DAN DOBRE. MÉCANISMES DÉICTIQUES DANS LE DISCOURS DE PRESSE Le quotidien

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1 DAN DOBRE MÉCANISMES DÉICTIQUES DANS LE DISCOURS DE PRESSE Le quotidien

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3 DAN DOBRE MÉCANISMES DÉICTIQUES DANS LE DISCOURS DE PRESSE Le quotidien 2013

4 Referenţi ştiinţifici : Prof. univ. dr. ANCA COSACEANU Prof. univ. dr. MARINA CIOLAC Şos. Panduri, 90-92, Bucureşti ; Telefon/Fax: editura_unibuc@yahoo.com editura.unibuc@gmail.comg Librărie online: Centrul de vânzare: Bd. Regina Elisabeta, nr. 4-12, Bucureşti Telefon: (0040) /2125 web: Descrierea CIP a Bibliotecii Naţionale a României DOBRE, DAN Mécanismes déictiques dans le discours de presse : le quotidien / Dan Dobre. Bucureşti: Editura Universităţii din Bucureşti, 2007 Bibliogr. ISBN Tehnoredactare computerizată : Daniela Mişu

5 À mes parents

6 Toute ma gratitude à mes collègues A. Cosãceanu et M. Ciolacdu Département de français et à N. Soare du Département de géométrie de la Faculté de Mathématiques d avoir eu l obligeance de se pencher sur le texte de cet ouvrage.

7 un ouvrage qui constitue une véritable "somme" dans la mesure où il touche quasiment à tous les domaines de la linguistique [ ]. Il est clair qu il doit être publié, sa hauteur de vue théorique et le sujet (énorme!) traité le prédestinent à une importante publication [ ] ; le seul danger qu'il encourt, c'est celui de la difficulté de lecture. Georges Kleiber Professeur à l Université «Marc Bloch» Strasbourg

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9 INTRODUCTION 0. «Tout ce qui n est pas clair n est pas français» avait écrit Rivarol en 1784 dans son Discours sur l universalité de la langue française. Mais une loi prétendue telle n est pas exempte de distorsions étant donné la complexité des phénomènes linguistiques et discursifs qui décochent souvent des coups bas à ce souci de clarté dont parlait Rivarol ; car, pour ce qui est du phénomène de la deixis par exemple force est de reconnaître la complexité d une réalité linguisticosémantico-pragmatique à même d engendrer au fil du temps tout un foisonnement de théories tantôt excessives, tantôt trop faibles dont G. Kleiber dans une excellente étude 1 rend compte tout en essayant de donner une définition complète de la deixis. 1. Omnis determinatio est negatio 1. Les formes linguistiques, par l intermédiaire des désignations, rendent possible la construction d un réseau systématique d identifications référentielles qui assurent la cohérence discursive. Identifier dans la conception de A. Culioli 2 signifie que toute notion (lexicale, syntaxique, etc.) est appréhendée par le biais de ses occurrences (événements), c est-à-dire à travers des représentations liées à des «situations énonciatives réelles ou imaginaires» 3. La deixis devient ainsi un «agrégat d occurrences» 4 identifiable à un type ou plutôt à un mécanisme type la relation d ostension référentielle, mécanisme organisateur du champ notionnel dont le fonctionnement est constamment rapporté au sujet et au présent de l énonciation, comme conditions sine qua non de l identification des entités déictiques. Le sujet parlant participe à une opération fondamentale de mise en relation de repérage de l occurrence a en tant qu occurrence de la notion A.

10 2 Dan Dobre 2. Le stade le plus archaïque en ontogenèse (psychogenèse de l individu) comme en phylogenèse (psychogenèse de l espèce) est celui où MOI # ICI # MAINTENANT # AUTRES # TOUT # VRAI # UN # RIEN 5 (où # = non discernable de). Au cours du temps, ce signe de l indiscernabilité fera place à celui de la dichotomie ; car, progressivement le MOI se construit par rapport à l AUTRE, il subit un processus d identification à soi-même tout en se différenciant des AUTRES. 3. À cet égard, au niveau du langage, Culioli propose un mécanisme d identification «la structure en came» étayée sur le caractère privilégié du terme positif comme représentant d une lexie qui n est ni positive ni négative mais compatible avec le positif ou le négatif. Elle explique aussi que le schéma d identification «a souvent un marqueur spécialisé (en thaï ou en khmer) et que la négation d une relation d identification est souvent autre chose que la simple adjonction d une négation à la relation positive» 6 (v. le vietnamien et le japonais). Cette mécanique de la cause caractérise de nombreux systèmes ; ainsi on peut figurer le jeu des déictiques il et ce comme il suit : il 2 il pleut il est arrivé 3 personnes il 1 (unique, référence) ça, ce # Celui ci là qui,, etc. ce ci là qui, etc. De il 1 (= représentant unique masculin) on passe à un indiscernable du type il 2 [ dét. masc., indét. fém.]. Ce système permettra la production des énoncés tels que : Les chats, ça griffe ou bien: Aujourd hui, cela a tué. Je parle de l inoffensif. Cela va en

11 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 3 prison pour meurtre. Cela a saccagé sa vie. Cela vous a vue. Cela a été heureux. (où cela réfère à un homme) 7 - le dernier tiré de Giraudoux. Selon Culioli il existe deux manières de concevoir l identification : 1. l identification de a A à une représentation typique (l indiscernabilité qualitative) ; 2. l abolition de la distance qui sépare les occurrences, chacune déjà identifiée, ce qui produit une identification qualitative à travers l altérité situationnelle (élimination des différences qu on considère non pertinentes ou provisoirement suspendues). Les deux types d identification opèrent de concert dans le cas des marqueurs déictiques concevables en tant qu entités différenciées (altérité prise en compte) et simultanément comme agrégat identifié à un centre (altérités éliminées ou suspendues). Le locuteur et le moment de l énonciation (M 0 ) ont cette aptitude à différencier, aptitude qu on pourrait considérer la source de la négation construite. Si l on s en tient à la conception saussurienne de la négativité du signe, il sera facile à postuler dans ce cas une sorte de négation de second degré. 4. Dans l organisation du système déictique le concept «d attracteurs» («l extrême imaginaire qui caractérise la notion portée à son point d excellence ou d achèvement absolu») 8 associé à celui de «gradient d attraction» (gradation visant la propriété constitutive de l ensemble occurrence attracteur) 9 feront leur jeu. Si l on en vient ad rem, cette mécanique de l attraction graduée est saisissable au niveau de toute une série d occurrences qualifiées de déictiques par excellence et d autres entités qui le sont moins et qui parviennent sans coup férir à élargir le domaine de la deixis à toute la langue (anaphoriques, connecteurs logiques, etc.). Il y aura donc un domaine de validation des occurrences et un autre hybride - des altérations - caractérisé par un gradient d attraction moins fort.

12 4 Dan Dobre 2. L amorphe indiscernable et l individualité 1. Du point de vue psychogénétique, le sujet émerge de l amorphe indiscernable, pour accéder à l individualité de la spécificité du moi et de ce fait à l abstraction de l individu fondu dans le moi universel (l ego), donc dans une autre forme d indistinction. L énonciateur fait double jeu : «l un est de renoncement à la deixis particulière pour se fondre dans la deixis universelle, jouer à fond le jeu de la doxa du conformisme ; l autre de singularisation déictique pour devenir le simple relais de déterminations qui le dépassent et (se) jouent de lui, ou la proie des glissements symboliques vers l indifférencié. Donc, une oscillation entre générique et (auto-) génétique» 10. La deixis pure doit être cherchée, selon P. De Carvalho, dans l antériorité en tant que champ de l inconscient, là où s élaborent les représentations symboliques de l UN dans le non-un. C est pourquoi toute actualisation des virtualités ne pourrait comporter qu un supplément de déicticité («émergence partielle et tronquée de l ego, opérateur permanent»). Tout marqueur recèle ainsi «la trace mémorisée de sa genèse» Toute séquence discursive semble être marquée par la deixis essentielle. «Tout énoncé est nécessairement, essentiellement «déictique» en ce qu il fait toujours référence au présent de l énonciation» 12. À cet égard, P. De Carvalho propose, une échelle de désignation où la présence d un sujet de première personne j arrive construit le point de départ de cette échelle (perception immédiate et immanente). D un gradient plus faible, est la déicticité de la séquence il arrive, valeur réalisée par le rang de 3 e personne du sujet et d un présent délocuté. Le troisième énoncé que De Carvalho nous propose le train arrive se situe à l autre bout de l échelle caractérisé par le gradient le plus faible, car «la désignation de l entité personnelle renvoie par transcendance à une propriété définitoire permanente» 13.

13 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 5 L identification des occurrences déictiques est tenue de rendre compte aussi de ses formes fossilisées (une déictique originaire) : les marques du présent indo-européen (le morphème i dans mi, si, ti) conservent la mémoire d une inscription, d une instanciation, d une manifestation du sujet énonciateur. Pour le français, remarquons la même fossilisation dans le cas des formes dites du futur (manger ai, - as, -a), désinences qui ont pour origine la grammaticalisation de l opérateur avoir, du même ordre que celle (moins avancée) de la forme du parfait (ai mangé) ; le français oppose ainsi, dans le domaine de la deixis verbale une série de formes de présentification (mange, mangera, a mangé, aura mangé) et une autre de représentation (mangeait, mangerait, avait mangé, aurait mangé) Dans l espace du discours où s inscrit l énonciateur, la relation ternaire je même autre joue sur les sables mouvants de la remodalisation dynamique et de la renégation de la «topothèse personnelle» 15. Pour s identifier à soi par rapport à l autre (le rapport UN non UN) le je élimine, se démarque par différenciation et négation sans pour autant sortir indemne : il est investi par les traces de cette altérité et il se montre lui même en montrant «le montreur et/ou le témoin ne servant alors que de prétexte à l épiphanie du montreur» 16. NOTES ET RÉFÉRENCES 1 Kleiber, G.,1986 : Déictiques, embrayeurs, token-reflexives, symboles indexicaux, etc, comment les définir?,l information grammaticale,no 30,pp cf. Culioli, A., 1990: Pour une linguistique de l énonciation. Opérations et représentations, t1, Ophrys 3 ibid.: 95 4 Syntagme employé par Culioli à la même page pour définir le champ notionnel. 5 cf. Bourquin, B., 1990: Ambiguïtés de la deixis, in La Deixis, Colloque en Sorbonne, 8-9 juin, PUF 6 Culioli, A., op. cit. : 96 7 ibid : 97, avec réfèrence aux Cahiers pour l Analyse, n o 9, Le Seuil, 1968

14 6 Dan Dobre 8 ibid. : 98 9 idem 10 Bourquin, G., 1990, op. cit. : Culioli, A., op. cit. : De Carvalho, P., 1990 : Deixis et grammaire, in La Deixis, op. cit. : ibid. :97 14 cf. Bourquin, G., op. cit 15 Terme forgé par R Lafont recelant la totalité des hypothèses et des propositions émises. cf. Madray-Lesigne, F., 1990 : L ici et l ailleurs de la personne en discours. Quelques affinités entre personnes, temps et modes en français, in La Deixis, op.cit. 16 Bourquin, G., op. cit. : 387

15 SECTION A : PROBLÉMATIQUE DE LA DEIXIS Chapitre 1 CONCEPTS FONDAMENTAUX POUR LA DÉFINITION DE LA DEIXIS 0. À partir de G. Frege et de sa sémantique logique redoutablement confrontée aux «expressions indexicales», en passant par la Sprachtheorie 1 bühlerienne qui propose une vision d ensemble du phénomène de la deixis circonscrit par une théorie du langage ciblé sur la dichotomie Zeigfeld vs. Symbolfeld et ensuite par les travaux de L. Wittgenstein 2 imaginant l ostension comme un «jeu de langage», la recherche linguistique a été fortement marquée par les deux tomes des Problèmes de linguistique générale 3 d Émile Benveniste et surtout par l appareil formel de l énonciation que l auteur décrit comme jeu de formes spécialement vouées à dévoiler sous l énoncé (par contraste avec les autres structures grammaticales et conceptuelles) le sujet énonciateur 4. Si K. Bühler avait omis de la description de l appareil formel de la deixis les formes verbales, Benveniste assigne à l énonciation tout le paradigme verbal des formes temporelles. D autres travaux tels ceux de M. Bennett 5, A. Burks 6, F. Corblin 7, L. Danon-Boileau 8, T. Fraser et A. Joly 9, D. Kaplan 10, G. Kleiber 11, J. Lyons 12, R. Montague 13, B. Pottier 14 et bien d autres encore ont délimité et analysé sous divers angles le domaine définitoire des déictiques nommés tantôt indexicaux, tantôt embrayeurs, token-reflexives ou déictiques, expressions qui, selon G. Kleiber, se trouvent à l origine de deux mouvements importants en linguistique : «l abrogation du dogme saussurien langue-discours, le cap étant mis sur les terres de l énonciation, et l avènement de la pragmatique par l élargissement de la sémantique vériconditionnelle aux phrases hébergeant les déictiques» 15.

16 8 Dan Dobre Avant d avancer nos propres idées sur la mécanique déictique, il est absolument nécessaire d analyser les principaux concepts qui opèrent dans ce domaine notionnel afin d éviter les éventuelles «délices de Capoue» offertes par telle ou telle théorie au fil du temps. Vu la complexité du phénomène, cette mise au point s avère nécessaire pour parvenir à une sorte de consensus omnium théorique avant de plonger dans l étude du fonctionnement de la deixis dans le discours de la presse écrite.. 1. Objet, lieu et localisation 1. La découverte de B. Russell selon laquelle Zeus a de l être mais pas d existence, (où l être est ce qui appartient à tout terme concevable, à tout objet de pensée possible, en bref à tout ce qui peut figurer dans une proposition vraie ou fausse et à toutes ces propositions elles-mêmes 16 ) conforte la théorie des objets de Meinong qui puisant sa source dans la psychologie de Brentano fait la distinction entre objets (au sens strict : le chat est sur le paillasson le chat EXISTE sur le paillasson) et objectifs (objets des actes cognitifs l ETRE-sur-le-paillasson-du-chat qui SUBSISTE). On peut donc conclure que les objets idéaux subsistent mais n existent pas (existieren) 17. Tout acte cognitif qu un objectif a pour objet constitue un exemple de connaissance de quelque chose qui n existe pas. Meinong se livre a une tentative d ontologisation de la logique de l usage courant qu on fait des expressions référentielles 18 et dans ce sens l une de ses thèses principales le principe d indépendance de l être-ainsi (sosein) vs. l être (sein) 19 aidera à la solution qu il donne au problème de la référence l Aussersein de l objet pur c est-à-dire au problème des existentiels négatifs (les chimères, les cercles carrés sont des objets même s ils n existent pas) auxquels on peut référer. En bref, la philosophie du langage considère comme objet n importe quel élément de l univers physique ou mental, concret ou abstrait, et donc n importe quelle variable susceptible d être instanciée par un nom ou un syntagme nominal 20. Chaque objet occupe une position de l espace physique (par exemple de l espace géographique : Bagdad Irak) ou mental (la psychologie de Brentano dans la théorie

17 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 9 des objets de Meinong), donc, il peut être logé dans tel ou tel lieu spatial ou temporel. Selon Bastuji, il y a un espace temps comme condition de possibilité à l existence réelle ou virtuelle de tout objet physique ou non. L espace est existentiel et l existence est spatiale car toute existence par un besoin intérieur s ouvre sur un «dehors» spatio-mental, physique et virtuel à la fois, ce dernier étant constitué d un «monde des significations et des objets de pensée qui se constituent en elles» Par les opérations de dénomination (et/ou d ostension 22 ) qu impliquent sémantique, syntaxe et référentialité on localise l objet à l intérieur du lieu ou bien on l identifie à celui-ci. La dénomination selon Bastuji 23 - peut être considérée comme relation de localisation supposant le repérage d une variable x (l objet à dénommer) par rapport à une fraction de la praxis délimitée par une notion selon une formule du type : < x ( AĀ ) > définissant une référence virtuelle pour tout lexème ou morphème qui n est pas encore totalement «grammémisé» 24, c est-à-dire vidé de sens descriptif. Les lieux et les objets peuvent donc être définis comme fractions d un espace physique ou virtuel conformément à une relation de localisation à double sens : Lieu Objet sous-tendue à un axe topologique du type : devant derrière, avant après, sur sous, proche lointain, etc. Malgré son asymétrie la relation de localisation peut être réversible et transitive : le lieu des valeurs démocratiques du monde occidental ( objet) est constitué par les tours jumelles et inversement les tours jumelles (=objet) devient le lieu du champ axiologique. À un certain niveau, on peut même poser leur identité en vertu d une indiscernabilité des indiscernables de l espace mental sous-tendu par les deux types d expressions objet architectural vs. énoncé linguistique. 3. Dans son rapport avec l environnement décomposé ou non en «lieu qualifié» 25, l objet se diversifie énormément surtout dans le lexique selon une mécanique psychologique structurée sur certains acquis de la Gestaltheorie. Selon cette Psychologie de la forme, tout acte perceptif est une structure analysable sur l opposition entre la

18 10 Dan Dobre figure (l objet) et le fond (l espace environnant). La forme est une entité dont les frontières la séparent nettement d un fond qui, à la limite, se retrouve subrepticement sans forme ni limite dans les structures de profondeur de la figure. Bref, «notre champ perceptif» est fait de «choses» et de «vides entre les choses» 26, c est-à-dire «d intervalles : tel est, on s en souvient, l un des sens du mot espace» 27. Cette distinction entre entité et intervalles nous servira à la compréhension de la deixis contextuelle et cotextuelle, et aussi à marquer distance que le locuteur met entre lui en situation d énonciation et l objet montré. S il peut manipuler les entités objectales, il ne peut pas manipuler les lieux, car ils «ne sont pas manipulables» 28 du point de vue de leurs propriétés, mais déplaçables dans l espace euclidien qu ils construisent, espace indifférent à leurs contenus. 4. Cette distinction fondamentale entre objet et fond que nous posons avec Bastuji et tout le discours philosophique qui la précède nous permettra d analyser la deixis dans ses parties constitutives que nous rapporterons tantôt à l espace environnant «ad oculos» de l eccéité linguistique, discursive ou extralinguistique, tantôt à l espace «am phantasma» bühlerien. Mais, trancher entre la localisation d une référence constituée et une deixis en tant que construction référentielle s avère une opération très difficile sinon impossible. C est au moins ce qu affirme L. Danon-Boileau 29 qui en faisant référence à l intervention Ambiguïtés de la deixis de G. Bourquin montre les difficultés auxquelles on se heurte dans l analyse des marqueurs déictiques les plus simples. Il se demande, à juste titre, quelle valeur assigner à là dans un énoncé tel que «Monsieur Bühler n est pas là». C est un marqueur de proximité «géographique» identifiable à ici ou bien un lieu commun de pensée entre le locuteur et l interlocuteur, un espace de la consensualité où se construit sans doute la deixis «am phantasma»? Et l auteur de conclure : «... il semble que la répartition traditionnelle de la deixis est en fait acceptable quand il s agit de localiser une référence constituée, mais qu elle cesse de l être s il s agit à proprement parler de construire une référence» 30. Le premier type de localisation vise une deixis ad oculos (coïncidence

19 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 11 entre ce que je pense et ce que je vois) c est-à-dire entre une représentation de l énonciateur et une eccéité, tandis que le second correspond à une deixis am phantasma (coïncidence entre ce que je pense et ce que je pense que tu penses) Situation d énonciation et appareil formel déictique 0. E. Benveniste définit l énonciation comme la mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d utilisation, par une conversion individuelle en discours 32. C est une mécanique complexe relevant du système 33 et comprenant trois aspects majeurs : 1. la réalisation vocale de la langue (l énonciation phonique différente des divers individus) ; 2. la sémantisation ( la conversion du sens en mots) ; 3. le cadre formel de l énonciation (l emploi des formes linguistiques). Le locuteur s approprie cet appareil formel et, ce faisant, se pose comme sujet de l énonciation à même d employer les virtualités de la langue dans son rapport avec le monde par le biais de la référence et de la co-référence et aussi de certains termes comme ici, ce, celui-ci, etc. indices d ostension déictique. En se posant comme je de l énonciation, il fait émerger un tu transformable à son tour en je au cours du processus de l interlocution. La prise de parole du sujet énonciateur mettant en marche le système énonciatif mène à la production d un objet linguistique de surface qu est l énoncé entité indépendante de diverses énonciations possibles qui le prend en charge. Les déictiques sont des expressions / unités linguistiques présentes dans l énoncé et qui ont pour propriété de «réfléchir» 34 son énonciation, de l embrayer, c est-à-dire d y intégrer certaines dimensions du contexte énonciatif. Comme D. Maingueneau le souligne, les embrayeurs (les déictiques) ne peuvent pas être étudiés indépendamment de leur position par rapport au locuteur, tandis que le référent d un terme comme chat par exemple peut être détecté dans une classe visible de référents en dehors de toute énonciation ; les déictiques sont donc des

20 12 Dan Dobre signes linguistiques circonscrits dans un réseau de relations énonciatives (personnelles, spatiales et spatio-temporelles) qui permettent la conversion de la langue en tant que système de signes virtuels en discours 35. Une situation énonciative comporte donc une série d éléments que D. Wunderlich 36 formalise comme suit : Sit = < Loc, Aud, d, l + p, Phon, Cont, Présup, Intent, Rel> où : Loc = locuteur ; Aud = interlocuteur ; d = moment de l énonciation ; l, p = lieu et espace perceptif du locuteur ; Phon = particule phonologico-syntaxique de l énoncé ; Cont = contenu cognitif de l énoncé ; Présup = présupposition du locuteur nécessairement liée à l énonciation ; Intent = intention du locuteur liée à cet énoncé ; Rel = interrelation locuteur interlocuteur établie par l énoncé. Les présuppositions comportent au moins cinq composantes : 1. Présup. Loc. = connaissances et capacités du locuteur ; 2. Présup. Aud. = ce que celui-ci présume être les connaissances et les capacités du locuteur ; 3. Présup. Aud. p. = ce qu il présume être l espace perceptif de l auditeur ; 4. Présup. Soc. = relation sociale locuteur interlocuteur ; 5. Présup. Text. = ce qu il a compris des énoncés précédents. Cette formule de Wunderlich nous permet d écrire les expressions 37 des trois dimensions déictiques fondamentales qui trouvent leur actualisation dans les entités linguistiques constitutives de l appareil formel de la déicticité Deixis personnelle 1. Sit p = < Loc, Aud, Phon, Cont > je (nous) / tu (vous), pronoms qui occupent des positions réciproquement interchangeables 39 ; nous et vous sont des formes essentiellement complexes, condensées 40 dont la structure varie avec la situation d énonciation : nous = je + je (+ je...) ; vous = tu + tu(+ tu...) ; je + tu (+ tu... ) ; = tu + il (+ il...). je + il (+ il...).

