Luc 19,45-48 : Restauration du Temple : Les vendeurs chassés et Jésus enseignant (lire le texte) Jn 2,14-16 : 9 nov F et 3 e Carême B

Transcription

1 Luc 19,45-48 : Restauration du Temple : Les vendeurs chassés et Jésus enseignant (lire le texte) Jn 2,14-16 : 9 nov F et 3 e Carême B v. 45 : «,». Bien que l investiture royale de Jésus soit entamée bien avant Jérusalem, (3 à 5 km) et que les acclamations dont il fait l objet se déroulent avant le Mont des Oliviers, Luc ne dit pas si celles-ci se poursuivent en entrant dans Jérusalem, alors que Matthieu les situe à l entrée de la ville. La conjonction «et» lie les deux choses, sans autres précisions, mais elle suffit à indiquer que ce que Jésus va faire dans le temple est lié à cette investiture royale : c est en tant que «roi-messie» qu il entre dans le temple où il est chez lui, comme il va le laisser entendre dans le verset suivant. Question de vocabulaire : Le «temple, ƒeròn», désigne la maison de Dieu dans son aspect extérieur et réservé au culte ; «le sanctuaire, naòj» désigne la maison de Dieu dans son aspect intérieur et réservé à Dieu, le Saint et le Saint des Saints. L entrée de Jésus dans le temple est d une portée beaucoup plus grande que ce que l on pense d emblée. Pourquoi? Parce que l on ne tient jamais compte de la sortie de la Shekinah, de la Gloire de Dieu, et donc de sa présence qui s est éloignée du temple sous Ézéchiel (Ez 10 11) [lire]. Dieu est absent du temple depuis l époque de la déportation, soit 6 siècles plus tôt. Depuis lors, jamais il n est signalé un retour sous quelque forme que ce soit de la Présence divine dans le Saint des Saints, même pas à l époque de la restauration du temple sous Esdras et Néhémie. Jésus Fils de Dieu fait maintenant une entrée royale dans le temple ; précisons : pas dans le Saint des Saints, car cette entrée de Jésus n est encore que le signe de ce que Dieu compte revenir habiter au milieu des hommes. Et que commence-t-il à faire : il éjecte les vendeurs, les marchands, i.e. ceux qui s enrichissent «dans» le temple, à cause du temple et à cause de la piété des gens. Que vendent-ils? Ils vendent les animaux qui servent aux sacrifices, lesquels vont du couple de tourterelles jusqu au taureau, selon l importance des fautes, la générosité et les moyens de chacun. Les hommes ont en fait «récupéré» en quelque sorte le lieu de la Présence de Dieu au milieu de son peuple vidé de celle-ci et l ont aménagé à leur profit purement terrestre (paganisation). Ils se servent de la Loi pour leur propre satisfaction. Et au lieu de faire amende honorable, de s humilier et d implorer le retour de Dieu au milieu d eux, ils se sont résignés de son absence et ont tout ramené à eux. Ils posent des gestes et exécutent des rites extérieurs dont Dieu lui-même a déjà dit à plusieurs reprises qu il n en avait que faire parce qu ils lui refusent leur cœur, et même qu il ne leur avait jamais demandé cela. Le geste de Jésus est un signe de ce que tout cela va bientôt disparaître, ce geste que Jésus pose très précisément juste après ses lamentations et ses pleurs sur Jérusalem (v ). Car il est venu pour s attacher cette humanité pécheresse, non pour la rejeter. v. 46 :. Jésus accompagne son geste d une parole, car il veut que ce geste soit compris sans ambiguïté. Et cette parole est tirée expressément de l Écriture, pour bien montrer deux choses : d abord que ce qu il continue de réaliser est bien l accomplissement des Écritures et non un caprice d homme, et ensuite que par le fait même, sa volonté est pleinement accordée à celle de Dieu son Père qui a toujours demandé que telle soit sa maison, dès le commencement. Jésus fait allusion, plutôt qu il ne le reprend, à un passage prophétique, en l occurrence Is 56,7 où Dieu dit ceci : «(v. 4 et répété au v. 6)». À ce verset, nous pouvons joindre Is 60,7 :. Ces deux versets demandent une petite explicitation. La nouvelle Alliance solide et définitive est celle que Dieu Père va bientôt établir en son Fils ; ceux qui s y attacheront avec fermeté, solidement, Dieu en personne les mènera à sa sainte Montagne, et lui-même les comblera de joie. Et où cela? très précisément dans sa maison de prière. Et annonçait déjà la volonté universaliste de Dieu. Quant à Is 60,7, il vient éclairer le propos de 50,7 en précisant que par holocaustes et sacrifices, Dieu entend bien ceux des personnes elles-mêmes, non celles d animaux, comme il l a déjà dit plusieurs fois et comme il le redira encore maintes fois.

