L ACTUALITÉ FÉDÉRALE
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- Clotilde Joly
- il y a 8 ans
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1 L ACTUALITÉ FÉDÉRALE Quelle monnaie pour une Écosse indépendante? Patrick Leblond Université d Ottawa École supérieure d affaires publiques et internationales Dans quelques jours, soit le 18 septembre, nous connaitrons le sort de l Écosse au sein du Royaume-Uni. Si jamais les indépendantistes l emportent, un des principaux enjeux pour le gouvernement écossais sera celui de la monnaie. Quel régime monétaire sera le meilleur pour une Écosse souveraine? Serait-ce mieux de conserver la livre sterling, comme le désire Alex Salmond, chef du Scottish National Party, de créer la livre écossaise ou plutôt d adopter l euro?1 La réponse à cette question est également importante pour le contexte québécois, où les principaux leaders souverainistes ont clairement indiqué leur préférence pour la circulation du dollar canadien dans un Québec libre plutôt que pour la création d une nouvelle monnaie québécoise, bien que certains ont indiqué qu il serait peut-être préférable pour un Québec indépendant d adopter le dollar américain. Septembre 2014 Vol. 5 No 3 Ce bulletin est publié par Réseau québécois de réflexion sur le fédéralisme 11-38, Place du Commerce, bureau 189 Montréal (Québec) H3E 1T8 Téléphone : info@ideefederale.ca L importance de la monnaie pour l économie d un pays Pour bien comprendre l enjeu de la monnaie de l indépendance, il faut d abord examiner les principales caractéristiques (ou fonctions) d une monnaie. Premièrement, la monnaie est un moyen d échanger (acheter et vendre) des biens et des services, puisqu il est difficile de troquer un bien ou service contre un autre; en effet, il est beaucoup plus facile de passer par l intermédiaire de la monnaie. Cependant, cela exige qu elle soit acceptée plus ou moins par tous (dans un territoire donné). Sinon, il sera difficile pour ceux qui la détiennent d acheter des biens ou services, ce qui ralentira passablement l activité économique. 1. Des billets de banque en livre écossaise circulent déjà au Royaume-Uni. En fait, les banques écossaises Royal Bank of Scotland, Bank of Scotland et Clydesdale ont le droit d émettre des billets de banque avec leurs logos et ceux-ci sont légalement acceptés à travers le Royaume-Uni. La Banque d Angleterre contrôle l émission de tels billets de banque en exigeant que les banques mettent de côté une livre sterling pour chaque livre écossaise émise, s assurant ainsi que le taux de change 1:1 demeure stable. Les trois banques ont annoncé qu elles déménageraient leurs sièges sociaux à Londres si l Écosse se séparait.
2 Lorsqu un gouvernement est incapable de maintenir la confiance dans la monnaie du pays, pour des raisons politiques, il arrive qu il adopte une autre monnaie en qui les gens ont confiance afin qu elle soit utilisée comme intermédiaire d échange, réserve de valeur et unité de compte. La deuxième caractéristique d une monnaie efficace est qu elle doit agir comme réserve de valeur afin de pouvoir être efficace comme intermédiaire des échanges. Cela veut dire que la valeur de la monnaie doit être stable pour que les gens acceptent de la conserver entre le moment où ils reçoivent la monnaie pour biens ou services rendus (par exemple, leur salaire) et l utilisent pour acheter d autres biens et services (par exemple, le loyer et la nourriture). 2 Autrement dit, la monnaie doit maintenir son pouvoir d achat. Dans les pays où l inflation est très élevée, les gens tendent à dépenser leur salaire dès qu ils le reçoivent parce que les prix augmentent continuellement, ce qui veut dire qu ils n ont pas vraiment la possibilité d épargner. 3 Un faible taux d épargne est de façon générale associé à un niveau d investissement peu élevé, puisque c est l épargne qui finance l investissement. En conséquence, le développement économique s en trouve limité. Le fait que les salaires sont rarement ajustés au rythme de l inflation dans les pays où cette dernière est élevée constitue également un frein à l activité économique, puisque le pouvoir d achat des consommateurs diminue graduellement et donc leur consommation. La troisième et dernière caractéristique de la monnaie est qu elle agit comme unité de compte, ce qui veut dire qu elle permet de mesurer de façon commune la valeur d un bien ou service échangé. En d autres termes, l acheteur et le vendeur peuvent facilement s entendre sur le prix d un bien ou service. Par exemple, si la monnaie d échange était plutôt de simples pièces d or, il faudrait alors mesurer la quantité et le poids de chaque pièce lors de chaque transaction. À nouveau, cela représenterait un frein à l activité économique, à moins que les pièces d or soient uniformisées et certifiées par une autorité reconnue, comme le gouvernement par exemple. La fonction d unité de compte de la monnaie facilite également la comptabilité des revenus et dépenses pour les ménages, entreprises et gouvernements. En somme, une monnaie qui performe ces trois fonctions de façon efficace constitue un élément clé du développement économique du territoire où elle circule (le plus souvent un pays). C est pourquoi depuis le 18 e siècle, les gouvernements tentent de contrôler tous les aspects de la monnaie, du design des billets de banque et pièces jusqu à la politique monétaire qui gère la création de monnaie sous toutes ses formes. Le but ultime de ce contrôle est d établir un climat de confiance dans la monnaie du territoire. Lorsqu un gouvernement est incapable de maintenir la confiance dans la monnaie du pays, pour des raisons politiques, il arrive qu il adopte une autre monnaie en qui les gens ont confiance afin qu elle soit utilisée comme 2 2. Un bien périssable, par exemple, ne peut pas être une monnaie d échange efficace puisque sa réserve de valeur est très limitée dans le temps. 3. Les seules qui ont les moyens d épargner sont ceux qui sont assez riches pour acquérir des biens immobiliers (de bonnes réserves de valeur en général) ou pour sortir leur argent du pays et l investir dans des monnaies stables.
