CONTES, LÉGENDES ET CRÉATURES FANTASTIQUES

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1 L ECHO DE FRANCHE-COMTÉ CONTES, LÉGENDES ET Automne-Hiver 2012 n 47 IBSN CRÉATURES FANTASTIQUES DE FRANCHE-COMTÉ BULLETIN DE LA DÉLÉGATION RÉGIONALE DE LA SOCIÉTÉ LITTÉRAIRE DE LA POSTE ET DE FRANCE TELECOM DOUBS JURA HAUTE SAÔNE TERRITOIRE DE BELFORT

2 N 47 ÉDITORIAL L ECHO DE FRANCHE-COMTÉ La Franche comté, pays de légendes depuis la nuit des temps, a pu grâce à la pugnacité de ses écrivains nous transmettre des histoires aussi mystérieuses qu extraordinaires. Les plus grands auteurs comtois se sont immergés dans le fantastique et nous ont permis de conserver ce patrimoine de contes et légendes mythiques : marcel ayme, Bernard clavel, Louis PerGaUD, andré BeSSon, robert BIchet, Brigitte rochelandet et bien d autres sans oublier Victor hugo, même s il ne fut comtois qu à sa naissance. Il me semblait intéressant de revenir sur quelques unes de ces créatures chimériques que vous découvrirez dans ce numéro. mais avant cette découverte d un passé irrationnel, revenons en 2012 avec un voyage à mulhouse bien réel lui, et parfaitement organisé pour notre délégation en septembre, par notre ami Jacques Banderier. ensuite Bernard claudon, conteur par excellence, nous propose une nouvelle en liaison avec le très célèbre rebelle Franc comtois Lacuzon. notre historien Guy mollaret, toujours aussi perspicace concernant l histoire Bisontine, nous fait découvrir le siège de Besançon pendant la guerre de 1870, avec comme Gouverneur militaire un marin! notre capitale comtoise est quand même située à plus de 600 kilomètres du premier port, comment un marin était-il venu «s échouer» dans cette «galère»? nos poètes habituels ne sont pas oubliés, et vous retrouverez : maryvonne malivoir-blanche, claude cagnasso, andré Pagès, et Gilles Simmonet. Deux élèves de l École des Beaux Arts, Lindsey VIeGa-carreIra et Baptiste michel ont participé bénévolement à l illustration de ce numéro. nous les remercions de leur collaboration, et souhaitons qu ils puissent continuer à coopérer activement à cette revue. Bonne lecture à tous, GérarD LarGe editorial Gérard LarGe p. 1 VISIte De mulhouse Jacques BanDerIer p. 2 LéGenDeS Franc-comtoISeS (1 ère PartIe) Gérard LarGe p. 11 La Dame BLanche De BonnaY Jacques roullot p. 21 PoéSIe claude cagnasso p. 22 Le PaSSeUr De LéGenDeS Bernard claudon p. 23 PoéSIe maryvonne malivoir-blanche andré PaGeS p. 26 Un marin GoUVerneUr SOMMAIRE militairede BeSançon DUrant La GUerre De 1870 Guy mollaret p. 27 PoéSIe Gilles SImmonet p. 38 Détente p. 39 cartouche p. 40 IllustrAtIons : le dessin de couverture a été réalisé par Lindsey VIeGa-carreIra, la quatrième de couverture ainsi que les illustrations de l article Légendes comtoises sont dues à Baptiste michel. reproduction de texte ou d illustration interdite sans notre autorisation. les auteurs sont seuls responsables des écrits et des graphismes publiés.

3 Notre délégation visite Mulhouse les 20 et 21 septembre ULhoUSe, la ville industrielle par excellence, a su mettre son M«patrimoine en valeur». c est à partir de cette présentation que notre visite est organisée. en réalité, cette belle ville nous a réservé d autres surprises, mais commençons par ce beau matin du 20 septembre, où nous découvrons la cité du train. après une halte salutaire, nous prenons le tram pour nous rendre dans la ville historique où nous avons rendez-vous avec une guide qui nous présente cette ville avec ses nombreuses particularités qui ne manquent pas de nous étonner. Puis, nous explorons le musée historique situé dans l hôtel de Ville. en soirée, c est la visite du journal l alsace qui est au menu. Le lendemain matin, nous nous retrouvons au musée de l automobile afin d admirer la prestigieuse collection Schlumpf. La cité DU train La cité du train abrite une magnifique collection entièrement dédiée à l histoire du chemin de fer, de la locomotive à vapeur à nos jours. Dans le premier espace, un plateau de cinéma de 6000m² nous raconte le siècle d or du chemin de fer. L ensemble est organisé dans un décor d époque, avec des thèmes successifs. Dès la porte franchie, c est le départ en vacances avec un autorail à pneus construit par la firme michelin, et qui n a pas dépassé les années 50. D où l origine du mot «micheline» qui désigne encore aujourd hui les automotrices peintes en rouge et crème que nous avons tous utilisés pour les petits trajets en train. Puis, voici une locomotive équipée d une turbine destinée à dégager la voie, l hiver, sur le réseau de montagne. La période de la guerre est présentée, entre autre, par une impressionnante locomotive à vapeur couchée sur la voie, résultat d un sabotage. Les trains présidentiels ne sont pas oubliés avec des wagons magnifiques aux intérieurs décorés avec soin. 2

4 Dans l un d eux, la scène mythique tirée du roman d agatha christie «Le crime de l orient express»: Dans une cabine ouatée de l express, alors qu une tempête de neige bloque le train en plein cœur de la Yougoslavie, le célèbre détective hercule Poirot résout l assassinat de ce collectionneur d art américain sauvagement assassiné. Découverte de Mulhouse La 232 U1 : la plus moderne des locomotives à vapeur se met en mouvement toutes les 20 mn pour notre plus grande joie. Liliane, perplexe, découvre le Président Paul Déchanel lorsqu il se présente devant la maisonnette du garde barrière, en pyjama, les pieds ensanglantés. Un peu plus loin, une locomotive ouverte nous fait comprendre comment la circulation des gaz chauds part du foyer (au premier plan, à gauche, pour passer dans des tubes de fumée encerclés d eau qui se transforme ainsi en vapeur). Dans un train du PLm (Paris Lyon marseille), nous découvrons l intérieur d une voiture de 4ème classe de cette époque. Dans le deuxième espace, 8 quais de gare nous présentent l évolution des locomotives et des wagons de 1844 à nos jours. Un audio guide nous présente de façon vivante ces «Quais de l histoire». 3

5 Découverte de Mulhouse L une de rares 2D restaurée est préservée à la cité du train de mulhouse. elle a été construite entre 1926 et 1942 et doit son surnom «nez de cochon» à sa face avant. nous découvrons entre-autres: la locomotive Saint Pierre Buddicom, la plus ancienne du musée, datée de 1844 qui effectuait la liaison Paris-rouen. l autorail Bugatti, équipé de quatre moteurs de Bugatti royale a eu un record de vitesse en atteignant 196 km/h en d autres locomotives, plus récentes, nous ramènent quelques années en arrière seulement. L organisation des services postaux ambulants : à bord des 136 wagons constituant en 1885 le parc postal, 2551 agents ont assuré le fonctionnement de 83 bureaux ambulants. au cours de la même année l ensemble des services postaux ferroviaires a parcouru environ km. enfin, une maquette de tgv nous fait découvrir le poste de pilotage tel qu il se présente en réel. VISIte De La VILLe De mulhouse et DU musée historique nous avions rendez-vous avec notre guide place de la réunion, où elle nous a présenté l hôtel de Ville, construit en 1431, détruit par un incendie en 1551 et reconstruit en Le deuxième étage date des années ce bâtiment est devenu musée historique en 1969.cet édifice de la renaissance rhénane à la belle façade peinte, est devenu la parure du patrimoine mulhousien. avant de commencer la visite, notre guide nous parle de l histoire de cette ville, et de ses nombreuses particularités. La ville de mülh-hausen: la maison du moulin (représentée par une roue à aubes) était une propriété de l abbaye Saint etienne de Strasbourg. au cœur du moyen-âge, la rivalité entre les deux seigneurs du lieu tournent parfois au conflit. D un 4

6 Découverte de Mulhouse côté, l évêque de Strasbourg défend des droits qu il a acquis de l abbaye Saint etienne de Strasbourg, de l autre, la famille hohenstaufen prend un avantage certain lorsque l un des siens, Frédéric 1er dit Barberousse devient empereur en Il dotera la ville de mulhouse de ses premiers privilèges. Il y avait 7 corporations également dénommées «tribus». chaque tribu avait son «poêle» (Zunftstube) ou lieu de réunion permanent. La ville devient ville libre au xiiième siècle, puis ville impériale au xvème siècle. Les villes d alsace s unissent en 1354 au sein de la Décapole, puis des traités sont signés avec plusieurs villes Suisses. en 1515 mulhouse clarifie sa diplomatie et abandonne l adhésion à la Décapole au profit d une alliance avec la confédération helvétique. Dès lors, et pour trois siècles, les mulhousiens lient leur destin à celui des Suisses. en 1529, elle est la seule ville réformée d alsace à opter pour les idées du Zurichois Zwingli se coupant ainsi pour longtemps du reste de l alsace, le culte catholique est interdit, cela durera 300 ans. au traité de Westphalie 1648, toute l alsace devient française sauf mulhouse. au particularisme politique et religieux, succède un dynamisme économique très important avec de nombreuses entreprises textiles, mécaniques et chimiques (en 1798, sa population est de 8000 habitants, en 1914, elle atteint âmes). afin de protéger les tisseurs de laine, soie, lin et chanvre, l entrée et la fabrication en France des toiles de coton est interdite par l édit du 26 octobre De nombreux négociants et artisans huguenots qui avaient été persécutés à partir de 1680 s étaient exilés en Suisse où ils avaient installés les premières manufactures d indiennes. cette fabrication gagne mulhouse, alors ville alliée aux cantons suisses. La ville comptera quinze manufactures d indiennes en 1768 et deviendra ainsi une capitale européenne du coton. La ville de mulhouse met fin à cette singularité en devenant Française en Deux familles restent hostiles à ce projet et les façades de leurs maisons garderont un témoignage des héros suisses, et de leurs blasons. Puis, nous découvrons, entre autres: La maison de la corporation des Vignerons avec son blason représenté par trois serpettes. La vigne a été jusqu au xviii ème siècle l une des principales richesses de la ville. La maison natale de Jean-henri Lambert qui a été l un des plus célèbres savants de son temps. on lui doit la projection cartographique qui porte son nom ainsi qu un théorème La maison Loewenfels, hôtel particulier du financier Feer, construit entre 1764 et Le temple Saint etienne, construit en 1866 sur l emplacement de l ancienne église du xii ème siècle, avec sa hauteur de 97m; c est le bâtiment protestant le plus haut de France. Le musée historique de mulhouse que nous avons visité ensuite retrace l histoire de la haute-alsace, de la Préhistoire à la révolution industrielle. Le passé de la ville est présenté à travers poteries, bijoux, monnaies, armes, jouets... au premier étage, la salle du Grand conseil accueille les séances du conseil municipal dans un environnement luxueux, fait de plafonds à caissons, de lambris et de vitraux complétés par des peintures anciennes. À l intérieur du musée, nous avons fait plus ample connaissance avec l un de ses objets symboliques : La pierre des bavards, «Klapperstein». 5

7 Découverte de Mulhouse tête en pierre d un poids de 12 kg servant pour le châtiment des petits délits de calomnie, du xvii ème siècle à Un cadenas, aujourd hui disparu se refermait symboliquement sur la langue. «en guise de punition de leurs nombreux bavardages, de l ample usage qu elles font de paroles grossières, insultantes, médisantes et injurieuses, et en vue de servir d exemple à d autres, ces femmes ont été condamnées à porter le lasterstein». VISIte DU JoUrnaL L alsace Le PaYS 6 Il est 19h30, nous sommes très bien accueillis par le responsable Développement commercial du groupe alsace. Dans un premier temps, thomas, c est son prénom, nous présente le journal l alsace qui fait partie du groupe de presse le plus important de France qui couvre l est, du nord à la Provence. en voici quelques éléments : naissance du journal le 24 novembre 1944, un alsacien sur deux lit le journal l alsace, plus de 400 collaborateurs dont une rédaction de 130 journalistes ; 600 correspondants locaux ; 180 pages fabriquées par jour ; exemplaires fabriqués par jour ; 32 millions de journaux portés par an. Un cocktail de bienvenue termine cette première partie de la visite. entre temps, tout s est mis en place et la visite peut commencer : sur les rotatives, les techniciens procèdent aux derniers réglages de l impression en cours. nous traversons le premier bâtiment avec ses salles de rédactions vides où seulement deux journalistes encore présents mettent la dernière virgule, font la dernière mise en page d une édition qui sera imprimée quelques heures plus tard. Dans la partie technique, tout est gigantesque :

8 Découverte de Mulhouse le dépôt où est stockée la quantité de papier nécessaire à trois jours de production. ces bobines (chacune pèse environ 1000 kg) empilées les unes sur les autres forment des piliers dignes des temples anciens. La salle des rotatives est composée de plusieurs éléments. chacun d eux correspond à une couleur primaire et l ensemble donne un journal en couleur. Lorsque nous arrivons dans cette salle, les rotatives tournent déjà. Les derniers réglages minutieux des variations de couleurs sont effectués avant le lancement des rotatives à grande vitesse. Les journaux, pliés, sont transportés sur de grandes chaines qui les emportent vers l endroit où ils seront stockés sur de grandes roues, chaque édition étant stockée à part. certaines iront vers une machine qui placera les ajouts publicitaires qui seront intégrés en supplément au centre du journal. D autres iront directement vers la machine afin de les mettre sous film plastique individuel pour envoi par la Poste ou par paquets qui sont destinés aux porteurs. au nom de tous les participants : merci thomas! nous avons tous apprécié l organisation de notre réception, la disponibilité et le professionnalisme de thomas, notre guide qui a su nous expliquer les rouages de cette «belle mécanique» tout en restant continuellement à notre portée. Je remercie également christine, la fille de l un de nos adhérents, qui est à l origine de cette visite. 7

9 Découverte de Mulhouse notre groupe, au grand complet, dans la salle des expéditions. cité De L automobile musée national collection SchLUmPF Le passé de ce fabuleux musée est hors normes : Fritz Schlumpf, patron d une usine de textile, est un passionné de voitures européennes de prestiges. capable d acheter jusqu à 40 modèles à la fois, il amasse ses trésors à huit clos dans les locaux de la filature : 400 automobiles de rêve sont ainsi installées dans une salle de m², ornée de lampadaires 1900, répliques de ceux du pont alexandre III à Paris. en 1977, crise du textile, licenciements, troubles sociaux, faillite, jugement : le musée est acquis par une association et ouvert au public en Sur deux pages, je ne peux que vous donner quelques petits aperçus de cette magnifique exposition. au cours de cette visite, chaque véhicule nous apporte des informations sur l évolution automobile qui est passée de la voiture à vapeur à nos voitures actuelles. Georges Richard Tonneau Poney Série E, 1897, France. 1 cylindre, 4CV, 750 cm 3, 30 km/h. Les premiers Poney étaient vendus avec un guidon de direction hérité de l activité cycliste de la marque. Le volant était proposé en option pour la somme de 60 francs. 8