2 La maison de son Père est aussi la sienne et Jésus la voit souillée. Éclairé par son propos à Zachée, où Jésus identifiait déjà la maisonnée de Zachée à Zachée lui-même, nous comprenons qu en disant à propos du temple Jésus s identifie à celle-ci. Et c est bien à lui en personne que le Père mène ceux qui reconnaissent que c est lui, le Christ, l Alliance de Dieu, et qui s y attachent fermement, car c est en lui et rien qu en lui seul que l homme se voit attaché et s attache véritablement à Dieu, lui, le Christ que Dieu a choisi et a fait sacrement de sa Présence réelle parmi les hommes. Qu est-ce encore qu une, sinon un repli caché et sombre dans la montagne. Cette réduction vénale du temple-maison du Seigneur se cache spontanément, signe de ce que cette pratique se sait parfaitement contraire à la volonté divine. Ce que Jésus affirme explicitement à Nicodème en Jn 3,20-21 :. Comme le temple, c est aussi la propre humanité de Jésus unie à son corps qui est l Église, (Jn 2,22), Grégoire le Grand, dans son Homélie 39 sur l Évangile, dit que Jésus pose ce geste dans le temple pour montrer que cette ruine du Dessein de Dieu vient surtout de la faute des prêtres. Et Ambroise précise que «Dieu n a pas institué le ministère sacerdotal pour que ses fonctions soient vendues, mais pour qu elles soient données gratuitement». Bientôt, notre dette sera reprise par le Christ, le Pardon des péchés, la Miséricorde de Dieu et l Esprit Saint seront donnés gratuitement. Reçus gratuitement, Jésus rappelle que ces dons de Dieu doivent être répandus gratuitement. Comme nous pouvons le constater, Jésus ne cesse, jusqu au bout, de faire des signes et d enseigner pour préparer ses disciples et futurs fidèles à recevoir et à vivre selon son esprit le Royaume qui est imminent. Augustin, quant à lui, dit ceci : «Il a voulu signifier qu il y en aurait plusieurs dans son Église qui s occuperaient de leurs affaires ou qui s en feraient un asile pour cacher leurs crimes, au lieu de pratiquer la charité du Christ et d amender leur vie en obtenant le pardon de leurs fautes par la confession» (Questions sur l Évangile, L. 2, qu. 48). L Église terrestre marche dans la gadoue du monde. Sans pour autant fermer les yeux sur ce qui est trahison de l Évangile, du Christ, de l Église, dans le chef de ses membres, ne nous scandalisons pas, mais prions pour avoir non pas de «bons» prêtres, c est-à-dire tels que nous les aimerions selon nos sentiments, des prêtres qui «plaisent», esthétiquement parlant, mais pour avoir de «vrais» prêtres, à l image et à la ressemblance du Christ. Chasser les vendeurs annonce encore que les sacrifices d animaux vont disparaître et seront remplacés par celui du Christ. Mais cela, les disciples ne peuvent pas encore le deviner. Quelques très rares manuscrits ajoutent à notre texte la phrase suivante :. Cette phrase est de toute évidence un ajout, repris à l évangile de Jn 2,15 et 2,16. Elle permet à Ambroise de dire : «Il chasse les changeurs pour signifier ceux qui cherchent à faire un commerce avec l argent du Seigneur, c est-à-dire avec les divines Écritures, de sorte qu ils ne font plus de distinction entre le bien et le mal». Et cet ajout permet à Origène de faire le commentaire suivant : «Celui qui vend sera donc chassé, surtout celui qui vend des colombes ; car si je vends au peuple, à prix d argent, les choses qui m ont été révélées et confiées par l Esprit Saint, ou si je ne les enseigne pas sans un salaire, que fais-je d autre, sinon vendre une colombe, c est-à-dire l Esprit Saint?» (En Luc, hom. 37). Nous qui avons reçu toute grâce gracieusement, gratuitement, donnons et prolongeons la Miséricorde de Dieu gratuitement nous aussi, et avec le sourire! N est-ce pas la meilleure manière de rendre pleinement justice à la Miséricorde infinie de Dieu? Vous constatez que deux petits versets manifestent une portée considérable. Voilà pourquoi il faut non seulement lire l Écriture, mais encore et surtout écouter en permanence la Parole de Dieu. Comment? En la ruminant nuit et jour, afin de lui permettre de s éclairer en nous progressivement, tout comme le grain germe en terre secrètement avant d émerger en pleine lumière et de porter du fruit, son fruit! v. 47 : En Luc 4,44, il était dit que Jésus. À la lumière du pape François, nous pourrions dire que Jésus a commencé par les périphéries Maintenant, Jésus est donc non seulement entré dans le temple, mais il y demeure quotidiennement. Il en fait son chez lui! Et après en avoir éjecté toute forme de commerce, il se met à y enseigner essentiellement. Il n opère plus de guérisons, il ne traite plus les langueurs et maladies,

3 il ne réalise plus de miracle, mais il enseigne. Pourquoi? Parce que, nous dira Paul,, i.e. de la parole de Dieu prononcée et écoutée, et que la nouveauté inouïe du Règne de Dieu qui vient demande un long surplus de préparation, d enseignement. Que Jésus enseigne indique aussi qu il a un auditoire qui l écoute. Ceux qui, dès avant Jérusalem, l ont reconnu et acclamé comme Messie et qui veulent le suivre. Cyrille relève que beaucoup parmi le peuple ont une meilleure opinion de Jésus que les grands-prêtres, les scribes, les Pharisiens et les princes du peuple que nous verrons dans quelques instants.. Nous le savons depuis longtemps : depuis Lc 6,11, après la guérison de l homme à la main desséchée un jour de sabbat, les autorités sont vertes de rages envers Jésus et complotent contre lui ; après sa sortie contre les Pharisiens et les légistes, lors de son déjeuner chez l un d entre eux, ils cherchent à piéger Jésus (11,53-54). Ici, ils voudraient le réduire au silence, car il gêne considérablement, non seulement par l aura qu il a sur le peuple et qui rejette la leur dans l ombre, mais aussi parce qu il révèle la vraie grandeur de Dieu (Lc 9,43), et surtout, comme il ressortira clairement lors du procès de Jésus, à cause de ses prétentions messianiques (Lc 22,67-68) et plus encore divines qui leur paraissent démesurées, insolentes, impudentes, blasphématoires (Lc 22,69-71). Et il y a encore d autres motifs que l on trouve chez les autres évangélistes. v. 48 :. Ceci est à entendre de deux manières. Ils ne savent que faire à la fois parce qu ils craignent de froisser et de soulever le peuple qui, depuis longtemps déjà, porte Jésus en grande estime et est suspendu à ses lèvres, et aussi parce qu ils constatent que le peuple néglige leur enseignement au profit de celui