L'EGLISE DE VOUDENAY

Transcription

1 L'EGLISE DE VOUDENAY par M. Albert COLOMBET Une restauration récente ayant permis de dégager le chœur de l'église de Voudenay, il a paru opportun d'en entreprendre l'étude. Avec le cimetière qui l'entoure, elle s'élève sur une espèce de motte, séparée du coteau par un assez vaste fossé encore très visible. La tradition locale veut qu'elle ait été la chapelle d'un château-fort dont on retrouve les substructions en creusant les tombes. Courtépée apporte un argument à cette thèse en relatant que la chapelle Notre-Dame de Garreau, située à 700 m de là, passait pour avoir été l'église paroissiale primitive 1. Une note manuscrite du xvm e siècle précise qu'au cours de travaux, on trouva dans cette chapelle des tombeaux et des ossements 2. Assurément, aujourd'hui la chapelle Notre-Dame de Garreau est un bien modeste édifice, qui se compose d'une courte nef et d'une abside en cul-de-four. On peut douter qu'elle ait été l'église paroissiale primitive, d'autant plus qu'elle est fort isolée et qu'il ne semble pas qu'on ait rencontré autour d'elle les substructions d'un village ou d'un établissement qui aurait pu motiver son érection et, partant, justifier son titre d'église paroissiale. Par ailleurs, quelle aurait été la forteresse élevée auprès de l'église? Il est bien question d'une ancienne maison-forte à Voudenay, mais elle semble s'être dressée à l'emplacement du château actuel. En 1276, Jean de Voudenay déclare tenir du Duc tout ce que Gauthier Li Baux (Bot?) avait dans la vallée de Voudenay : la maison-forte, le four, les terres. «Dans la vallée» s'applique parfaitement au château actuel, qui a succédé au début du xvm e siècle à un édifice plus ancien. Celui-ci est décrit comme étant un donjon formé par quatre tours, ce qui permet de croire à une haute ancienneté. Une autre tradition parle d'un monastère. C'est assez peu vraisemblable, car il n'en été a trouvé aucune mention. D'ailleurs les établissements de cette nature ne paraissent pas avoir été bâtis sur des mottes. 1. COURTÉPÉE, Description..., 1848, t. IV, p Documentation de GOUHTÉPÉE, B. P. de Dijon, ms. 1003, f 454.

2 154 ALBERT COLOMBET Les seules parties anciennes sont constituées par l'abside, l'avantchœur, la base du clocher et le croisillon sud. Le clocher a été reconstruit en A une date difficile à déterminer, le croisillon nord fut remplacé par une chapelle. Les murs de la nef sont certainement, pour une grande partie, ceux de la construction primitive, mais ils ont été percés à une époque proche de la nôtre de baies assurément plus grandes que celles qui existaient antérieurement. La façade est de style classique. FlG. 1. ÉGLISE DE VoUDENAY Hémicycle du chœur Cliché A. Colombel. C'est le chœur qui doit retenir l'attention. Extérieurement, ce cul-de-four est très simple : deux contreforts plats, pas de corniche. Les travaux de restauration ont fait apparaître une petite baie en plein cintre dans l'axe du chevet. Intérieurement, ce cul-de-four est beaucoup plus intéressant. Il est décoré d'une arcature formée de cinq arcs en plein cintre, reposant sur six colonnetttes. L'arc central est plus large que les quatre autres. Cette arcature repose sur un bahut. Les chapiteaux sont ornés de feuilles d'eau très simplement sculptées (sauf le n 4, qui offre sur l'un de ses côtés des chevrons emboîtés), mais presque toutes d'un type différent. De même, les bases offrent des moulurations assez variées : torsades, boudins superposés, boudin sur rang de fleurettes.