10 Découverte de Mulhouse et pendant ce temps, claude essaie de faire démarrer à la manivelle une citroen torpédo de Panhard-Levassor Tonneau Type B, 1902, France. 4 cylindres, 10 CV, 2411 cm 3, 65 km/h. Les archives de la firme mentionnent que l acheteur de ce type B bénéficia d une remise de 400 francs pour avoir assuré lui-même le montage de la carrosserie. Les petites affichettes situées devant chaque véhicule nous apporte des informations très interessantes, ainsi, devant le cabriolet 540K Benz de 1938, nous apprenons que mercédes est le prénom de la fille d emile Jellinek, un passionné d automobile qui baptisa ainsi le nouveau modèle qu il produisit en collaboration avec Daimler, d où l origine de la marque mercedes-benz. Un peu plus loin, dans le quartier des voitures modernes (après 1945) devant la citroën DS 23 de 1975 un détail nous apprend que la suspension hydropneumatique de la DS lui permettait de rouler sur trois roues: c est cette qualité qui sauva la vie du Général de Gaulle lors de l attentat du Petit clamart. Voilà le travail! Un espace course regroupe une exposition de modèles sportifs exceptionnel sur une piste de départ de Formule 1. La visite se termine par l espace réservé aux «chefs d œuvres de l automobile»; de nombreuses Bugatti, que Fritz Schlumpf a rassemblé avec passion sont entourées de voitures aux noms prestigieux. 9

11 Découverte de Mulhouse Bugatti «Royale» Coupé Type 41, 1929, France. 8 cylindres, 300 CV, cm 3, 200 km/h. Cette voiture est le châssis prototype de la série des Royales, sa carrosserie fut dessinée par Jean Bugatti alors âgé de 20 ans. C était la voiture personnelle d Ettore Bugatti. VOISIN Type MI, 1919, France. 4 cylindres, 16 CV, 3969 cm 3, 60 km/h. ISOTTA-FRASCHINI, Landaulet, Type 8A, 1928, Italie. 8 cylindres, 120 CV, 7373 cm 3, 130 km/h. HISPANO-SUIZA Cabriolet J12, 1933, France. 12 cylindres, 9424 cm 3, 200 CV, 140 km/h. À la sortie une collection de tracteurs Buldog Lanz nous a également replongé dans notre passé. Jacques BanDerIer Sources: La plaquette du Musée Historique de Mulhouse; le guide vert «Alsace»; le guide Michelin «Patrimoine industriel de France» ; les documents affichés ou distribués sur les sites visités; les photos sont de Jacques Banderier. 10

12 LÉGENDES DU PAYS COMTOIS légendes du pays comtois, belles légendes Dont on entend toujours les échos dans nos brandes. sur le bord de nos lacs, au sommet des monts roux Et dans ce terroir où l on se sent chez nous légendes du pays comtois, pures merveilles Dont les sens enchanteurs charmèrent tant d oreilles, Et qu on dédaigne, hélas! avec un cœur léger ; légendes de Comté, qui venez voltiger Autour de maints rêveurs qu attire le mystère Et qu ému le poète écoute, solitaire ; Vous dont s entretenait nos pères autrefois Et dont ils s imprégnaient, en contant leurs exploits, Vous que les mères-grands, filant leurs quenouillées, racontaient aux petits enfants dans les veillées ; légendes dont les noms évoquent tant d espoirs, tant de fiers souvenirs, tant de ténébreux soirs, tant de rêves, d amours, de frayeurs, de chimères ; Vous qui longtemps après avoir charmé nos mères Déposaient dans les cœurs l amour du merveilleux Et donnaient à la vie un sens mystérieux. Ô légendes! Je vous évoque avec tendresse ; Vous Mélusine, femme serpent, douce et traitresse ; Vous, esprits qui glissiez sur l haleine des vents Et vous, petits lutins et vous esprits servants Qui travaillez si bien, la nuit, au fond des granges ; Et vous dragons puissants aux structures étranges, Vous qui ne recherchiez que rapts et combats ; Et vous affreux sorciers qui teniez vos sabbats En des endroits déserts pour un œuvre exécrable Et qui pervers et nus, dansiez avec le diable ; Et vous noirs revenants, effroyables damnés Qui au fond des Enfers arrivez décharnés ; Et vous, lasses jamais d augmenter vos trophées, Qui partout dispensiez le bonheur : tendres fées ; Et vous bons farfadets, et vous doux ménestrel, Qui ne pouvant fléchir un père cruel, Vous voyiez séparé d une vierge adorée, Vous dont l Amour illustra la contrée Et vous, vains loups garous que l on redoute tant ; Et vous qui soudain apparaissez : satan Vous qui ne respiriez que trouble et qu imposture Et ne cherchiez que pacte infernal à conclure ; Et vous, bel oiseau dont les merveilleux chants ravissaient l auteur pendant plus de cent ans ; Et vous folâtre essaim : Dames blanches ou vertes Qui hantiez les manoirs et les maisons désertes ; Et vous enfin, Vouivre à l escarboucle d or Qui ne vous sépariez de ce rare trésor Qu en vous désaltérant au cours d une eau limpide Et qui, lors, sentiez l homme aussi charmé qu avide D être le conquérant de cette autre toison!... légendes de Comté dont, en chaque maison, Depuis les bords de l Ain, du Doubs, de la saône Jusqu au-delà des monts où bouillonne le rhône, l esprit de nos aïeux avivait les couleurs Vous êtes du terroir les plus riches des fleurs. Vous nous en révélez le don de poésie ; sous une forme aimable imagée et choisie Vous nous en exprimez la grâce et la splendeur. oh! Que ne puis-je un jour, pris d une noble ardeur, Dans un poème aimé vous regrouper, Ô légendes! Et, parmi les festons, entrelacs et guirlandes Dont j ornerais mes vers, voulus beaux et touchants, Vous faire étinceler comme des diamants! oh! Que ne puis-je alors, sans hâte ni superbe, Ayant harmonisé mon odorante gerbe, répandre sur le monde un peu plus de beauté, Et sur vous plus d Amour, Ô ma chère Comté! alphonse GaILLarD 11

13 Contes et légendes LE BESTIAIRE FANTASTIQUE Notre Franche comté fut pendant des siècles une terre propice aux histoires extraordinaires peuplées de créatures merveilleuses ou parfois monstrueuses. cette contrée montagneuse, couverte de forêts d épicéas se reflétant dans les eaux sombres des nombreux lacs, semble le territoire de prédilection pour les personnages chimériques tels nos célèbres vouivre et tante Arie, et aussi les sirènes, licornes, fées, diables, sorcières, loups garous, sans oublier les lutins du pays comtois: fouletots et luttons des êtres mystérieux sortis tout droit de l imaginaire des hommes. ces créatures mythiques donnèrent naissance à d extraordinaires légendes renforcées par les croyances religieuses issues du moyen age. effectuons un petit retour en arrière de trois ou quatre siècles pour mieux s imprégner de l atmosphère. Dans une chaumière comtoise, le soir à la veillée: les femmes filent, cousent ou brodent, les hommes tressent des paniers ou dépouillent 1 des épis de mais, et pendant ce temps là, le grand-père (ou la grand-mère) conte lentement, pour des oreilles attentives, ces vieilles histoires transmises par les aïeux depuis des générations. Il est bien évident qu au fil du temps, avec le bouche à oreille, ces racontottes 2 ont beaucoup évoluées, la même légende diffère considérablement selon les lieux et les époques où elle est racontée. c est pour cette raison qu à la fin du xix e siècle, principalement charles uriet, mais aussi arnold Van Gennep, Désiré monnier, Léon Dusillet et bien d autres, eurent la volonté de matérialiser ces contes populaires, qui resteront pour notre postérité les racontottes Francs Comtoises. «Quand les hommes avaient encore des yeux ingénus, quand restait entier le mystère des monts et des forêts, nul pays plus que le nôtre n était naturellement fait pour abriter les fées et les génies de toute sortes, pour développer ce que j appellerais l esprit féerique.» camille aymonier légendes et traditions de la Franche -Comté mais, revenons à notre Vouivre: du latin vipéra (vipère) c est une femme serpent, ou une femme oiseau aux ailes métalliques couvertes d écailles multicolores, un animal mythique qui revêt très souvent des formes variées. elle est pourvue d une énorme mâchoire aux dents acérées dont la particularité est de cracher le feu, son autre spécificité étant son escarboucle, une sorte d œil unique, dont les couleurs peuvent varier du jaune au grenat selon les circonstances. c est la pierre des connaissances secrètes, la pierre du dragon, à la fois magique et maléfique, pierre de feu dotée de pouvoirs aussi extraordinaires que surnaturels, ce joyau a toujours conduit à leur perte les hommes qui rêvaient de se l approprier. ce serpent ailé possède deux voire quatre pattes griffues pour mieux emporter ses proies, il glisse dans l air comme une étoile filante en survolant les villages, toujours à la recherche d un lieu propice à la 1. Dépouillent :opération qui consiste à retirer les feuilles qui enveloppent les épis de maïs. 2. Racontottes: histoire ou légende comtoise que l on raconte souvent le soir à la veillée. 12

14 Contes et légendes baignade. Sinon la Vouivre vit dans une grotte au cœur de la forêt, ou dans des failles de rochers, et quand elle s immerge dans les eaux claires des rivières ou des étangs, elle pose alors son escarboucle sur la rive. c est à cet instant que les hommes ont toujours essayé de s en emparer par cupidité! 3 malheur à celui qui réussit, trois jours plus tard, il meurt brusquement de langueur, sans aucune explication. qui se dressa contre les armées de Louis xiii pendant la guerre de trente ans, prétendait avoir une Vouivre pour marraine. Faut-il voir là, un symbole de liberté et de révolte concernant ce perpétuel insoumis? Dans son célèbre roman, la Vouivre, marcel ayme nous apporte la vision d une sauvageonne indépendante, éternellement jeune, désirable, qui vit avec sa meute de serpents. cette histoire fantastique, grâce à marcel aymé, est ancrée dans le quotidien des paysans comtois dont on découvre ainsi les mœurs mais surtout les travers, une peinture détaillée des acteurs de la vie rurale. Le film de Georges Wilson, tiré de cette légende, se termine par une belle femme nue, reine des serpents, qui disparaît dans un étang au soleil couchant abandonnant un homme et une femme piqués mortellement par les reptiles. ce personnage étrange et fascinant intrigue le spectateur et l entraine dans un voyage initiatique, au cœur d un univers imaginaire, dont chacun devra tirer son interprétation personnelle. «s étant ébrouée et étirée dans le soleil, elle monta (ndlr : La Vouivre) sur la vanne et siffla les serpents, mais trop tard. Arsène et Escarboucle de la Vouivre origine de l escarboucle: «Chaque année, le 13 mai au crépuscule précisément, toutes les espèces de serpents se retrouvent, ils se réunissent en sifflant, et forment une énorme sphère. Chacun crache alors une liqueur jaunâtre brillante, qu il a sous la langue. les deux plus grosses vipères forment, avec cette liqueur, une boule pâteuse qu elles finissent par pousser à l eau, et qui va durcir pour devenir l escarboucle d une Vouivre.» D autres sources affirment que l escarboucle est retirée du cerveau des dragons, lorsqu ils sont décapités vivant par des hommes courageux! notre célèbre rebelle jurassien, le capitaine Lacuzon, Affiche du film La Vouivre 3. voir la nouvelle de Bernard Claudon LesMilleEtangs Echo N

15 Contes et légendes Belette ne remuaient plus. l homme était étendu sur le dos, les épaules calées par une petite butte de terre et tenait la fille embrassée. Il serrait d une telle force que la Vouivre dut renoncer à dénouer l étreinte de ses bras» extrait du roman la Vouivre de marcel aymé. Si la Franche comté est de loin la région où les histoires de Vouivres sont les plus nombreuses, ces dernières apparaissent aussi en Bourgogne (morvan) où elles se couvrent d anneaux d or, dans les alpes où elles se coiffent d une couronne de diamants lumineux, de même dans les Pyrénées, ce sont très souvent des régions montagneuses. Une légende de La Vouivre, liée à la naissance de notre rivière la Loue 4 s est transmise dans nos chaumières pendant des générations. la légende de la loue: «A l entrée de la grotte où nait actuellement la loue ne suintait à l origine qu un très mince filet d eau, cette caverne étant la demeure d une louve solitaire. Au printemps, après la période des amours, elle mit au monde deux magnifiques louveteaux. une Vouivre rôdait dans les alentours, la faim au ventre, alléchée par l odeur des deux petits. Mais la louve veillait, ne quittant pas des yeux sa progéniture. Avec le temps, la faim la tenaillant chaque jour un peu plus, n y tenant plus, elle finit par aller chasser dans la forêt voisine laissant ses louveteaux sans surveillance. la Vouivre qui guettait le moment propice, se précipite alors sur les chérubins; elle n en fait qu une bouchée, et rassasiée après ce plantureux repas, s endort sur le lieu de son crime. A son retour, la louve découvrant le drame pousse un hurlement terrifiant et se jette sur la coupable. s en suit un combat de titans entre les deux ennemies, la louve mordant et griffant, la vouivre crachant du feu et lacérant son adversaire. la bataille fit rage pendant des heures, et alors que les deux adversaires étaient épuisés, la Vouivre perd soudainement son escarboucle qui se brise en mille éclats brillants sur les rochers. Ces derniers se transforment aussitôt en millions de gouttelettes d eau scintillantes donnant naissance à un torrent dont le flot impétueux emporte les deux combattants. Pour témoigner leur reconnaissance à cette courageuse louve qui les avait débarrassés de cette maudite Vouivre, les villageois baptisèrent cette magnifique rivière : la louve, un patronyme qui avec le temps perdit une lettre pour devenir la loue.» Source de la Loue la Vouivre de Vaugrenans : «la châtelaine de Vaugrenans, dont la beauté était légendaire, ayant commis de nombreux péchés: orgueil, vanité, infidélité, se métamorphosa en Vouivre à son décès et fut condamnée à errer autour du château. Mais elle terrorisait les habitants du village et des alentours, elle agressait les fermiers et les voyageurs, crachait des flammes, leur faisait endurer mille tourments. si bien que le nouveau châtelain, son fils Georges, fut contraint de débarrasser ses sujets de cette calamité. Bien que cet acte semblait indispensable, il fit apparaître en lui un cruel dilemme : il devait supprimer sa propre mère pour le bien de ses sujets? Au petit matin, il se posta donc dans le chemin où la Vouivre, sa mère, avait l habitude d apparaître, 4. LaLoue: rivière jurassienne née d une résurgence du Doubs, curiosité géologique décelée accidentellement lors de l incendie du dimanche 11 aout 1901 à Pontarlier. Cette catastrophe obligea une distillerie pontissalienne à ouvrir ses cuves et déverser des centaines d hectolitres d absinthe dans le Doubs pour éviter la propagation des flammes aux maisons environnantes. Ce jour là, les soldats en garnison à Pontarlier, profitant de l aubaine, en buvaient dans leur casque au beau milieu de la rivière! Deux jours plus tard, la source de la Loue jaillissait de la même couleur avec une forte odeur anisée. 14