21 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 13 Nous, c est avant tout moi avec toi ou moi avec lui : «il n y a pas réellement multiplication de je mais extension, illimitation» 41 Je / tu, nous / vous forment la «sphère de la locution» qui renvoie à l univers de la non personne (objets et substituts dont parlent je et tu) et que le pronom il incarne. L insertion du récepteur dans l énoncé peut se faire aussi à l aide d un tu (commutable avec on) générique et d un «datif éthique». Le tu générique a pour fonction de «personnaliser des énoncés impersonnels à valeur générale en remplaçant le sujet universel (on en particulier)» 42 : Quand on lui demande quelque chose, il ne te répond même pas. Par le datif éthique le locuteur est inséré à titre de témoin fictif, sans jouer aucun rôle dans le procès, si bien que sa suppression n altérerait en rien l énoncé au niveau du contenu : Les prix te montent à une allure folle depuis deux ans. Les adjectifs et les pronoms possessifs : mon, ton, nos, vos et le mien, le tien, le nôtre, le vôtre sont comme le signale Maingueneau liés à je et tu par des structures du type : Le N de moi, toi, nous, vous ou bien Le de moi, de toi, de nous, de vous. Certes, il y a encore d autres emplois de la déictique personnelle où le sens situationnel et la référence sont différents : marque de respect, amour, ironie, etc. ; nous en ferons usage lorsque la situation se présentera Deixis temporelle Sit t = < M 0, Phon, Cont > Le point de repère des espaces temporels est le moment de l énonciation (M 0 ), le moment où l énonciateur parle. Cette dimension comprend chez Benveniste la totalité des formes temporelles déterminées par rapport à l ego en tant que centre de l énonciation et cela en relation avec le moment de l énonciation

22 14 Dan Dobre constitué par une «forme axiale» verbale le présent. C est à partir de là que naît la catégorie du temps. Pour G. Guillaume le présent était l endroit binômal (les chronotypes α et ω), infinitésimal où s évanouissait le passé pour construire le futur et inversement l endroit où le futur s effondrait dans la poussière du passé. E. Benveniste distingue dans la langue des entités à statut plein et permanent et d autres qui émergent de la situation énonciative et qui n existent que dans le système d entités que l énonciation crée relativement à l «ici maintenant» du locuteur. Dans un énoncé tel que : Le lendemain de la fête Paul s est promené avec Sophie. 43 l adverbe temporel ne serait pas un déictique, car il n est pas rapporté au moment de l énonciation mais au nominal la fête. Les non-deictiques sont donc fixés à l aide des repères présents dans l énoncé. Voyons maintenant, d après D. Maingueneau, l inventaire des entités linguistiques constitutives de l appareil déictique temporel repérables relativement à M 0 : A. visée ponctuelle 1. Le repère (R) = M 0 : actuellement, maintenant, en ce moment, à cette heure, (coïncidence avec M 0 ) ; hier, avant, avant-hier, matin, soir, autrefois, jadis, naguère, récemment, dernièrement, l autre jour, le + N + (dernier / passé), (antérieur à M 0 ) ; demain, après, après-demain, midi, soir, immédiatement, bientôt, le + N + (prochain / qui vient), (postérieur à M 0 ) ; 2. R M 0 (unités qui réfèrent au repère lui-même) : alors, ce + N + (-là), Prép + ce + N + (-là), où : Prép = à, en, (coïncidence avec R) ; la veille, l avant / avant veille, Quantitatif dém + N + avant / auparavant, plut tôt, le N + d avant / précédent, (antériorité au repère) ;

23 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 15 le lendemain, le surlendemain, Quantitatif + N + après / plus tant, le + N + d après / suivant ; B. visée durative 1. Attitude rétrospective : R = M 0 : durée ouverte (le procès dont on veut déterminer l origine dure encore à M 0 ) : Voilà deux heures que je l attends. durée fermée (le procès est achevé et on évalue la distance qui le sépare de M o ) : Il a plu il y a trois jours. Une certaine instabilité est repérable au niveau de certaines unités linguistiques compatibles ou non avec les deux durées à la fois : compatibilité avec les deux durées : ça fait... que, il y a... que, il y aura... que, ça fera... que, il y avait / a eu... que, ça faisait / a fait... que, voilà... que, depuis ; compatibilité avec la durée fermée : il y a, voilà, ça fait, il y a eu, ça a fait, Quantitatif + N + avant / plutôt ; compatibilité ouverte : depuis. 2. Attitude prospective : a. R = M 0 : dans + Quantitatif + N (évaluation précise) ; dans les + Quantitatif + (qui viennent), d ici / avant + Quantitatif + N, sous + Quantitatif + N, sous + N (N= huitaine, quinzaine évaluation approximative) b. R M 0 : R est postérieur ou antérieur à M 0 (évaluation précise) ; Avant / sous + Quantitatif + N, dans les + Quantitatif (+ N) (qui suivent) (évaluation approximative) Deixis spatiale Sit s = < l + s, Phon, Cont (Présup. Aud. s ) > ici / là / là-bas ; là-dessus / ci-dessus ; près (de) / loin (de) ; en haut (de) / en bas (de) ; à gauche (de) / à droite (de), etc. qui sont des adverbes déictiques 44 locutions et «topologiques» 45 (adverbes et locutions prépositionnelles) :

24 16 Dan Dobre Ici a une double valeur référentielle : il renvoie à un lieu qui circonscrit l énonciateur ou bien à un endroit extérieur à celui-ci ; Là est une expression problématique car la notion de proximité qu elle suppose peut fonctionner aussi dans le domaine des jugements de valeur ; Là-bas introduit indubitablement l éloignement de l énonciateur par rapport au référent ; celui, celle / ceux, celles pronoms démonstratifs simples formés par l adjonction du morphème c aux formes toniques du pronom de la 3 e personne ; (celui, celle / ceux, celles) + (-ci) / + (-là) pronoms démonstratifs renforcés par les particules déictiques ci et là ; ceci, cela, ça, ce pronoms démonstratifs neutres ; ce l allomorphe du morphème -c est une forme neutralisée du point de vue des catégories du genre et du nombre. Dans certains contextes, les pronoms démonstratifs sont susceptibles d ambiguïté déictico-anaphorique : Prends ça! (déictique) Il a beaucoup neigé. Ça va produire des embouteillages! (anaphorique) Cette distinction, opérationnelle dans bien des études actuelles et surtout traditionnelles, ne recouvre, au fond, qu un seul phénomène qui puise sa source à une seule Alma mater qu est la déicticité. ce, cet / cette ; ces adjectifs démonstratifs simples : cette fille ; ce + N / + (-ci / -là) adjectifs démonstratifs renforcés : ce jardin-là voici / voilà les présentatifs signes indexicaux des référents nouveaux qui font leur apparition dans le discours. Ce système comporte cinq distributions 46 : a. suivis d une séquence : voilà / voici le riant avril! b. postposés à Pro ou à SN + qui : Le voilà arrivé! En voici! Les beaux gars que voilà! c. noyaux d une holophrase : Voilà. Et voilà!

25 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 17 d. introducteurs d une P conjonctive : Voici / voilà qu il se met à parler! e. suivis d un SN simple ou complexe marquant la suite : Il est disparu (voici / voilà) sept jours. Ces présentatifs ont pour origine la lexicalisation d une phrase impérative : vois-ci / vois-là et présentent une instabilité situationnelle de leurs valeurs. * Au terme de cet aperçu introductif, nous allons essayer de formaliser le phénomène déictique en tant que système ternaire à concaténation inférentielle. Dans cette perspective, chaque unité systémique comporte une entrée (u) et une sortie (y) ; entre les entités systémiques s installe un rapport de simultanéité inférentielle réciproque et d appartenance. Dans une première approximation qui se veut ponctuelle, nous stipulons un je énonciateur, entité centrale à tout phénomène langagier. Il est tenu à être placé dans l espace et le lieu où il parle. Toute émission verbale connaît un moment zéro (M 0 = le présent) de l énonciation, responsable de la création du domaine spatio-temporel passé et futur du discours : Domaine spatio-temporel lieu je Cet emboîtement circulaire figure la simultanéisation fonctionnelle des trois systèmes. Aux frontières des trois unités

26 18 Dan Dobre s installent des relations pouvant recevoir une description linéaire en termes d entrée et de sortie 47. Dans le cas de la deixis, toute entrée subit dans la «boîte noire» où elle est temporairement logée, une transformation (transition φ) en vertu d un paquet ternaire de règles (lois) transformationnelles (RT) : identification différenciation ostension, qui déclenchent par des mécanismes intimes dont nous allons parler au cours de cette étude, le phénomène de monstration référentielle déictique à double volet : explosion référentielle ciblée sur des référents extérieurs et implosion référentielle ciblée cette foisci sur des virtualités propres à l unité déictique (la sui référentialité). À la base de ce paquet ternaire de règles transformationnelles se trouve une règle primitive fondamentale la présence sine qua non du couple je énonciateur M 0 de l énonciation, les deux termes servant de points de repères originaires. Nous proposons ci-dessus un modèle de fonctionnement systémique des entités déictiques : u=je RT φ autre y=tu u=l 0 (il) RT φ autre y=l u=m 1..n 0 RT φ autre y=m 3 À noter que le troisième système ( 3 ) implique et appartient aux deux premiers pris ensemble.

27 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 19 L état du système est une variable en fonction de chaque entrée envisagée séparement ou des trois entrées (je, L 0 M 0 ) à la fois. Autrement dit, toute variation de telle ou telle entrée aura pour effet des changements au niveau des sorties, un repositionnement de ces derniers dans le champ discursivo-interprétatif par le biais de l ostension. Il peut y avoir des variations au niveau : 1. du sujet énonciateur qui de par sa nature est polyphonique, mais garde toujours constante la place sujet (ps) ; 2. des valeurs spatiales v(s) où s = lieu E, E = domaine de l espace ; 3. du champ spatio-temporel v(t) où t T, T = domaine du temps. Dans ces conditions, l expression formalisée du fonctionnement du système déictique ci-dessus peut avoir la forme : v p (S) v 0-n (s) v 0-n (t) où v, par sa variabilité, marque sa dynamique. 3. Sens, référence et ostension 0. Dans le Dictionnaire de la linguistique de G. Mounin, publié en 1974 par J. Roggero et J. Donato, les concepts de sens, référence, ostension et situation d énonciation émergent nettement des définitions que l auteur donne aux termes de déictique et d embrayeurs. Pour ce qui est du premier, la définition étymologique du grec deiktikos (qui sert à montrer, qui désigne) met en exergue la dimension ostensive de toute une classe d unités appelées par Jespersen shifters terme ultérieurement traduit par embrayeur. Cette classe, plutôt formelle d unités sans dénotation concrète et à référence variable, n a d existence qu en relation étroite à la situation : si la situation n est pas connue l identification du référent devient nulle. À la page 121 du Dictionnaire..., l embrayeur est défini par Jespersen en tant qu une «classe de mots (...) dont le sens varie avec la situation (...) : papa, maman, etc.».

28 20 Dan Dobre Pour Jakobson, ces unités sont grammaticales et non lexicales comme chez Jespersen ; leur rôle est d embrayer le message sur la situation par la référence. Et Jakobson de préciser : «Le caractère particulier des embrayeurs ne réside pas dans une prétendue absence de signification unique et constante, mais dans le fait qu ils renvoient obligatoirement au message» que ce soit le mode, le temps ou la personne. Dans ces deux articles de dictionnaire cités d ailleurs par G. Kleiber dans l une de ses publications 48, on remarque le jeu de toute une série d éléments identificatoires branchés sur les concepts de sens, référence, ostension et situation énonciative Sens et référence. «Vacuité» 49 des déictiques? 1. Rejetons d emblée avec Kleiber la théorie selon laquelle une expression déictique n a pas de sens, mais seulement de référence. Ainsi, les pronoms personnels je et tu ont un sens grammémisé, dirons-nous, descriptivement incomplet, même si dans la situation énonciative il n existe pas de personne repérable dans la sphère de l eccéité. C est ce qui explique d ailleurs l impasse à laquelle aboutit une éventuelle comparaison entre : je vs. train, maison, montagne. Le côté descriptif de l expression déictique est donné en général par l «image du miroir» du contenu sémantique de l entité réelle ou abstraite représentée. À la structure grammémique du pronom il par exemple [SUBSTITUT PRON., MASC., SING., DÉLOCUTÉ, ORIENTATION] s ajoutent d autres sèmes plus «descriptifs» : [HUMAIN, MÂLE, ANIMÉ] s il s agit d un homme, [ANIMAL, MÂLE, ANIMÉ] pour un animal et [OBJET CONCRET / ABSTRAIT, -ANIMÉ] pour les objets, ce qui assure une couverture dénotative à l expression déictique en question. Admettons avec G. Kleiber 50 qu entre je et train du point de vue de la dénotativité il n y a qu une différence de degré qui trouve son reflet dans la difficulté d établir les conditions de vérité d un déictique ce qui n entraîne pas l absence de telles conditions de vérité.

29 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien Si l on pense maintenant à B. Russell et surtout à la question qu il s était posée sur l existence / inexistence du sens d une phrase tant qu elle n a pas de référent dans la réalité, on peut affirmer que les déictiques en tant qu expressions à référence unique semblent se retrouver dans la même situation ; mais il faut remarquer que cette insuffisance sémantique de l occurrence est comblée par la présence d un référent contextuel, co-textuel ou extralinguistique diversifié et qui constitue, selon Strawson 51, autant d occasions d usage d une expression. On peut donc distinguer entre expression déictique (occurrence) vs. l usage de l expression (de l occurrence) vs. l énonciation de l expression. Ainsi deux journalistes placés dans un contexte pragmatique identique peuvent faire le même usage de la même expression déictique au cours de deux énonciations différentes : Ce roi belge est sage est une phrase dont deux journalistes, un Français et un Belge, pourront faire usage synchroniquement sans que leurs énonciations différentes en affectent le sens ; mais on peut user différemment de la même occurrence selon que leur référent se place dans un contexte pragmatique différent : Ce roi de France est sage comportera deux usages différents dans deux contextes pragmatiques temporels différents (t 1 t 2, selon qu il y a ou non un roi en France au moment de l énonciation e 1 t 1 et e 2 t 2 ). Voir les deux schémas suivants : 1. journaliste contexte pragmatique (Cp 1, t 0 ) français énonciation (e 1 ) même usage (u) en 2. journaliste contexte pragmatique (Cp 1, t 0 ) belge énonciation (e 2 ) 1. journaliste x u 1 Cp 1 t 1 e 1 2. journaliste y u 2 Cp 2 t 2 e 2 3. À l encontre de Benveniste 52 et de C. Kerbrat-Orecchioni 53 qui reconnaissent aux expressions déictiques un sens et non une classe dénotative, nous soutenons avec Kleiber l idée d un sens descriptif, relativement inné, ajouterons-nous, qui n atteint sa complétude qu en

30 22 Dan Dobre usage. L entité déictique pointe vers un référent selon sa structure sémique, notamment selon son noyau sémique l expression la plus forte de sa charge sémantique. Ces considérations expliquent pourquoi, une séquence du type celui homme est impossible : [pron. dém.] [nom]. Pour ce qui est des unités ici ou maintenant, «l endroit présent» et respectivement «le moment présent», ces deux instances constituent les référents et simultanément les noyaux sémiques des deux occurrences ce qui rend possible l usage de la seule expression déictique en l absence de tout référent «visible» dans l énoncé. Le premier peut parfois être glosé : ici, dans la maison. Même simultanéisation aussi pour les pronoms personnels ; dans le cas de je, par exemple, son noyau sémique [LOCUTEUR] pointe (en vertu du sème + ORIENTATION] vers un objet animé du domaine de l eccéité caractérisé par le même noyau sémique. Au fond, et c est là notre thèse 54, la déixis est une combinatoire à base classématique entre l occurrence et le référent in absentia / ~ praesentia, thèse que nous allons exposer in extenso dans la dernière section de ce chapitre Déicticité et référentialité 1. Certaines théories exposées au Colloque en Sorbonne du 8 9 juin 1990, parties de l idée que le nom commun employé en discours n avait d autre fonction que de construire la référence d un individu spécifique, ont attribué à la deixis une caractérisation inhérente à l emploi pur et simple de toute entité nominale en discours 55. Làdessus, Danon-Boileau reprend de l intervention de P. de Carvalho 56 l exemple suivant sur le latin : pater adest ne veut pas dire «il y a un personnage paternel qui est là», mais «mon père», «ton père» ou «son père» est là. En ce sens, pater est pétri de deixis 57 On peut donc affirmer que le nom commun en discours comporte une déicticité originelle qu on ne pourrait rattacher à la déicticité des démonstratifs, par exemple, mais qui diffère en quelque sorte de la référence des noms propres (N pr.).

31 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 23 Pour ce qui est du sens de la référence de ces derniers, la théorie causale de Kripke 58 s avère insuffisante, car le même nom propre, Paul, peut servir d étiquette à plusieurs personnes. 2. Conrad essaie de la corriger par sa règle pragmatique de référence : «John peut être utilisé afin d accomplir un acte de référence réussi, si et seulement si, il y a dans le contexte exactement un X qui peut être appelé John, et si cet X est effectivement le référent intentionnel, et si l interlocuteur comprend qui c est le référent intentionnel» 59. Conrad n aboutit pas à résoudre complètement le problème en raison de la circularité et des inconvénients que cette règle pose. L essentiel, c est de savoir faire la différence entre la référence «dénominative» ou «propriale» des Npr. vs. la référence «descriptive» des noms communs dont parlent J. Lyons et G. Kleiber. Si pour le mot chat écrit K. Jonasson 60 - la référence est réussie, car le mot n est pas vide de sens (il possède un contenu sémique indéniable), pour le nom propre la situation semble changer étant donné que, selon certains chercheurs, une vacuité sémantique le caractérise intrinsèquement. 3. Avec P. de Carvalho 61 et J.- Cl. Chevalier 62 nous soutenons que tout N pr. possède au moins un paquet restreint de propriétés : Un signifiant sélectionnerait et désignerait en quelque sorte activement les objets, qui à l exclusion de tous les autres correspondent à la «description» qu il propose 63. Dans notre conception, le N pr. est une «étiquette» collée sur une «conserve» vide qui situationnellement est remplie d un contenu. Le contenu peut avoir un sens général valable pour un public très large le cas des personnalités ou bien un sens particulier valable pour un nombre restreint de personnes : famille, groupe professionnel, etc. Dans cette perspective, il faut admettre avec M. Launay 64 que le signifiant par lui-même n est pas en puissance de faire «activement» référence à quoi que ce soit et que c est l usage qu on fait de certaines propriétés qui crée la référence. Il faut donc conclure avec Jonasson qu entre les N pr. et les noms substantifs il n y a aucune différence de nature mais de degré

32 24 Dan Dobre «et c est que ici se révèle le caractère déictique au sens habituel, purement lexico-descriptif, de ce terme des noms propres» 65. Par rapport aux pronoms qui ont un contenu notionnel, les noms s assortissent en plus d une certaine transcendance, ce qui fait que leur «capacité de référence» ne puisse s accomplir qu en fonction du locuteur. 4. Le contenu descriptif des noms communs, propres et même des déictiques semble motiver une certaine gradation de la tension descriptive ; c est dans ce sens-là, qu il faut contredire F. Corblin qui, parti des observations de P. T. Geach 66 sur la «nomination indépendante», doute du contenu nominal du démonstratif et de la capacité de celui-ci d identifier le référent. Il écarte comme non déictique toute expression qui met en jeu le contenu descriptif du mot dans la construction de la référence elle-même. Ainsi, dans une structure du type ce+n, c est l occurrence qui crée la référence que le sens descriptif du N comble par la suite. Selon Danon-Boileau, occurrence et lexème font jouer deux propriétés différentes : pour le nom en tant qu extraction d un objet de la classe des objets et pour l occurrence ce, l ostension, malgré son caractère discriminant, ne peut pas être explicitée. Et Boileau de rappeler également que chez Bühler, dans l analyse de la déicticité d une construction comme ce+livre, l essentiel est de savoir ce qui revient au geste qui accompagne la parole, au déictique ce et au contenu de sens du nom livre. 5. Dans leur intervention, B. Bosredon et Sophie Fischer 67 constatent que l emploi de cette séquence comme étiquette («désignation par nomination») est impossible. Si dans le + N l emploi de l article construit l unicité par auto-repérage de l objet, une sorte de «bouclage» qui transforme une occurrence image en la représentation d un objet «unique» (Le joueur de flûte, par exemple), au contraire, au moyen de ce le locuteur marque une construction référentielle cantonnée dans l acte énonciatif lui-même. Bref, «La deixis permet à l énonciateur et au co-énonciateur de capter un objet en situation selon un processus référentiel qui rajuste perpétuellement cette saisie à partir d un système de repérage propre à l un et à l autre des participants» 68.

33 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 25 Pour que la séquence ce+n soit valide en posture d étiquette légende titre d une oeuvre d art, elle devrait avoir la capacité d instancier une relation prédicative : cet imbécile! ou Ce tableau est un X. Quant à la structure un + N employée dans des exclamations, elle comporte une valeur déictique, mais comme étiquette elle peut être considérée un dérivé par sous-catégorisation 69, et où l indéfini serait un article de second degré 70. Au contraire, le défini semble être par nature le type même du déictique 71 en concurrence avec les démonstratifs qui, dans le courant du terme, constituent les marqueurs déictiques par excellence 72. Dans son intervention déjà citée, P. De Carvalho, parti de N. Beauzée 73, fait remarquer le fonctionnement de l adjectif ce en tant qu article, argument supplémentaire pour justifier une suite comme : article déictique lexème licite pour les langues où la construction d une référence nominale présuppose la présence d un lexème sous forme d argument. Dans ce cas, «la construction de l actance primerait sur la construction de l occurrence» Extraction / détermination 0. La deixis régit, entre autres, certains processus discursifs, et là, les procédés d extraction et de détermination par référentialisation thématique du présentatif c est... qui/que semblent être les plus à même de dessiner, à côté des autres techniques, la structure thématique du discours. Anne Claude Berthoud, confortée par l étude de C. Rouget et L. Salze 75 sur le présentatif c est... qui / que aussi bien que par les remarques faites par L. Danon Boileau et G. Kleiber, sur la deixis définie comme affectation d une propriété différentielle, pose comme essentiels deux types de référentialité de l expression déictique : 1. l extraction (indexicalisation à même d extraire une entité d une classe) : Qui est la femme que tu as aimée? C est cette femme que j ai aimée. 2. la détermination (à effet généralisateur, de conceptualisation par l inscription d un objet particulier dans une classe) :

34 26 Dan Dobre Qui est la femme là-bas? C est cette femme que j ai aimée. À remarquer pourtant que dans ce type de structures il existe une sorte de surréférentialité déictique, valable aussi dans les autres contextes où l occurrence cette est remplacée par un article défini / indéfini ou bien par un pronom démonstratif : Qui as-tu aimé? C est la / une femme que j ai aimée. (extraction) Cette double ostension est-elle nécessaire? Bien sûr que non, car la réponse pourra avoir la forme : C est mon fils / Marie que j ai aimé(e) etc., le double renvoi référentiel ayant un rôle majeur dans le renforcement de l ostension Tout mot grammatical est capable de référence 0. À l opposé de bien des théories qui font les «délices de Capoue» du lecteur, il faut admettre que tout mot grammatical est capable de référence et que dans un syntagme nominal le nom substantif ne fait qu apporter tardivement une identification qualification au référent produit «substantivement» par le démonstratif 76. Le nom devient un apport à un support constitué par différentes sortes d articles. Pour De Carvalho l article institue «dans le présent délocuté une personne 3 e qui reste à identifier par un syntagme nominal et que l article démonstratif ce / cet / cette pose dans l espace extérieur circonscrit présentement et provisoirement par le regard, alors que les articles traditionnellement reconnus pour tels l inscrivaient dans l espace mental du locuteur qui est permanent et antérieur à toute situation locutive» 77. Et De Carvalho de remarquer qu à la différence des démonstratifs latins ou ibériques, l «article démonstratif» ce / cet / cette a pour signifié, entre autres, dirons nous, une prise de position au sens opératif, de renvoi à l extérieur. Ainsi, dans un énoncé tel que : Ce chien qui vient d être écrasé... ce renvoie explicitement au chien qu on a présentement sous les yeux.

35 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 27 Pour ce qui est des pronoms démonstratifs : celui (ce lui), celle (c elle) et ce φ ci/là, ce sont indubitablement des syntagmes «hypostasiés» prêts à l emploi dans des mots composés. Comme tout «article démonstratif», ils ne peuvent pas être utilisés en ostension différée 78, car il «pointent» par le biais du mécanisme classématique que nous allons décrire vers un référent précis. En échange, la «neutralité» de ça permet une confusion référentielle que seule la situation d énonciation peut désambiguïser. Dans : Pierre a acheté ça. 79 ça peut être renforcé gestuellement pour désigner un journal ou bien il peut référer à l entreprise qui l a produit, etc. 80 En guise de conclusion, postulons que toute entité grammaticale de par le sémantisme qu elle suppose est apte à faire un couplage référentiel adéquat Egocentrisme et référentialité 1. Le renvoi que toute unité déictique fait à la situation d énonciation s accomplit par l intermédiaire du sujet locuteur qui, au cours de son activité langagière subjective et objective à la fois projette sa subjectivité première dans le miroir d une autre subjectivité que ce soit individuelle (le tu) ou sociale 81. Dans leur rapport clé avec le réel, les pronoms personnels, qu ils soient existentiels ou ontiques 82, projettent l ici et l ailleurs auxquels se réfèrent les coénonciateurs de l échange verbal 83 et assurent l ancrage fondamental du sujet de l énonciation et l identification du référent de l expression déictique. Le locuteur s ennoblit ainsi du rôle de centre de la deixis, d où la dénomination de particuliers égocentriques forgée par B. Russell assignée aux expressions dont la dénotation est relative au locuteur 84. C est à partir du je qu on calcule l autre 85 en tant que localisation personnelle (tu, nous, vous, mêmes, etc.), spatiale (ici, là, là-bas) et temporelle (maintenant) Comme G. Kleiber l avait déjà remarqué, la thèse de la réduction ultime des déictiques à je, «thèse de l égocentrisme», attire

36 28 Dan Dobre des retombées bénéfiques sur les plans philosophique et psychologique, voire psychanalytique : 1. le moi qui se pose «en tant que prise de pouvoir sur lui et sur le monde» 87 est plus fort que 2. le je par le biais duquel on ne regarde que l image du monde ; c est pourquoi ce je n est pas une forme vide comme l affirme P. F. Strawson 88, il se remplit des traits du locuteur et de l interlocuteur comme images du monde. 3. E. Benveniste en 1966 postulait dans ses Problèmes de linguistique générale l implication réciproque des deux personnes fondamentales qui facilite la construction du domaine de la personne comme une dualité à laquelle s oppose l unicité de la non personne. Ce type de relation ouvre à tu la possibilité de devenir je et inversement, on peut donc parler d un UN devant un AUTRE qui n est que momentanément différent La réflexion philosophique, la polyphonie bakhtinienne et la pragmatique intégrée de Ducrot posent l hétérogénéité du je, son éclatement énonciatif, ce qui nous autorise à lancer la thèse d un «éclatement déictique»correspondant. À cet égard, le discours du journaliste est égocentrique par excellence, tout en étant polyphonique par excellence : rédacteur en chef, patron, chef de parti, personnalité politique, etc. 5. Mais, tout en montrant, le je en situation se montre lui-même. La conquête de son identité subjective se rejoue sans cesse 90 dans le contexte menaçant supposé par le rapport moi (le journaliste) vs. ça les autres (pouvoir, groupes d intérêts, patrons, mafia, etc.) et qui constitue d ailleurs la relation fondamentale à l articulation du MÊME et de l AUTRE. Malgré les contre-exemples fournis par les entités référentiellement opaques (ce chien), apparemment incapables d être identifiées à partir d un centre déictique formé par le je énonciateur 91, nous réaffirmons la mécanique de la situation d énonciation qui permettait des repérages du type : maintenant = le moment où je parle ; ici = l endroit où je parle ; ce chien = le chien dont je parle.

