PSSI Prolifération spatiale et sécurité internationale

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1 RAPPORT FINAL Étude réalisée en Rapport n 545/FRS/PSSI du 25 novembre 2013 Convention de financement CSFRS / FRS signée le 25 mai 2012 (APNT 2011), transmise par bordereau n 94/CSFRS du 31 mai 2012 PSSI Prolifération spatiale et sécurité internationale Éléments pour une prospective technologique à l horizon 2030 FLORENCE GAILLARD-SBOROWSKY STÉPHANE DELORY ISABELLE SOURBÈS-VERGER Avec le soutien du 4 BIS RUE DES PATURES PARIS TEL : MAIL : CONTACT@FRSTRATEGIE.FR SIRET TVA FR CODE APE 7220Z FONDATION RECONNUE D UTILITÉ PUBLIQUE DÉCRET DU 26 FÉVRIER 1993

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3 SOMMAIRE INTRODUCTION LES MODALITÉS HISTORIQUES D'ACCESSION À LA PUISSANCE SPATIALE L'Inde et la Chine comme cas historiques d'étude L'éventail des motivations nationales A. Trente ans de développement des compétences chinoises missiles et lanceurs jusqu à leur maturité : B. La science pour le développement au cœur de la politique spatiale indienne : priorité aux lanceurs et à la coopération, développement tardif des capacités missiles Les capacités acquises par les acteurs historiques A. Les caractéristiques des bases nationales de lancement B. Les caractéristiques des lanceurs nationaux Les moyens mobilisés pour parvenir au statut de puissance spatiale A. La nécessité de compter sur ses propres forces B. Le recours à la coopération CONTRAINTES TECHNIQUES DU SCHÉMA DE PROLIFÉRATION BALISTIQUE À L'AUNE DU SPATIAL Une prolifération techniquement complexe Aspects techniques généraux Caractère opérationnel du vecteur Fiabilité des composants Choix des propulsions dans le domaine liquide Filière solide Marges d appréciation hors propulsion COMMENT PENSER LA PROLIFÉRATION SPATIALE? Sur le plan théorique : de la prolifération nucléaire à la prolifération spatiale La prolifération spatiale à l'épreuve des faits Quels enseignements pour le futur?

4 4 L'ÉMERGENCE DE NOUVEAUX ACTEURS L'Iran Un triptyque missile-nucléaire-spatial inscrit dans l'histoire de la sécurité nationale iranienne A. Entre 1941 et 1979 : constitution des bases du triptyque B : une période marquée par le changement de gouvernement et la guerre Irak-Iran C. À partir de 1998, la montée en puissance progressive du spatial iranien Vers un affranchissement du programme spatial iranien? A. Les avancées technologiques B. La réorganisation institutionnelle du secteur depuis le début des années La Corée du Nord Aux origines, un schéma classique de conversion missile lanceur A. Des programmes pour asseoir la politique/idéologie du "Juche" B. Premiers développements C : la montée en puissance des capacités nucléaires et balistiques Le temps du spatial : réalité ou dessein manipulatoire? A. Essai de missile ou lanceur spatial? B. Les sites de lancement nord-coréen La Corée du Sud : le développement technologique pour la croissance économique : l espace pour la stabilité économique et sociale A. L'organisation du spatial sud-coréen B. Le développement de satellites, première étape C. Le programme de lanceurs D. Les relations civilo-militaires La Corée du Sud, nouvelle puissance spatiale Le Brésil Contexte de mise en place des programmes brésiliens : des années 1950 au années A. Motivations et acteurs B. Institutionnalisation du spatial et premiers développements Les années charnières : A. La mise en place des programmes missiles et lanceurs B. Les limites et obstacles au développement balistique et spatial C. Le tournant des années La stratégie actuelle d'accès à l'espace A. Les capacités lanceurs B. Les infrastructures de lancements

5 5 PENSER LA DISSÉMINATION SPATIALE À L'HORIZON Quels déterminants prendre en compte pour évaluer une possibilité de prolifération spatiale? Puissances potentiellement proliférantes Modèles/typologie de prolifération balistique liée à la prolifération spatiale CONCLUSION ANNEXE 1 HISTORIQUE DU MTCR ET ENJEUX LIÉS À SON ÉVOLUTION ANNEXE 2 PAKISTAN : INPUTS DERIVED FROM FRENCH AND CHINESE TRANSFER OF TECHNOLOGY ANNEXE 3 PETITS LANCEURS-MISSILES ANNEXE 4 MISSILES BALISTIQUES, FUSÉES-SONDES ET LANCEURS DES PAYS CONSIDÉRÉS DANS L'ÉTUDE ANNEXE 5 ÉLÉMENTS CHRONOLOGIQUES CHINE ANNEXE 6 ÉLÉMENTS CHRONOLOGIQUES INDE ANNEXE 7 ÉLÉMENTS CHRONOLOGIQUES IRAN ANNEXE 8 ÉLÉMENTS CHRONOLOGIQUES CORÉE DU NORD ANNEXE 9 ÉLÉMENTS CHRONOLOGIQUES CORÉE DU SUD ANNEXE 10 ÉLÉMENTS CHRONOLOGIQUES BRÉSIL BIBLIOGRAPHIE

6 TABLE DES ILLUSTRATIONS Figure n 1 : Caractéristiques des quatre grandes familles de fusées sondes indiennes Figure n 2 : Infrastructures spatiales chinoises Figure n 3 : Centre de lancement de Jiuquan Figure n 4 : Centre de lancement de Xichang Figure n 5 : Centre de lancement de Taiyuan Figure n 6 : Infrastructures spatiales indiennes Figure n 7 : Caractéristiques des lanceurs nationaux (Chine / Inde) Figure n 8 : La coopération internationale de l ISRO Figure n 9 : Arbre de la prolifération balistique Figure n 10 : Diagramme chronologique missiles-lanceurs de la Chine Figure n 11 : Diagramme chronologique fusées-sondes, lanceurs, missiles de l'inde Figure n 12 : Inclinaison des tirs depuis Semnan Figure n 13 : Configuration du Safir Figure n 14 : Fusée Kavoshgar Figure n 15 : Maquette du Simorgh Figure n 16 : Inclinaison des tirs depuis les différents sites de lancement Figure n 17 : Configuration d'unha Figure n 18 : Markus Schiller and Robert Schumecker's assessing the Successful North Korean Satellite Launch Figure n 19 : Unha-2/Unha-3 trajectoires Figure n 20 : Les trajectoires espérée et réelle de l'unha-3, avril Figure n 21 : Comparaison des trajectoires Unha-3/Unha Figure n 22 : Nouveau pas de tir Figure n 23 : Centre de lancement de Sohae (Tongchang-ri) Figure n 24 : Rampe de lancement Avril Figure n 25 : Centre de lancement de Musudan-ri Figure n 26 : tir du 29 aout Figure n 27 : Les zones d'installations missiles Figure n 28 : Élaboration du programme spatial national (NSP) Figure n 29 : Organisation du KARI Figure n 30 : Développement des capacités lanceurs Figure n 31 : Partage du marché des industries coréennes Figure n 32 : Naro Space Centre Figure n 33 : Sonda I et Sonda II Figure n 34 : Sonda III

7 Figure n 35 : Sonda IV Figure n 36 : Organisation du secteur spatial sous la COBAE Figure n 37 : Configuration du VLS Figure n 38 : La nouvelle organisation du spatial au Brésil Figure n 39 : Évolution historique des ressources destinées aux programmes de satellites, de lanceurs et des infrastructures associées Figure n 40 : Stratégie d accès à l espace Figure n 41 : Programme Cruzeiro do Sul Figure n 42 : Présentation du programme de lanceur dans la stratégie nationale de science, technologie et d innovation pour la période Figure n 43 : Programme Cruzeiro do Sul révisé Figure n 44 : Programme Shefex Figure n 45 : Centre de lancement Barreira do Inferno (CLBI) Figure n 46 : Centre de lancement d'alcântara Figure n 47 : Tour d intégration mobile Tableau n 1 : Comparaison d un lanceur et d un ICBM mobile conçus par un État proliférant (KN-08 nord-coréen) et d un ICBM mobile moderne (SS-27 Topol M russe) Tableau n 2 : Organismes iraniens jouant un rôle dans les activités spatiales en Tableau n 3 : Arsenal de la Corée du Nord à la fin des années Tableau n 4 : Principaux clients de la Corée du Nord pendant les années Tableau n 5 : Déterminants d'une capacité de lancement développée ou en cours de développement potentiellement proliférante

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9 I N T R O D U C T I O N Entre 2009 et 2012, l Iran, la Corée du Nord et la Corée du Sud effectuent leur premier lancement réussi d un satellite national suscitant de multiples commentaires et interrogations dans le monde des experts comme dans celui des médias. Cette apparition groupée de nouveaux acteurs sur la scène spatiale internationale marquait en effet l ouverture d un club qui, depuis presque trente ans, n'avait pas évolué. Les nouveaux venus affichaient des ambitions et des capacités de lancement qui répondaient à d autres schémas que ceux mis en œuvre précédemment dans les années (duopole américano-soviétique) et dans les années (apparition de l Europe, la Chine, le Japon, l Inde). La permanence du statu quo ante, qui n aurait pu être brisé que par le Brésil au début des années 2000, avait laissé s installer tacitement l idée que le spatial restait l affaire de quelques États développés ou émergents justifiant leur volonté d acquisition de compétences par des préoccupations d intérêt national ou un souci de développement et d indépendance s inscrivant dans la mise en place d une base technologique et industrielle d envergure correspondant à leur statut de future grande puissance globale. Le fait que deux États au cœur des préoccupations internationales en matière de prolifération nucléaire et balistique, l Iran et la Corée du Nord, figurent parmi ces nouveaux venus a largement contribué à donner l idée que le développement d un lanceur servait essentiellement à masquer un programme de missile, à tester des éléments clefs (propulsion, guidage ) et à renforcer une posture internationale en mettant la communauté internationale au défi de réagir. Au début de l'année 2013, les effets d'annonce belliqueux de la Corée du Nord sur arrière-fond de tests bien réels plaçaient sur le devant de la scène la question de la prolifération largement traitée dans la presse généraliste comme spécialisée, puis reprise par de multiples experts aux avis plus ou moins nuancés en fonction de leur nationalité d'origine et de leur grille personnelle d'analyse de la sécurité internationale. La relation entre balistique et nucléaire revenait comme un élément crucial dans les études sur les politiques spatiales, dans la continuité des approches des premiers temps de la conquête spatiale à l'heure de la Guerre froide. La résurgence de cette problématique ne doit pas pour autant masquer les différences profondes qui existent en ce début du XXI ème siècle. En premier lieu, l'espace a aujourd hui plus de cinquante-cinq ans de vie autonome et si les caractéristiques fondamentales de la propulsion demeurent, posant clairement la question de la proximité technique entre missile et lanceur 1, d autres ont évolué avec le développement de petits satellites et de petits lanceurs, l'usage croissant et de plus en plus souple des applications civiles, la diffusion des compétences au travers de la littérature, des formations et de la coopération En second lieu, les conditions de la vie internationale ont profondément changé avec la fin du duopole et l'émergence d'un monde plus multipolaire favorisant des alliances se reconfigurant selon des logiques parfois complexes s'inscrivant souvent dans des perspectives plus régionales que globales. 1 Le terme lanceur est ici utilisé pour désigner un lanceur spatial, c'est-à-dire un engin capable d'atteindre une vitesse d'injection suffisante pour que l'objet lancé (le satellite) effectue au moins une orbite autour de la Terre. 9

10 Dans ce contexte, la volonté d'accession au club spatial tient à toute une gamme de raisons que nous analyserons au cas par cas : souci global d'indépendance, autonomie obligatoire par rapport à certains besoins (tels que les missions de reconnaissance), poursuite d une compétence nationale, contribution au développement par la maîtrise d'infrastructures de télécommunication, d'observation, de gestion des risques naturels... Un des éléments clefs pour comprendre la différence des traitements appliqués à tel ou tel pays dans l'analyse de ses ambitions spatiales est le degré de confiance dont on crédite le pays. Cette échelle de valeur conditionne nettement l'évaluation des motivations nationales pour la maîtrise de l accès à l espace, ce qui apparaît clairement dans la comparaison entre l'iran, la Corée du Sud et la Corée du Nord. D'un point de vue juridique, le statut de puissance spatiale est théoriquement accessible à tous les États. Le Traité de pose comme principes fondateurs le libre accès et la libre utilisation de l'espace à des fins pacifiques. Il est toutefois instructif de noter que cette garantie d'égalité entre les anciennes et nouvelles puissances spatiales peut se trouver en quelque sorte suspendue par des considérations relevant d'un autre ordre de sécurité internationale. Le MTCR 3 ou le HCoC affichent d'ailleurs explicitement le poids de l interprétation indiquant que : «3. Dans l'évaluation des demandes de transfert d'articles de l'annexe, les facteurs suivants seront pris en compte : A. Les inquiétudes concernant la prolifération des armes de destruction massive ; B. Les possibilités et les objectifs des programmes de missile et des programmes spatiaux de l'état destinataire ; C. La portée du transfert en termes de développement potentiel de systèmes de livraison (autres que les avions pilotés) pour des armes de destruction massive ;» La difficulté de distinction et la référence à l'utilisation sont aussi exprimées de façon explicite dans le Manuel d'annexe du régime de commande de technologie de missile (MTCR) 4 : «Des lanceurs spatiaux et les fusées sondes sont utilisés pour placer des satellites en orbite ou pour recueillir des données scientifiques dans la haute atmosphère, respectivement. La différence critique entre ces systèmes et les missiles balistiques offensifs est leur charge utile et leur utilisation prévue. Avec l'addition d'une charge utile d'armes et de différents algorithmes de guidage, des lanceurs spatiaux et les fusées sondes peuvent être utilisés en tant que missiles balistiques. En fait, beaucoup de lanceurs spatiaux ont été développés à partir de missiles balistiques opérationnels, et partagent des composants avec ceux ci.» Le contenu des analyses est donc décisif dans l'interprétation qui sera faite par la communauté internationale de tel ou tel développement technique et conditionnera les possibilités de transferts de technologie. La mise en perspective des travaux existants sur les politiques de lancement des pays de l'étude : Brésil, Corée du Sud, Corée du Nord, Iran devient indispensable dès lors qu'il s'agit d'en mesurer l arrière-plan et la portée car ils conditionnent les relations 2 OuterSpaceTreaty. 3 Manuel... Paragraphe 3, p. VI en particulier. 4 Catégorie I, article 1. 10

11 internationales et les perceptions régionales, voire internationales de la sécurité. La différence de traitement et d'analyse des capacités techniques des lanceurs des deux Corée est, de ce point de vue, particulièrement instructive. Quant à la position du Brésil et son retard patent dans la maîtrise de l accès à l espace, ils renvoient à des facteurs de politique interne qui méritent aussi d être étudiés en tant que tels. Il convient enfin de souligner le poids de l environnement dans les perceptions immédiates du sujet. Alors que les nouvelles élections iraniennes de 2013 ont permis la réouverture de discussions et un apaisement relatif, on constate que les papiers occidentaux sur les ambitions spatiales du pays prennent désormais davantage en considération leur légitimité. Dans le même esprit, alors que la situation régionale est pourtant tendue et que les compétences balistiques du pays sont limitées par l accord cadre avec les États-Unis, le recours par la Corée du Sud à des compétences russes pour le développement du lanceur KSLN est admis comme normal, à la différence de ce qu avait été la position américaine lors de la vente par la Russie de moteurs cryogéniques à l Inde exactement vingt ans plus tôt. L étude, et c est son originalité, retrace l histoire du développement des compétences spatiales en s appuyant sur la dimension technique et en particulier les relations missiles / fusées sondes / lanceurs en reprenant au cas par cas les filiations et les contextes politico-stratégiques. L analyse concerne dans une première partie deux cas historiques d accession au spatial très typés, ceux de la Chine et l Inde, représentant deux modèles de filiation opposés replacés dans leur contexte géostratégique particulier. Il s agit de reconstituer les étapes clefs de l acquisition de compétences missiles et lanceurs dans leur contexte propre avant de présenter l état actuel de leurs compétences, quelque respectivement quarante et trente ans après leur premier tir spatial. Cette étude servira de base de référence pour mesurer la pérennité ou pas (la pertinence actuelle) de ces modèles que l on prend volontiers consciemment ou inconsciemment comme termes de référence. La deuxième partie vient apporter l éclairage technique indispensable pour analyser la situation actuelle en faisant le point sur les contraintes identifiées dans le schéma de prolifération balistique et ses relations au spatial depuis les années Les cas de l Iran et de la Corée du Nord sont privilégiés dans l analyse des éléments clefs ; prolifération industrielle, maîtrise de propulsions différentes... La troisième partie est consacrée à l autre volet des approches de la prolifération, sa dimension purement intellectuelle et «théorique». Après une description des «postulats» en matière d analyse de la prolifération nucléaire et balistique, l analyse détaillée d un article récent sur le sujet de notre étude permet de mettre en lumière approximations et présupposés, ne serait-ce que dans l amalgame des capacités entre fusées sondes, lanceurs et missiles. La quatrième partie traite des conditions de l accession au spatial des pays de la «nouvelle vague», soit dans l ordre chronologique de réussite de satellisation : l Iran, la Corée du Nord, la Corée du Sud et le Brésil. On reprendra pour chacun l environnement politique interne et externe et les grandes étapes dans le développement des capacités tant missiles que lanceurs en présentant pour tous les cas les moyens existants en 2013 ; bases, missiles et lanceurs. 11

12 La cinquième partie montre, à l issue de ce panorama, la diversité de fait des indicateurs qui doivent être pris en compte dans l analyse des développements balistiques et spatiaux. L analyse des grands déterminants souligne la complexité des schémas et la difficulté à proposer des modèles de prolifération. On peut en revanche proposer un modèle d analyse utile pour penser chacun des cas particuliers classés selon une typologie synthétique. La dernière partie (conclusion du travail) souligne les évolutions nécessaires pour penser le développement des capacités d accès à l espace dans une perspective de sécurité internationale type HCoC. Les outils de contrôle MTCR, règles ITAR contiennent la diffusion des technologies pour les missiles comme pour les lanceurs. Ils ne jouent pas pour les coopérations solidaires Sud-Sud et faussent les analyses en sous-estimant la spécificité des motivations spatiales. C est dans cet esprit que seront traités les niveaux de développement futur des pays susceptibles de rejoindre un jour le club : Afrique du sud, Turquie, Taiwan que l on inscrira dans la typologie proposée en fin de cinquième partie. 12

