Allocations familiales et séparation

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1 Allocations familiales et séparation Quelle répartition en cas d hébergement partagé? Une production du service Etudes et Action politique de la Ligue des familles Juin

2 Allocations familiales et séparation Résumé L augmentation du nombre de séparations fait désormais partie du paysage familial en Belgique. Se pose alors, pour les ex-conjoints, toute une série de questions relatives à l hébergement des enfants, à la prise en charge du coût de l enfant et à la répartition des ressources anciennement partagées au sein du ménage. Parmi celles-ci, les allocations familiales. Aujourd hui, l allocation est versée principalement à la mère ou au père si les enfants sont domiciliés chez lui et qu il en fait la demande. Avec son lot de difficultés concrètes pour les parents séparés qui, soit se reversent chaque mois une partie de l allocation, soit justifient leurs dépenses pour demander l entièreté de l allocation, etc. Bref, ils bricolent. La question se pose de savoir comment résoudre ces difficultés. La caisse d allocations familiales doit-elle partager l allocation entre les parents à 50/50? Si oui, comment garantir plus de justesse par rapport à la répartition des coûts liés à l enfant et aux facultés respectives de chacun des parents? Demain, la Belgique comptera 4 nouveaux modèles d allocations familiales. Or, aucune des entités fédérées ne s est posé la question de la situation des parents séparés. Etonnant quand on sait qu elles ont entièrement revu le système pour mieux coller aux réalités vécues par les parents d aujourd hui. Et pourtant. 4 parents sur 10 sont séparés 3 parents sur 10 pratiquent l hébergement égalitaire des enfants 4 parents sur 10 favorisent un accord à l amiable 1. La Ligue des familles propose un système en 3 étapes : Les parents sont satisfaits de leur situation actuelle : ils n ont aucune démarche supplémentaire à entamer auprès de leur caisse de paiement. Le système actuel est d application. Les parents souhaitent d un commun accord modifier la situation actuelle, ils informent leur caisse de leur décision : répartition 50/50 ou autre ratio entre les deux, modification de l allocataire ou versement sur un «compte enfant» ; Les parents ne parviennent pas à un accord : une décision doit être formalisée par le biais d une médiation ou par un recours devant le Tribunal de la famille. Avec cette proposition, la Ligue des familles veut introduire la possibilité pour les parents séparés, qui s entendent et qui partagent l hébergement ainsi que les frais de leurs enfants, de poser un choix sur la manière dont les allocations familiales leur sont payées. 1 DARON C., Garde et hébergement des enfants après séparation. Enquête de la Ligue des familles. La Ligue des familles

3 Table des matières Résumé... 2 Éléments de contexte... 4 Le système actuel... 4 Quels sont les problèmes rencontrés?... 4 Laisser les parents choisir!... 5 Protéger les parents... 6 Des difficultés à anticiper... 6 Des systèmes d hébergement différents au sein d une même famille... 6 La prise en charge effective des frais liés à l enfant... 6 Le calcul et l octroi de suppléments sociaux... 7 Le transfert des allocations aux entités... 7 Conclusion