du Christ. Jésus détourne d eux le peuple, tout le peuple même, et par là, il réduit à néant leur fonction, montrant que son geste prophétique de chasser les vendeurs est déjà en train de se réaliser. Et comme, dès le départ, ils ont refusé d écouter Jésus et persistent dans leur refus, nous comprenons aisément leur état de fureur grandissant. Jésus a rejoint Jérusalem et le temple. Comme Navalny aujourd hui, et malgré tous ceux qui voulaient l empêcher de se rendre à Jérusalem, Jésus s y est rendu. La rencontre avec les autorités est inéluctable. Préalable à sa Passion, le procès de Jésus peut et va déjà commencer. Dans sa marche vers sa mort voulue, Jésus provoque le conflit qui va l y précipiter. Luc 20,1-8 : De qui Jésus tient-il son autorité? (Mt 21,23-27) Mc 11,27-33 : 31 Ord B v. 1 :. Kai gšneto, et il advint, La marche du Royaume se poursuit. Un unique jour, un jour particulier. Lui, Jésus était toujours en train d enseigner. C est la seule chose qu il fait à présent, enseigner, instruire. Et il enseigne qui? Le peuple. Luc ne dit pas la foule, mais le peuple. Dans l Écriture, une foule désigne un corps sans tête, un ensemble de personnes qui n ont pas trouvé leur unité. Alors que le peuple désigne un corps qui a trouvé une tête qui lui donne son unité, et avec laquelle il forme une unité. Jésus a réussi à rassembler au temple un corps vivant, constitué. Et pour sûr, on n enseigne que des choses que l élève ne connait pas encore, donc du neuf : il enseigne-la-bonne-nouvelle (euanggelizomai) la nouveauté du Royaume qui est en train d advenir, qui est déjà présente en sa personne, mais qui n est pas encore réalisée en eux. Et c est à un moment précis de cet enseignement que se décident à venir à l improviste les autorités religieuses du peuple, lesquelles n assistent donc pas d habitude à son enseignement. Et qui sont-elles, ces autorités? D abord les archi-prêtres, i.e. les GRANDS-PRÊTRES ou encore chefs des prêtres. Qui sont-ils et pourquoi un pluriel? Traditionnellement, au grand-prêtre nommé à vie, était attaché par Dieu l Oracle de sa vérité. Ce qui signifie que, lorsqu il était revêtu des ornements de sa dignité et de l Urim et Thummim, il répondait aux demandes qu on lui faisait et Dieu lui découvrait les choses cachées et futures (Ex 28,30) ; il se voyait donc revêtu d une dimension inspirée et prophétique. Il est aussi le seul homme à entrer dans le Saint des saints, une fois par an (Ex 29,42 ; Lv 16,2-4), le jour du Grand Pardon, pour expier les souillures de tout le peuple. Sa mort a elle-même une vertu expiatrice toute particulière, à tel point qu elle libère et absout tous les auteurs d homicides qui reprennent

4 v. 2 : «alors leur vie antérieure. Il est considéré véritablement comme médiateur entre Dieu et les hommes. Le grand-prêtre en fonction dispose de l autorité judiciaire et administrative. Il préside le Grand Sanhédrin (71 membres) ou collège suprême qui dirige tout le peuple juif. Ce Grand Sanhédrin est formé des grands-prêtres honoraires, ce qui explique le pluriel, de prêtres et de représentants des principales familles non-sacerdotales, et tardivement de scribes. Le Grand Sanhédrin se réunissait chaque jour, sauf les jours de sabbat et de fête. La compétence du Grand-Prêtre s étend à tous les juifs du monde ; il est encore le garant du trésor du temple. Même si, à l époque du NT, il dépend totalement du pouvoir romain, tout ce qui vient d être relevé explique pourquoi il jouit d une immense considération. Depuis 37 a. JC jusqu à 70 p. JC, les grands-prêtres ne sont plus nommés à vie, mais pour un temps limité à quelques années, voire à une seule. Il n en reste pas moins que les grands-prêtres honoraires conservaient une bonne partie de leur prestige, comme le montre, par exemple, la présence et le rôle du grand prêtre Anne au procès de Jésus (Jn 18,13.24 ; cfr aussi Ac 4,6). Vous entendez sûrement tout ce que vous évoque, de la Passion de Jésus, ce que nous venons de voir, et que nous reverrons. Signalons aussi, au passage, que cela éclaire également tout ce que Paul développera, dans l épître aux Hébreux, sur le Sacerdoce du Grand-Prêtre par excellence qu est Jésus Christ. Puis, il y a les SCRIBES. Le terme hébreu désigne, à l origine, un scribe ou secrétaire de cour, un comptable ou encore un officier recruteur. Le scribe versé dans la Loi de Moïse d où aussi l appellation de «docteurs de la Loi», le scribe tel que l entend le NT, remonte à l Exil à Babylone, durant lequel les juifs, privés de toute liturgie, ont été en quelque sorte contraints de relire et de mettre en forme les traditions sur lesquelles ils fondaient leur identité. Si Ézéchiel, jeune prophète exilé, est encore un prêtre prophète, 50 ans plus tard, Esdras est prêtre scribe, qui engage le peuple à renouveler son engagement d obéissance à la Loi et lui indique les normes de comportement, les règles à observer (Esd 7,25-26 ; 9,1 10,17 ; Neh 8). Les scribes sont des spécialistes du texte sacré, qui exercent des fonctions de conseillers dans les tribunaux, de juges et d enseignants du droit. Parmi eux, les maîtres jouissent de la plus grande considération, et on prit l habitude de les appeler «rabbi», c est-à-dire maître, littéralement «enseigneur». Ils conçoivent leur compétence comme un savoir livresque, un peu comme des docteurs en droit qui, aujourd hui, s estiment, et à juste titre d ailleurs, comme seuls compétents dans le domaine immense des lois. Cela explique leur mépris envers Jésus qui prétend enseigner avec autorité alors qu il n a pas étudié (Mc 11,27-28). Ce qu il faisait déjà à 12 ans! Les Sadducéens et les Pharisiens ont chacun leurs scribes, leurs savants, i.e. leurs spécialistes de la Loi. Enfin, il y a les ANCIENS. Au point de départ, dans l AT comme dans les sociétés antiques et, encore aujourd hui, dans nombre de peuples, «anciens» désigne les chefs de famille qui constituent le conseil de sages, que ce soit d un clan, d une tribu (Dt 31,28), d une ville (Jos 9,11 ; Jg 8,14) d une région ou province (Jg 11,5 ; 1S 30,26) ou d une nation entière (Israël : Ex 3,16 ; Égypte : Gn 50,7). Ils ont, entre autres, une fonction de conseil de l autorité. En Ex 18,21ss et Dt 1,13-15, nous voyons apparaître, sur suggestion de son beau-père Jéthro, la désignation par Moïse d une assemblée de 70 anciens pour l aider à diriger le peuple, assemblée qui évoluera vers le grand Sanhédrin composé de 71 membres. Le terme grec