37 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien Dans la perspective du sens grammémique et descriptif des entités déictiques, la sui-référentialité de je (et évidemment des autres unités les «token-réflexives») 92 ne fait que conforter l idée que les déictiques ont leur propre référence. À notre avis, tant que le référent «plein» n est pas en vue pour mettre en branle un éventuel couplage classématique, le sème de l ostension, caractéristique aux déictiques, n oriente pas à lui seul la référence de l entité vers l unité référentielle que ce soit elle-même (d où le terme de «token-réflexives») ou une autre instanciées discursivement. À cet égard, Benveniste écrivait que : «je se réfère à l acte de discours individuel où il est prononcé et il désigne le locuteur» 93. Comme G. Kleiber le remarque dans la publication citée auparavant, la token-réflexivité assignée de manière exclusive aux expressions déictiques finit par être abusive : «je désigne malgré tout le locuteur (c est-à-dire quelque chose d autre que le token du je) 94. Ce token représente à notre avis l expression considérée dans sa valeur absolue Unités topologiques et référentialité 0. À n en pas douter, chaque entité déictique signifie une description définie d un certain type capable d une explosion ostensive extraréférentielle et en même temps d une implosion ostensive («suiréférentielle»). Notre mécanique classématique, fonctionnelle dans le double jeu pavlovien ostension noyau sémique, semble bivouaquer dans le camp des thèses descriptivistes enrichies d une tokenréflexivité non réductionniste qui asserte que «le sens d une expression déictique (d un token-réflexif) est tel que l identification du référent passe nécessairement par la prise en considération de l occurrence (ou token) du déictique» 95. C est pourquoi une étude comme celle de J. Ch. Smith 96 sur les adverbes spatiaux ici / là / là-bas qui sera analysée dans le dernier chapitre de notre ouvrage semble être justifiée. Ces structures sémantiques constituent aussi les référents implosifs sui-référentiels de ces trois expressions linguistiques.

38 30 Dan Dobre Même fonctionnement dans le cas des topologiques dont parle Bastuji : prés (de), devant, dans, sur le bord (de), au bout (de), dans le coin dont le noyau grammémique [+SPATIALITÉ] que ce soit interne / externe est accompagné d autres sèmes tels que : ORIENTATION VERTICALE / ORIZONTALE, FRONTALE, LATÉRALE, ANTÉRIORITÉ / POSTÉRIORITÉ, INFÉRIORITÉ / SUPÉRIORITÉ, À DROITE / À GAUCHE, etc. Ces unités réalisent le repérage locatif de l objet cible par rapport à une entité mieux établie (le site) 97 selon la relation syntaxique : N cible V prép. Locatives N site repérable dans un exemple tel que : Les clés se trouvent dans le tiroir. 98 CIBLE SITE Contextuellement, dans l emploi de telles expressions, le locuteur reste le repère privilégié : «Témoin privilégié, le locuteur peut toujours choisir de se définir comme repère et de faire de cette assertion contextuelle une orientation déictique» Le concept de distance dans le calcul de la deixis spatiale 0. Dans la structuration de la deixis spatiale, à part le locuteur, compris comme origo centre du système, le concept de distance joue un rôle important dans le calcul de la proximité et de l éloignement de l énonciateur par rapport au référent. Selon G. Kleiber, la pertinence de ce concept est translinguistique et transcatégorielle 100 parce qu elle fonctionne tant pour les présentatifs (voici, voilà) que pour les démonstratifs ce N-ci, celui-ci/celui-là ou bien pour les adverbes ici/là/là-bas. Une opposition fondamentale du type proximal/distal n est pas pertinente 101 car les unités linguistiques marquent souvent des valeurs paramétriques intégrant parfois les interlocuteurs mêmes. Dans son intervention au Colloque en Sorbonne du 8-9 juin , Jack Feuillet étudie les divers éléments qui font leur jeu dans la représentation de la distance. Ainsi, il parvient à repérer au niveau des

39 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 31 langues en général trois grands systèmes à orientation différente (unique, double et multiple) où le marquage de la distance se fait à partir de l ego, des autres personnes ou des deux à la fois. Dans ce qui suit, nous allons présenter en synthèse les principales caractéristiques des trois systèmes envisagés parfeuillet. 1. Systèmes à orientation unique. Ce système égocentrique marque la distance par rapport à l origo moyennant une opposition : 1. à deux termes proche/non proche dichotomie la plus répandue dans le monde des langues (français, anglais, allemand et presque toutes les langues slaves et sémitiques, etc.) 2. à trois termes : en latin hic (1 e personne), iste (2 e pers.), ille (3 e pers.) ; en géorgien es (proche du locuteur), eg (proche de l auditeur), is/igi (termes moyens). Étant donné la valeur paramétrique de la distance, «il n est pas toujours facile de décider si le système est plus orienté vers la distance que vers la personne» 103. Mais ce qu il faut surtout remarquer, c est la tendance à la neutralisation des oppositions 104. Le démonstratif indiquant la distance par rapport au locuteur, unité déictique caractérisant le système ternaire, peut présenter des structures différentes, marquant soit la distance relative (proche/moins proche), éloigné 105, soit une opposition du type proche/éloigné/neutre 106. Tout en renvoyant à un référent très éloigné, le troisième terme finit par se rendre invisible à termes multiples. Ce sont des systèmes assez rares. En malgache, par exemple, il y a des marqueurs pour au moins sept valeurs paramétriques différentes : distance nulle ou irréelle, distance réelle mais indéfinie, très faible, faible distance, grande distance et très grande distance Systèmes à double orientation Ce sont des structures déictiques impliquant au moins trois termes orientés simultanément sur le locuteur ou bien sur l auditeur. 1. Dans ce champ épistémologique, les systèmes à trois termes semblent être les plus fréquents ; ils «ont un terme pour exprimer la proximité par rapport au locuteur et un autre pour celle par rapport à l auditeur» 109. Vu que le second (iste du lat., par exemple) est moins marqué sémantiquement (comme hic et ille), il est difficile

40 32 Dan Dobre de savoir si l on à faire à un système orienté sur la distance ou sur la personne 110. W. A. Foley 111, P. S. Aspillera, 112 C. S. Ruiz 113 et d autres ont mis en évidence pour le korafe, le tagalog et respectivement le quechua une zone extérieure à celle de la locution. En korafe, par exemple, à e et à a s oppose o, une location se trouvant en dehors de l espace occupé par le locuteur et l auditeur. Dans d autres langues, comme le japonais ou le drehu, le troisième terme réfère à une entité «mémorielle» ou «invisible». 2. Les systèmes à plus de trois termes orientés vers les personnes sont moins nombreux. Feuillet cite Tucker pour le pokot et Hagège pour le palau où la distance calculée par rapport à l égo connaît des valeurs segmentales telles que : proche ou un peu plus loin de l ego, proche de l auditeur ou éloigné de l un et de l autre. 3. Plus on multiplie le nombre des termes, plus les structures se raréfient. C est le cas des systèmes à plus de quatre termes 114. Le cibemba, par exemple 115, utilise cinq démonstratifs qui, combinés, réalisent des valeurs spatiales différentes relativement aux protagonistes de la communication : ù-nó (très proche du locuteur) / ù- yú (plus proche du locuteur que de l auditeur) / ù-yóò (à égale distance des interlocuteurs) / ù-yò (tout proche de l auditeur) / ù-lyà (éloigné des deux). 3. Systèmes à orientation multiple L un des moyens d actualisation de ces systèmes fait appel aux formes démonstratives qui connaissent des variables morphologiques de genre, de nombre et de cas. Souvent, la nature du référent détermine le choix de l entité déictique, comme en Yidiny 116. En japonais, il existe des formes ciblant les choses, les personnes (des déterminatifs «courtois» et des formes révérencieuses). Plusieurs facteurs interviennent dans l étude des systèmes à orientation multiple : 1. La visibilité : les systèmes à quatre ou à cinq termes peuvent utiliser une occurrence renvoyant à quelque chose d invisible ; et Feuillet cite l exemple du malgache qui possède sept entités pour la référence «visible» et sept autres pour la référence «invisible». Dans la même publication, Anderson et Keenan

41 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 33 découvrent le même phénomène en kwakwalà où les démonstratifs de 1 e, 2 e et 3 e personne sont divisés en visible / non visible, opposition qui ne recouvre pas parfaitement celle de l absent et du présent L étendue : la dichotomie ponctuel / extensif connaît en malgache, par exemple, des actualisations du type distance nulle et irréelle / distance réelle, mais indéfinie. Selon Domenichini- Ramaramanana cité par Feuillet, la subjectivité du locuteur et la massivité objective du référent, personne ou chose, déterminent l opposition ponctuel/extensif. D autres langues, comme les langues esquimaudes établissent des corrélations entre extensivité et mobilité du référent de même qu entre compact (restreint) et stationnaire. 3. La verticalité : certaines langues utilisent des unités pour exprimer la hauteur du référent par rapport au locuteur. En fore, on a le système suivant : distance relative má : (position du locuteur) pi (position de l auditeur) má (proche en haut) mi (proche à la même hauteur) né (proche en bas) Verticalité maré (midistance ; même hauteur) mayà (éloigné en haut) maró (éloigné ; même hauteur) mo (éloigné en bas) (Foley, 1986 apud Feuillet, J., p. 242) 4. La topologie géographique : parfois, les coordonnées géographiques sont grammaticalisées dans les occurrences déictiques : l emplacement de la mer, de la rivière, l aval, l amont, la verticalité de la montagne, etc. Ainsi, le groëlandais parvient à se construire un système déictique complexe de près de 90 termes ; il fait intervenir des éléments comme : les points cardinaux, la verticalité de la montagne par rapport à la mer, l intériorité / l extériorité, etc. Même

42 34 Dan Dobre jeu de l environnement spatial dans la configuration du champ déictique dans le yupik : Étendu restreint obscurci man a tauna tamana tauna ukna aûgna agna qaûgna qagna un a unegna paûgna pagna ingna ikna kiûgna keggna kan a ugna pingna pikna Remarque proche du locuteur proche de l auditeur inna mentionné auparavant s approchant du locuteur amna s éloignant du locuteur akemma de l autre côté qamma à l intérieur ; en amont qakemna à l extérieur camna en bas ; vers la rivière cakemna en aval ; sortie pamna là haut ; éloignement de la pakemna rivière au-dessus (Anderson-Keenan, apud Feuillet, J., op. cit.: 243) La distance ne peut s actualiser qu à partir du locuteur en tant qu origo, élément central du système. À cet égard, trois systèmes essentiels ont découpé la réalité (et ont été découpés par cette même réalité). distal loc proximal moyen aud Espace topologique bidimensionnel 1 Ce système ne retient que la distance relative au locuteur. Il est construit sur les oppositions proximal / distal ou proximal / moyen / distal

43 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 35 loc voisinage du locuteur + + zone neutre + voisinage de l auditeur aud Espace topologique bidimensionnel 2. Ce deuxième système comprend l espace des deux protagonistes de la communication et une zone neutre n appartenant à aucun des deux loc invisible mémoire absence subjectivité visible étendue extériorité intériorité verticalité aud Espace vectoriel multidimensionnel qui résulte du jeu subtile de toute une série de facteurs qui tiennent des données sensibles comme : la vue (visibilité), géométriques (étendue, verticalité, horizontalité, intériorité), géographiques (eau, montagne) ou bien mémorielles, non visibles, absentes ou subjectives. Les valeurs paramétriques instituées par la richesse des expressions déictiques des diverses langues contraintes à faire des découpages généraux et particuliers dans la réalité, peuvent être mieux décryptées si l on fait appel aux concepts mathématiques d espace topologique et d espace abstrait, ce dernier brisant les frontières de la bidimensionnalité s orientant vers le tridimensionnel et même vers l espace à quatre dimensions. Ces concepts mathématiques, nous allons en faire usage pour le calcul des distances déictiques mesurables entre les unités du trinôme ici / là / là-bas (voir le dernier chapitre).

44 36 Dan Dobre NOTES ET RÉFÉRENCES 1 Bühler, K., 1934 : Sprachtheorie. Die Darstellungfunktion der Sprache, Rééd. 1965, Stuttgart, G. Fischer 2 Wittgenstein, L., 1953 : Tractatus logico-philosophicus. Investigations philosophiques, trad. fr. Gallimard, Paris, Benveniste, E., 1966 : Problèmes de linguistique générale, t I et t II, 1974, Gallimard, Paris 4 cf. De Carvalho, P.,1990 :Deixis et grammaire,in La Deixis,Colloque en Sorbonne 8-9 juin,puf 5 Bennett, M., 1978 : Demonstratives and indexicals, in Montague Grammar, in Synthèse vol 39 6 Burks, A., : Icon. Index, Symbol, in Philosophy and Phenomenological, Research, vol. 9 7 Corblin, F., 1985 : Anaphore et interprétation des segments nominaux, Thèse d Etat, Université de Paris VII 8 Danon-Boileau, L., 1984 : That is the question, in La Langue au ras du texte, F. Atlani (éd), PUL, Lille 9 Fraser, T. et Joly, A., 1980 : Le système de la deixis. Endophore et cohésion discursive en anglais, in Modèles linguistiques, II, 2 10 Kaplan, D., 1977 : Demonstratives. An Essay on the Semantics, Logic, Metaphysics and Epistemology of Demonstratives and other indexicals, dactilographié, 99 pages 11 Kleiber, G., 1981 : Problèmes de référence : descriptions définies et noms propres, Klincksieck, Paris 12 Lyons, J., 1975 : Deixis as a the Source of Reference, in Formal Semantics of Natural Language, E. Keenan (ed), Cambridge, Univ. Press, Londres et New York 13 Montague, R : Pragmatics and Intentional Logic, in Synthèse, vol Pottier, B., 1974 : Linguistique génèrale, Klincksieck, Paris 15 cf.kleiber,g., 1986:Déictiques,embrayeurs,token-reflexives,symboles indexicaux,etc, comment les définir?,l information grammaticale,no 30,pp cf. Russell, B., 1937 : Principles of Math, W. W. Norton and C 0, New York 1903 ; 2 e éd., cf. Linsky, L., 1974 : Le problème de la référence, Éd. du Seuil

45 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien cf. Linsky, L. op. cit. 19 Selon Meinong tout objet comporte ses caractéristiques lui sont propres indépendamment de son existence. Pégasse possède des traits bien définis même s il n existe pas. 20 cf. Dervillez-Bastuji, J., 1982 : Structures des relations spatiales dans quelques langues naturelles, Librairie Droz, Genève - Paris 21 Merleau, Ponty, 1945 : Phénoménologie de la perception, Gallimard, Paris, p Cette dernière étant le noyau sémique de toute entité déictique. 23 cf. Dervillez-Bastuji, J., op. cit. 24 ibid. : ibid.: Merleau-Ponty, M., op.cit. : 23 avec référence à Kochler, Gestalt Psychology, pp Dervillez-Bastuji, J., op. cit. : idem 29 cf. Danon-Boileau, L., 1990 : Présentation, faite aux travaux réunis dans le volume La Deixis, Colloque en Sorbonne, 8-9 juin, PUF 30 idem 31 cf. Danon-Boileau et Tamba, I., 1990 : Epilogue, in La Deixis, op. cit. 32 cf. Benveniste, E.,op.cit.: 1974, t II 33 cf. Maingueneau, D., 1981 : Approche de l énonciation en linguistique française. Embrayeurs, temps, discours rapporté, Classiques Hachette 34 cf. Maingueneau, D., op.cit. 35 idem 36 cf. Wunderlich, D., 1969 : Unterrichten als Dialog. Sprache in tehnischenzeitalter,in Heft,no Certaines notations de Wunderlich seront remplacées par d autres plus courantes dans la littérature française de spécialité. 38 Le dispositif que nous présentons tire ses acquis des études de Benveniste, Maingueneau et Dervillez-Bastuji. 39 cf. Maingueneau, G., op. cit. : tout je est un tu en puissance et inversement. 40 cf. Madray-Lesigne, F.,1990: L ici et l ailleurs de la personne en discours: quelques affinités entre personnes,temps et modes en français,in La Deixis,op.cit. 41 Maingueneau, D., op. cit. : ibid. : 16

46 38 Dan Dobre 43 Exemple tiré de Maingueneau, op. cit. 44 cf. Maingueneau, op.cit. 45 cf. Dervillez-Bastuji, J., op.cit. 46 cf. Dervillez-Bastuji, J., op.cit. 47 voir, à cet égard la Thèorie des systèmes de Zadeh, L. A., Polak, E. (System theory, McGraw-Hill, 1969). 48 Kleiber, G., op.cit. : ibid. : 8 50 idem 51 cf. Strawson, P. F., 1977 : De l acte de référence, in Études de logique et linguistique, Seuil, Paris 52 cf. Benveniste, E., op. cit. : 1966 (t1) 53 cf. Kerbrat-Orecchioni, C., 1980 :L énonciation. De la subjectivité dans le langage, A. Colin, Paris 54 Qui nous aidera plus loin à expliquer le paradoxe déictique étayé sur les concepts de contiguïté et clivage. 55 cf. Danon-Boileau, L.,op.cit. : cf. De Carvalho, P.,op.cit.: ibid. : Kripke, S., 1972 : Naming and Necessity, in Semantics of Natural Language, Reidel Dordrecht, D. Davidson et G. Harman (eds.) (trad. fr. La logique des noms propres, Minuit, Paris) 59 Conrad, B.,1985 : On the reference of Propre Names, in Acta Linguistica Hafniensia, vol. 19 1, p : Le référent intentionnel («intendend referent» trad. faite par G. Kleiber,, in Problèmes de référence : descriptions définies et noms propres, Klincksieck, Paris, p Jonasson, K., 1990 : La référence des noms propres relève-t-elle de la deixis?, in La Deixis, op. cit. 61 voir sa prise de parole ayant suivi l exposé de K. Jonasson au Colloque en Sorbonne, 8-9 juin Chevalier, J.-Cl., 1985 : Un nouveau passage du nord-ouest, in Bulletin Hispanique 87, 3-4, pp Intervention de P. De Carvalho à l exposé de K. Jonasson au même Colloque, op. cit. : Launay, M., 1986 : Effet de sens produit par qui?, in Langages, n o 82, juin apud Jonasson, K., op. cit. : 465

47 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien De Carvalho, P., op. cit. :1990: Geach, P. T., 1962 : Reference and generality, Ithaca and London, Cornell University, Press 67 Bosredon, B., Fischer, S., 1990 : Etiquetage et objets de représentation ou «ce N» impossible, in La Deixis, op. cit. 68 ibid.. : cf. Bosredon, B., Fischer, S., op. cit. 70 cf. De Carvalho, P.,op.cit. : idem 72 idem 73 Beauzée, N., 1767 : Grammaire générale 74 Danon-Boileau, L., Tamba, J., op.cit. : Rouget, C., Salze, L., : C est... qui/que : le jeu des quatre familles, in Recherches sur le français parlé, 7 76 Pour Corblin, par exemple, le démonstratif ne fait que «pointer» vers un référent qui lui est extérieur (Ce lecteur de Joyce). 77 De Carvalho, op. cit.,i990 : cf. Quine, W. O., 1971 : The inscrutability of Reference, in Semantics: an Interdisciplinary Reader in Philosophy, Linguistics and Psychology, D. Steinberg et L. A. Jakobovits (eds), Cambridge University Press 79 Nunberg, G., apud Kleiber, G., op. cit.,i986 : Dans son intervention à l exposé de F. Corblin, au même colloque en Sorbonne, L. Danon-Boileau affirme que ceci, cela, ça sont construits référentiellement par «occurrentialisation» à partir d une notion (on part des «qualités» pour créer une référence) ce qui justifierait indirectement la mécanique classématique que nous allons postuler. 81 cf. Măgureanu, A., 1989 : Le sujet en pragmatique, in Cahiers roumains d études littéraires, Univers, Bucarest 82 cf. Moignet, G., 1965 : Les pronoms personnels français, Klincksieck, Paris 83 cf. Madray-Lesigne, F., op.cit. 84 cf. Kleiber, G., op. cit.: cf. Parret, H., 1980 : Demonstratives and I- Sayer, in The Semantics of Determiners, J. Van des Auwers (ed), Croom Helm, Londres 86 cf. Fraser, T., et Joly, A., 1979 : Le système de la deixis. Esquisse d une théorie d expression en anglais, in Modèles linguistiques, 1, 2, pp Madray-Lesigne, F., op. cit. : 403

48 40 Dan Dobre 88 et qui ne prend de sens qu au cours d un usage particulier de l expression. 89 cf. Benveniste, S., apud Măgureanu, A., op. cit. 90 cf. Madray-Lesigne, F., op. cit. 91 cf. Kleiber, G., op. cit.:1986 : 92 Reinchenbach, H., 1947 : Elements of Symbolic Logic, McMillan, New York et Londres 93 Benveniste, E., op. cit.: : Kleiber, G., op. cit.:1986: ibid. : Smith, J. Ch., 1990 : Traits, marques et sous spécification, in La Deixis, op. cit. 97 Les concepts de Cible et de Site ont été introduits pour la première fois par C. Vandeloise (1986, L espace en français, Paris, Seuil). 98 Borillo, A., 1990 : Quelques marqueurs de la deixis spatiale, in La Deixis, op. cit. 99 Smith, J. Ch., op. cit. : cf. Kleiber, G., Comment fonctionne ici, in Chronos, Colloque de Nice, à paraître 101 On constate souvent des phénomènes de neutralisation de l opposition en question ou bien l utilisation préférentielle du proximal (all dieser) ou du distal (roum. acel). 102 Feuillet, J., 1990 :La structuration de la deixis spatiale, in La Deixis op.cit. 103 ibid : En italien, par exemple, des trois termes questo/codesto/quello on n utilise en réalité que deux : questo pour la proximal et quello pour la distal. 105 Voir en maya: lē winik-a ( this man here ) / lē winik-o ( this man there ) / lē winik-e ( that man at a distance ). v. A. M. Tosser, 1977, A Maya Grammar, New York, Dover Publications, p Comme en looma ni(ne)/na, nu/an. v. V.F. Vydrin, 1987 : Yazuk Looma, Moskva, Nauka. 107 En birom, par exemple: -mó (proche)/-anέ (éloigné mais visible)/rεn (très éloigné, invisible). v. L. Bouquiaux, 1970, La langue birom, Paris, Belles Lettres. 108 cf. Domenichini-Ramiaramanana, 1977: Le malgache, Paris Selaf, DRLAV, 38 (1988), Lexique. Nouveaux modèles, Paris, CRU Paris VIII 109 Feuillet, J., op. cit. : 237

49 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien En japonais, par exemple, so- «peut renvoyer aussi bien à un référent éloigné du locuteur qu à un référent proche de l auditeur».( v. E.F. Bleiler, 1963 : Essential Japanese Grammar, New York, Dover, Publications, p. 29). 111 Foley, W.A., 1986 : The Papuan Languages of New Guinea, Cambridge, University Press 112 Aspillera, P.S., 1969 : Basic Tagalog, Rutland et Tokio, C.E. Tuttle Company 113 Ruiz, C.S., 1976 : Gramatica Quechua Ayacucho-Chanca, Lima, Ministerio de Education 114 cf. Feuillet, J., op. cit. 115 cf. Anderson, S.R., Keennan, E.L., 1985 : Deixis, in Language Typology and Sintactic Description, T. Shopen (ed.), Cambridge University Press, pp cf. Dixon, R.M.W, 1977 : A Grammar of Yidiµ, Cambridge University Press 117 En guarani les occurrences de 2 e et 3 e personne (upe, ako, aipo) renvoient à un référent soit absent, soit invisible (cf. A.S.I. Guaschi, apud Feuillet, J., op. cit.).