4 Éléments de contexte Avec l augmentation du nombre de séparations, la vie des familles est de plus en plus bousculée, traversée de multiples changements. Composition, décomposition, recomposition sont le lot de nombreuses familles. Le dernier Baromètre 2 des parents réalisé par la Ligue des familles montrait que les familles «classiques» 3 représentaient un peu plus de la moitié des familles (57%). L autre moitié étant composée de familles monoparentales (23%) et recomposées (20%). Ce Baromètre pointait également le fait que lors d une séparation, pour régler les questions relatives à l hébergement des enfants, 53% des parents privilégiaient l arrangement à l amiable, 36% passaient par un jugement et 7% par la médiation. En 2013, nous avions déjà interrogé les parents sur la séparation 4, c étaient alors 57% des parents qui déclaraient passer par jugement et 42% qui trouvaient un arrangement à l amiable. L arrangement à l amiable a donc progressé de presque 10% en 5 ans. Au niveau des modes d hébergement privilégiés par les parents, les deux enquêtes citées plus haut révèlent également une progression importante de l hébergement égalitaire (18% en 2013 et 34% en 2017). Dans un contexte dans lequel la séparation rime avec partage de l hébergement des enfants, deux questions émergent. Faut-il partager les allocations familiales entre parents séparés? Et si oui, quelle serait la meilleure manière de procéder pour instaurer le plus d égalité? Le système actuel A l heure actuelle, en cas d autorité parentale conjointe, un seul parent est désigné comme allocataire 5. A la demande des deux parents, le versement des allocations familiales peut être effectué sur un compte auquel ils ont l un et l autre accès. Ce dernier peut être ouvert au nom de l enfant, au nom des deux parents ou d un des deux parents avec procuration pour l autre parent. Enfin, lorsque les parents ne s accordent pas sur l attribution des allocations familiales, ils peuvent demander au Tribunal de la famille de désigner un allocataire dans l intérêt de l enfant. Quels sont les problèmes rencontrés? Certaines lacunes dans le fonctionnement actuel sont constatées lors d un hébergement égalitaire et/ou d une recomposition familiale. Un arrêt de la Cour constitutionnelle datant du 21 février 2008 a jugé que «l absence de législation qui prenne en compte la charge effectivement assumée par chaque parent dans l hébergement et l éducation de manière égalitaire viole le principe d égalité et de non-discrimination édité dans la Constitution». Un nouvel arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 octobre 2017 a confirmé que «la répartition de la charge effective de l enfant entre les parents séparés devrait en principe être prise en compte dans le système d octroi des allocations familiales, dès lors que celui-ci tend à compenser la charge réelle de l enfant dans la famille». Ces arrêts mettent en lumière deux injustices en cas d hébergement égalitaire : 1. Un seul des deux parents perçoit les allocations familiales alors que l hébergement ainsi que les frais liés à l enfant sont partagés On entend par familles «classiques» les familles en couple n ayant pas connu de séparation 4 DARON C., Garde et hébergement des enfants après séparation. Enquête de la Ligue des familles. La Ligue des familles L allocataire est la personne qui perçoit les allocations familiales. Loi générale relative aux allocations familiales du 19 décembre 1939 : art. 42 et art. 69 4

5 2. Lors d une recomposition familiale, le parent non attributaire ne peut comptabiliser son/ses enfant/s avec ceux de sa nouvelle union. Suite à ces constats, la Cour a émis deux propositions. La première est de reconnaitre la qualité d allocataires aux deux parents. La deuxième, que le parent qui n est pas allocataire puisse bénéficier d un montant de base qui prendrait en compte tous ses enfants (ceux d une première comme d une deuxième union). Suite à la 6 ième réforme de l Etat 6, ces mêmes éléments ont récemment été relevés par le Conseil d Etat en charge de remettre un avis sur le projet de décret wallon réglementant les allocations familiales. La Région wallonne ne peut modifier la législation applicable avant qu en concluant un accord de coopération 8. Afin de répondre aux éléments relevés par le Conseil d Etat, la Wallonie n a dès lors pris qu une mesure : celle de regrouper les enfants autour de leur allocataire. Concrètement, des parents d une famille recomposée pourraient donc «regrouper» leurs enfants respectifs issus d une première union et leurs enfants communs pour bénéficier des montants plus élevés applicables aux familles nombreuses. En Flandre, le projet de décret portant sur les allocations familiales prévoit quant à lui qu en cas d hébergement égalitaire et de recomposition familiale, les revenus des deux parents soient examinés séparément. Si les deux parents bénéficient d un droit à un supplément social, chacun bénéficiera de la moitié. Si un seul des deux parents ouvre ce même droit, ce dernier percevra la moitié du montant du supplément. Le Tribunal de la famille sera compétent pour octroyer des dérogations à ce principe dans l intérêt de l enfant. A Bruxelles, c est l inconnue : le Gouvernement bruxellois n a encore présenté que les grandes lignes du futur modèle d allocations familiales et on ne sait pas si la future ordonnance prévoira des dispositions relatives aux parents séparés. Pour la Ligue des familles, on ne peut ignorer le fait que la situation actuelle est inégalitaire et ne tient pas compte des changements des pratiques familiales lors d une séparation. Si le fonctionnement à ce jour offre une facilité administrative et de la lisibilité, il ne colle cependant plus aux réalités vécues par les familles aujourd hui. Une allocation familiale payée uniquement à un parent alors que de plus en plus de parents partagent de manière égalitaire l hébergement des enfants ainsi que les frais liés à ces derniers n est pas juste. Pour la Ligue des familles, il est utile d adapter les modalités de paiement des allocations familiales en cas de séparation des parents lorsque l hébergement des enfants ainsi que la prise en charge de leur entretien est égalitaire. Laisser les parents choisir! Imposer une division systématique des allocations familiales pourrait causer du tort aux parents qui, malgré un hébergement égalitaire, prennent en charge la plus grande partie des dépenses relatives à leurs enfants, ou simplement créerait des difficultés là où il n y en a pas aujourd hui pour les parents qui ont trouvé leur équilibre dans le système actuel. Le versement des allocations familiales sur un «compte enfant» n est pas davantage envisageable systématiquement puisqu il suppose une relation de confiance entre les deux parents et impose un compte commun alors que de nombreux parents préfèrent s organiser autrement. La possibilité de laisser aux parents séparés le choix de modifier ou non la manière dont sont perçues les allocations familiales est donc fondamentale. Pour ce faire, il faut offrir aux parents d autres modalités d octroi des allocations familiales qu actuellement. 6 Au 1 er janvier 2019 au plus tôt, les entités seront compétentes de la gestion et du paiement des allocations familiales 7 Date de la reprise de la gestion et du paiement des allocations familiales en Wallonie 8 Art er bis alinéa 3 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 aout

