Angélique Ionatos Textes de l'album «Reste la lumière - ΜΕΝΕΙ ΤΟ ΦΩΣ» Ici, D'Ailleurs... automne 2015

Transcription

1 Angélique Ionatos Textes de l'album «Reste la lumière - ΜΕΝΕΙ ΤΟ ΦΩΣ» Ici, D'Ailleurs... automne 2015 COURAGE Poème de Odysseas Elytis, extrait du recueil "O hélios o héliatoras" Courage mes colombes, mes anémones Mes belles compagnes esseulées Là où les ténèbres tissent et se tapissent Devenez petits soleils qui se hissent Parfois la ruelle sombre mène à une place fleurie Parfois même le malheur s'ouvre sur l'embellie Et c'est dans la désolation et dans le noir Qu'embaume et s'enracine la mémoire Prenez une parole d'or un désir ardent Prenez un petit luth, prenez un baglama Que monte le chagrin commence la chanson Et que la fête emporte la tête et la raison Racine amère racine et source secrète Donnes-nous la fierté emportes la colère Et fais-nous oublier les injustices de ce monde. LA ROUTE Poème de Kostas Karyotakis À présent s'éloignent châteaux et palais Pleurent les souvenirs, pleurent les yeux Me voilà assiégé par une nuit mortelle. Enflent en moi d'indicibles douleurs. Tous ceux que j'aime m'ont vu et m'ont devancé Seul je suis resté et m'en vais délaissé. L'ascension de la route ingrate n'a pas de trêve

2 Je me retourne et regarde du côté de mon rêve : Se distinguent à peine les blanches chimères Des fleurs, des sourires en plein hiver. Dans l'air s'agitent des lys et des mains Les visages des soleils et des étoiles les yeux. Et parmi tout cela voici l'amour embrasé Une jeune fille qui s'empourpre au premier baiser. Et toujours s'éloignent châteaux et palais Pleurent les souvenirs, pleurent les yeux. Ô MES SŒURS SORCIÈRES (Mes sœurs sorcières) Poème de Angélique Ionatos Ô mes sœurs sorcières, mes vieilles compagnes Les enfants et les hommes ont déserté vos maisons. Vos charmes se sont évanouis, vos cheveux ont blanchi, Les jasmins se sont fanés et votre feu s'est éteint. Ô mes sœurs sorcières, avec cette ride profonde entre vos sourcils comme un sillon accablé, le sillon de la douleur. Ô mes sœurs sorcières, mes pauvres servantes orphelines à présent vous comptez les chagrins, les heures et les jours. Ô mes sœurs sorcières, mes fées oubliées Prenez des filaments de lune dorés et argentés Brodez des étoiles brillantes, des gouttes de rosée des rêves et des espoirs sur nos ailes froissées. DÉBUT DU MONDE Poème de Odusseas Elytis, extrait du recueil "Les "R" d'eros" Début du monde verdoyant et toi mon amour sirène Je chante et dévide tout doucement ton fil Je lis dans les eaux l' a-bé-céd-aire Tes deux petits pieds nus les jardins aux grenadiers

3 J'ai entendu dans ton sommeil nager ton cygne Nos deux prénoms entrelacés échanger mille couleurs Je vais serrer -- une fois, deux fois -- les caresses dans mes paumes Je vais serrer -- deux fois, trois fois-- la chance, la trouveras-tu? Une vague parmi toutes les autres à bâbord et à tribord A emporté nos mots secrets pour en faire des chapelets. OPTIMISME (Et si l'arbre brûle) Poème de Dimitris Mortoyas Et si l'arbre brûle reste la cendre et la lumière dans le désert les cactus prennent racine. Si les sources se sont taries il pleuvra à nouveau le jeune fils reviendra à la maison abandonnée. Sous la neige épaisse les graines veillent à la frontière de la cour le vent mauvais s'épuise. Et si nous sommes restés nus et entourés de loups notre décision de nous battre reste intacte. PERSÉPHONI (Perséphone) Poème de Dyonissis Kapsalis La maison qu'elle loue est petite, mais la nuit lui appartient, grande comme un temple. Elle est de blanc vêtue, elle se rend à la rue Kallidromiou et la nuit s'illumine. Telle Perséphoni elle arpente