13 1 Les modalités historiques d'accession à la puissance spatiale La compétence spatiale stricto sensu d'un État est tacitement reconnue dès lors qu'il maîtrise deux composantes principales : la capacité à mettre sur orbite un satellite à partir de sa base et avec son lanceur, et la capacité à fabriquer un satellite avec les moyens nationaux. Le degré de complexité des technologies mises en œuvre n'entre pas alors en ligne de compte même si c'est bien lui qui va conditionner le statut ultérieur de l'état concerné au sein du club spatial. Dans ces conditions, on comprend comment des pays dont l'indice de développement humain est parfois très bas, comme la Corée du Nord, peuvent vouloir s'afficher comme puissance spatiale à des fins de politique intérieure et internationale, alors que le même statut peut être jugé comme accessoire pour un pays riche et technologiquement avancé, comme le Canada, puisqu'il est dépendant de pays tiers pour sa politique d'occupation de l'espace circumterrestre. La question qui se pose donc à nous est double : pourquoi de nouveaux États ambitionnent-ils d'acquérir le statut de puissance spatiale et de quels moyens disposent-ils pour pouvoir parvenir à leurs fins? Dans cette première partie, nous analysons deux modèles différents dans leur histoire nationale comme dans leur positionnement international. L'ambition est de disposer d'un cadre de référence prenant en compte les effets de contexte mais proposant aussi des traits de permanence dont nous analyserons les effets au travers des réalisations telles qu'elles se manifestent après plus de quarante et trente ans d'activités spatiales. 1.1 L'Inde et la Chine comme cas historiques d'étude L'éventail des motivations nationales Entamée pendant la Guerre froide et servant de vitrine pour l'affichage par les deux Grands, États-Unis et Union soviétique, du bien-fondé de leurs choix idéologiques et de l'efficacité de leur régime politique, la conquête de l'espace reste marquée par ce cadrage intellectuel bien particulier que l'on retrouve présent dans d'autres grands domaines scientifiques et technologiques mais pour lesquels la coïncidence n'a jamais été aussi parfaite dans la mesure où ceux-ci avaient déjà une existence propre. Dans l'imaginaire collectif, la présence dans l'espace témoigne à tout le moins d'une capacité scientifique de haut niveau, de la maîtrise de technologies complexes, de la capacité à gérer des grands programmes, d'une ambition scientifique et d'une volonté politique d'affirmation de puissance, celle-ci pouvant prendre des formes diverses. 13

14 Il existe cependant différentes formes de politique spatiale s'appuyant sur des situations nationales diverses et liées à des contextes internationaux ou régionaux particuliers. Si l'on reprend le cas de chacune des puissances spatiales reconnues, selon la définition axée sur la maîtrise d'un lanceur et d'un satellite, plusieurs argumentaires sont convoqués. Le cadrage de l'étude portant sur l'état contemporain du club spatial conduit à éliminer les cas très particuliers des États-Unis, de l'union soviétique/russie et même de l'europe qui, pour différentes raisons (richesse nationale, statut de grande puissance, organisation multinationale), ne peuvent pas servir de modèle direct. Nous nous appuierons donc sur le cas des puissances émergentes, celles qui apparaissent véritablement sur la scène internationale à la fin des années 1990 et dont les premiers pas dans l'espace sont couronnés de succès à partir des années C'est à partir de ces deux exemples Chine et Inde que nous considérerons ultérieurement les cas brésilien, iranien et coréens du Nord comme du Sud (voir partie 4). A. Trente ans de développement des compétences chinoises missiles et lanceurs jusqu à leur maturité : C'est en avril 1970 que la Chine acquiert, à la surprise générale de l'opinion publique internationale, le statut de puissance spatiale. La valeur symbolique de la présence dans l espace, comme témoignage de la reconquête par le pays de sa grandeur passée, avait été très tôt perçue par le Président Mao. Dès 1956, soit un an avant le lancement de Spoutnik, il fixait comme objectif national la réalisation d un satellite artificiel afin de démontrer sur la scène internationale la pertinence des choix du régime socialiste. Ironie de l'histoire, c'est dans une Chine bien éloignée du modèle que défendait la Révolution culturelle, que la petite phrase d'un internaute chinois «Did you see that; Grandpa Mao?» se réfère à cet héritage en commentant, en 2012, le succès des vols habités 5, mais la fierté nationale reste bien là. Le lien intrinsèque missile-lanceur et la sécurité nationale Le point de départ officiel de l aventure spatiale chinoise est plus précisément fixé à octobre 1956 lorsque le Comité central du parti communiste chinois fonde la Cinquième Académie, un modeste institut établi en secret à Pékin dans les bâtiments d un ancien hôpital. La première équipe de scientifiques et ingénieurs est placée sous la responsabilité du ministère de la Défense. Sa mission consiste à mettre en place les bases indispensables au développement des compétences nécessaires à la réalisation d un missile et d un lanceur. Les ambitions spatiales initiales de la Chine s inscrivent d emblée dans une logique volontariste. En effet, pour ses dirigeants, seul un programme balistique développé en complément de capacités nucléaires peut garantir la sécurité nationale d un pays qui se sent alors menacé et encerclé. La décision effective de construire un satellite, envisagée dès 1958, est finalement prise en 1965 en s'inspirant du modèle soviétique et de son adaptation du missile intercontinental R-7 en lanceur Soyouz pour la mise sur orbite du Spoutnik. 5 Xinhua, «Chinese astronaut in space», Pékin, 24 juin 2012, cité in «Did you see that; Grandpa Mao?», The prestige and propaganda rationales of the Chinese space program, Michael Seehan, Space Policy 2013,

15 Pourtant, compte tenu des réalités de l époque, la volonté chinoise de se doter d un missile semble bien ambitieuse sinon démesurée, tandis que le pays commence lentement sa reconstruction après une décennie de guerres civiles et de luttes contre les invasions étrangères. De fait, la priorité du gouvernement communiste vainqueur est d abord d affronter les graves problèmes de sous-développement du pays et de trouver les moyens d assurer sa modernisation. Alors que plus de 80 % de la population vit dans les campagnes, les rendements de l agriculture sont très faibles et permettent difficilement de dégager les marges nécessaires à l industrialisation. Inspiré du modèle soviétique, le premier plan quinquennal ( ) met l accent sur les biens de production et la défense nationale. Cet effort particulier pour assurer l indépendance nationale fournit une justification au moins théorique au programme balistique. Reste que sur le plan pratique, les difficultés sont immenses. Le retard de la Chine est considérable dans tous les domaines et il faut établir un ordre de priorités. Le choix de Mao d une affirmation de la primauté du politique sur l économique autorise, a priori, les plus grandes ambitions. Ainsi, l intérêt précoce affiché par les responsables politiques pour les missiles et l espace s inscrit dans une conjonction de facteurs liés aussi bien à la situation intérieure qu à la situation internationale. Sur le plan national, l inspiration du modèle soviétique et la place particulière dévolue à la science et à la technologie dans l idéologie marxiste contribuent aussi à sensibiliser les dirigeants chinois. Une politique scientifique de long terme est en effet indispensable à la modernisation et au redressement du pays. Sur le plan international, la Chine compte sur une opportunité particulière, l arrivée possible de scientifiques chinois formés et vivant aux États-Unis dont plusieurs travaillent dans des laboratoires prestigieux sur des technologies de pointe et qui sont victimes de la paranoïa anti-communiste américaine du début des années 1950, entretenue par la Commission McCarthy. Pour les responsables politiques chinois, le retour de ces émigrés apparaît comme une occasion inespérée de combler le terrible manque national de compétences scientifiques alors que ces dernières sont cruciales pour la construction de la nouvelle Chine. L arrivée de Qian Xuesen, à la fin de l année 1955, a une valeur particulière du fait de l ancienneté et de l ampleur de son expérience dans le domaine des missiles et des lanceurs. Sa présence joue un rôle décisif dans la mesure où il fournit aux responsables chinois l expertise nécessaire pour définir précisément leurs objectifs. En avril 1956, il présente à la Commission militaire centrale, une des plus hautes instances du Parti, présidée par le Premier ministre Zhou Enlai, un programme de missile balistique précurseur d un programme spatial. Le projet répond parfaitement à la volonté chinoise d obtenir au plus vite une reconnaissance internationale et de posséder des moyens de défense qui, dans le contexte international tendu de l époque, sont considérés comme indispensables à la sécurité du pays. Dès le mois de mai, le premier rapport de la commission sur la mise en œuvre d une recherche dans le domaine des missiles est approuvé. Les officiels chinois multiplient alors les demandes de coopération avec l Union Soviétique. En octobre 1956, les premiers modèles de missiles russes, les R-1, arrivent à Pékin à la nouvelle Cinquième Académie dirigée par Qian. La première équipe de travail, tout juste constituée, est composée d une trentaine d experts, dont 15

16 près de la moitié formée aux États-Unis, et d une centaine d étudiants qui n ont qu une idée très lointaine de ce qu est un missile. En janvier 1958, les grandes orientations d un programme technologique global sont formulées dans un premier plan décennal. Celui-ci fixe officiellement le calendrier des travaux de la 5 ème Académie sur les lanceurs. L objectif de la Chine est alors d acquérir des capacités autonomes à l horizon D ici là, tout est à construire, sachant qu aucune des compétences technologiques requises n est disponible, ne serait-ce que pour l élaboration des matériaux nécessaires. Un tel projet ne peut donc s accomplir que grâce à l aide soviétique. Or, celle-ci reste très en deçà des espérances initiales de la Chine. Les technologies transférées sont anciennes et les Chinois en sont bien conscients. Les R-1 fournis correspondent en effet à la version russe reconstituée des missiles V2 allemands que Qian avait lui-même vus en Allemagne en mai 1945 lorsqu il y avait été envoyé comme expert par le département de la Défense américain. Les équipes se trouvent dès lors contraintes de passer par une étape obligée, la copie d un lanceur déjà dépassé par rapport aux capacités soviétiques réelles de l époque. En même temps, l état de la science et de la technologie chinoises ne permet pas forcément de plus grandes ambitions, ce qui est sans doute une maigre consolation. Quelle que soit l ampleur des difficultés auxquelles il faut faire face, la construction d un satellite national, envisagée dès le printemps 1958, est révélatrice du volontarisme chinois décidé à rattraper au plus vite le club des Grandes Puissances. Le projet bénéficie de l enthousiasme des équipes qui, en parallèle, entreprennent au sein des universités de développer des compétences théoriques. Un rapport de l Académie des Sciences élaboré par les plus éminents scientifiques du secteur présente ainsi un programme de travail comprenant la création d instituts spécialisés dans différents sites dont Pékin et Shanghai. Par ailleurs, les exigences formulées par les décideurs politiques quant aux caractéristiques techniques montrent une volonté d affichage assez proche de la logique soviétique qui a présidé aux premières réalisations spatiales. L engin devra être plus lourd que les premiers satellites déjà lancés et visible à l œil nu afin d impressionner les imaginations. Le projet 581, en fonction d un code assez classique dans le système chinois et consistant à indiquer l année et le mois ou la priorité voire l ordre de décision dans l année, est décidé en mai 1958 lors du VIIIème comité central du Parti. Dans la foulée de la promotion de la politique du Grand Bond en Avant, qui doit permettre à la Chine de rattraper en moins de dix ans le statut des pays développés en tablant principalement sur la motivation des masses et la mobilisation de l ensemble de la population, le président Mao recommande «nous devons construire notre propre satellite artificiel». Dans ce contexte, le satellite est également considéré comme un bon moyen de promouvoir et d accélérer le développement de l ensemble des champs scientifiques et technologiques. Si dans le principe, l argument est exact, et d ailleurs systématiquement utilisé quels que soient le pays ou l époque, il perd beaucoup de sa validité appliqué à la situation chinoise qui représente un cas extrême. La diversité et la multiplicité des compétences qui doivent être mises en place simultanément rendent la tâche particulièrement complexe. De plus, il n est pas avéré que les caractéristiques spécifiques des technologies spatiales soient les stimulants les mieux adaptés aux besoins d un pays en voie de développement sous-industrialisé. Quelques mois plus tard, cependant, la construction du satellite est reportée à des temps meilleurs. 16

17 La suspension un an plus tard du projet 581 ne stoppe pas les recherches qui se poursuivent en se concentrant sur la mise au point d une fusée-sonde, la T5. Il est toutefois impossible de procéder à des essais faute de matériel, aussi bien pour les équipements de test que pour la production d oxygène liquide nécessaire à sa propulsion. Le hiatus entre les objectifs et les moyens auquel les équipes se trouvent confrontées est patent et ne sera comblé que lentement. En février 1960, la première fusée-sonde chinoise (T-7M) est finalement lancée avec succès sous l égide de l Académie des Sciences 6. Exposée à Shanghai lors de la Manifestation sur les Nouvelles Technologies, elle reçoit la visite du président Mao qui manifeste ses félicitations à l équipe et renouvelle son soutien au programme. En 1959, la priorité reste aux missiles et les défis sont, là aussi, à la mesure des ambitions. L éternelle question de tout programme technologique, copier ou innover, revient sur le devant de la scène montrant la divergence des approches entre les tenants d une politique par étapes et ceux qui souhaitent combler au plus tôt le retard chinois en privilégiant des solutions originales. Le maréchal Nie Rongzheng, dont la tutelle s exercera sur le spatial pendant presque quarante ans, obtient que le choix initial, celui de la copie, soit maintenu. Sur le plan de l organisation, un effort de rationalisation est également réalisé. Il donne lieu, en octobre 1958, à la création de la Commission de la Science et de la Technologie pour la Défense nationale qui assure désormais la tutelle de la Cinquième Académie. Parallèlement, un vaste programme de construction est engagé. Outre les différentes installations de production et de tests qui sont nécessaires, il comprend l aménagement d une première base d essais à Jiuquan en Mongolie intérieure dans les montagnes à proximité du désert de Gobi. Selon les chiffres officiels, près de travailleurs sont affectés à la tâche. L ampleur de l effort est d autant plus notable qu il s inscrit dans des circonstances extrêmement difficiles compte tenu des graves pénuries qui sévissent dans toute la Chine du fait de l échec du «Grand Bond en avant» 7. À la Cinquième Académie, l octroi aux équipes de rations alimentaires supplémentaires prises sur le contingent de la Marine laisse entrevoir le degré de dénuement auquel le secteur doit faire face, mais témoigne aussi de la priorité qui lui est accordée. Les difficultés sont encore accrues du fait de la rupture avec l Union soviétique et le départ, en août 1960, des experts russes qui remportent ou détruisent sur place toute la documentation. En septembre 1960, le premier R-2 est cependant tiré avec succès depuis Jiuquan. Deux mois plus tard, la première copie chinoise du missile (renommé Dong Feng 1) est à son tour tirée avec succès. Le spatial chinois est dès lors privé de toute aide extérieure et ne comprend plus qu un programme de lanceur dont la priorité est cependant confirmée. 6 C'est le Shanghai Institute of Machine and Electricity, créé à Pékin et transféré à Shanghai où se trouve le potentiel le plus développé, qui est responsable du programme de fusée-sonde. 7 Campagne lancée par Mao en 1958 afin de favoriser le décollage économique du pays, en multipliant l'industrialisation des campagnes et en comptant sur la motivation des masses pour combler les insuffisances techniques, qui s'avèrera un échec. 17

18 Premiers missiles et fusées-sondes À partir de 1964, la Chine montre avec le tir réussi du missile Dong Feng 2 et, un mois plus tard, avec celui de la première fusée-sonde utilisée pour des expérimentations biologiques 8 qu elle maîtrise désormais les pierres de base. Alors que les Français et les Britanniques entament à cette époque leurs premiers essais de lanceurs, la décision de construire un satellite apparaît comme un moyen éclatant d affirmer les ambitions nationalistes et révolutionnaires du régime confortant ainsi le projet lanceur. Les scientifiques et les ingénieurs se mobilisent pour convaincre le Comité central de la nécessité de décider rapidement le programme dans la mesure où un délai de quelques années est indispensable pour sa réalisation. Compte tenu de l état de l économie et de la technologie disponible dans une situation autarcique caractérisée par de faibles ressources, le temps de développement aurait alors été estimé à 5-6 ans. Il est possible toutefois que le délai initialement envisagé ait été plus court avant d être prolongé du fait du déclenchement, un an plus tard, de la Révolution culturelle. En mai 1965, l approbation par le Comité central du nouveau programme, dit 651 selon le même système de code année et niveau de priorité, permet d inscrire la construction du satellite dans la planification à long terme ainsi que dans les objectifs annuels des différents ministères. Les préoccupations politiques, et en particulier le souci de prestige national, sont clairement affichées puisque le Premier ministre Zhou Enlai fait préciser que les spécifications techniques du satellite doivent permettre qu il soit visible et que son signal soit audible sur l ensemble de la Terre. Les programmes de fusées-sondes se poursuivent en parallèle avec le développement à partir de juillet 1964 d une nouvelle famille T7A, fusées-sondes consacrées à des expériences biologiques culminant avec les vols suborbitaux de chiens en Un programme autonome de lanceur La mise en place du projet 651 s inscrit dans une réorganisation d ensemble. La répartition des tâches est claire. Le 7 ème Ministère de la Construction mécanique, qui regroupe depuis janvier 1965 l ensemble de l industrie spatiale chinoise composée désormais de quatre «académies», est en charge des activités de recherche et développement concernant le lanceur. L Académie des Sciences a la responsabilité de la recherche et développement du satellite. Elle assure aussi l observation depuis le sol et le développement du réseau de suivi et de télémétrie. La Commission de la Science et la Technologie pour la Défense Nationale assure la coordination d ensemble et la construction des bateaux indispensables au suivi et au guidage de l engin. Enfin, une Commission Spéciale Centrale chargée des technologies de défense et de l espace est créée sous l autorité directe du Comité Central et présidée par Zhou Enlai. 8 Le premier tir de fusée-sonde T7 date de septembre 1960 avec un prototype en février, puis en décembre L usage de fusées-sondes pour le test d appareillage se poursuivra à intervalles dans les années 1970 tandis qu une famille spécifique de deux étages à propulsion solide He Ping 2 et 6 est utilisée à des fins météorologiques respectivement de 1967 à 1973 et de 1971 à

