Le Lotus Bus Un programme de réduction des risques et de promotion de la santé et des droits auprès des femmes chinoises se prostituant à Paris

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1 Diane Grimonet Le Lotus Bus Un programme de réduction des risques et de promotion de la santé et des droits auprès des femmes chinoises se prostituant à Paris RAPPORT D ACTIVITE 2011 Responsables de Mission : José Matos et Ai Anh Votran Coordinateur : Tim Leicester Animatrice de prévention : Laure Courret 62 bis, avenue Parmentier PARIS Tel : Fax : Mail : lotusbus@medecinsdumonde.net

2 Le programme du Lotus Bus a été soutenu en 2011 par : L Observatoire d égalité Hommes / Femmes Nous remercions particulièrement tous les bénévoles pour leur engagement.

3 RESUMÉ L action du Lotus Bus en quelques chiffres 1 :» Unité Mobile Nombre de tournées : 204 Nombre de contacts avec des femmes chinoises : Nombre de préservatifs masculins distribués : Nombre de carrés de latex distribués : 1331 Nombre de préservatifs féminins distribués : 1066 Nombre d entretiens de prévention réalisés : 699» File active Nombre de personnes différentes rencontrées : Dont nombre de personnes rencontrées au moins 3 fois : 770 Nombre de contacts moyen par personne de la file active: 18 Nombre de nouvelles femmes arrivées en 2011 et intégrées dans la file active: 199 Moyenne d âge : 43 ans» Permanences Nombre d entretiens menés au Local : 227 File active des permanences : 125» Accompagnements Nombre total d accompagnements : 198 Nombre de femmes accompagnées : 110» Ateliers Nombre d ateliers thématiques : 2 Nombre de participantes : 4» Formations d équipe Nombre de formations organisées : 3 Nombre de personnes formées : 42» Dépistages Nombre d actions de dépistage sur l unité mobile : 6 Nombre d actions de dépistage en lieu fixe : 5 Nombre de personnes dépistées: 112» Ressources humaines Nombre total de bénévoles qui ont été investis sur l action du Lotus Bus en 2011 : 48 Nombre de nouveaux bénévoles : 17 Nombre de salariés : 2 salariés temps plein Nombre d heures de bénévolat : plus de 2000 heures 1 Chiffres enregistrés en informatique dans la base de données Lotus Bus Rapport d Activités

4 SOMMAIRE 1. Historique du Lotus Bus 1.1 L engagement de MdM dans le champ de la prostitution Naissance du programme Lotus Bus 5 2. Contexte et problématique 2.1 La prostitution en France Prostitution et santé Le contexte législatif Le parcours migratoire Le contexte sanitaire Contexte d'accès aux soins et aux droits Profil des usagères Nos objectifs Nos activités Activités 1 à 6 : Favoriser des comportements à moindres risques 27 à 33 Activités 7 à 16 : Favoriser l accèes à la santé et aux droits 34 à 44 Activités 17 à 22 : Plaider pour le respect des droits fondamentaux 44 à 53 Activités 23 à 27 : Impliquer la communauté 563 à L'équipe 5.1 Accueil des nouveaux bénévoles Composition de l équipe : une équipe riche et pluridisciplinaire Communication dans l équipe Réunions mensuelles et vie d équipe Le réseau / Nos partenaires 6.1 Partenaires associatifs Partenaires institutionnels Nos bailleurs 60 7 à 8 Nos ressources financières 7 Rapport financier Budget prévissionel Forces, difficultés et réflexions 9.1 Points forts / points marquants Difficultés Conclusions 10 Perspectives Conclusion 66 Lotus Bus Rapport d Activités

5 INTRODUCTION Des centaines de femmes migrantes d origine chinoise à Paris sont amenées à vendre des services sexuels pour un temps donné et pour des raisons diverses. Alors que certaines d entre elles revendiquent leur choix de pratiquer cette activité, pour d autres il s agit avant tout d une stratégie de survie. Pour la majorité d entre elles, sans autorisation de travail, il s agit d un des seuls moyens de subsistance qui leur soit possible. Nous menons auprès de ces femmes des actions de réduction des risques avec comme objectifs une amélioration de leur accès aux droits et aux soins. Nous les accompagnons dans une démarche d empowerment. Nous ne portons pas de jugement sur l activité de prostitution et nous nous opposons à toute stigmatisation ou discrimination des personnes se prostituant. Nous refusons de voir la prostitution au travers du prisme de l idéologie. Au contraire, notre travail se fonde sur la proximité et le pragmatisme. Nous tentons d adapter au mieux nos actions aux besoins et aux préoccupations des personnes chinoises se prostituant elles-mêmes. Nous avons également un devoir de témoignage. Nous travaillons auprès d une population qui vit dans l ombre : aux marges de la société qui les stigmatise et aux marges de la loi qui les pénalise. Noyée par le vacarme des discours politiques contradictoires les concernant, leur parole est inaudible. Sur la base de notre expérience de terrain, nous portons la parole de ces personnes et nous relayons leurs revendications pour améliorer leur accès aux soins et aux droits. Notre travail consiste entre autres en la mise en place des activités suivantes :» Interventions hebdomadaires dans les lieux de prostitution chinoise (tournées)» Une permanence d accueil hebdomadaire en lieu-fixe» Des accompagnements physiques dans des structures médicales, sociales ou juridiques» Des ateliers ponctuels sur des thématiques liées à la prostitution, à la santé et aux droits» Des actions de témoignage et de communication sur la situation et les difficultés rencontrées par les personnes chinoises se prostituant à Paris L ensemble de nos activités repose sur le travail de bénévoles engagés et militants. Lotus Bus Rapport d Activités

6 1. HISTORIQUE DE LA MISSION 1.1 L engagement de MdM dans le champ de la prostitution Médecins du Monde (MdM) assure depuis 2000 plusieurs programmes auprès des personnes se prostituant. Il en existe actuellement cinq en France (Montpellier, Nantes, Paris, Poitiers, Rouen) souvent initiés à partir de l expérience de programmes de réduction des risques liés à l usage de drogues. Les modes d intervention pour les équipes de MdM ont fait l objet d un certain nombre de recommandations éthiques et opérationnelles adoptées par le Conseil d Administration de l association (voir encadré). Recommandations du CA de Médecins du Monde Travailler auprès des personnes les plus vulnérables victimes ou non de trafic. Témoigner des souffrances des personnes rencontrées sur la base de leur vécu. Inscrire nos programmes dans la philosophie et les normes de la réduction des risques, du travail de proximité. Contribuer à améliorer la santé des personnes se prostituant selon la définition de l Organisation Mondiale de la santé (OMS). Refuser tous les a priori théoriques sous tendus par les différentes positions abolitionnistes, prohibitionnistes ou réglementaristes. L absence de jugement de valeur et le respect des personnes au cœur de l approche. Le travail auprès des personnes se prostituant a pour but de contribuer à améliorer leur santé au sens large du terme, c est-à-dire en répondant à la définition de l OMS («la santé est un état de bien-être total physique, social et mental de la personne»). Il doit se structurer dans la perspective d une autonomie la plus grande possible (principes liés à la notion d empowerment 2 ) pour que les personnes puissent gérer au mieux leur santé. Les professionnels doivent alors nécessairement se positionner comme personne «facilitatrice de», inscrire les actions dans un processus qui permette de «prendre la personne là où elle en est dans son parcours, son processus, sa trajectoire, avec ce qu elle est». Ceci implique aussi de se garder de tout jugement de valeur. Les attitudes et pratiques des intervenants doivent alors être partagées afin de construire au fil du temps avec les personnes se prostituant, un espace de confiance et de respect mutuel dans lequel le maintien ou la restauration de l image de soi s inscrit dans une réalité, si fugace soit-elle. Enfin, pour gagner cette confiance, il s agit de mieux connaître cette population, en s entourant des compétences nécessaires. 1.2 Naissance du programme Lotus Bus A la fin des années 90 les premières personnes chinoises se prostituant sont apparues dans les rues de Paris. D abord phénomène très discret, le nombre de personnes concernées n a cessé d augmenter au point d interpeller certaines associations au début des années Face à ce nouveau phénomène, les associations intervenant traditionnellement auprès des primo-arrivants chinois se sentaient démunies, n ayant pas les compétences nécessaires pour répondre aux besoins de ces personnes. Par ailleurs, les associations travaillant auprès des personnes se prostituant ont éprouvé de nombreuses difficultés pour rentrer en contact avec cette nouvelle population. C est dans ce contexte que l action de MdM auprès des femmes chinoises se prostituant à Paris a démarré. Dans le courant de l année des femmes chinoises se sont spontanément rendues aux permanences du Programme d Echange de Seringues (PES) à Château Rouge pour obtenir du matériel de prévention. En 2002, souhaitant mieux comprendre cette population et ses 2 «Empowerment» : processus qui confère aux populations les moyens d assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et d améliorer celle-ci. Cette démarche relève d un concept définissant la santé comme la mesure dans laquelle un groupe ou un individu peut, d une part, réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins et, d autre part, évoluer avec le milieu ou s adapter à celui-ci. La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne et non comme le but de la vie. Il s agit d un concept positif qui met en valeur les ressources sociales et individuelles (extrait de la charte d Ottawa, 1986). Lotus Bus Rapport d Activités