3 KGLISK DE VOUDliNAY 155 Cette décoration de l'hémicycle du chœur apparaît assez fréquemment dans les églises romanes du Brionnais, du Chalonnais et surtout de l'autunois. Les exemples que nous pouvons voir dans notre département sont précisément tous proches de cette dernière région : Sussey, Clomot, chapelle Saint-Jean de Soussey, Mont- Saint-Jean, La Rochepot. L'influence martinienne est très vraisemblable pour ce genre de décor. Fie. 2. ÉGLISE DE VOUUENAV, Chapiteaux et bases L'ornementation des chapiteaux à feuilles d'eau rappelle celle des chapiteaux de Clomot. De même celle des bases. Dans l'ensemble de notre grammaire florale romane, elle n'offre pas de caractère particulier. Un vitrail d'art moderne a été placé dans la baie dégagée du chevet. Cette abside est précédée d'un court avant-chœur, voûté en berceau plein cintre. La base du clocher est également voûtée en berceau du même type. Elle est délimitée par quatre arcs de même courbure, assez épais. Au sud le croisillon est en réalité un simple renfoncement. Sa fonction était destinée presque uniquement à épauler le clocher. Ce croisillon est également voûté en plein cintre, mais son axe est

4 ECHELLE: 1m 3 m 5m Om 2m 4m FIG. 3. ÉGLISE DE VOUDENAY, Plan Dressé par M. François Richi.

5 EGLISE DE VOUDKNAY 157 perpendiculaire au berceau du carré. Du côté de la nef, ce renfoncement offre une petite arcade en plein cintre, qui devait le faire communiquer avec la nef. Les murs de la nef remontent en grande partie à l'église primitive. Leur appareil est malheureusement dissimulé sous l'enduit. Il n'est pas possible de dire si les fenêtres actuelles ont remplacé les baies d'origine ou si celles-ci, murées, subsistent encore. FIG. 4. ÉGLISE OK VOUDENAY Portail latéral. Restes du tympan et de l'archivolte (état eu 1954) Cliché A. Colombet. Néanmoins le mur nord de la nef a conservé les restes d'une jolie porte romane, qui a été quelque peu défigurée et dont l'ouverture a été bien sûr obturée. La situation de cette porte est à remarquer. En effet, elle s'ouvre tout contre le transept, ce qui est anormal : en effet, à cet endroit, on devait éviter d'évider le mur, en raison du poids du clocher. De plus, cette porte est tournée du côté des champs 3. Évidemment, si nous admettons l'existence d'une maison-forte ou d'un monastère, voire d'une cella quelconque, sa position se justifierait mieux. De cette porte romane, il ne subsiste qu'un fragment de l'archivolte et le tympan. 3. Cette porte est aussi tournée du côté du hameau de Viscolon.

6 158 ALBERT COLOMBEÏ L'archivolte s'orne de perlettes. C'est un décor peu usité dans nos églises romanes. Il faut en chercher d'homologues du côté des régions de l'yonne (par exemple le portail de Druyes-les-Belles- Fontaines) et de la Nièvre (Anfray en cite quelques exemples). La source d'inspiration semble être le Val de Loire. Le tympan apparaît tout à fait archaïque, car les dessins qui l'ornent sont seulement gravés. Ils se composent de croix et de rosaces inscrites dans un cercle. Il y a quatre motifs répartis quelque peu sans ordre sur le tympan. La base de celui-ci offre un bandeau strié de hachures. Cet ensemble est assez déroutant, compte tenu de la qualité de la sculpture de l'archivolte, aussi pourrait-il s'agir d'un remploi. On pourrait aussi proposer l'hypothèse suivante : ce tympan étant resté nu, il a été décoré, par des artisans de village maladroits, de signes conventionnels. L'arcature de l'abside et son décor permettent de situer la construction dans les premières années du xn e siècle. * * * La façade de l'église a été reconstruite dans le style classique. Elle n'est pas sans élégance. Le fronton est souligné par une mouluration et par un triangle en saillie. Tout au sommet de celui-ci, on remarque une espèce de fleuron. La façade proprement dite se compose de trois panneaux. Celui du milieu offre une petite niche. Au-dessous est percée la porte que couvre un gracieux auvent. De chaque côté se voit un panneau en relief surmonté d'un oculus. La porte mérite de retenir notre attention. Son arc est en plein cintre, mais ses arêtes sont creusées de deux gorges, que sépare un filet à rainure médiane. Ces gorges s'amortissent en congé. Cette porte évoque l'architecture du xvi e siècle. Faut-il la dissocier de l'ensemble de la façade, ou doit-on y voir une survivance d'un type plus ancien au moment où toute cette façade a été reconstruite, c'est-à-dire vraisemblablement au xvn e siècle? La question reste posée. En plusieurs endroits du mur nord de la nef, où l'enduit est tombé, on remarque les vestiges d'une litre seigneuriale. Notamment, on distingue au-dessus du tympan roman les traces d'une couronne comtale. Les seigneurs de Voudenay furent aux xvii e et xvm e siècles les Belin de Mâlain, qui reprirent à une date non précisée le titre de barons, dont les seigneurs de Voudenay s'étaient parés anciennement. Mais ils étaient primitivement comtes de Bielle. Il a été