19 C'est en 1965 que le secteur spatial perd son statut militaire prioritaire en s émancipant du programme de missile balistique. Les activités spatiales sont alors structurées autour de deux pôles. Les lanceurs dépendent de l Académie chinoise des technologies de lanceurs (CALT selon le sigle anglais). Les satellites sont confiés à l Académie des Technologies Spatiales de Shanghai (SAST, en anglais). La double implantation géographique à Shanghai et à Pékin demeure. L'organisation qui se met en place s'inspire directement du système soviétique avec un fort souci du secret, des numéros attribués aux laboratoires et aux entreprises et un rôle particulier des "constructeurs généraux" responsables des principales composantes du programme et rendant compte au Constructeur général, Qian. Les équipements de tests et de tirs restent cependant partiellement communs. Le caractère stratégique des équipements missiles et lanceurs complique la mise en œuvre, puisqu il convient de garantir leur sécurité en établissant les nouvelles installations, également décidées en 1965, dans la profondeur du territoire chinois. L application des principes prônés par Lin Biao, alors ministre de la Défense, «près de la montagne, très éparpillé et bien camouflé» n est pas sans inconvénient. La réalisation des infrastructures s effectue dans des conditions extrêmement difficiles liées à l éloignement et à la faiblesse du réseau de transport, mais aussi aux conditions naturelles défavorables. La construction de la base spatiale de Jiuquan en bordure du désert de Gobi en est l exemple le plus frappant. Si le désert présente l avantage de la discrétion et supprime les risques de chutes d étage sur des populations lors des tirs, la logistique est particulièrement lourde à établir faute d eau, de route et d énergie. La distance importante le trajet est de km depuis Pékin et prend alors cinq jours en train renforce les difficultés de communication entre responsables et constitue un facteur de faiblesse récurrent qu il faut aussi surmonter. En dépit de ces difficultés, le programme de missile stratégique à l origine des capacités spatiales atteint ses objectifs. En octobre 1966, le test d un missile armé d une tête nucléaire, une première mondiale, est couronné de succès. La position de la Chine sur la scène internationale en sort renforcée. Il ne lui reste plus pour s imposer comme un acteur de premier plan qu à démontrer ses capacités dans le domaine des fusées et des missiles intercontinentaux, la version balistique d un lanceur spatial. Cette tâche va être considérablement compliquée par le déclenchement de la Révolution culturelle, fin Sur le principe, il n y a pas de rupture dans le soutien politique aux activités balistiques et spatiales, mais le pays est soumis à des bouleversements extrêmes conduisant très rapidement à une désorganisation générale de l'activité nationale. Alors que le développement des missiles demeure sous le contrôle de l'armée populaire de libération moins touchée par les troubles organisés par les Gardes rouges, le spatial qui n'en fait plus partie depuis 1965 est mis à rude épreuve. Afin de protéger les compétences acquises, le 7 e Ministère est replacé mi-1967 sous le contrôle de l Armée rapprochant à nouveau les deux filières. Un petit noyau de spécialistes reconnus se voit même attribuer une garde rapprochée, mais la réalisation du lanceur, comme celle du satellite, se trouvent confrontées à des écueils de plus en plus difficiles à surmonter. Le contrôle de qualité n étant plus reconnu, pas plus que la hiérarchie des compétences, les bases mêmes de l organisation du secteur spatial s effondrent. Un an plus tard, le risque d échec devient tel que la décision est alors prise de dresser la liste de personnes relevant de 29 départements qui sont considérées comme responsables de la fiabilité de la production. Enfin, en juin 1969, afin de permettre aux équipes de procéder aux 19

20 essais, Zhou Enlai déclare qu il s agit d une tâche relevant de l honneur national et que toute interférence sera considérée comme antipatriotique. Ce n est cependant que début 1970, que les premiers essais des moteurs du lanceur Longue Marche comme du satellite Dong Fang Hong sont couronnés de succès. Quatre mois plus tard, le satellite faisait entendre au monde entier l air du chant révolutionnaire L Orient est rouge dont il portait le nom. En 1970, quel que soit le retentissement national et international du lancement de DFH-1, la Chine n a alors véritablement prouvé que la performance de son lanceur et si l objet est aussi visible, c est parce qu il n y a volontairement pas eu de séparation du satellite et du dernier étage du lanceur et que, pour en augmenter la magnitude et permettre de le voir à l œil nu, une jupe réfléchissante lui a même été adjointe. Le lancement, en mars de l année suivante, du premier satellite doté d un équipement scientifique confirme les compétences acquises dans le domaine spatial, tandis que, six mois plus tard en septembre 1971, le test du premier missile intercontinental est considéré comme globalement satisfaisant. Un programme spatial qui s émancipe La Chine a démontré qu elle avait renoué avec sa tradition de grandeur. Inventrice des premières fusées, elle maîtrise désormais aussi les mêmes technologies modernes que les Occidentaux. Si le retard demeure, les premiers pas sont faits. Le développement d un satellite de communication est finalement décidé en Avec le lancement de trois satellites consécutifs, deux satellites expérimentaux et un satellite revenu sur Terre, cette année 1975 donne même l'impression d'une industrie spatiale performante et productive, assez proche du système soviétique auquel elle ressemble effectivement par plusieurs traits, mais dont elle est loin d'avoir la maturité. Le contexte reste cependant très incertain et le poids des considérations politiques demeure lourd. L arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping conduit à une modification profonde des objectifs fixés au secteur spatial. Le pragmatisme et les réformes économiques sont désormais privilégiés pour assurer le développement du pays. Annoncée dès 1975 par Zhou Enlai, l ère des «Quatre Modernisations» couvre l agriculture, l industrie, les sciences et techniques, la défense. C est en fonction de cet ordre de priorités et du souci d ouverture qui est simultanément affiché que les activités spatiales chinoises vont devoir retrouver une nouvelle place. En 1977, Zhang Aiping, le nouveau responsable de la Commission des Sciences et Techniques, propose de recentrer les activités spatiales sur le programme de satellite géostationnaire de télécommunication pour le volet spatial, ce qui suppose le développement d'un nouveau lanceur, et sur la réalisation d un missile de longue portée, dont l impact est fixé dans le Pacifique, ainsi que d un missile qui puisse être tiré d un sous-marin. Il apparaît bien, à cette date, que les avancées respectives des technologies spatiales et balistiques doivent être menées en parallèle. À partir de juin 1978, les travaux sur de nouveaux lanceurs sont conçus pour répondre aux priorités du nouveau leader : rentabilisation des compétences acquises, contribution au développement national dans son ensemble, l agriculture, le charbon, l électricité, le pétrole, l acier et les transports représentant les points clefs. Les industries de défense doivent également contribuer à la production civile. La lutte des classes n est plus une priorité, les intellectuels devant être considérés comme des travailleurs comme les autres. Enfin, il faut trouver le moyen 20

21 de combler au plus vite le déficit en personnel qualifié créé par l interruption de la formation scolaire et universitaire pendant la Révolution culturelle. Si les Chinois n ont pas besoin d aller sur la Lune, une rupture forte avec les ambitions révolutionnaires des débuts et le souci de rattrapage affiché vis-à-vis des premières puissances spatiales, il faut en revanche que les technologies spatiales contribuent à des applications utiles telles que les télécommunications ou la météorologie. L environnement des activités spatiales chinoises se dessine donc selon des lignes totalement nouvelles. Il n est plus question d afficher l indépendance nationale et l idéologie révolutionnaire. La Chine veut s intégrer au monde et y trouver sa place. Dans le domaine spatial, ce renversement de perspectives va de pair avec l arrivée d une nouvelle génération à la formation technique plus solide et à laquelle on demande des réalisations non plus de prestige mais capables de satisfaire les besoins du pays. Dans le même temps, et compte tenu de la spécialisation croissante des objectifs respectifs, les deux filières missile / lanceur se distinguent cédant plutôt la place à une fertilisation croisée concernant principalement l environnement sol et les moyens de guidage, puisque le choix des ergols liquides se poursuit pour les lanceurs, alors que la nouvelle génération de missiles qui se met en place au milieu des années 1980 se tourne désormais vers la propulsion solide plus adaptée aux contraintes de l usage militaire. B. La science pour le développement au cœur de la politique spatiale indienne : priorité aux lanceurs et à la coopération, développement tardif des capacités missiles C'est en juillet 1980, soit dix ans après la Chine, que l'inde réussit le premier tir de son lanceur SLV-3 et la mise sur orbite du satellite Rohini, devenant ainsi la sixième puissance spatiale et achevant un parcours original entamé sous l égide de la science et de la coopération internationale. Son arrivée dans le club spatial est remarquée, mais les performances de son lanceur sont encore limitées. C est au cours des dix années qui suivent que l Inde affiche pleinement ses ambitions d indépendance, dans le domaine du spatial civil mais aussi dans celui des missiles, capitalisant sur les compétences acquises tout en développant une filière distincte 10. Les limites alors mises aux transferts de technologies par les pays occidentaux, dont la création du MTCR est symbolique, ralentissent toutefois les progrès indiens. Ce n est finalement qu en 2001 que l Inde dispose d un lanceur destiné aux lancements sur orbite géostationnaire, mais il utilise des moteurs cryogéniques russes. La version indigène du GSLV, le GSLV MkIII, est toujours en développement, le tir d essai étant désormais prévu pour le début de l'année L originalité du spatial indien reste manifeste même si le rattrapage technologique progressif par rapport à la Chine tend à le diminuer. Quant au programme de missile, ce n'est qu'en avril 2012 que l'inde effectue le premier essai réussi d'un missile de longue portée (5 000 km) dont la conception a commencé près de 10 C est en avril 2012 qu est réussi le tir d essai du missile Agni-5 à propulsion solide d une portée de km, considéré comme le premier ICBM indien

22 trente ans plus tôt avec le tir d'agni-5 12, le développement d'un ICBM Agni-6 restant encore hypothétique. La science, l'espace et le sous-développement La construction des capacités spatiales indiennes s'inscrit dans une histoire originale, celle d un pays qui, sous l influence de Jawaharlal Nehru, prône le rôle déterminant de la science et de la technologie pour sortir du sous-développement : «La science, seule, peut résoudre les problèmes de la faim et de la pauvreté, de l'insalubrité, de l'aliénation et de l'illettrisme, de la superstition, de la coutume et de la tradition étouffantes, du gaspillage énorme des ressources d'un pays riche habité par un peuple affamé. Je ne vois aucune issue à notre cercle vicieux de pauvreté, sauf à utiliser les nouvelles sources de pouvoir que la science a mis à notre disposition». La personnalité de Vikram A. Sarabhai, scientifique internationalement reconnu après sa thèse soutenue à Cambridge sur la physique solaire et le rayonnement cosmique, membre d'une influente famille indienne de riches industriels progressistes 13, son influence et son énergie citée par tous les témoins comme phénoménale vont catalyser le développement de la science spatiale, précurseur du programme national de lanceur et de satellite. Directeur en 1947 du Physical Research Laboratory qu'il fonde sur ses fonds propres, Vikram Sarabhai est l'auteur de la proposition indienne de participation à l'année Géophysique Internationale qu'il présente lui-même au congrès de Bruxelles de Il s agit pour les scientifiques indiens qui disposent déjà de compétences dans le domaine de la recherche en physique fondamentale et appliquée en particulier dans le domaine de la haute atmosphère de saisir cette opportunité pour s affirmer au sein de la science internationale 14. Le lancement du satellite Spoutnik, effectué dans le cadre de l'année géophysique internationale avec pour mission de contribuer à la connaissance de l'environnement terrestre, renforce la légitimité politique de cette initiative du fait de son impact énorme sur les imaginaires. L'année suivante, en 1958, J. Nehru, Premier Ministre de l'inde indépendante, promulgue la "Résolution de politique scientifique", encourageant le développement de la science et de la technologie en Inde. Les premiers résultats scientifiques et la perspective des futures applications sont mis en avant pour promouvoir le développement des activités spatiales indiennes. Cette démarche s inscrit dans la continuité. Usant de sa fortune personnelle, de ses compétences de physicien, de ses talents de professeur et d'animateur et de ses relations avec la sphère du pouvoir, V. Sarabhai aurait déjà proposé en 1956 au gouvernement un programme de développement de fusées-sondes et de missiles 15, ces derniers pouvant apparaître comme une application particulière utile à la sécurité nationale possédant de surcroît l'avantage de rallier de nouveaux soutiens à sa démarche. 12 Le deuxième tir, également réussi, a été réalisé plus d'un an plus tard le 15 septembre Son père sera le premier industriel à soutenir la campagne de Mahatma Gandhi contre le système de castes. 14 S. VijayasekharaReddy, «India s Forays into Space: evolution of its Space Programme», International Studies 45, 3, 2008 pp Space Voyager, Vikram Sarabhai, Parthasarathy Ashor,

23 Celle-ci s'inscrit parfaitement dans la philosophie nationale. De fait, la relation particulière à la science des élites indiennes dans leur lutte contre la science coloniale, telle qu'elle avait été mise en place par les Britanniques, a été une des composantes fortes de la lutte pour l'indépendance, et c'est tout naturellement que le gouvernement indien a donné une place à part aux comités scientifiques dans le conseil de la politique de la nouvelle République 16. Ceux-ci sont particulièrement conscients du risque de découplage que la mise au point des nouveaux outils, en particulier les fusées-sondes, va entraîner dans la recherche scientifique internationale. Si l Inde n est pas capable de se doter de moyens propres comparables, elle va perdre le rang qui était le sien dans les années quand elle faisait à peu près jeu égal avec les pays occidentaux grâce aux observatoires installés dans l Himalaya et au développement d instruments originaux efficaces et peu coûteux 17. La fierté nationale et le sentiment de vulnérabilité vont de pair. Nehru l exprime sans ambages affirmant que l État doit soutenir la science «non seulement parce que c est la bonne chose à faire mais aussi d un point de vue plus opportuniste parce qu il est devenu indispensable de le faire. Si nous ne le faisons pas, nous reculons, nous devenons vulnérables» 18. Ce n est toutefois que grâce à l ouverture véritablement internationale des programmes coopératifs de la NASA, en 1960, que la pertinence d une ambition spatiale à des fins de développement est de plus en plus largement soutenue au sein du gouvernement indien. En parallèle, le refus des États-Unis de la vente à l Inde de missiles guidés Sidewinder, alors que celle-ci pourrait être accordée au Pakistan, contribue à sensibiliser les milieux de la recherche de défense qui créent, en juin 1961, une petite équipe missile au sein du DRDL (Defence Research and Development Laboratory). Simultanément, en août 1961, le Département de l Énergie atomique se voit confier la responsabilité de la recherche spatiale, une tutelle classique à l'époque indépendamment de toute velléité de développement militaire compte tenu des compétences scientifiques proches intervenant dans les deux domaines et des modalités d organisation de la «Big Science». Quelques mois plus tard, en 1962, une entité nationale, l INCOSPAR 19, est constituée sur le modèle du COSPAR 20, l organisme international destiné à promouvoir la coopération internationale dans le domaine de la science spatiale à des fins pacifiques. La volonté de l Inde de s intégrer dans la recherche mondiale s exprime dans tous les cadres. Alors que le programme mondial météorologique est en quête de lieux d'étude sur l'équateur 16 V. V. Krishna et Ashok Jain, «Recherche et politiques scientifiques en Inde», National Institute of Science Technology and Development Studies. 17 Sondeur d ozone, compteur Geiger. 18 Cité p. 227 dans S. Vijayasekhara Reddy, «India s Forays into Space: evolution of its Space Programme», International Studies 45, 3, Indian National Committee for Space Research dont Sarabhai est nommé président. 20 COmmittee on SPAceResearch, mis en place dès 1957 par l International Council for Scientific Union, devenu officiel en 1958 lors du meeting de Londres et intégrant la participation effective de l URSS dans sa dernière composition incluant 24 États en

24 magnétique, l'inde propose le site de Thumba comme base de fusées sondes 21. L'objectif de l'opération est double : être présent dans les recherches scientifiques internationales et se familiariser avec les techniques de base du tir de fusée. Par ailleurs, l insistance indienne en faveur d une coopération large fidèle en cela à sa position de pays non-aligné satisfait les États-Unis qui y voient le moyen d impliquer l Union soviétique plutôt réticente. La première étape est accomplie dès 1963 avec le lancement d'une fusée Centaure adaptée par la France à partir des petits lanceurs américains Nike Apache à propulsion solide. La seconde a lieu en 1967 avec le lancement d'une version purement indienne, la RH À partir de cette base, le programme évolue avec une version plus importante, RH-125, permettant aux équipes d'acquérir de nouvelles compétences dans la fabrication de la poudre (disponible en 1969), le montage des étages, leur séparation... Elle se poursuit au travers des améliorations successives telles RH-200, RH (voir figure cidessous) avec une amélioration significative des charges (de 16 à 90 kg) et de l'altitude atteinte (de 90 à 360 km) dans les années L'expérience acquise dans un certain nombre de domaines est significative, la R-560 atteignant l'altitude de 550 km. Mais la maîtrise d'un tir spatial avec une capacité d'injection sur orbite reste à acquérir. En revanche, les techniques d assemblage de moteurs, de tests et de mise à feu, la gestion du propergol et surtout la mise au point de nouveaux matériaux représentent, tout comme les exigences de fiabilité et un management strict, une avancée significative pour la suite des activités spatiales. Le programme de fusées sondes est ainsi l occasion pour l Inde de bénéficier d une aide diversifiée des États-Unis, de l Union soviétique mais aussi de la France et du Japon, ce que lui est permis par sa position de pays non aligné. Par ailleurs, les échanges sont étroits entre les principaux domaines de haute technologie indiens. Là encore, le regroupement des responsabilités sous la présidence de Sarabhai joue un rôle essentiel. Dès 1963, il est à la tête du comité de l électronique en charge de l indigénisation. Il est aussi très proche du responsable d'homi Babba un autre scientifique de renom dans le monde du nucléaire, auquel il succède à la tête de la Commission de l énergie atomique après la mort accidentelle de celui-ci en La référence aux besoins concrets du pays est aussi au cœur de l intérêt manifesté pour l espace et ses retombées. La crise agricole du milieu des années 1960 en contraignant à une importation massive donne la priorité à la recherche scientifique pour soutenir une nouvelle économie rurale ce qui passe aussi par le développement de services comme les télécommunications ou la télééducation ainsi que la gestion des ressources naturelles, autant de domaines pour lesquels les satellites offrent un potentiel unique dans un pays dépourvu d infrastructures. C'est en février 1968 que l originalité de la démarche indienne s affiche clairement dans le discours prononcé par V. Sarabhai lors de l inauguration officielle du Centre de Thumba en tant que centre des Nations Unies 23, au moment précisément de la course à la Lune. L'extrait ci-dessous est 21 Thumba Equatorial Rocket Launching Station (TERLS). 22 Rohini du nom de la fusée et 75 pour son diamètre en mm. 23 Connu comme International Equatorial Sounding Rocket Facility. 24