7 besoins, le PES s est doté de bénévoles parlant chinois. Grace à une connaissance plus approfondie de la population et de leur situation apportée par les bénévoles parlant chinois, il s est vite avéré que les moyens et modalités d intervention du PES n étaient pas adaptés aux besoins de ces femmes. Au vu de ce constat, un projet spécifiquement destiné aux femmes chinoises se prostituant a été élaboré en lien avec les services technique du siège de MdM. Ce projet a abouti, en 2004, à la création du Lotus Bus. Depuis lors, et en parallèle avec l augmentation du nombre de personnes chinoises se prostituant à Paris, le Lotus Bus n a cessé de se développer, en termes de ressources, d actions, et d expérience afin d améliorer l accès aux soins, aux droits et à la prévention de cette population marginalisée. Moments clefs dans l histoire de la mission Fin des années 1990 Apparition de premières femmes chinoises se prostituant dans la rue à Paris. 2000/2001 Des femmes chinoises se prostituant commencent à se rendre aux permanences du PES à Strasbourg St. Denis Le PES se dote de bénévoles parlant chinois. Premières permanences à Belleville Permanences des bénévoles parlant chinois au CASO et réalisation des premiers accompagnements. Introduction de la LSI Rédaction d un premier document de référence et création officielle du Lotus Bus. Première subvention par la Mairie de Paris. Recrutement d une animatrice de prévention salariée. Premières permanences à Crimée Lancement des ateliers. Premières permanences à la Porte Dorée Séparation des activités du Lotus Bus et celles du PES. L animatrice devient chargée de projet et création d un nouveau poste d éducatrice spécialisée. Publication d un dossier de presse sur les conséquences néfastes de la LSI Réalisation d une enquête sur la santé et les conditions de vie des usagères Premières séances de dépistage hors-les-murs. Premières permanences à la Porte de Choisy 2009 Mise en place des permanences gynécologiques. Publication d un rapport sur la santé et les conditions de vie des femmes chinoises se prostituant Abandon des permanences à la Porte Dorée en raison de la répression policière. Lancement d une enquête sur les violences Autoévaluation du programme. Redéfinition des objectifs d intervention. Lotus Bus Rapport d Activités

8 2. CONTEXTE ET PROBLEMATIQUE 2.1 La prostitution en France La prostitution en France est un phénomène diffuse et qui recouvre des réalités diverses. Il est aujourd hui impossible de connaître la véritable ampleur de ce phénomène en France et il n existe aucune source d information fiable sur la situation sociale et sanitaire des personnes se prostituant. L OCRTEH 3 est le seul organisme qui compile des statistiques sur la prostitution sur l ensemble du territoire. Selon leurs estimations il y aurait entre et personnes se prostituant en France 4. Cependant cette estimation, basée sur les informations remontées par les commissariats de quartier, semble ne prendre en compte que la prostitution le plus visible, celle qui s exerce dans la rue. Dans la mesure où, depuis dix ans une des tendances majeures de la prostitution a été l essor de la prostitution par annonces sur internet, nous pouvons imaginer que le nombre de personnes se prostituant en France soit largement au-dessus de l estimation citée 5. En ce qui concerne les caractéristiques sociales et la situation sanitaire des personnes se prostituant en France il est également difficile d avoir une vision objective de la situation. De même que pour le nombre total de personnes se prostituant en France, en ce qui concerne leur sociologie, la plupart des informations sont basées sur la prostitution de rue. L OCRTEH estime que 90% des personnes se prostituant dans la rue sont de nationalité étrangère. Toutefois, il est impossible de savoir combien parmi ces personnes sont en situation régulière sur le territoire. Nous ne disposons d aucune information fiable sur les caractéristiques sociales des personnes qui exerce la prostitution par le biais de l internet. Malgré la difficulté d obtenir des informations précises sur le phénomène de la prostitution nous pouvons toutefois affirmer que depuis le milieu des années 90 les personnes étrangères représentent une part croissante des personnes se prostituant dans la rue. Parmi celles-ci une part croissante est de nationalité chinoise. Cependant, la prostitution chinoise de rue reste cantonnée à Paris. 2.2 Prostitution et santé Le fait d exercer la prostitution ne constitue pas, en soi, un facteur de risque sanitaire. Cependant, selon les modalités de son exercice, la prostitution peut accroître certains facteurs de vulnérabilité sanitaire. La précarité économique, l absence de droits sociaux, l absence de titre de séjour, des barrières linguistiques et culturelles, les manques d accès à des informations ou à des outils de prévention sont tous des facteurs qui accroissent la vulnérabilité des personnes se prostituant. Le lieu d exercice de la prostitution, la manière de rencontrer les clients et le degré d indépendance de la personne se prostituant ont également une influence importante sur la vulnérabilité. Globalement la prostitution qui s exerce dans la rue est celle qui comporte le plus de risques en termes de santé. La population ciblée par le Lotus Bus cumule en effet plusieurs de ces facteurs de vulnérabilité : étrangères, souvent en situation irrégulière, maîtrisant pas ou peu le français, peu informées sur la prévention, subissant des pressions économiques importantes et exerçant la prostitution de rue, les femmes chinoises sont alors exposées à de nombreux risques. Ces risques sont majorés par le contexte législatif actuel qui ne favorise pas la sécurité et la santé des personnes se prostituant. 2.3 Le contexte législatif : des politiques qui rendent malades La Loi pour la Sécurité Intérieure : un contexte répressif qui majore les risques La Loi pour la Sécurité Intérieure (LSI), qui a réintroduit le délit de racolage, a été promulguée le 18 mars Après avoir combattu, sans succès, la loi lors de sa discussion au parlement, en 2006 MDM a de nouveau dénoncé les effets délétères de cette loi sur les conditions de vie et d exercice des personnes se prostituant par le biais d un dossier de presse 6. Le constat unanime fait à cette époque reste malheureusement d actualité : «Cette loi est inefficace contre les réseaux, et même contreproductive en ceci qu elle pénalise surtout, et lourdement, les personnes se prostituant.» 3 Office centrale pour la répression de la traite des êtres humains, une division spécialisée de la police judiciaire. 4 OCRTEH Rapport d Activité 5 Schaffauser, Thierry. «Combien de travailleurs du sexe sommes-nous?» dans Le Monde Médecins du Monde Prostitution : fragilité accrue au nom de la loi. Dossier de presse. Lotus Bus Rapport d Activités