6 Nous préconisons donc que soit laissée aux parents la possibilité de rester dans le modèle actuel, de partager les allocations familiales à l amiable, d avoir recours à un jugement ou une médiation ou encore de créer un compte à part pour l enfant sur lequel seraient versées les allocations familiales. Ainsi, au moment de la séparation, les parents notifieraient par écrit à leur caisse d allocations familiales la manière dont ils souhaitent que les allocations familiales leur soient payées. À défaut d accord ou de démarche, le système actuel s appliquerait. Le fait de laisser les parents libres de choisir le système qui leur convient le mieux permettrait de régler la question de la discrimination et des inégalités existantes actuellement. Afin d assurer une continuité des paiements et une certaine cohérence, les parents seraient cependant soumis à l obligation de rester une année dans le système déterminé. Protéger les parents La liberté de choix des parents suppose néanmoins des mesures pour les protéger de certaines complications qu ils pourraient rencontrer. Le processus visant à laisser les parents séparés libres de choisir les modalités de paiement des allocations familiales suppose différents éléments : que les parents s entendent, qu ils prennent en charge les frais liés à l enfant de manière équilibrée et qu aucun des deux parents ne fasse pression sur l autre. Il ne faut pas négliger le fait que pour certains parents issus de milieux plus modestes, le plus souvent des femmes, il est essentiel de garder la totalité des allocations familiales. En effet, même si l hébergement est égalitaire, dans les faits, les dépenses ne sont pas toujours partagées équitablement. Faire de la séparation des allocations familiales la règle générale pourrait mettre certains parents, des mères en particulier, en difficulté. En cas de doute quant au consentement de l un des parents, ou pour régler certaines questions importantes sans passer devant un juge, il devrait être possible de recourir à «la chambre des règlements à l amiable» au sein du Tribunal de la famille. En cas de litige, le recours à la justice (médiation ou Tribunal) reste la voie la plus objective et pertinente. Des difficultés à anticiper Des systèmes d hébergement différents au sein d une même famille Si nous nous dirigeons vers un système plus égalitaire tel qu il est soutenu par la Ligue des familles (qui préconise le partage des allocations familiales pour les parents partageant l hébergement et l entretien de leurs enfants de manière égalitaire), il faudra sans conteste prendre en compte les cas dans lesquels les parents séparés n opèrent pas le même système d hébergement pour chacun de leurs enfants. Une scission des montants par enfant devrait dès lors être envisagée afin de coller à la réalité. Notre enquête de 2013 l avait soulevé : 19% des parents n avaient pas choisi un régime d hébergement identique pour tous leurs enfants 9. La prise en charge effective des frais liés à l enfant En cas de séparation des allocations familiales entre parents séparés, il est essentiel de s assurer que les deux parents prennent bien en charge les frais liés à l enfant de manière équilibrée. La Ligue des familles propose d utiliser «le Contriweb» qui permet d objectiver la répartition des coûts liés à l entretien de l enfant (frais ordinaires, extraordinaires, avantages fiscaux ). Ce calculateur permettrait de calculer la division des allocations de manière juste en regard des frais supportés effectivement par les parents. L intérêt de cet outil est double : non seulement pour son aspect matériel mais également 9 DARON C., Garde et hébergement des enfants après séparation. Enquête de la Ligue des familles. La Ligue des familles

