La protection du patrimoine fortifié dans le département du Var

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1 La protection du patrimoine fortifié dans le département du Var Marie-Odile Giraud, chargée d études documentaires à la Conservation régionale des monuments historiques Si la région Provence-Alpes-Côte d Azur, toutes époques et tous territoires confondus, est riche d un patrimoine militaire de premier plan, le bilan de sa protection au titre des monuments historiques fait apparaître que seules, à ce jour, les fortifications des périodes anciennes (antique et médiévale) sont relativement bien prises en compte. Le patrimoine fortifié des époques moderne et contemporaine souffre au contraire d un déficit de protections, même si quelques uns des principaux sites Vauban ont pu bénéficier au cours des dernières années d une remise à niveau avant de rejoindre la liste du Patrimoine mondial de l UNESCO. Les fortifications constituent ainsi l une des thématiques de protection privilégiées du service des monuments historiques dont la mise en œuvre, en 2013, a prioritairement concerné le Var, département particulièrement touché par le phénomène du retrait de l Armée d un certain nombre de sites et de la mise en vente consécutive de leurs bâtiments. Un comité scientifique a été constitué, réunissant autour de la conservation régionale des monuments historiques et du service territorial de l architecture et du patrimoine du Var, le service régional de l Inventaire qui depuis plusieurs années a diligenté une étude exhaustive du patrimoine fortifié régional, des professeurs des universités d Aix-Marseille et de Nice, des érudits locaux spécialisés dans le domaine. Après avoir recensé les études et inventaires disponibles et identifié les personnes-ressources susceptibles d être associées à ce travail, une étude aux fins de protection a été commandée à Bernard Cros, spécialiste des fortifications varoises, auteur notamment du bel ouvrage Citadelles d Azur, quatre siècles d architecture militaire varoise. Il en est résulté un recensement raisonné des édifices ou ensembles les plus significatifs et les plus remarquables, accompagné d un état précis de leur propriété, de leur intégrité et de leur conservation. Des priorités de protection ont pu être établies, fondées d abord sur l intérêt historique et architectural d un ensemble patrimonial qui, à l intérieur même du département, affiche de remarquables distorsions : ainsi le patrimoine de la rade d Hyères est-il, à quelques rares exceptions près, entièrement protégé, quand la protection de la rade toulonnaise demeure encore tout à fait symbolique. Une présence militaire continue a jusqu ici assuré, il est vrai, la préservation de la plupart des grands ensembles ou des petites unités du port militaire de Toulon, cependant la question de leur devenir à plus ou moins long terme est aujourd hui posée dans le contexte nouveau du déclassement et la désaffectation de certains sites. Cette actualité aura déterminé une première sélection de trois ouvrages du mont Faron proposée à l examen de la commission régionale du patrimoine et des sites (C.R.P.S.) : le fort du Grand Saint-Antoine et ses deux ouvrages associés, la tour de l Hubac et la tour Beaumont, qui forment ensemble un maillon du système défensif de la première ceinture des forts détachés de Toulon réalisée autour de La C.R.P.S. du 12 décembre 2013 s est prononcée en faveur d une mesure d inscription au titre des monuments historiques pour cet ensemble cohérent qui, au-delà des évolutions d usage et des adaptations qui ont pu en découler, a globalement conservé son intégrité. 1

2 Le fort du Grand Saint Antoine Sur le contrefort ouest du Faron, le fort du Grand Saint-Antoine a pour mission de contrôler le débouché de la vallée de Dardennes. Considéré comme l ouvrage le plus urgent à réaliser pour empêcher le contournement du massif et une prise à revers par l ennemi, le fort fit l objet d une décision de principe dès Ses grandes lignes furent arrêtées par le Comité des fortifications en juillet 1842 et le projet détaillé, conçu par le capitaine Noël, fut réalisé de 1842 à Vue aérienne - Google Masse de pierre calcaire grise totalement hermétique mais d où rien n échappe à la vue, le fort a été construit avec les matériaux provenant du creusement du fossé dans le roc. Sa configuration générale est représentative des principes d architecture militaire alors en vigueur. Le tracé est pentagonal et bastionné. L artillerie n est plus sur le rempart, mais placée sur un massif en terre formant cavalier central, disposition qui permet de dissocier défense rapprochée et défense éloignée tout en affranchissant l artillerie des risques inhérents au renversement du rempart par les coups adverses. Alentour, les pentes «réglées» du Faron forment glacis et la contrescarpe du fossé est revêtue d une maçonnerie de moellons afin de garantir sa bonne tenue. Vue du bastion nord-est et de son fossé. Vue du fossé ouest et de son mur de contrescarpe. 2