9 Définition : Le racolage passif «Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération est puni de deux mois d'emprisonnement et de euros d'amende.» - Article du code pénal Depuis lors, la situation ne cesse de se détériorer d année en année. Les conséquences de cette loi sont néfastes en termes de santé publique et de sécurité pour les personnes se prostituant. Aujourd hui, 8 ans après l application de cette loi, nous ne pouvons que déplorer l aggravation de ces conséquences et la détérioration de la situation des personnes se prostituant, notamment :» L éloignement des personnes se prostituant des quartiers résidentiels ou commerciaux vers des lieux plus isolés et dangereux.» La dégradation des rapports entre les personnes se prostituant et entre différentes communautés de personnes se prostituant ce qui renforce l isolement de chacune.» La réduction du temps de négociation avec le client par peur d être repéré par la police exposant les personnes se prostituant à plus de violence ou à des rapports à risque.» L utilisation de la détention de préservatifs comme preuve du racolage, ce qui entrave la prévention.» L érosion de la confiance des personnes se prostituant dans les forces de l ordre et, par extension, vis-à-vis de toutes les institutions, avec comme conséquence la réticence à faire appel à la police en cas de violence.» Stigmatisation accrue des personnes se prostituant considérées comme des délinquantes.» Un climat d impunité parmi des agresseurs ou les clients mal intentionnés.» Double pénalisation des personnes sans titre de séjour qui s exposent à l expulsion en cas d arrestation.» L éloignement des personnes se prostituant des structures de soin et de prévention.» Un contexte légal qui favorise des comportements abusifs de la part des forces de l ordre. La répression du proxénétisme : protéger les victimes ou précariser encore plus les personnes se prostituant? Définition : Le proxénétisme «Le proxénétisme est le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit : D'aider, d'assister ou de protéger la prostitution d'autrui ; De tirer profit de la prostitution d'autrui, d'en partager les produits ou de recevoir des subsides d'une personne se livrant habituellement à la prostitution ; D'embaucher, d'entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d'exercer sur elle une pression pour qu'elle se prostitue ou continue à le faire. Le proxénétisme est puni de sept ans d'emprisonnement et de euros d'amende.» - Article du code pénal Outre l interdiction du racolage passif qui criminalise toute manifestation visible de la prostitution, les lois réprimant le proxénétisme interdisent toute organisation de l activité prostitutionnelle. La définition juridique du proxénétisme englobe non seulement les situations de contrainte mais criminalise également le proxénétisme dit «de soutien» ou «hôtelier». Toute forme d entraide entre les personnes se prostituant peut être taxée de proxénétisme. De même l entretien d un partenaire avec les revenus de la prostitution peut être défini comme étant du proxénétisme. Cette pénalisation rend particulièrement difficile l accès au logement puisque tout propriétaire ou hébergeant d une personne se prostituant est passible de poursuite en tant que proxénète. Plusieurs usagères du bus ont ainsi perdu leur logement suite à la dénonciation de leur activité à leur propriétaire. Cette loi semble avoir pour effet d accentuer l exploitation des personnes se prostituant qui, en raison des risques encourus par les propriétaires, se retrouvent dans l obligation de payer des loyers largement au-dessus du prix du marché. Lotus Bus Rapport d Activités

10 La répression du proxénétisme de soutien et hôtelier a un effet délétère sur les conditions de vie et de travail ainsi que sur la sécurité des personnes se prostituant. Tout comme les lois pénalisant le racolage, elle pousse les personnes prostituées vers la clandestinité et les empêche d améliorer leurs conditions d exercice de la prostitution. En pénalisant l entraide entre personnes se prostituant, elle accroît également l isolement et la vulnérabilité. Dans bien des cas, la répression du proxénétisme, telle qu elle est actuellement définie, vise les personnes se prostituant elles-mêmes et non pas ceux ou celles qui, le cas échéant, les exploitent. Une politique d immigration répressive «Les étrangers, qui représentent la grande majorité des patients de MdM, doivent désormais faire face aux nouvelles stratégies de la politique migratoire. De manière déterminée, celles-ci visent à les dissuader de rester sur le territoire français, quitte à mettre en danger leur vie et à stigmatiser davantage certaines communautés, au plus grand mépris des principes de santé publique et des droits humains fondamentaux. Le climat instauré entraîne de fait une absence de recours à la prévention et aux soins, avec pour effets des ruptures de soins et la relégation accrue des populations dans des lieux retirés où il est plus difficile pour les équipes de leur venir en aide.» - Médecins du Monde, Observatoire de l accès aux soins de la mission France, Rapport 2010 Les bénéficiaires du Lotus Bus, toutes de nationalité étrangère, sont concernées de près par la politique répressive en matière d immigration menée depuis plusieurs années. D une part l extrême difficulté à accéder à une régularisation administrative est une des raisons majeures de l entrée dans l activité de prostitution, d autre part la politique actuelle rend également l exercice de cette activité plus dangereux et limite l accès aux soins et aux droits des personnes concernées. Les personnes en situation irrégulière qui exercent la prostitution dans la rue sont particulièrement vulnérables par rapport à cette politique répressive. Puisque le constat du délit de racolage peut entraîner un contrôle d identité, les personnes sans autorisation de séjour se rendent aussi invisibles que possible, réduisent leur temps de négociation avec le client, ce qui réduit également les possibilités d imposer leurs conditions au client. Par ailleurs, ces mêmes personnes hésitent davantage à avoir recours à la police en cas d agression (par peur d être expulsées). Certaines renoncent également aux soins par peur de dénonciation. La pression ressentie par les personnes en situation irrégulière est telle que, alors qu elles exercent une activité à risque, leur première préoccupation est d éviter les forces de l ordre. «Je ressens une forte pression psychologique à cause de la police. J ai tellement peur d être arrêtée que je ressens une pression dans ma poitrine. Mon travail est devenu plus dangereux, car je n ai plus le temps de négocier avec les clients. Quand un client arrive je n ai qu une seule envie c est de monter aussi vite que possible dans sa voiture pour ne pas être vue par la police» - Témoignage recueilli au cours d une enquête sur les violences. Lotus Bus Rapport d Activités