16 Contes et légendes bien décidé à mettre fin à ses méfaits. le combat fut gigantesque, et après de longues heures Georges, juché sur son cheval blanc, parvint enfin à décapiter le monstre, tel st Georges terrassant le dragon. Mais après avoir sauvé ses villageois, par ce geste, aux yeux de Dieu il était devenu un matricide, et pour cet acte il devait payer. Après un tel crime, la sentence était bien connue, il devait périr par le feu! Coupable, il accepta son jugement sans broncher, confectionna son bûcher, et disparut un soir dans un nuage de fumée. le lendemain matin, une jeune bergère passant devant le reste du bûcher, trouva au milieu des cendres une belle pomme de paradis, qu elle s empressa de consommer bien entendu! Miracle de l Immaculée Conception, neuf mois après elle accoucha d un superbe garçon. Quelques semaines plus tard alors que la marraine tenait l enfant sur les fonds baptismaux, le prêtre posa la question habituelle: comment se prénomme cet enfant? Avant que la maman n ait eu le temps de répondre, la voix grave du bébé se fit entendre: Je m appelle Georges et c est ma seconde naissance!» ndlr: cette légende est sans doute inspirée de celle de St Georges qui avec son épée terrassa le dragon. cette histoire de la Vouivre du château de Vaugrenans* existe sous différentes versions. La VoUIVre : Légende du val d amour Au ciel houleux dérive une lune de cuivre; Dans son manteau nocturne, au loin la plaine dort; Deux ombres sur le lac ont paru se poursuivre; Comme un brusque oiseau noir monte un long cri de mort. Car c est l heure où, baignant son corps gluant, la Vouivre Jalouse de garder son escarboucle d or, Œil unique à son front monstrueux, s en délivre Pour un très court instant dans les herbes du bord. Prends garde! Chevalier qui, dans ta barque frêle, Guette pour en parer ta gente demoiselle le magique joyau, peut-être qu à son tour Dans le château là-bas, bien des soirs allumés, Ô cher et vain signal, la lampe de l aimée, Œil sinistre, va luire au front noir de la tour! charles DornIer La sirène: dans l antiquité, la sirène surgissant des flots, mi-femme mi-poisson, a toujours cherché à attirer les marins vers les récifs afin de provoquer leur naufrage. Son corps, à la nudité troublante, seulement revêtu de colliers de coquillages, se prolonge à partir de la taille par une queue écailleuse interminable avec laquelle elle progresse au sein de l élément liquide. cet appendice caudal peut être assimilé, suivant la taille, à une queue de serpent, c est le cas dans les rivières du Jura où nous avons à faire cette fois à * (Ndlr : ce village aurait pu se situer entre Salins et Mouchard Jura) 15

17 Contes et légendes une proche parente de la sirène: l ondine. elle coiffe ses longs cheveux noirs avec un peigne d or en se regardant dans un miroir d argent. Son chant mélodieux envoute le marin, c est son instrument de séduction. La ville de Dole possède incrustée, dans ses anciennes fortifications (av Jean Jaurès), une représen- tation toute particulière de la sirène : une sirène bicaudale. Que faut-il penser de cette reproduction d une créature de Satan, munie d un double appendice caudal, sertie dans ce bastion de défense? Dans ce lieu de rencontre et d affrontement par excellence doit-on immaginer la volonté d effrayer, de repousser ou de porter malheur à tout éventuel assaillant? Sirène bi-caudale de Dole La Licorne: créature mythique s il en est, la licorne est passée à la postérité grâce aux célèbres tapisseries de «la Dame à la licorne» pièces maitresses du musée de cluny à Paris datant de la fin du xv e siècle. animal énigmatique du moyen âge par, elle fut très souvent associé à la femme (ou à la jeune fille) dans les dessins, et autres gravures religieuses. on retrouve donc côte à côte la chasteté, symbolisée par cette licorne, et de l autre la femme, agent du diable, traitresse conduisant l homme à sa perte par le péché, entre eux la longue corne de l animal, représentation phallique de la débauche. Les six tapisseries du musée de cluny évoquent chacune un des cinq sens de l homme (le goût, l odorat, la vue, l ouïe, le toucher), la sixième symbolisant le libre arbitre ou l intelligence du cœur. La licorne a toujours eu une réputation virginale, elle représentait le mythe de la pureté, de l innocence chez la jeune fille, opposée à la femme ensorceleuse et corruptrice. Un trafic de poudre de corne de licorne existait au moyen-age, fausse bien sûr! ce placebo était considéré comme un aphrodisiaque puissant, un médicament contre les empoisonnements, les Tapisserie de La Dame à la Licorne Musée de Cluny Paris 16

18 Contes et légendes maladies et toute sorte de maux sa valeur était estimée à dix fois celle de l or! et vous me direz quel lien avec la Franche comté, car il est bien évident que vous aviez peu de chance de croiser cet animal mythique dans une de nos forêts comtoise, même au xvi e siècle! en fait il existe une légende, commémorée par une pièce unique, une médaille du xvi e siècle, représentant d un côté le portrait du cardinal antoine Perrenot de Granvelle, conseiller d etat de l empereur charles Quint et sur l autre face, une licorne s abreuvant à un point d eau entourée d animaux sauvages. Le cardinal de Granvelle, Franc comtois célèbre, fut très engagé dans la lutte contre la réforme prêchée par Luther qui déchirait la chrétienté entre catholiques et protestants. Le prélat tient dans sa main droite la crosse, emblème de sa fonction, il incarne donc, avec cet objet le guide, le sauveur qui doit rassembler près de lui tous les bons chrétiens. Sur l autre face de la médaille, seule la licorne boit à cette source dans la forêt, alors que les autres animaux: lion, singe, éléphant, panthère, cerf... attendent, tapis autour d elle. cette corne magique plongeant dans la mare représente donc l instrument qui va purifier une eau souillée, afin que les autres animaux puissent enfin boire ; le symbole est identique pour antoine Perronot de Granvelle avec sa crosse de cardinal, il doit lui aussi épurer la société des mauvais croyants, autrement dit les protestants. Médaille du Cardinal Antoine Perrenot de Granvelle Licorne purifiant la source La Licorne 17

19 Contes et légendes Au MErVEIllEux PAys DEs FÉEs tante arie: Personnage inclassable, à la fois fée et sorcière, cette vieille femme aux cheveux blancs vit exclusivement au Pays de Montbéliard, dans une grotte des montagnes du Lomont au lieu dit «la roche aux fées» près de Boncourt ou dans la «Grotte de la Combe noire» à Blamont (Doubs). habillée à la mode paysanne, coiffée du bonnet des montbéliardaises, «le diairi», elle porte une longue robe de laine, s emmitoufle dans la flanelle, et chausse le plus souvent des charentaises pour trottiner à coté de son âne nommé marion. Son visage d ivoire jauni est à moitié caché par de longues mèches grises toutes emmêlées, et son unique chicot trône sur le devant d une bouche édentée. Son dentier en métal rouille depuis de longues années dans un verre d eau sur le coin de son évier ou au fond d un placard! mais, cela ne l empêche pas de se régaler avec la potée Franc Comtoise à la saucisse de morteau, les croûtes aux morilles, le vacherin du mont d or et les tartines de cancoillotte! on murmure que sa cave renferme des bouteilles de vin jaune au millésime exceptionnel. Si d aventure elle fesse encore quelques garnements, elle les console rapidement avec un jouet sortie de la hotte transportée par son âne. elle ne sort pratiquement plus que la nuit de noël pour apporter des jouets dans tous les foyers francs-comtois, et les enfants sages n ont pas oublié de déposer près de leurs chaussures: carottes et navets destinés à sa monture, légumes qui auront disparu, bien sûr, le matin de noël. chaque année elle parcourt les allées du marché de noël de montbéliard où elle distribue friandises aux enfants sages, tandis que les garnements auront droit à la fessée administrée à l aide d une verge de saule trempée dans le vinaigre. autrefois, elle récompensait les meilleures fileuses de la région avec une bourse remplie de Louis d or. on dit aussi qu elle peut faire tomber la neige, se transformer en serpent, ou trouver un mari aux jeunes filles qui lui apporteront des cadeaux le jour de la Ste catherine. notre tante arie Franc comtoise, distribuant jouets et châtiments, nous rappelle St nicolas, «le père noël» lorrain et alsacien qui descend sur terre le 6 décembre. Tante Arie «une FÉE Est CAChÉE En tout CE QuE tu VoIs» Victor hugo. Les Fées: Les fées, divinités nocturnes veillant au destin des êtres humains, évoluent entre la lumière et les ténèbres, et accomplissent le bien ou le mal suivant leur appartenance. ces créatures féminines enchanteresses et énigmatiques se différencient par la couleur de leur robe qui déterminera leur mode de vie. en Franche comté, on les appellera généralement les Dames: la Dames Blanche, transposition de marie, Dame de lumière, mère de Jésus, autrement dit une bonne fée, la Dame verte, fée écologique, protectrice de la forêt et de ses habitants, guide du voyageur égaré; par contre la séduisante Dame rouge et la méchante Dame noire figurent parmi les personnages malveillants, dangereux pour tous les êtres humains. La Dame de puits, tapie au fond des points d eau en particulier les puits, est connue, en Franche comté et en Bourgogne, sous différentes dénominations : mère engueule, mère lusine 18

20 Contes et légendes «FÉEs, répandez PArtout la rosée sacrée DEs ChAMPs» William Shakespeare, le songe d une nuit d été. La Dame Blanche : L aura d un papillon de nuit ou d une luciole ponctue la voie lactée où glisse une apparition lumineuse : c est notre Dame Blanche. Le visage diaphane de cette superbe créature alchimique, souple comme le roseau, mince et gracieuse, envoûte le promeneur grâce à son regard aussi limpide que l eau de nos sources. Une robe à brocart d une blancheur immaculée, incrustée d or et de diamants l enveloppe dans un ciel étoilé. magicienne, séductrice, une musique enchanteresse accompagne tous ses déplacements, et parfois on l entend rire à gorge déployée pour séduire le voyageur égaré ; ses intentions sont généralement bienveillantes. on la rencontre le plus souvent à proximité des sources, de très vieux arbres, des cimetières mais aussi errant près des chapelles abandonnées, tous les anciens lieux de culte sont pour elle un endroit de prédilection. elle hante l endroit où elle a vécu, ou le lieu où elle est morte, apparaissant le plus souvent lors de fortes chaleurs. Si la Dame Blanche porte des gants noirs elle s apprête à annoncer un décès, par contre si ce sont des gants blancs elle apporte une bonne nouvelle. LoUIS xvi, la veille de son exécution demanda à malesherbes «s il avait vu, lui aussi, errer dans le couloir la Dame, vêtue de blanc, qui portait des gants noirs!» l auto-stoppeuse : «un automobiliste, circulant dans un bois un soir sous la pluie, aperçoit dans les phares de sa voiture une silhouette qui fait de l auto-stop au bord de la route. Il s arrête, cette dame, vêtue d une robe blanche très légère, lui demande de la conduire au village voisin. Durant le trajet, elle lui paraît si frêle dans sa robe mouillée qu il lui prête son manteau, posé sur la banquette arrière. Arrivée dans la localité, elle lui fait signe de l arrêter devant une maison, et disparaît aussitôt, avant même qu il ait eu le temps de lui ouvrir la portière du véhicule. surpris de cette attitude étrange, il descend de voiture, l appelle en vain, et frappe à la maison voisine, espérant y trouver un début d explication, et surtout désirant récupérer son manteau. une dame âgée lui ouvre, écoute son récit, elle éclate en sanglots et finit par lui montrer la photographie d une jeune fille, dont le visage est celui de l autostoppeuse inconnue! Cette femme lui explique alors qu il s agit bien de sa fille disparue dans un accident de voiture, à l endroit même où il l a prise en charge, et que ce n est pas la première fois qu elle revient à son ancienne demeure grâce à des automobilistes inconnus. le lendemain, le conducteur ira se recueillir au cimetière et y retrouvera son manteau posé sur la tombe de l auto-stoppeuse.» 19

21 Contes et légendes Dans la presse comtoise aussi: en août 1973 vers 22h30, sur la place de la mairie de chaussin, village de la plaine jurassienne, une fée blanche est apparue à un groupe de jeunes réunis sur la place de la mairie. elle croisa ensuite le chemin d un garagiste qui rentrait à son domicile en voiture. Un article parut dans le journal Le Progrès à cette époque en témoigne, c est la dernière apparition «officielle», si l on peut dire, d une Dame Blanche en Franche comté et ce n était pas un 1er avril! (ndlr: Voir la légende de la Dame Blanche de Bonnay de J roullot page 21 ) La Dame verte est une fée écologiste, elle protège la nature et les animaux de la forêt. Fille des fleurs, de la mousse, des fougères et du feuillage, elle doit son patronymenon pas à la couleur de sa peau mais à sa tenue : robe, tunique, voile étalent une palette de verts, du plus pâle au plus foncé, souvent rehaussés de liserons, de lierre et autres plantes grimpantes et fleuries. Déesse écologique, protectrice de la faune, malheur au chasseur qui met le piedsur ses terres à la poursuite d une biche blessée: elle l égare au plus profond des bois. Par contre notre fée prévenante peut remettre sur son chemin le voyageur égaré. Dames noires et Dames rouges contrairement aux Dames Blanches les Dames noires et les Dames rouges sont des créatures malveillantes. (dessin dernière page de couverture) la Dame noire est souvent une ancienne Dame Blanche, devenue malveillante et belliqueuse. L antipathie de son visage anguleux aux dents pointues augure de la noirceur de ses actes. ogresse dévorant les enfants, elle s ingénie au mal, et ne sort qu au plus profond des nuits obscures pour commettre ses nuisances. Le reste du temps elle se réfugie dans les chambres les plus froides des châteaux hantés ou des manoirs inaccessibles pour avaler ses proies. la Dame rouge s attaque aux jeunes hommes ; d une beauté sculpturale, l œil brillant et langoureux, son appétit de luxure et de chair vive n a aucune limite. elle entrouvre manteau écarlate pour attirer les messieurs révélant alors un corps parfait que nulle autre fée ne peut égaler. Démoniaque, elle oblige ses amants d un soir à se soumettre aux pires débauches sexuelles. malheur à celui qui est tombé entre ses griffes, au matin on ne retrouvera de lui, qu une peau fripée, tant la belle l aura vidé de toute forme de vie, son souffle de feu ayant même réduit ses os en cendres. elle ne conservera de sa victime que l âme, piquée sur une aiguille à chapeau, comme trophée de son méfait. Dames de puits, mère engueule et mère lusine: les Dames de puits comme les Mère engueule sont des croque-mitaines vivant au fond des eaux dormantes. «Dans ma petite enfance, mes parents m avait ordonné de ne jamais me pencher sur la margelle du puits de notre maison, car une mère engueule cachée au fond me guettait. Elle pouvait m attraper avec ses longs tentacules et m entrainer dans son repaire pour me dévorer. Comme moi, de nombreux enfants eurent droit à la même histoire racontée par leurs proches, afin de les protéger d une possible noyade.» la Mère lusine a le même habitat que la Mère engueule, elle enlève aussi les petits enfants pour les dévorer au fond des eaux sombres... c est une très lointaine cousine de Mélusine. Seconde partie dans un prochain numéro où nous découvrirons : lutins, Fouletots, luttons Diable, sorcières, loups-garous d autres figures chimériques illustrant les légendes comtoises! Gérard LarGe Bibliographie et sources: LaVouivre, de Marcel Aymé, Ed Gallimard, MonstresetMerveillesdeFrancheComté, Brigitte Rochelandet, Ed Cabédita, L espritféerique, Hervé-Thiry Duval, Ed Dominique Guéniot, L œildelavouivre, Edith Montelle, Ed de l Est, L encyclopédiedesfées, Pierre Dubois, Ed Hoëbeke, LégendesettraditionspopulairesdelaFranche Comté, Camille Aymonier, FrancheComtépaysdelégendes, Gabriel Gravier, Ed Marqu lard,

