Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
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- Marie-Jeanne Duval
- il y a 6 ans
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1 Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie. Introduction Se demander si, pour agir moralement, il faut ne pas se soucier des autres, c est s interroger sur les conditions de l acte moral. A priori, on serait enclin à penser qu agir moralement présuppose la capacité à prendre en compte les autres, et l action morale est vécue en ce sens comme contraignante,
2 allant à rebours de mon égoïsme naturel. Agir moralement, c est en effet agir conformément à la morale, définie comme un système de valeurs permettant d ordonner nos actions selon la distinction du bien et du mal. Mais l action morale peut aussi se définir comme une action bonne selon ma nature singulière, le principe d action n étant plus la valeur, donnée pour absolue, du bien et du mal, mais le critère du bon et du mauvais. Ces critères sont propres à l éthique, que l on distingue ainsi de la morale. Or, se soucier de soi, ce n est pas seulement prendre en compte sa propre personne, comprise comme un ensemble d intérêts particuliers ou égoïstes, et faire passer ses propres intérêts avant ceux des autres. Se soucier de soi, c est aussi prendre soin de soi, c est-à-dire ne pas se négliger, cultiver ce que l on est. Ego en latin signifie «moi», et le souci de soi peut être aussi cette attention portée à ce que je suis, cette discipline par laquelle je veille à vivre conformément à mes propres principes. Alors, la morale est-elle incompatible avec le souci de soi? Il s agira donc de se demander si un acte moral exige nécessairement une forme d oubli de soi. Autrement dit, faut-il sacrifier ses intérêts personnels pour agir moralement? Un acte n est-il moral qu à condition de viser l intérêt des autres? On pourrait même se demander si l attitude morale est celle par laquelle je peux aller à l encontre de mes propres intérêts. Mais qu est-ce qui, dans le désintéressement, peut être moral? N est-on moral qu à condition de se négliger? Dans un premier temps, nous verrons que l action morale présuppose la capacité à faire abstraction de nos intérêts égoïstes, en ce que son but est le devoir. Mais n est-ce pas faire de l acte moral un acte contraire à notre nature? Nous verrons alors qu il n est ni possible ni souhaitable de se négliger soi-même, dans la mesure où la vertu exige la connaissance de soi et le respect de notre nature singulière. Finalement, loin d être ce qui empêche une action d être morale, le souci de soi serait la condition nécessaire de la vertu. 1. Agir moralement exige de ne pas se soucier de soi A. Agir moralement, c est écouter sa raison Dans un premier temps, on peut penser que l acte moral se caractérise précisément par l oubli de nos intérêts personnels. Notre aptitude à distinguer le bien du mal étant liée à l usage de notre raison, comme l indique Kant, et la raison étant la capacité proprement humaine qui nous permet de combattre notre instinct qui vise notre conservation et, partant, ordonne notre action à des motifs égoïstes, alors, agir moralement c est agir contre son égoïsme. Agir moralement n est rien d autre qu écouter notre raison : la loi morale est en nous et, souligne Kant, est la même pour tous puisque nous sommes tous des créatures raisonnables. D où le caractère universel de ses impératifs qui
3 s imposent à nous indépendamment de nos intérêts particuliers, marqués, eux, par leurs divergences. B. Pour agir moralement, il faut agir par devoir et non conformément au devoir Encore faut-il, pour que l acte soit réellement vertueux, que son but soit réellement la vertu. Autrement dit, agir moralement n est pas seulement se conformer aux impératifs de notre raison et, par là, mettre de côté nos égoïsmes particuliers. Car je peux donner l impression que j agis moralement (j aide une vieille dame à traverser la rue, je mets donc de côté mon intérêt égoïste qui aurait exigé que je passe mon chemin) sans pour autant agir moralement (en réalité, j attends une récompense de sa part, ou le regard attendri des passants). C est là le sens de la distinction kantienne entre «agir par devoir» et «agir conformément au devoir». Dans le premier cas, il s agit de la définition même de l acte moral : j agis moralement pour agir moralement, par pur amour du devoir (j aide la vieille dame à traverser sans rien attendre en retour). Au contraire, agir «conformément au devoir», c est faire son devoir, se conformer à ce que me dit la loi morale quand j écoute ma raison, mais sans perdre de vue mon propre intérêt égoïste (au fond, j attends une récompense, je crains une punition ). Cet acte, en apparence moral, ne l est donc pas. C. L acte moral est donc par essence un acte désintéressé L acte moral est ainsi conditionné par ma capacité à oublier totalement mes intérêts égoïstes. Il est, par définition, un acte désintéressé, c est-à-dire un acte effectué indépendamment de mon intérêt personnel, voire un acte qui va à l encontre de mon intérêt personnel. Ce n est pas non plus un acte fait dans l intérêt des autres : en réalité, il exclut absolument toute considération relative aux intérêts. Je n agis pas pour moi ni pour les autres : j agis par pur amour du devoir, c est-à-dire que ce qui motive mon action est le souci exclusif d obéir à la loi morale. L acte moral est donc un acte sacrificiel par lequel un sujet met de côté le jeu des intérêts et, ce faisant, réalise ce qu il est en son fond, c est-à-dire une créature raisonnable. [Transition] Mais alors si je dois, pour que ma conduite soit morale, me sacrifier, on peut douter de la possibilité même de l acte moral. Car l attitude désintéressée est-elle seulement possible? Être vertueux pour être vertueux, à supposer que cela soit humainement possible, serait tout de même être vertueux dans un certain but. Par ailleurs, que peut-il bien y avoir de moral dans le sacrifice de soi?