11 Quand la répression entrave la prévention 2011 a été marqué par un renforcement de la présence policière sur certains de nos sites d intervention, et plus particulièrement à Belleville. A plusieurs reprises au cours de l été 2011 des policiers sont intervenus autour du bus pour effectuer des contrôles d identité et procéder à des arrestations. A deux reprises la police nous a demandé de partir, demande à laquelle nous n avons pas cédé. La présence policière à proximité du bus est un frein majeur à nos actions et met en péril la pérennité de nos interventions. Lorsque la police est à proximité du bus aucune femme n ose se présenter. Suite à ces problèmes nous avions alerté par courrier les mairies et les commissaires des quatre arrondissements autour de Belleville (10 ème, 11 ème, 19 ème et 20 ème ). M. Rigon, commissaire du 20 ème arrondissement s est chargé de nous répondre que désormais notre lieu d intervention sera «sanctuarisé», c est à dire que la police n interviendra pas au moment où nous sommes présents. Nous saluons cet engagement mais nous restons vigilants à ce qu il soit respecté. Vers la pénalisation des clients : à quel prix pour les personnes se prostituant? Divers acteurs politiques en France, aussi bien de gauche que de droite, ainsi que de nombreuses associations abolitionnistes, appellent à la pénalisation des clients de la prostitution. Le 6 décembre 2011 une résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France a été votée par une poignée de députées à l Assemblée. Cette résolution affirme que la prostitution est incompatible avec les valeurs de la République et ne saurait être tolérée. Le lendemain un projet de loi a été déposé qui vise à sanctionner les clients de la prostitution avec une peine de deux mois d emprisonnement et 3750 d amende. Selon le calendrier législatif cette loi pourrait être votée dès l automne En tant qu association humanitaire, Médecins du Monde ne porte pas de jugement sur l activité de la prostitution en elle-même. Par contre, notre expérience de terrain nous fait craindre qu une loi visant les clients des personnes se prostituant risque avant tout d avoir un impact négatif sur les personnes se prostituant. Tout comme la répression du racolage passif (voir plus haut), la pénalisation des clients risque de rendre la prostitution plus clandestine, plus invisible, et donc plus dangereuse, du point de vue de la santé et de la sécurité, pour les personnes concernées. D autre part nous avons des raisons de craindre que la pénalisation des clients puisse engendrer les effets suivants :» La raréfaction des clients risque d entraîner l acceptation de pratiques à hauts risques : diminution du temps de négociation avec le client, acceptation de rapports sans préservatif et de pratiques auparavant refusées.» La population pourrait devenir inaccessible : en s enfonçant dans les sous-bois, en allant au domicile des clients ou en exerçant dans des appartements ou lieux cachés.» La diminution de la visibilité réduira les moyens de la police pour lutter contre la traite.» Les clients risquent de ne plus payer, prétendant avoir eu une relation sexuelle non tarifée.» Tout comme pour la LSI, nous verrons probablement le nombre de personnes se prostituant diminuer pour augmenter à nouveau ensuite : les plus précaires n auront pas d autre choix que de réinvestir la rue.» Seuls les échanges tarifés de services sexuels visibles seront pourchassés par les forces de police, permettant ainsi à l hypocrisie de la loi de triompher en ne visant que les migrants les plus précaires. Ces craintes semblent d ailleurs justifiées au vue de l expérience suédoise (où les clients sont pénalisés depuis 1999). Certaines études démontrent en effet les nombreuses conséquences délétères sur la sécurité et la santé des personnes se prostituant dans ce pays : augmentation des violences, difficultés d accès aux droits, baisse des tarifs, difficulté pour la police d identifier les victimes d exploitation ou de traite 7 7 Working group on the legal regulation of the purchase of sexual services Purchasing Sexual Services in Sweden and the Netherlands: Legal Regulations and Experiences. Ministry of Justice and the Police: Norvège. Lotus Bus Rapport d Activités

12 Médecins du Monde restera attentive aux débats autour de ce projet de loi et s opposera à toute mesure ayant des effets délétères sur la santé et la sécurité des personnes se prostituant. 2.4 Le parcours migratoire Contexte de départ : le bouleversement social de la Chine Malgré l inexorable montée en puissance de l économie chinoise, la transition rapide et récente entre économie planifiée et économie de marché a radicalement transformé le paysage social chinois. Celui-ci, comme le paysage économique, est désormais caractérisé par un esprit de compétitivité féroce pour la réussite. Alors qu un nombre historiquement inédit de personnes a été élevé au-dessus du seuil de pauvreté grâce à l ouverture des marchés, les inégalités se sont radicalement accrues. La privatisation, la restructuration ou la fermeture des entreprises d Etat ont poussé des millions de personnes vers le chômage, la retraite anticipée, ou des congés prolongés sans solde. Ce sont les personnes âgées et les femmes qui ont étés touchées en premier lieu. Bien que certaines personnes bénéficient d une indemnisation de chômage ou d une retraite, le montant de celles-ci est tellement faible qu il ne permet pas de maintenir leur niveau de vie. D autre part, les personnes mises à pied perdent de nombreux avantages sociaux (logement, prise en charge médicale, scolarité gratuite pour les enfants etc.) auxquels il est impossible d accéder autrement faute de moyens. Pour les milliers de femmes concernées, dont beaucoup n ont qu un faible niveau de formation, il est extrêmement difficile de retrouver un emploi stable. La vaste majorité des femmes licenciées ne retrouvent pas d emploi salarié et doit survivre grâce à des petits boulots, ou en faisant du petit commerce. Le marché de l emploi est saturé et la concurrence entre les petites entreprises du secteur privé est intense, beaucoup d entre elles faisant faillite. Par rapport à leur situation avant les réformes ces femmes ont connu un véritable déclassement social depuis 10 ans. La situation économique met également sous tension les relations intrafamiliales. Divorcées ou séparées, il leur est d autant plus difficile de subvenir aux besoins de leur famille, avec des enfants d âge scolaire à charge, voire des parents âgés et/ou malades à charge. La dégradation de la situation économique provoque également l accroissement d autres troubles sociaux : l alcoolisme, la criminalité, la délinquance, le suicide. Raisons du départ «J ai décidé de quitter la Chine parce que ma mère a été longtemps malade et ma famille a dû emprunter beaucoup d argent pour lui payer ses frais médicaux. Elle est morte l année dernière, mais je dois toujours rembourser l argent que j ai emprunté pour la soigner. Au début j ai voulu partir aux Etats-Unis, au Canada, ou en Australie car j avais entendu que les revenus étaient plus élevés dans ces pays-là. Finalement, je n ai pas réussi à obtenir un visa. J ai donc décidé de venir en Europe.» Mme. A Témoignage recueilli au bus le 02/11/ 2011 Pour les femmes, dans ce contexte économique et social dégradé, la migration à l étranger paraît attrayante, et est souvent perçue comme la seule manière possible pour maintenir son niveau de vie et pour subvenir aux besoins économiques de leur famille. Subvenir aux frais de scolarité ou aux frais de mariage des enfants est le motif d émigration le plus fréquemment cité par les usagères du bus. D autres facteurs, tels que la violence conjugale, l appartenance à une secte religieuse opprimée ou la présence de parents ou d amis à l étranger peuvent constituer des incitations supplémentaires à la migration. D autres raisons parfois citées sont les dettes accumulées suite à la faillite d une petite entreprise ou suite aux pertes encourues dans les jeux d argent. En raison de l investissement important que nécessite la migration, la rupture que cela implique avec la Chine et les risques importants d échec, la migration est souvent perçue comme un pari. Si le pari est réussi la personne pourra maintenir le statut social de sa famille, s il est perdu, soit parce que la personne n arrive pas à gagner suffisamment d argent, soit parce qu elle est expulsée avant d avoir remboursé sa dette, c est l avenir et même la sécurité de la personne et de sa famille qui sont en jeu. Ceci, peut, dès le départ, avoir une influence sur les comportements face aux risques une fois arrivées en France, et notamment face aux risques dans l exercice de la prostitution. Lotus Bus Rapport d Activités