50 Chapitre 2 THÉORIES TRADITIONNELLES ET NOUVELLE MODÉLISATION 1. Fonctionnalité et disfonctionnalité des approches sur la deixis 0. L objet de ma démarche est une nouvelle tentative, qui me semble prometteuse et efficace, de définir le mécanisme de fonctionnement de la deixis car, dans notre conception, elle dépasse l hétérogénéité des définitions proposées et adoptées par un grand nombre de théories parfois tiraillées entre une description onomasiologique et une autre - sémasiologique. Tout d abord, nous allons faire défiler par l intermédiaire de l excellente étude de G. Kleiber, publiée par le Centre d Analyses Syntaxiques de l Université de Metz, étude déjà mentionnée, à savoir : Déictiques, embrayeurs, «token-reflexives», symboles idexicaux, etc : comment les définir?, les avantages et les insuffisances des démarches ciblées sur la problématique énoncée. En second lieu, nous allons proposer une interprétation de la mécanique référentielle déictique. * Selon G. Kleiber, les conceptions en vogue relèvent de deux champs d analyse : 1. les approches A qui mettent l accent sur le lieu et l objet de référence et qui travaillent avec des occurrences nommées : déictiques, embrayeurs, speechalternants (Sφrensen) et particuliers égocentriques (B. Russell) ; 2. les démarches B, qui contrairement aux premières ont en vue le mode de donation du référent 1. On opère avec des entités nommées déictiques, embrayeurs (définies dans une autre perspective) mais aussi avec des token-reflexives (H. Reichenbach, 1947) expressions

51 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 43 sui-référentielles (E. Benveniste,1966), index (C. S. Peirce, , etc.) Définition dans la perspective de la distinction lieu vs objet de référence Deixis spatio-temporelle et personnelle 0. Le terme grec deiknumi («montrer par le geste», «indiquer par ostension») invite à une définition très étroite de la deixis (vision purement localisante de type A) ; seuls les présentatifs et les démonstratifs doivent être retenus comme déictiques. Selon T. Fraser et A. Joly (1979) cette interprétation gagne en extension et comprend la dimension temporelle aussi. Avec le temps, les expressions personnelles sont elles aussi intégrées dans le même mouvement définitionnel ce qui fait que finalement la deixis est définie sur l axe triadique fondamental moiici-maintenant qui structure la situation de réalisation de l énoncé. «Les références à cette situation forment la deixis et les éléments linguistiques qui concourent à «situer» l énoncé (à l embrayer sur la situation) sont des déictiques» 2. Insuffisances : il y faut intégrer les démonstratifs et les emplois situationnels de il ; «Autrement dit, ce n est pas seulement le moment d énonciation, l endroit d énonciation qui formaient le cadre déictique, mais également les objets dans la situation d énonciation» 3. En opérant cet élargissement les déictiques se redéfinissent comme : «des entités dont le dénominateur commun est d être localisées dans la situation d énonciation» 4. Cette extension a permis d englober aussi les emplois anaphoriques Déicticité et anaphoricité 0. Une dimension plus large des démarches (A) intègre l anaphore dans le cadre de la deixis malgré la dichotomie site situationnel vs site linguistique (ou textuel). Ainsi :dans : Je suis là,. Je et là sont des déictiques tandis que

52 44 Dan Dobre : dans : Marie est venue. Elle a une belle mine, le pronom elle est une expression anaphorique. C est une distinction très efficace qui a fait fortune mais qui a certains désavantages flagrants comme par exemple l existence des occurrences qui peuvent avoir une double interprétation : les démonstratifs en l occurrence sont censés avoir un emploi déictique ou anaphorique : Gare à ce chien! (ce pointe vers un référent en situation) ; Un garçon arriva. Ce garçon était agité. (ce anaphorique). Il est donc difficile à admettre une analyse «éclatée» de l adjectif démonstratif. Il y a quand même une solution : l élargissement de la deixis à la situation anaphorique par l entremise du fait que «le référent d une expression anaphorique est en quelque sorte également «présent» dans la situation d énonciation» 5, cette dernière incluant ainsi le co-texte. J. Lyons distingue pourtant entre la deixis textuelle (les référents se trouvant dans le contexte plus large) et l anaphore dont le référent est logé dans le co-texte linguistique immédiat. L extension locative du référent de la situation d énonciation stricte en contexte linguistique et textuel immédiat permet le passage des théories A aux théories B marquées par une analyse qui «ne se fonde pas non plus prioritairement sur le lieu de résidence du référent, mais sur les modalités de leur fixation référentielle» Introduction au sens déictique Insuffisances des démarches précédentes 0. Comme on a pu le constater, on en est arrivé à une définition large de la référence déictique, définition co-textuelle et contextuelle directe ou indirecte ce qui permettrait l introduction dans la classe des embrayeurs des descriptions définies et même des noms propres, si ces occurrences répondent au critère référentiel du renvoi à un référent localisé dans la situation d énonciation : Paul, viens ici! Le train arrive! 7

53 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 45 ce qui nous obligera à considérer le Npr. comme déictique. Pour ce qui est de l article défini, il y a une explication possible de sa déicticité étant donné son origine démonstrative. Ce serait d obvier à la distinction emploi déictique / anaphorique et sens déictique, dit Kleiber. Mais, selon nous, comme tout emploi doit avoir un sens situationnel, les champs des deux notions (en situation) se recouvrent. D ailleurs, comme on le verra dans certains autres fragments de cet ouvrage, nous soutenons implicitement par le concept de référence déictique tous azimuts l identité sens déictique emploi déictique/ anaphorique dans une vision spatio-temporelle adéquate. Pris dans un sens onomasiologique le terme expression déictique doit être utilisé comme emploi déictique. Dans une perspective sémasiologique du terme, il s agit d une expression proprement déictique. Il faut conclure avec Kleiber qu une «expression peut être employée déictiquement,( dans le sens restreint de déictique), sans que son sens soit pourtant déictique» 8 Ainsi, dans : Le soleil se lève tous les matins à 6 heures. 9 l article n a rien de déictique ou d anaphorique. Pour qu une expression soit déictique il faut que le sens déictique se superpose à l emploi déictique (voir la liste classique des déictiques). C est d ailleurs une caractérisation supplémentaire rattachée au critère de localisation proposé par les démarches A Remarques sur le sens et la référence des déictiques 0. Kleiber «condamne» quatre thèses défendues insuffisamment par le Dictionnaire de la linguistique de G. Mounin, J. Roggero et J. Donato quant à la définition hétéroclite des deux entrées : déictique (sém.) et embrayeurs (lingv.) ; il rejette les thèses suivantes pour permettre l abandon des démarches A au profit des démarches B : 1. «les déictiques n ont pas de sens, mais seulement des référents dans la situation d énonciation» 10 : Argument : les pronoms personnels sont asémiques, ils n ont pas de signification en eux-mêmes 11. Ce sont des formes vides. 12 Il y a

54 46 Dan Dobre donc une différence dénotative entre chien (forme lexicale) et je (forme pronominale). Contre-arguments : a. la différence dénotative est graduelle ; il y a des unités pleines (chien) et moins pleines (je) qui comportent une représentation mentale un concept semblable à celui de chien. b. il existe une convention attachée à chaque déictique : «s ils n avaient pas de sens on devrait pouvoir les utiliser n importe comment» Les déictiques excluent le sens descriptif. Argument : pas de traits dénotatifs comme dans chien par exemple, même si on leur reconnaît un sens 14. Contre- argument : les entités déictiques possèdent toutes «des traits prédicatifs ou descriptifs, donc des traits sémantiques qui permettent a priori (hors situation ou, si l on veut, en langue) de leur faire correspondre une dénotation, aussi étendue ou vague soit-elle» 15. Ainsi, ici désigne a priori (ou conventionnellement) le lieu, maintenant, le temps, etc. Cette partie descriptive des déictiques joue, selon Kleiber, le rôle d un filtre pour les référents qui ne peuvent pas être montrés en situation énonciative : ainsi je est programmé pour le locuteur et tu pour l allocutaire. 3. Le sens des déictiques varie avec la situation, thèse défendue par Jespersen, Jean Dubois et alii (1972) 16, qu on retrouve aussi dans le Dictionnaire de G. Mounin : Argument : pour qu elle tienne, il faut faire la distinction entre sens stable, constant attaché au type vs sens variable attaché à l occurrence, au token. Ainsi ces déictiques ne sont saturés qu en discours par l introduction d une intension situationnelle correspondant au content de Kaplan (1977) 17. Contre-argument : «si chaque emploi d un déictique signifiait réellement l émergence d un nouveau sens, alors la notion même de sens déictique deviendrait totalement inutile [ ], un déictique se voyant par avance indéfiniment ambigu» 18

55 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien Les déictiques possèdent un sens stable tandis que le référent varie avec la situation d énonciation. Thèse défendue surtout par C. Kerbrat-Orecchionni (1980) 19 : Argument : (A dit) : Je vais partir en vacances. (B répond) : Je restera, par contre ici 20. où le référent de je est à chaque fois différent. Contre-argument : Une telle variation occurrentielle ne survient pas à chaque occurrence : je 1 je 2 : Je 1 suis arrivé fatigué. Il était déjà très tard. Aucun hôtel n était ouvert. Je 2 ne savais où aller. 5. La réfutation de ces quatre thèses met en exergue une constante sémantique fondamentale : le déictique renvoie nécessairement au contexte d énonciation, au hic et nunc de l énonciation. Jakobson apud J. Donato, O. Ducrot et T. Todorov (1972) 21, C. Kerbrat-Orecchioni (1980) ont clairement saisi ce trait fondamental des déictiques, caractérisant surtout les démarches A. En version forte, cette constatation peut s énoncer comme suit : «une expression déictique est une expression dont le sens implique nécessairement que le référent soit présent dans la situation d énonciation» 22 Même si elle convient à la majorité des déictiques, cette version n échappe pas au piège des anaphoriques (qui ont un mode de présence indirect) et des références gestuelles indirectes. Pour illustrer cette dernière situation nous reproduisons avec Kleiber l exemple de G. Nunberg : Pierre a acheté ça, où ça employé gestuellement comporte un double renvoi : à l exemplaire du journal présent et à l entreprise qui publie ce journal et qui est absente. Comme W. v. O. Quine l avait remarqué, ça est employé en ostension différée (objet non présent directement dans la situation d énonciation). Ce dernier cas est appelé par I. Fraser et A. Joly une exophore mémorielle qui est en quelque sorte anaphorique. Cela dit, il faut laisser de côté la version forte au profit d une version faible qui admettra que le référent ne doit pas être «réellement présent dans la situation d énonciation» 23, son identification passant «nécessairement» par la situation d énonciation. Ce qui nous éloigne des conceptions A et fait déraper l analyse vers les théories B.

56 48 Dan Dobre 1.2. Référentialité déictique dans les démarches B L égocentrisme 0. Les déictiques sont égocentriques, car toute identification du référent est en fait «un renvoi au locuteur de l expression déictique» 24. B. Russel les avait appelés particuliers égocentriques. Le moi aide de cette façon à l homogénéisation du processus d identification référentielle des déictiques, car tout est calculé à partir de je : la localisation personnelle (tu, nous, vous, etc.) et spatiale (ici, là, etc. Insuffisances : 1. leur fonctionnement référentiel ne correspond pas à celui des déictiques. Dans ; Ici on fait crédit 25, affiche collée aux fenêtres d un restaurant ici n implique aucune relation avec je même si à l origine de l inscription il y en a eu une. Le renvoi de l occurrence ici n est pas égocentrique mais réflexif si les déictiques du type tu, ici appelés transparents semblent se prêter à une analyse égocentrique, les déictiques opaques dont le renvoi est anaphorique ou situationnel, acceptent difficilement un pareil calcul La sui-référentialité de Reichenbach 0. H. Reichenbach (1947) 27 a saisi, avant E. Benveniste, que la spécificité première des déictiques (ou token-reflexives) consistait en un «retour obligé à leur propre occurrence» 28. Ainsi la notion de situation d énonciation assez vague est remplacée par le concept d occurrence dans le sens d événement (fait spatio-temporel précis). Dans ces conditions, les déictiques peuvent être définis comme : «des expressions qui renvoient nécessairement à leur propre apparition (ou énonciation, ou token, ou occurrence)», 29 définition qui n est pourtant pas très claire vu surtout le sens à donner au syntagme «renvoi à l occurrence».

57 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien Les déictiques expressions sui-référentielles 0. Référant à elles-mêmes les unités déictiques peuvent être considérées comme des expressions sui-référentielles. Selon Benveniste (1966) je réfère «à l acte de discours individuel où il est prononcé et il en désigne le locuteur» 30. C. Blanche Benveniste et A. Cervel (1966) 31, Vuillaume (1980) 32 et F. Récanati (1979) 33 adoptent ce point de vue comme définition forte de la token-réfléxivité. C est une attitude abusive, car on oublie le référent du binôme occurrenceréférent, même si Récanati assigne à l occurrence une double fonction : référentielle, montrer le référent extérieur et suiréférentielle, montrer vers soi-même. Selon Kleiber, cette conception ne peut être défendue. Ce qu on pourrait quand même admettre dans une perspective aréférentielle c est le fait «qu un déictique exige de prendre en considération sa propre occurrence pour trouver le référent visé» Perspective aréférentielle Cette démarche propose deux manières possibles d exploiter le renvoi sui-référentiel : 1. La version réductionniste d origine fregeenne et russellienne Je est défini comme la personne qui dit je, maintenant comme le moment où est prononcé maintenant, ici comme l endroit où est prononcé ici. Les déictiques sont donc des expressions «dont la définition sémantique fait intervenir nécessairement la mention de leur propre occurrence ou celle de la variable de cette occurrence» 35 Contre arguments : 1. la déicticité n est pas totalement évacuée, elle subsiste dans l expression cette occurrence, dans le définiens de la version unitaire et pas seulement. On retrouve finalement le démonstratif de Reichenbach avec sa problématique ; 2. Je = la personne qui dit cette occurrence de je ; le statut du second je étant celui d une occurrence de je ;

58 50 Dan Dobre 3. cette conception aboutit à un sens déictique variant systématiquement avec chaque occurrence - ce qui est inacceptable ; 4. on ne résout pas le problème des déictiques opaques ; 5. les déictiques ne peuvent pas être réduits car leur spécificité résiste à leur irréductibilité. En résumé, les théories réductionnistes de la token-réfléxivité «soutiennent que chaque déictique signifie nécessairement une description définie d un certain type (cf. je = la personne qui dit cette occurrence ; ce chien = le chien que je suis en train de montrer, etc.)» 36. Autrement dit, et c est là la thèse antidescriptiviste «il n y a pas d article défini calqué sur les déictiques» La version non réductionniste de la token-réfléxivité : «le sens d une expression déictique (d un token-réflexif) est tel que l identification du référent passe nécessairement par la prise en considération de l occurrence (ou token) du déictique» 38. On focalise donc l attention sur un trait sémantico-référentiel définitoire, une suite de «dénominateurs communs» des expériences déictiques. Pourtant, l occurrence n est pas totalement capable de détecter le référent sauf les déictiques transparents je, maintenant, ici où s installe clairement une relation-type entre l occurrence et le référent (ex : pour maintenant le référent est le moment de l énonciation, pour je le référent est celui qui dit je). Insuffisances de cette théorie : 1. incapacité d exprimer clairement le trait commun qui focalise la connexion occurrence-référent (ce chien) où la relation occurrence-référent des déictiques transparents ne fonctionne pas de la même façon et ne conduit pas expressément au référent chien. 2. on ne peut pas postuler le même type de relation occurrence-référent dans le cas des déictiques transparents vs opaques Sens indexical des déictiques 39 Dans cette perspective deux analyses sont envisagées : 1. Une analyse causale (perceptuelle ou expérientielle) : Cette théorie stipule qu entre l occurrence et le référent il y a des traits «génétiques» 40, «neuro-physiologiques» 41. Moyennant son

59 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 51 expérience, le locuteur par la perception du référent déclenche automatiquement l apparition de l occurrence déictique. Dans une perspective élargie le choix d une occurrence conduit au référent causalement relié à cette occurrence 42. Une insuffisance majeure : puissance apparemment trop grande si l on fait appel à tous les référents que le locuteur a à l esprit au moment où il prononce l occurrence en question. Ceci donne le feu vert à l introduction des descriptions définies dans les expressions indexicales. Dans notre conception à nous, nous ne croyons pas que ce soit un inconvénient insurmontable étant donné l origine démonstrative de l article défini. 2. Une analyse spatio-temporelle Retenons du thème causal deux éléments : 1. le passage obligé par l occurrence pour identifier ce référent ; 2. la relation temporelle entre l occurrence et l état mental perceptuel du référent. Ce second élément fait glisser l analyse vers une perspective spatio-temporelle de l indexicalité linguistique. Cette théorie se vérifie partiellement dans le cas des monologues, des discours indirects libres, là, où le locuteur est son propre interlocuteur (concomitance entre occurrence et référent). Elle se vérifie aussi dans le cas où le référent est absent de la situation d énonciation (référent mémoriel) : cette femme/ Elle t aura tout pris 43,. En conclusion, cette théorie de la simultanéité entre l occurrence et le référent a une portée limitée. Pourtant Kleiber définit les déictiques comme «des expressions qui renvoient à un référent dont l identification est à opérer nécessairement au moyen de l entourage spatio-temporel de leur occurrence. La spécificité du sens indexical est de donner le référent par le truchement de ce contexte» 44. Quelques précisions s imposent : 1. il n y a pas de condition de présence du référent ; 2. le référent ne doit pas être cherché dans l environnement spatio-temporel de l occurrence, mais par l entremise de ces relations ;

60 52 Dan Dobre 3. il y a ensuite deux types de relations spatio-temporelles : directes (immédiates) - le doigt tendu, ici, maintenant, cette voiture, ce chien et indirectes (différées) - l environnement textuel, situationnel, extralinguistique, l anaphore, l ostension différée (Pierre a acheté ça), etc. Cette théorie spatio-temporelle sur les déictiques semble résoudre bien des problèmes. Elle sera développée entre autres dans notre propre définition des déictiques sous la forme du syntagme référence-ostension tous azimuts. 2. Pour un nouveau modèle de mécanique déictique 0. À partir d une série de percées théoriques sine qua non qui épaulent notre démarche, nous allons essayer dans ce qui suit de proposer une nouvelle interprétation du phénomène étayé sur une mécanique spécifique de la deixis, dans le cadre d un concept plus large de fonctionnement, à savoir celui de l ostensivité tous azimuts Thèse de la mécanique classématique réactivée 0. Comme nous l avons déjà montré sous 3.1(chap.1), les occurrences déictiques ne sont pas vides de sens, ce qui permet un couplage classématique et implicitement la réactivation de la relation d ostension. Au fond, et c est là notre thèse 45, la deixis est une combinatoire à base classématique spécifique, entre l occurrence et le référent implicite ou explicite, fondée sur une mécanique qui lui est propre et dont le statut existentiel du référent actualisé ou non est absolument nécessaire. Cette combinatoire explique l usage référentiel unique des expressions déictiques. En désaccord partiel avec Strawson 46, pour lequel les pronoms je et tu sont des types, des étiquettes qui ne prennent sens qu en en faisant usage, et laissant de côté un certain nombre de théories possibles sur la «vacuité» exclusivement comblable en situation énonciative, nous considérons comme indéfendable ce type de démarches 47 et nous avançons la thèse qu on vient d énoncer sur la mécanique classématique spécifique mise en

61 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 53 oeuvre par les séquences déictiques : la combinaison occurrence + référent ne peut se faire qu en vertu des restrictions sélectives en puissance. Mise en oeuvre correctement par le locuteur, cette mécanique rend fonctionnel le trait sémique caractérisant les entités déictiques l ORIENTATION. Ce «dénominateur commun» 48 nous autorise à lancer une seconde thèse, la thèse de l ostension 49 réactivée. Dans cette perspective, l ostension serait une propriété de second degré qui ne se manifeste qu avec l application d une restriction classématique correcte en tant que «directive» spécifique de l utilisation de l expression déictique. L option inverse semble pourtant être la plus juste car toute ostension en tant que stimulus doit avoir pour effet une réponse classématique adéquate. Et nous sommes tentés de croire que le premier mouvement du locuteur qui veut accomplir un acte verbal d ostension, c est son intention d ostension actualisée mentalement par le référent visé en tant que Premier qui déclenche par la suite le choix d une expression indexicale à même de réaliser avec le référent un couplage correct par la mécanique classématique en tant que Second. Autrement dit, le locuteur prend pour point de mire le référent (il s ORIENTE) et ce n est qu ensuite qu il cherche les moyens pour l atteindre (met en marche la mécanique classématique des unités linguistiques). Ce mouvement nous autorise à proposer une dernière thèse qui nous semble la plus valide à savoir la thèse de la mécanique classématique réactivée - qui est à même de réaliser une relation d accessibilité occurrence-référent, permettant aussi le remplissage partiel de l occurrence de par les sèmes descriptifs du référent ce qui garantit la réalisation de la relation de couplage ostensif entre les deux unités Arguments 0.Notre thèse semble justifiée par toute une série d acquis théoriques que nous avons puisés dans le champ épistémologique des théories de la deixis et que nous exposerons par la suite comme des

62 54 Dan Dobre arguments, disons, indirects, nécessaires pour mieux clarifier le nexus de notre démarche. À cela, s ajoutent les insuffisances constantes dépistées au niveau des théories actuelles. 1. Un premier argument réside dans l incapacité de la théorie de la réduction descriptiviste de G. Frege et B. Russel 50 de définir la spécificité des déictiques à pointer vers le référent. Ces théories tokenreflexives ou non, voient dans chaque occurrence une description déictique d un certain type (voir l exemple classique du je = la personne qui dit je / cette occurrence) qui, selon nous obvierait dans une certaine mesure à la spécificité de l information sémantique nécessaire à la mise en marche de la mécanique combinatoire. Pourtant, il ne faut pas oublier l origine démonstrative de l article défini, ce qui lui assure un certain degré de déicticité. Les modalités réductionnistes 51 parviennent en fin de compte à faire remarquer dans la définition sémantique de leurs unités la nécessité qu il y a de faire mention de leur propre occurrence ou celle de la variable de cette occurrence 52, ce qui assure dans notre optique, d abord, le statut existentiel sine qua non des deux unités, capable de faciliter ensuite la mise en marche de la mécanique combinatoire. Nous croyons aussi avec Récanati 53 que l occurrence procède à un double renvoi : à soi-même (sa token-réflexivité au sens fort) et au référent selon la schéma : x, à la seule différence près (et là nous rejoignons la critique de Kleiber 54 ) qu on ne peut pas se trouver simultanément à deux niveaux d analyse différents : le signe en soi et en contexte. Il faut accepter le fonctionnement en différé de la référence. 2. Les références «directe» et «context-sensitive» de D. Kaplan 55 implique notre idée d accessibilité entre les deux unités. Tels l article ou l adjectif, les déictiques véhiculent à une première analyse leurs propres traits inhérents. Mais la «sensitivité» contextuelle des déictiques est due à la capacité référentielle réactive dynamique, opérée sur une base classématique spécifique. Cette mécanique spéciale diffère de la combinaison syntagmatique habituelle des unités linguistiques par la présence obligatoire de la seconde unité ; par

63 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 55 exemple, je peux dire tout simplement je mange sans être obligé d enchaîner nécessairement un COD précis, actualisé, même si celuici existe à l état diffus dans la sémantèse du verbe en question. En échange, les déictiques renvoient nécessairement à un référent précis. Autrement dit, ils «enchaînent» une autre unité explicite ou implicite. (voir la dichotomie classique transparence vs. opacité). Je ne peux pas dire : je ou ici sans connaître la personne qui parle et respectivement le lieu où je me trouve. Même chose pour les déictiques opaques : il leur faut expressément un référent : ce garçon. Donc, le couplage des deux unités se réalise in absentia ou in praesentia de l unité seconde dans le premier cas et nécessairement in praesentia dans le second. Chose rendue possible par la réactivation de l ostensivité référentielle caractéristique aux unités déictiques. Et comme le référent peut se trouver partout dans la nature (eccéité et mental), dans le texte et l extratexte, l ostension déictique doit fonctionner tous azimuts. C est pourquoi notre option envisage le sens large de la deixis. La présence obligatoire du référent retrouvable dans le champ perceptif (concret ou abstrait) du locuteur et surtout la réactivation de la mécanique combinatoire spécifique à l occurrence, nous autorise à considérer cette dernière une sorte de «tête chercheuse» orientée nécessairement vers sa cible 56. C est une raison de plus pour ne pas confondre les instructions sémantiques avec les expressions synonymiques comme l ont fait les descriptivistes. Cette perspective rejoint l option non réductionniste de la token-réflexivité qui établit simplement que le sens d une expression déictique (d un token-réflexif) est tel que «l identification du référent passe nécessairement par la prise en considération de l occurrence (ou token) du déictique» 57. À notre avis, la «fixation référentielle» 58 de l occurrence n est rendue possible que par la relation d accessibilité établie entre les deux unités et qui est doublement structurée : mécanique classématique + activation ostensive. Par le biais de ce type de relation notre thèse semble réussir à rallier la théorie de la tokenréflexivité (incomplète, car n applicable qu aux déictiques

64 56 Dan Dobre transparents) à une perspective unitaire à même d expliquer aussi le couplage référentiel des déictiques opaques (de type ce). On évite ainsi l éclatement polysémique et homonymique 59 des unités déictiques. 3. D autres acquis théoriques que nous considérons essentiels pour notre thèse se rapportent à la conception des déictiques comme symboles indexicaux. Les concepts de symbole, index et icône ont été lancés par le grand mathématicien, logicien, philosophe et père de la sémiotique Ch. S. Peirce 60. Le symbole est une règle qui détermine son interprétant ; il évoque l objet par convention : by virtue of a law, usually an association of general ideas which operates to cause the symbol to be interpreted as referring to that object 61. L index renvoie à l objet qu il dénote en vertu de ce qu il est réellement affecté par cet objet. Ce n est pas la simple ressemblance avec son objet, c est la modification qu il reçoit de cet objet : «an index is a sign which refers to the Object that it denotes by vitue of being really affected by the Object (...). In so far as the index is affected by the Object, it necessarily has some Quality in common with the Object. It does therefore involve a sort of icon, although an icon of a peculiar kind 62. La conception visant la qualité de symboles indexicaux des déictiques conforte notre thèse sous deux angles : 1. le sens conventionnel dénotatif de l item symbole X nous permet de récupérer le contenu sémantique de l occurrence plus ou moins évidée des sèmes descriptifs mais qui, par ricochet, par un effet de miroir se remplit partiellement de la dénotativité du référent 2. le qualificatif d indexical renvoie à la composante sémantique d orientation, à l indexicalité de l unité déictique. 4. Cette idée «d évocation du référent» (de l Objet de Peirce) nous fait penser à d autres acquis théoriques à même de renforcer notre thèse : l analyse causale perceptuelle ou expérientielle et une autre, spatio-temporelle, ces deux analyses étant considérées comme relativement équivalentes. G. Kleiber fait remarquer chez Peirce une relation existentielle ou ce qu il appelle une connexion dynamique entre l occurrence et son référent. Dans les termes de notre démarche, la connexion porterait sur

65 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 57 la relation entre les deux unités comme accessibilité, tandis que le qualificatif dynamique regarderait l activation de la mécanique combinatoire fondée sur le couplage des catégories primitives proprioceptives greimassiennes repérables au niveau des aspects «génétiques» de C. McGinn 63 et «neurophysiologiques» de M. Devitt 64 qui font l objet de l analyse causale et dans le même contexte, du domaine spatio-temporel. Et G. Kleiber de continuer : «(...) le fait qu une occurrence déictique ait tel ou tel référent, trouve son origine dans l objet luimême, selon la situation simplifiée suivante : le locuteur perçoit l objet (a l expérience directe de l objet) et c est cette perception de l objet qui déclenche l apparition de l occurrence déictique» 65. Apparemment l opération est inverse, mais essentiellement «on remonte à la source, c est-à-dire (on cherche) le responsable de l occurrence» 66. Cette théorie conforte l idée d une relation d accessibilité classématique première qui garantisse le remplissage sémique partiel et ultérieur de l occurrence par le reflet puissant du référent logé au niveau des structures mentales du locuteur. Autrement dit, notre «tête chercheuse» n identifie pas des référents dont le locuteur n a aucune expérience et qui ne lui sont pas accessibles classématiquement. Quelle en est alors la morale causale élargie? «Pour trouver le référent d une expression déictique, il faut considérer l occurrence de ce déictique et essayer de trouver le référent causalement relié à cette occurrence» 67 ce qui expliquerait dans ses grandes lignes notre seconde thèse exigeant l application d une «directive» classématique correcte pour l utilisation de l expression déictique (un élève fera suivre une occurrence comme ce, par exemple, d un nom masc. sg.) Comme nous l avons déjà exprimé sous la forme d une dernière thèse nous croyons que le mouvement est inverse : on choisit d abord le référent à atteindre et presque instantanément, l outil pour le faire. Dans l acte de parole d un natif, les deux opérations placées dans son espace psychologique sont faites simultanément. Dans la pratique scolaire lors des «exercices à trous», les élèves mettent pourtant un certain temps à choisir les adjectifs démonstratifs correspondants aux référents déjà exprimés.

