pratiquant pour se guérir. Comment le praticien saura-t-il détecter les personnes aux premiers stades des problèmes psychiatriques? Quelle qualification, formation et supervision qualifiée a-t-il pour ce jugement? Une fois que la CPS pratique une confrontation comparée par l'auteur à un art martial du praticien avec le Sujet, ces questions liées aux difficultés psychiatriques des Sujets face à des situations de turbulence émotionnelle doivent être beaucoup mieux abordées, car dans la CPS ils sont simplement jetés. Le passage le plus significatif de notre appréciation se situe entre les pages 132 et 133. Compte tenu de son importance, nous le citerons en entier, en énumérant les points qui seront commentés ci-dessous. Certains psychologues nous accusent d être trop violents avec les Sujets et que cette supposée violence puisse avoir des effets dangereux sur la psyché des Sujets (1). A cela nous répondons quatre choses : premièrement cela ne nous est jamais arrivé en 20 ans d expérience (2), deuxièmement le Sujet est toujours libre d interrompre le questionnement s il le juge insupportable (3), troisièmement nous ne nous intéressons pas aux événements intimes du Sujet ce qui leur enlève tout le poids de leur singularité ( je suis le seul dans ce cas ) car nous allons vite à l universel derrière le particulier (4). Concernant ce point d ailleurs, peu de gens accepteraient d être filmés et que leur consultation individuelle soit faite en public s ils savaient que des éléments de leur vie intime allaient être livrés (5). Quatrièmement enfin, tout questionnement est potentiellement violent par nature dans la mesure où il contraint le Sujet à interrompre son flux mental, cette musique réconfortante qu il se joue souvent à lui même (6). Or il nous semble que le questionnement n est pas l apanage de notre pratique même si nous l avons poussé à un niveau très exigeant (7). D ailleurs nous voyons beaucoup plus de violence dans un questionnement non maitrisé, pratiqué dans la vie de tous les jours, contenant des présupposés implicites qui sont autant de messages quasi subliminaux envoyés au Sujet mais dont l enrobage sous forme de question ne laisse pas paraitre sa nature agressive (8). (1) Pour une thèse de doctorat en philosophie, il faudrait dire qui sont ces psychologues, citer ou renvoyer à leurs critiques et arguments, afin que nous puissions évaluer si les réponses apportées envisagent les critiques soulevées. Il faudrait également savoir si ces psychologues ont précisé les effets dangereux qu'ils voient sur la psyché du sujet. (2) Nous avons déjà commenté le manque de soutien objectif dans cette constatation empirique, et considérant qu'il s'agit de la première des réponses, cela nous porte à croire qu'elle est la plus significative parmi les quatre fournies. 11

12 (3) Le sujet est libre d'interrompre les consultations sur la base de sa dimension rationnelle, de la délibération consciente. Or, lorsque nous abordons la question de la violence psychique et ses effets sur la subjectivité, nous parlons d'un type d'impact qui n'est pas totalement transparent pour la conscience des sujets. Beaucoup de violence peut être commise contre une personne, sans qu'elle ait une perception claire des dommages psychologiques résultant de la situation à laquelle elle est exposée. (4) Ce manque d'intérêt explicite pour les événements intimes du sujet montre précisément combien la CPS néglige la violence possible exercée sur les sujets. Cette pratique suppose une capacité totale des sujets à maîtriser leurs émotions, ainsi qu'une immunité quasi totale de la dimension rationnelle du sujet par rapport à son complexe affectif. Selon notre appréciation, la CPS est extrêmement rationaliste, dans une certaine mesure incompatible avec une activité qui propose une confrontation systématique, incisive et déterminée par rapport à des questions subjectives. (5) Dans notre évaluation, le fait que les gens soient filmés pour exposer des problèmes subjectifs importants implique encore une autre source possible de violence, et le fait que les gens