7 ÉGLISE DE VOUDENAY 159 impossible de dater cette litre, qui cependant semble du xvm e siècle. D'autres traces de cette litre se voient au-dessus de la baie absidale et peut-être au-dessus de la porte de la façade. Cette nef offre une particularité qui n'a jamais encore été rencontrée dans nos églises : sa corniche, dont la coupe profile une gorge sous une moulure torique, est confectionnée en bois. Sa modenature est assez jolie. Elle pourrait être contemporaine de la réfection de la façade. La seule mention ancienne concernant cette église actuellement connue est celle-ci : «Le visiteur de l'évêque (d'autun) ordonne en 1672 que les piliers soient ostés et l'église lambrissée.» De quels piliers s'agit-il? Rien ne permet de le dire. Reste, la chapelle nord. Elle semble ancienne. Elle est voûtée en berceau plein cintre et primitivement elle était éclairée par une grande baie également en plein cintre. Cela nous reporte au xvi e ou xvn e siècle. Mais cette chapelle a été remaniée. On a obturé la baie, ne laissant qu'une étroite fenêtre rectangulaire. Une sacristie, d'aspect également ancien, s'appuie sur cette chapelle. Cette église abrite quelques œuvres d'art. La statue la plus ancienne est celle d'un saint évêque, qui pourrait être saint Martin, jadis patron principal de l'église. On remarquera qu'il tient le pan gauche de sa chasuble en tablier sous son bras droit. Ce mouvement de l'étoffe, d'ailleurs assez bien venu, dénote l'influence des ateliers slutériens, mais l'ensemble de l'œuvre conduit à dater cette statue des environs de On admire aussi un buste de Vierge qui, malgré ses mutilations, laisse entrevoir une œuvre du xvi e siècle ayant subi l'influence champenoise (décor du voile, galon du corsage, etc.). Un très modeste vitrail en grisaille représente une Crucifixion avec la Vierge et saint Jean. Une cloche remontait à Elle portait l'inscription suivante : t sancla maria o pro nobis sancte martine ora pro nobis l an mil V CI Au-dessous étaient gravées l'image de Jésus en croix et celle de saint Martin. D'un côté du Christ la Vierge, de l'autre saint Jean 4. Hélas! cette cloche bien que classée, a été malencontreusement refondue! 4. Cf. GAITET (F.), Cloche ancienne à Voudenay, dans liallelin d'histoire... du diocèse de Dijon, 18 année, 1900, p

8 160 ALBERT COLOMBET II y a en outre des œuvres d'art populaire : une Vierge deuillante et un saint Jean au calvaire ; une autre Vierge deuillante et un autre saint Jean ; la facture de la Vierge est à peu près identique, mais dans le second groupe, saint Jean lève son bras droit ; au-dessus du premier groupe est un Christ en croix, de facture également populaire et quelque peu archaïque, avec ses bras horizontaux et sa couronne torsadée. Cet ensemble a été ramené de la chapelle Notre-Dame de Garreau. Ces œuvres peuvent être datées de la fin du xvi e siècle. Il convient de citer aussi une cuve baptismale en pierre en forme de cloche, sans doute de la même époque. Enfin une toile un peu dégradée et qui ne doit pas être sans valeur représente la Cène. Les Apôtres forment cercle autour d'une table.