66 58 Dan Dobre Dans le cas du renvoi anaphorique, à côté de l espace psychologique d autres types d espace textuel et extratextuel entrent en jeu. Même si, textuellement, l unité cathaphorique semble être la première, pourtant psychologiquement le référent prend le dessus. 3. Le paradoxe déictique : clivage et contiguïté 0. Les différentes tentatives de délimiter nettement entre anaphore et deixis ne sont pas entièrement satisfaisantes. La description en termes de localisation qui tourne autour de la distinction référence textuelle (endophorique) vs. ~ non textuelle (exophorique) place l existence de la deixis dans l espace textuel de la situation d énonciation et les objets présents dans la situation extralinguistique d énonciation 68. Cette dichotomie entre site énonciatif immédiat vs. site contextuel (là où il faut chercher le bon antécédent) 69 mène entre autres, à la création de deux types de il, ou de cette voiture un déictique et un anaphorique, distinctions complexifiantes et incommodes. 1. Dans une nouvelle perspective les travaux de E. F. Prince 70 et le Ariel 71 introduisent le concept d accessibilité du référent fondamentalement lié aux présuppositions du locuteur sur la récupérabilité du référent par son interlocuteur. On renvoie ainsi à l univers mémoriel de l allocutaire et au concept de nouveauté du référent qui assurerait à celui-ci une visibilité par sa saillance 72. «Dans une telle optique l anaphore devient un processus qui indique une référence à un référent déjà connu par l interlocuteur, alors que la deixis consiste en l introduction dans la mémoire immédiate (...) d un référent nouveau non encore manifeste.» Remarquons avec Kleiber une contiguïté référentielle entre le référent à reprendre et l expression déictique (bien des fois une recatégorisation) qui nous servira à expliquer le mécanisme paradoxal sous-tendu par la praxis déictique et qui pousse en seconde position le concept de situation si souvent invoqué. Ainsi, il est anaphorique dans : 1. un emploi situationnel :

67 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 59 -Attention ne l approche pas! Il est dangereux. (situation-perception préalable au référent) 2. un site textuel : Paul a enlevé son chapeau. Il avait trop chaud. (textemémoire discursive). Un certain type d anaphore l anaphore indexicale n a pas besoin d une relation factuelle avec le référent ; son repérage s effectue indirectement par le biais d une instance intermédiaire discursive directement liée à l occurrence ce qui abolit l obligativité de la coréférence. L expression déictique est telle que par sa médiation ce référent puisse être trouvé, affirme Kleiber dans la même étude 74. H. Portine 75 souscrit à la distinction «standard» en déictique et anaphore. Pour ce qui est de cette dernière, il parle d une reprise directe pure est simple du référent par des unités telles que : il, elle, le, ils, en ou bien indirecte reprise et utilisation de l antécédent pour établir son propre référent : ils et en en particulier. 3. Avant de présenter l essentiel sur le fonctionnement paradoxal des entités anaphoriques et déictiques nous considérons nécessaire d avancer une définition du phénomène en question en termes de conditions de vérité : 1. le déictique n est pas vide de sens, ce qui a pour conséquence : 2. le déictique possède une structure grammémique (sèmes grammaticaux surajoutés au sème noyau + OSTENSION) et descriptive (sèmes descriptifs présupposés des unités lexicales), ce qui a pour conséquence : 3. le déictique a la capacité de référer à une autre entité présente ou non c est une référence tous azimuts endophorique ou exophorique, ce qui nous autorisé à affirmer que : 4. la référence déictique peut être anaphorique ou cathaphorique ; par quelle mécanique? 5. l acte de référer se réalise par la mécanique classématique qui rend possible le couplage ostensif. Remarque : Comme conséquence de 3, on peut admettre le fonctionnent des unités déictiques dans des espaces différents.

68 60 Dan Dobre 4. Ces postulats une fois donnés, attardons-nous un peu sur la typologie de l anaphore proposée par H. Portine dans son exemplier 76 pour mieux mettre en exergue le fonctionnement de la relation déictique/anaphorique : 1. Anaphore par coréférence : Paul est venu hier. Il voulait te voir. 2. Anaphore partitive subsumée par concept : Paul a tué trois lions. Jacques en a tué deux. 3. Anaphore évolutive subsumée par concept : Prenez deux pommes. Pelez-les., Évidez-les,Saupoudrezles de sucre et mettez-les au four. 4. Anaphore par globalisation ensembliste distributive : J ai acheté une Toyota parce qu elles sont robustes. 5. Anaphore par globalisation ensembliste collective : À l hôpital, ils m ont fait une piqûre. Heureusement, l infirmière n était pas brutale. 6. Anaphore associative méronymique : Il s abrita sous un vieux tilleul. Le tronc était tout craquelé. 7. Anaphore associative locative : Nous entrâmes dans un village. L église était située sur une butte. 8. Anaphore associative fonctionnelle : Paul s est inscrit dans un club de foot. Le président lui a fait signer une licence pour deux ans. 9. Anaphore associative actancielle : Paul a été assassiné hier. Le meurtrier court toujours. 10. Anaphore par nom non référentiellement autonome : Ton frère est rentré bredouille de la chasse ; l imbécile avait oublié ses cartouches. 5. Ainsi dans (1), le référent Paul (nominal) est repris par le déictique il (substitut pronominal recatégorisation de l antécédent) possédant un contenu descriptif proche (deux mondes possibles entre lesquels il y a une relation d accessibilité) ce qui nous autorise à admettre une contiguïté entre les deux entités ; on pourrait donc écrire :

69 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 61 Sens 1 Sens 2 AVANT ( ) APRÈS où : = contiguïté descriptive ; = clivage par recatégorisation ; ( ) = direction du fléchage. Le même mécanisme joue dans le cas de ce garçon, occurrence à double emploi : déictique et anaphorique à la seule différence près : la double direction du fléchage ( ) ou ( ). À remarquer pourtant que la nature de ce garçon est plutôt anaphorique que déictique, car le contexte situationnel (la présence du garçon en tant qu AVANT) précède la prise de parole associée éventuellement au geste (l APRÈS). L analyse de (1) peut être répétée pour les exemples (2), (3), (4), (9). Dans (5), (6), (7), (8) la relation «d inclusion appartenance» (partie-tout) justifie en fin de compte la même formule : Sens 1 Sens 2 AVANT ( ) APRÈS où : = contiguïté métonymique ; = clivage lexématique (altérité). Pour ce qui est du dernier énoncé le couplage déictique est assuré par le classème [+DÉTERMINATION] et la différence par la recatégorisation grammaticale. Cette association simultanée d une contiguïté référentielle prioritaire instaurée par le couplage classématique et d un clivage d un certain type postulant l altérité constitue le paradoxe déictique qui caractérise le phénomène de la deixis en général, car les déictiques «standard» plus ou moins sui-déictiques «standard», plus ou moins sui-référentiels n en sont pas épargnés. Reprenons pour exemplifier l occurrence ce garçon : le sens grammémique de l article démonstratif ce est évidemment différent du sens descriptif (lexical) du nom. Pourtant le couplage ostensif se fait en vertu d un classème puisé dans la structure «descriptive» grammémique [+Pd]de l article ce qui permet de l orienter vers un nom et non pas vers un verbe, pronom, etc. On peut donc écrire :

70 62 Dan Dobre ce garçon AVANT ( ) APRÈS (comme préconstruit) (comme réalisateur du préconstruit) Dans regarde ça! l entité ça, qu elle soit en ostension différée ou non, est un substitut du référent. Il y a donc une contiguïté par recatégorisation grammaticale. Même phénomène dans : Tu as vu ce chapeau, là, dans la vitrine? où là est relié par contiguïté sémique [LIEU] à son référent locatif glosé par dans la vitrine. À remarquer que dans ces deux derniers exemples le référent absent linguistiquement n existe que dans la situation concrète de communication, le fléchage pouvant être accompagné d un geste en tant que marque supplémentaire d ostension. On pourrait écrire une formule du type : là R AVANT ( )/( ) APRÈS (comme préconstruit) (comme réalisateur dans la situation) expression qui expliquerait aussi les autres emplois («mentaux») de là. Ici, dans Ici on vend des fleurs où l énoncé est exempt de toute relation avec la situation d énonciation (Je et M 0 ) et où la suiréférentialité est postulée par la condition de vérité (2), se caractérise par le même clivage et recategorisation grammaticale - contiguïté référentielle [LIEU], le fléchage étant du type ( ) réflexif. 6. Dans ces conditions, nous sommes justifié d affirmer un fonctionnement paradoxal des unités déictiques. Ce type de référence ostensive est assuré d un côté par des variables différentielles de nature grammémique et d un autre par un invariant, identificateur

71 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 63 classématique qui statue au fond une indiscernabilité des discernables dans les conditions d une ostension divergente [ ]. Ce paradoxe a donc pour source une mécanique interne de nature sémantique en vertu de laquelle un certain usage de l expression devient possible. NOTES ET RÉFÉRENCES 1 cf. Kleiber, G., 1986 :Déictiques,embrayeurs,token-reflexives,symboles indexicaux,etc,comment les définir?, in L information grammaticale,no 30,pp Dubois, J. et alii, 1972: Dictionnaire de Linguistique, Larousse, Paris, p Kleiber, G., op. cit: 1986:5 4 idem. 5 ibid.:6 6 ibid.: 7 7 idem 8 idem 9 idem 10 idem 11 Voir à cet égard le développement de cette théorie dans P. Ricœur, cf.benveniste, E., 1974: Problèmes de linguistique générale, t1, tii, Gallimard, Paris 13 Kleiber, G., op. cit.:1986: 8 14 cf. Kerbrat-Orecchioni, C., 1980:L énonciation.de la subjectivité dans le langage, A.Colin,Paris 15 Kleiber, G., op. cit:1986: 9 16 Dubois, J. et alii, op.cit. : Kaplan, D., 1977 : Demonstratives. An Essay on the Semantics, Logic, Metaphysics and Epistemology of Demonstratives and other Indexicals, dactylographié 18 ibid Kerbrat-Orecchioni, C., op.cit. : ibid.: 11

72 64 Dan Dobre 21 Ducrot, O. & Todorov, T., 1972: Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Seuil, Paris 22 Kleiber, G.,op.cit.:1986. :11 23 ibid.: idem 25 Kleiber,G.,op.cit.:1986 :12 26 ibid.: Reichenbach, H., 1947:Elements of Symbolic Logic,réimprimé New York et Londres 28 idem 29 Idem 30 Benveniste, E., 1966, apud Kleiber, G.,op.cit.:1986: Blanche - Benveniste, C. et Cervel, A., 1966 : Recherches sur le syntagme substantif, in Cahiers de lexicologie, vol. IX, 2, pp Vuillaume, M., 1980 : La deixis en allemand, Thèse d État, Paris IV 33 Récanati, F., 1979a : Le développement de la pragmatique, in Langue française, no 42, pp Kleiber, G., op.cit. :1986 : idem 36 ibid.:15 37 ibid.: idem 39 C. S. Peirce ( ) lance le terme d index., Y. Bar-Hillel (1954) celui d expression indexicale, H. N. Castanedo d indexicaux et la liste peut continuer. 40 McGinn, C.,1981 : The Mechanism of Reference, in Synthèse, vol. 49 no.2, p Devitt, M., 1974 : Singular Terms, in The Journal of Philosophy, vol. LXXI, no. 7, p Kleiber,G., op. cit. : 1986 : ibid.: ibid. : Qui nous aidera dans un travail ultérieur à expliquer le paradoxe déictique étayé sur les concepts de contiguïté et clivage. 46 cf. Strawson, P. F. 1977: De L acte de référence, in Études de logique et de linguistique, Seuil, Paris

73 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien car, entre autres, la logique qu elle met en marche peut aboutir à supposer comme possibles des formes aberrantes du type : il maison, celui montagne, etc. 48 cf. Kleiber, G., op. cit. : Nous employons le terme d ostension dans le sens de référentialité déictique. Dans cette acception il comprend aussi son sens gestuel. 50 cf. V. Schiffer, S., 1981 : Indexicals and the Theory of Reference, in Synthèse vol 49 n 1 pp et repris par G. Kleiber, op. cit. : cf. Reichenbach, H., op. cit. : cf. Kleiber, G., op. cit. : Récanati, F., 1979 : La transparence et l énonciation, Seuil, Paris 54 cf. Kleiber, G., 1984 : Monsieur Auguste est venu : Théorie naïve, théorie de la métanomination et théorie réductionniste, in Recherches en Pragma-sémantique, G. Kleiber (éd) Klincsieck, Paris, pp Kaplan, D., 1977 : Demonstratives. An Essay of Demonstratives and other indexicals, dactylographié, 99 pages cité par G. Kleiber, op. cit. : Voir à cet égard le principe du fonctionnement des «têtes chercheuses électroniques» des missiles orientés par la chaleur dégagée par la cible. 57 Kleiber, G., op. cit. : 1986 : idem. Dans le même texte, Kleiber défend la nécessité d une référence déictique précise remplie par le «dénominateur commun» de ces unités «qui a l avantage toutefois, d être beaucoup plus précis quant au lieu de renvoi exact» (idem). 59 idem 60 Peirce, Ch., S., : Collected Papers, Ch. Hartshorne, P. Weiss et A. Burks (eds), Cambridge Mass. D autres, plus tard, comme par exemple Bar Hillel, (1954, Indexical Expressions, in Mind vol 63, pp ) et surtout A. Burks ( : Icon, index, symbol, in Phylosophy and Phenomenological Research, vol 9) ce dernier employant explicitement le concept de symbole indexical, vont développer la perspective percienne. 61 Peirce, Ch., S. op. cit. : ibid.: McGinn, C., 1981 : The Mechanism of Reference, in Synthèse vol 49, n 2 64 Devitt, M., 1974 : Singular Terms, in The Journal of Philosophy, vol LXXI, n 7, pp Kleiber, G., op. cit. : 1986 : idem

74 66 Dan Dobre 67 idem 68 cf. Kleiber, G., 1990 : Anaphore deixis : deux approches concurrentes, in La Deixis, op. cit. 69 ibid : Prince, E. F., 1981 : Toward a taxonomy of Given New Informations, in P. Cole (ed.) Radical Pragmatics New York Academic Press, pp Ariel, M., 1988 : Referring and Accessibility, in Journal of Linguistics, 24, p voir aussi Bosch, P., 1983 : Agreement and Anaphora. A Study of the role of Pronouns, in Syntax and Discourse, London Academic Press 73 Kleiber, G : op. cit. : Remarque de connivence avec le mécanisme classématique proposé. 75 Portine, H.: Deixis et anaphore. Cliticisation et ordre des clitiques en français, non publié 76 ibid. : 4

75 SECTION B : MÉCANISMES DÉICTIQUES DANS LE DISCOURS DE PRESSE Chapitre 1 DEIXIS PERSONNELLE 1. Valeurs modales de la deixis personnelle dans la presse écrite 1. Tel un chorégraphe, le journaliste en tant qu actant principal d une sémiotique du discours de presse met en scène des êtres en chair et en os pris dans la toile d araignée de la praxis sociale, politique, idéologique et économique. Dans une perspective linguistique, par actant-sujet il faut comprendre un «paramètre métalinguistique indépendant de tel ou tel énonciateur concret» 1 Le journaliste s affirme comme je et asserte son identité par rapport à d autres actants (non sujets) et même à l ego dont il fait partie en tant qu entité régie. Son acte communicationnel le définit car en montrant il se montre lui-même 2 - dans une double relation à l objet : 1. relation binaire R (SO) l objet étant «visé» 3 par le sujet en tant que tu, partenaire de l interlocuteur ; 2. relation ternaire («le sujet est subordonné à un tiers actant (D) siège d un POUVOIR transcendant et irréversible» 4 ) R (S 1 > S 2 ). Dans ces conditions, tout énoncé passe par le crible des compétences linguistiques politiques, idéologiques, culturelles de même que par celui des déterminations psycho-psychanalytiques qui structurent fondamentalement l univers de croyance de l émetteur ; le message devient le produit d un modèle discursif et interprétatif de l événement dont le journaliste use pour combler l horizon d attente du lecteur cuirassé à son tour d un système de filtres structurant un univers de croyance plus ou moins symétrique à celui du journaliste.

76 68 Dan Dobre Derrière cette mécanique communicationnelle des protagonistes médiatiques, se trouve tout un système de valeurs modales dont l actant sujet est submergé : le journaliste a le DEVOIR individuel (de faire) soumis à un FALLOIR générique le POUVOIR (de faire), le SAVOIR (nécessaire pour accomplir X) et non en dernier lieu le VOULOIR (de faire). 2. Le schéma fondamental de la communication de R. Jakobson : contexte Destinateur message Destinataire contact code structure l acte de communication paramétriquement accompli ou inaccompli et de ce faire, la participation, l immixtion et l insinuation du sujet dans l énoncé. Compte tenu des facteurs multiples qui interviennent dans l acte de communication médiatique (idiomatiques, politiques, idéologiques, subordination du sujet émetteur, conflit d intérêts, etc.) nous proposons sur la suggestion de C. Orecchioni 5 un schéma plus raffiné à même de mieux répondre au statut du sujet du discours de presse :

77 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 69

78 70 Dan Dobre 3. Comme E. Benveniste l avait remarqué dans ses travaux 6, la langue s étaye sur la prédication permettant ainsi la formulation des jugements, des appréciations sur les choses, ces dernières s affirmant comme existence «par l intermédiaire des propositions complètes, c est-à-dire, sous la forme de prédication» 7. Tout énoncé du sujet énonçant produit un double acte : un acte linguistique (Il dit que p) et un acte illocutionnaire du type (Il asserte que p) acte performatif implicite (ou explicite) fondamental. Cette dyade définit toute production du journaliste qui sans assumer parfois complètement la responsabilité de ses dires, en parlant (en montrant vers O) il se montre soi-même. N oublions pas le rôle joué par D et l existence de certains facteurs «objectifs» qui semblent épargner au journaliste au moins une partie de ses responsabilités : l appel à l émotionnel constant et perçant de la presse nazie et au rationnel de la propagande communiste. 4. L affirmation et son jugement s étayent sur l immanence du «state» et sur la manifestation du «say» générativistes 8 qui trouvent leurs devanciers dans la Grammaire de Port-Royal où le verbe sert à juger des choses et à les affirmer. Ainsi, si j écris dans la Provence (du 30 sept 2000) : «Sydney : les Bleus, une vraie équipe de rêve», je m affirme comme sujet énonçant (ego) et j asserte conjointement l attribut du sujet énoncé («Les Bleus») : leur exceptionnelle qualité («de rêve») ; on a donc un ego de l acte linguistique et un autre qui se dit (ou que l on dit ego) de l acte de langage (acte logico-sémantique) ; «Le rapport entre ces deux propositions constitue la prédication, à savoir un message linguistique et l assomption de cet usage par un sujet énonçant» Sous le terme d assomption, Jean-Claude Coquet range des lexèmes tels que : jugement, appréciation, affirmation. Se constituant lui-même par ses propres dires, l ego affirme son VOULOIR ou plutôt son méta-vouloir, modalité placée à la frontière entre énonciation présupposée et énoncé posé. Selon P. Ricœur, la volonté (= le méta-vouloir) est une constante de tout discours, elle constitue l affirmation de notre existence 10. Une personnalité politique qui fait campagne, la gauche, la droite tel ou tel groupe social trouve son identité actancielle dans

79 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 71 l acte prédicatif lui-même et en fin de compte dans un méta- VOULOIR exacerbé jusqu au Viol des foules (1952) dont parle Tchakhotine. Cette frémissante émergence du méta-vouloir dans la publicité, dans la communication politique, par exemple, est fondée sur des études plus ou moins scientifiques s égrenant de Pavlov à Freud et où les notions de catharsis et de mimesis ont un rôle important à jouer. 6.Dans la même perspective, P. Martineau, en parlant des méthodes sophistiquées utilisées dans la publicité, affirme : «En dehors de l intérêt économique personnel, la publicité s appuie fortement sur d autres processus psychologiques tels que la suggestion, l association, la répétition, l identification, la fantaisie [ ] ; la totalité des attitudes, le halo des significations psychologiques, les associations des sentiments, les messages esthétiques ineffaçables [s ajoutent] aux simples qualités matérielles» 11. J.-Cl. Coquet parle de «l histoire sémiotique du sujet» 12, le terme d histoire visant toute une infrastructure en tant qu ensemble signifiant où s intègre l histoire individuelle du journaliste, histoire psychanalysable par l intermédiaire de laquelle celui-ci filtre l eccéité et produit par conséquent un certain type de discours. Tout acte prédicatif émis par le je n a d effet que s il est compris par le tu, c est-à-dire par l autre protagoniste fondamental de la sphère de la locution. La transformation du tu en je et inversement, opération courante dans l acte de communication (dialogale par exemple), suppose une base commune de propositions vraies pour les deux protagonistes à même de construire un sens et une signification. 7. Avec F. de Saussure et E. Levinas nous pouvons affirmer que la signification n est pas exprimable à l état pur ; elle se construit en fonction d au moins un autre élément. La signification est une relation et pour avoir une relation il faut bâtir une construction, un système d objets. Les attentats de Madrid de 2004 n ont de signification que rapportés à la guerre d Irak, au soutien porté par l Espagne aux Américains.