3 La porte du fort s ouvre sur le côté le moins exposé, au sud, face à la ville. L accès au fort emprunte un pont «dormant» en maçonnerie, suivi d un pont-levis aujourd hui fixe. L entrée se fait par un passage voûté encadré de deux corps de garde. De part et d autre de la porte, se tiennent les restes du dispositif de manœuvre du pont-levis (système dit «à la Poncelet»). L entrée du fort côté sud Vue du mur nord face à la montagne Une préoccupation essentielle des concepteurs du fort est de le défiler des vues plongeantes depuis les hauteurs du Faron : la courtine faisant face à la montagne est haute de près de 10 mètres ; le cavalier forme lui-même masque au profit du front ouest du fort et un système de traverses en maçonnerie défile les terre-pleins. Pour la défense rapprochée de l ouvrage, la courtine orientale est percée de nombreux créneaux de fusillade. Les locaux d habitation et de service du fort sont noyés sous le cavalier d artillerie : sous le flanc droit, une caserne casematée prévue pour 150 hommes ; sous le flanc gauche, les magasins qui recouvrent la citerne d eau pluviale. A l extrémité du flanc gauche du cavalier se trouve le magasin à poudre. Intérieur du fort. Vues du cavalier d artillerie abritant notamment la caserne casematée. Le fort du Grand Saint-Antoine, propriété du ministère de la Défense, n a plus de fonction militaire depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Occupé par les archives du service historique de la Défense jusqu en 2011, il est aujourd hui désaffecté. Le retrait définitif de l armée et la récente mise en vente du fort ont suscité l émotion de plusieurs associations locales qui, au-delà de l intérêt patrimonial de l édifice, rappellent l attachement des Toulonnais pour ce lieu de mémoire de la libération de la ville en août

4 La tour de l Hubac Pour compléter l action du fort du Grand Saint-Antoine, le Comité des fortifications avait envisagé dès 1842 la construction d une tour sur la barre de l Hubac, un éperon rocheux situé au nord-ouest Faron. Ajourné, ce premier projet fut remplacé en 1844 par celui d une batterie retranchée dont la position avancée aurait permis non seulement de battre la vallée de Dardennes contrôlée par le Grand Saint-Antoine, mais aussi les pentes conduisant au pas de Leydet. En 1845, le projet évoluait à nouveau et il s agissait désormais de «construire une tour et une batterie sur la barre de l Hubac avec chemin de communication au fort du Grand Saint-Antoine». La tour et la batterie furent réalisées en d après les dessins du capitaine Quiot. Conçue pour abriter une quarantaine d hommes permettant le service de six pièces d artillerie, la batterie de l Hubac n a, semble-t-il, jamais reçu plus de deux canons. Après une phase d abandon, la tour a été utilisée comme blockhaus durant la Seconde guerre mondiale, d où quelques remaniements ponctuels. Depuis quelques années, elle a été rachetée par un particulier pour en faire sa résidence secondaire. Vues de la tour depuis le chemin d accès et depuis la terrasse supérieure. Aménagée sur un terre-plein séparé de la route par une coupure, la batterie de l Hubac était accessible par un pont-levis (aujourd hui par un tablier métallique fixe) enjambant un fossé profond de 3,5 m. L entrée se fait par une porte percée dans un mur crénelé derrière lequel la batterie est divisée en deux terrasses étagées à peu près équivalentes et reliées par une rampe. La terrasse inférieure, rectangulaire (21 x 10 m), surplombe la déclivité rocheuse sur son front ouest où elle est flanquée de deux échauguettes carrées aux angles. La terrasse haute, de forme pentagonale irrégulière (environ 16 x 12), supporte la tour-réduit. Vue des deux terrasses reliées par une rampe. 4