22 Contes et légendes LA LÉGENDE DE LA DAME BLANCHE DE BONNAY La LéGenDe DeS DameS BLancheS n'est pas spécifique à la Franche-comté mais elle est particulièrement répandue dans le Jura. ces «Dames» ou «Demoiselles» sont une forme particulière de fées, parentes des nymphes (divinités des rivières, forêts et montagnes dans la mythologie gréco-romaine) et des dryades (nymphes des forêts). notre région, à l'époque, était encore la comté de la renaissance où le parlement de Dole étendait son autorité sur les terres de Besançon. elle était le repère préféré de Blanche, la plus jeune fille de l'écuyer du Sire de Bonnay. en effet, après l'échec de son mariage avec le Sire de Bonnay qui passait son temps à boire et à courtiser les jolies femmes, Blanche embrumée par tant de trahison et de mauvais traitements décida alors de s'enfuir... avec l'aide de son père, elle traversa la forêt pour s'arrêter à une caverne sous l'arrête rocheuse qui domine Bonnay. Le printemps radieux passa, elle sortait de son repère qu'à la chute du jour pour cueillir des baies, des petits fruits ou des champignons enfin tout ce que la forêt lui offrait généreusement. La journée, elle priait, s'offrait à Dieu et méditait sur l'infidélité, la lâcheté des hommes et le mépris qu'ils accordent aux femmes après les avoir possédées. Un soir... elle fut surprise par un jeune homme qui s'arrêta devant elle. Il avait l'air fatigué, était assoiffé tant il avait marché sous le soleil. Pour la première fois depuis sa fuite du village, elle eut peur et se sentit perdue. Le jeune la rassura et lui dit : «Belle dame donne moi un peu d'eau, quelques fruits et je continuerai ma route». La prévention qu'elle avait contre les hommes ne l'avait pas quittée ; le seul qui comptait à ses yeux était son père chéri. c'est ainsi qu'elle offrit sa calebasse d'un geste prudent, sa robe blanche se tendit laissant deviner la grâce de sa personne. Un éclair passa dans les yeux du jeune homme, il la saisit d'une main ferme par le poignet et l'entraîna vers un endroit où les fourrés étaient épais. elle connaissait bien ce lieu, feignant de réticence elle se laissa conduire jusqu'à l'endroit où les buissons masquent la falaise. L'homme la saisit à bras le corps, ses mains cherchaient déjà les plis de son vêtement. D'un mouvement leste elle se dégagea, l'homme la rattrapa, mais d'une bourrade elle le précipita dans le vide. elle resta un moment coite, pleura doucement puis retrouva son calme, elle pensa : «Il a trahi ma confiance, j'aurais pu l'aimer». Une autre fois, un voyageur la surprit, alors qu'accroupie elle cueillait des champignons. L'homme la renversa, ses intentions étaient si nettes qu'elle supplia : «Pas ici mon beau sire, c'est plein de vipères, je connais un endroit plus agréable». Il la saisit fermement. elle fit mine de se laisser aller et le précipita dans le vide. La légende commençait à se répandre, et les hommes, même les moins crédules franchissaient la colline en pressant le pas et sans jamais s'attarder. Blanche qui, restée une belle âme malgré la déception de sa vie, eut encore bien des aventures, mais cette fois moins cruelles. Un jour, c'est un petit enfant perdu qu'elle rassura, gava de miel et remit sur le bon chemin. Une autre fois, c'est un vieillard désespéré qu'elle empêcha de se pendre et à qui elle rendit foi à la vie. Plus tard, c'est une gardienne de chèvres qu'elle découvrit gisant la jambe brisée. Blanche posa une attelle, récupéra les chèvres, porta la pauvrette et conduisit le tout jusqu'aux portes du village de Vieilley. La Dame Blanche des avant-monts ne fut jamais identifiée, sa caverne ne fut pas davantage découverte. Le nom de la Dame Blanche fut donné à cette contrée bien des années plus tard! ainsi se forma la légende de la belle et insaisissable jeune femme de blanc vêtue qui répandait le bien autour d'elle mais honnissait le mal, et à qui personne n'a jamais pris la main pour lui dire simplement: «Je t'aime pour la vie...» Jacques roullot 21

23 Poésie Claude Cagnasso en FOrêt VieiLLir A l heure où fraîchit la rosée Dans la forêt de Montreuillon comme un insouciant papillon J ai croisé les yeux d une fée. Seul au monde, le pauvre vieux! il est assis au coin de l âtre Où brûle une buche noirâtre. il regarde danser le feu elle sortait de sa nymphée Avec mes sœurs, ma cendrillon en son justaucorps vermillon et sa longue écharpe irisée. triste, ce soir, il pense à ceux D autrefois, le rival bellâtre, Le fier-à-bras, le petit pâtre, Qui se sont éteints peu à peu. Mais je n ai rien vu que ses yeux Qui m ouvraient la porte des cieux Par l améthyste et l émeraude il voit que les rangs s éclaircissent Des amis d hier qui vieillissent De l école et du régiment et l arc en ciel, ces yeux changeants reflétaient son corps vif-argent, Ô magique fée en maraude Les soupirs et les craquements De la bûche éclairant la suie reste sa seule compagnie. Lecture Je veux que mon poème soit un beau jardin à la Française Où le lecteur promène à l aise Sa fantaisie et ses émois A l exemple de mon village Je le veux calme, sans ambages, Avec le regard d un flâneur, Qu ici et là quelque sous bois Apporte l ombre qui apaise un peu comme une parenthèse entre des parterres trop droits. Qu il soit un moment de bonheur Sans doute volé au silence Qui nous guette sans indulgence. claude cagnasso, extrait de un jour mon village, collection «Destins du Monde», Les Dossiers d Aquitaine,

24 LE PASSEUR DE LÉGENDES CoUrBé, luttant contre la bise, aveuglé par la neige, le couple avançait cramponné l un à l autre, bataillant contre les éléments déchaînés, devinant le chemin recouvert d une épaisse couche de neige, enfonçant à mi- cuisses dans les «m nées» 1, peinant, s encourageant de la voix. La femme toute menue tenait fermement son homme, craignant à chaque bourrasque d être enlevée comme un fétu de paille. Jules, j ai peur, tiens moi bien. ces paroles s envolaient emportées par le vent. L homme plus tout jeune possédait une forte stature de bûcheron. malgré cela, il avançait difficilement. La neige avait transformé ces deux silhouettes fantomatiques sous leur «perline» 2 en bonhomme de neige. Les branches des sapins accompagnées de sinistres craquements tombaient sur le chemin gênant la progression des deux voyageurs. Un temps pareil, «c est-y Dieu possible» 3! Une lumière dansante approchait. c était un falot tenu à bout de bras par un commis de la ferme où le Jules et la Louise se rendaient. Pas d effusions, seulement un petit coup de «gnole» 4 pour se requinquer et franchir le dernier kilomètre en essayant de rester sur le chemin. Les repères étaient effacés par le linceul blanc. Le commis avec ses grands abattis agissait comme un «triangle» 5 ouvrant la route, sa lanterne «clairait» 6 un vague sentier. enfin la ferme du Grand-essart apparut et la fumée de la cheminée rabattue par le vent les enveloppa. et bien Jules, quel temps! J ai bien cru que vous ne viendriez pas. entrez vite au chaud. ma «pove Louise, tu pètes de froid.» 7 La Germaine va mettre sécher vos habits. Il est pas question que vous en retourniez ce soir, demain est un autre jour, on avisera. Installez-vous au «poêle» 8 devant la cheminée, le feu, un bon café et une «goutte» 9 vont vous requinquer. c est pas de refus. tu sais Joseph, ta ferme est isolée et plus j avançais dans cette tempête plus je pensais aux histoires de loups, de revenants, de brigands, de sorcières tenant leur sabbat. Je raconte à chaque veillée devant un auditoire attentif subjugué parfois frissonnant des contes des légendes, mais je ne pensais pas arriver à me foutre pareille trouille. J attendais à chaque détour du chemin entendre: «halte, qui va là?» Je me tenais prêt à répondre: «saint-claude et lacuzon». 11 même, que quand j ai vu la lanterne de ton commis je me suis demandé si c était pas un revenant venu pour nous conduire dans un lieu infernal. tu vas sourire, en passant devant la croix de mission des quatre chemins, tu sais celle qui date de 1836, j ai fait un signe de croix! enfin Jules nous ne sommes plus au moyen âge. Sûr, mais les éléments déchaînés comme c était le cas font perdre la tête même à des «montagnons» 10 pourtant habitués aux pires tempêtes. tu ne vas quand même pas me dire que tu craignais rencontrer «Jean claude Prost le capitaine Lacuzon» 11 le «colonel Varroz» 12 ou encore «la Plaque» 13 ou mieux le «curé marquis» 14. Quatre siècles nous séparent de cette époque où vivait ces héros luttant pour conserver l indépendance comtoise. Qui se souvient du cri de ralliement des paysans soldats épris de liberté, bataillant farouchement contre les «Gris» 15 et les «Suédois de Saxe Weimar» 16 luttant sur nos montagnes, au fond des combes, surgissant des noires forêts de sapins pour harceler l envahisseur tout ça pour conserver nos franchises? «Sacrenom» 17, allez viens, on va se réchauffer le corps avec une platée de «roesti» 18, de la cancoillotte et un bon bout de lard. Germaine nous a cuit un gâteau de ménage qu on fera descendre avec une petite gentiane. et après tu nous conteras une légende bien que je te sente tout «bisqueboeu» 19 j sais pas si t auras le cœur à ça. Je vais fouiller dans ma mémoire, je vais certainement trouver une histoire à faire dresser les cheveux sur la tête et perturber votre sommeil avec ça que le temps s y prête. Vous entendez le vent hurler dans la charpente, il fait claquer les planches de la «talvanne» 20. Si la neige continue de tomber comme ça, demain on va devoir «pêler» 21 pour dégager portes et fenêtres. Le repas terminé, toute la famille se regroupa autour de la cheminée pour la veillée. Les bûches enflammées dans l âtre envoyaient des ombres fantastiques sur les murs du «poêle» 8. Dans un coin le commis en dehors du cercle lumineux, terminait son verre de vin fumant une cigarette roulée avec ses gros doigts noueux, un véritable pieu. tout ce petit monde serré autour de la cheminée attendait 23

25 Contes et légendes avec grande impatience l histoire terrifiante, la légende que Jules allait leur conter avec force détails. Des frissons parcouraient la petite assemblée. Quand je suis arrivé, à la ferme, vous avez entendu l Joseph «m arguigner» 22 avec le capitaine Lacuzon et bien je vais vous raconter une aventure de cette milice Franc comtoise commandée le jour de ce terrible événement par un de ses lieutenants «la Plaque» 13. Une troupe de huit cents «Suédois» 16 accompagnée par des «boutefeux» 23 de retour d une expédition en Grandvaux, incendiait tous les villages sur son passage et massacrait les habitants. Ils avaient enlevé une vingtaine de jeunes filles. elles étaient terrorisées, écrasées de désespoir, certaines en pleurs, d autres se tordaient les mains en priant, ils les emmenaient à chapelle des Bois. ces soudards escortaient ces toutes jeunes filles attachées pour éviter des fuites. elles étaient accompagnées de quolibets de plaisanteries graveleuses de brutalité de menaces sur ce qui les attendaient. Les «boutefeux» 23 maniaient la torche, allumaient les incendies dans les fermes brûlaient les récoltes dans les granges, le bétail dans les écuries. Les hommes qui essayaient de fuir étaient rejetés dans les brasiers. La montagne résonnait des hurlements de terreur des paysans. Les animaux paniqués, enflammés s enfuyaient propageant d autres incendies. Sur le passage des soudards alcoolisés ce n était que ruines, désolation et massacres. cette période appelée chez nous, Guerre de Dix ans est l épisode comtois de la guerre de trente ans (1636/1644). Les deux tiers des habitants sont morts pendant cette décennie. elle conduisit de nombreux rescapés à fuir la province, s exiler en Suisse ou en Savoie, laissant un désert où le peuple mourait de faim se nourrissant de racines et de cadavres, les épidémies comme la peste se propageaient rapidement. «La Plaque» 13, lieutenant de Lacuzon, avec un fort contingent de partisans, mis en place une embuscade au pied de la roche champion près du lac des mortes. Ils n étaient pas huit cents comme leurs ennemis, mais une profonde ardeur, une haine décuplait leur courage et leur force pour affronter les envahisseurs. cinq cents «cuannais» 24 valent plus qu un millier de «Suédois» 16. La troupe des «Suédois» 16 mal commandée, cheminait en désordre. Les hommes ivres étaient encombrés par des chariots de butin, fruit de leurs rapines. Ils n opposèrent qu une faible résistance à l assaut des comtois. ceux qui n étaient pas occis pendant le combat furent faits prisonniers. mais, lorsque les nôtres apprirent de quels méfaits ils étaient coupables, ils les conduisirent sur la crête du risoux, là où l on trouve de curieuses formations géologiques, quatre grandes failles glaciaires. Les prisonniers furent enchaînés et attachés deux à deux à des pieux plantés à la verticale dans les failles, seules leurs têtes dépassaient du sol. La «Plaque» 13 fit combler les crevasses par des pierres sans trop les tasser pour ne pas étouffer ses prisonniers, cette fin eut été trop douce. Pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, le risoux retentit des plaintes, des gémissements, des cris, des hurlements de ces malheureux qui périrent bientôt, la tête dévorée par les lynx et les loups. chaque combat se terminait par un massacre. Le degré de cruauté allait crescendo. Les gris et les Suédois pillaient, tuaient, violaient semaient la désolation et les comtois n étaient pas en reste quand, dans une embuscade, ils faisaient prisonniers des mercenaires ou des soldats du roi de France. Les branches des arbres servaient de gibets. Les rapaces tournaient dans le ciel bas attendant avec impatience le moment du festin. Quelques paysans, affamés, squelettiques, vêtus d oripeaux sortirent des cavernes, des trous, des sombres forêts de sapins où ils s étaient réfugiés pour échapper au massacre quémandant un peu de pain. même avec un peu de nourriture, ces hommes étaient trop affaiblis pour résister au froid dans la montagne sans toit pour s abriter. et puis il fallait redouter un retour des Suédois, ivres de vengeance et de sang. Les hommes de Lacuzon distribuèrent à ces quelques malheureux encore en vie, le fruit des pillages de la soldatesque. Sous la contrainte et la peur, ils furent obligés de suivre la troupe pour se mettre à l abri à «condat» 25. Une escorte conduisit les jeunes filles également à condat. au milieu des religieuses, qui les habillèrent avec un habit de novices, elles étaient sous la protection de Dieu. après un récit d une telle cruauté, l assemblée était silencieuse. c est à ce moment qu un craquement terrible se fit entendre. Une sorte d explosion suivie d un roulement qui ressemblait à une mousqueterie. tout le monde était pétrifié. Le souvenir de ces guerres pourtant lointaines paralysait même les plus téméraires. Joseph, Jules et le commis furent les premiers dehors. La tempête faisait rage, les bourrasques de neige aveuglaient les hommes. La visibilité était de quelques mètres rendant impossible la localisation de ces craquements assourdis par l épaisse couche de neige. Les chiens au chaud dans l écurie aboyaient, hurlaient. 24