80 72 Dan Dobre 8. Dans la réalisation de l acte de communication médiatique, les plans logique, morphosyntaxique et sémantique doivent s accorder afin d identifier un public cible adéquat susceptible d être atteint par le message. La structure du message médiatique reflétera le Tu ciblé, en tant que Tu reconnu et où le journaliste (l homme politique) se reconnaît lui-même. «Quel est ce moi que je suis absolument certain d être? Je suis seulement ce que les autres pensent que je suis. Je suis la somme totale de leurs attitudes. Ils me voient comme un corps physique et aussi comme un symbole auquel ils attachent beaucoup de significations.» Dans un esprit lacanien, la reconnaissance du segment ciblé dans la production discursive de l actant-sujet doit affirmer ou abolir l autre comme sujet 14. L acte de communication réussi implique à cet égard un «effet du miroir». Il s agit de la mise en fonction d une relation modale hégélienne «de volonté à volonté» 15 par l individu qui est «par nature un sujet» Le statut actanciel du journaliste 1. Comme nous venons de le montrer, pour pouvoir rejoindre son public, le journaliste à travers son discours subit une transformation réfléchie (devenir tu) rapportée à l horizon d attente de sa cible : sélection de nouvelles, une certaine interprétation de l événement, etc., et tout ceci dans une visée syntagmatique (dans le temps et dans l espace) ou bien paradigmatique (affirmation de son Je comme expression pure et simple du méta-vouloir et rien de plus). Ce dernier type de statut est assez rare eu égard aux distorsions que le Je subit en fonction des contraintes diverses de nature administrative, socio-politique et idéologique comme d ailleurs en fonction du bouclier filtre du public-cible. Un «Je suis celui qui suis» caractérise les grands journalistes, les fortes personnalités ; l énoncé paradigmatique et l acte performatif en question proclamant l identité actancielle du sujet abstraction faite de toute contrainte extérieure, de tout préconstruit imposé.

81 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 73 Comme J.-Cl. Coquet l affirme cette prétention à être prend souvent la forme /être tout/, c est-à-dire «n être pas tout le reste» 17. Dans une société totalitaire, cette affirmation de l identité équivaudrait à l interdiction même de l acte, car elle ne se retrouve qu à quelques exceptions près dans le programme à suivre, dans la syntagmatique et la paradigmatique totalitaire sujette au compromis. Dans ce cas, le journaliste a préféré à n être pas, être quelque chose / être une seule chose. En effet, n être pas, c est paradoxalement être tout. L actant sous l emprise des contraintes et par un mouvement de dénégation substitue au Je ne veux pas un Je veux quelque chose ce qui équivaut à être quelque chose position intermédiaire entre être tout (identité pure, voix du peuple) et n être rien 18. Au cas de la «pure pensée de soi-même» le VOULOIR subordonne ses prédicats à l identification actancielle, l affirmation d un /Je suis tout/ serait le dérivé d un /Je prétends à être tout/ 19, à être urbi et orbi. Pris dans la toile d araignée de la praxis socioéconomique et politico-idéologique de la société, le journaliste se voit le VOULOIR subordonné, régi ou du moins paramétriquement déterminé. Comme actant assujetti, déchiré par le combat perpétuel pour la liberté d expression (d être soi-même), il est tenu à assumer une identité particulière en tant que moi cerné par certains pans de l eccéité. Ce changement dans la position du VOULOIR implique un changement de signification : de prétendre à, à assumer ce qui justifie J.-Cl. Coquet de proposer le schéma suivant du VOULOIR paradigmatique : Modalité du VOULOIR paradigmatique 20 Présupposé : Posé : Procès généralisant : /Je suis tout/ VOULOIR + suite prédicative > /Je prétends à/ Procès particularisant : suite prédicative + VOULOIR > /J assume/ /Je suis quelque chose/ 2. «/Je suis tout/» voilà une formule intimement liée au problème de la liberté de la presse.

82 74 Dan Dobre Les Français et les Britanniques inspirés par la Common law avaient vu dans cette liberté un droit commun à tous les citoyens. De l autre côté de l Atlantique, le Bill of Rights des Américains «finit par s interpréter de plus en plus comme un droit particulier aux propriétaires des journaux et à eux seuls» 21. Les patrons américains sont allés jusqu à invoquer à n en plus finir le Premier Amendament, histoire de mettre à l abri les affaires de leurs institutions de presse ; comme conséquence de cette politique, ils ont combattu une série de lois sociales jugées contraires à leurs intérêts. Par exemple, la loi sur le travail des enfants, «souhaitant qu elle ne s applique ni à leurs coursiers, ni à leurs liftiers» 22 ou bien l Estman Bus and Truck Bill qui pouvait s appliquer à leurs camions de distribution. Quant à la loi de la diffamation, ils ont fait des pressions sur les juges en essayant d intervenir dans leurs verdicts. Ainsi les dérivés du /Je suis tout/ ont privilégié le libre marché des journaux comme entreprise commerciale plutôt que le libre marché des idées. Ceci pourrait mener à un certain impérialisme de ce type d actant social qui, au lieu de servir les intérêts de tous les membres d une communauté, se voit servir ses propres intérêts au nom de sa propre liberté. C est pourquoi la deixis positive du journaliste doit combiner le tout avec quelqu un qui ; celui-ci ne devant pas prétendre à une identité totalitaire assurée par son AVOIR, mais à «faire reposer l identité sur un POUVOIR et un AVOIR antérieurs» 23. Le tout indéterminé doit fondre dans la détermination d un quelque chose assez large, particularisable par la toute-puissance d un ontologique partagé par tous les actants sociaux (la catégorie de l homme doit s actualiser dans la catégorie chacun) ; le VOULOIR quelque chose déterminera un POUVOIR quelque chose > AVOIR quelque chose VOULOIR et prédicat 1. En tenant (AVOIR) une information, en faisant (FAIRE) une enquête, en se posant comme un être tout (ÊTRE) justicier,le journaliste pose une certaine dimension descriptive 24 et en présuppose une autre, modale, du type : il veut le faire (VOULOIR), il peut le

83 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 75 faire (POUVOIR). Cette structure binaire DESCRIPTIF MODALITÉ constitue le bien-fondé de toute démarche journalistique soumise à l influence paramétrique des contraintes différentes qui au plus fort de leur pouvoir sont capables de réduire l actant-sujet à sa non identité : /Je ne peux rien/ donc /Je ne suis rien/, Le journaliste est tenu à informer éclairer, organiser le message à la manière du «roi-philosophe» 25 de Desanti, celui qui sait tout sur l affaire, une sorte de «tisserand suprême» 26 possédant une «science royale» 27 de son métier. Ce n est qu ainsi qu il est exempt d obvier à la fonction de surveillance que la presse est censée avoir. Mais, comme nous l avons déjà suggéré, son SAVOIR (régissant) doit s associer à un POUVOIR (régi) ; on aura donc une suite du type /SAVOIR POUVOIR/. Cette formule intégrera aussi le VOULOIR : SAVOIR POUVOIR VOULOIR > sp-v Ce VOULOIR construit sur l intention d information donne le ton général du texte et du style adopté 28. De par le choix même des termes, l actant-sujet trahit son orientation idéologique ou politique. L ironie, la moquerie émergent dans un titre comme Pompierii şi-au dat foc la cazarmă 29 L accent mis sur le détail provoque un surdosage de l information, opération faite d habitude avec une intention précise. Ainsi, le publicitaire marque un texte de trois pages et demie consacrées, le 8 avril 1999 par Paris Match, à un écrivain qui fut aussi chasseur et en souvenir duquel on propose Une panoplie pour une légende. Le look Hemingway 30. Du fusil à la gibecière le lecteur peut tout acheter à partir de FF. Un autre exemple où le publicitaire marque le texte et jette une image confuse sur la dichotomie information utilitaire / publicité masquée nous est offert par C. Florin Popescu dans son manuel de journalisme 31 : lors de l inauguration d un hôtel dans une station touristique le patron propose aux journalistes présents un séjour gratuit. Même si de pareilles pratiques sont repérables ci et là dans la presse, il ne faut pas généraliser le phénomène, car les journaux qui se veulent d information gardent d ordinaire un ton neutre signe superficiel de la non implication de l actant-sujet, de son VOULOIR

84 76 Dan Dobre (information ciblée par la sélection même qu il opère dans le champ événementiel). Si son message reste strictement branché sur un événement de moindre importance ou bien, par exemple, sur une déclaration de presse reproduite telle quelle (sans aucune intervention commentaire de sa part) on assiste alors à une mésinformation que A. Freund définit comme étant l information tronquée ou même inexistante sur des sujets importants 32. L information exacte et complète doit caractériser les échelles axiologiques, l opinion des gens. Elle se fonde sur des faits vérifiables et sur le bon sens, affirme John M. Lannon N oublions pourtant pas que la communication engendre avec la propagande une superstructure ternaire de modèles que Gilles Achache nomme dialogique, propagandiste et marketing 34. Ces modèles jouent tour à tour un rôle prééminent sans s exclure l un l autre ; ils se superposent et vivent en beau voisinage, «l ensemble formant une gamme étendue dans laquelle puisent aujourd hui les partis et leurs candidats en fonction du contexte, de leurs besoins et de leurs ressources matérielles» 35. Dans cette perspective, l identité du journaliste relève d une triple dimension déictico-modale : 1. il assume son Je comme entité partielle du moi (sp-v) ou bien il identifie son Je à l ego (v-sp) ; 2. il le place ensuite dans le champ du SAVOIR partiel (S p ) ou total (S t ) ; 3. et sur l isotopie d un POUVOIR paramétrique P (1 n) ; on aura donc : S (p,t) P (1..n) V :IP (1..n) À remarquer que dans la pratique, le VOULOIR peut lui aussi être variable allant jusqu à l impérialisme volitif comme conséquence de la variabilité des autres facteurs pris dans le jeu des conflits d intérêts, etc. Il arrive parfois que le VOULOIR excède le SAVOIR et le POUVOIR. La concurrence, par exemple, «conduit aux excès de vitesse» 36 portant atteinte à la maxime de la qualité gricéenne : le 10 mai 1927 tout le monde attendait que la première traversée aérienne de l Atlantique aboutisse. Dans la chasse à courre aux nouvelles, La Presse prit le risque de titrer : Nungesser et Coli ont réussi avant que

85 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 77 l événement se produise réellement ; et on donnait même des détails. En réalité ce fut un désastre, l avion ayant disparu à tout jamais. Cette pratique du SAVOIR submergeant le POUVOIR d accéder à l information trahit en fait une course frénétique au POUVOIR médiatique. À n en pas douter, le SAVOIR, c est le POUVOIR : en Roumaine, par exemple, le PNA (Le Parquet National Anti-corruption) et la justice sont mis en branle souvent à partir des «cas» présentés par la presse. Inversement, ce POUVOIR est entravé par la défense plus ou moins masquée de l accès au SAVOIR. Le journaliste, de par sa simple légitimation devient sujet du POUVOIR. Il a une «force» qui n est pas militaire mais que l institution où il travaille et la société lui confèrent. C est par cette «force» qu il essaye de rétablir la justice. La presse devient ainsi «un quatrième pouvoir» à même de provoquer des séismes politiques parfois catastrophiques La position modale du journaliste s identifie à celle de l actant cartésien 38 : sa dimension actionnelle [le DEVOIR et le POUVOIR] présuppose un SAVOIR centre et un posé le VOULOIR >s vp, où, étant donné toute une série de facteurs du contexte socio-politico-économique, le jeu de l accent mis sur tel ou tel élément change en fonction de l aléatoire du tir au but. La mécanique sémantique mise en œuvre est transitive. La transitivité est assurée par la présence du descriptif AVOIR constitutif d une seconde classe prédicative. On peut donc écrire : Je veux dénoncer tel fait de corruption Je peux le faire (j en ai les moyens) > J ai obtenu l effet escompté (ou un certain effet). Tout énoncé d action doit évoquer le lien entre le DEVOIR, le VOULOIR et le POUVOIR. La volition doit être placée en tête de l action, dirons-nous en paraphrasant P. Ricoeur 39 ; VOULOIR que P, c est déjà se procurer P (le SAVOIR) en premier lieu. Se procurer, s approprier lexémisent le POUVOIR du VOULOIR. La position idéale de l actant journaliste pourrait être décrite comme il suit :

86 78 Dan Dobre Je veux tout > Je peux tout J ai tout / Je suis tout. De quoi ce Je est-il fait? Il est constitué : 1. d un premier palier qui est le reflet de l ego qui suppose le droit absolu de l homme de s approprier toutes les choses, de prendre en son pouvoir l univers tout entier 40 ; 2. d un je collectif surplombant us et coutumes, éthique, amis politiques, etc. ; 3. d un je juridique conféré par la loi de la presse ; 4. d un je individuel conféré par sa personnalité en contexte, produit d une certaine structure psychique et psychanalytique. Une forte personnalité éviterait le pot au noir de la «marchandisation de la politique» 41 ou «le jeu de bonneteau politicien» 42, s opposant contre vents et marées à la moindre pression. Cette identité de la personne situe l actant-sujet sur l isotopie du POUVOIR car «cette identité est fonction des objets du monde dont il se saisit» 43. L AVOIR de l actant-sujet doit lui permettre de s objectiver «de se reconnaître et d être reconnu» 44 à travers les conflits d intérêts qui pourraient le plomber et contre lesquels il doit lever le bouclier de son identité. Les couples modaux / VOULOIR POUVOIR / et / POUVOIR VOULOIR / jouent donc un rôle fondamental dans l établissement de l identité de l actant-sujet. La constitution de cette identité est étayée sur les vœux du sujet 45, ce qui montre clairement que le journaliste situe son «œuvre» sur l isotopie du VOULOIR, constamment déterminée en l occurrence par le POUVOIR Statut du second carré de l identité 1. Comme J.-Cl. Coquet le remarque, la construction de l identité sémiotique de l actant-sujet en général ne se fait qu à partir d un VOULOIR identifiable à un méta-vouloir présupposé par l énonciation. Dans cette perspective, l analyse de l identité du journaliste comporte un parangon déictique à double dimension : 1. une deixis positive / le VOULOIR positif (V)/ ;

87 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien une deixis négative / le VOULOIR entravé, nié, contraint par le conflit déclenché par Human Interest (V)/. Lorsqu il inaugure la suite prédicative, le VOULOIR signifie /prétendre à/ et lorsqu il la conclut, la «politique» du VOULOIR peut revêtir un aspect ternaire : /assumer/ ou /ne pas assumer/ ou bien il combine les deux premières attitudes dans une politique mi-chèvre mi-chou. L action de l actant-sujet est transitive car basée sur l ordre canonique VOULOIR POUVOIR sous-tendu par les structures sémantiquement homogènes /SAVOIR POUVOIR/ (sp) et /POUVOIR SAVOIR/ (ps) où le premier constituant de chaque relation règle le second. Inutile d observer que, négativisé, ce type de relation binômale déclenche souvent des conflits entre les protagonistes de la praxis sociale : procès de diffamation, calomnie, scandales, etc., car d une fausse information (non SAVOIR) procède un faux pouvoir d action (non POUVOIR) ou inversement d une interdiction (non POUVOIR) procède un non accès au SAVOIR. Ainsi la construction de l identité de notre actant comporte les suites modales suivantes 46 : v-ps sp-v v-ps sp-v 2. Ce carré sémiotique structure quatre lectures fondamentales de ses termes: 1. v-ps : l identité du journaliste este totale et positive : Je prétends à toute entité axiologiquement valable pour mon enquête, pour ma campagne de presse, pour la «surveillance» de la société en général : Je veux tout, Je peux tout en tant qu actant individuel et / ou institutionnel. À cet égard, n oublions pas l impérialisme médiatique d un Ted Turner 47 on plutôt d un Citizen Murdoch, cette aventure à la James Bond des médias capable de tout faire pour fabriquer des nouvelles : provoquer des guerres, déclencher l apocalypse même. Football, sexe,

88 80 Dan Dobre politique, Rupert Murdoch se mêle de tout. Il assume parfaitement le rôle du «tycoon sans scrupules» 48. C est dans le même sens qu il faut comprendre les paroles de James Gordon, le créateur du New York Herald Tribune, qui disait fièrement : «I make news». Hearst fit du sensationnel une apothéose «il rêvait comme Bennett d un journalisme faiseur de nouvelles». «Demain, c est nous qui ferons les catastrophes de chemin de fer, c est nous qui provoquerons les épidémies, et comme nous en serons les auteurs, nous en aurons l exclusivité.» 49. C est le moi en quête de la certitude qui s efforce de soumettre la diversité. Dans son effort d identifier, c est lui qui identifie, sinon, c est le déclin, la non survie. N oublions pas non plus le phénomène des «paparazzi» où l investigateur journaliste se fait violeur de secrets, de l intimité des vedettes, remueur de boue, videur de poubelles (les muckrakers de Theodore Roosevelt). Pour éviter l abîme où un tel Caligula de la presse voudrait nous plonger, le journaliste doit soumettre l identité de l ego /le VOULOIR/ à l identité sociale /le POUVOIR/, car autrement en «pouvant tout» il se livre à une solitude éternelle. C est-à-dire à la mort de la démocratie et de la véritable liberté. 2. sp-v : l identité de l actant journaliste est partielle et positive (visée particularisante J assume tel objet de valeur, J ai telle connaissance, tel pouvoir). Ce type d actant est présent dans la presse d opinion, dans les journaux devenus armes de combat. Le journaliste se met derrière telle ou telle valeur qu il défend, telle ou telle personnalité politique (ou bien contre) ce qui n exclut pas une certaine dimension v-ps (on fait tout pour détruire son adversaire politique). Il y a des grands hommes dans l histoire de la polémique étayée sur le sp-v : Paul-Louis Courier qui a vivement combattu les Bourbons, Victor Hugo farouchement opposé à Napoléon le Petit, Émile Zola avec son célèbre J accuse qui a fait toute une époque, Louis Veuillot, le violent pamphlétaire catholique français resté célèbre pour les épithètes dont il apostrophait ses adversaires : bridavoine, pied bot, navet cacombo, vermine, eunuque, babouin, gredin, etc. 50

89 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 81 De nos jours, le journaliste tout en adoptant les valeurs de la démocratie (SAVOIR) peut (POUVOIR) passer à l action pour les implanter et les défendre (VOULOIR) 51. À remarquer aussi la problématique des campagnes de presse dans le contexte plus large de la «marchandisation de la politique» ; lorsque les conseillers en communication construisent autour de certaines valeurs une image vendable, musclée du candidat qui surplombe la formation discursivo-idéologique et dont il devient la locomotive. Deux exemples à cet égard : a. le rôle important joué par Claude Chirac dans les campagnes de son père ; le stage effectué auprès de J-M Goudard, les rencontres avec des conseillers tels que Roger Ailes et John Kraushar (les auteurs de You are the Message 1989) ont beaucoup contribué à sa formation ; b. le même rôle de créateur d image a été joué par les proches de Jean-Marie Le Pen : ses filles, Marine et Jann, son gendre, Samuel Maréchal et l ami de Marine, Eric Jorio 52. Le problème de la reformulation du déjà dit ou du à peine dit où l énonciateur embrasse telles ou telles valeurs dans le cadre d un choix énonciatif particulier et suggère ou exige à tu interprétant de suivre tel parcours sémantique au détriment d un autre, constitue aussi un aspect de la dimension modale en question. Face au dit le journaliste se reformule tout comme le lecteur qui voit l événement confronté à son propre univers de croyance : qui fait quoi, avec qui / quoi, quand, où, comment, à cause de qui, avec quelle finalité 53. Cette opération de réécriture fait appel à un SAVOIR commun à Je et à tu, la dimension descriptivo informative se retrouvant modalisée, submergée par des variations aspectuelles, déictiques, des relations logiques et lexico-sémantiques : le soldat israélien / o soldato israelita 54 / ; un soldata judeu / un soldat juif ; o militar / le militaire ; soldato de Israel / soldat d Israël. La formule modale sp-v prend corps à travers les fonctions suivantes du rewriting en question 55 : a. reformulation linguistique d un message non verbal (photo texte) avec son effet de mise en situation du lecteur ;

90 82 Dan Dobre b. reformulation commentaire avec son effet d orientation interprétative selon une modalisation axiologico-négative ; c. reformulation justification du commentaire ; d. reformulation reprise avec variation aspectuelle suggérant différents points de vue et ajout informatif ; e. reformulation qui introduit différents degrés de détermination ; f. reformulation procédant au développement du noyau informatif avec son effet argumentatif. Cette opération permet aussi selon M. K. A. Carreira de dégager les multiples prises de position des journalistes envers le même événement. 3. v-ps : lorsque l identité de l actant-sujet est totale et négative : Je ne sais rien, Je ne prétends à aucun objet de valeur, car Je ne peux rien, Je ne sais rien. Le journaliste fuit la contradiction ou bien il est forcé directement ou indirectement de la fuir. Il mime une identité comme fuite ou manœuvre devant un Autre tout-puissant. Ce cas représente en premier lieu l impossibilité du journaliste d avoir accès aux informations soit qu on les lui défend (ce qui arrive le plus souvent) soit qu il manque de professionnalisme ce qui a pour ricochet un effet de non SAVOIR, de non accès, même si certains objets de valeur sont déjà acquis. En second lieu, cette formule modale peut lui servir de stratagème, pour se défendre ou pour frapper : il feint de ne pas SAVOIR et de ne pas POUVOIR. En dehors de ces éléments, l Ich-Spaltung 56, la mort et l Autre peuvent constituer à eux seuls une variante de sujet qui, étant l incarnation même de l impraticabilité du sens, 57 peut actualiser aussi le v-ps. 4. sp-v : l identité est cette fois-ci partielle et négative (visée particularisante) : Je n assume pas tel(s) objet(s) de valeur, Je n ai pas telle connaissance exacte, tel pouvoir précis. Un journaliste de Libération, par exemple, écrirait en se réfugiant dans l hypothétique : Le train aurait déraillé vers 20h (refus de prise en charge de la responsabilité de l exactitude de l information) et un autre du Monde aurait certainement écrit : Le train a déraillé à / vers 20h. Le côté négatif de l interprétation des événements fait que la reformulation

91 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 83 semble aussi s enrichir de cette dimension déictique de par la négativité même (le rejet des autres informations) que toute sélection de nouvelles suppose. Même remarque pour les campagnes de presse ou électorales négatives où l on se refuse à assumer tel ou tel objet de valeur de l adversaire. 2. Pour une analyse actionnelle de la démarche du journaliste 1. L action du journaliste est tenue à observer une certaine déontologie 58 jugement professionnel normatif rendu vrai par l observation d une série de faits contingents (empiriques, culturels, politiques, etc.) qui passent par le crible déictique des valeurs modales du type : VOULOIR individuel/institutionnel, DEVOIR FAIRE individuel/institutionnel dépendant d un FALLOIR FAIRE générique et impersonnel caractérisant tout acte de presse. Toute prescription a pour base le principe éthique kantien FALLOIR infère POUVOIR ; le sens du premier terme est générique et impersonnel et se traduit dans la dimension déontique de notre actantsujet par l intermédiaire d un DEVOIR individuel actualisateur de cette immanence toute-puissante Autrement-dit, on assiste à la reconversion du Premier en Second ; la même opération peut être remarquée au niveau du POUVOIR générique(inféré par le FALOIR générique) actualisable en un POUVOIR de RE aboutissant de l action individuelle et dont la lecture est radicale : FALLOIR (générique) 59 POUVOIR (générique) DEVOIR(individuel) POUVOIR(aboutissant) de lecture radicale L échec de l action annule l existence même de ce POUVOIR aboutissant qui reste dans ce cas-là une valeur purement théorique. Comme G. Wright 60 le montre, la définition de FALLOIR ne se fait qu en rapport à Il est défendu que deux termes, donc, interdéfinissables : «Ce qu il faut être fait, c est ce qu il ne faut pas

92 84 Dan Dobre être laissé non fait et vice-versa. Ce qu il faut être laissé comme non fait, c est ce qu il faut ne pas être fait et vice-versa» 61. Toute norme positive caractérisée par IL FAUT est identique à une norme négative telle que IL FAUT QUE NON et réciproquement. À son tour, toute norme négative caractérisée par IL FAUT est identique à une norme positive caractérisée par IL FAUT QUE NON et réciproquement. 62 La déontologie journalistique est une commande de faire (commande positive) et simultanément une interdiction de s abstenir (interdiction négative) et vice-versa. La commande d abstention en tant que commande négative équivaut à l interdiction de faire (interdiction positive) et vice-versa. Le contenu des prescriptions est mixte (actes et abstentions) ; il est actualisé par des commandes et des interdictions tout à la fois, mais dosées différemment. Trois types de FALLOIR interviennent dans la gestion des actes de l actant-journaliste : déontologique, consensuel - civilisationnel et de surveillance de la société et de ses intérêts majeurs. Dans l acte de surveillance, la déontologie apparaît comme une prohibition : du fait qu il est rendu responsable de ses actes, l actant - sujet est «convié» à s abstenir de faire telle ou telle chose ce qui implique qu il peut (POUVOIR) faire cela (où le verbe modal a une lecture radicale : capacité interne, permission, possibilité, mettant de côté les autres valeurs l épistémique et l évidentiel par exemple. Les valeurs modales ci-dessus caractérisent aussi le POUVOIR générique que celui, individuel, aboutissant. 2. Mais ce qui intéresse surtout dans notre cas, c est le côté permissif du POUVOIR et son rapport avec l obligation en tant que norme ; on pourrait, donc, parler des normes permissives et des normes obligatoires. Ces dernières sont, dans un sens plus large, des commandes et des interdictions, tandis que les premières des permissions. La permission de FAIRE peut être interprétée de deux façons : 1. le journaliste peut agir car l interdiction de FAIRE n existe pas ce qui constitue une conception largement répandue visant surtout la problématique de la liberté d expression individuelle transformable institutionnellement dans la liberté de la presse, cette