7 pédagogique. En répertoriant et objectivant les frais liés à l enfant, il est possible de prendre conscience de la situation existante et de rétablir un certain équilibre. Le calcul et l octroi de suppléments sociaux Aujourd hui, les suppléments sociaux (liés aux revenus) sont calculés en fonction de la situation de l allocataire. Si l on suit la logique de la séparation des allocations familiales, il faudra également diviser les éventuels suppléments sociaux. En ce sens, on pourrait imaginer que les revenus des deux parents (dans leur ménage) soient pris en compte séparément et que chaque parent puisse toucher la moitié du montant du supplément social, s il remplit les conditions. Actuellement, pour l octroi d un supplément familles nombreuses, c est encore la situation de l allocataire qui est prise en compte. Ce qui serait plus juste, c est encore une fois de prendre connaissance de la situation de chacun des deux parents (dans leur ménage) et d octroyer un demi-supplément à chaque parent qui en remplit les conditions d octroi. Une évaluation annuelle des montants octroyés aux familles séparées dont les parents partagent l hébergement de manière égalitaire de leurs enfants pourrait permettre de les informer de leurs droits et de limiter les risques de recouvrements ou d indus. Le transfert des allocations aux entités Dans le cadre de la 6 ième réforme de l Etat, les allocations familiales ont été transférées aux entités fédérées : Communauté flamande, Communauté germanophone, Région Wallonne et COCOM pour la Région Bruxelles-Capitale. Sur un petit territoire comme la Belgique, il n est pas rare que les parents séparés vivent dans deux entités différentes. En cas d hébergement égalitaire, il serait plus simple que le montant d allocations familiales soit calculé sur base du modèle de l entité dans laquelle l enfant est domicilié. Techniquement, cela ne posera à priori aucunes difficultés pour les caisses d allocations familiales. Ces dernières sont déjà confrontées à ce type de paiement lorsque le parent à qui les allocations familiales doivent être payées vit dans un autre pays européen. Des accords européens existent. Des accords de coopérations entre entités peuvent également être édictés. Conclusion Les caisses d allocations familiales sont fréquemment confrontées aux questions des parents qui se séparent. Qui percevra les allocations familiales? Pourquoi n est-il pas possible de les diviser? La Ligue des familles préconise une modification du système actuel pour les parents séparés qui partagent de manière égalitaire l hébergement et les frais d entretien des enfants. Par souci d égalité et de modernité, mais aussi en prévention de certaines dérives, la Ligue des familles soutient un système en 3 étapes : Les parents n entament aucune démarche pour la séparation des allocations familiales : c est le système actuel qui s opère ; Les parents prennent la décision d un commun accord de séparer les allocations familiales, de modifier l allocataire ou d ouvrir un «compte enfant» : ils en informent par écrit la caisse d allocations familiales de l entité dans laquelle l enfant est domicilié. Ils énoncent la manière dont ils souhaitent que l allocation soit divisée. En cas de doute sur le consentement d un des deux parents, la caisse d allocations familiales peut exiger une procédure devant la «chambre des règlements à l amiable» ; Les parents ne parviennent pas à un accord : une décision devra être formalisée par le biais d une médiation ou par un recours devant le Tribunal de la famille. Avec cette proposition, la Ligue des familles souhaite introduire la possibilité pour les parents qui se séparent, qui s entendent et qui partagent l hébergement ainsi que les frais de leurs enfants, de poser un choix sur la manière dont les allocations familiales leur sont payées. Lors de situations conflictuelles, la Ligue des familles demande que les parents puissent également faire valoir leurs droits et objectiver les frais liés aux enfants par le biais d une médiation ou d un jugement. 7

8 Pour conclure, loin de résoudre toutes les difficultés liées aux ressources financières en cas de séparation, cette proposition a le mérite de poser sur la table une réflexion à valoir pour plus de 3 parents séparés sur 10. Il est à ce titre étonnant qu aucune entité fédérée n ait menée cette réflexion lors du transfert de la compétence des allocations familiales, alors qu elles ont, chacune, entièrement revu le modèle pour mieux coller aux réalités vécues par les parents d aujourd hui. Juin 2018 Amélie Hosdey-Radoux a.hosdeyradoux@liguedesfamilles.be sous la direction de Delphine Chabbert Avenue Emile de Béco, Ixelles 02/ Le Ligueur des parents info@liguedesfamilles.be 8