25 parfaitement explicite et reste considéré encore aujourd'hui comme la clef de compréhension du spatial indien et la référence par excellence 24 : «Certains se demandent quelle est la pertinence des activités spatiales pour une nation en voie de développement. Pour nous, il n'y a aucune ambigüité dans nos objectifs. Nous ne cherchons pas la compétition avec les pays économiquement avancés... Mais nous sommes convaincus que si nous voulons jouer un rôle significatif au niveau national et dans la communauté des nations, nous ne devons le céder à personne dans la mise en œuvre des technologies avancées pour résoudre les problèmes concrets de l'homme et de la société.» Figure n 1 : CARACTÉRISTIQUES DES QUATRE GRANDES FAMILLES DE FUSÉES SONDES INDIENNES Extrait de History of Indian launchers, B.N. Suresh, Acta Astronautica 63, De fait, la priorité donnée aux applications, observation de la Terre, télécommunications, météorologie pour contribuer au développement du pays qui a profondément structuré les activités spatiales indiennes se retrouve au cœur du premier programme spatial Cette volonté s'inscrivait pleinement dans la vision globale animant l'ensemble des scientifiques et politiques indiens des années 1960, celle du "leapfrogging", le bond en avant conçu sur le 24 La même présentation quasi hagiographique du personnage se retrouve dans tous les ouvrages sur le spatial en Inde et figure sur le site de l'isro. 25

26 principe du saute-mouton, puisqu'il s'agit de dépasser son retard en faisant l'économie des étapes intermédiaires pour parvenir directement à l'état technologique le plus avancé. Dans cette perspective, les satellites représentaient indéniablement pour l'inde une chance à saisir. Par ailleurs, vu comme l'illustration de la science et de la technologie du futur, l'espace s'imposait comme un domaine prioritaire d'action. Restait une seule difficulté, parvenir à développer les compétences nécessaires pour remplir cette ambitieuse mission et construire le modèle d autosuffisance voulu par le pouvoir politique qui insiste sur la nécessité de développer des technologies indigènes dans tous les domaines clefs 25. La création d un Missile Panel date de la même époque mais même si quelques responsables du spatial en sont membres, les activités concrètes et les choix techniques sont clairement distincts (voir plus loin). Un lanceur national : le SLV-3 La décision de construire un petit lanceur (SLV-3) sur le modèle des Scout à propulsion solide marque une étape importante. L Inde se fixe comme objectif de lancer à terme ses propres satellites sans continuer à dépendre des lanceurs étrangers, principalement soviétiques. L étude de faisabilité réalisée en 1970 privilégie la mise au point d un premier lanceur simple à la charge utile modeste (40 kg) continuant à utiliser la lignée de la propulsion à poudre utilisée pour le Scout américain. Ce faisant, l Inde choisit de continuer à s appuyer sur les coopérations mises en œuvre dans le cadre du TERLS. Dans ses mémoires, Abdul Kalam relate ainsi la visite d Hubert Curien alors directeur du CNRS et le projet de développer un 4 ème étage commun utilisant des technologies composites indiennes qui servirait au lanceur français Diamant BC 26. Depuis 1969, le spatial indien possède une organisation autonome avec la création de l ISRO (Indian Space Research Organisation) qui s émancipe de la tutelle de la Commission de l énergie atomique. La disparition soudaine de Sarabhai se traduira par un renforcement de l institutionnalisation des structures avec la création, en juin 1972, de la commission spatiale au sein du Département de l espace dans le cabinet du Premier ministre. Cette nouvelle étape répond aussi à un souci d accélérer le programme spatial national après les premiers succès chinois et la perception émergente chez les élites indiennes à la suite de la guerre avec le Pakistan d une convergence États-Unis-Pakistan-Chine. En 1975, le statut gouvernemental de l ISRO et la création d un conseil réunissant les différents directeurs de centres marqueront l organisation définitive du spatial indien et consacreront une autonomie qu elle a préservée pendant au moins vingt-cinq ans. En 1970, la première étape est de trouver une base destinée au futur lanceur et qui possède une superficie suffisante pour permettre l ensemble des installations : tests, réservoirs, pas de tir... Ce sera Sriharikota, une zone marécageuse sur la côte Est près de Chennai afin de profiter du supplément de vitesse octroyé par la rotation de la Terre et de ne pas risquer les accidents lors de la chute du premier étage. 25 Abdul P. J. Kalam, Wings of fire, New Delhi, Penguin India, ed 2006, p Le projet a finalement été abandonné par la France en

27 Surtout, il faut développer l'ensemble des technologies et mettre au point des procédés de fonctionnement efficaces. Des séjours aux États-Unis, en particulier à Wallops Island, sont proposés par la NASA et une équipe d'ingénieurs en profite. À son retour, une des premières demandes du chef de projet Abdul Kalam est de pouvoir gérer directement ses commandes et choisir ses fournisseurs sans devoir passer par la bureaucratie. Cette responsabilité de l'agence spatiale indienne et les procédures nouvelles mises en place dans le spatial inspireront d'autres domaines technologiques et feront partie du nouveau management qu Abdul Kalam transférera dix ans plus tard dans le secteur défense pour le développement du programme de missile IGMDP. La mobilisation des ressources qui bénéficie d un soutien politique continu est la plus large possible compte tenu des possibilités nationales. Au milieu des années 1970, on dénombre employés dans le secteur spatial, dont un certain nombre d ingénieurs et scientifiques convaincus de rentrer de l étranger, et plus de trente laboratoires universitaires travaillent sur des éléments variés du projet. Le principe d organisation mis en avant est celui du consortium, i.e. la constitution d un groupe d acteurs aux compétences diverses comprenant aussi bien des entités scientifiques qu industrielles, privées ou publiques plutôt que le développement ex nihilo d une base de développement et de production comme le fait la Chine. Pour autant, la préférence des industries pour l importation de technologies étrangères représente une faiblesse récurrente par rapport à l idéal d autosuffisance. A priori, les caractéristiques techniques du SLV sont limitées et inférieures à celles d un lanceur Scout. Il s agit d un petit lanceur à poudre composé de quatre étages directement inspiré par la technologie des fusées sondes mais avec un saut de taille notable, la fusée Rohini possédant un diamètre de 56 cm, alors que le SLV-3 pourtant beaucoup plus mince que le lanceur japonais lambda fait déjà 1 m de diamètre. Pour l Inde de l époque les difficultés techniques sont grandes du fait de la faiblesse générale des infrastructures, de la modestie du matériel (moniteur noir et blanc), du nombre important de composants ( dont 85% seraient produits nationalement selon les documents) qu il faut produire, tester et intégrer. En dépit de la motivation des équipes et de leur enthousiasme, le programme prend du retard. La date initiale de 1974 est d'abord reportée à 1978, pour le 30 ème anniversaire de l'indépendance, puis glisse à Le premier tir est un échec 27 mais, en 1980, le but initial est atteint. Le retentissement intérieur est à la mesure des doutes que l aventure spatiale avait suscités et dont la presse nationale s était faite l écho. La célébration internationale des nouvelles compétences de l Inde est tout aussi spectaculaire et passe par le transport au Science Museum à Londres d une maquette grandeur nature du 2 ème satellite Rohini inaugurée par les deux Premiers ministres Indhira Gandhi et Margaret Tatcher en 1982 dans le cadre de l exposition «Festival of India: from Bullock cart to the Space Age». 27 Une fuite du réservoir n était pas visible sur l écran de contrôle en noir et blanc et l information donnée par l ordinateur n a pas été retenue par l équipe. 27

28 Des compétences lanceurs aux compétences missiles L intérêt de l Inde pour le développement de missiles existe dès les débuts du programme spatial et cette préoccupation est ouvertement mentionnée. La guerre de 1962 contre la Chine est un élément important mais les choix politiques de l époque privilégient le développement économique, seul à même de permettre la mise en place des capacités nécessaires. C est ainsi qu en 1963 est créé le ministère de la Défense et de la coordination économique et que la nécessité d intégrer les besoins de la Défense figure explicitement dans les spécifications du rapport du Comité Bhabha sur l électronique. Le potentiel militaire du programme spatial a fait l objet de débats multiples au sein de l establishment indien dès les années 1970, le principe étant celui 28

29 d un développement distinct du spatial civil facilitant les transferts de technologie et jouant donc de fait un rôle dans l acquisition par l Inde d un statut indépendant. Le lancement par la Chine de son premier satellite donne au programme spatial une dimension particulière puisque aux yeux des membres du lobby pro-nucléaire indien, il s agit de se doter a minima d une capacité potentielle de lancement tandis qu un programme de missile distinct à propulsion liquide s inspirant du SA-2 russe (Devil) est développé en parallèle sur le principe de rétro-ingénierie par la DRDO. En 1974, le premier «essai nucléaire pacifique» indien témoigne de la volonté de l Inde de se donner les moyens d assurer sa sécurité au grand dam des chancelleries occidentales. À cette époque, soit quatre ans avant que le SLV-3 soit effectivement opérationnel, le directeur de l ISRO, Satish Dawan, déclare devant une commission parlementaire que l Inde a la capacité de développer un IRBM à propulsion solide doté d un système de guidage. Dès 1975, la revue de programme à laquelle participent Abdul Kalam et quelques ingénieurs de l ISRO montre que les difficultés se concentrent sur l acquisition de compétences dans le domaine des ergols liquides. De fait, le programme stagne jusqu en 1981 avant d être remplacé par le programme IGMDP (Integrated Guided Missile Development Programme 28 ) prévu sur une durée de douze ans dont Abdul Kalam, auréolé des succès du PSLV-3, devient responsable en Le passage d un homme du volet civil au volet militaire doit être pris dans toute sa dimension symbolique. Les convictions personnelles de celui qui devait devenir le futur président de l Union indienne après un passage à la tête du DRDL puis de la DRDO et un poste de conseiller auprès du ministre de la Défense, ont toujours été clairement affirmées en faveur d une force de dissuasion indienne destinée au minimum à forcer le respect des autres puissances 29. Dans ce contexte, son implication dans le nouveau programme de missile et en particulier dans l Agni avec la réutilisation des acquis du SLV-3 est à l origine des réflexions sur un type de filiation inversée du lanceur au missile qui n avait jamais encore été mise en œuvre. Le missile Agni est un démonstrateur dont le développement commence fin 1984 après les premiers tests couronnés de succès du système de guidage inertiel du missile Devil adapté. Il est composé de deux étages dont le premier à propulsion solide est dérivé du SLV-3, le deuxième étage à propulsion liquide provenant du Prithvi dont la propulsion dérive des missiles SA-2 soviétiques, testé en Le corps de rentrée du missile Agni est la partie la plus innovante puisqu il est fait d un matériau composite carbone-carbone dont les résultats s avèrent très satisfaisants pour un IRBM mais qu il faudrait compléter par une sous-structure métallique pour un ICBM. En 1989, soit avec deux ans de retard sur la promesse initialement faite en 1984 à Indira Gandhi lors de sa visite au DRDL après les premiers tests réussis du Prithvi, l Agni réussit sa première mise à feu. 28 Le programme comprend le développement de cinq missiles : un anti-tank, deux sol-air, Prithvi ( km de portée, Agni ( km de portée) et d un centre de recherche et d essais Missile Technology Research Center à Imarat Kancha. 29 Il décrit la décision du gouvernement indien comme «un éclair dans le firmament scientifique indien et l affirmation d une nouvelle image de l Inde par rapport aux autres puissances balistiques», source Kalam, op. cit., p

30 Les facteurs de succès sont de plusieurs ordres. Sur le plan du management, l ouverture à des intervenants extérieurs, toujours sur le modèle du consortium, a permis d avancer rapidement et de rompre avec la culture bureaucratique et fermée de la DRDO. Au milieu des années 1980, douze institutions académiques, trente laboratoires de la DRDO, plusieurs acteurs industriels et l usage de ressources de l ISRO pour les tests comme pour l analyse des télémesures créent une dynamique de recherche et développement qui bénéficie aussi du soutien de cinquante professeurs et cent étudiants avancés. Enfin, parti avec une dizaine de collègues de l ISRO, Abdul Kalam aurait obtenu le recrutement de 300 jeunes diplômés ingénieurs. Au moment du tir de l Agni, l effectif de la DRDO aurait atteint 500 personnes 30. Cette succession de chiffres présente le principal intérêt de montrer qu il s agit d une véritable nébuleuse parallèle à celle du programme spatial qui, de son côté, développe progressivement ses compétences avec la mise au point en 1992 de l ASLV très proche du SLV-3 à l échelle 1,5 et utilisant des propulseurs d appoint de la fusée-sonde RH300 puis du PSLV beaucoup plus puissant (satellisation d une tonne à 900 km d altitude sur orbite héliosynchrone) dont le premier tir réussi a lieu en octobre Si les deux programmes sont effectivement distincts, et l on voit bien qu il n y a pas de corrélation dans la chronologie, certains moyens sol et humains sont mis à disposition par l ISRO, au moins de façon temporaire comme une partie de la base de Shriharikota pour le Prithvi en attendant la construction de la base de Chandipur (ITR). En revanche, pour des raisons tenant à l histoire respective des programmes et les choix politiques délibérés du gouvernement indien, il n y a pas de réutilisation de la technologie des fusées sondes dans le programme Prithvi dès lors qu ils utilisent des propergols différents, mais seulement une acquisition limitée d expérience. La proximité des programmes est plus grande pour le SLV-3 et l Agni qui volera trois fois en 1989, 1992 et 1994 atteignant km avant que le programme soit suspendu en 1996, les objectifs étant considérés comme acquis. Les compétences spatiales servent à nouveau de vivier dans le cas du missile Agni-2 décidé après l essai nucléaire de 1998 et testé en avril 1999 et en janvier 2001 atteignant km de portée avec un deuxième étage à propulsion solide. Les effets du MTCR sur les capacités de lancement indiennes La mise en place du MTCR en 1987 s appuie sur l idée communément répandue d une dépendance de l Inde aux technologies étrangères, en particulier américaines. Son application va indéniablement freiner le programme spatial indien en réduisant les possibilités d importation de composants considérés comme sensibles par les Occidentaux 31 considérant dès le milieu des années 1980 que le développement du SLV-3 a été fait grâce à l acquisition de compétences calquées sur celle du lanceur Scout et à nouveau réutilisées via la copie du SLV-3 pour produire le missile Agni. 30 Selon les comptes rendus officiels, lors du troisième lancement du SLV-3, Indira Ghandi, présente sur le pas de tir, aurait félicité les 800 personnes de l équipe. 31 Pour une présentation détaillée de nombreuses technologies concernées voir A. Baskharan, «Export Control Regimes and India s Space and Missile Programme», India Quaterly: A journal of International Affairs, 2002, 58:

31 Les ingénieurs et scientifiques indiens ont toujours réfuté cette assertion 32. Ils soulignent que certes le Scout et le SLV-3 se ressemblent et que le premier a bien servi d inspiration et de modèle au second, selon une démarche normale en science et technologie, mais qu il n est certainement pas question de pure copie. Les arguments avancés à l appui de cette thèse sont doubles. D une part, les Indiens n ont jamais disposé des centaines de pages de schémas originaux du Scout, même s ils ont eu accès à des rapports techniques ce qui les contraignait à trouver leurs propres solutions. D ailleurs, ils soulignent que bien d autres pays ont bénéficié de transferts de technologies du Scout mais n ont pas pour autant su développer de capacités nationales. D autre part, le SLV-3 possède des caractéristiques propres : diamètre, ratio longueur/diamètre, ergols solides (HTPB) fabriqués en Inde et combinés avec un oxydant différent, utilisés pour tous les étages, d où masse différente des propergols, poussées et temps de combustion différents De même, les emprunts à l Allemagne (matériaux composites, guidage, tests en soufflerie) correspondent à une coopération dans la durée (6 ans) et tendraient d ailleurs à prouver que l Inde a bien développé son propre lanceur. Enfin, concernant les similitudes entre le moteur Vikas et le Viking d Ariane, l Inde affirme encore sa spécificité et sa participation originale rappelant que le deuxième étage à propulsion liquide n utilise pas la même combinaison de fuel et oxydant. Alors que l ISRO est encore en train de développer le PSLV, les ingénieurs travaillent dès 1987 sur la prochaine version d un lanceur capable de mettre sur orbite à km d altitude les satellites géostationnaires nationaux, le GSLV. Ce type de fusée suppose la maîtrise d un moteur cryogénique. Conforme à son souci de recherche d autosuffisance, l Inde entreprend d abord de développer seule cette nouvelle technologie avant de se rendre compte du délai (environ 15 ans) que cela va lui demander. Les propositions de vente qui sont alors faites à l ISRO par des firmes américaine et européenne 33 ont un prix dissuasif. À la surprise générale, les Soviétiques offrent alors, en 1988, leur moteur KVD-1 à un prix tout à fait compétitif. Il s agit d un moteur ancien dont la technologie date des années et que les Occidentaux ne connaissent pas car il a été développé dans le cadre du programme lunaire testé mais jamais utilisé. L accord conclu avec Glavkosmos 35 prévoit une livraison pour 1995 de deux moteurs et des transferts de technologie qui lui sont associés. La disparition de l Union soviétique change la donne. En 1992, s appuyant sur le MTCR, le Président Bush dénonce l accord comme portant atteinte à la sécurité internationale et demande à la Russie de renoncer à la vente arguant du risque de transfert des capacités pour le développement d un ICBM. Le Président Clinton se montre plus ouvert devant les violentes protestations des Indiens soulignant de leur côté que les propositions occidentales ne semblaient pas avoir posé de problème. Il continue toutefois à faire pression sur la Russie dans le cadre des accords en cours sur le programme de station spatiale internationale essentiels à la survie du secteur spatial russe. Pour finir, la Russie dénonce l accord en juillet 1993 et s acquitte de frais de dédommagement pour rupture de contrat. La démonstration politique de la toute-puissance américaine est faite et laissera des traces à l ISRO. La négociation reprendra un an plus tard, l Inde exigeant cette fois puisqu elle est privée des plans originaux la livraison 32 Un des articles les plus synthétiques sur le sujet est celui de Matt Thundyl, «India s missiles: with little help from anyone», Bharat Rakshak Monitor, volume 2 (4) January-February General Dynamics Corporation et Arianespace. 34 Il a été produit par le KB Isaiev pour freiner le module lunaire des cosmonautes. 35 L entreprise soviétique chargée de la commercialisation des biens militaires. 31