13 Contexte d arrivée en France Les femmes rencontrées par le Lotus Bus font partie des nouveaux flux de migration chinoise en direction de l Europe et de la France qui se développent depuis la fin des années 90. Jusqu alors, la migration chinoise «historique» se composait majoritairement de réfugiés politiques venant de l Asie du Sud-Est ou de migrants économiques venant des provinces côtières du Sud-est de la Chine, notamment de la province de Zhejiang. Moins d un pour cent des usagères du Lotus Bus viennent de ces foyers d émigration historiques. La vaste majorité vient de régions de la Chine n ayant pas de lien migratoire historique avec la France. Elles viennent souvent seules et n ont pas de lien familial ou amical en France. Il s agit alors d une migration pionnière et de rupture. Arrivée en France «Je suis arrivée en France il y a trois mois. C était difficile car je ne connaissais personne ici, et je ne parle pas la langue. Par le biais de l amie d une amie d une amie j ai trouvé un logement en dortoir et j ai trouvé un emploi comme domestique. Je n ai pas aimé ce travail-là. Mon employeur était très strict : il faut faire comme ci, il faut faire comme ça. C est très stressant parce que tu sais qu à la moindre faute tu peux être renvoyée. En plus le salaire était plus bas que je ne l espérais. J ai alors commencé à chercher d autres emplois, et c est pourquoi j ai choisi le travail sexuel.» - Mme. A Témoignage recueilli au bus le 02/11/ 2011 La majorité des femmes ont fait appel à des «agences de voyage» qui leur procurent un passeport, un visa, et un billet d avion à destination de l Europe. Le voyage coûte entre et euros payables avant le départ. Cet argent est souvent emprunté à des membres de la famille ou à l entourage en Chine, ou bien à des sociétés de crédit à des taux d intérêts très importants (allant jusqu à 30% par an) A leur arrivée, elles sont accueillies soit par des personnes qu elles connaissent déjà sur place, soit le plus souvent par des intermédiaires qu elles doivent payer, qui les aident à prendre contact avec un hébergeant et /ou un employeur. Une minorité de femmes a eu recours à de véritables réseaux de passeurs (shetou ou «tête de serpent» en chinois). Dans ce cas, le voyage est à la fois plus cher (s élevant à euros voire plus) et beaucoup plus dangereux. Ne disposant pas de visa pour l espace Schengen, ces personnes transitent par de nombreux pays intermédiaires et franchissent les frontières européennes clandestinement. Voyageant par camion, train, bateau ou à pied, ces voyages sont longs et extrêmement périlleux et exposent les migrantes au risque de traitements dégradants et inhumains. Quelle que soit les modalités d entrée en France, une fois sur place elles s appuient sur des ressources existant dans la communauté chinoise pour trouver un logement et un emploi. Il existe de nombreuses entreprises ou associations se présentant comme des «écoles de français», des «bureaux d avocats», ou des «bureaux d interprétariat» qui proposent des services payants aux primo-arrivants pour faciliter leurs démarches : domiciliation postale, demande d asile (voir encadré), obtention de la CMU ou de l AME. Si ces organismes facilitent l accès à certains services pour ceux qui en ont les moyens, pour d autres le montant des prestations limite l accès à de nombreux services publics qui sont, en principe, gratuits. L existence de ces nombreux intermédiaires rend l autonomisation des migrantes chinoises d autant plus difficile sur le long terme qu elles se retrouvent dans une situation de dépendance. Que ce soit au sujet des démarches administratives, des droits sociaux, ou de la santé, elles ont rarement accès à des conseils ou à un soutien désintéressé et manquent d un accès à des informations claires. Par ailleurs, «les intermédiaires entretiennent le manque d information dans ce domaine en vendant leurs services et en diffusant de fausses informations» 8. Il n est pas dans l intérêt commercial de ces intermédiaires d expliquer aux migrantes comment entreprendre les démarches de manière 8 Cattelain, Chloé et Sébastien Nguyen Les Chinois d Île-de-France et l infection à VIH : Savoirs, vulnérabilités, risques et soins. Arcat ; p. 20. Lotus Bus Rapport d Activités

14 autonome. Cette situation de dépendance communautaire constitue un frein important à l accès effectif aux droits et aux soins. Le «papier jaune» La quasi-totalité des usagères du Lotus Bus ont fait à leur arrivée en France une demande d asile par l intermédiaire d un «bureau d avocat». Ces «avocats», qui n ont souvent pas de formation juridique, remplissent pour la personne le formulaire de l OFPRA sans expliquer en quoi consiste une demande d asile et sans interroger la personne sur les motivations de sa demande. «L avocat» invente un récit ou utilise un récit type. Ce service coûte entre 200 et 400 euros. En échange les demandeuses d asile reçoivent une autorisation provisoire de séjour qu elles nomment «Le papier jaune» (huangzhi). Toutes ces demandes d asile sont rejetées par l OFPRA et par la CNDA (lorsqu elles y font recours) dans un délai variant entre un et deux ans à la suite duquel la personne se retrouve sans titre de séjour. Malheureusement, certaines personnes qui pourraient réellement prétendre au statut de réfugié ou à la protection subsidiaire de l Etat français (notamment pour les personnes appartenant aux minorités religieuses ou ayant fui la criminalité organisée) se voient refuser leur demande sans qu elles aient l occasion de présenter leurs réelles motivations. «Descendre à la mer» : L entrée dans la prostitution La majorité des migrantes chinoises espèrent trouver un emploi salarié ou mettre en place un petit commerce à leur arrivée. Or, il existe un décalage entre leurs espoirs avant de venir en France et la situation de l accès à l emploi qu elles rencontrent en arrivant. L absence de titre de séjour, les dures réalités du marché de l emploi clandestin en France et la pression économique qu elles subissent pour rembourser leurs dettes de passage et entretenir leurs familles en Chine les incitent à considérer la prostitution comme un moyen de réaliser leurs projets initiaux de migration. En 2011 nous constatons que de plus en plus de femmes venant sur le bus pour la première fois, choisissent de se prostituer dès leur arrivée en France 9. Un des rares emplois qui soit accessible aux femmes chinoises sans-papiers est le travail de domestique auprès de familles chinoises déjà installées en France. En dehors des mauvaises conditions de travail et du faible niveau de rémunération, le travail de domestique est souvent vécu comme étant dévalorisant et humiliant et laisse peu de liberté à la personne pour rentrer en contact avec le reste de la société française et sortir de son isolement. Ces emplois sont également très peu stables en termes de volume horaire et de durée, et l employeur peut mettre un terme au contrat à tout moment. Par ailleurs, de nombreuses femmes ayant travaillé comme nounou se plaignent de salaires impayés ou d abus physiques, psychologiques ou sexuels par les employeurs (voir encadré). Beaucoup de femmes rencontrées pour la première fois par l équipe du Lotus Bus ont travaillé en tant que domestique pendant plusieurs mois voire plusieurs années avant de se prostituer. Si la motivation économique est prépondérante, certaines décrivent la prostitution comme un affranchissement comparé aux situations d exploitation et d asservissement qu elles ont vécues dans le travail de domestique (voir encadré). Dans la prostitution, elles maîtrisent leur propre emploi du temps et n ont pas à suivre les ordres d employeurs abusifs. Pour d autres, le recours à la prostitution n est qu une stratégie de survie économique temporaire pendant une période où elles n ont pas d autres ressources. Pour certaines, la prostitution est l activité économique principale, pour d autres elle n est qu une activité parmi d autres. 9 71% des personnes rencontrées pour la première fois en 2011 ont commencé à se prostituer dans les trois mois suivant leur arrivée en France. Lotus Bus Rapport d Activités