26 Contes et légendes Les hommes perturbés par le récit de Jules cherchaient l origine de ce bruit terrifiant. Péniblement ils entreprirent de faire le tour des bâtiments. La neige tombée du toit formait un obstacle ce qui empêchait toute découverte le long des murs. Le commis revenu sur ses pas informa son patron qu il entendait du bruit vers l appentis adossé à la ferme ou le bois était stocké. tous les trois se dirigèrent vers ce lieu. en effet, le toit de l appentis, sous le poids de la neige s était effondré. en tendant l oreille malgré le bruit de la bourrasque, on percevait ce qui ressemblait à des gémissements. Joseph sans s occuper des difficultés revenait déjà avec le chien. celui-ci aboyait, et de ses pattes creusait la neige. Le commis était allé chercher des pelles et les trois hommes déblayaient en prenant garde de ne pas déstabiliser ce fragile hangar. après un moment en déplaçant des chevons, ils découvrirent un bloc de neige et de glace qui ressemblait à un homme. L extirper de sa prison ne fut pas chose facile. avec précaution ils le transportèrent à la cuisine où tout le monde s évertua à le réchauffer. c est seulement le lendemain matin que cet homme fut capable de conter son histoire. Il était tombé en panne de voiture, bloqué par des congères. a pied, ne trouvant plus sa route, il errait, quand il a vu les lumières de la ferme. malheureusement en s approchant il a déclenché une avalanche avec la neige de l immense toit de la ferme comtoise, celle-ci écroulant l appentis, et laissant notre homme groggy, prisonnier des chevons et de la neige. tu vois Jules, ton histoire, sans savoir si c est une légende colportée par des gens comme toi ou un fait réel, a perturbé notre discernement. nous ne savions plus à quelle époque nous vivions. avec la tempête, le vent, la neige, les guerres, les massacres, tout étaient réuni pour que les hommes du capitaine «Lacuzon» 11 surgissent dans notre siècle. allez Jules, viens, on va boire une gentiane pour se remettre. Bernard claudon. 1. M nées: congères. 2. Perline: pelerine. 3. C est-y dieu possible: c est incroyable. 4. Gnole: eau de vie. 5. Triangle: ancien chasse neige. 6. Clairait: éclairer. 7. Péter de froid: avoir très froid. 8. Poêle: pièce commune, seule pièce chauffée dans les fermes. 9. Goutte: eau de vie. 10. Montagnons: habitants des montagnes du Jura ou du Haut Doubs par contraste avec ceux de la plaine, du bas pays. 11. Lacuzon: Claude Prost dit Lacuzon est né à Longchaumois (Jura) le 17 juin Le sobriquet de Lacuzon lui vient d une expression en patois signifiant le souci, la sollicitude. Sorte de Robin des bois. Il était craint des gris, (militaires du roi de France portant une tunique de cette couleur), des mercenaires du prince de Saxe Weimar surnommés les Suédois, ainsi que par les habitants du sud de la Franche-Comté, la Bresse bourguignonne. Les paysans priaient: Seigneur, protège nous de la fièvre, de la grêle, du feu du ciel et du capitaine Lacuzon. 12. Le colonel Varroz: fidèle compagnon de Lacuzon. Meurt lors NOTES: du siège de la grotte du Hérisson. Encerclé dans la grotte, il se serait laissé mourir de faim plutôt que de se rendre. 13. La Plaque: lieutenant de Lacuzon, il doit son surnom à une balafre au visage. 14. Le Curé Marquis: curé soldat, combattait revêtu d une soutane rouge sensée détourner les balles. 15. Les Gris: soldats du roi de France, ils portaient un habit gris. 16. Suédois: Les soldats suédois de Saxe Weimar, miliciens à la solde du roi de France. 17. Sacrenon: juron familier. 18. Rösti ou Roesti: pommes de terre à la poêle. 19. Bisqueboeu: ne pas être en forme. 20. Talvanne: mur extérieur de maison recouvert de bardeaux de bois. 21. Pêler: pelleter. 22. M arguigner: chicaner, chercher noise. 23. Boutefeux: soldats portant des torches pour incendier les villages. 24. Quanais: comtois descendants des séquanes. 25. Condat: du Celte condate, confluent. Désigne Saint Claude (Jura). BIBLIOGRAPHIE: Les hommes célèbres et les personnalités marquantes de Franche-Comté, Emile Fourquet, Editions Séquania, Besançon, 1929, pages 425 et 426. Lacuzon, Héros de l indépendance Franc-contoise au xvii eme siècle, Robert Fonville, édtions Marqu lard, Histoire de la guerre de 10 ans en Franche-Comté de Bourgogne, Girardot de Nozeroy. Contes populaires de Franche- Comté, Claude Seignolle. Le médecin des pauvres, Xavier de Montépin, Editons Marqu lard, Lons le Saunier, comtois rends-toi : nenni ma FoI! 25

27 Poésie VieiLLe MAiSON c est une très vielle maison A la porte et aux volets clos Qui est depuis maintes saisons Abandonnée dans son enclos. Sur la tête elle porte son toit comme un vieux chapeau cabossé et quelques ardoises parfois Sur le sol se sont fracassées. Ses anciens murs tout effrités Se couvrent de mousse et de lierre. Au pied de la porte d entrée Se trouve une marche de pierre. c est une marche si usée Qu elle a souvent dû supporter Les lourds passages répétés Des sabots, des souliers cloutés. ce qui était certes un jardin N est plus qu un fouillis d herbes folles et c est sûr que quelques lapins S en sont approprié le sol. Je n y ai jamais pénétré Dans cette si vieille demeure, Je me plais à imaginer ce qu il y a à l intérieur. Peut-être des vaisselles brisées et des meubles tout délabrés, Sur un mur, une cheminée Où quelques cendres sont restées. Peut-être aussi n abrite-t-elle Qu araignées et tas de poussières et qu elle n est plus du tout celle Dans laquelle on vécut naguère. Mais derrière tes volets tu dors Maisonnette avec ton secret. Moi passant encore et encore Je continuerai de rêver. À LA VÔtre! Préservez l eau! Buvez du vin! L eau il faut qu on l économise! La gaspiller, n est plus de mise! D autant que le vin, c est divin! Avec quoi donc, dans ses burettes, un saint prêtre vous bénit-il? Sans penser à moindre sœurettes, Avec du vin! Ainsi soit-il! L eau c est la pluie, et c est l arrose, Pour vous laver à la rigueur! Laissez donc fleurir la rose, et lui donner de la vigueur! Que l on repose, ou qu on travaille, Lever son verre est un devoir! et, en plus, il ferait beau voir, Qu on ait du vin vaille que vaille c est cela que l on doit savoir. comme or dur! Les esprits, fort dilatés, Dépassent toute mesure c est carrément de l enflure, D excellentes vanités! De là les réalités Dans le bleu qui s en azure, ils croient bien voir leur doublure, Atteindre hospitalité! en bas, où la vache vêle, Le chien de Jean Nivelle S enfuit en voyant le veau! Nos gens sont, en quelque sorte, en affût d âme à la porte, comme or dur en renouveau, tombés dans le caniveau André PAGèS Maryvonne MALiVOir-BLANche 26

28 Un marin Gouverneur militaire de Besançon durant la guerre de 1870 L es BISontInS qui ont fréquenté la salle des mariages de leur mairie dans la première moitié du xx ème siècle, ou plus surement le musée d histoire qui était installé dans les locaux du palais Granvelle, ont pu notamment contempler les portraits en pied d officiers ayant acquis une réputation régionale voire nationale. c est ainsi que des généraux comme marulaz, Bernard ou morand ont été immortalisés, mais une peinture de Léon tirode a dû en interpeler plus d un, car elle représentait un officier de marine quasi inconnu, donnant des instructions à des sapeurs au milieu d un paysage de neige. Quelles circonstances avaient bien pu amener ce capitaine de vaisseau loin de ses bases? et surtout quelle mission y a-t-il effectué qui mérite qu on lui rende ainsi hommage? c est en relisant les textes relatifs aux événements qui ont affecté la capitale comtoise durant la guerre franco-prussienne de , que l on peut prendre conscience du rôle déterminant joué par ce militaire durant son court séjour (5 mois) à Besançon. Si la ville n a été ni bombardée durant le conflit, ni occupée après l armistice, c est à marius rolland, nommé commandant de la 7 ème Division militaire et de la place de Besançon, qu elle le doit. Si le Préfet du Doubs qui a eu avec lui de sévères démêlées ne l appréciait guère, la population ne s y était pas trompée qui l avait escorté en masse lors de son départ, l acclamant à tout rompre et cherchant même dit-on, à l empêcher de prendre le train qui devait le ramener à sa ville natale : marseille. mais revenons d abord sur le déroulement de la guerre franco-prussienne en Franche-comté. L année terrible c est ainsi que Victor hugo qualifie cette période sombre de notre histoire 1, qui aboutira le 10 mai 1871(traité de Francfort), à la perte de «l alsace-lorraine» et engendrera l insurrection des communards parisiens entre mars et mai Pourtant, lorsque la France déclare la guerre à la Prusse de Guillaume I er et Bismarck, le 19 juillet 1870, les militaires sont persuadés de notre supériorité, notre ministre de la guerre allant jusqu à déclarer «nous sommes prêts, archiprêts...». toutefois adolphe iers 2, plus réaliste, affirmera de son côté: «Je connais la situation militaire de notre armée: nous sommes perdus!» La suite lui donnera malheureusement raison. Sitôt la déclaration de guerre, les états allemands se sont alliés à la Prusse et leurs corps d armées occupent rapidement l est du pays après une série de défaites françaises conduisant à l enfermement de l armée de Bazaine dans metz le 20 août, et à la ba- 1. L Année terrible est le nom d un recueil de poésies publié par Hugo en Après avoir été deux fois président du conseil sous la monarchie de juillet, il deviendra après cette guerre le 1 er Président de la III ème république. 27

29 Histoire taille de Sedan le 1er septembre. celle-ci se conclut par le repli de l armée de mac-mahon et napoléon III dans la place. L empereur jugeant alors que nos troupes ne sont pas en mesure de prendre le dessus, négociera le lendemain la reddition. Dès le 4 septembre, les parlementaires français prononcent la destitution de napoléon III et, sous l impulsion du député Léon Gambetta 3, proclament la république dont le pouvoir exécutif est confié à un comité de défense national que préside le général trochu gouverneur de Paris. ce sera ensuite la poursuite du siège de metz jusqu à son humiliante issue, puis celui de Paris à partir du 19 septembre... BeSançon en SePtemBre 1870 c est à Besançon, ville de habitants, que se situe alors le commandement de la 7 ème Division militaire, entité couvrant les 3 départements comtois ainsi que la haute marne. Son gouverneur, le général abel Douai en place depuis 1866 a quitté ce poste en juillet 1870 pour prendre le commandement de la 2 ème division d infanterie du 1er corps d armée 4. Son remplaçant est un officier de la garde impériale, rappelé de la retraite, le général de Prémonville. D humeur colérique, il est qualifié «d excellent homme», mais on le juge dépassé par sa charge et les bisontins moqueurs le décrivent somnolent devant une partie de dominos alors que beaucoup reste à faire pour préparer la ville face à l avancée ennemie, qui est effective début octobre dans la partie nord de la région. Face au pouvoir militaire, les responsables civils sont alors: hubert ordinaire, diplômé de médecine et journaliste, créateur du Journal républicain de F.c. en Il était député du Doubs depuis 1869 et vient d être nommé Préfet le 8 septembre Isabelle Febvay épouse du secrétaire général de la Préfecture le décrit ainsi : «d un caractère doux, simple et sans ambition, il ne s est laissé porter que pour complaire à son parti (républicain) et surtout à sa femme, assez bonne personne aussi, mais républicaine moins calme...» Le Préfet ordinaire ne tiendra son poste que jusqu au 7 février albert Grévy, avocat, frère de Jules. Il a été désigné, début octobre, commissaire de la défense nationale pour la Franche-comté, fonction empiétant largement sur les attributions des Préfets. Il démissionnera de ce poste peu après, sans être remplacé. Louis Joseph Fernier, maire de Besançon, élu dès le 4 septembre horloger de profession, et républicain modéré, il succède au bonapartiste Léon Proudhon, et conservera ce poste jusqu en mars Il se tiendra en retrait durant le conflit. Le xiv ème corps D armée allemand en Franche-comté Le général von Werder qui a mené victorieusement le siège de Strasbourg fin aout s est vu confier le commandement du xiv ème corps, avec comme mission d écraser les poches de résistance des Vosges, de l aube et de la haute marne, et de s emparer des places fortes leur servant d appui, soit Sélestat, neuf- Brisach et Belfort. Devant lui se présente le général cambriels. officier dans l armée de châlons, il a été gravement blessé le 1 er septembre devant Sedan au point que les allemands le libéreront sans condition. Il reprend cependant du service en dépit d une blessure très handicapante. chargé le 18 septembre du commandement de la place de Belfort, il s est vu confier le 26 le commandement supérieur de la région est, soit la partie de l alsace non encore conquise, les Vosges, la côte d or, la haute marne et la Franche-comté. cambriels fait porter ses troupes sur epinal menacée par une colonne allemande. Le renfort d une brigade venant de Vierzon par train, trop tardif, ne 3. Durant le conflit, Gambetta fera partie du gouvernement, cumulant les fonctions de ministre de l intérieur et de la guerre. 4. Il sera blessé mortellement le 4 aout lors du combat de Wissembourg. Ce sera le 1 er de 12 généraux français a subir ce sort durant la guerre. Le prince Frédéric-Albert de Prusse vint le voir sur son lit de mort. 5. Dès le lendemain matin, sa femme et lui quitteront Besançon pour la Suisse. Pour cause de blocus, le ballon du nouveau Préfet, Mr Regnault, atterrira le jour-même à quelques km de Besançon. Son arrivée en ville sera remarquée, car il se présentera à la Préfecture accompagné d un paysan transportant son bagage dans une brouette. 28