3 intermédiaire d échange, réserve de valeur et unité de compte. Par exemple, l Équateur et le Salvador ont adopté le dollar américain comme la monnaie du pays parce que leurs gouvernements n arrivaient pas à contrôler l inflation et maintenir les prix relativement stables. 4 Pour des raisons économiques, de très petits pays comme Andorre, Monaco ou le Saint-Siège adoptent également une autre devise comme monnaie nationale (l euro dans ces trois cas) puisque le coût de créer et gérer une monnaie purement nationale en dépasse les bénéfices, d autant plus que leur économie est étroitement intégrée à celle du plus grand pays qui les entourent. Si l Écosse se sépare du Royaume-Uni, son gouvernement devra premièrement se demander si l Écosse veut avoir sa propre monnaie nationale ou si elle utilisera celle d un autre territoire. Lorsqu un pays décide d adopter une devise étrangère afin de se procurer une monnaie qui est bonne pour l économie, le choix s effectue la plupart du temps en fonction de l importance des échanges commerciaux et financiers internationaux effectués dans cette monnaie. C est pourquoi, par exemple, l Équateur et le Salvador ont choisi le dollar américain alors qu Andorre et Monaco ont plutôt choisi l euro. En principe, plus des économies sont intégrées, plus il est logique qu elles partagent une même monnaie. La monnaie de l indépendance pour l Écosse Si l Écosse se sépare du Royaume-Uni, son gouvernement devra premièrement se demander si l Écosse veut avoir sa propre monnaie nationale ou si elle utilisera celle d un autre territoire. Si la décision est d adopter (ou d importer) une monnaie étrangère, alors le gouvernement devra vraisemblablement choisir entre la livre sterling (le statu quo) ou l euro. Le choix le plus simple est certainement de continuer à utiliser la livre sterling en Écosse. Celle-ci circule déjà sur le territoire et performe de façon très efficace les trois fonctions d une bonne monnaie mentionnées ci-dessus. Elle a déjà la confiance des Écossais. De plus, en continuant d utiliser la livre sterling, l Écosse n encourrait aucun coût de transition vers une nouvelle monnaie. Les coûts de la mise sur pieds d une nouvelle monnaie sont nombreux : adoption de lois; création d une banque centrale; création d un système des paiements; design et introduction des billets de banque et pièces métalliques; conversion des contrats; conversion des systèmes informatiques et comptables; conversion des guichets bancaires automatiques et machines distributrices. A ces coûts directs, s ajoute le coût indirect du manque de confiance dans la nouvelle monnaie. Celle-ci va devoir bâtir sa réputation et prouver aux Écossais qu elle performe les trois fonctions d une monnaie de façon efficace. D ici là, le manque de confiance risque d agir comme un frein à la croissance économique du nouveau pays indépendant en nuisant à la consommation et à l investissement. 4. Dans les pays riches comme le Canada, la stabilité des prix correspond à une inflation d environ 2 %. 3
4 Si l Écosse conservait la livre sterling comme monnaie, alors ce serait la Banque d Angleterre qui dirigerait la politique monétaire de l Écosse, comme elle le fait actuellement. De plus, l impact du manque de réputation monétaire va se faire sentir dès qu une majorité d Écossais aura voté en faveur de l indépendance, à moins que le gouvernement n annonce clairement à l avance que l Écosse conservera la livre sterling ou adoptera l euro. La raison est que l introduction d une nouvelle monnaie non seulement coûte cher mais elle prend également du temps. Par exemple, la création de l euro et de son système monétaire a pris cinq ans, soit de 1994 à A cela se sont ajoutées trois années pour l introduction des billets de banque et pièces de monnaie, soit de 1999 à Bien qu il y ait des inconvénients à l introduction d une nouvelle monnaie, il y a aussi des avantages. En plus de représenter l identité nationale, ce qui peut être très important pour un nouveau pays, 5 une nouvelle monnaie nationale permet au gouvernement de contrôler la politique monétaire et d ainsi influencer l évolution de l économie. Par l entremise de la banque centrale et des taux d intérêt, le gouvernement rend les conditions de crédit plus difficiles ou plus faciles selon si l économie croît trop rapidement et qu il y a risque d