15 La prostitution comme forme d indépendance «Je suis très contente de faire ce travail. Bien sûr ce n est pas toujours facile, parfois tu tombes sur des mauvais clients qui ne veulent pas te payer. Mais sinon je rencontre beaucoup d hommes très sympathiques, qui sont gentils avec moi et qui me donnent de l argent. Certains clients me donnent plus d argent que le prix fixé au départ. En plus je suis plus libre et indépendante qu en tant que domestique. Je suis vraiment très contente de faire ça. Jusqu à là, tout se passe bien.» - Mme. A Témoignage recueilli au bus le 02/11/ 2011 Que la prostitution soit une activité régulière ou occasionnelle, elle demeure une activité très stigmatisée et taboue aux yeux mêmes de celles qui l exercent. Le mot de prostituée («jinü» en chinois), très péjoratif, n est d ailleurs jamais employé. Elles emploient des termes elliptiques tels que «faire ce travail-là», «faire du massage», «travailler dans la rue» ou encore «descendre à la mer». Cette dernière périphrase, qui peut se traduire également par «se jeter à l eau», est particulièrement parlante puisqu elle est employée, en Chine, pour désigner les personnes qui quittent un emploi salarié pour se lancer dans une activité indépendante. Son utilisation dans le contexte de la prostitution reflète à la fois les risques liés à l exercice de la prostitution mais soulignent également la perception de la prostitution comme une activité économique indépendante et une alternative aux mauvaises conditions d emploi dans d autres secteurs. Les premières expériences de la prostitution se font souvent sous l égide ou avec les conseils d un membre de l entourage (colocataire, amie etc.) qui se prostitue déjà. Ces «anciennes» fournissent des astuces pour attirer et négocier avec les clients, indiquent les lieux de passe et donnent des conseils de base sur l utilisation du préservatif. Si cette «initiation» est importante pour la transmission de certaines consignes de base sur la sécurité et la santé, nous constatons que les femmes rencontrées pour la première fois ont, en général, un très faible niveau de connaissance de la prévention et ont souvent reçu des informations erronées (par exemple sur la conduite à tenir en cas d exposition au VIH ou en cas d agression). D autres femmes commencent à se prostituer seules, sans le soutien d une «ancienne» ou d une amie et sont particulièrement vulnérables en cas de problème. En dehors des rapports sexuels strictement vénaux, la sexualité est souvent utilisée par les migrantes chinoises, qu elles soient prostituées ou non, comme une «ressource» afin de réaliser leur projet de migration 10. Il peut s agir de relations sexuelles avec un compatriote dans la même situation pour lutter contre l isolement, ou de relations sexuelles avec des hommes français rencontrés par le biais de la prostitution ou par des intermédiaires (annonces ou entremetteuses) dans l espoir de fonder un nouveau foyer en France, et d obtenir parfois une régularisation. Les frontières entre la prostitution, la vie sexuelle et la vie sentimentale sont très poreuses. Cette porosité rend d autant plus complexe notre travail de prévention puisque si, en règle générale, la prévention est bien intégrée pour ce qui concerne les rapports prostitutionnels, ces femmes sont moins nombreuses à user de précautions dans d autres domaines de leur vie sexuelle. Si le Lotus Bus s adresse principalement aux femmes se prostituant dans la rue, il existe divers modes d organisation de la prostitution chinoise. Sous l effet de la répression policière, les modes de prostitution se diversifient de plus en plus. Nous rencontrons un certain nombre de femmes qui travaillent par petites annonces, par téléphone ou dans des «salons de massage». Les modalités d exercice de la prostitution sont souvent liées à la situation administrative de la personne. Celles qui bénéficient d une autorisation provisoire de séjour dans l attente d une réponse de l OFPRA sont nombreuses à travailler dans la rue car elles ne risquent pas l expulsion en cas d arrestation. Celles qui n ont pas de titre de séjour sont nombreuses à travailler par internet ou par téléphone, évitant ainsi de se rendre trop visibles. Celles qui bénéficient d un titre de séjour qui leur permet de travailler ont la possibilité de travailler dans des «salons de massage» qui proposent, en plus des massages de relaxation, des prestations sexuelles. Nous n avons constaté que très peu de situations de prostitution forcée. Il existe tout de même un certain nombre de personnes qui profitent de la prostitution des femmes chinoises. Il s agit avant tout de «proxénètes hôteliers», c'est-à-dire des personnes qui mettent à disposition des lieux pour 10 Voir LEVY, Françoise et Marylène LIEBER «La sexualité comme ressource migratoire : Les Chinoises du Nord à Paris», dans La revue française de Sociologie, Vol. 50, n 4, pp Lotus Bus Rapport d Activités

16 l exercice de la prostitution : soit des appartements de passe («paofang» en chinois) moyennant une part de la somme négociée avec le client, soit des appartements loués à long terme à des femmes se prostituant pour un prix largement au-dessus de celui du marché. Nous luttons contre l exploitation des personnes se prostituant en informant les personnes concernées de leurs droits et en proposant une prise en charge aux victimes. 2.5 Le contexte sanitaire: Un pays d origine à forte prévalence de la syphilis et des hépatites virales et une épidémie du VIH en évolution Le VIH / SIDA La situation concernant le VIH/Sida en Chine est extrêmement complexe et les réalités provinciales très diverses. La Chine est un des pays asiatiques les plus fortement touchés par l épidémie de sida. Le nombre de personnes vivant avec le VIH fin 2011 est estimé aux environs de , dont étaient déclarées au stade Sida 11. En 2011 on estime à le nombre de nouvelles infections 12. Même si la prévalence reste faible au niveau national (environ 0,058%), l épidémie continue de se propager et de toucher un nombre croissant de personnes dans toutes les régions du pays. Certaines régions sont particulièrement touchées par l épidémie, ainsi les six provinces les plus touchées (Yunnan, Sichuan, Henan, Guangxi, Guangdong et Xinjiang) représentent 75,8% des cas déclarés au niveau national. Par ailleurs, certaines populations sont particulièrement touchées (travailleuses du sexe, hommes ayant des relations sexuelles avec d autres hommes, usagers de drogues par voie d injection). Les travailleuses du sexe sont touchées de manière disproportionnée puisqu il est estimé que la moitié des femmes vivant avec le VIH en Chine est impliquée dans le commerce sexuel 13. Par ailleurs il est estimé que la majorité des personnes vivant avec le VIH ne sont pas au courant de leur statut sérologique. Le manque de recours au dépistage est un des facteurs important dans le développement de l épidémie. Mode de transmission du VIH en Chine 14» Rapports sexuels non-protégés Les contacts sexuels représentent le mode de transmission le plus important. 46,5% des personnes ont été contaminées par des rapports hétérosexuels, et 17,4% par des rapports homosexuels. Le nombre de contaminations par voie sexuelle est en augmentation.» Usage de drogues par voie d injection 28,4% des infections seraient dues à l usage de drogues par voie d injection. Cette mode de contamination concerne surtout les provinces et régions concernées par le trafic d héroïne (Yunan, Xinjiang, Guangxi, Guangdong, Guizhou et Sichuan).» Sang contaminé 6.6% des infections seraient dues au sang contaminé. La majorité de ces personnes ont été infectées lors de campagnes de don de plasma. Ce mode de contamination concerne principalement les provinces de Henan, Anhui, Hubei et Shanxi. En effet, durant les années 90 les autorités locales ont incité les paysans les plus pauvres à vendre leur sang pour compléter leurs revenus afin de fabriquer des produits dérivés à partir du plasma. Des villages entiers sont victimes de l épidémie et des milliers d enfants sont aujourd hui des orphelins du Sida. 15» Transmission de la mère à l enfant Enfin, 1,1% des infections sont dues à la transmission de la mère à l enfant. 11 UNAIDS Report on the Global AIDS Epidemic 12 Ibid. 13 BARAL S. et. al «Burden of HIV among female sex workers in low-income and middle-income countries: a systematic review and meta-analysis» dans The Lancet, N 3099(12), pp Les chiffres cités dans cette partie sont issues du rapport UNAIDS, Report on the global AIDS Epidemic. 15 HASKI, Pierre Le sang de la Chine. Lotus Bus Rapport d Activités