qui les désigne est «presbúteroj», soit «presbytre», d où provient notre mot «prêtre». Le NT désigne une seule fois les anciens d une ville (Lc 7,3), et 25x les anciens du peuple juif ; et nous trouvons le terme 15x pour désigner les anciens de l Église. Le terme est encore utilisé par Jean pour désigner les 24 Anciens dans l Apocalypse. Le «avecque», «sun» en grec, souligne la communion de cette assemblée. C est donc une délégation imposante et bien soudée de grands-prêtres honoraires, de scribes savants et de sages, tout un gratin d autorités religieuses et de théologiens qui vient trouver Jésus en plein milieu de son enseignement. Et il faut être bien conscient qu ils se sentent tout à fait chez eux dans ce temple dont ils ont la gestion. Que va-t-il se passer? ». D emblée, nous remarquons que la délégation du Grand Sanhédrin, comme nous l avons vu, ne s intéresse pas au contenu de son enseignement, ce qui en dit long déjà sur leur véritable état d esprit envers Jésus. Ils pourraient commencer par écouter attentivement ce que dit Jésus qui vient enfin enseigner chez eux à Jérusalem et juger du contenu par eux-mêmes. Or, ils ne viennent pas pour écouter Jésus ni ne cherchent à le comprendre. Ils n interrogent pas non plus. Tout de go,

5 ils lancent une sommation à Jésus : «dis-nous!». Et la question porte sur l autorité de Jésus. Nous l avons déjà vu plus haut, Jésus n est pas issu d une école rabbinique ; Paul dira plus tard de lui-même qu il a eu comme maître Gamaliel l Ancien, lequel était une autorité du judaïsme pharisien pendant la première moitié du Ier siècle et petit-fils du grand Hillel. Mais Jésus, lui, n est allé à l école d aucun grand maître de son époque. Souvenons-nous que déjà à 12 ans, Jésus stupéfiait les docteurs de la Loi qui l interrogeaient dans le temple (Lc 2,41-52). 22 ans plus tard, la scène se renouvelle. Or, cette rencontre de Jésus à 12 ans au temple avec les docteurs est une annonce prophétique du procès de Jésus, de sa mise en examen à laquelle nous assistons ici. Et Jésus prévenait déjà ses parents qu il était d abord et avant tout au service de son Père. Faire la volonté de son Père, telle est sa nourriture. Nous avons ici un bel exemple de l extraordinaire ramification de l Écriture qui, je vous le rappelle, s éclaire toujours par elle-même. J en profite pour mettre en garde : un esprit rationaliste qui s enferme dans son rationalisme étroit refuse très souvent de faire une telle lecture. Or, la raison ellemême est appelée à se convertir à la pensée de Dieu, à s ouvrir à l Esprit Saint, car le Seigneur veut sauver tout l homme, et pas quelque morceau. Un tel rationalisme est fréquent parmi les chrétiens, et il est toujours signe d une conversion partielle, non achevée. Il faut donc veiller à amener au Christ la partie de notre personne qui ne lui appartient pas encore, qui n est pas encore entrée dans le Royaume ou qui ne l a pas encore accueilli. Il ne faut pas croire trop vite que nous y sommes! Il nous faut apprivoiser cette part de nous-mêmes qui rechigne, même en douce, et la conduire pour la remettre elle aussi aux mains du Seigneur. Revenons à la question posée. La question ne porte pas sur un élément de l enseignement de Jésus, mais sur l autorité de cet enseignement.. Il faut bien comprendre la formulation. La question comporte deux possibilités : à quel titre exercestu ton autorité, et : de qui la tiens-tu? Si nous serrons le texte de près, nous constatons que cette autorité est constatée et admise. Jésus possède une autorité que la foule lui a très tôt reconnue : Jésus parlait relèvent les évangélistes (Mt 7,29 ; Mc 1,22.27 ; Lc 4,32), une autorité indéniable et largement reconnue. La question porte sur l origine de celle-ci. Soit, tu la tiens de toimême, mais alors explique-nous à quel titre, comment tu l as acquise ; soit tu la tiens de quelqu un d autre, et dans ce cas éclaire-nous, dis-nous quel est celui-là? C est une façon de dire que «dans tous les cas, elle ne vient pas de nous», ce qui la rend douteuse. Car elle ne peut assurément provenir d une source extérieure à la Révélation et donc au Judaïsme. Cyrille d Alexandrie souligne que leur question laisse entendre qu à leurs yeux, «Il n y a que ceux qui sont nés de la race de Lévi [i.e. le sacerdoce] qui aient le droit d enseigner et d être maîtres dans le temple ; et toi qui es de la race de Juda, tu usurpes les fonctions qui nous ont été confiées». Bède le Vénérable va plus loin encore : «Quand ils disent : Par quelle puissance fais-tu cela?, ils doutent que ce soit par la puissance de Dieu, et ils veulent faire entendre que ses œuvres viennent du démon». Et très finement, il ajoute : «En ajoutant : Qui t a donné cette puissance?, ils renient manifestement le Fils de Dieu, puisqu ils estiment qu il opère ses miracles non par sa propre puissance, mais par celle d autres hommes». Ailleurs, certains l accusaient déjà de chasser les démons par Belzébul, ce qui, nous l avons vu, est totalement inepte comme raisonnement. Que va donc répondre Jésus? Avant d entendre la réponse de Jésus, il faut avoir clairement en tête qu il n y a pas et il ne peut y avoir de mesure extérieure à Dieu et issue de la création qui puisse rendre compte de la vérité de Dieu. Autrement dit, si Jésus est Dieu fait homme, lorsqu il se révèle en lui, Dieu s atteste Luimême. (La phénoménologie >< Kant). Ce point est important à prendre en considération, parce que, comme nous allons l entendre, il est au cœur de la réponse de Jésus. v. 3-4 : «ex». Jésus n esquive pas la question, il y répond (ἀpokr nomai). Et bien qu il soit en présence du peuple, ce qu il va dire ici s adresse spécialement à eux. Car le peuple a déjà reconnu cette autorité, ou alors il ne se pose guère la question à laquelle il a déjà répondu tacitement. J insiste sur le fait que Jésus n esquive rien, précisément parce que sa réponse nous semble à première vue une esquive. C est un procédé bien connu des rabbins que de répondre à une question par une autre, ce qui leur donne le temps de réfléchir à la question qui leur est posée en vue d y répondre, le cas échéant, avec toute la pertinence voulue. Mais donner une telle explication à la réponse de Jésus reste trop court. Jésus sait que s il répond en vérité et directement à la question posée, frontalement, il va cabrer ses interlocuteurs. Jusqu au bout, il va préférer tenter de les amener à «accueillir» la nouveauté du Règne de Dieu.