4 le monde souterrain et hante des ex-amants. Elle cherche ses amis chez Hadès, des frères de vie, une caresse Et des mots envoûtants, elle veut changer le monde, elle veut une peau de soie, des rêves doux. Telle Perséphoni elle erre dans le bas monde et paie la rançon et les créditeurs. Les fidèles du lit commun prient à l'aide son corps et s'en vont silencieux. Dans un coin quelqu'un lui fait signe Il semble croire à quelque chose, et elle le suit. Telle Perséphoni elle erre tient une aiguille et un sceptre et cherche des acheteurs. ANGES FÉMININS Poème de Odysseas Elytis Oh premiers élans à peine esquissés sur mes draps. Anges féminins L'ÉQUATION DE L'AMOUR Poème de Dyonissis Kapsalis Je rassemble la freinte de mes rêves buvards, guenilles, petits drapeaux et des tâches pourpres comme des petites aubes ineffables sur des routes jamais empruntées. Peut-être que toi tu appelles cela "l'expérience" tout ce qui porte le deuil des mots qui se confirment Ils cherchent le monde à nouveau et s'apaisent aux heures où se sacrent les parfums. Mais tu en a peur, tu te caches, tu jalouses

5 les ténèbres te parlent et tu outrepasses incandescente, tel un amandier dans la neige. Malgré ce qui vieillit, j'attendrai étoile du matin, là où ton soleil se couche à l'endroit même où se résolve l'équation de l'amour. L'ORIENT (Anatolie) Extrait du poème de Kostis Palamas Chansons de Smyrne, d' Istanbul, chansons de l'orient lentes, traînantes et tristes. Mon âme vous suit pas à pas! Elle est inondée par votre musique et s'envole avec vous. Vous êtes nées d'une mère pleine de douleur et de lourds parfums. Son baiser brûle, son âme est de chair, esclave dans un harem, adoratrice du Destin; la langoureuse Anatolie. À l'intérieur de vous pleure la pauvreté, et même votre joie est faite de lamentations amères et lentes. Et moi, pauvre esclave noir au cœur étroit, je marche et m'en vais avec vous. HABITUDES Poème de Yiannis Ritsos Habituons à nouveau notre pas à marcher sur l'asphalte. Habituons à nouveau notre regard à s'arrêter à la hauteur des dos voûtés. Et disons-nous bien que ce qui est en train de tinter dans nos poches ce ne sont pas des étoiles; mais une poignée de pois-chiches. AIMEZ VOS PROCHAINS Poème de Dimitris Mortoyas Aimez vos prochains, Les humains, les inhumains, les mondains, les vilains,

6 les importuns, les incertains, les forains les bruns et les tribuns. Aimez-les pêle-mêle, les mortels, les infidèles, les homosexuels, les douteux maîtres d'hôtel, les evzones parallèles. Aimez les Atrides et les génocides. L'espèce humaine en plein essor qui tourne de l'œil et sème la mort! LE BATEAU FOU Poème de Odysseas Elytis Un bateau bariolé sort des montagnes et commence à manœuvrer " à bâbord et à tribord" Il jette son ancre sur les pinèdes et charge l'air frais des deux cotés Il est fait de pierre noire et de rêve son mousse est innocent rusé son matelot Il voyage depuis la nuit des temps décharge des soupirs et des tourments Mon Dieu je dis et m'en étonne Un tel bateau fou quel bateau fou Et nous à bord depuis tant d'années Mon Dieu! Comment avons-nous fait pour ne pas sombrer Mille capitaines avons changé mille tempêtes traversées Peut-être devons-nous notre survie au soleil notre éternel Vigie! Nous n'avons pas de pain Ça fait tellement d'années qu'on nous assaillent... Même pas le temps de respirer. Gloire aux puissants! Pour eux il n'y a ni "toi" ni "moi" Gloire aux puissants! Pour eux, pas de rassasiement...