32 de deux modèles d ingénierie et de sept modèles prêts à voler qui seront livrés entre 1997 et Dans ce contexte tendu des relations de l Inde avec les États-Unis, le premier tir en 1994 du lanceur PSLV, dont les capacités marquent véritablement l entrée de l Inde dans le club des Grands, relance la polémique sur la capacité potentiellement proliférante du pays. Or la question des «emprunts» apparaît largement comme politique. C est dans le contexte bien particulier de la publication de la doctrine nucléaire indienne par le BJP 36 au pouvoir que le sujet revient sur le devant de la scène. Le premier article de G. Mihollin «India s missiles With a little help from our friends» paru dans le Bulletin of Atomic Scientists datait de novembre 1989 au moment du lancement de l Agni. À partir de cette date, l Inde est l objet d un développement systématique dans la publication annuelle qu est le Risk Report publié sur les fonds privés du Wisconsin Project 37. En 1995, celui-ci souligne que l Inde dispose potentiellement d un ICBM si elle convertit le PSLV et le dote d un système de guidage adapté. En même temps, il conclut que l Inde a encore de multiples faiblesses qu il convient de maintenir. Les nouvelles compétences nucléaires indiennes suscitent une montée en puissance des analyses critiques américaines au premier rang desquelles G. Mihollin qui témoigne devant le Committee on Science du Congrès américain en juin 1998 sur le rôle des exportations de technologies américaines dans le développement de la course aux armements dans l Asie du Sud-Est. Pour les experts indiens, il ne fait pas de doute que le but visé est d empêcher l Inde de disposer d un vrai et légitime statut de puissance en limitant ses possibilités d action et en dénigrant ses réalisations afin de diminuer aussi son influence sur des pays tiers. Le développement de capacités propres redevient une question de prestige affiché. Les relations de l Inde et les États-Unis se sont progressivement améliorées depuis 2001, l'inde disant envisager, en 2005, de signer le MTCR 38. Le mouvement de confiance s est confirmé depuis l élection du Président Obama qui a retiré en 2010 l ISRO et la DRDO de la liste des entités soumises à autorisation spéciale pour importation. Il n empêche que l on retrouve des papiers fréquemment cités transposant les accusations de prolifération d un lanceur SLV 3 vers un missile Agni 1 et 2 de la deuxième moitié des années 1990 à l époque actuelle en postulant le développement d un ICBM Agni-6 qui s inscrirait dans la continuité du programme Surya et de l adaptation du PSLV 39. Les contraintes technologiques semblent toutefois rédhibitoires compte tenu de la taille d un tel missile s il était composé de deux étages de PSLV et d un troisième étage liquide dérivé du Viking, voire du moteur cryogénique du GSLV. Par ailleurs, les auteurs euxmêmes ne voient pas d autre cible possible que les États-Unis pour le développement d un ICBM, ce qui, loin de les faire douter de la possibilité de développement de l engin, a plutôt tendance à les renforcer dans l idée d une menace pourtant largement auto-représentée. 36 Bharatiya Janata Party, au pouvoir de 1996 à Initiative privée créée en 1986 pour limiter les transferts de technologies américaines avant la mise en place officielle du MTCR. 38 À ce jour, en décembre 2013, l Inde n est toujours pas signataire du MTCR. 39 Richard Speier, «US satellite space launch cooperation and India s intercontinental ballistic missile program», chap 6, pp , in Gaugin US-Indian Strategic Cooperation, ed Henri Sokolski, The Strategic Studies Institute Publications Office

33 Cette étude des programmes spatiaux et balistiques indiens présente un cas d étude finalement unique puisque, même si on peut avoir de sérieux doutes sur les synergies profondes dans le futur entre ses deux domaines, il demeure que les premiers missiles indiens ont bien capitalisé sur une compétence spatiale. Pour autant ce modèle reste fragile hormis une phase bien particulière de développement de première compétence. Les ambitions indiennes en matière de lanceurs sont clairement affichées. Elles tendent plutôt à proposer des services sur le marché international et à assurer la satisfaction des besoins nationaux. On voit mal pourquoi le gouvernement prendrait le risque de vulnérabiliser ces positions pour développer un ICBM qui ne répond pas à des préoccupations stratégiques immédiates et pour lequel les obstacles à surmonter s inscrivent dans un tout autre registre proprement militaire Les capacités acquises par les acteurs historiques A. Les caractéristiques des bases nationales de lancement Chine Utilisant trois bases spatiales historiques, les différents modèles des lanceurs Longue Marche ont assuré en 2012 un total de près de 200 lancements sur orbite basse et sur orbite géostationnaire. La Chine a mis sur orbite principalement des satellites nationaux, mais agit aussi pour le compte de clients étrangers, historiquement nord-américains, et européens, puis africains et latinoaméricains. La Chine dispose d une gamme de lanceurs modulables, sur le principe du système russe, lui assurant la maîtrise de tous les types de lancements, en orbite basse comme en orbite géostationnaire, et permettant d effectuer tous les types de missions spatiales y compris habitées. Le développement en cours de nouveaux lanceurs Longue Marche devrait permettre d accroître les capacités de lancement en orbite géostationnaire d abord, mais aussi de pouvoir assurer les besoins futurs de nouvelles missions d exploration habitée ou plus lointaine que la Lune. Il reste que la réalisation des différentes versions annoncées fait visiblement face à des difficultés plus importantes que celles que ses promoteurs avaient initialement prévues. Annoncé pour 2008, en même temps que les Jeux Olympiques de Pékin, le premier tir du Longue Marche 5 est désormais attendu pour

34 Figure n 2 : INFRASTRUCTURES SPATIALES CHINOISES La construction d une nouvelle base sur la péninsule de Hainan, qui devrait être disponible en pour accueillir le nouveau lanceur Longue Marche-5, répond à un souci de rationalisation interne avec un regroupement des activités de construction du nouveau lanceur dans la zone de Tianjing à proximité d un pas de tir accessible par mer, une condition indispensable pour le transport des nouveaux boosters de 5 m de diamètre qui ne pourraient pas être déplacés sans aménagements coûteux avec les moyens ferroviaires habituels. À terme, cette nouvelle approche se traduira par une moindre utilisation, sinon par la fermeture, de la base de Xichang située pour des raisons stratégiques dans la profondeur du territoire chinois, ce qui la rend d un accès difficile, un inconvénient renforcé par de nombreux problèmes de sécurité du fait de la proximité de zones habitées se trouvant de fait atteintes par la chute des premiers étages de lanceurs. 34

35 Centre de lancement de Jiuquan Jiuquan est la première base de lancement construite par la Chine, connue anciennement sous le nom de Base 20 ou Shuang Cheng Tzu. Développée à la fin des années 1950 dans le désert de Gobi à km de Pékin, au nord de la ville de Jiuquan dans la province de Gansu, elle est principalement destinée aux missions habitées et aux lancements des satellites en orbite basse (LEO) et orbite héliosynchrone (SSO). La désignation militaire du centre est 20 ème base de test et d'entraînement, sous l'autorité du Département Général de l'armement. Le lancement d'un IRBM R-2 a inauguré la base le 1 er Localisation : N/ E septembre Le premier essai réussi d'un lancement orbital eut lieu en avril Des centaines de tests de missiles ont été conduits depuis ce site. À la fin des années 1990, la Chine a développé un nouveau complexe de lancement à Jiuquan pour s'adapter au lanceur Longue Marche 2F. En raison de ses contraintes géographiques, Jiuquan n'est que peu utilisé pour des lancements commerciaux 40. Actuellement, les principaux lanceurs affectés à ce site sont les Longue Marche 2C, 2D et 2F. Figure n 3 : CENTRE DE LANCEMENT DE JIUQUAN Description du site : Le site de lancement couvre une surface de km 2 et comprend trois complexes de lancement, SLS (South Launch Site), LC2 (Launch Complex 2) et LC3 (Launch Complex 3). SLS est le seul actuellement opérationnel et se compose de deux pas de tirs et d'une tour mobile d'intégration. Le premier pas de tir, SLS-1 (nommé aussi Pad 921 ou Shenzhou Pad) est destiné aux vols habités tandis que le deuxième, SLS-2 (Jianbing Pad ou Pad 603), est utilisé pour le lancement des satellites. LC3 41, le complexe le plus ancien, et abandonné au début des années 1970, a principalement servi de site de lancement pour les missiles balistiques sol-sol et sol-air. Le premier et seul test de missile à tête nucléaire chinois s'est déroulé sur ce site. 40 La China Great Wall Industry Corporation (CGWIC), filiale de la China Aerospace Science and Technology Corporation (CASC), commercialise et fournit les services de lancement de Jiuquan aux clients commerciaux internationaux. 41 Sa construction a démarré en 1958 et il devient opérationnel en

36 LC2, construit à la fin des années 1960, était destiné au lancement spatial et au test de missile longue-portée. Composé de deux pas de tirs, Pad 138 utilisé pour le programme spatial à partir de 1996, et Pad 5020 comme back-up, il fut abandonné en SLS-1, construit à la fin des années 1990, comprend un hall d'assemblage (Vertical Assembly Building VAB), permettant l'intégration simultanée de deux lanceurs (86 m de haut), une table mobile (de 750 tonnes) amenant le lanceur intégré depuis le hall jusqu'à la tour ombilicale de 75 m située à 1,5 km de distance. SLS-2 est à environ 640 m au nord-est de SLS-1. Ce pas de tir était utilisé jusqu'en 2005 pour les missions en LEO, depuis il l'est pour les missions en SSO. Un site d'atterrissage de secours pour les capsules orbitales Shenzou a aussi été construit à environ 60 km au sud-est du centre de lancement. Centre de lancement de Xichang Au cœur de la province méridionale du Sichuan, Xichang est le plus récent des centres de lancement chinois. La construction de cette base dédiée aux lancements en orbite géostationnaire a commencé au début des années 1980, alors que Jiuquan s'avérait trop septentrional pour cet usage. C'est le centre le plus actif puisqu'il lance toutes les missions en orbite GEO des Longue Marche 2E et 3 (CZ-2E/CZ-3A, 3B et 3C) 42. La saison sèche, qui court d'octobre à mai, fournit le moment le plus approprié pour les campagnes de lancement, mais le site bénéficie de 320 jours de soleil par an. Le site appartient et est opéré par la 27 ème base de test et d'entraînement, une unité du Département Général de l'armement. Connu également sous le nom de Base 27, le site, à partir de 1986, comprend un pas de tir équipé pour la première fois d'installations d'avitaillement cryotechnique qui permet de placer 1,5 tonne en orbite à l'aide des premiers modèles du lanceur tri-étages CZ-3. Ces installations étaient doublées au début des années 1990 par un second pas de tir pouvant suivre les évolutions et améliorations du lanceur CZ-3 qui porteront progressivement sa capacité d'emport à 5,1 tonnes. Actuellement, le site a donc deux pas de tirs opérationnels, LC2 et LC3, qui sont situés dans le même corridor de lancement et sont complétés par une tour mobile de service de 90 mètres et des bâtiments techniques permettant la préparation simultanée du CZ-3B, de ses 4 boosters à ergols liquides et de sa charge utile. LC3, qui a servi de back-up pour LC2 une fois celui-ci opérationnel, a été modernisé entre 2005 et 2006 et est redevenu un pas de tir complètement opérationnel. Xichang présente pour autant un inconvénient majeur, notamment en regard des normes de sécurité occidentales, en raison de sa localisation très à l'intérieur du territoire chinois, avec une population locale autorisée à vivre à proximité des installations de lancement. C'est ainsi qu'au moins deux accidents ont été rapportés, l'un le 25 janvier 1995 lorsque la Longue Marche 2E explosa après 51 secondes de vol, les débris ont tué 6 personnes et en ont blessé 23, l'autre le 42 Là aussi c'est La China Great Wall Industry Corporation (CGWIC), filiale de la China Aerospace Science and Technology Corporation (CASC), qui commercialise et fournit les services de lancement aux clients commerciaux internationaux. 36

37 14 février 1996 quand une Longue Marche 3B s'écrasa sur une colline à 1,5 km du LC2 et provoqua la mort de 6 personnes, 57 blessés et plus de 250 maisons endommagées ou détruites. Localisation : N/102.0 E Source : Théo Pirard Figure n 4 : CENTRE DE LANCEMENT DE XICHANG Centre de lancement de Taiyuan Localisation: 37.8 N / E Figure n 5 : CENTRE DE LANCEMENT DE TAIYUAN Le site de Taiyuan, troisième site de lancement chinois, fut historiquement le deuxième à être mis en service, en Le centre est officiellement connu sous le nom de "Northern Missile Test Base", ou 25 ème base de test et d'entraînement. Le site est principalement utilisé pour le lancement des satellites météo, scientifiques et d'observation de la Terre en orbite héliosynchrone. 37

38 C'est aussi un site majeur de test des ICBM et SLBM. C'était d'ailleurs sa fonction initiale, en tant que prolongement de Jiuquan, pour tester les missiles type DF-5. Situé dans la préfecture de Xinzhou, au nord de la province de Shanxi, son climat sec en fait un site idéal de lancement. La base comprend trois sites de lancement de satellites, LA 7 (Launch Area 7) construit entre 1975 et 1979 et modernisé entre 2008 et 2009 ; LA 8 construit à la fin des années 1970 pour les tests de l'icbm Dongfeng 5 (CSS-4) ; LA 9 le plus récent pas de tir, mis en service en Centre de lancement de Wenchang, Hainan [Localisation : 19.5 N/110.5 E] La quatrième base de lancement de satellites, située dans la province insulaire de Hainan (sud), devrait entrer en service en 2015 selon Zhou Jianping, membre de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC) 44. Ce site était déjà connu pour le lancement de fuséessondes depuis l'île de Hainan, programme démarré en Conçue avec une capacité de lancement de dix à douze fusées par an, la base sera principalement utilisée pour le lancement des satellites géosynchrones, des satellites lourds, des modules habités et des sondes d'exploration de l'espace lointain et accueillera les Longue Marche 5 et 7. La mise en service de la base attendue pour 2012 prend actuellement du retard mais reste d'actualité. Inde Les capacités nettement moindres de l'inde par rapport à la Chine apparaissent aussi bien dans le domaine des bases que des lanceurs. La base historique de Thumba, située à l'extrémité sud du pays et proche de l'équateur magnétique, a permis une très large coopération scientifique pour les études de l'ionosphère. Elle a marqué les débuts héroïques de l'espace indien et sert de référence dans l'imaginaire collectif restant très étroitement associée à Vikram Sarabbai, l'inspirateur du programme spatial indien. La grande base spatiale est celle de Shriharikota (SHR) installée classiquement sur la côte est de l'inde de façon à bénéficier de l'effet de rotation de la Terre. Située dans une zone marécageuse à la faune et à la flore très riches, la construction de la base a donné lieu à de multiples tractations et son agrandissement, qui apparaît inévitable à terme avec l'augmentation du nombre de lancements, reste problématique. Le développement d'une nouvelle base est envisagée à Kulasekarapattinam dans le district de Thoothukudi (Tuticorin) dans l'état du Tamil Nadu, une région qui dispose déjà d'une infrastructure scientifique et technique propre liée au nucléaire. Elle serait réservée aux tirs sur orbite basse ou héliosynchrones du PSLV, SHR plus proche de l'équateur restant consacrée au lancement de satellites géostationnaires. Aucune décision n'a été prise mais le sujet apparaît de plus en plus souvent depuis deux ans dans la presse nationale et régionale indienne. 43 Là aussi c'est La China Great Wall Industry Corporation (CGWIC), filiale de la China Aerospace Science and Technology Corporation (CASC), qui commercialise et fournit les services de lancement aux clients commerciaux internationaux. 44 Information du 3 mars

39 Figure n 6 : INFRASTRUCTURES SPATIALES INDIENNES Centre de lancement de Balasore [Localisation : 21 25'N/87 00'E] Balasore est une base de lancement opérée par l'isro, située à Chandipur, dans l'état d'orissa, sur la côte nord-est de l'inde, utilisée pour les fusées sondes météorologiques. Mais il s'agit avant tout d'un centre de test pour les missiles indiens (IRBM). Centre de lancement de Thumba (TERLS) [Localisation : 8 32'N/76 52'E] TERLS est une base de lancement de fusées-sondes située dans le sud de l'inde, dans l'état de Kérala, construite au début des années 1960, d'où est partie la première fusée tirée depuis l'inde, une Nike-Apache américaine, le 21 novembre Le 2 novembre 1968, le Premier ministre indien dédie ce site à l'onu et offre ainsi la possibilité à des scientifiques de nombreux pays d'utiliser la base pour leurs expériences. TERLS comprend actuellement trois pas de tirs et reste un centre de lancement suborbital. Sur le site du TERLS se trouve également le centre spatial Vikram Sarabhai (VSSC) construit en 1972, principal centre de développement de lanceur de l'isro. 39

40 Sriharikota Range (SHAR) [Localisation: 13 41'N/80 14'E] SHAR est la base qui fournit les services de lancement pour toute la gamme de lanceurs indiens, SLV-3 (Satellite Launch Vehicle), ASLV (Augmented Satellite Launch Vehicle), PSLV (the Polar Satellite Launch Vehicle) et GSLV (Geosynchronous Satellite Launch Vehicle) 45, mais aussi pour les fusées sondes Rohini. Elle se situe sur l'île de Sriharikota, sur la côte est d'andhra Pradesh, à environ 100 km au nord de Chennai. SHAR a débuté ses opérations de lancement en octobre 1971, mais présente l'inconvénient, pour des raisons de sécurité, de ne pas permettre les lancements à plus de 140 d'azimut ce qui pose problème pour l'injection sur les orbites héliosynchrones (au-delà de 180 ) des satellites d'observation de la Terre qui représentent une part importante des missions du PSLV. Elle a actuellement deux pas de tir opérationnels. B. Les caractéristiques des lanceurs nationaux Les deux graphiques ci-dessous montrent bien les différences de capacités entre la Chine et l'inde dans le domaine des lanceurs en La philosophie initiale est différente et en particulier l'usage d'ergols essentiellement liquides pour la Chine et solide pour l'inde. (Extrait de L Espace, nouveau territoire, F. Verger (dir), Belin 2002) 45 Le complexe de lancement GSLV-MKII est actuellement en construction. 40

41 Figure n 7 : CARACTÉRISTIQUES DES LANCEURS NATIONAUX (CHINE / INDE) 1.2 Les moyens mobilisés pour parvenir au statut de puissance spatiale Pour la Chine comme pour l Inde, le premier handicap à dépasser était sans aucun doute l absence de personnel qualifié et de structures de recherche et de production. Le rapatriement des chercheurs et ingénieurs formés à l étranger a représenté une première voie dont les limites ont cependant été vite atteintes. De ce point de vue, il est clair que l Inde intégrée dans le Commonwealth britannique et maîtrisant l anglais disposait d atouts que n avait pas la Chine. Pendant les premières années, Qian et les autres scientifiques vont en effet d abord devoir transmettre leurs compétences théoriques et former les membres des équipes qu il va falloir créer et spécialiser dans différents domaines allant de la mécanique à l électronique. La rédaction de manuels en chinois, l enseignement et l apprentissage du russe comme de l anglais pour accéder aux ouvrages indispensables à l acquisition des compétences de base représentent les premières étapes. L envoi d étudiants en Union soviétique est une condition essentielle pour développer un noyau initial de compétences suffisamment diversifiées pour alimenter les dix laboratoires qui composent la Cinquième Académie. Le niveau de sous-développement industriel et technique pose des problèmes assez proches. En Chine comme en Inde, la mise en place d une infrastructure initiale et d une capacité industrielle expérimentale puis opérationnelle est un autre enjeu vital. 41