17 Les mesures prises par le gouvernement Malgré une reconnaissance officielle de l urgence des mesures à prendre en termes de lutte contre le VIH et des engagements concrets du gouvernement ces dernières années, des efforts importants doivent encore être faits. Les freins sont encore très nombreux (faiblesse de l accès et de l incitation au dépistage, discrimination très forte) et le VIH est toujours un sujet sensible qui ne peut être traité librement par les médias 16. Stigmatisation et discrimination La stigmatisation et la discrimination restent des freins majeurs dans la lutte contre le VIH (freins à l accès aux soins et au dépistage). Selon une étude, qui a interrogé plus de 2000 personnes vivant avec le VIH, 42 % des participants ont signalé qu ils avaient été victimes d une forme de discrimination liée au VIH. Cette étude a également montré que 12% des personnes interrogées avaient déclaré un refus de soins médicaux au moins une fois depuis que leur séropositivité avait été diagnostiquée. 17 Le défi du VIH en Chine est grand. La honte, la stigmatisation, la mauvaise connaissance de la maladie et les tabous qui l entourent, couplés à une faible sensibilisation au VIH et un très faible recours au dépistage sont autant de facteurs pouvant alimenter l épidémie. Facteurs contre lesquels il faut lutter La syphilis et les hépatites virales La prévalence de la syphilis et des hépatites virales est très élevée en Chine. Des études indiquent que les cas de syphilis ont augmenté de manière spectaculaire depuis le début des années avec une incidence d environ 5,3/ cas par an 19. L épidémie touche principalement les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et les personnes se prostituant. Les chiffres sont rares en ce qui concerne la situation épidémiologique par rapport aux hépatites B et C. Cependant, nous pouvons remarquer que 60% des Chinois ont un antécédent d infection par le VHB et 10% en moyenne ont une hépatite B chronique (AgHBs+), soit quasiment un tiers de la population infectée dans le monde. En Chine, les campagnes de vaccination systématique contre l hépatite B n ont démarré qu en La prévalence de l hépatite C serait corrélative à la prévalence de l usage de drogues par voie intraveineuse. Bien que la situation soit très différente selon les zones géographiques et les divisions administratives chinoises, selon une étude nationale effectuée en 1992, les taux de prévalence des virus de l hépatite B et C étaient les plus élevés dans le nord-est de la Chine 20, soit la région d où vient la majorité des personnes rencontrées par le Lotus Bus La tuberculose La Chine est, après l Inde, le pays ayant le plus de cas de tuberculose dans le monde. On estime à 1 million le nombre de nouveaux cas par an. L incidence est de 108/10 5 (en France il est 8,2/10 5 ). Depuis les années 1990 la Chine a fait des efforts considérables pour améliorer le dépistage et le traitement de la tuberculose. L incidence et la mortalité sont en baisse. Cependant, la Chine reste un foyer important de l épidémie. 21 La population rencontrée par le Lotus Bus est particulièrement vulnérable vis-à-vis de la tuberculose. Non seulement ces femmes sont originaires d un pays à forte prévalence mais leurs conditions de vie et d habitat en France augmentent les risques de contamination et de développement de la maladie. En effet, elles vivent pour la plupart en dortoir, plusieurs personnes partageant la même chambre. La promiscuité, la précarité, une mauvaise alimentation, la fatigue liée aux longues heures de travail et 16 FIDH Chine : Un Stade Critique, Violations du droit à la santé dans le cadre de la lutte contre le sida. Rapport n UNAIDS The China Stigma Index Report. 18 CHEN et. al «Syphilis in China: results of a national surveillance programme» dans The Lancet, n 369, p HESKETH et al «Syphilis in China: the great comeback» dans Emerging Health Threats Journal, n 1:e6 20 XIA et. al «Prevalence of hepatitis B and C virus infections in the general Chinese population: Results from a nationwide cross-sectional seroepidemiologic study of hepatitis A, B, C, D, and E virus infections in China, 1992»,dans International Hepatology Communications, Vol. 5 Issue 1, p WHO Tuberculosis Country Profile: China Lotus Bus Rapport d Activités

18 aux pressions psychologiques, le faible niveau de recours aux soins, sont autant de facteurs qui favorisent l évolution d une infection vers la maladie. Par ailleurs la tuberculose est peu connue et le recours au dépistage est très faible. Face à ce constat nous avons désigné cette année la promotion du dépistage de la tuberculose comme l un des objectifs de notre programme Un faible niveau de connaissance sur le VIH, les infections sexuellement transmissibles et les hépatites virales Les personnes rencontrées dans le cadre de notre programme font partie d une génération qui, en Chine, n a jamais eu accès à des informations sur les IST et le VIH et a connu la politique de l enfant unique. Éduquées sous le régime communiste, imprégnées d une morale très rigide, elles affirment être des «conservatrices». Elles nous rappellent souvent qu en Chine règne le principe d «un mari, une femme», affirmation qui doit être plus que nuancée, mais qui traduit bien la conception de la sexualité qui les imprègne. Une étude, réalisée en Chine par Futures Group en 2003, montre que la connaissance des moyens de prévention est médiocre : 60% des personnes disent ne pas être informées sur l usage du préservatif. L éducation de masse n a pas eu l ampleur et l impact nécessaires à une réelle prise de conscience à l égard du sida comme le souligne justement le rapport d ONUSIDA 22. Les informations recueillies lors de nos entretiens individuels ou par le biais de nos partenaires confirment ces tendances alarmantes : les femmes rencontrées se révèlent très mal informées sur le VIH et les IST et ont souvent une méconnaissance totale du matériel de prévention (utilisation du préservatif et du gel). De ce fait, bien que les femmes qui se prostituent depuis plusieurs mois voire des années semblent améliorer leurs connaissances sur le VIH et les IST, elles connaissent encore très peu les recours possibles et les lieux de soins après un risque d exposition au VIH (comme une rupture de préservatif, lors de rapports violents ou lorsque le client retire le préservatif au cours du rapport). Or, d après nos observations de terrain, beaucoup ont été confrontées à ce type de situation. Avant d être informées à ce sujet par nos équipes, très peu connaissent le Traitement Post-Exposition (TPE) et elles n ont pas pour «réflexe» d aller aux urgences, ni même d aller consulter un médecin à la suite d un rapport à risque Contexte du VIH et des hépatites virales en France Le contexte actuel de l infection au VIH en France dans lequel vivent les femmes est inquiétant, particulièrement en Ile-de-France : cette région arrive en troisième position pour le nombre de sérologies positives rapporté à la population, derrière la Guyane et la Guadeloupe. Alors que cette proportion est de 165 cas par million d habitants à l échelle nationale, elle s élève à 263 cas par million d habitants en région Ile-de-France. De plus, les données épidémiologiques sur l infection au VIH en France, rapportées par le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire de novembre 2009, nous inquiètent particulièrement sur les modes de contamination : «Parmi les personnes découvrant leur séropositivité en 2008, 60% ont été contaminées par rapports hétérosexuels, 37% par rapports homosexuels et 2% par usage de drogues injectables. Les personnes contaminées par rapports hétérosexuels sont en majorité des femmes (53%) 23». Même si depuis 3 ans une diminution du nombre de découvertes de séropositivité VIH chez les femmes étrangères et de façon plus récente chez les hommes étrangers a été constatée, «il est toujours difficile de faire la part entre les flux migratoires, le recours au dépistage et le nombre de nouvelles contaminations. En particulier, les politiques actuelles de lutte contre l immigration pourraient avoir des effets néfastes sur le recours au dépistage de cette population» 24. Il est également important de rappeler que les femmes chinoises ont des clients de toutes origines géographiques et sociales. Elles témoignent souvent de leurs relations avec eux précisant s ils sont français ou étrangers (Afrique subsaharienne, Afrique du Nord, Europe, Europe de l est, etc.). Ces populations pouvant parfois être des populations migrantes qui sont également vulnérables face aux risques de contamination du VIH et des hépatites. Selon le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire 22 ONUSIDA Rapport annuel. 23 CAZEIN et. al «L infection à VIH-sida en France en 2009 : dépistage, nouveaux diagnostics et incidence», dans BEH n INVS, Centre national de référence pour le VIH, Tours, J. Pillonel, Surveillance de l infection à VIH/SIDA en France, 2006, BEH 46-47, novembre 2007 Lotus Bus Rapport d Activités