6 v. 5-6 : «Rappelons-nous le contenu de ses 1ères lamentations : (Lc 13,34). Jésus est venu et n est venu que pour réconcilier l homme avec Dieu. La réponse de Jésus est donc positivement pédagogique. Il commence par dire qu il va les interroger à son tour. Et comment les interroge-t-il? En déportant sa question sur un autre que lui, sur Jean le Baptiste. Le baptême que Jean pratiquait qui était étranger à toute pratique juive, et était donc une nouveauté, était-il commandé par le Ciel, i.e. par une volonté divine, ou était-il une simple invention d homme, une lubie de Jean? En introduisant le Ciel, Jésus fait intervenir un second aspect que les membres délégués n avaient pas soulevé : le Ciel, c-à-d. Dieu. Jésus hisse le débat à un tout autre niveau, bien au-delà du seul plan humain auquel s attachaient ses interlocuteurs. La vraie question n est pas de savoir si l autorité en question provient ou non du Judaïsme, mais bien de savoir si elle vient de Dieu ou pas, si elle est reçue de Dieu ou pas. Cela, c est la seule vraie question. Nous pouvons considérer la question de Jésus de deux manières : soit, comme on l entend dire très souvent, comme un piège en vue de leur mettre le nez dans leur propre contradiction et de les humilier en public, soit comme une tentative de la part de Jésus de les amener à se situer sur le plan de la vérité, afin qu ils se posent les vraies questions, qu ils puissent reconnaître leur attitude erronée à l égard de ce qui vient réellement de Dieu, et de leur permettre de l accueillir, lui, Jésus, en vérité. En posant la question à propos de Jean, Jésus laisse entendre que celui qu ils reconnaissent avoir été un grand prophète lui a déjà rendu témoignage et a clairement indiqué par quelle puissance lui, Jésus, agirait. Donc, les autorités de Jérusalem avaient déjà la réponse à leur question. Ils confessaient que Jean avait été un grand prophète, mais, paradoxalement, étrangement, ils ne croyaient pas en lui, en ses paroles prophétiques. Théophylacte d Ohrid (XIe s.-1107) écrit ceci : «Il veut montrer qu ils ont toujours été rebelles à l Esprit Saint et qu ils ont refusé de croire, non seulement à Isaïe (dont ils ne se souvenaient plus), mais à Jean, qui a paru récemment. C est pourquoi il leur adresse à son tour cette question pour leur faire entendre que, s ils n ont pas cru au témoignage que lui a rendu [donc à lui Jésus] un prophète aussi grand que Jean, qui à leurs yeux était le plus grand des prophètes, ils ne le croiraient pas lui-même s il leur disait par quelle puissance il opère ses miracles» (Chaine d Or, VI, p. 350). En invoquant Jean, Jésus lie étroitement sa cause à celle de Jean le Baptiste. Accueillir l un, c est accueillir l autre, rejeter l un, c est nécessairement rejeter l autre. Et nous savons que Jean est un décalque fidèle de Jésus, il est un double de Jésus : tout ce qui arrive à l un, arrive aussi à l autre et vice versa. Or, Jean non plus n est pas issu d une école rabbinique, il n a pas acquis son ministère auprès d un maître, mais il l a acquis au désert, i.e. dans la solitude auprès de Dieu. Considérons maintenant le raisonnement des interlocuteurs de Jésus.». Que ce raisonnement soit échangé entre eux ou soit tenu dans le secret du cœur de chacun ne change rien, car ils pensent tous de la même manière. Ce qui frappe d emblée dans ce raisonnement, c est le peu de cas qui soit fait à la recherche de la vérité et à ses conséquences. Les membres délégués du grand Sanhédrin sont avant tout soucieux de sauver la mise face au peuple ; ils sont suspendus au qu en dira-t-on, à leur réputation, au respect humain, à la considération humaine, pas à être en vérité devant Dieu. Ils sont inquiets des conséquences de leur réponse, pas de la vérité de la question. Ils sont coincés entre Jésus et la foule. S ils disent «du ciel», s ils reconnaissent que Jean tenait son autorité de Dieu et qu il était un vrai prophète, Jésus leur reprochera de ne pas avoir cru à la parole, au ministère et au baptême de Jean alors même que les foules s y rendaient, et le peuple se rangera derrière Jésus avec lequel il s estimera être du même avis. Et s ils répondent «des hommes», s ils soutiennent que c était une pure lubie de Jean, une simple invention humaine, ils nieraient le caractère prophétique, inspiré de Jean, et le renverraient par là au rang des faux-prophètes qui n ont jamais manqué. En cela même, ils seraient en contradiction avec eux-mêmes, puisqu ils ont déjà admis que Jean était un grand prophète. Et tout le peuple qui, lui, a reconnu en Jean un vrai prophète et s est soumis à son baptême d eaux, les désavouera et les rejettera pour s attacher à Jésus. Dans les deux cas, se disent-ils, nous sommes coincés. La question de Jésus les paralyse, en quelque sorte. Dans les deux cas de figure, Jésus est gagnant, et nous sommes perdants, pensent-ils ; nous perdrions toute crédibilité, toute légitimité, toute autorité aux yeux du peuple, nous perdrions notre place. Or cela ne se peut! Une telle chose est inadmissible.

7 Que peuvent-ils donc bien répondre dans ce cas? v. 7 : «.» Réponse la plus brève qui soit : Nous ne savons pas d où Jean tirait son autorité! Nous n en avons aucune idée. Ils éludent la question de Jésus, sans dire pour autant qu elle serait incongrue. Aujourd hui, beaucoup répondraient, en effet : N essaie pas de te dérober ; on ne parle pas de Jean, mais de toi ; c est nous qui avons posé une question en premier, réponds donc à notre question! Représentons-les-nous ainsi que le peuple présent : tous attendent la réaction de Jésus. v. 8 :. La réponse de Jésus fait référence au secret messianique. On n est jamais son propre témoin. Or, en ce qui le concerne, il y a bien deux témoins directs : d une part, le prophète Jean le Baptiste dès avant l arrivée de Jésus au baptême, et Dieu qui a déjà témoigné de lui et au baptême, en public, et à la Transfiguration, mais là c était seulement aux yeux de trois disciples et qui va encore une fois rendre témoignage bientôt en ressuscitant Jésus. Il y a aussi le témoignage indirect des œuvres que fait Jésus, qui sont les œuvres qu il voit faire par le Père, œuvres dont l origine divine n est toutefois reconnaissable que dans la foi. Aussi Bède écrit-il : «La connaissance de la vérité doit être cachée à ceux qui la cherchent, principalement pour deux raisons : lorsque celui qui la demande est incapable de comprendre ce qu il demande, ou encore lorsque, par haine et par mépris de la vérité, il est indigne qu on lui explique ce qu il demande». Beaumarchais a écrit : «Toute vérité n est pas bonne à dire ; toute