42 Le type et la durée des coopérations extérieures sont des éléments déterminants dans le choix des filières. L apprentissage chinois à partir des R2 soviétiques (issues des V2) se traduit par la mise en place d une filière liquide, tandis que l accès aux Scout américains et la coopération avec d autres partenaires occidentaux se traduit par l usage d une propulsion solide en Inde. Dans tous les cas, l apprentissage se fait par étapes. La fusée-sonde est destinée à emporter dans l environnement proche une charge utile qui revient sur Terre avec un parachute. Quelles que soient la taille et la capacité de la fusée, qu elle soit à un étage ou en comprenne plusieurs, elle n est pas capable d impulser l accélération suffisante pour assurer une mise sur orbite. La mise au point d'un lanceur est plus complexe. Pour assurer l'injection du satellite sur son orbite, l'étage supérieur du lanceur doit disposer de systèmes complexes de guidage et de contrôle. Dans le cas des lancements de satellites géostationnaires, la puissance du lanceur représente un ordre de grandeur nouveau, d'où le développement d'un étage spécifique utilisant de préférence la cryogénie dont le rendement est plus efficace. Les développements en matière de lanceurs répondent à d'autres priorités. Les fusées-sondes permettent d'acquérir les compétences de base à une échelle réduite et peuvent servir à des tests partiels. La spécificité du missile tient au guidage de la charge vers la cible et au corps de rentrée dans l'atmosphère. Nous reviendrons plus en détail sur les éléments techniques en partie 2, mais le suivi chronologique des programmes, que ce soit en Chine ou en Inde et donc dans des filiations différentes, montre que les divergences se produisent très tôt ce qui n'exclut pas, bien sûr, des phénomènes de fertilisation mais portant sur des éléments particuliers. A. La nécessité de compter sur ses propres forces Dans le cas de la Chine, le transfert de compétences est resté très limité puisque la seule source extérieure, l Union soviétique, a rompu les relations dès Le développement des capacités chinoises s est donc largement effectué sur une base nationale dans un pays sous-développé, isolé sur le plan international, craignant pour sa sécurité nationale et soumis à des troubles politiques intérieurs multiples. Ce cas de figure se retrouve aujourd hui pour des pays comme l Iran ou la Corée du Nord. Il suppose une politique volontariste capable de s inscrire dans la durée et une adéquation des ambitions aux ressources. Le seul avantage de cette approche est l autonomie réelle dont le pays dispose ensuite puisqu il a dû développer par lui-même la totalité des éléments nécessaires. Le principal verrou est le plus souvent d ordre technique si bien que le produit se caractérise par une certaine rusticité mais aussi par une fiabilité d autant plus grande qu il évolue dans la durée. Dans le cas de l Inde, son ouverture au monde extérieur l a placée dans un cadre beaucoup plus favorable pour l acquisition de compétences extérieures. Ceci étant, le souci de contrôle de transferts de technologies n a pas pour autant été absent. Si l Inde a su profiter au mieux des différentes possibilités qu elle pouvait trouver à l Ouest ou à l Est, elle a dû aussi affronter des refus et trouver le moyen de développer des solutions alternatives. Or, à la différence du cas chinois où le système est conçu dans sa globalité, le secteur spatial indien a été amené à intégrer des composants différents et à développer des produits de remplacement adaptés. Cette ambiguïté 42

43 se retrouve dans les différentes interprétations que les Indiens donnent eux-mêmes de la notion de "self reliance", autosuffisance, que l'on retrouve dans tous les discours et ce depuis le début de l'histoire spatiale nationale. Les débats portent sur la nécessité, ou non, d'une autonomie technologique complète. L'intégration de matériels étrangers est admise pour certains dès lors qu'ils sont indigénéisés. Pour d'autres, l'autonomie doit être complète car elle seule peut garantir la souveraineté et le développement d'un ethos et d'une cultures propres. Si l on regarde le temps de développement des lanceurs chinois et indiens, la voie de l autonomie s avère finalement la plus rapide. Certes, il faut prendre en compte la totalité des facteurs comme le sentiment d urgence et de menace, les priorités respectives dans le domaine de la science et de la technologie, mais il demeure que le décalage initial de cinq ans entre les deux programmes n a jamais été comblé et qu encore aujourd hui la Chine dispose d un lanceur plus puissant pour atteindre l orbite géostationnaire. La conduite en parallèle d un programme missile et d un programme lanceur a pu jouer, mais ce n est qu un élément sur lequel il faudra revenir. B. Le recours à la coopération L Inde est sans aucun doute profondément ouverte à la multiplication d accords variés, mais il est instructif de voir que cette voie a été explorée aussi par la Chine à partir du moment où sa situation sur la scène internationale l y a autorisée. Figure n 8 : LA COOPÉRATION INTERNATIONALE DE L ISRO La carte ci-dessus présente le défaut de ne pas pondérer les accords en fonction de leur importance, ni de leur durée, si bien que le poids de l'influence russe est sous-estimée, la coopération avec l'europe étant, elle, surévaluée. Par ailleurs, certains accords correspondent à la mise en œuvre d'une politique Sud-Sud dans laquelle l'inde joue plutôt le rôle de leader. 43

44 L'isolement de la Chine pendant l'ère maoïste et ses relations compliquées avec le monde occidental et les États-Unis, en particulier depuis les années 1990, ont construit un cadre particulier. Pourtant à partir de 1985, la Chine sous la conduite de Deng Xiaoping, recherche l'ouverture et tente de trouver sa place sur la scène internationale, mettant en place des coopérations variées avec l'europe mais aussi les États-Unis. Cette politique reste un fil directeur. La Chine, qui cherche à développer l innovation nationale, insiste sur son intérêt pour la coopération. Le durcissement de la position américaine sur les risques de transfert de technologies conduit la Chine à renforcer sa lisibilité. Le Livre blanc, publié en 2000, précise bien, en introduction, qu il s agit d un texte d information sur les activités spatiales chinoises. Ce premier document officiel ouvert présente trois grands domaines : la technologie, les applications et la science. Il souligne la cohérence de l ensemble et affirme comme politique spatiale la nécessaire interdépendance entre le développement technologique, la construction économique et les avancées sociales pour assurer la stratégie de modernisation du pays grâce à la science, la recherche et l enseignement. L arrivée au pouvoir de Hu Jintao en novembre 2002 va de pair avec un renforcement des préoccupations gestionnaires des bureaucrates qui composent la nouvelle génération de dirigeants. Or la maturité croissante du secteur, en termes de taille comme de compétence, suppose une logique programmatique continue et le développement de systèmes de plus en plus diversifiés qui doivent satisfaire aussi bien les besoins civils que militaires. Alors que la tendance est à diminuer l engagement financier étatique pour contribuer à l implication directe des entreprises, les technologies spatiales sont effectivement reconnues comme relevant de l infrastructure globale servant à la construction «d une société harmonieuse» et à «une montée en puissance pacifique», selon les mots d ordre du temps. L'arrivée au pouvoir de Xi Jingpin en novembre 2012 n'a pas, pour l'instant, d'incidence particulière. Le dernier Livre Blanc, publié en décembre 2011, ne marquait aucune rupture dans la programmation affichée pour les cinq ans à venir. Le spatial chinois est désormais considéré comme stratégique, à des titres divers même s il est encore en phase de rattrapage technologique. Les projets d'exploration à forte valeur symbolique qui sont sur le devant de la scène depuis 2012 ne sont que l'aboutissement des planifications antérieures, mais le slogan du nouveau Président, "le rêve chinois", correspond particulièrement bien à la situation. Cependant, même si l existence d une forte demande intérieure va suffire à justifier des investissements futurs et du développement d entreprises d État qui vont poursuivre leur restructuration, de nouvelles questions vont se poser, en particulier sur la volonté de commercialisation déjà sensible et les relations que la Chine pourra nouer avec des partenaires potentiels plus ou moins favorables à son intégration dans les échanges internationaux. De ce point de vue, les ouvertures qui se font jour depuis l'automne 2013 vont dans le sens d'une régularisation de sa position internationale. 44

45 2 Contraintes techniques du schéma de prolifération balistique à l'aune du spatial 2.1 Une prolifération techniquement complexe La prolifération balistique classique représente un défi technologique et industriel complexe, que très peu d États ont réussi à relever sans assistance extérieure. Sans remonter aux origines du développement des missiles balistiques (V2 allemands, initialement copiés par les Américains et les Soviétiques, ces derniers ayant maintenu cette filière durant plus de vingt ans), la plupart des puissances balistiques ont bénéficié d une aide extérieure ou d une assistance technique dans le développement de leurs premiers programmes avant de finaliser une capacité autonome. L émergence du phénomène proliférant moderne, étroitement lié à la diffusion des technologies du missile SS-1c (Scud) soviétique, semble pourtant, selon l analyse courante, répondre à une autre logique. Le départ de cette prolifération se situe en Corée du Nord, supposée avoir réalisé la rétro-ingénierie du SS-1c à partir de modèles égyptiens acquis à l orée des années Elle aurait acquis une première expertise par l intermédiaire de coopérations avec la Chine sur un programme commun (DF-61) poursuivit au milieu des années 1970, lui permettant d acquérir un savoir-faire industriel minimal 46. Pyongyang aurait produit ses premières versions de SS-1c (Hwasung 5) en 1984, lançant la production de série en 1987 et l exportant vers l Iran la même année (Scud B). Fort de cette expérience, elle aurait modifié le missile pour en allonger la portée, produisant le Hwasung 6 (Scud C dans la version export) en Dans un même temps, elle aurait extrapolé du système de propulsion du SS-1c (moteur Isaiev 9D21) un nouveau moteur, 50% plus volumineux, lui permettant de concevoir le No Dong, MRBM de à km de portée et de lancer la production dès 1991, le missile étant opérationnel dès La rapidité de développement de ces programmes, le nombre très restreint d essais et l étonnante fiabilité des Scud B exportés laissent cependant supposer l existence d une aide technique efficace trouvée en URSS puis en Russie, notamment auprès du bureau d étude (OKB) Makeiev, producteur d origine des Scud (SS-1c) et possible développeur du No Dong 47. De telles relations pourraient avoir permis à la Corée du Nord d acheter ses missiles sur étagère, et d obtenir une capacité industrielle d assemblage initiale qui aurait lentement évolué vers une autonomie de production. Cette hypothèse, défendue par Robert Schmucker et Markus Schiller 48, tend progressivement à être admise, notamment parce que la rétro-ingénierie des Historiquement, les tentatives de rétro-ingénierie ont requis une grande quantité de missiles, cannibalisés au profit des prototypes (70 dans le cas de l Irak dans le cadre du programme Al Hussein) et un nombre d essais en vol conséquent. Dans tous les cas de figure, la durée de développement et de maturation des programmes est rarement inférieure à 10 ans, avec des résultats extrêmement incertains, y compris dans le cas de transferts massifs de vecteurs (cas irakien). 48 Voir à ce sujet Markus Schiller, Characterizing the North Korean Nuclear Missile Threat, Technical Report, Rand Corporation, janvier 2013 ; Markus Schiller et Robert H. Schmucker, «Ballistic Missiles in Iran and 45

46 SS-1c égyptien eût non seulement exigé un plus grand nombre d essais que ceux répertoriés, mais n aurait pas de surcroît permis de produire un missile ayant des caractéristiques techniques et une fiabilité quasi identique à l original tel que cela apparaît dans les versions d exportation auxquelles les experts occidentaux ont eu accès. On peut par ailleurs noter l absence de programme nord-coréen dans le domaine solide, en dépit de l acquisition de roquettes lourdes Frog-5 et Frog-6 auprès de l Union soviétique dans les années 1970 puis de SS-21. S il serait abusif de procéder par analogie, il est difficile d expliquer qu un État capable de pratiquer une rétro-ingénierie de Scud en quelques années, n ait pas choisi de développer sa filière solide à partir de roquettes Frog, voie choisie par ailleurs avec un succès certain par l Iran. L absence de capacité de rétro-ingénierie sur le Scud implique que le No Dong, dont il est le dérivé supposé, ait lui aussi fait l objet d un transfert portant non sur le missile qui n est pas en dotation en URSS lorsque ces échanges pourraient avoir eu lieu mais sur le prototype d un missile correspondant développé par Makeiev. Cette hypothèse, implique qu aucune acquisition sur étagère n a été possible et que l essentiel des missiles a été produit en Corée du Nord. Elle implique également et surtout que celle-ci n a pas conçu le moteur elle-même mais importé les plans ou un prototype de Russie. La question reste très débattue, mais l idée que ce moteur soit issu d un projet dérivé du Scud à l étude à la fin des années 1950 chez Isaiev (concepteur des moteurs du SS-1c) est désormais assez répandue. Cette hypothèse explique la filiation avec le moteur 9D21 du Scud, mais également certaines différences notables avec lui. A l instar du Hwasung-5, le No Dong n a fait l objet que d un nombre très restreint d essais, accréditant l idée d une acquisition extérieure, alors que les versions exportées, sur lesquelles des essais ont été réalisés (Iran, Pakistan) apparaissant initialement peu fiables (ayant requis un important travail de validation de la part des pays acquéreurs, émaillé de nombreux échecs), laissant supposer que le missile a bien été produit en Corée du Nord, à partir d une chaine industrielle nationale. Toutefois, au regard de l expérience pakistanaise et iranienne (missiles Ghauri et Shahab-3), la valorisation du No Dong (accroissement de portée) semble complexe mais néanmoins possible, l Iran déclinant depuis quelques années un certain nombre de versions à plus longue portée. Si le tir de l Unha-3 et l analyse des débris du lanceur démontrent que la Corée du Nord dispose désormais d une capacité de production probablement autonome, l hypothèse que les programmes Scud et No Dong n aient pas été le résultat d un effort de rétro-ingénierie puis de conception, mais d un transfert d équipements militaires et (éventuellement) industriels, l analyse portée sur la capacité technique des États proliférants classiques à développer des filières autonomes devrait être relativisée. Elle implique en effet que l émergence d un potentiel balistique stratégique issu des filières proliférantes classiques est plus susceptible de se réaliser selon des schémas de prolifération industrielle dans un contexte intraproliférant que par l acquisition de systèmes ensuite reproduits. L émergence rapide de la capacité balistique iranienne semble valider cette hypothèse, la Corée du Nord ayant non seulement exporté des North Korea Technical Assessment of the Threat Situation» (présenté au Workshop zur Raketenabwehr, Vienne, 2010) ; Robert H. Schmucker et Markus Schiller, «The DPRK Missile Show A Comedy in (Currently) Eight Acts»(mai 5, 2010) ; Robert H. Schmucker, «3rd World Missile Development A New Assessment Based on UNSCOM Field Experience and Data Evaluation» (présenté à la 12th Multinational Conference on Theater Missile Defense Responding to an Escalating Threat, Edinbourg, Ecosse, 1999). 46

47 Scud et des No Dong, mais également des chaînes d assemblage alors que la filière de propulsion solide iranienne a été constituée par la Chine dans les années 1980 autour de transferts relativement importants de technologies de roquettes. Le lanceur Unha-3 montre par ailleurs la très grande difficulté des États proliférants à concevoir des modèles innovants à partir des bases techniques dont ils disposent. Selon les analyses disponibles 49, l Unha reste propulsé par des moteurs No Dong (premier étage et possiblement deuxième étage, ou éventuellement Scud pour le deuxième étage). Or, il est désormais quasiment certain que la Corée du Nord a également à disposition des moteurs de SS-N-6 (Isaiev 4D10), très probablement transférés par Makeiev dans les années Propulsés par un propergol stockable, ils offrent un potentiel de propulsion bien supérieur, certes partiellement exploitable dans le domaine militaire (voir infra), mais aisément utilisable pour les lanceurs spatiaux. Toutefois, ces moteurs font appel à des technologies plus complexes que l industrie nord-coréenne semble incapable de reproduire, aucun missile propulsé par ce type de moteur n ayant été identifié en phase d essai en vol alors que l Unha continue à exploiter la technologie No Dong. La capacité de rétro-ingénierie nord-coréenne semble se limiter à la reproduction des moteurs directionnels (moteurs verniers) du 4D10, et à leur combinaison avec les systèmes de propulsion de type Scud/No Dong. Assez symptomatiquement, le blocage relève probablement plus de limitations industrielles que d une incapacité des ingénieurs nord-coréens à dépasser les solutions dont ils disposent. L adjonction de quatre moteurs verniers de SS-N-6 au propulseur du premier étage de l Unha (quatre moteurs No Dong) traduit en effet une capacité d adaptation tirant le meilleur parti des contraintes techniques auxquelles ils sont confrontés, ces moteurs offrant non seulement une poussée additionnelle au lanceur mais permettant également une direction plus fine de la phase propulsée du premier étage. Deux constats contradictoires se dégagent de cet exemple, probablement reproductibles à d autres proliférants, sur d autres filières : Le premier est que la source principale de la prolifération n est pas l acquisition de technologies sur le marché noir mais bien l acquisition de capacités industrielles, généralement réalisée d État à État. Si le marché proliférant permet d offrir des solutions ponctuelles, il ne permet pas de constituer une capacité effective ex nihilo. L exemple irakien le confirme d ailleurs pleinement. Le second est que les ingénieurs des États proliférants sont capables d atteindre des niveaux de compétence élevés constat qui se vérifie par ailleurs dans les autres domaines de la prolifération laissant supposer une rapide capacité d adaptation dès lors qu ils disposent d outils industriels modernes et d un accès à la technologie. Cette capacité est favorisée par les contacts entre proliférants mais également par les contacts avec les puissances prolifératrices notamment la Chine et la Russie. Ainsi la viabilisation du Shahab-3, version iranienne du No Dong, semble avoir été permise par l assistance russe à la fin des années 1990 et au début des années Les débris de l Unha-3 ont permis de faire une première évaluation des technologies de ce lanceur. 47