30 Histoire peut empêcher la prise des deux points stratégiques que sont etival et raon- l etape. Le 6 octobre a lieu la bataille de la Bourgonce (canton de St Dié) à l issue longtemps incertaine et finalement remportée par les allemands, ce qui oblige cambriels à se replier sur Besançon, poursuivi par von Werder dont les troupes occupent epinal le 12 octobre, puis Vesoul le 18 et Gray le 22. BeSançon DUrant La SeconDe QUInZaIne D octobre Un climat délétère règne à Besançon en cette mi-octobre: le Préfet et le commissaire de la république, poussés par les élus républicains, influent pour obtenir le remplacement du général de Prémonville, issu du précédent régime, et dont on critique la passivité (persuadé que la ville ne saurait résister à un siège, il avait envisagé une reddition rapide si le cas se présentait). L arrivée de cambriels que l on estime responsable de la défaite de La Bourgonce n arrange rien. Il faudra la venue de Gambetta le 17 octobre pour ramener un peu de calme. Lors du conseil de guerre tenu le lendemain, cambriels se voit confier par Gambetta le commandement d une armée de l est à constituer. celle-ci s appuiera sur les trois places de Belfort, Besançon et Langres en vue de couper les communications de l ennemi dans le nord-ouest Franche-comté. Une colonne de hommes confiée au capitaine Perrin, évadé de metz et nommé colonel à titre auxiliaire, en constitue les prémices. celle-ci va être engagée rapidement, car le corps d armée de von Werder, qui a quitté Vesoul le 18 octobre pour se diriger sur Dijon via Gray, bifurque en direction de marnay sur l ognon où on lui signale une concentration de troupes menaçant son flanc gauche. La colonne Perrin qui défend les ponts de cussey et Voray est repoussée le 22 octobre, mais prend position derrière les retranchements de châtillon et auxon-dessus. Grâce à un renfort venant de la ville, nos troupes résistent jusqu au 24, jour où von Werder décide de se replier pour reprendre la route de Dijon 6. ces combats sont connus côté français comme ceux de cussey-buthiers-auxon et châtillon. avec ce succès, la mission de cambriels prend fin. en effet, il demande, le 26 octobre, à être relevé de son poste afin de se soigner, car sa blessure à la tête, mal guérie, nécessite une sérieuse intervention chirurgicale. après un court intérim du général michel 7, qui prendra la décision hâtive de faire détruire les ponts sur le Doubs de part et d autre de Besançon, car on vient d apprendre la capitulation de metz Défense, par les mobiles des Hautes-Alpes et des Vosges, du pont de Cussey 22 octobre On rapporte que le général prussien, qui prenait ses repas à Oiselay, aurait déclaré le 22 à son hôtesse qui manquait de moutarde: «je vais en chercher à Besançon, ce sera plus facile d y parvenir qu à Belfort». Deux jours plus tard, avant son départ, il aurait dit cette fois: «je vais en chercher à Dijon, où elle est bien supérieure à celle de Besançon». 7. Il commandait la charge de la cavalerie lourde lors de la bataille dite de Reichshoffen. 29

31 Histoire le 28 octobre (seuls ceux en amont le seront effectivement), c est le colonel crouzat promu général au titre de l armée auxiliaire qui lui succède le 2 novembre, après avoir laissé le commandement de Belfort à Denfert-rochereau le 17 octobre. Dès le 8 novembre, il dirige le transfert des premiers éléments de cette future armée vers l ouest via chagny où elle devient en fait le xx ème corps d armée qui sera engagé à l ouest de Paris et qui fera plus tard partie de l armée de l est de Bourbaki. entretemps débutait, le 4 novembre, le siège de Belfort. Sommé de se rendre, le colonel Denfert-rochereau eut cette réponse, empreinte des plus hautes valeurs militaires : «nous connaissons l étendue de nos devoirs envers la France et envers la république, et nous sommes décidés à les remplir!». Il allait tenir parole audelà de toute espérance malgré la mise en batterie de plus de 200 pièces d artillerie par les prussiens. L armée DeS VoSGeS Un renfort inattendu va venir de l étranger en la personne de Giussepe Garibaldi, l un des quatre pères de la patrie italienne. républicain convaincu, il offre ses services au gouvernement de la défense nationale qui ne lui répond pas car, si le personnage est populaire, il est réputé être franchement ingérable. Garibaldi rejoint néanmoins tours le 8 octobre, 24 heures avant Gambetta qui a quitté Paris en ballon. Il est nommé Général, et arrive à Dole le 14 octobre avec le commandement d une armée qui doit être composée de tous les corps francs de «la zone des Vosges de Strasbourg à Paris». L armée dite des Vosges se constituera progressivement mais sans aucune formation vosgienne pour cause d occupation allemande. Lui seront transférées quelques unités de l armée de cambriels en partance pour chagny 8, et plusieurs formations de Francs-tireurs. D autres groupes, la plupart de médiocre valeur militaire, afflueront à Dole. on en comptera jusqu à 60, ce qui permettra d atteindre hommes dont les 150 italiens de la «compagnie génoise». Dole gardera un mauvais souvenir du séjour de Garibaldi, car les génois et de nombreux groupes-francs se livreront à moult vols et dégradations (chapelle du mont roland notamment) tandis que des représentants locaux seront arrêtés et les Jésuites expulsés. Garibaldi reçoit alors l ordre de défendre le morvan et transfère son armée à autun le 8 novembre. ce sera un véritable soulagement pour les dolois. avec un effectif qui atteindra plus de hommes, le condottière va s opposer au xiv ème corps de von Werder qui s est rendu maître de Dijon le 31 octobre. Il inflige une défaite aux prussiens à châtillon-sur-seine (19 novembre), mais ne peut pas libérer la capitale bourguignonne. Il doit attendre l évacuation ennemie pour prendre position dans la ville qu il défend victorieusement les janvier des assauts d une brigade prussienne (4 000 hommes). Dans son livre «Des principes de la guerre» paru en 1903, Foch soulignera que Garibaldi, alors qu il aurait pu se contenter d une seule brigade pour défendre Dijon, a immobilisé toute son armée. Il n a ainsi pas pu porter secours, comme il en avait reçu l ordre, à l armée de l est, faisant sans doute basculer le cours de l histoire... La DIVISIon crémer Le lorrain camille crémer a eu une destinée militaire à l issue édifiante. Lieutenant en janvier 1862, il fait partie de l expédition mexicaine de 1864 à Il est alors noté comme «officier très intelligent, d un excellent esprit militaire, plein d envergure et d entrain». capitaine en 1866, on le retrouve en avril 1867 aide de camp du général clinchant. au début de la guerre de 1870, il est dans l armée de Bazaine. Fait prisonnier, il réussit à s évader de Prusse via les etats allemands grâce à sa parfaite connaissance de la langue. Il rejoint Gambetta qui le nomme chef d escadron puis lieutenant-colonel. affecté au xxiv ème corps stationné à Lyon, il hérite d une brigade faisant partie d une division à constituer. L incompétence du général titulaire fait que la division échoit à crémer (devenu général de brigade puis de division à titre auxiliaire). La brigade dont il prend le commandement à Beaune est très disparate 9. mais grâce à son au- 8. Quatre bataillons de Mobiles, deux pelotons de Cavalerie, une batterie d Artillerie. 9. La brigade comprenait deux légions du Rhône, un bataillon de mobiles de la Gironde, un bataillon de mobilisés de Saône et Loire (nommé bataillon de la misère car mal chaussé et mal armé, et une batterie de fabrication anglaise). 30

32 Histoire dace, il réussira à faire reculer les troupes prussiennes et badoises venues de Dijon au cours des deux batailles de nuits St Georges, les 3 et 18 décembre on retrouvera la division crémer lors des combats d etobon-chenebier sur la Lizaine au cours desquels elle se battit vaillamment. Durant la retraite de l armée de l est, crémer réussira a ramener la majeure partie de sa division à Gex par les hauts plateaux enneigés et glacés du Jura. après la guerre, les mérites de crémer ne seront pas reconnus : il retrouve le grade de chef d escadron et pire, est mis en disponibilité pour avoir «trompé la confiance prussienne en s évadant». Il est en fait victime de l épuration des officiers républicains par les anciens officiers impériaux. Sa lettre ouverte au ministre de la guerre, pleine d ironie mérite d être reproduite : «Je reçois à l instant la lettre de service qui me notifie la décision de la commission de révision des grades. tant de générosité me touche et je ne saurais mieux le reconnaître qu en allégeant, autant qu il est en mon pouvoir, les charges de l Etat. J ai donc l honneur de vous adresser ma démission, me contentant comme récompense de quinze années de service d avoir mes biens confisqués, mon père exilé, mon frère tué et mon pays natal livré. tant de bonheur me fait redouter ceux que me réserve l avenir que vous me faites, et je préfère attendre en simple citoyen l occasion de refaire la guerre aux Prussiens. Veuillez agréer monsieur le ministre l assurance de tout le respect avec lequel j ai l honneur d être votre très dévoué et obéissant serviteur. Crémer, lorrain annexé et ex général gambettiste.» cette lettre lui vaudra une mise en réforme, en novembre 1871, pour indiscipline grave. Quel dommage que les armées françaises n aient pas eu plus d officiers de le trempe de camille crémer! arrivée DU capitaine De VaISSeaU rolland La marine n étant quasiment pas engagée dans cette guerre, ses officiers furent affectés à des postes à terre. c est ainsi que marius rolland se voit confier le commandement de la subdivision de haute Saône. Quand il arrive à Besançon le 21 octobre, Vesoul est aux mains des prussiens, il est donc affecté au siège de la division. Une mission difficile lui est confiée par de Prémonville: regrouper les gardes nationaux qui avaient été mobilisés et qui se retrouvent dispersés sur le Doubs, voire sont rentrés dans leurs foyers. Grâce à son opiniâtreté, et avec l aide des maires et postiers, il réussit à faire ce que certains jugeaient impossible. La quasi totalité des «mobilisés» sont rapidement rassemblés et répartis entre six bataillons. Les élus seront conquis par le dynamisme du capitaine de vaisseau, et la Garde nationale adressera une pétition à Gambetta demandant et obtenant sa désignation comme gouverneur de la Division militaire. avec une promotion temporaire comme général au titre de l armée auxiliaire, marius rolland prend, le 3 décembre, le commandement supérieur de la 7 ème Division et de la place de Besançon. Il fait alors paraitre ce manifeste énergique: «rappelons-nous les maux dont nous souffrons, nos pères, nos enfants, nos frères égorgés, nos biens sacrifiés et, par dessus tout, le sol sacré de la patrie violé et foulé par un peuple qui fait la guerre comme aux temps les plus reculés de la barbarie. nous sommes tous solidaires. réveillons-nous donc. soyons disciplinés d une manière absolue. Que les chefs donnent l exemple, que les inférieurs obéissent. Abandonnons cette vie facile et par trop légère qui nous affaiblissait ; devenons soldats et nous pourrons dire : Vive la France! car alors elle ne périra pas.» PortraIt DU nouveau GénéraL marius henri rolland est né à marseille le 28 avril Issu d une lignée de marins, il entre à l ecole navale de Brest le 14 novembre 1836, après des résultats décevants dans le secondaire. a Brest, ses notes sont médiocres, mais il fait preuve de bonnes aptitudes pour les travaux pratiques et est reconnu apte aux métiers de la marine. Sorti 50 ème de sa promotion, il ne semble cependant pas promis à un grand avenir militaire. Il débute sa carrière en servant sur des bâtiments divers, se faisant remarquer par son courage et son énergie lors des rares opérations de guerre. Promu lieutenant de vaisseau le 21 octobre 1850, il prend part au siège de Sébastopol en qualité d adjudant-major, en commandant une batterie de siège. chevalier de la légion d honneur (décembre 1853), il obtient la rosette d officier le 29 avril