acceptent consciemment cette situation, encore une fois, n'est pas une garantie d'absence des effets psychiques consciemment imperceptibles. (6) Nous sommes d'accord avec l'idée que tout questionnement est potentiellement violent, mais le simple pouvoir n'est pas en jeu, mais plutôt combien le questionnement est en fait violent, en raison de l'exigence d'interaction, de réponse, de correspondance, entre les interlocuteurs. De plus, le fait que de nombreuses questions soient violentes est l'une des raisons fondamentales pour ne pas les qualifier de philosophiques. Cette qualification dépend en grande partie de la précaution et du soin avec les effets subjectifs de l'interaction dans le questionnement. Comme la CPS suppose explicitement qu'elle ne s'intéresse pas à cette dimension émotionnelle du Sujet, on soupçonne fortement qu'elle est en réalité trop violente et cause des dommages psychologiques et émotionnels. (7) Il est évident que le questionnement n'est pas l apanage de la CPS, mais de son exercice sous forme de consultation, ciblant le sujet et sa dimension existentielle, avec des questions et réponses posées successivement, ne s'intéressant pas à l'histoire du Sujet et à sa dimension intime, tout cela est son «apanage», et le plein potentiel de la question de la violence en général peut facilement devenir une actualité dans ce contexte. (8) Dans notre évaluation, l'argument selon lequel il y a plus de violence dans les interactions de la vie quotidienne est très inapproprié, car une telle violence est l'un des éléments qui empêchent de telles interactions d'être qualifiées de philosophiques, car elles sont loin de la recherche de rigueur conceptuelle et non sont qualifiés par l'intérêt pour l'objectivité du discours. De plus, les interactions dans la vie quotidienne n'ont pas en général la caractéristique d'une relation aussi étroite, incisive, répétée et interpellative que celle de la CPS. La conclusion que nous tirons dans ce point de notre évaluation est que la CPS, tel qu'elle est exposé dans le Texte, constitue une pratique qui est refusable comme 12

13 philosophiquement légitime en raison de sa négligence concernant la violence que ses activités peuvent exercer sur les sujets. Rien n'indique que les praticiens sont qualifiés pour diagnostiquer des problèmes psychologiques ou psychiatriques qui nécessitent une orientation vers des professionnels techniquement qualifiés. Sa conception du sujet est trop rationaliste pour une activité qui implique un contact très étroit, de confrontation, entre praticien et client. CONCLUSION GÉNÉRALE Le texte évalué ne doit pas être accepté comme une thèse de doctorat en philosophie pour trois grands groupes de raisons principales. Premièrement, le texte est soutenu par un grand nombre de déclarations liées à la réalité empirique de la CPS, sans le degré de fiabilité et d'objectivité requis pour un travail de doctorat académique. L'auteur est un praticien de la CPS, et tout au long du texte, il fait sa défense, et ne peut donc pas apparaître comme l'auteur des descriptions empiriques. Deuxièmement, toute la contribution théorique du texte consiste en des présentations superficielles et «utilitaristes» des pensées de grands philosophes, sans reconnaissance de la tradition des commentaires. De plus, l'auteur dit explicitement qu'il fonde ses hypothèses critiques sur des courants psychologiques et psychanalytiques sur des conversations informelles avec des clients de la CPS, ce qui est inacceptable pour une thèse de philosophie. Troisièmement, la CPS adopte une attitude de désintérêt et, par conséquent, de négligence, à l'égard des facteurs émotionnels et intimes des sujets, impliquant le risque extrêmement élevé d'exercer une violence inacceptable dans la structure psychologique et émotionnelle de ses sujets. AVIS FINALE Le présent rapporteur émet un avis défavorable à la soutenance de doctorat en philosophie de Monsieur Jérôme Lecoq. Belo Horizonte, 26 février Verlaine Freitas Professeur Titulaire du Département de Philosophie, Université Fédérale de Minas Gerais, Brésil 13