vérité n est pas bonne à croire» (Le mariage de Figaro). Et le païen Platon, lui, a écrit : «Il faut aller à la vérité avec toute son âme». Même un païen devine comment se conduire à l égard de la vérité. Ce qui nous permet de souligner au passage, qu en refusant de venir à la vérité, les autorités juives manifestent qu elles se sont déjà dérobées depuis longtemps devant Dieu. Elles l ont exilé. Voilà pourquoi Jésus pleurait sur Jérusalem, car s exiler loin de Dieu conduit à la mort. Et Jésus est venu pour sauver ce qui est perdu. Pour être en vérité et avec Dieu et avec soi-même et avec les autres, nous savons dans notre for interne quel combat nous devons mener contre nous-mêmes. Seul l attachement, de toute notre âme, à la personne de Jésus peut nous y mener. (Dostoïevski : beauté vérité ; série En thérapie ; etc.) Après cette irruption de la délégation du Grand Sanhédrin, qui a interrompu un bref moment son enseignement, Jésus se tourne à nouveau vers le peuple et reprend aussitôt l enseignement de ce dernier avec une nouvelle parabole, celle des Vignerons meurtriers. Or, comme nous l indique un peu plus loin le v. 19, les scribes et les grands-prêtres restent bien là, et ils vont entendre ce que va dire Jésus. Luc 20,9-19 : Les vignerons meurtriers (lire le texte) 27 e Ord A : Mt 21,33-43 Dans les évangiles, trois paraboles sont consacrées au vignoble : Mt 20,1-16 = Les ouvriers envoyés au vignoble ; Mt 21,28-32 : Les deux enfants envoyés au vignoble. Ces deux paraboles sont propres à Matthieu seul. Quant à la 3 ème : Mt 21,33-43 : Les vignerons meurtriers, elle se retrouve chez Marc (12,1-12) et ici chez Luc (20,9-19). Précisons qu il s agit bien à chaque fois du vignoble «ἀmpelèn», et non pas de la vigne qui, elle, se dit «mpeloj». On n envoie pas une kyrielle d ouvriers travailler à un seul pied de vigne! v. 9 :. Il commença indique le début d une nouvelle réalité, en l occurrence ici d une nouvelle étape dans cet enseignement que Jésus adresse très spécifiquement au peuple rassemblé autour de lui dans le temple. Toutes les paraboles de Jésus ayant trait au Royaume de Dieu, le vignoble désigne, au bas mot, ce Royaume. : Le lien avec Isaïe 5,1 est assez évident.. Mais quelques différences vont surgir, que nous relèverons par la suite. Dans l AT, le vignoble du Seigneur désigne la maison d Israël, et l anqrwpoj, l Humain qui l a planté désigne le Seigneur Dieu. Planter sous-entend que l on a choisi une terre spécialement traitée pour y accueillir le plant ou l arbre qu on lui destine. Ici, il s agit d un vignoble, soit un terrain planté d un ensemble de pieds de vigne.. Le vignoble reste bien la propriété de l homme en question, et est mis en bail locatif à des cultivateurs, c-à-d. à d autres humains qui ont charge non pas de cultiver ce

8 v. 10 : «que bon leur semble, mais bien ce que le propriétaire y a planté. C est un vignoble qui leur est loué, pas un terrain en friche. Ce sont donc nécessairement des «spécialistes» de la vigne ou vignerons qui en ont la charge. Ils doivent s y connaître. Pourtant, c est le mot «cultivateurs» qui est employé, qui désigne ceux qui cultivent la terre. Les cultivateurs sont co-locataires et donc des demi-propriétaires. Le vrai propriétaire attend que son vignoble soit bien géré. Et que fait-il durant ce temps-là?. Voyager est un terme général qui ne précise donc pas le motif de ce voyage, même pas sa destination. Mais «voyager», c est nécessairement s éloigner du lieu de résidence habituel. Le propriétaire s absente donc. Les colocataires ne travaillent donc pas sous la contrainte. Le seul indice donné est. Le mot «ikanoj» signifie, en grec classique : capable, suffisant, satisfaisant, et certains dérivés signifient «suppliant». Dans le NT, employé avec le mot cronoj, temps, le terme insiste sur la durée : (Lc 8,27 ; 20,9 ; 23,8 ; Ac 8,11 ; 14,3). A faire le thème complet, d autres nuances apparaissent. Il s agit pour le moins, d un temps suffisant pour un retour approprié.». Le moment, kairoj, est toujours le moment favorable pour une intervention divine dans le temps (crόnoj) de l Homme, le juste moment, choisi, précis. Le propriétaire a laissé suffisamment de temps, tout le temps nécessaire, le temps approprié qu il fallait aux cultivateurs pour que le vignoble produise son fruit. Et il ne vient pas en personne, mais il délègue un esclave, i.e. un serviteur qui lui est dévoué corps et âme, dans le but précis de se faire remettre par les cultivateurs du fruit produit par le vignoble. Théophylacte fait remarquer qu il demandait du fruit, pas tout le fruit. Et que se passe-t-il? Les cultivateurs rudoient l esclave et osent le renvoyer les mains vides. Soulignons que cela se passe en l absence du propriétaire. Mais le geste est bel et bien un mépris du propriétaire, une révolte contre lui. C est une appropriation illégitime de son bien. Une volonté bien arrêtée de jouir seuls de l entièreté du fruit du vignoble. Bède le Vénérable nous dit que ce premier serviteur fut Moïse qui, durant 40 ans ne cessa de demander au peuple quelque fruit de la Loi qu il leur avait donnée, mais qui, en citant le Ps 77,32. v. 11 :. Devant ce premier échec à recevoir du fruit de son vignoble, le propriétaire envoie [prostiqhmi = ajouter] un deuxième esclave qui subit le même sort que le 1 er : en plus d être battu, il est méprisé, déshonoré, et renvoyé les mains aussi vides que le précédent. Bède écrit que ce second serviteur, «c est David qui fut envoyé après la proclamation de la Loi pour exciter, par la mélodie des Psaumes les ouvriers du vignoble à la pratique des bonnes œuvres. Mais ils dirent :». 1 S 25,10 David et Nabal ; 2 S 20,1 David et Shéba et 1 R 12,16 Jéroboam et Israël. (David signifie «Bien-aimé»). Remarquez comment Bède tient à s appuyer sur l Écriture pour avancer une explicitation. v. 12 :. Le propriétaire se montre étonnement patient ; aucun homme n agirait de la sorte mais réagirait par une attaque immédiate. Trois est aussi le chiffre de l achèvement d une progression. Le propriétaire épuise la voie choisie de l envoi d un simple serviteur. Mais ce 3 e serviteur est non seulement roué de coup, mais il est blessé (traumatizw) et éjecté, jeté dehors. Bède dit de ce 3 ème serviteur qu il «faut entendre le chœur des Prophètes qui firent entendre au peuple leur perpétuel témoignage. Or, quel est le prophète qu ils n ont point persécuté?» v. 13 :. Jésus précise ici deux points importants : d abord il parle du «Seigneur» du vignoble. Devant l échec de ses trois tentatives, le propriétaire s interroge sur un moyen plus pertinent à mettre en œuvre. Et il trouve un dernier moyen : l envoi d une 4 e personne. Et c est la seconde précision qu il apporte : son propre fils ; et Jésus précise encore : «l agaphtoj, l affectionné». Ce terme agaphtoj, est utilisé pour la toute 1 ère fois dans l Écriture en Gn 22 :. Et Jésus a entendu ce mot prononcé sur lui-même par son Père lors de son baptême au Jourdain. Ces deux précisions nous permettent d identifier tous les éléments de la parabole : le propriétaire du vignoble comme étant Dieu Père ; le Fils comme étant Jésus-Christ, le Fils Unique