inflation ou si l économie tourne au ralenti ou est même en récession. Lorsqu un pays ou territoire adopte une autre monnaie, il délègue alors sa politique monétaire au pays ou territoire qui émet et contrôle cette monnaie. Si l Écosse conservait la livre sterling comme monnaie, alors ce serait la Banque d Angleterre qui dirigerait la politique monétaire de l Écosse, comme elle le fait actuellement. Cependant, suite à l indépendance de l Écosse, la Banque d Angleterre n aurait plus à tenir compte de la situation économique de l Écosse lorsqu elle décide de sa politique monétaire. Cela veut donc dire que la politique monétaire britannique sera moins adaptée à la situation économique écossaise, à moins que l évolution des économies écossaise et britannique (surtout anglaise) ne soit synchronisée. Par exemple, si les deux économies croissent ou ralentissent plus ou moins au même rythme, alors la politique monétaire de la Banque d Angleterre devrait bien servir l économie écossaise. Cependant, si l Écosse est en récession alors que le Royaume-Uni est en croissance, alors la politique monétaire britannique sera trop restrictive pour l économie écossaise, c est-à-dire que les taux d intérêt vont être trop élevés. En conséquence, l activité économique ralentira encore plus et il y aura plus d Écossais au chômage. À l inverse, si l économie écossaise tourne à un rythme plus rapide que l économie britannique, alors les taux d intérêt ne seront pas assez élevés pour empêcher une poussée inflationniste en Écosse. Cela voudra dire que les prix en Écosse vont croître plus rapidement qu au Royaume-Uni et qu en conséquence, l économie écossaise risque de devenir relativement moins compétitive et ainsi voir sa croissance à long terme affectée négativement C est pourquoi on retrouve presque toujours des symboles nationaux (roi ou reine, personnages ou scènes historiques, paysages, animaux, etc.) sur les billets de banque et les pièces de monnaie.
5 C est pourquoi il est très important que des économies soient très bien intégrées lorsqu elles partagent une même monnaie. Si l Écosse décidait d adopter l euro plutôt que la livre sterling, alors le risque associé à la délégation de la politique monétaire serait le même. Tout dépend du degré d intégration de l économie écossaise à l économie de la zone euro par rapport à l économie britannique. Selon La Commission fiscale créée par le gouvernement écossais pour étudier les questions économiques de l indépendance (Fiscal Commission Working Group 2013), l intégration de l économie écossaise est beaucoup plus grande avec l économie du reste du Royaume-Uni qu avec celle de la zone euro, autant en termes de commerce et finance que de synchronisme des cycles économiques. C est d ailleurs pour cette raison qu elle recommande qu une Écosse indépendante conserve la livre sterling comme monnaie. Si la livre sterling semble être le meilleur choix d un point de vue économique pour l Écosse si cette dernière se sépare du Royaume-Uni, il y a un enjeu auquel les dirigeants écossais vont devoir trouver solution : que faire en cas de crise financière? Tant que l Écosse demeure au sein du Royaume-Uni, c est la responsabilité du gouvernement britannique et de la Banque d Angleterre de venir à la rescousse des banques et même du gouvernement écossais. Par exemple, dans la foulée de la récente crise financière mondiale, la Royal Bank of Scotland et la Halifax Bank of Scotland (HBOS), via la banque Lloyds qui en est propriétaire, faisaient toutes les deux face à la faillite et, en conséquence, ont dû être secourues par le gouvernement britannique et la Banque d Angleterre. 6 Il est certain que si l Écosse se sépare du Royaume-Uni, elle perdra un prêteur de dernier recours important. Elle pourra toujours se tourner vers le Fonds monétaire international (FMI), mais il est peu probable que les conditions d aide seront aussi bonnes. 7 En somme, le maintien du statu quo monétaire pour une Écosse indépendante semble être la meilleure option puisque les coûts de transition sont inexistants et le prix à payer en terme de délégation de la politique monétaire est faible en raison du haut degré d intégration de l économie écossaise avec le reste de l économie britannique. En somme, le maintien du statu quo monétaire pour une Écosse indépendante semble être la meilleure option puisque les coûts de transition sont inexistants et le prix à payer en terme de délégation de la politique monétaire est faible en raison du haut degré d intégration de l économie écossaise avec le reste de l économie britannique. 