93 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 85 dernière «farouchement défendue par la corporation» 63. Tout en étant couverte par la première, la liberté de la presse peut transgresser la responsabilité sociale et c est là que l autorégulation déontologique est tenue à intervenir ; 2. la permission équivaut dans une large mesure à l interdiction de porter atteinte à la liberté d action de l actant-sujet : «Or, en remettant ainsi la gestion sociale de la liberté d expression des journalistes, ne fait-on pas de ces derniers une classe désignée née privilégiée de ce qui constitue l un des tout premiers biens de la démocratie pour lors, rendu monnayable?» 64 se demande Libois. Les actes permissifs peuvent être forts ou faibles. Les premiers sont des actes qui ne sont pas interdits mais qui sont soumis à une norme (l autorité normative fixe leur statut normatif).si l on définit la permission en termes de prohibition imposée à une tierce partie, alors du principe kantien découlerait la conséquence suivante : si l actantsujet a la permission de faire qqch., alors il peut le faire. Dans ce cas - là, il est permis implique POUVOIR, ce qui Wright énonce par la formule suivante :» Le fait que qqch. constitue le contenu d une prescription infère le fait que le sujet de la prescription peut faire cela» Quel sens donner au mot infère dans ce contexte? La norme et l habileté sont interrelationnées par une connexion logique. Selon Hume, il faut distinguer entre la norme (FALLOIR) et fait (ÊTRE). Mais, si l on admet que le DEVOIR du journaliste infère l habileté de FAIRE (la capacité interne de son POUVOIR), alors, du fait que qqch. ne peut pas être fait, on peut conclure modo tollente qu il n existe pas un devoir de faire cela. Pourtant, il est à remarquer que le devoir d observer une déontologie journalistique stricte n implique pas nécessairement qu elle est observée, mais une autre conclusion factuelle : elle peut être observée. Même remarque pour la démarche informative constante qui constitue l objectif primordial du journaliste. La norme ne doit pas impliquer les conséquences factuelles de l habileté humaine. Les points de vue de Kant et de Hume ne s excluent pas : Wright croit avoir trouvé une solution dans la confusion faite par les philosophes et les logiciens entre norme et jugement sur les normes. L implication réelle qui est faite vise les

94 86 Dan Dobre jugements sur les normes en termes de VRAI ou FAUX et les jugements sur l habileté humaine. Cette interprétation élimine le conflit entre le principe kantien selon lequel FALLOIR infère POUVOIR et l idée de Hume sur l indépendance logique entre FALLOIR et ÊTRE. Si du point de vue philosophique et juridique on peut parler d une antériorité des faits par rapport aux normes, l action du journaliste est postérieure aux normes déontologiques et surtout culturelles. Ce qui n exclut pas l antériorité de la manifestation des habiletés humaines comme justification de l établissement du code en question. L habileté d agir est une présupposition des normes ; c est dans cette logique de l antériorité et de la postériorité qu il faut comprendre le principe kantien. Pour les normes qui sont des prescriptions, ce principe peut être formulé comme suit : l existence d une prescription qui impose ou permet une certaine chose présuppose que le sujet (les sujets) de la prescription peut (peuvent) faire ce qui a été imposé ou permis. 4. Comme on l a déjà énoncé, le sens du POUVOIR se dichotomise en un sens générique visant la capacité de faire et en un autre, aboutissant, de la réussite factuelle. Le premier sens est impliqué dans notre conception par le FALLOIR générique, le second par le DEVOIR individuel. Si le journaliste échoue dans sa démarche, alors son POUVOIR de FAIRE doit être compris dans le contexte du POUVOIR générique (l habileté de FAIRE) indépendant du pouvoir individuel lié au succès. L interdit annule donc le POUVOIR aboutissant sans porter atteinte au POUVOIR générique de l actantsujet. Dans la pratique médiatique, il s agit d un interdit contingent qui peut revêtir une diversité de formes. À ce niveau-là, on peut parler de norme idéale portant sur ce qu il faut être fait et des normes ciblées sur ce qu il doit, peut ou il ne doit pas être fait. Rapportées au principe kantien, il résulte que l interprétation de ces normes ne doit pas être stricte car l actant-sujet peut fouler aux pieds les coutumes et certaines normes déontologiques. Il faut n implique pas nécessairement ça doit être, à moins que le journaliste, en franchissant les normes morales généralement admises, n invente, ne crée l objet de son savoir sous la pression du déterminisme économique, politique,

95 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 87 technologique ou même de sa propre subjectivité (voir Hearst, Rupert Murdoch, etc.). L «invention» de l information et la mise en scène du «spectacle» médiatique posent un autre problème celui de l abandon de l acte factuel à la faveur de l acte virtuel. Le journaliste peut atteindre ses objectifs de plusieurs façons : 1. il veut X sans agir effectivement pour le réaliser ; dans ce cas-là, il fait marcher son imagination ; 2. il veut X et il désire que cela lui arrive ; il peut provoquer l arrivée de X par certaines attitudes, questions, actions ; 3. il veut X comme but de son action et il se débrouille, agit effectivement pour atteindre son objectif. Cette troisième attitude réclame, ou suppose, qu il sait comment s y prendre, qu il peut faire le nécessaire. Il peut arriver qu il échoue, ce qui justifie la constatation que l «habileté de faire qqch. n est pas une garantie infaillible du succès dans les cas individuels» 66. Car, il peut arriver que l actantsujet, même s il a l aptitude de faire X, ne le fait pas, l évite, se cache derrière tel ou tel obstacle réel ou imaginaire, sous quelque prétexte que ce soit. Le journaliste peut refuser un commandement politique, par exemple, même s il a l aptitude de s y conformer. * Pour bivouaquer normalement dans le camp médiatique, le journaliste est tenu d observer un juste équilibre entre toutes les valeurs modales dont nous venons de nous occuper. Il doit doser action et comportement de façon à ne pas porter atteinte à la responsabilité sociale qui lui incombe, aux droits à l information et, en général, aux autres droits individuels du citoyen. Toute sa démarche doit préserver l harmonie sociale. 3. Le journaliste caché derrière l impersonnel. Analyse de l impersonnel de la une de quelques quotidiens politiques 0. Dans la pléiade des moyens verbaux et non verbaux que le journaliste utilise pour mettre l événement à la une, la phrase impersonnelle est responsable en langue et en discours surtout d une série «d effets de sens» et de significations à même de susciter

96 88 Dan Dobre l intérêt pour une étude approfondie dans le cadre plus large d une sémiotique de la presse. Eu égard à la complexité des relations syntactico-sémantiques fortement contextualisées que les diverses unités linguistiques sont censées entretenir, la mise en exergue de tel ou tel rapport amène le lecteur à mieux saisir l intention du journaliste et même les «implicatures» qu elle déclenche, tout en assumant de ce fait une dynamique discursive informationnelle circonscrite dans le double jeu toujours constant : ontologie événementielle proxémique médiationnelle stratégie politique L impersonnel en langue 0.Nous n allons pas reprendre les démarches linguistiques des recherches déjà faites par : John Anderson (1973) 67, Jacques Damourette et Eduard Pinchon ( ) 68, Robert Martin (1979) 69, Maurice Gross (1968, 1975) 70, Martin Riegel, Jean-Christophe Pellat, René Rioul (1994) 71, Marc Wilmet (1997) 72 ou bien par notre collègue Mariana Tuţescu (1975, 1976, 1977) 73 ; nous nous bornerons à utiliser les résultats de ces travaux pour voir leur fonctionnement en langue et en discours au niveau d un corpus de textes constitué par la une des journaux comme Le Figaro, Tribune de Genève, Le Temps et Le Monde diplomatique 74. Notre investigation sera plus fructueuse si elle porte aussi sur un corpus de quelques rubriques (Débats et opinions, Vivre aujourd hui, Art de vivre, etc.) situées dans les pages intérieures des journaux envisagés. Les parallèles faits par la suite mettront en évidence certaines structures linguistiques et discursives qui constituent autant de réalisateurs de la subjectivité et des stratégies du sujet énonciateur. Du point de vue langue, à la une du Figaro et des journaux suisses envisagés deux classes d impersonnels s imposent : A. le groupe verbal C est à double valeur : 1. de représentatif renvoyant à un autre élément du contexte : a. par un mouvement anaphorique, dont les occurrences ont les formes suivantes :

97 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 89 C est / ~ nég + Nominal déf. / indéf. : C est le bon moment pour acheter ; (F) C est un aveu de faiblesse de notre système de valeur ; (T) C est une histoire belge ; Ce n est pas un vieux pieux.(f) C est +GAdv +Nominal déf. / indéf.: (...) mais c est là le danger. C est aussi un séisme pour le monde politique suisse. (T) ; C est +Gadv : C est tout de même plus fort et moins fatigant. (F) C est + Proposition substantive ou non : Ben Laden se cache toujours en Afghanistan. C est ce qu a annoncé hier l ambassadeur des Talibans au Pakistan (...) ; L ennui, c est (...) qu il y a d autres prêcheurs (...).(F) C est +INF : C est dire si l idée est bonne. (F) b. par un mouvement cataphorique : C est + part. passé : C est décidé : les Israéliens se rendraient (...). (TG) 2. de présentatif : C est + Nominal déf : C est la proposition de P. Martin Lalande (...) qui défend l idée de cette réforme. (F) C est + Gprép. : C est à l aune de granit que l on mesure le deuil ; C est à eux que nous pensons aujourd hui.(f) C est / ~ nég. + Adv +Nominal : Cette décision, ce n est pas seulement Gerald Bühler qui doit la prendre (...). (T)

98 90 Dan Dobre Remarques : 1. Les structures où il (impers) = ce sont très rares : Ils proposent de s élever jusqu à Allah. Avec un pétard. Il est vrai = [C est vrai].(f) où ce est un représentant. À remarquer aussi que le pronom ce dans C est décidé... peut être remplacé par il qui lui transfère sa valeur d anticipant. 2. Par rapport aux autres formes impersonnelles que nous analyserons par la suite, la structure c est, de par la déicticité du pronom, comporte un degré d ostensibilité encore plus fort que celui présenté par une structure du type : Il nous arrivera Mademoiselle Flore Brazier (...) 75 où il arrive renvoie à Mlle F. Brazier. 3. Nous devons être d accord avec M. Tuţescu en ce qui concerne la séquence nominale qui suit le verbe impersonnel le nominatif, «terme qui désigne un patron sémantique de phrase, le cas conceptuellement le plus neutre» 76. Ce trait casuel conforte le rôle de sujet logique que cette séquence peut jouer. B. les impersonnels (ou unipersonnels) fixes (il faut, il s agit, il y a, il est) viennent en seconde place du point de vue fréquence ; ces structures présentent les constituants phrastiques suivants : 1. il faut : il faut / ~ nég.+inf : (...) pour désigner le cadre dans lequel il faut penser à l intérêt général (...) ; (T) Il ne faudrait pas maintenir la Corse dans ses incertitudes (...) Il faudra agir vite. (F) Il faut +GAdv. antéposé + INF : Évidemment, il aurait fallu nourrir l animal cela pendant soixante ans (...).(F) Il faut + Sq 1, 2 + INF : Il faut, pour élever le stèle, disent-ils, trouver un lieu hautement symbolique (...). (F)

99 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 91 À noter l absence dans ces constructions du pronom personnel au datif (ou expérimentateur). 2. il s agit : il s agit + Gprép (Prép +Préd +N) : (...) mettre en place des dispositifs permettant de faire face aux aléas de l existence qu il s agisse des accidents, de la maladie (...) ; Il s agit d une affiche à caractère hautement symbolique ; Il s agira du premier déploiement des troupes au sol (...). (F) 3. il y a a. il y a (existentiel) : il y a +GAdv +Nominal déf. / indéf. : Chez les jeunes croyants il y a aussi les drogués ; Beaucoup d appelés pour un échec. Il y aura des fâchures.(f) b. il y a («locatif / temporel») + GN : Le piercing? Jésus en a eu un, il y a deux mille ans.(f) Remarques : 1. Il y a est considéré par B. Pottier 77 le symbole fondamental de l impersonnel, une entité à valeur présentative existentielle où le morphème locatif y semble loger l information événementielle contenue, à notre avis, par le sujet logique. 2. Nous n avons repéré dans notre corpus aucune structure où il y a constitue un nœud verbal unique dont le complément exige une détermination minimale. Nous n avons pas repéré non plus d unités actualisant le contenu durantiel de il y a, ce qui conforte notre conviction que la locution surprend l irrépétabilité de l événement informatif. 3. Même si le tour il y a comporte une sémantèse verbale de possession AVOIR, on assiste selon G. Moignet à une dématérialisation par subduction. Au cours de sa transformation impersonnelle, c est le support personnel qui en est affecté. Son

100 92 Dan Dobre sémantisme est gardé en tant que tel. L univers-possesseur n est qu un contenant de l événement représenté par le locatif abstrait y. À la différence de il y a, c est renvoie à une existence localisable contextuellement. Et ceci parce que l impersonnel demande parfois de préciser l univers où ce situe l événement comme expression d une «survenance». 4. Il est: il est + (GAdv) +Adj + de+ INF : (...) il est bien difficile de ne pas voir dans ce match (...). (F) C. emploi impersonnel des verbes personnels (sens événementiel) : La France n est encore dans son chemin du paradis, qu au purgatoire puisqu il reste des socialistes.(f) où : il reste des socialistes = les socialistes restent encore. À la une du Monde diplomatique, l impersonnel se raréfie, malgré la surface imprimée deux fois plus grande. Les formes en c est se réduisent : sur 29 structures impersonnelles, 8 phrases sont construites avec c est et cela, tandis que les formes fixes sont plus nombreuses 18, le reste étant illustré par des formes appartenant à d autres classes : il reste, il suffit, il ne fait aucun doute. Cette distribution différente de l impersonnel à la une du Monde diplomatique révèle un changement de stratégie, tenue à s adapter au public-cible du journal : 1. renoncement à la familiarité et à l oralité de c est et de cela dominants à la une du Figaro, ce qui contribue entre autres au maintien réservé adopté par le journal ; 2. mise en discours de l événement qui semble largement préoccuper le journaliste qui amorce déjà des commentaires tandis que Le Figaro les évite (il renvoie l éditorial même dans les pages intérieures) et ne s occupe qu avec l implémentation de l événement dans le cadre d une ambiance d oralité et familiarité capable de réduire la distance proxémique que le Monde diplomatique veut au contraire augmenter.

101 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 93 Comparées à la une, les pages intérieures révèlent une situation bien différente quant à l emploi des formes phrastiques impersonnelles. Dans l éditorial et des rubriques comme Débats et opinions du Figaro, dans les relations et les reportages des journaux suisses, l emploi de l impersonnel s intensifie, la surface imprimée a son importance à elle, mais ce qui est peut-être significatif, c est la diversité des formes impersonnelles qui s accroît. Voilà dans ce qui suit les classes d impersonnels repérés dans le corpus analysé : A. Verbes impersonnels ou unipersonnels fixes : il faut (10 unités), les locutions verbales : il s agit (5), il y a (7), il est vrai / prévisible / curieux / nécessaire (4 au total). B. Groupes verbaux à valeur de présentatifs et représentatifs : c est (17), cela (11), ce (1) : c est bien évidemment inacceptable, ce n est pas seulement la réconciliation (...) qui (...), etc. C. Il est+ part. passé (2) : il est écrit, il n est pas garanti ; Il est+séquence incidente + de +INF (1) : il est, par conséquent, d en remettre ; Il est + GAdv+ de +INF (1) : il est bien de. D. Verbes de modalité employés impersonnellement (3) : il lui arrive, il se fait que, il ne peut s agir. E. Verbes personnels employés impersonnellement (1) : il reste à peine (...) F. Verbes impersonnels + Prép. + INF (4) : il suffit pour s en convaincre, il suffit de mettre, il convient de prendre G. Sembler, paraître (très rares) 78 (1) : il semble humainement impossible d atteindre (...) 3.2. L impersonnel en discours L événement 0. L impersonnel est une entité vide, un «locatif abstrait» 79 incapable de masquer le vrai sujet posé en tant que topic

102 94 Dan Dobre événementiel. Il s accompagne d un je énonciateur, celui du journaliste en tant que locuteur. Selon Marc Wilmet, ce type de topicalisation procure «un sujet grammatical à un énoncé privé de sujet logique 80 ou évince le sujet logique de la première place» 81. La postposition au verbe du sujet logique de par la «rupture narrative» de la phrase assure à celle-ci une valeur «événementielle», ce type de sujet étant partiellement affecté quant à sa valeur agentive (séquences verbales ou nominales), tandis que dans les structures à séquence ø l idée d agent n est pas absente. Le référent sémantiquement vide maintenu par le morphème il dans il y a, il est, il faut, par exemple, ouvre selon H. Weinrich 82 la possibilité de ce qu il appelle un horizon textuel de nature informative : Il s agit d une affiche à caractère hautement symbolique. Il s agira du premier déploiement de troupes au sol. (F) énoncés qui ne sont pas exempts de la subjectivité dont le journaliste fait preuve lors de la sélection opérée dans le champ informationnel. Observons tout de même que ce caractère informatif est fortement marqué par l événement qui fait irruption dans le continuum amorphe de l ontologique Définition et structure de l événement 1. G. Denhière et S. Baudet83considèrent l événement comme quelque chose qui se produit, comme une occurrence à un moment donné d un changement d état du monde dans un champ spatiotemporel de nature conceptuelle. Pour Baudet, l événement est un changement qui fait passer un micro-monde d un état initial ETi à un état final ETf, ETi et ETf étant deux états différents d un monde possible. Si Baudet surprend le côté dynamique de l événement, B. Pottier définit l événement comme une entité existentielle en soi : «Tout ce qui est ou qui se produit dans la société ou dans l imaginaire et qui est conçu par un je»84 - une définition que nous trouvons trop large allant jusqu à identifier l événement à l infini de l espace ontologique. Elle pourrait nous

103 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 95 plonger ainsi dans des débats philosophiques interminables visant la création même du monde. 2. Dans le cas présent qui est celui du discours de presse, le je énonciateur (le journaliste) ne fait que recevoir exprimer interpréter ce qui se produit dans la réalité ou tout au plus ce qui lui est arrivé sur le plan réel ou irréel. À notre avis, il faut imaginer l événement comme une rupture dans le continuum des messages que l extéroceptivité et l intéroceptivité dont nous faisons l objet et le sujet à la fois nous transmettent ; c est une irruption d un contenu nouveau une information. Admettons avec Pottier la formule suivante de l événement85 : EVE = PROPOS MOD ce qui veut dire que la mise en forme du factuel événementiel équivaut à l existence d un noyau appelé PROPOS et une modalisation que le je énonciateur opère à son égard ; pourtant, il faut remarquer que la modalisation du propos n est pas obligatoire. C est extrêmement choquant (F) PROPOS MODALISÉ (...) il s agit d un sursis (MD) PROPOS NON MODALISÉ À son tour, le propos est constitué d entités (Ent) et de comportements (Cp), autrement dit des séquences nominales (SqN), des séquences verbales (SqV), verbo-nominales (SqVN) et des phrases. Les entités sont des existants autonomes indépendants de la sémiotisation dans une langue naturelle86 : Il s agit d une affiche à caractère (...). Il y a aussi les drogués. ( F) 3. Dans ces contextes, l entité devient un support. Au niveau d une phrase simple où le sujet grammatical n est pas vide le propos est généralement confondu au rhème et devient dans la conception de Pottier un apport (ce qui se dit d une entité) : Le chat sourit support apport Mais dans le cas des structures impersonnelles analysées, il faut admettre l existence d un propos constitué soit d une entité (33, 34), soit d un comportement : Il faut le renouer.

104 96 Dan Dobre (...) bien qu il n y ait pas eu de coup d Etat (...), (MD) Il ne faudrait pas maintenir la Corse dans ses incertitudes, (F) Pour exprimer le Cp le journaliste se sert des verbes, des adjectifs, des adverbes, des nominalisations mêmes ou des séquences équivalentes. Le Cp, affirme Pottier, est une construction mentale fortement interprétative 87 et tient de l univers de croyance des humains en général (nourrir l animal) et du journaliste en particulier (c est un aveu de faiblesse). 4. Il faut admettre qu en structure impersonnelle, en langue, le thème se superpose au rhème, tandis qu en discours il se superpose au topic. Ainsi le choix que le journaliste opère dans la multitude d événements du monde réel susceptibles d être médiatisés et posés en contexte impersonnel comme propos a une double forme : entité et comportement ; l énonciateur se cache souvent derrière le sujet impersonnel soucieux qu il est de ne pas prendre en charge la responsabilité de ses affirmations, de ses modalisations. À remarquer qu à la une, les modalisations du propos sont presque inexistantes on n en a repéré que deux : Mais qu importe! Il est vrai. (F) tandis qu à l intérieur des journaux les énoncés impersonnels sont beaucoup plus modalisés : Il sera toujours difficile de faire cohabiter l Europe (...) Pourtant, il n est pas curieux que ce ne soit qu à propos de cette religion. (F) On rencontre même des surmodalisations : Il semble maintenant impossible (...). (T) Il sera ainsi peut-être nécessaire d implanter des canons à eau. (T de G) C est bien évidemment inacceptable. (...) Il ne s agit évidemment pas de promettre à l Etat (...) (F) La modalisation telle qu elle apparaît dans le corpus analysé semble être faite : 1. pour l énonciateur lui-même : Il y a un peu plus de deux (...). (F)

105 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien pour quiconque : Il sera aussi peut-être nécessaire d implanter des canons à eau. (TG) 3. ou pour les deux : Ils proposent de s élever jusqu à Allah. Avec un pétard. Il est vrai. (F) où ce qui est vrai pour moi l est aussi pour les suicidaires. Ces «visées» changeantes sur lesquelles opère le journaliste en tant que seul agent modalisateur, constituent une technique de plus pour satisfaire à telle ou telle stratégie dans l acte de communication que le journal accomplit Chronologie événementielle 1. Tout événement s inscrit sur l axe du temps et connaît un changement de ET i ET f. Ainsi, l énoncé : C est décidé : Les Israéliens se rendraient (...). (F) connaît un développement chronologique du type : ET f ET i Les Israéliens Les Israéliens événement ne se rendent pas se rendraient télique 88 t 0 t 1 IMMOBILISME MOBILITÉ ÉVENTUELLE Dans le cas de l énoncé : C est à eux que nous pensons. (F) l entité à eux constitue l état final d un mouvement chronologique amorcé dans le passé : Ce n était pas à eux c est à eux (...) événement HIER AUJOURD HUI télique

106 98 Dan Dobre 2. Ces deux dernières structures caractérisent l impersonnel dans le corpus analysé où le topic postule une «sémantèse d existence» pour reprendre un syntagme déjà consacré par G. Moignet. Ceci permet de poser l événement non pas comme point de départ, mais comme point d aboutissement, comme le résultat final de la conjecture d un processus ou du contingent. À remarquer que tous les verbes d existence repérés c est, il est, il y a sont à la voix active. Comme nous l avons déjà remarqué, l événement fait son irruption dans un continuum apparemment amorphe des entités et des comportements du factuel. Il ne peut pas laisser de côté d autres événements, d autres états du même événement auxquels il se rapporte inévitablement. Il appartient au continuum discursivo-interprétatif de l information, de l ontologique. Ainsi dans l énoncé : C est l expression d une culture politique. (F) A l événement A laisse présupposer au moins un autre événement, B, par exemple, l expression d une culture apolitique. 3. L invariant conceptuel qui sous-tend le développement logique de A peut avoir la forme : B A t 0-1 t 0 C t 0-2 D t 0-3 où C et D s organisent en paradigme pouvant occuper la place de B ou mieux, constituant pour A un champ d événements-occurrences développé dans une chronologie événementielle décryptable aussi en termes de support - apport 89.