9 de Dieu envoyé par le Père pour recueillir du fruit de son vignoble. Et nous avons vu en commençant que le vignoble désigne Israël. Dieu escompte que ceux auxquels il a confié son vignoble, après qu ils aient méprisé ses serviteurs, ses envoyés, respecteront au moins son propre Fils. Comme toutes les autres, cette parabole est bien une parabole du Royaume, du Règne de Dieu. v. 14 :. «Or» signifie un nouveau rebondissement. Que font les gestionnaires du vignoble? D abord, ils voient le Fils. Voir, c est voir le visage d une personne, c est l identifier à coup sûr. Voir ne laisse aucune place au doute. Et que font-ils ensuite? Au lieu de l accueillir avec tous les égards dus à son rang de Fils bien-aimé du Propriétaire, voici qu ils se mettent à raisonner entre eux, «dialogizomai». Rien qu en Luc, le terme est utilisé en 1,29 : Marie raisonne en ellemême pour savoir ce que signifiait cette salutation de l ange ; en 3,15 tous débattent dans leur cœur pour savoir si Jean ne serait pas le Messie, le Christ, le Oint ; en 5,21 scribes et pharisiens débattent pour savoir qui est celui qui blasphème et qui peut remettre les péchés sinon Dieu seul ; et au v. 22 il est dit que Jésus connait leurs débats ; en 12,17 c est un riche propriétaire qui mène un débat interne pour savoir quelle décision prendre afin d engranger les fruits que l abondance de la terre lui offre subitement. En Luc, au moins, ce verbe est toujours utilisé lors de la survenue d une situation subite et imprévue, qui désarçonne. La particularité, ici en Lc 20,14, c est que le débat ne porte pas sur la personne qui est d ailleurs formellement identifiée comme étant «l héritier», dans tout ce qu il a de plus légitime, mais le débat porte sur ce qu il y a lieu de faire, le but très clair étant de s assurer de son héritage. Ce n est plus un débat, c est une prise de décision très nette, celle d une condamnation à mort. Or, cette décision de tuer l autre rappelle en tout 1 er lieu le meurtre d Abel par Caïn, Caïn se disant que si son frère disparaissait, Dieu serait obligé de le choisir, lui. Et ce meurtre du frère n est jamais que la conséquence du 1 er péché, le péché d Adam, qui consiste à ne pas écouter Dieu, à ne pas écouter sa parole. Ici aussi, les cultivateurs n ont pas «entendu» les termes du contrat ; ils ont refusé d écouter les trois serviteurs, et finalement, ils n attendent même pas d écouter le Fils, mais ils décident de le tuer. Si l on prend la peine d approfondir ces récits, nous sommes conduits à voir que le motif est identique à celui qui conduit Adam et Ève : vouloir s achever par eux-mêmes, vouloir «être des dieux» par eux-mêmes, vouloir s enrichir en se passant de la parole de Dieu, en se passant de Dieu lui-même. Ce qui est un non-sens radical. Car il est impossible d être divinisé sans Dieu, en dehors de Dieu. Telle est pourtant l illusion permanente dans laquelle vit le monde. v. 15 :. La décision est ultra-rapide et ils passent à l acte aussitôt. Ils jettent le Fils bien-aimé hors du vignoble, preuve qu il y était bien entré, et ni une ni deux, ils le trucident. L affaire est entendue et réglée manu militari. Bède écrit : «il est chassé hors du vignoble et ensuite tué, parce qu il est d abord repoussé du cœur des infidèles et ensuite attaché à la Croix». Et comme le propriétaire du vignoble reste éloigné, brille par son absence, les cultivateurs pensent rester les seuls bénéficiaires du vignoble. Mais tout aussi promptement, Jésus fait rebondir son récit en interrogeant ses auditeurs :. Alors que tout semble se concentrer sur les cultivateurs odieux, Jésus fait rebondir l attention sur le propriétaire du vignoble, sur le Seigneur lui-même. Interrogez-vous : que va-t-il faire? Va-t-il abandonner son vignoble, s en détourner? Va-t-il se venger? Que va-t-il faire? Pensez-vous qu il va rester les bras croisés? Pourquoi Jésus pose-t-il cette question? Basile écrit : «c est le propre de la miséricorde divine de ne jamais punir sans avertir auparavant par des menaces, afin de ramener les pécheurs à la pénitence». Par sa question, Jésus met en garde les autorités religieuses présentes. Il leur souligne la gravité de leur attitude. Ce qui est prévenance miséricordieuse de sa part. v. 16 :. Que fera-t-il? D abord, lui qui était très loin, qui brillait par son absence, il viendra en personne. (Pourquoi : il viendra et non pas il reviendra?) Fini les intermédiaires, le voici à venir en personne. Ensuite, il perdra. Apollumi signifie faire disparaître entièrement, faire périr, faire mourir, perdre quelqu un, détruire une ville, faire disparaître des ressources. C est un acte radical ; en résumé, c est faire cesser d exister. Et enfin, il donnera le vignoble à d autres. Cette petite proposition de la phrase est très lourde de sens. Pourquoi? D abord, parce qu elle révèle que la gestion de son vignoble

10 reste au cœur des préoccupations du Seigneur. Il aurait pu décider d en planter un nouveau ailleurs. Mais il reste farouchement attaché à ce vignoble. Et par ailleurs, il persiste à le faire gérer par d autres, tel que lui entend le voir géré. Dieu garde le souci permanent de sa création. Il est bien Providence comme l enseigne l Église.. Le texte de Luc est agencé de telle manière que la question surgit d elle-même : Qui sont ceux qui ont entendu et qui s exclament ici? Est-ce le peuple auquel Luc nous a dit au v. 9 que Jésus s adressait? Est-ce la délégation du Grand Sanhédrin toujours présents? Je pense quant à moi qu il s agit indistinctement d individus des deux groupes. Car aussi bien pour le peuple que pour les membres du Grand Sanhédrin, et même pour nous aujourd hui, il n est pas pensable que Dieu abandonne irrémédiablement son peuple et ses chefs religieux. Le raisonnement est : c est proprement impensable puisqu il nous a choisis et qu il a besoin de nous. v. 17 :. Emblšpw signifie plus que simplement envisager ou tourner son regard vers quelqu un par politesse pour lui adresser la parole. Le verbe signifie : regarder en face, fixer dans les yeux, scruter le regard de quelqu un de manière