5 La tour de plan cylindrique (d un volume tronconique, son diamètre se situe autour de 12m) comporte deux niveaux voûtés disposés autour d une cage d escalier cylindrique qui débouche en terrasse à l abri d une coupole. De façon traditionnelle, le niveau inférieur correspondait aux magasins de stockage et le niveau de plain pied était réservé au logement de la troupe. Le rez-de-chaussée consistait en une salle annulaire continue, non refendue, seulement éclairée par les créneaux de fusillade et couverte d une voûte en berceau fortement brisé (4,75 m à la clé). L étage de soubassement, voûté d un berceau surbaissé annulaire, est distribué par une circulation annulaire continue. S y trouvaient une citerne et des casemates affectées aux magasins, dont le magasin à poudres. La courtine d entrée à pont-levis et détail des mâchicoulis sur arcades. L élévation, ceinturée de mâchicoulis sur arcades et percée de nombreux créneaux de fusillade pour la défense rapprochée de l ouvrage, met en œuvre trois types de matériaux : blocage de moellons revêtu d un enduit couvrant pour les parements ordinaires ; briques disposées en harpe pour les chaînages et pour les encadrements de créneaux ; pierre de taille réservée aux assises de l ouvrage. La tour de l Hubac est représentative d un type d ouvrage défensif dont de nombreux exemplaires avaient été projetés pour le Faron, mais dont elle fut l unique réalisation. Avec son plan cylindrique, elle constitue un ouvrage singulier dans le paysage militaire de Toulon. Son usage actuel lui a valu quelques modifications, sans réelle portée. La tour Beaumont Sur la hauteur de Beaumont qui contrôle simultanément la gorge de Saint-Antoine et celles formant le Pas de Leydet, une tour fut construite de 1842 à 1845 par le capitaine Noël, l auteur du fort du Grand Saint-Antoine dont elle complétait, avec la tour de l Hubac, le dispositif. Un corps de garde prévu à 200 m. à l ouest de la tour ne fut jamais réalisé. En 1875, l on s avisait d améliorer les capacités défensives de l ouvrage par l adjonction d une batterie assurant des tirs en direction de l ouest et du nord-ouest, la tour devenant un réduit de batterie destiné avant tout au logement du personnel affecté à l artillerie, un casernement d une capacité de 48 hommes. Après la Première guerre mondiale, la batterie fut déclassée et abandonnée à la ruine, la tour désaffectée. La construction en 1958 du téléphérique du Faron permit au public d accéder facilement aux abords de la tour qui accueillait des manifestations saisonnières, notamment commémoratives de la libération de Toulon. Projeté par le Général De Gaulle, le Mémorial du débarquement de Provence en 1944 fut inauguré à la tour Beaumont le 15 août

6 Vue de l entrée du Mémorial du débarquement de Provence. Directement inspirée de la tour de Croix Faron ( ), la tour Beaumont présente un plan demi-annulaire, d une largeur totale de 24 m., recoupé à la gorge par un front droit entre deux demi-bastions et abritant une petite cour demi-circulaire à l origine à ciel ouvert. Partiellement entourée d un fossé, elle comporte un unique niveau de plain pied reposant sur le rocher naturel ravalé. Le plan de ce casernement s organise en casemates radiantes autour de la cour, couverte chacune d une voûte en berceau évasée reposant sur de robustes refends. Les demi-bastions abritent deux petites casemates voûtées qui contrebutent la partie annulaire. Vues de l ancienne cour intérieure aujourd hui couverte et d une casemate voûtée. Au centre du front de gorge, l accès se fait par une porte à pont-levis avec système «à la Devèze». Construite en matériaux locaux, la tour présente des façades sévères mais non dépourvues d une certaine élégance : sur la maçonnerie de moellons initialement enduite se détache la pierre de taille, finie à la boucharde, réservée au décor d architecture de la porte d entrée, des mâchicoulis sur arcades, des chaînages d angle et des créneaux de fusillade. Par effet de contraste, les encadrements de baies à l intérieur sont mis en œuvre en briques. 6

7 L entrée du Mémorial (front de gorge de la tour) et partie ouest de la façade semi-circulaire à mâchicoulis. Sous le demi-bastion ouest est aménagée une citerne d une contenance de 102,45 m3, alimentée par les eaux pluviales de la terrasse et équipée d un système de filtrage à deux citerneaux. Un escalier a en outre été percé dans le soubassement pour accéder directement au magasin construit dans le fossé après Au-dessus de la tour, la batterie de 1875 détruite et défigurée, depuis 1961 propriété de la ville de Toulon qui y a réalisé un aménagement paysager, ne présente plus d intérêt. Propriété du ministère de la Défense, administrée par la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives de ce ministère, la tour Beaumont a fait l objet de constructions périphériques pour l aménagement du Mémorial du débarquement de Provence. Son intégrité a cependant été parfaitement respectée et son état de conservation est excellent. Nota : - Les notices des trois édifices ont été rédigées à l appui de l ouvrage de Bernard Cros, Citadelles d Azur, quatre siècles d architecture militaire varoise (Aix-en-Provence, Edisud, 1998) ; des monographies établies par Christian Corvisier en 2010 dans le cadre de l étude sur les fortifications commandée par le service régional de l Inventaire. - Crédits photographiques : fort du Grand Saint-Antoine et tour de l Hubac, sauf mention contraire, M.O. Giraud, drac paca crmh, 2013 ; tour Beaumont F. Pauvarel, Inventaire général,