6. Le gouvernement britannique est d ailleurs devenu le principal propriétaire des banques suite à leur recapitalisation. 7. La situation serait la même si l Écosse adoptait sa propre monnaie, bien que sa nouvelle banque centrale aurait toujours la possibilité de créer de la monnaie pour l injecter dans le système bancaire et ainsi éviter de recourir à une assistante externe. La crise bancaire suédoise du début des années 1990 démontre qu un petit pays avec sa propre monnaie peut faire face efficacement à une crise bancaire. Cependant, le cas de l Islande durant la crise financière mondiale démontre le contraire. Tout dépend de la taille des banques et de la gravité de la situation. Si l Écosse adoptait plutôt l euro, elle aurait alors l appui de la Banque centrale européenne, du Mécanisme de stabilité financière et du FMI, comme ce fut le cas pour l Irlande par exemple. 5
6 Lors du référendum de 1995, Jacques Parizeau avait raison de dire aux Québécois qu ils continueraient à utiliser le dollar canadien au lendemain du référendum. Conclusion Si une majorité d Écossais vote en faveur de l indépendance le 18 septembre prochain, la livre sterling continuera fort probablement de circuler librement dans les rues d Édimbourg et autres villes et villages d Écosse. Cependant, cette situation pourrait être d une durée limitée si l Écosse tient à demeurer au sein de l Union européenne (UE) ou à la réintégrer. 8 Dans les deux cas, il est presque assuré que les dirigeants de l UE vont exiger de l Écosse qu elle adopte l euro dans le cadre de son adhésion, comme tout nouveau pays qui se joint à l UE puisqu il s agit d une obligation légale, à moins d avoir une dérogation constitutionnelle comme le Danemark et le Royaume-Uni. La seule option pour les dirigeants écossais sera alors de ne pas respecter un des critères d adhésion à l euro, comme le fait par exemple la Suède. 9 Qu est-ce le cas de l Écosse veut dire pour le Québec? Si on compare les deux situations, ce qui semble très légitime compte tenu de la taille des deux territoires et du niveau de leur développement économique, on peut facilement conclure qu un Québec indépendant serait mieux de conserver le dollar canadien plutôt que d envisager de créer sa propre monnaie ou d adopter le dollar américain. Comme l Écosse vis-à-vis le Royaume-Uni, l économie du Québec est beaucoup plus intégrée au reste du Canada, notamment l Ontario, qu elle ne l est avec l économie américaine. Lors du référendum de 1995, Jacques Parizeau avait raison de dire aux Québécois qu ils continueraient à utiliser le dollar canadien au lendemain du référendum. Le prix à payer est qu ils perdraient alors toute influence sur la politique monétaire du Canada, qui risque tout de même d être un peu moins adaptée à la situation économique d un Québec indépendant. De plus, l indépendance du Québec voudrait dire que ce dernier perdrait toute garantie d assistance que la Banque du Canada et le gouvernement fédéral peuvent offrir en cas de crise financière. En somme, d un point de vue strictement monétaire, il est clair que l indépendance ne procure aucun avantage, au contraire. Si la meilleure option est de conserver la monnaie du pays qu on délaisse, l indépendance correspond à la perte d influence sur la politique monétaire ainsi qu à la perte de la garantie financière offerte par la banque centrale et le gouvernement fédéral (ou central). Référence Fiscal Commission Working Group, «First Report Macroeconomic Framework», Edimbourg, The Scottish Government, ( Il n est pas encore clair si après l indépendance l Écosse pourra devenir membre de l Union européenne automatiquement ou si elle devra en faire la demande comme tout pays qui désire se joindre à l UE. 9. La Suède évite de se joindre à l euro en ne fixant pas la valeur de la couronne à l euro et en ne devenant pas ainsi membre du Mécanisme d échange européenne (SEE). Comme il est très peu probable que la Grande-Bretage accepte de fixer la livre à l euro et adhérer au SEE, l Écosse a de bonnes chances d éviter d avoir à adopter l euro.
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