48 Il en ressort plusieurs conclusions : D une part, les limitations industrielles auxquelles les proliférants sont confrontés par l application rigoureuse des régimes de non-prolifération sur les technologies, les outils industriels et les matières premières ont un impact lourd sur le développement des programmes. Dans l hypothèse où la Corée du Nord aurait accès à la technologie du SS-N-6, la transposition industrielle de cette connaissance a probablement été essentiellement différée par ces contraintes. S il est à attendre qu une nouvelle phase de prolifération se développe à terme autour de systèmes utilisant ce type de propulsion, elle est étroitement dépendante des capacités d acquisition industrielles des États proliférants. D autre part, le commerce intraproliférant comme l assistance technique des États proliférateurs difficile à contrôler car portant surtout sur des contacts humains et des échanges de documents devrait permettre de voir émerger une filière de missiles balistiques mais aussi de lanceurs très distincte des filières disponibles sur les marchés militaire et civil internationaux. Elle pourrait être dérivée de la technologie des 4D10, mais également des technologies de propulsion solide que l Iran semble maîtriser. Plus adaptée que la vieille filière Scud à la propulsion balistique et spatiale, elle permettra la vectorisation ou la satellisation de charges plus lourdes, justifiant les programmes civils et renforçant la porosité avec les programmes militaires. Moins contrôlés que les programmes des puissances spatiales et balistiques membres des régimes de non-prolifération mais offrant un véritable potentiel militaire, ceux-ci pourraient représenter une alternative intéressante pour des États considérés comme non-proliférants souhaitant acquérir des capacités balistiques longue portée sans contrôle spécifique de la part des grandes puissances spatiales et balistiques actuelles. Toutefois, ce type de prolifération pourrait perdre de son intérêt si la dissémination des technologies et des outils industriels liés à la propulsion solide devait s accentuer. Le schéma de prolifération industrielle, entre États membres du MTCR ou entre États en observant les lignes générales, pourrait ainsi se substituer au schéma proliférant classique. L impact du secteur spatial sur ce type de prolifération serait, comme cela a été souligné, plus important. 2.2 Aspects techniques généraux La convergence des secteurs spatial et balistique reste toutefois très dépendante des objectifs recherchés par les États souhaitant se doter d une capacité de frappe longue portée et des techniques et outils industriels dont ils disposent pour ce faire. Un certain nombre de prérequis doivent être considérés Caractère opérationnel du vecteur Si les questions de taille, de masse et de disponibilité ne sont pas des facteurs strictement dimensionnants dans la conception d un lanceur spatial, tel n est pas le cas pour un missile 48

49 balistique. Pour des questions de vulnérabilité, la taille, la masse ou encore le mode de ravitaillement de ces derniers impactent considérablement sur leur conception et sur leur caractère opérationnel. Sur un plan général, les modes de stationnement des missiles balistiques sont de deux ordres, mobiles ou fixes. Les missiles les plus lourds ont été fixes jusqu aux années 1980, date à laquelle les Soviétiques (puis les Russes) commencent à mettre en service des missiles intercontinentaux mobiles dont la masse peut atteindre plus de 100 tonnes 50. Cette capacité est cependant réservée aux États les plus avancés, ce type de missile requérant des propulsions solides associées à des propergols de haute qualité et des structures légères mais rigides exigeant un usage intensif d aciers et d alliages spéciaux ainsi que de matériaux composites. Les puissances balistiques émergentes ne disposent pas à l évidence d un pareil potentiel. S'il leur est possible de mettre en œuvre des missiles mobiles de à km de portée, le mode de stationnement d un missile intercontinental serait probablement fixe, ou asservi à un point fixe (tunnel). La masse et le volume du missile pourraient ainsi être supérieurs à ceux d un missile véritablement mobile mais ne pourront, pour de simples questions opérationnelles, dépasser certaines limites. À titre d exemple, le premier missile intercontinental russe, le R-7A (SS-6), propulsé par du LOX/kérosène, n a jamais été conçu autrement que comme un premier pas vers la production de vecteurs plus compacts et plus opérationnels. Dès son déploiement opérationnel, en 1962, l arme est apparue vulnérable à une frappe américaine, car trop volumineuse (et donc repérable lors de son déploiement) et trop complexe à ravitailler. Les propergols de type LOX ne sont en effet stockables que quelques heures et nécessitent des infrastructures importantes pour être mis en œuvre, conduisant au retrait du missile dès Utilisé pour satelliser le Spoutnik en 1957, le R-7 donnera naissance à la prolifique famille des lanceurs Vostok, Voskhod et Soyouz. Masse Hauteur Propulsion Portée 280 tonnes 37 mètres Deux étages dont quatre boosters sur le premier étage LOX/kérosène km Charge vectorisable 5,3 tonnes 50 Tel est le cas du SS-24, déployé en silo et sur rail. Les missiles mobiles russes actuels (SS-27) sont toutefois plus légers, de l ordre de 47 tonnes mais déployés sur route. 49

50 Les questions liées au repérage et au ravitaillement du R-7 sont très indicatives de la logique à laquelle les puissances balistiques émergentes seront confrontées. Le remplacement du R-7 n est en effet pas lié spécifiquement à son mode de propulsion de type LOX/kérosène (peu pratique mais néanmoins exploitable), mais plutôt à l absence de maturation de ces technologies lors de la conception du missile, du coût excessif de celui-ci et de sa masse, inadaptée à un déploiement opérationnel sûr. La miniaturisation des charges, qui permet d atteindre les mêmes portées avec des systèmes moins puissants, représente également un facteur d évolution important. Le R-9 (SS-8), qui utilise le même type de propulsion, mais sur un format plus compact et avec des spécificités plus acceptables d un point de vue opérationnel (ravitaillement en 45 minutes, coût moindre, possibilité d ensilage), sera ainsi maintenu en service douze ans ( ), alors même que la filière LOX/kérosène aura été abandonnée dès le début des années L évolution du R-7 vers le R-9 illustre les contraintes auxquelles les États proliférants exploitant la filière Scud/No Dong peuvent être confrontés. La mise au point d un démonstrateur spatial ou balistique n induit pas de capacité militaire immédiate, les systèmes n étant pas optimisés pour un déploiement combinant un potentiel offensif optimal et une vulnérabilité limitée. Il est très difficilement envisageable de transformer en ICBM un engin devant être monté et ravitaillé sur le pas de tir. Les questions de masse, de volume ou de logistique, qui sont certes déterminantes dans un programme spatial, deviennent ainsi structurantes dans un programme militaire. Si le format d un lanceur de type Unha permet d envisager de l ensiler (à condition de maîtriser les techniques de tir à chaud) et donc de lui garantir une protection suffisante pour le ravitailler et l armer sans que le processus soit décelable et l expose à des frappes préemptives, la structure du lanceur ne le permet pas ex nihilo et requiert de concevoir un autre missile, exploitant ces technologies mais optimisé, pour un usage militaire. De ce point de vue, l exhibition par la Corée du Nord en avril 2012 d une maquette de missile mobile (KN-08) ayant les caractéristiques extérieures d un missile intercontinental (voir tableau ci-dessous) relève probablement de la mise en scène. Sachant que l exploitation de propulsions plus modernes (dérivées de celle du SS-N-6 par exemple) semble très improbable 51, la possession d un vecteur de ce type disposant réellement de capacité intercontinentale peut être vue d'un point de vue purement technique comme ne justifiant pas de produire un lanceur de type Unha mais plutôt de transformer ce missile balistique en lanceur. Ces incohérences, apparemment inconciliables, n en sont plus si l'on interprète le KN-08 bien comme la déclinaison militaire des technologies exploitées par l Unha dans un format opérationnel. Conséquence de cette adaptation, les performances de l arme sont probablement très inférieures à ce que laisse supposer une extrapolation simple c'est-à-dire affranchie des contraintes liées à la militarisation des caractéristiques de l Unha. Il n'en reste pas moins à prouver la cohérence politicostratégique d'un tel développement (cf. partie sur la Corée du Nord)

51 Tableau n 1 : COMPARAISON D UN LANCEUR ET D UN ICBM MOBILE CONÇUS PAR UN ÉTAT PROLIFÉRANT (KN-08 NORD-CORÉEN) ET D UN ICBM MOBILE MODERNE (SS-27 TOPOL M RUSSE) Masse 85 tonnes Hauteur Propulsion 30 mètres Trois étages dont deux liquides AK27I/kérosène Portée (théorique si converti en ICBM) km Masse Hauteur Propulsion 35 tonnes ~17 mètres Trois étages dont deux liquides AK27/TM-185? Portée ~6 000 km avec une structure allégée et une charge militaire très faible Masse Hauteur Propulsion 47 tonnes 22 mètres Trois étages Solide Portée km Fiabilité des composants Parallèlement, l effort de miniaturisation nécessaire à la conversion d un lanceur en ICBM pose la question de la fiabilité des composants et des sous-systèmes ainsi que de leur intégration dans l ensemble du système. Le niveau de fiabilité des composants acceptable pour le tir d un lanceur civil n est pas identique à celui requis pour un usage militaire, en particulier si le missile doit vectoriser une arme nucléaire. Non seulement les composants doivent être fiables, mais la défaillance de l un d eux ne doit pas engendrer d échec catastrophique susceptible de conduire 51

52 à la détonation de l arme. Dans ce sens, un important travail en amont doit être réalisé sur l arme elle-même pour éviter que, placée dans des conditions de pression ou de chaleur extrême, elle ne risque d exploser. Parallèlement il est relativement complexe d obtenir une fiabilité élevée à partir de composants et sous-systèmes ne présentant pas un niveau de fiabilité quasiment parfait. Les vecteurs les plus largement essayés par l URSS et les États-Unis démontrent qu une fiabilité de 80% semble être une norme admise, les armes modernes atteignant 90%, tout comme certains systèmes plus anciens (notamment le SS-N-6). Pour un État ne disposant pas de systèmes de simulation élaborés, seuls de très nombreux essais au banc et en vol peuvent garantir la bonne intégration des différents sous-systèmes et un niveau de fiabilité élevé. Markus Schiller donne une idée de l ampleur du travail de validation quand il rappelle : «Some simple calculations might help illustrate the reliability problem. Reliability for the missile P mis is the product of the reliabilities P i of each of the n missile parts that, in case of failure, might lead to total failure: Assuming that each missile consists of a warhead, airframe ( af), guidance ( G) and control system ( C), and engine ( en), there are three potential failure sources (the warhead will not affect a flight test): Pmis = P af P G&C P en Assuming that each of the three elements in turn consists of only 10 subsystems that might lead to total failure, even high reliability numbers lead to low total reliabilities: If each subsystem has a reliability of 95 percent, total reliability of the missile is 21 percent statistically, four out of five missiles fail» 52. Si le vecteur spatial est issu d une filière balistique (type Scud/ No Dong dans le cas des États proliférants actuels mais d autres filières étant envisageables), la validation de la fiabilité de nombreux sous-systèmes peut initialement être réalisée par des tirs d essais (au banc et en vol) de missiles balistiques de plus courte portée, exploitant les mêmes composants et soussystèmes. La multiplication des essais spatiaux peut alors représenter une option pour permettre leur intégration dans une architecture cohérente, fonctionnelle et fiable, logique que semble avoir retenu Pyongyang, qui a déjà annoncé vouloir poursuivre les tirs de l Uhna sur un rythme élevé. Toutefois, les limitations technologiques propres à l exploitation de motorisations originellement inadaptées aux tirs intercontinentaux démultiplient les problèmes. Ainsi, dans le cas de la filière Scud/No Dong, l inadaptation du propergol, qui limite la poussée unitaire de chaque moteur, exige de multiplier les moteurs sur le premier étage des missiles et lanceurs issus de la filière, accentuant le risque d échec. La synchronisation de la poussée de chaque moteur constitue un véritable défi (apparemment maîtrisé par la Corée du Nord) alors que l adjonction de moteurs verniers pour stabiliser la phase propulsée et accroître la poussée crée un risque d échec supplémentaire et augmente la masse de l étage propulsif. Ces contraintes expliquent partiellement la grande continuité technologique des États proliférants, qui, du fait de leur isolement, ne peuvent compter sur l importation de solutions 52 Markus Schiller, Characterizing, op. cit. 52

53 validées et compatibles avec leurs propres technologies pour faire évoluer leurs missiles ou leurs lanceurs. Elles expliquent également pourquoi le développement de missiles à partir de technologies hétérogènes acquises sur le marché proliférant est complexe dès lors que les systèmes développés dépassent les courtes portées. L exemple irakien, archétype du schéma de prolifération classique, est de ce point de vue très illustratif, les ingénieurs irakiens ayant été régulièrement confrontés à des défaillances du fait de l intégration de sous-systèmes et de composants initialement développés pour d autres vecteurs que les MRBM qu ils tentaient de mettre au point Choix des propulsions dans le domaine liquide L actuel schéma de prolifération classique est articulé autour d un système de propulsion ancien qui, étant le seul disponible à l exportation dans le cadre des activités de commerce balistique de la Corée du Nord, est désormais à la base des systèmes des États proliférants. Peu adapté à la réalisation de missiles longue portée et a fortiori de missiles intercontinentaux ou de lanceurs spatiaux, il est directement dérivé de la propulsion des V2 allemands tant au niveau de la conception du moteur que des propergols utilisés. Les propergols des systèmes Scud/ No Dong sont composés, comme dans tous les systèmes de propulsion liquide, d un oxydant (comburant) et d un carburant (combustible). Le mélange des deux provoque la combustion, soit directement (ergols hypergoliques) soit par l intermédiaire d un système d allumage ou d un carburant hypergolique (TG-02 dans le cas des Scud). Pour les systèmes Scud, l oxydant est un mélange d acide nitrique et de peroxyde d azote (également connu sous le nom de RFNA/IRFNA 53 ), le carburant étant du kérosène, les deux étant connus en URSS sous les terminologies AK27I 54 (oxydant) et TM-185 (kérozène) et utilisés, dans les mêmes proportions par la Corée du Nord et les pays proliférants ayant acquis des Scud et des No Dong. Coupe d un missile Scud : oxydant et combustible : Guidage et charge militaire Carburant : Kérosène (TM-185) Oxydant : AK-27I (mélange acide nitrique et peroxyde d azote) Moteur : Isaiev 4D10 53 Soit acide nitrique fumant rouge et acide nitrique fumant rouge inhibé. 54 AK-27 est la dénomination soviétique pour les oxydants composés d acide nitrique et de peroxyde d azote. La lettre permet d identifier le ratio entre les deux composants. 53

54 Le mélange AK27I/TM-185 présente un avantage évident et deux inconvénients majeurs : Son principal avantage est d être relativement simple à produire, la plupart des États ayant acquis des Scud sont capables de produire le propergol adéquat. Par contre il est extrêmement corrosif et ne permet que très difficilement le stockage, endommageant le réservoir qui le contient. Les missiles Scud et No Dong sont donc ravitaillés avant le tir, en position verticale, ce qui accroît leur vulnérabilité. Enfin il est faiblement propulsif et n est donc pas spécifiquement adapté au lancement de vecteurs lourds. Le stockage et la capacité de production autonome du propergol sont deux éléments relativement importants dans les schémas proliférants classiques. A priori, plus un propergol est énergétique, plus il est recherché, à ceci près que la production de propergols liquides stockables plus énergétiques est plus complexe au niveau industriel et exige des moteurs de plus grande qualité que ceux nécessaires dans la filière AK27I/TM185. Classiquement, les combustibles de type UDMH 55, plus énergétiques que le kérosène, seront adoptés, et ce d autant plus qu ils sont stockables dans la durée. Toutefois, la plupart des propulsions développées pour l UDMH sont associées au peroxyde d azote, oxydant dont le point d ébullition et de gel est relativement bas (+21 C et -11 C ) rendant son utilisation peu adaptée aux missiles mobiles, qui peuvent être exposés à des températures plus extrêmes. Même si les Soviétiques avaient réussi, avec une propulsion de type AK27/TM-185, à concevoir un IRBM fonctionnel, le SS-4, dont le moteur (RD-214) a initialement été retenu pour les lanceurs de type Cosmos, l évolution vers des filières de type UDMH reste toutefois un impératif dans l optique de la conception de lanceurs plus lourds et plus fiables. Elle implique cependant de le combiner avec un oxydant plus stable ou de privilégier des stationnements en silo où les températures ambiantes peuvent être plus facilement contrôlées. La combinaison entre l AK27 et l UDMH n offre pas d avantage spécifique en termes énergétique (voir tableau ci-après), et ne peut être exploitée qu avec des moteurs plus volumineux et plus complexes que ceux actuellement disponibles dans les États proliférants. L Iran aurait tenté d acquérir le seul moteur exploitant ces propergols, le RD-216 du SS-5 soviétique, mais probablement sans succès, aucun des vecteurs iraniens ne semblant y avoir été adapté. Le caractère énergétique d un propergol se traduit généralement par l impulsion spécifique, qui représente, à une altitude donnée (généralement au niveau de la mer ou dans le vide), la durée pendant laquelle une masse d'un kilogramme de propergol peut fournir une force de poussée d'un kilogramme. Elle permet de donner une approximation de la valeur énergétique d un propergol mais également, quand elle est rapportée à la masse du lanceur, de l étage ou du moteur, un ordre de grandeur du rendement entre le propergol et ces éléments. Le tableau suivant présente les différentes impulsions des propergols à usage militaire ou spatial dans des conditions de pression identiques. Ces chiffres sont purement indicatifs et ne visent qu à donner un aperçu des différences énergétiques entre les différents propergols. On note le potentiel très élevé offert par les propergols cryogéniques, certains ayant eu un usage militaire (abandonné depuis du fait des contraintes évoquées plus haut), et le potentiel relativement faible 55 Diméthyl-hydrazine dissymétrique (UDMH). 54

55 offert par les propergols de type AK27I/TM-185. De fait, la plupart des États qui conservent des filières liquides pour la propulsion de leurs missiles balistiques tendent à préférer l utilisation de combustible de type UDMH/MMH 56, associé à un oxydant de type peroxyde d azote, ce qui limite leur usage pour les vecteurs mobiles. La densité d impulsion est le rapport entre l impulsion spécifique et la masse de propergol nécessaire pour réaliser la propulsion. Plus elle est basse, plus le volume occupé par le propergol est important pour un résultat donné, conduisant à exclure certains propergols de la propulsion militaire pour des questions d encombrement mais également de logistique (propergols non stockables). Combustible Hypergolique Impulsion spécifique (au niveau de la mer) Densité d impulsion (kg-s/m 3 ) Hydrogène liquide No Méthane liquide No Oxygène liquide (LOX) Kérosène* Non Hydrazine (acide nitrique) Non MMH Non Oxydant Peroxyde d azote Acide nitrique/ Peroxyde d azote RFNA AK27*** UDMH Non Kérosène Non MMH** Oui UDMH*** Oui Kérosène**** Non Hydrazine (acide nitrique) Oui MMH Oui UDMH***** Oui Propulsion solide (comparaison) Perchlorate d ammonium Aluminium + HTPB (a) Aluminium + PBAN (b) No No Utilisation spatiale Utilisation duale Utilisation militaire (duale pour les États proliférants) * Utilisés sur le R-7 (SS-6) puis essentiellement dans la propulsion spatiale ** Utilisé par exemple dans l étage propulsif d un lanceur de type Ariane 5 *** Utilisé par exemple sous forme peroxyde d azote/ UF 25 (75% UDMH et 35% d hydrate d hydrazine) dans le premier étage et le propulseur d appoint d Ariane 4. Utilisé également dans la propulsion des ICBM, notamment soviétiques. **** Propergol utilisé par les États proliférants (Corée du Nord, Iran, etc.). ***** Propergol rarement utilisé pour les missiles balistiques, mais notamment pour le SS-N Le MMH (MonoMerthyl-Hydrazine) est une variante de l UDMH essentiellement utilisée aux États-Unis dans le domaine spatial, la filière liquide ayant été abandonnée au profit du solide dès le milieu des années