19 de novembre 2010, «les personnes de nationalité étrangère représentent 41% des découvertes de séropositivité». Une étude réalisée par l InVS confirme une prévalence des personnes infectées par le VHC de 0,84%, ce qui représente personnes infectées en France. 60% d entre elles seraient porteuses chroniques du virus, dont la moitié ignore son statut. D autre part, la recrudescence des cas de syphilis en France est alarmante et dans ce contexte, le risque de transmission du VIH est accru. «La proportion féminine de cas de syphilis est faible mais croissante chaque année» 25. Enfin, les femmes chinoises étant dans une situation très précaire et très dépendantes de l apport financier de leurs pratiques prostitutionnelles, elles peuvent être amenées à accepter des rapports «à risques» s ils sont mieux rémunérés, notamment des rapports sexuels sans préservatif. En effet la difficulté pour les femmes à négocier le port du préservatif avec les clients est inquiétante: «l enjeu ici n est pas de convaincre les personnes prostituées d utiliser des préservatifs, mais plutôt de les soutenir face aux demandes de relations non protégées des clients, qui augmentent constamment [ ] 26» Une forte exposition aux violences Les bénéficiaires du Lotus Bus, en tant que femmes, migrantes, et en raison de la stigmatisation et la criminalisation de la prostitution cumulent de nombreux facteurs de vulnérabilité face aux violences. En tant que femmes, elles sont exposées aux mêmes violences que l ensemble des femmes : violence de la part d un ami, d un mari, insultes sexistes, agressions physiques ou sexuelles de la part d inconnus, etc. En tant que migrantes, elles cumulent des facteurs de vulnérabilité liés à la migration : exploitation, traite, méconnaissance des droits, isolement, racisme ou xénophobie etc. 27. Enfin, en tant que personnes se prostituant, elles s exposent, par ailleurs, aux exactions d éventuels souteneurs ou proxénètes, d hébergeurs, aux violences commises par les clients, aux violences exercées par des passants et des inconnus, aux violences de la part d autres personnes se prostituant, et aux violences de la part de la police. Toutes ces violences sont exacerbées par la stigmatisation et la criminalisation de la prostitution par la société. Selon les modalités de son exercice, la prostitution peut également accroître l exposition des femmes à la violence : travail de nuit, travail solitaire dans des endroits isolés etc. Nous constatons, en effet, que pour les personnes rencontrées par le Lotus Bus, la sécurité face aux violences est une de leurs préoccupations majeures. La violence, ou la menace de la violence, a un retentissement important sur la santé des femmes chinoises se prostituant. Outre les effets directs sur la santé physique ou psychologique des violences éventuellement subies, la menace constante de la violence pèse lourdement sur le bien-être des femmes au quotidien. Beaucoup décrivent un sentiment de peur lorsqu elles exercent la prostitution. Un témoignage de violence «Une femme vient pour un entretien après avoir fait le dépistage dans le bus car elle a subi un viol une semaine auparavant. Un client l aurait agressée dans une cave d immeuble (au 4ème sous-sol). Il l a forcée à faire une fellation puis l a contrainte à un rapport vaginal sans préservatif avec éjaculation. La femme est très inquiète mais elle ne veut pas porter plainte. Elle a très peur des résultats du dépistage. Elle n a pas pensé à prendre un traitement d urgence. Nous proposons un soutien psychologique mais elle ne le souhaite pas.» - Cahier de transmission, Porte de Choisy, le 31/05/ A. Bouyssou Michel, A. Gallay, M. Janier, N. Dupin, B. Halioua, I. Alcaraz, E. Picot, B. Milpied, C. De Baudouin, C. S le «Surveillance de la syphilis en France, , recrudescence des diagnostics en 2006» dans, BEH 5-6, février. 26 Cabiria Rapport de synthèse. 27 Une étude récente de l'insee montre que les femmes d'origine hors-ue en France sont 8 fois plus souvent victimes de viol en dehors du ménage que les personnes d'origine d'ue. Voir Tournyol du Clos, Lorraine et Thomas Le Jeannic «Les violences faites aux femmes» dans INSEE Première n 1180, février 2008, pp. 3. Lotus Bus Rapport d Activités

20 2.6 Contexte d accès aux soins et aux droits Difficultés d accès aux soins et aux droits Les femmes chinoises se prostituant se confrontent à de nombreux obstacles pour accéder aux soins et aux droits. D une part, en tant que migrantes, elles se heurtent aux mêmes barrières que l ensemble des migrants en situation de précarité. D autre part, elles sont confrontées aux barrières qui découlent de leur activité de prostitution. L observatoire de l accès aux soins (voir encadré) a permis d identifier les principaux obstacles à l accès aux soins et aux droits sociaux cités par les patients de MdM en Les trois principaux obstacles sont la barrière linguistique, la méconnaissance des droits et des structures ainsi que les difficultés administratives. D autres obstacles fréquemment cités sont l impossibilité d ouvrir des droits à une couverture maladie ou l absence de preuves de présence en France (preuves nécessaires pour obtenir une couverture maladie). En ce qui concerne l accès aux droits sociaux le principal obstacle évoqué est l absence d une domiciliation. L observatoire de l accès aux soins Cet observatoire a été créé par la Mission France de Médecins du Monde en 2000 pour témoigner des difficultés d accès aux soins des personnes en situation de précarité. A travers un rapport annuel il contribue à enrichir la connaissance des populations vulnérables en France, par ailleurs largement ignorées par les statistiques officielles françaises de santé publique. Les données portent sur un nombre important de personnes sans domicile fixe ou vivant avec un statut administratif précaire sur le territoire ayant consulté dans les centre médicaux de MdM. L instauration d un droit d entrée à l AME : Un frein supplémentaire à l accès aux soins Depuis avril 2011 toute personne faisant une demande d Aide Médicale d Etat doit acquitter un droit d entrée de 30. Ce droit d entrée peut être onéreux pour ces personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Ce droit d entrée, en plus des nombreuses barrières administratives à l accès aux droits sociaux (demandes abusives de justificatifs, délais d attente très longs, dossiers perdus ), rend l accès aux soins d autant plus difficile. Une très grande majorité des usagères du Lotus Bus se heurtent à la barrière linguistique dans leurs démarches d accès aux soins et aux droits. Maîtrisant peu le français, elles n arrivent pas à expliquer leur situation, ne parviennent pas à faire valoir leurs droits ou n arrivent pas à retrouver les services et les structures dont elles ont besoin. D autre part, lors des consultations médicales, les patientes ne peuvent pas expliquer leurs symptômes, ne comprennent pas les questions qui leur sont posées et ne comprennent ni le diagnostic du médecin ni la posologie des traitements qui leur sont éventuellement prescrits. Les effets sont très néfastes en termes de qualité de soins et en termes d observance des traitements. Par ailleurs, puisqu elles sont le plus souvent seules en France, elles n ont personne dans leur entourage qui peut les accompagner ou les aider dans leurs démarches. En dehors des consultations avec des médecins parlant chinois, elles sont alors obligées de faire appel à des interprètes payants. Dans ce cas chaque démarche entraîne un coût considérable et décourage la personne à consulter. Dans certains cas isolés, la discrimination, la xénophobie ou le racisme peuvent également constituer des obstacles à l accès aux soins et aux droits. En tant que personnes se prostituant, les usagères du Lotus Bus se heurtent également aux obstacles qui découlent de leur activité : la honte de parler de leur activité, la peur du jugement, la peur d une dénonciation aux services de police, ou la peur que leur activité soit connue en Chine. Lotus Bus Rapport d Activités