33 Histoire Il embarque alors sur des navires de 1 er rang: «la Bretagne», le vaisseau amiral «Ville de Paris»... et obtient son grade de capitaine de vaisseau (équivalent à colonel) le 26 août 1861 avec le commandement du «napoléon» un vapeur de 90 canons équipé d une des toutes premières hélices, ce qui lui permet d atteindre la vitesse record, pour l époque, de 13 nœuds. après la crimée, il participe à la campagne d Italie en adriatique, et à l expédition du mexique où il dirige des opérations amphibies avec des troupes de cavalerie et d infanterie. en octobre 1870, âgé de 49 ans, il n est marié que depuis quelques mois lorsque son affectation pour Vesoul lui est signifiée. Les bisontins découvrent un personnage atypique, sévère et intraitable, au comportement parfois brutal, avec des tendances jusqu au-boutistes. Il était à la fois craint et aimé par ceux qui le côtoyaient et l appréciaient. Seul le Préfet ordinaire ne s entendit pas avec celui qu il qualifiait de «saltimbanque de la canebière» 10. Voici comment Léonce de Piépade le décrit dans «Le coup de grâce»: «... D une stature imposante, les épaules carrées toujours en mouvement, toisant l interlocuteur avec un regard farouche, arpentant son cabinet de long en large les mains derrière le dos, il lançait des ordres sévères de sa voix de stentor, marquée d un fort accent marseillais. Quand on l abordait au dehors, il faisait tournoyer sa canne dans sa main d une manière inquiétante. sous la rudesse de ses formes, la bonté de son cœur et sa grandeur d âme se révélaient dans une foule de circonstances. Elles étaient bien connues de ses familiers qui l affectionnaient, tout en souriant de ses originalités.» Deux anecdotes donnent le reflet de ce qu était réellement cet homme : intraitable avec ceux qui ne lui obéissaient pas, mais capable d émotion et de générosité face aux souffrances des victimes de la guerre. Début janvier, une vingtaine de lanciers envoyés en éclaireurs se retrouvent face à quelques uhlans près de cussey. Ils regagnent précipitamment Besançon, ce qu apprend rolland qui va les voir pour exiger qu ils retournent au combat. L un des lanciers refuse et injurie le général qui sort son pistolet et tire. L homme ne sera que blessé à l oreille, mais rolland aura apporté la preuve de son inflexibilité. mi janvier, il inspecte un hôpital improvisé cherchant à débusquer des «carottiers» qui pourraient retourner au combat. Les ambulancières lui font comprendre qu en fait les malades et blessés vivent ici un calvaire du fait de l absence de tout : poêle, linge, eau chaude, pain... Sorti des baraquements, il ne peut contenir son émotion et décide de donner la quasi totalité de sa solde pour acheter fourneau, marmites, nourriture... Sa détermination face à l ennemi sera aussi sans faille comme en témoignent ces autres faits: Von Bonin, un neveu de Bismarck avait été fait prisonnier lors d un raid de la compagnie franche du capitaine huot. Lorsqu un émissaire vint négocier sa libération, rolland refusa en menaçant de pendre le précieux otage au clocher de la cathédrale au premier coup de canon tiré sur la ville. Le 21 janvier, alors que la situation de Besançon paraissait désespérée, rolland qui haïssait les prussiens et ne pouvait envisager d être fait prisonnier aurait obtenu des membres de son état-major qu ils l accompagnent dans le suicide si la prise de la ville devenait inéluctable. Lui l aurait sans doute fait! travaux De DéFenSe De La VILLe rolland veut impérativement maintenir l artillerie ennemie à plus d une portée de canon de l agglomération. aussi, il poursuit, avec beaucoup plus d ardeur, le travail entrepris par son prédécesseur et ce malgré l arrivée d un hiver particulièrement rigoureux. Il engage le maximum de moyens à l aménagement de fortifications sur les points hauts entourant la ville afin de constituer un véritable camp retranché. Pour cela il transforme certains bataillons de mobiles en unités du génie 11. Il y eut jusqu à pionniers 10. Un autre des surnoms qui lui furent donnés est «Orlando furioso / Roland furieux», en référence au personnage éponyme, plutôt colérique, du poème épique de Ludivico Ariosto (dit l Arioste) publié au début du XVI ème siècle. 11. Ce sera notamment le cas du 3 ème bataillon de la garde mobile de la Loire, composé d ouvriers des mines de St Chamond / Rive-de-Gier / Pelussin, que dirigeait le capitaine Adrien de Montgolfier ingénieur des Mines. Celui-ci sera élu député durant son service à Besançon et plus tard sénateur, avant de devenir un grand patron de l industrie métallurgique. 32

34 Histoire travaillant au creusement des fossés et à l aménagement des plate-formes d artillerie des quelques 15 nouvelles redoutes, batteries et fortins du camp retranché. Quoique médiocre cavalier, rolland se rend régulièrement à cheval sur les collines afin de superviser l avancement des travaux. Il était particulièrement fier de «sa» redoute de montfaucon. Près de 150 tubes d artillerie, vont ainsi s ajouter aux 250 déjà en place. Des pièces de marine se chargeant par la culasse seront même installées à la citadelle et au fort de Bregille. DISPoSItIonS PrISeS Par Le GénéraL rolland Sur le plan purement militaire, rolland sut maintenir la mobilisation par des revues, exercices et simulation d alertes de jour comme de nuit. les malades et blessés légers étaient incités à reprendre leur poste. La justice militaire fut strictement rendue avec notamment 2 condamnations à mort. Les cabarets étaient étroitement surveillés par la police militaire. Les prostituées furent regroupées à la citadelle avant leur expulsion. on procéda à l épuration des groupes de Francs-tireurs qui provoquaient des désordres, ou dont la motivation se révélait douteuse. L arsenal mais également les ateliers civils se virent confier la fabrication d obus et de cartouches, et l on fit rayer à casamène l âme des canons les moins récents pour les rendre plus performants. a l extérieur de la ville les opérations militaires furent relancées en s appuyant sur les renseignements provenant d un escadron d éclaireurs à cheval et d un réseau de renseignements composé à la fois de douaniers et contrebandiers, garde-chasses et braconniers... Le lieutenant-colonel de Bigot adjoint de rolland à l état-major, diriga très efficacement ce réseau. Parallèlement fut rappelée la nécessité de conservation du secret chez les prisonniers, dont certains avaient tendance à répondre spontanément au questionnement des prussiens. Les compagnies franches multiplièrent les raids sur les postes et convois en haute-saône, en particulier celle du capitaine huot dont les exploits étaient connus de toute la région. Jusqu à 8 bataillons menèrent des attaques depuis les hauteurs du Lomont en direction de l arrière des troupes ennemies engagées dans le siège de Belfort, les détournant ainsi de leur mission. en matière de logistique médicale, des dispositions furent mise en œuvre pour isoler les malades contagieux tandis que de sérieuses formations hospitalières étaient organisées. L intendance militaire veilla quant à elle à une répartition des vivres la plus équitable possible. L affaire DeS FUSILS SUISSeS Fin septembre le conseil général avait mis à disposition du Préfet une somme de francs pour passer avec des armuriers suisses un marché de fourniture de fusils, car ces armes faisaient défaut. mais avant qu une commission ne donne son avis sur les modèles à commander, le Préfet chargea une connaissance d effectuer la transaction qui portait sur 1100 armes. L intermédiaire commit l erreur de ne signer aucun marché et ne spécifier aucune clause, si bien que les armes furent saisies à la frontière par les autorités suisses, car considérées comme marchandise de contrebande. Le département ne récupéra pas les sommes déboursées qui, avec les frais de l intermédiaire s élevèrent à francs. DEux CorPs FrAnCs BIEn DIFFÉrEnts LeS VenGeUrS De La mort Un groupe de francs-tireurs venant de Lyon se présente fin décembre à Besançon. Ils se sont baptisés «les Vengeurs de la mort». Leur chaude tenue fait des envieux : Dolmans bordés d astrakan, bonnet en mouton... Un écusson sur cette coiffure représentait une tête de mort avec deux tibias. Lorsque le général rolland les passent en revue place St Pierre, il ne cache pas son irritation devant leur attitude cavalière et emploie vigoureusement le plat de son épée pour améliorer l alignement. Il aurait même dit: «on m a envoyé des écuyers de cirque et non pas des soldats!» La suite lui donnera raison. Le chef des Vengeurs a un comportement qui n inspire pas confiance. Il s appelle malicky et est polonais ou russe. Il est assisté de nombreux officiers et sous officiers et dispose de francs remis par le comité lyonnais qui a constitué le corps. Le 1 er janvier, le corps franc occupe Glay. malicky non présent leur fait donner l ordre de se porter sur abbevillers où il les rejoindra le lendemain matin. ce matin-là des tirs sont échangés avec les prussiens 33

35 Histoire chacun restant sur ses positions. comme malicky ne vient pas et que les cartouches commencent à manquer, une partie des officiers pris de panique abandonnent le terrain et passent en Suisse alors que l ennemi ne manifestait aucune volonté d attaquer. malicky a aussi passé la frontière. a Porrentruy, il pose son uniforme en déclarant: «Je rentre en France par Genève pour rendre compte au ministre de la guerre de la trahison dont mon corps a été victime...» Il emporte avec lui francs. Le «Jura de Porrentruy» non informé des événements réels parlera de «Vengeurs harassés de fatigue, se battant comme des lions et perdant leur chef au combat...» en septembre, malicky sera arrêté et condamné à 20 ans de travaux forcés. La 3ème compagnie DeS FrancS-tIreUrS DU DoUBS Parmi les francs-tireurs opérant sur la région, c est la compagnie du capitaine huot qui fut la plus en vue, devenant la terreur des petites troupes allemandes en mission au nord Franche-comté. ce hussard a servi comme lieutenant dans la 2ème compagnie des Francs-tireurs du Doubs lors des combats dans les Vosges avant de se replier sur Besançon et de prendre la tête d une compagnie reconstituée. S appuyant sur le réseau de renseignements de de Bigot, il surprend les petites troupes ennemies comme à raze où il attaque l escorte d un officier qui s est illustré en 1866 à la bataille de Sadowa, le major von Kelker. Fin novembre, il libère 120 soldats qu escortaient 80 prussiens. Début décembre il met en fuite des uhlans à Frétigney avant de neutraliser, quelques jours plus tard à noidans, 30 prussiens chargés de convoyer une centaine de prisonniers. Le 12 décembre, la compagnie attaque à la baïonnette un important convoi de ravitaillement à Vellexon. huot saisit 4 voitures et fait 50 prisonniers (dont le neveu de Bismarck), mais est blessé aux jambes. ces exploits, qui soulèvent l enthousiasme de la population, lui valent de recevoir du général rolland, la croix de chevalier de la légion d honneur. La compagnie «huot» ne comportait qu une trentaine d hommes, mais de par ses exploits, elle contribua à remonter le moral des bisontins. Quant à son vaillant capitaine, sitôt rétabli, il reprit le combat, intégra l armée de l est et termina la guerre en Suisse. La FIn De La GUerre (JanVIer-FéVrIer 1871) Début janvier, Besançon voit le passage d une grande partie de l armée de l est du général Bourbaki en marche pour délivrer Belfort : Le xx ème corps d armée et la «réserve» remontant de Dole et le xxiv ème corps débarquant en ville par voie ferrée. malgré un effectif réduit et après avoir protesté pour la forme, rolland doit renforcer ce dernier corps en lui cédant une division de marche (4000 hommes) prélevée parmi ses meilleures troupes. Les trains transportant le xv ème corps transiteront seulement gare Viotte car Bourbaki, mal conseillé, a fixé clerval comme terminus 12. La ville devient la base logistique de l armée de l est alors que la saturation du réseau ferré a empêché la reconstitution des réserves de la garnison. Les blessés et malades 13 affluent en nombre saturant hôpitaux et hôtels particuliers transformés en «ambulances». en plus des blessures, les médecins et infirmières ont à soigner des gelures dues au climat rigoureux de décembre/janvier alors que les soldats étaient pour la plupart mal chaussés et trop peu vêtus. Des maladies comme le typhus, la dysenterie, la variole font leur apparition. on connait le destin des «Bourbakis»: une victoire remportée sur les prussiens le 9 janvier à Villersexel, puis notre armée butant les et 17 janvier sur 12. Ceci se révélera une grave erreur, car la petite gare de cette ville n était pas en mesure d accueillir en peu de temps 95 trains (3600 wagons), transportant hommes mais aussi 600 chevaux et 20 batteries d artillerie. le ligne Besançon-Clerval fut embouteillée du 6 au 16 janvier Une part importante des blessés graves succombèrent. Une fosse commune recueillit les dépouilles de quelques 2179 militaires français au cimetière des Champs Bruley à Besançon. 14. Les soldats français furent beaucoup plus atteints par la variole que leurs adversaires, mais surtout il y eut un pourcentage 4 fois plus élevé de décès parmi eux (23500 sur les malades au plan national), du fait que l on ne pratiquait pas encore en France le rappel du vaccin. 34

36 Histoire les défenses déployées par von Werder le long de la Lizaine, Bourbaki décidant alors de se replier sur Besançon. Là, les troupes sont maintenues hors de l enceinte fortifiée avant de reprendre leur pathétique retraite vers Pontarlier et la Suisse avec le général clinchant à leur tête après la tentative de suicide et la destitution de Bourbaki. La frontière est franchie par l essentiel de nos troupes le 1er février. rolland réussit à contenir une tentative allemande le 21 janvier à marnay-cussey, puis les troupes de manteuffel tenteront une percée les janvier entre Busy et Vorges, tentative que des divisions de l armée de l est repoussent avant que celle-ci poursuive sa retraite vers Pontarlier. Le corps d armée de manteuffel comptant hommes, 2 divisions seront laissées à Besançon 15, les moyens propres de la 7 ème Division étant des plus réduits. Les hostilités sont alors suspendues, car un armistice de 21 jours débutant le 31 janvier vient d être conclu à Versailles où siège l état-major général allemand. mais les officiers français engagés dans le Doubs apprendront après leurs adversaires que ce département est exclu de la convention (ainsi que le Jura, Belfort et la côte d or). Il en résulta une confusion défavorable à certaines divisions françaises qui battaient en retraite. rolland, qui envisage une reprise des hostilités après le 20 février, maintient ses troupes en action: exercice d alertes, poursuite des travaux sur les positions d artillerie... Les évadés français n appartenant pas à des corps de garnison sont refoulés, car on sait que l ennemi espionne en vue de connaitre la situation réelle de la place. Parallèlement des négociations sont entreprises au cours desquelles rolland, non doué pour la diplomatie, adopte une attitude souvent agressive tranchant avec les conventions établies 16. Lorsque l armistice est étendu le 15 février 17 aux départements jusque là exclus, rolland réussit à obtenir de ses interlocuteurs directs le maintien des plateaux du Jura dans la zone non conquise, apportant la preuve de son efficacité à défendre les intérêts de la France, malgré un mode de négociation peu orthodoxe. La convention nationale qui s appliqua en fait, n attribuera qu une couronne de 10 km au delà des limites du camp retranché qui conserve sa garnison 18. Les allemands établiront alors un blocus strict au delà de cette limite. a la fin de l armistice qui avait été reportée au 27 février, toutes les positions d artillerie de la place étaient opérationnelles et prêtes à ouvrir le feu à la moindre tentative ennemie. c est alors que l on annonça la signature des préliminaires de paix qui mettaient définitivement fin à la guerre francoprussienne 19. en définitive, malgré la proximité immédiate des troupes ennemies, pas un obus ne sera tiré sur la ville. Les allemands n avaient sans doute pas nécessité de s emparer de Besançon à ce stade du conflit, toujours est-il que la population voua à rolland une reconnaissance immense, car la crainte des bombardements était devenue une véritable hantise. après La GLoIre, L InGratItUDe... ainsi s achève la mission à Besançon de ce redoutable chef de guerre, qui a su déployer toutes les vertus guerrières nécessaires à la réussite de la tâche ardue qui lui était confiée. Lors de son dernier passage en revue de sa chère garde nationale, il tombe de cheval et se luxe l épaule... La mer était son élément de prédilection, mais c est sur la terre ferme qu il a su prouver sa haute valeur militaire. rolland est réaffecté à son corps d origine dès le Divisions commandées par les généraux Polignac et Rébillard. Les effectifs de la place avec ces renforts étaient de hommes dont seulement véritablement opérationnels. 16. Pris de colère, il aurait un jour jeté à terre le képi d un officier prussien. 17. Ce jour-là, Denfert-Rochereau recevra du gouvernement l ordre de remise (et non reddition) de Belfort; il sortira de la place le 18 février après 104 jours de siège avec les honneurs de la guerre qu il aurait voulu éviter. 18. Une zone neutre sera aussi définie autour des forts de Joux et St André qui n avaient pas été pris. 19. Belfort n échappa pas à l occupation, ainsi que 6 départements du Nord-Est de la France. Les troupes allemandes se retireront progressivement jusqu à l évacuation totale du Pays (hors Alsace-Moselle) en septembre 1873, lorsque les 5 milliards de francs d indemnités de guerre leur auront été versés intégralement. 35