107 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien Catégorisation du propos 0. Toute langue développe un certain nombre de catégorisations et des comportements. Dans la perspective de l impersonnel, le discours de presse et surtout la une semblent mettre en oeuvre des catégories primitives «proprioceptives» comme dirait A. J. Greimas et qui caractérisent ce type de discours : 1. DÉLIMITATION : C est à l aune de granit qu on mesure le deuil. 2. SPÉCIFICATION : Chez les jeunes croyants il y a aussi les drogués. 3. COMPORTEMENT : (...) Il ne faudrait pas maintenir la Corse dans ses incertitudes. (F) 4. APPRÉCIATION : C est le bon moment pour acheter (...). (T) Les trois premières catégories semblent, à notre avis, caractériser les propos de la une Thématisation / topicalisation 1. L ordre des mots dans une phrase assure aux unités linguistiques une signification variable, un «effet de sens» à fort quantum inférentiel. L intention du journaliste, la stratégie du journal en général et surtout de la une, puisque c est justement cette première page qui fait l objet de nos investigations, peuvent être repérées, entre autres, au niveau de la problématique de la thématisation et de la topicalisation des unités énonciatives capables d assurer une dynamique actantielle et communicationnelle «selon laquelle normalement l information va croissant du thème vers le rhème : une fin d énoncé qui n apporterait rien au plan informatif serait inutile» 90. La forme vide du sujet qui entre dans la constitution de la formule prototypique de l impersonnel, même si elle est placée en tête de l énoncé n indique pourtant pas le thème ou le topic de l énoncé, c est-à-dire la référence thématique exacte qui forme le contenu de l information. Ainsi dans :

108 100 Dan Dobre (...) il y a aussi les drogués. (F) Mais il faudra agir vite. (T) le thème sera formé du GN les drogués et respectivement du déterminant agir vite. 2. Pour ce qui est des structures impersonnelles repérées à la une, le procédé de thématisation le plus fréquent semble être l utilisation du présentatif c est...qui / que : C est à eux que nous pensons. (F) Il arrive parfois que la topicalisation en début de phrase d un GN dont le contenu sémantique est expliqué par la suite dans le propos réalise la thématisation et renforce une certaine isotopie thématique : L ennui, c est que dans les quartiers difficiles, il y a aussi d autres prêcheurs (...). (F) Ce qui est intéressant à remarquer, c est que le comportement de Pottier devient au niveau de certains énoncés impersonnels analysés un sur-thème formé à son tour d un thème et d un rhème. Dans : Il ne faudrait pas maintenir la Corse dans ses incertitudes. (F) maintenir la Corse dans ses incertitudes est un sur-thème dont on infère : actuellement la Corse est maintenue dans ses incertitudes, inférence illustrée dans le texte qui suit par une série de thèmes et sous-thèmes à débattre. 3. Dans le débat thème / topic une mise au point s impose. Admettons avec Anne-Claude Berthoud que la thématisation est un phénomène phrastique qui renvoie au phénomène de reprise anaphorique du type Pierre, il n est pas venu où le pronom personnel reprend le nom propre Pierre, alors que le topic est un phénomène de nature discursive défini par l ellipse du complément pronominal Le chocolat, j aime. 91 Du point de vue des «effets de sens», la thématisation a un caractère statique, informationnel tandis que le topic est dynamique, événementiel. Le topic est un actant catégoriel permettant de faire progresser le discours et joue le rôle de centre «d attention ou celui

109 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 101 d organisateur de la mémoire discursive» 92 qui dans notre cas est l information événementielle. 4. Le topic est sensible à une orientation vers l interlocuteur (le lecteur) qui dans une certaine mesure devient un coénonciateur en fonction des «effets» produits au niveau de son univers d attente. Dans une perspective sémio-logique, le topic comme unité discursive marque la dynamique de la construction de l énonciation ou de la méta-énonciation. Les structures verbales il y a, il est sont des marqueurs existentiels du topic qui localisent l existence du référent dans la réalité extralinguistique. Les présentateurs ou les représentatifs (c est...qui, c est) ont pour fonction d installer ou de réinstaller un ou plusieurs événements dans le discours une mise en discours du référent (du topic). Ce - du représentatif c est, par sa valeur déictique, réalise la référenciation complète et «la remise» de l unité événementielle en discours. Une structure comme il y a...qui rompt l ordre canonique du français écrit (SVO) et permet de développer l énoncé selon l ordre logique. L installation du référent-topic en discours connaît d habitude plusieurs étapes qui permettent le développement de l actant de fond (ou catégoriel) conformément à la logique informationnelle, comme dans les énoncés : (...) dans les quartiers difficiles, il y a aussi d autres prêcheurs, barbus ceux-là. (Mise en discours du référent topique suivi d une qualification - barbus) Ils proposent aux jeunes (...) de s élever jusqu à Allah. (F) (Reprise du référent par un nominal, suivie d une nouvelle information, commentaire, etc.) 5. Mis à part les entités linguistiques qui reprennent le topic catégoriel, ce dernier peut être réinstallé et renforcé au niveau même du contenu sémantique du propos, des structures impersonnelles qui s ensuivent par des topics-arguments : S il existe (...) des musulmans modérés (...), il suffit de lire le Coran (...), il est par conséquent d en remettre en question (...). (F. page intérieure)

110 102 Dan Dobre Il y a donc «un ancrage référentiel» mis en oeuvre par toute une série d unités linguistiques (pronoms relatifs et démonstratifs, nominaux ayant le même contenu thématique que le topic, etc.), ce qui mène finalement à poser et à affirmer l existence de l événement. 6. Si un présentatif est nécessaire à toute introduction d un nouveau topic actualisé par un indéfini (il y a un garçon), réciproquement l indéfini devrait être le seul déterminant possible au sein d une structure présentative. L entité indéfinie une fille ne prend sa véritable référence que si elle est reprise sous sa forme pronominale qui ou d un déictique+n : qui est belle, cette fille vit loin. Selon Lambrecht, 93 l utilisation de la structure il y a +SN défini rend possible la dissociation de deux sous-fonctions de ce genre d énoncés : 1. le SN peut être caractérisé comme situationnellement ou cognitivement accessible ; 2. il n est pas encore utilisé discursivement. Comme nous l avons déjà dit, il y a promeut un référent sur l échelle de l accessibilité topicale ou bien en introduit un comme participant (déjà accessible cognitivement ou situationnellement) : (...) Il y a aussi des drogués. Il y aura des fâchures. (F) Il y a X 7. Le topic joue donc sur le support et sur l apport. Ce dernier est constitué principalement de deux types d actes de langage : d affirmation et de jugement (réalisés par les modalisations introduites par le journaliste dans son discours). Si le support manque dans le contexte immédiat de la structure impersonnelle, il doit exister quelque part au niveau de l intra- ou de l inter-discours, car l apport (le comportement) seul ne peut pas exister. Dans : C est aussi un séisme pour le monde politique. C est un aveu de faiblesse de notre système de valeurs.

111 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 103 C est aussi un signe qu il est temps de (...). (T) les structures attributives sont autant d apports à un support le topic catégoriel mis en tête de l article (Devoir et avoir Le scandale LTS). Le support événementiel implanté en début du texte : Ben Laden se cache toujours en Afghanistan. doit être entraîné par la dynamique discursive : C est ce qu a annoncé hier (...). (F) bien des fois argumentativo-conclusive : Beaucoup d appelées pour un élu. Il y aura des fâchures.(f) Dans les énoncés : Évidemment, il faudrait ensuite nourrir l animal Il ne faudrait pas maintenir la Corse dans ses incertitudes. Il faut, pour élever la stèle, disent-ils, trouver un lieu maintenant symbolique. (F) Les syntagmes : nourrir l animal, maintenir la Corse dans ses incertitudes, élever la stèle constituent autant d unités isotopiques actualisant par reprise le topic catégoriel général du texte Chrono-structure du topic 0. Les structures chrono -événementielles du support (S) et de l apport (A) reprennent les deux formules fondamentales de l impersonnel repéré à la une : A. C est : 1. représentant : a. anaphorique : - S+ c est+a : L ennui, c est que (...) il y a (explicite) aussi d autres prêcheurs. (F) t 0-1 t 1 b. cataphorique :- S+ c est + A : C est aussi un séisme (en co-texte pour le monde politique élargi) suisse. t 0-1 t 0

112 104 Dan Dobre - S+c est+(s+a) : C est décidé : les t 0+1 t 1 (repris) Israéliens se rendraient (...). (T) 2. présentatif : S+ c est+ S+que /qui : C est ce qu a annoncé (en co-texte, repris, hier (...). élargi et focalisé) C est la proposition de t 0-1 t 0 (...) qui(...). (F) B. Il y a, il est, il s agit : 1. S+ il y a +A : Mais il faudra agir vite. (T) (en co-texte Évidemment, il faudra élargi) ensuite nourrir l animal. (F) t 0-1 t 0 où le connecteur logico-syntaxique et l opérateur adverbial jouent le rôle de rappel du S co-textuel. 2. il y a / il s agit +S : Chez les jeunes croyants, il y a aussi. t 0 les drogués Il ne s agit pas encore de violence politique. (MD) Conclusions : 1. À n en pas douter, la notion de comportement dont parle Pottier est une construction mentale fortement interprétative qui tient beaucoup plus de la responsabilité de l énonciateur 94 que de la dénomination du support. C est là qu il faut chercher la subjectivité du journaliste. À remarquer aussi que cette unité constitutive du propos peut être exprimée par un syntagme nominal, adjectival, verbal, verbo-nominal ou une phrase ; 2. La fréquence des actes de jugement thétiques (Cp) qui constituent le propos des formes fixes (et surtout de il y a) est très réduite à la une ; elle s accroît sensiblement dans les pages intérieures ; 3. Le Il impersonnel de par sa fonction simultanée en langue (référence au contexte linguistique du texte) ou en discours (référence à la situation) n est ni endophorique ni exophorique 95 ; 4. Tout en identifiant le factuel événementiel modalisé ou non, c est traduit la valeur d inanimé. Il introduit dans le texte de presse la

113 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 105 dynamique événementielle dans le contexte d une oralité et familiarité qui lui est caractéristique. De ce fait, le journal réduit la distance énonciateur-lecteur et réussit à contextualiser l ontologie événementielle par le biais d une proxémique médiationnelle adéquate. La valeur déictique du pronom démonstratif neutre ce indique un étant événementiel fortement ancré dans le présent de l énonciation ce qui assure l actualité du message de l énoncé de presse trait fondamental d ailleurs du discours médiatique en général. 5. À la une le journaliste se cache en général derrière le il impersonnel signe de la causation d univers dont parle R. Martin 96 - pour émerger avec force moyennant la modalisation dans les structures impersonnelles utilisées dans les débats, les commentaires, les reportages que le lecteur retrouve à l intérieur du journal. 6. Comme bien des recherches l ont fait voir, le discours politique est par nature un discours du flou. Les média, partant, semblent se donner pour tâche de le rendre plus clair, moins ambigu au possible. C est ce qui explique la rareté des modalisations de l énoncé impersonnel à la une de même que le besoin de renvoyer l éditorial à l intérieur du journal. NOTES ET RÉFÉRENCES 1 Culioli, A., Desclés, J-P., 1981 : Systèmes de représentations linguistiques et métalinguistiques, Univ. de Paris VII, Coll. ERA 642 numéro spécial, p cf. Bourquin Guy, 1990 : Ambiguïtés de la deixis, in La Deixis, Colloque en Sorbonne, 8-9 juin, PUF 3 Greimas, A. J., Courtès, J., 1979 : Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Hachette, Université, p Coquet, J-Cl., 1989 : Le discours et son sujet, Méridiens Klincksieck, Paris, p. 1 5 cf. Kerbrat Orecchioni, C., 1980 : L énonciation. De la subjectivité dans le langage, III éd, Armand Colin, Paris 6 Benveniste, E., 1966 : Problèmes de linguistique générale, tome I, Gallimard

114 106 Dan Dobre 7 ibid. :154 8 Lakoff, G., 1976 : Linguistique et logique naturelle, Klincksieck, p Coquet, J.-Cl., op. cit : cf. Ricoeur, P., 1969 : Le conflit des interprétations, Le Seuil, Paris 11 Martineau, P., apud Thoveron, G., 2003 : La marchandisation de la politique, coll. Quartier libre, Labor, Bruxelles, p Coquet, J.-Cl., op. cit. : Martineau, P., apud Thoveron, G., op. cit. : cf. Lacan, J., 1966 : Écrits I, Le Seuil, Paris 15 Hegel, G. W. F., apud Coquet J.-Cl., op. cit.: Althusser, L., apud Coquet, J.-Cl., op. cit. : Borges, J. Z., apud Coquet, J.-Cl. op. cit. : cf. Entretien avec J. L. Borges, Le Monde, 18 avril ibid. : Coquet, J.-Cl., op. cit. : cf. Thoveron, G., 1999 : Le troisième âge du quatrième pouvoir, Labor, coll. Quartier Libre, Bruxelles 22 idem 23 Coquet, J.-Cl. op. cit. : À remarquer que le faire, l avoir et l être sont des verbes descriptifs qui caractérisent tout discours en général. 25 Entretien avec J. T. Desanti, Le Monde, 7 mars idem 27 cf. Platon, apud Coquet J.-Cl, op. cit. : Un certain type de texte. 29 Les pompiers ont mis feu à leur caserne, National, 29 iunie cf. Thoveron, G., op. cit. :1999: Popescu, C. F., 2003 : Manual de jurnalism, Tritonic, seria Catedra, Bucureşti 32 cf. Freund, A., 1991 : Journalisme et Mésinformation, Éd. La Pensée sauvage, Paris 33 Lannon, M. J., 1986: The Writing process. A Concise Retoric (second ed) New York, Little Browns and comp. 34 Achache, G., Le Marketing politique, in Hermès, 4 35 Thoveron, G., 2003, op. cit. : 6 36 Thoveron, G.,1999, op. cit. : Voir L affaire Watergate aux Etats-Unis.

115 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien cf. Coquet, J.-Cl., op. cit. 39 cf. Ricoeur, P., 1977 : La sémantique de l action, Éd du CNRS 40 Hegel, G. W. F., 1975 : Principes de la philosophie du droit, Vrin 41 cf. Thoveron, G., 2003, op. cit. 42 Imbert, C., 1997 : Risqué, in Le Point 26 avril 43 Coquet, J.-Cl., op. cit. : ibid. : cf. Mercier Josa S., apud Coquet J.-Cl. op. cit. : Ces structures modales impliquent le niveau descriptif représenté par les verbes : être, avoir et faire (cf. Coquet, J.-Cl., op. cit.). 47 Le patron du Cable New Network assez riche pour payer à lui seul la dette des Etats-Unis vis-à-vis de l ONU (cf. Thoveron, G., 1999, op. cit. : 68). 48 ibid. : ibid.: ibid.: Valable surtout pour les pays de l ancien bloc totalitaire. 52 cf. Thoveron, G., 2003, op. cit. 53 cf. Carreira, M. K. A., 1999 : La reformulation et ses effets dans la presse portugaise et française, in Travaux et Documents, 4, Univ. Paris, 8, Vincennes Saint-Denis 54 ibid. : idem 56 Concept qui signifie la perversion de l individu dans un manque qui méconnaît l Autre. 57 V. Rescio, A., 1975 : Sujet et critique du sujet chez Adorno, in Psychanalyse et sémiotique, Actes du colloque de Milan, «...la déontologie serait l ensemble des règles et principes qui, visant aussi l exercice de la profession, sont formulés par elle-même. Ces règles professionnelles ont une portée strictement morale ou, éventuellement contraignante quand elles sont assorties d un organe disciplinaire interne à la profession..les rapports entre droit et déontologie sont pluriels : impératifs, redondants (protection de la vie privée, refus de la diffamation et de la calomnie), contradictoires (protection des sources des journalistes versus obligation de témoigner dans le cadre d une instruction judiciaire ou d un

116 108 Dan Dobre procès) ou complémentaires (le droit peut-il, sans passer par un juge ou une instance de régulation, prévoir et couvrir l ensemble des cas particuliers qui peuvent se présenter?). Par ailleurs, il faut distinguer l éthique de la déontologie : la déontologie, la morale professionnelle, étant l ensemble codifié des prescriptions, des interdictions de comportement que l éthique légitimerait, fonderait en droit en principes universels. L éthique serait en somme la hiérarchie des valeurs - ou, pour parler comme Kant, la «loi» - que la morale se chargerait de traduire en prescrits et interdits pratiques, en «maximes». Dans le cadre d une profession donnée, la déontologie serait l équivalent de la morale locale, de l ensemble des balises explicites de la pratique professionnelle». (Libois, B.,1994 : Ethique de l information. Essai sur la déontologie journalistique, Philosophie des droits de l homme, G.Haarscher,4-ème édition revue, Éditions de l Université de Bruxelles, p.5). 59 Parfois le FALLOIR ne revêt qu une apparence impersonnelle, car il peut être le résultat d un acte volitif générique exprimé par une autorité normative ou par un consensus civilisationnel. 60 Nos considérations sont fortement inspirées par le célèbre ouvrage de G.Wright Norm and Action, trad. roum. par D.Stoianovici şi S.Vieru, Normă şi Acţiune, Editura Ştiiţifică şi Enciclopedică, Bucureşti, Wright,G.,op.cit.: cf. Wright, G.,op. cit. 63 cf. Libois, L., op. cit. 64 ibid. : 2 65 Wright, G.,op.cit.: ibid.: Anderson, J., 1973: The Gammar of Case. Towards a Localistic Theory, Cambridge at the University Press. 68 Damourette J., Pichon, E., : Des Mots à la Pensée. Essais de Grammaire de la Langue Française, tome IV, Biblithèque du français moderne, D Artrey, Paris. 69 Martin, R., 1979: La forme impersonnelle: essai d une interprétation sémantico-logique, in Festscrift Kurt Baldinger zum 60, Geburstag, Max Niemeyer Verlag, Tubingen.

117 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien Gross, M., 1968 : Grammaire transformationnelle du français. Syntaxe du verbe, Larousse, Paris : Méthodes en syntaxe, Hermann, Paris. 71 Riegel, M., Pellat, J-Ch., Rioul, R., 1994, Grammaire méthodique du français, PUF. 72 Wilmet, M., 1997 : Grammaire critique du français, Duculot, Belgique. 73 Tuţescu, M., 1975 : Y a-t-il une transformation impersonnelle dans les langues romanes? in Revue Roumaine de linguistique, tome XX, 6, pp : La structure impersonnelle, in Cahiers de grammaire, TUB, pp : Sur la voix impersonnelle, in Revue Roumaine de linguistique, tome XXII, 2, pp Le Figaro de 6-7 octobre 2001, Tribune de Genève du 6 novembre 2002, Le Temps du 6 novembre 2002 et Le Monde diplomatique des mois de juin, novembre, décembre 2002 et de février cf. Damourette et Pichon, apud Tutescu, M, 1975, op. cit. : Tuţescu, M., op. cit.: 1975 : Pottier, B., 1974 : Linguistique générale. Théorie et description, Klincksieck, Paris. 78 Ce qui prouve l intérêt du journaliste à ne pas tomber dans l incertitude d un éventuel monde possible. 79 Tuţescu, M., op. cit. : 1977: 250, voir aussi R. Martin, op. cit. : Que certaines grammaires identifient au locuteur en tant que sujet réel (voir Poisson-Quinton, S., Mimran, R., Mathéo - Le Coadic, M, 2002 : Grammaire expliquée du français, CLE International). 81 Wilmet, M.,op.cit.: 1997 : Weinrich, H., 1989 : Grammaire textuelle du français, Didier / Hatier 83 Denhière, G., et Baudet, S., 1992 : Lecture, compréhension du texte et science cognitive, PUF 84 Pottier, B., 2000 : Représentations mentales et catégorisation linguistique, Editions Peeters, Louvain, Paris, p ibid. : ibid. : 55

118 110 Dan Dobre 87 cf. Pottier, B., op. ci. 88 Denhière G.et Baudet, S., op. cit. : Que nous allons illustrer dans la section consacrée au topic. 90 (Le) Goffic, P., 1993: Grammaire de la phrase française, Hachette Supérieur, Paris 91 cf. Berthoud, A-Cl., 1966: Paroles à propos. Approche énonciative et interactive du topic, Ophrys 92 ibid. : 7 93 Apud Berthoud, op. cit.: cf. Pottier, B., op. cit.: Kleiber, G., 1994: Anaphores et pronoms, Louvain-la-Neuve, Duculot, p Martin, R., op. cit.: 211

119 Chapitre 2 DEIXIS TEMPORELLE 2.1. Préliminaires théoriques Les primitifs temporels Le patron temporel guillaumien. Introduction 0. Les recherches fondamentales de G. Guillaume sur la temporalité s étalent sur un demi-siècle environ, de jusqu aux dernières leçons données à l École des Hautes Études à la fin des années cinquante. Les distinctions basiques qu il opère afin de structurer le système temporel des langues indo-européennes en général et en particulier «l architectonique» du temps des langues (français, allemand, russe et classiques) ont fait école et ont mis en exergue la complexité d un phénomène intrinsèquement lié à l existence humaine. La représentation en discours de la temporalité des formes verbales (niveau de l expression) par le concept d image-temps (niveau de la représentation) déclenche le rouage d une mécanique psychodiscursive du texte la psychomécanique guillaumienne et pose un principe fondamental de sa science du temps : «l expression du temps, fait momentané de discours, et la représentation du temps fait permanent de langue correspondent dans le langage à deux opérations de pensée distinctes, hétérogènes, [ ]. La langue est un système de représentations. Le discours un emploi aux fins d expression du système de représentation qu est en soi la langue» 2 Mais pour ce faire, il faut que le verbe soit incident 3 (se rapporte à) à un support nominal (pronom ou substantif) 4. Si dans certaines langues comme le latin ou l espagnol la personne est incorporée au verbe sous la forme des désinences 5, en français elle est extérieure au verbe même si les désinences verbales la re-marquent. Les formes verbales d une langue vivent dans le lacis

120 112 Dan Dobre des relations d ordonnancement et référenciation qu elles entretiennent les unes par rapport aux autres dans le cadre du système discursif qu elles construisent dans la pratique textuelle. Elles édifient un système référentiel déictique et anaphorique relativement au système énonciatif qui est celui du sujet-parlant. Celui-ci opère par le langage un découpage de la réalité qui devra être porté dans le champ de la concevabilité 6.Dans la conception de Guillaume la concevabilité est la représentation de la percevabilité (de l expérience). Le locuteur journaliste par rapport à l écrivain, par exemple, doit ourdir la trame temporelle de l événement en étroite liaison avec le voir de l expérientiel, avec la réalité événementielle. Sa liberté de manœuvre dans la concevabilité du temps est limitée par la percevabilité réelle du factuel. Il va donc construire les espaces-temps en fonction de la logique du processus événementiel réel. À mon avis, point n est besoin pour lui de faire intervenir dans la relation de l événement sa propre expérience temporelle sauf, peut-être, celle acquise par sa participation personnelle aux faits relatés (relations, reportages) Structure du temps guillaumien 1. La représentation des temps ne peut se faire qu en termes d espace 7. Toute forme verbale est un signifié de puissance représentable spatialement par l image-temps de puissance 8 qui en discours n est qu un signifié d effet propre à une situation temporelle particulière qui a pour revers concevable une image-temps d effet 9. Dans le temps représenté (ou contenant) prend place le temps d événement (ou contenu) la durée proprement dite de l événement qui se trouve dans un rapport d inclusion par rapport au premier 10.

121 Mécanismes déictiques dans le discours de presse. Le quotidien 113 (contenu) Temps d événement - C F Temps d univers (contenant) où: C= le commencement F= la fin du procès ou de l état 2. Toute description de l architecture déictico-anaphorique du discours recouvre avec nécessité une autre distinction fondamentale guillaumienne : temps impliqué le temps inhérent au verbe exprimant l état ou le processus et le temps expliqué - l espace triadique formé de trois époques : passé, présent et futur avec leurs interprétations en l occurrence discursive. L immanence temporelle, notion qui regarde le temps intrinsèque de l événement s oppose à l extériorité de celle-ci la transcendance logée dans les intervalles d AVANT et d APRES : Voilà, par exemple, en figure un présent actuel placé dans l espace d un présent gnomique qui découpe l avant et l après de la transcendance : Pr actuel APRÈS - AVANT C t 0 F

122 114 Dan Dobre 3. Une autre dichotomie guillaumienne qui décrit la mobilité réversible du cinétisme temporel figure un mouvement temporel temps dans la pensée qui vient du futur s effondrant dans le présent le TEMPS DESCENDANT (objectif) s opposant au moment inverse la pensée dans le temps qui, s élevant de la poussière du passé, va vers le futur en passant par le présent TEMPS ASCENDANT.- temps subjectif : PR Comme A. Joly et M. J. Lerouge le remarquaient dans l analyse de l image-temps d une forme verbale cette dichotomie facilitera la description avec précision du cinétisme qui affecte le temps «d univers porteur» et celui qui affecte le temps «d univers porté» Le concept de chronogenèse lancé par G. Guillaume regarde «la représentation spatialisée du temps liée au verbe» 12.Toute forme verbale constitue une position dans la genèse psychique de l imagetemps (la chronogenèse). Une idée très importante de Guillaume qui va porter ses fruits dans la description des relations temporelles discursives, est que tout système temporel institue des successivités, des rapports cinétiques de consécution à même d exprimer en langue le temps opératif 13. La description des relations temporelles déictiques structurant tel ou tel discours, nous oblige de représenter en figures les points et les intervalles de référence, les relations qui s établissent entre ces repères et les espaces temporels que ce soit des relations méronymiques, de mode d action, etc ; on pense donc en figures

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