4 2. Pour agir moralement, il faut se soucier de sa nature A. Définir la vertu par le désintéressement rendrait l acte moral impossible Car à bien y regarder, peut-il exister un acte purement désintéressé, c està-dire un acte qui n aurait pour but ni l intérêt des autres ni le mien? Dans le cadre d une morale religieuse, je dois me donner pour but d être vertueux, c est-à-dire qu il me faut agir selon des règles morales qui se donnent pour universelles, et définissent un mal et un bien absolus (c est-àdire, étymologiquement, «séparés» du contexte, de ce que je suis personnellement, de mon époque ). Pourtant, si cette vertu n a pas pour but mon intérêt égoïste immédiat elle ne me garantit pas un bonheur instantané elle conditionne bien mon accès à un bonheur futur. La promesse du paradis, la menace de l enfer, sont l horizon de ma vertu ou de mon vice. Ainsi, je suis vertueux dans le but d aller au paradis ou de me garantir de l enfer. Est-ce là une attitude désintéressée? B. La nature ne saurait exiger de nous aucun sacrifice Enfin, outre la difficulté, voire l impossibilité de l action morale ainsi définie, il pourrait sembler paradoxal d affirmer que, pour réaliser son essence de créature raisonnable, l homme pourrait être amené à se sacrifier lui-même qu il s agisse du sacrifice de son bonheur ou d autres préoccupations qui semblent être les siennes par nature. C est ce que souligne Spinoza, en montrant que réalisation de soi-même et vertu sont une seule et même chose. La nature, dit-il, ne saurait exiger de nous aucun sacrifice, c est-àdire que la vertu ne peut s éprouver dans la souffrance, celle-ci étant d abord le signe que nous tournons le dos à ce que veut notre nature. Or, être vertueux c est se conformer à ce que veut notre nature, la nature humaine étant définie par ce «conatus» par lequel Spinoza désigne cette force consciente ou inconsciente qui nous porte à nous conserver et à nous accroître du point de vue de notre corps et de notre esprit. La souffrance étant le signe d un amoindrissement de notre puissance d agir, il est impossible de voir de la vertu dans le sacrifice de soi. [Transition] Mais alors, à quelle condition un acte est-il moral? S il ne peut s agir d un acte par lequel nous nous détournons de nos propres intérêts, si un acte désintéressé n est pas possible, qu est-ce qu un acte moral?
5 3. Pour agir moralement, il faut se soucier de soi A. Être vertueux, c est se soucier de ce qui est bon ou mauvais pour nous En réalité, la critique spinoziste de la morale, pensée comme système de jugements extérieurs à nous et, en cela, inadéquats à nos singularités, n est pas une critique de la vertu. C est que la vertu doit être redéfinie comme la posture de celui qui veille précisément à vivre en accord avec sa nature singulière. Il s agit donc de rejeter les catégories absolues du bien et du mal pour celles du bon et du mauvais, chacun étant apte à déterminer ce qui est bon ou mauvais pour lui selon les signes que sa nature lui adresse : c est là le sens d une éthique. Chaque homme doit donc se diriger vers ce qui augmente et conserve sa puissance d agir, et fuir ce qui la diminue. Ainsi, être vertueux suppose nécessairement qu il faut se soucier de soi, c est-à-dire être attentif à ce que notre nature singulière nous indique. B. Être vertueux, c est être égoïste Ainsi, l égoïsme bien compris, c est-à-dire compris comme un art de soi, ne saurait disqualifier nos actions. C est ce que souligne Nietzsche, en distinguant deux égoïsmes : à celui entendu comme considération exclusive de nos intérêts aux dépens de ceux des autres, et qui se définit donc par leur exclusion du champ de nos préoccupations, s oppose l égoïsme compris comme aptitude à se soucier de soi, c est-à-dire à ne pas se perdre dans l impersonnel mais à cultiver ce que l on est. Or, cette aptitude n exclut pas les autres. Bien agir, écrit Nietzsche dans Aurore, c est prendre soin de soi, et par là «être utile aux autres» en se formant soi-même pour devenir «quelque chose qu autrui voit avec plaisir, par exemple un beau jardin tranquille et fermé sur lui-même, avec de hautes murailles contre les tempêtes et la poussière des grandes routes, mais aussi une porte accueillante». Conclusion En définitive, le souci de soi n est pas ce qui empêche nos actions d être morales, mais bien au contraire ce qui conditionne notre vertu. Car le souci de soi n est pas la tendance aveugle à laquelle nous nous livrons par goût de la facilité, mais l effort par lequel nous tendons à nous réaliser. Ainsi, il n y a pas d acte moral qui néglige la connaissance de soi et le soin pris à se cultiver. Se soucier de soi n est pas se détourner des autres, s oublier soi-même ni se sacrifier, mais s exercer, se développer, et s efforcer ainsi d être à la hauteur de nos potentialités. C est à cette seule condition que notre conduite sera vertueuse.
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