37 Histoire mars, et remplacé par le général rébillard. Il passe ses derniers jours à Besançon à l hôtel du nord. Le conseil municipal lui adresse ses plus vifs remerciements et décide qu une médaille commémorative sera frappée à son intention. Le 22 mars, jour de son départ, il apparait sur le balcon pour prononcer un discours qui se termine par : «je suis marseillais de naissance, mais de cœur je suis bisontin!» Il part ensuite à la gare accompagné par plus de civils et militaires. Il prendra sa retraite en 1876 avec son précédent grade de capitaine de vaisseau 20, car sa hiérarchie, ingrate, ne le récompensera pas de ses mérites. c est un éminent militaire, le général du génie Séré de rivières, qui magnifiera son action en déclarant: «... J estime que si la France a conservé Belfort, c est à lui (rolland) qu elle le doit presque autant qu à l héroïque résistance du colonel Denfert-rochereau. si les allemands avaient pu se rendre maîtres de Besançon... bien certainement ils n eussent pas consenti à nous laisser Belfort». on ne manquera pas de faire la comparaison entre rolland et Denfert-rochereau. Si les deux hommes avaient des caractères bien différents, leur amour de la patrie et leur détermination étaient identiques. Il est quasiment certain que si rolland avait eu à soutenir un siège, il l aurait fait avec autant d intelligence et de pugnacité que «le Lion de Belfort» et serait, on peut l imaginer, devenu pour la postérité «le tigre de Besançon»... mais heureusement, la ville ne fut pas assiégée, et pour toute reconnaissance, rolland se verra remettre par iers, en juillet 1871, la cravate de commandeur de la légion d honneur. Le souvenir du général rolland, si populaire parmi la population de Besançon en 1871, s estompa peu à peu. La ville lui envoya certes une montre-chronomètre en 1872, et les services du génie obtinrent en 1876 que deux des nouvelles fortifications construites autour de Besançon soient baptisées du nom du commandant de la place et de son directeur des fortifications durant la guerre. c est ainsi que la batterie d arguel devint la «batterie rolland» et le fort de Palente le «fort Benoit». Une médaille commémorative «La garde nationale au général rolland / travaux de défense de la place de Besançon » sera également émise. Sollicité par la classe politique locale, rolland se présentera à Besançon lors des élections de 1876 pour le renouvèlement de l assemblée nationale, mais sera battu par le candidat républicain albert Grévy. Un incident regrettable se produira en 1886 lors de l inauguration du monument de aux champs Bruley : Le Figaro ayant annoncé par mégarde le décès du capitaine de vaisseau peu de temps auparavant, et n ayant pas fait de démenti, le général Wolf, alors gouverneur de la 7 éme région militaire à Besançon, déposera une couronne mortuaire en son honneur sur la stèle funéraire... ce n est qu au début du xx ème siècle que charles Sandoz, président d une section de vétérans, prendra l initiative de passer commande d un portrait du général. Une souscription sera lancée localement et sur marseille par le Docteur challan de Belval, ami de rolland. elle aboutira à la cérémonie du 29 novembre 1907 au palais Granvelle, au cours de laquelle le tableau sera remis à la ville de Besançon. Sur celui-ci, derrière rolland donnant sans doute ses instructions à des sapeurs, le peintre Léon tirode a, semble-t-il, représenté les bataillons de l armée de l est en marche vers Pontarlier en cette fin janvier après avoir orné les murs de la salle des mariages 21, l œuvre rejoignit le musée d histoire, puis les «réserves» lorsque celui-ci fut fermé en elle s y trouve encore... très diminué physiquement durant les dernières années de sa vie, marius rolland s éteindra le 30 mai 1908 à marseille à l âge de 87 ans. Ultime souvenir du bouillant et populaire général, une petite rue du quartier des chaprais à Besançon porte son nom. Guy mollaret 20. Et non promu «contre-amiral», équivalent dans la marine de général de brigade. 21. Non loin de celui de Marulaz, précédent défenseur de la ville en

38 Histoire Bibliographie : Le capitaine de vaisseau Rolland, général commandant la 7 ème division, Albert Challan de Belval, ; Un marin sauve Besançon (R.I.A. n 1 de 1973), Lieutenant-Colonel Robert Dutriez, ; Désillusions dans l Est, Général Pierre Bertin, Guerre de ; Dernières campagnes dans l Est, Charles Beauquier, Le coup de grâce (Guerre de 1870 dans l Est), Général Léonce de Piépade, L invasion dans l Est; le Général Crémer (ses opérations militaires en ), Colonel Paul Poullet, L armée de l est; 20 décembre février 1871, Colonel Secrétan. Campagne de l Est t.1 & t.2, Pierre Lehautcourt, Gl Barthélémy-E. Palat, Histoire générale de la guerre franco-allemande, t.6 (Les armées de province), Lieutenant-colonel, Rousset La guerre de 1870, François Roth, La défense de Besançon (Journal d une ambulancière), Isabelle Febvay, ; Combats autour de Besançon, Lieutenant Duffet, Le dernier mot sur le combat de Cussey-sur-l Ognon, le 22 octobre 1870, Abbé Barret, Dernière Minute Délégation du Vaucluse: nous avons reçu le n 28 de la Fontaine de Pétrarque concocté par notre ami marc maynègre, excellent numéro comme d habitude. Le 65ème Festival d avignon commémorait la naissance de Jean Vilar, centenaire oblige, marc lui rend hommage dans un article nous rappelant sa vie et son œuvre. ensuite alain artus nous permet de découvrir le poète cévenol Léo Larguier, grand ami de cézanne. alain artus reviendra aussi sur sa dernière publication, la biographie littéraire de marc Bernard, écrivain humaniste natif de nimes, personnage particulièrement attachant. ne manquez pas la sortie de ce livre, préfacée par Bernadette Lafont, qui paraîtra en janvier (Informations/réservations: alain.artus@orange.fr) Vous pourrez aussi vous plonger avec délice dans l hymne au Queyras d hubert Leconte dévoilé avec un lyrisme émouvant (suite et fin). n oublions pas les coups de cœur de Framboise que j embrasse, avec la permission de marc. Bravo marc et Françoise pour ce nouveau numéro. Secret des templiers: notre article concernant le trésor des templiers paru dans le numéro de Décembre 2011, avait suscité un vif intérêt chez nos lecteurs. Des informations nouvelles, remettant en cause le trésor de Gisors et la véracité de certains documents «trouvés» par l abbé saunières à rennes le château, sont apparues cet été. compte tenu de la densité de ce numéro il ne m a pas été possible de vous les communiquer. elles figureront sans doute dans un prochain echo, enfin je l espère. Gérard LarGe 37

39 Poésie Gilles Simmonet Pierre J aime la pierre sous la paume De ma main elle vit la caresse d homme De son grain. Parfois comme marbre elle est lisse et douceur Lorsque sur sa chair mon doigt glisse Possesseur. Mais plus souvent elle est rugueuse, Dents dehors, Parole rude et peau de gueuse, Pas de mors. et moi, je l aime, gueuse ou souple, Attentif, Puisque nous partirons en couple Sous un if. LiBerté N 2 Quand tu t habilles d un nuage Quand ton ombre marche devant, J ouvre ma porte sur le vent ; Les captifs ont droit de partage. AurAS-tu Quand mes rides auront creusé La terre aride du miroir, Auras-tu le regard usé Par la meule du désespoir? Auras-tu perdu la chanson Des matins blonds de la tendresse? Seras-tu lasse et sans frissons? Auras-tu perdu la caresse Des jours bleus et des nuits d ivresse? ADieu etat civil Laisse-moi sécher tes larmes, enfant qui n a plus de nom. Je te demande pardon D avoir déposé les armes. il n y avait pas pour toi De place sur leur registre. Avec leur tête sinistre, ils t ont mise hors la loi. ils croyaient en vérité t avoir volé l espérance J ai bercé ton enfance, Mon amour, ma Liberté. Je vais d un pan de mur à l autre La pierre ne me reconnaît plus. elle n embrasse le reclus Qu avec un air de bon apôtre. Je n irai plus gratter la braise Pour redonner vigueur au feu ; La maison se chauffe de peu ; Le chat ne dort plus sur ta chaise. Je n irai plus pousser la flamme De ton asthmatique soufflet ; Je ne verrai plus le reflet De tes cheveux de vieille femme. trois pas devant, trois pas derrière, Je parcours l air des combats ; chaque fois que je fais trois pas Mon espoir se heurte à la pierre. Je n irai plus pousser le bois Avec le pic ou les pincettes ; Les voix du soir restent muettes ; ce ne sont déjà plus des voix. comme tu franchis le chemin, Le village s endort à l aube ; Le carillon gifle ta robe Mais c est un carillon chagrin. Je te poursuis au bout du monde Pour ouvrir la cage aux oiseaux ; tu ne m offres que des barreaux ; Les pans de mur jouent à la ronde. Gilles SiMMONet ces poèmes sont extraits de : chasseur D OrAGeS, Grand Prix Noël ViLLArD de la Société des Poètes et Artistes de France. editions Nouvelle Pléiade,

40 Détente E RECETTES APHRODISIAQUES DE LA REINE MARGOT n LIGne DIrecte avec le monde surnaturel des sorcières et autres personnages diaboliques évoqués dans ce numéro, je vous laisse découvrir les surprenantes suggestions d un célèbre alchimiste du moyen age. en plus des produits aphrodisiaques connus à l époque, la reine margot (marguerite de Valois ), grande amoureuse devant l éternel, utilisait, comme sa mère catherine de médicis, les étranges recettes imaginées par nicolas Flamel 1, pour réveiller la vigueur de ses très nombreux amants. cet alchimiste sulfureux avait concocté des potions, on ne peut plus surprenantes pour conserver ou redonner de la vigueur de ces messieurs, je vous les communique dans leur «version originale»: «Il faut prendre des graines de satyrion pignon, de l anis vert, de la roquette, en égales parties. Ajoutez-y un peu de musc, de la queue de lézard pilée, une once de testicule de rat, un foie de fauvette, une moustache de chat coupée en menus morceaux, deux cornes de limaçon, une cervelle de passereau et de l herbe appelée langue d oiseau avec un peu de mouches de cantharides. Faites confire le tout dans un miel purifié (!). Prenez en tous les matins pendant huit jours à jeun, le poids d une drachme, et ensuite tous les jours le poids d un denier. Et usez à vos repas de pois chiches, de carottes, d oignons et de la roquette en salade, mangez anis et coriandre, pignons, et buvez un verre d eau d orties à tous les repas.» cette recette était en fait destinée au peuple. Pour les gens riches, nicolas Flamel utilisait des produits plus rares, donc beaucoup plus chers et les recettes étaient beaucoup plus surprenantes, étaient-elles plus efficaces pour autant? «Prenez de la graine de bardane, écrasez-la dans un mortier, joignez-y le testicule gauche d un bouc de trois ans, une pincée de poudre provenant des poils du dos d un chien entièrement blanc que vous avez coupés le premier jour de la nouvelle lune et brûlés le septième. Vous mettrez le tout à infuser dans une bouteille à moitié pleine d eau-de-vie, et que vous laisserez débouchée pendant vingt et un jours pour qu elle puisse recevoir l influence des astres. le vingt-et-unième jour, qui sera précisément le premier de la lune suivante, vous ferez cuire le tout jusqu à ce que le mélange soit réduit à l état de bouillie très épaisse ; alors vous ajouterez quatre gouttes de semences de crocodile, et vous aurez soin de passer le mélange à travers une chausse. Après avoir recueilli le liquide qui en découlera, il n y aura qu à en frotter les parties naturelles de l homme, et sur le champ il fera des merveilles. Ce mélange est tellement actif qu on a vu des femmes devenir enceintes rien que pour s en être frotté les parties correspondantes, afin d en enduire l homme sans qu il s en doutât.» (Sic!) et nicolas Flamel d ajouter: «Comme il est assez rare de voir des crocodiles dans notre pays, qu il donc très difficile de se procurer de la semence de cet animal, on peut la remplacer par celle de plusieurs chiens. Quoi qu il en soit, on a fait et répété souvent cette expérience et elle a toujours bien réussie.» Gérard LarGe 1. Nicolas FLAMEL: Célèbre alchimiste du Moyen Age, on lui attribue souvent, à tort sans doute, un manuscrit rédigé vers l an 1400 : LeSommairePhilosophique, où l auteur prétendait pouvoir transformer le plomb en or, grâce à la pierre philosophale. Il semblerait n avoir jamais rien écrit réellement, mis à part ses recettes aphrodisiaques, et s il s est enrichi au XIV ème siècle, c est certainement en profitant largement des biens confisqués aux juifs qu on persécutait alors, car il les revendait à son profit à leur décès. Il fut tout de même généreux avec l Eglise et les hôpitaux de Paris. Sa maison fut pillée par un chercheur d or au XVIII ème siècle et elle fut définitivement rasée lors du percement de la rue de Rivoli en

41 Cartouche DIrecteUr De PUBLIcatIon m. Bernard rautureau Président de la Société Littéraire de la Poste et de France telecom 57, rue de la colonie Paris tél. secrétariat: SecrétaIre régionale mme Ginette mollaret Le champ de l étang Pugey tél. dom.: ginette.mollaret25@orange.fr DéLéGUé PoUr Le DoUBS m. Jaques roullot chemin de la Vie au Loup tallenay tél. dom.: DéLéGUé PoUr La haute-saone DéLéGUé régional et DéLéGUé PoUr Le JUra m. Gérard LarGe 90 rue du Val d amour Dole tél.: gelarge39@orange.fr DéLéGUé régional adjoint m. Bernard claudon 4 a rue de la Famille Besançon tél.: trésorier régional m. Jaques BanDerIer 350 chemin de Pymont Lons le Saunier tél.: DéLéGUé PoUr Le terrritoire De BeLFort m. Gérard machy 7 rue de Bruxelles Belfort tél. dom.: bur. : BULLetIn D adhésion - renouvellement nom: Prénom : Date de naissance : adresse: adresse électronique: tél.: r en activité r La Poste r Filiales (préciser) r extérieur (préciser) cotisation Personnel de la Poste France telecom cotisation extérieur r retraité r France telecom r 15 euros r 20 euros ces cotisations qui incluent l abonnement à missives et à l echo de Franche comté sont à adresser à votre délégué. À , le Signature:

42 COMPOSÉ EN GARAMOND ET TIRÉ SUR VELIN IVOIRE 90 G. AVEC UNE COUVERTURE MÉMOIRE DE PAPIER DES PAPETERIES ZUBER-RIEDER DE BOUSSIÈRES. ACHEVÉ D IMPRIMER EN DÉCEMBRE DEUX MILLE DOUZE SUR LES PRESSES DE L ATELIER DU GRAND TÉTRAS À MONT DE LAVAL.

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