aigüe. Et Jésus répond par une question qui consiste à demander la signification exacte d une citation extraite du Ps 118(117),22. Le Ps 118 termine un ensemble de 6 psaumes (113 à 118) que les juifs avaient l habitude de réciter à chaque grande fête et notamment lors du repas pascal. C est dire que tous connaissaient bien ce texte et son contexte. Voyons donc la phrase complète de cette citation v :. La question de Jésus est donc celle-ci : quelle est-elle cette pierre rejetée par les bâtisseurs? Tous ont en tête le psaume tout entier. Et tous comprennent bien évidemment qu il ne s agit pas d une pierre de taille, mais bien d une personne. Alors de qui s agitil? Qui aura à être rejeté? De qui parle exactement ce psaume prophétique? Et qu est-ce que la tête d angle? Je reviendrai sur cette tête d angle à la fin de ce commentaire. Sans attendre une réponse, Jésus enchaîne : (v. 18) v. 18 :. Cette suite est une autre double citation d Is 8,14s (et de Dn 2,34s et 44s). Isaïe 8,11-16 LXX :. pierre d achoppement roule comme contre une comme une pierre qui». Il s agit d un oracle musclé adressé aux juifs rebelles au Seigneur. Et que dit ce texte sinon de mettre toute sa confiance dans le Seigneur : ne pas désobéir à Dieu pour suivre le chemin des païens ; ne pas geindre continuellement en ne cessant de répéter : «c est dur» ; ne pas craindre ce que craignent les peuples païens, mais craindre uniquement le Seigneur. Et si tu fais cela, le Seigneur lui-même sera ta sanctification (= divinisation puisque Dieu seul est Saint), et la rencontre avec lui ne sera ni un choc ni une chute. Mais la maison de Jacob (= le peuple de Dieu faible) se trouve dans un piège à Jérusalem même laquelle devrait pourtant être le haut-lieu de la présence de Dieu au milieu de son peuple et beaucoup tomberont et ils seront brisés, éparpillés, réduits en miettes. Alors sera manifesté au grand jour la vraie cause de ce malheur, ce qui représente à proprement parler une perversion : ils enferment, ils bétonnent la Loi en vue de ne pas apprendre d elle, afin de ne pas écouter la parole de Dieu. Ne pas écouter la parole de Dieu reçue est une véritable catastrophe! Daniel 2,34-44 : Il s agit de l explication donnée par le prophète Daniel des songes énigmatiques qu a eus le roi de Babylone, Nabuchodonosor. (Lire le texte). Voir Eusèbe in C.A. p Jésus évoque deux cas de figure : ou bien la personne tombe sur cette pierre, ou bien cette pierre tombe sur lui. Ce qui signifie au bas mot, que dans tous les cas, la rencontre avec lui est inéluctable.

11 v. 19 :. La réaction des membres de la délégation du Grand Sanhédrin est immédiate : ils cherchent à se saisir de la personne de Jésus, ils cherchent à mettre le grappin dessus afin de réduire au silence celui qui leur annonce leur ruine. Et ici encore, ils ont la crainte des hommes, ou plus précisément du peuple unifié par et autour de Jésus. Et l explication de cette réaction est donnée in fine : parce qu ils ont parfaitement compris que cette parabole-ci leur était personnellement destinée. En donnant cette parabole, Jésus se révèle être le Fils de Dieu, le bien-aimé de Dieu, le nouveau David, le Messie qui vient pour reprendre le vignoble du Seigneur qui lui a été spolié et en livrer le fruit à son vrai et seul propriétaire : le Seigneur. Il vient rendre à Dieu ce qui est à Dieu! Quant à ses adversaires, les actuels cultivateurs du vignoble du Seigneur, qui entendent que le Seigneur va venir en personne, ils endurcissent leur cœur et continuent à craindre les hommes plutôt que Dieu. Ils s enferrent eux-mêmes. Il reste à dire un mot sur la «tête d angle». Pour avoir le développement de la pensée de Jésus, il faut lire au moins deux textes : un passage du discours de Pierre devant le Sanhédrin en Ac 4,5 à 12, et un passage du discours de Paul devant Agrippa et Festus en Ac 26,26. Cfr le thème complet de l angle dans Initiation, p Et pour le NT et les deux références indiquées : p Si cette parabole résume l attitude de Dieu au long de l Histoire du Salut et décrit la longanimité du Seigneur, elle est aussi prophétique, car elle annonce la venue imminente du Seigneur, et elle annonce aussi ce qui, dans quelques semaines tout au plus, va arriver à Jésus : une mort violente par les chefs religieux d Israël. Jésus avait prédit dans le détail tout ce qui lui arriverait. Aussi pouvons-nous imaginer quelque peu la stupéfaction de ceux qui l ayant entendu exposer cette parabole, se seront rendu compte que tout ce qu il avait prédit à son sujet lui était arrivé réellement, et que le Seigneur l avait redressé des morts. Voir encore Chaine d Or VI, p : Théophylacte, Bède, Ambroise ; Bède. Petite précision quant au titre habituellement donné par les traducteurs, à savoir «Les vignerons homicides» : un homicide désigne l acte général de tuer quelqu un, sans spécifier s il y a ou non préméditation. Le meurtre désigne l acte commis avec l intention de tuer. L assassinat désigne l acte commis avec préméditation. Ici, dans la parabole, il y a bien décision bien arrêtée de tuer, il s agit donc d un meurtre Luc 20,20-26 : Rendre à Dieu ce qui est à Dieu (lire le texte) 29 e Ord A : Mt 22,15-21 I. Contexte Loin d accepter la leçon de la parabole des Vignerons meurtriers, les membres du Grand Sanhédrin sont maintenant bien décidés à perdre Jésus. Ils ont bien compris que Jésus se disait le fils du propriétaire du vignoble, c.-à-d. le Fils du Dieu vivant qui avait annoncé par les Prophètes la nouvelle Alliance. Mais ils ne veulent absolument pas de Jésus : ils le haïssent pour plusieurs motifs : d abord parce qu il vient prendre leur place, ensuite parce qu il veut ôter à Israël la prétention d être le seul privilégié (élu) de Dieu (universalisme de Jésus ; cfr problématique de Jonas), puis parce qu il veut les priver de leur fierté qu ils ont mis dans leurs mérites, et surtout parce qu il leur reproche d usurper les dons de Dieu, de se les accaparer pour leur seul profit, comme Jésus l a bien souligné dans sa parabole, et enfin parce qu il leur reproche de ne pas pratiquer la Loi comme Dieu le veut et de ne pas reconnaître leur opposition coupable et fatale envers Dieu et envers lui, son Fils. Ils sentent bien que Jésus est en train de leur faire perdre tout crédit aux yeux du peuple, aussi décidentils de retourner le peuple versatile en leur faveur. Par quel moyen? En cherchant à faire perdre tout crédit à Jésus. C est l objet de notre texte. Nous pouvons distinguer deux parties dans le texte : 1) Piège dressé par les délégués pour prendre Jésus (v ) 2) Piège enfermant ceux qui croyaient prendre (v )