56 Les données de ce tableau expliquent indépendamment des contraintes industrielles la volonté de l ensemble des États proliférants de moderniser leur filière vers des propulsions à base d UDMH 57, qui sont non seulement plus facilement stockables mais du fait d une impulsion spécifique plus élevée, autorisent des gains en capacité d emport. Cependant le passage à l UDMH pour les États suivant le schéma proliférant classique n est pas aisé, les exigences techniques des moteurs étant nettement plus fortes. Pour que le passage à l UDMH offre un résultat satisfaisant, ces contraintes nécessitent, non pas de convertir des moteurs existants, mais de concevoir de nouveaux éléments (notamment au niveau des turbopompes, mais pas uniquement) ainsi que d adapter l ensemble de l étage propulsif du fait de la différence de masse et de ratio entre l oxydant et le combustible. En admettant que ces conditions soient réunies, la question du choix de l oxydant reste discriminante, le peroxyde d azote (généralement associé à l UDMH) étant peu adapté aux missiles mobiles. Si ce type d oxydant était retenu, cela impliquerait donc l adoption d un mode de stationnement statique (silos) ou semi statique (abris enterrés). Outre le saut technologique et industriel, cette évolution exige donc également d adapter les infrastructures militaires de stationnement et de lancement. Dès le début des années 1980, l Irak avait tenté d en acquérir la maîtrise par importation, dans le cadre du programme Condor/Bahdr réalisé avec l Argentine. L arrêt du programme avait contraint les autorités irakiennes à lancer un programme alternatif visant à l adaptation des moteurs disponibles, c est-à-dire des 9D21 des missiles Scud, à ce type de combustible. Toutefois, les différentes tentatives d adaptation de moteurs Scud à l UDMH par l Irak ont été des échecs 58, soit du fait des performances insuffisantes obtenues, soit du fait des contraintes industrielles, notamment dans la conception des turbopompes nécessaires à la pressurisation du propergol à l injection. L Irak avait d ailleurs tenté de faire fabriquer ces turbopompes à l étranger, afin de ne pas souffrir des contraintes liées aux contrôles des technologies et des matières premières, ce qui souligne une fois encore les limites du schéma proliférant classique et l intérêt du schéma de prolifération industriel. L Iran de son côté a été soupçonné de vouloir acquérir auprès de la Russie des moteurs de SS-5 (RD-216), combinant l AK27 à l UDMH mais également des RD-214 (moteur du SS-4) alimentés par un mélange AK-27/TM-185 plus immédiatement exploitable. Dans ce contexte, les améliorations apportées par l Iran au moteur du No Dong, sur les versions longue portée du Shahab-3 et sur le premier étage du lanceur Safir, n ont pas été identifiées mais ne reflètent pas d une transposition directe des RD-214 et RD-216 à ces lanceurs, comme cela a longtemps été supposé. L appréciation des performances pourrait par contre avoir été obtenue par un allégement de structure et une modernisation du moteur 59, sans modification des propergols cependant. 57 Ces chiffrent expliquent également schématiquement pourquoi les États qui disposent d un accès aux filières solides tendent à les privilégier quand elles disposent des outils industriels adéquats, ce type de propergol offrant, dans leur version évoluée (type HTPB), une impulsion approximativement identique à celle de l UDMH mais une densité d impulsion très supérieure, permettant la mise au point de missiles (ou de lanceurs) plus compacts, plus mobiles et stockables. La procédure de lancement nécessite ainsi une logistique moindre notamment en termes de ravitaillement pour des vecteurs capables d atteindre des portées intercontinentales. 58 Voir Unmovic, Compendium, chapitre IV et Markus Schiller, op. cit. 59 Voir pour une discussion technique sur la question : 56

57 Moteur 9D21 (Scud) Moteur de No Dong RD-214 (SS-4) RD-216 (SS-5) Filière solide Les contraintes liées à la propulsion liquide, notamment à la corrosion des propergols ou aux spécificités des oxydants, mais aussi l évolution des propulsions connue dans les pays occidentaux, qui très tôt délaissent les propergols liquides pour des propergols solides, ont conduit de nombreux analystes à penser que les États proliférants tendraient assez naturellement à acquérir une capacité de propulsion solide. Il n en a rien été, essentiellement du fait des nombreuses contraintes technologiques qui pèsent sur cette filière, et plus particulièrement la conception et le chargement du propergol. Les propergols solides offrent deux avantages majeurs. Peu corrosifs, ils sont facilement stockables. Une fois chargé sur le missile, celui-ci est donc prêt à être tirer. Par ailleurs, contrairement aux propergols liquides, qui nécessitent pour fonctionner la combinaison de deux ergols, et donc leur injection et leur mélange, les propergols solides sont pré mélangés. Le réservoir du missile est en fait la chambre de combustion du moteur, qui, en l absence de systèmes d injection et de mélange, est plus simple. Toutefois, les propergols solides simples (dits double base) sont généralement moins énergétiques que les propergols liquides les plus courants. Les propergols plus évolués (dits composites), qui offrent des caractéristiques énergétiques avoisinantes, sont plus difficiles à produire alors que le commerce des différents précurseurs nécessaires (perchlorate d ammonium notamment) à leur fabrication est surveillé. L utilisation de propergols simples n est par ailleurs possible que pour les engins de faible diamètre (missiles tactiques, roquettes, roquettes lourdes), les vecteurs plus lourds demandant des propergols composites. La production de ceux-ci doit être associée 57

58 à un contrôle qualité très élevé pour garantir une combustion homogène et une durée de vie suffisante alors que leur chargement exige un savoir-faire industriel certain, en particulier pour les moteurs de diamètre élevé. La composition des moteurs, des tuyères et des chambres de combustion impose de recourir largement aux matériaux composites complexes. De fait, le transfert de compétence de la filière de la propulsion solide répond à des logiques qui procèdent plus de la «prolifération» industrielle que des schémas de prolifération classiques. Nombre de pays ont acquis une première capacité par l acquisition de fusées sondes (Inde) ou par la valorisation de l industrie de la roquette (Iran), pour développer ensuite une capacité autonome (Inde) ou partiellement autonome (Iran). Le Pakistan, qui a probablement bénéficié de transferts industriels directs de la part de la Chine, est l un des États pour lequel la notion de prolifération correspond le mieux, les transferts ayant une nature strictement militaire et ayant très probablement porté sur l ensemble de la filière industrielle. Il est néanmoins nécessaire de souligner que ces transferts n étaient pas, à leurs débuts, illégaux, ni la Chine, ni le Pakistan n'étant membres du MTCR. Le cas est plus complexe pour la Corée du Sud, qui a recouru à une véritable logique de prolifération dans le développement de ses missiles Hyunmo, dérivés des Nike Hercule américains 60 et pour Taiwan qui aurait développé une version nationale du Lance. Dans un cas comme dans l autre, ces États ont bénéficié de cessions de licence limitées de la part des États-Unis, qui ont amené des développements plus importants que ceux initialement concédés par les deux parties. Dans le cas de la Corée du Sud, ces transgressions ont fait l objet de renégociations continues avec les États-Unis, permettant progressivement à Séoul de mettre au point une capacité indigène à partir du vecteur américain. Paradoxalement, ce cas contraste avec celui de l Iran, les transferts industriels initiés par la Chine dans les années 1980 ayant porté sur un segment industriel libre de tout contrôle (roquettes de petit calibre, usines de production de propergol double base) et jusque récemment considéré comme non proliférant. Il existe cependant une forte interrogation sur l origine des technologies ayant permis à l Iran de concevoir le Sejjil, missile de km de portée à propulsion solide qui exige un niveau industriel très supérieur à celui dont disposait l Iran pour la conception de ses roquettes de petit et de gros calibres. D autres États ont acquis une compétence les mettant en situation théorique de produire un vecteur de capacité intercontinentale, par le biais du secteur spatial. C est le cas notamment de l Italie, dans le cadre des coopérations avec l ESA pour le développement du lanceur Véga, ou du Japon, dans le cadre des coopérations avec les États-Unis pour le développement du lanceur N-2. Mais si l on note actuellement une forte propension à la dissémination des technologies de propulsion solide dans le secteur spatial, répondant à la demande croissante de vecteurs légers, il s agit d un indice de prolifération particulièrement équivoque. Certes, certains États, du fait de leur environnement de sécurité contraint, acquièrent par le biais des technologies spatiales une capacité qui peut apparaître duale, notamment le Japon (les lanceurs M-5 puis Epsilon offrant une capacité duale évidente) ou la Corée du Sud (le second étage du KSLV peut contribuer à l acquisition de compétences exploitées dans le cadre des programmes balistiques). Toutefois, s il existe une synergie entre le développement des technologies spatiales et d éventuels 60 On peut également citer les cas taiwanais et israélien, qui sont pourtant moins pertinents, du fait de l ancienneté des transferts (Israël) ou des limites imposées dans le développement des systèmes balistiques (Taiwan). 58

59 programmes militaires, le développement d une filière spatiale ne peut pas se justifier que par la volonté d obtenir une capacité balistique, qui n est qu incidente, notamment pour les États disposant déjà d une filière balistique solide (cas de la Corée sud). Pour les États qui n en disposent pas (Japon), il y a clairement une acquisition de capacité technologique, qui participe au phénomène de dissémination ambiant mais qui doit cependant être pondérée. Les cas pakistanais et iranien doivent en effet inciter à considérer l impact de la prolifération et/ou de la dissémination des technologies de propulsion solide avec prudence. Ces deux États, suivant des chemins différents, se caractérisent par une accession relativement rapide et efficace à cette filière. Pourtant, dans un cas comme dans l autre, le stock connu de missiles est relativement peu élevé. Dans le cas de l Iran, par ailleurs, la substitution de la filière solide à la filière liquide sur les missiles courte portée de type Scud, qui, d un point de vue opérationnel, ferait sens, n est que très partiellement observée 61. Elle est inexistante sur les systèmes à plus longue portée, le Sejjil ne s étant pas substitué au Shahab-3, en dépit de performances apparemment supérieures. Le Pakistan, quant à lui, a démontré une capacité évidente par la production du Hatf-6 (Shaheen II), missile de km de portée relativement moderne, qui, à l évidence, est amené à remplacer les Hatf-5 (Ghauri) dérivés du No Dong. Là encore cependant le phénomène de substitution apparaît très lent, en dépit de l intérêt évident de ce missile. Certes, dans un cas comme dans l autre, le coût du renouvellement des vecteurs peut expliquer la lenteur du processus. Toutefois, il ne s agit pas du seul paramètre à prendre en compte. La fabrication du propergol, les défis industriels liés à son chargement, et l évaluation de la fiabilité du missile et de la durée de vie de son propergol sont d autres paramètres particulièrement discriminants qui expliquent la volonté de ces États de conserver une filière liquide opérationnelle en dépit d une capacité théorique en matière de propulsion solide. La stagnation du programme iranien Sejjil est ainsi parfois attribuée à l effet contraignant des sanctions, notamment sur l acquisition du perchlorate d ammonium, composant essentiel à la fabrication du propergol solide alimentant le missile. Il est en tout état de cause très difficile d évaluer comment une puissance spatiale, ayant acquis par le biais des coopérations une compétence en matière de propulsion solide, pourrait convertir celle-ci en programme militaire. Il conviendrait, avant de tenter une évaluation, de connaitre la capacité industrielle propre de l État en question mais également de définir dans quelle mesure la fin du processus de coopération internationale permettant au programme spatial d exister impacterait sur le programme militaire. Et dans l hypothèse où cet État spatial serait assez autonome pour se constituer une base industrielle suffisante, combien de temps lui faudrait-il pour disposer d une infrastructure assez développée pour lui permettre de produire les vecteurs nécessaires à sa sécurité? Intuitivement, il est difficile de croire qu en matière balistique, une compétence spatiale pure crée une capacité de rupture, permettant la conversion rapide de lanceurs en vecteurs et leur production en série. À titre d exemple, un État comme le Japon possède avec un lanceur de type Epsilon, d une capacité théorique qui in fine pourrait être transcrite en capacité militaire, mais pour un coût économique, politique, diplomatique et 61 Il est difficile de dire, dans l état des connaissances de l arsenal iranien, si le Fateh 110, qui présente des caractéristiques approchantes des Scud B en termes de portée (mais pas en termes de capacité d emport), se substitue ou non à ceux-ci. Leur souplesse d emploi supérieure et leur précision plus élevée pourraient le laisser supposer, du moins pour les frappes conventionnelles, mais l état du stock n est pas connu. 59

60 stratégique qu il est très difficile de quantifier. Une transposition du spatial au balistique serait quasi impossible pour l Italie, qui par le biais du développement de Véga acquiert une compétence mais dépend d un vaste ensemble de technologies en provenance des autres États européens pour finaliser le lanceur. On observe ainsi que la plupart des États s orientant vers la constitution d une filière balistique procèdent par étapes, développant initialement des vecteurs courte portée et faisant évoluer les technologies progressivement. On peut supposer qu une puissance uniquement spatiale procéderait de la même façon, et se positionnerait initialement sur la production de système très courte portée (roquettes lourdes, roquettes lourdes guidées) afin de permettre le développement d une base industrielle à finalité purement militaire, progressivement adaptée à la production d engins de plus fort diamètre. Il s agirait donc d un phénomène de temps long, procédant d une logique classique d acquisition de capacité militaire qui n est pas spécifique aux technologies spatiales. À ce titre, l option des missiles de croisière représente un investissement moindre (autant en termes économiques que politiques), autorisant une rupture capacitaire sensible mais également un résultat opérationnel qui peut, pour certaines missions, être comparable à celui offert par un missile balistique. Toutefois, il est indéniable que confrontée au choix d opter pour une filière balistique, une puissance spatiale mature, ayant eu accès aux technologies de propulsion solide, aurait la possibilité de concevoir des vecteurs performants, sur des portées plus longues, avec une célérité bien supérieure à celle d une puissance non spatiale Marges d appréciation hors propulsion Quels que soient les modes de propulsion retenus par les États de la filière proliférante classique, une optimisation du vecteur demeure en effet possible par l utilisation de matériaux plus légers dans la structure du missile. Dérivés du Scud, les structures des missiles et des lanceurs de ces États sont généralement en acier et ne font encore que marginalement appel aux alliages et aciers (de type maraging par exemple) spéciaux et aux matériaux composites. Le passage à ces matériaux permet cependant de réduire la masse inerte 62 des vecteurs, pour les moteurs comme pour la structure du vecteur et d améliorer le rendement des propulsions. L amélioration de la qualité des composants par l utilisation de matériaux plus performants est toutefois un processus complexe. Outre les difficultés liées à l usinage de ceux-ci (notamment pour les matériaux composites ou les graphites), l exportation de la plupart des matières premières nécessaires à leur fabrication est surveillée notamment dans le cadre du MTCR. L acquisition d acier maraging, qui est une évolution naturelle pour alléger les structures, les réservoirs et certains éléments moteurs, reste ainsi difficile pour les États proliférants qui ne peuvent que très rarement en acquérir les quantités suffisantes pour soutenir de front des programmes balistiques et les programmes nucléaires (très consommateurs pour les centrifugeuses notamment). Par ailleurs, l usinage de 62 L indice constructif d un missile, c est-à-dire le rapport entre son poids à vide et son poids chargé en propergol, définit la performance structurelle de l engin. 60

61 ce type de matière première est également un défi, comme l atteste la finition des réservoirs du premier étage de l Unha-3, composé d un alliage d aluminium (AlMg6) plus léger que l acier initial des réservoirs de Scud et de No Dong, dont l usinage apparaît artisanal. Les processus de production doivent par ailleurs être particulièrement étudiés, puisqu un oxydant tel que l AK27 réagira fortement aux impuretés des métaux et alliages utilisés, conduisant à une baisse des performances. Les questions relatives à l usinage et l assemblage sont loin d être négligeables, l un des principaux points de blocage des États proliférants se situant dans l acquisition de machines-outils performantes, permettant la production de composants et sous-systèmes de qualité. Elles sont encore plus déterminantes, dans la propulsion solide, la totalité de la conception de l ensemble propulsif étant conditionnée par la maîtrise industrielle des matériaux composites mais aussi par le développement de systèmes de modélisation. La conception de lanceurs/vecteurs de capacité intercontinentale est dans ce cas précis un processus qui requiert une base industrielle développée qui ne peut que très difficilement être compensé par l acquisition de systèmes et sous-systèmes sur le marché proliférant. Parallèlement, l acquisition de savoir-faire spécifiques en termes de production de matériaux peut être déterminante puisqu elle permet des sauts qualitatifs parfois importants. À titre d exemple, l acquisition d un savoir-faire en matière de production de composés graphites semble avoir été un élément important dans la conception du premier MRBM iranien à propulsion solide, notamment en termes de guidage en phase propulsée, assurée par des déflecteurs de jets. Faute de sources ouvertes suffisantes, il n est malheureusement pas possible d évaluer l impact exact des restrictions sur les exportations de matières premières et d outils industriels sur les États proliférants. Toutefois, ces restrictions limitent à l évidence l ampleur des programmes et contraignent probablement ces États à privilégier des solutions technologiques sur lesquelles leur autonomie est maximale. Il demeure que les efforts nécessaires pour passer d'une filière à l'autre supposent des justifications stratégiques véritables. L'idée d'un usage des technologies spatiales à des fins de tests de compétence pour le développement de missiles est spontanément admise et se retrouve dans un certain nombre de discours et de travaux. On peut toutefois noter qu'elle n'est appliquée qu'à certains pays et non d'autres. Ce qui amène tout naturellement à se poser la question des critères mobilisés dans ce type de raisonnement. 61

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63 3 Comment penser la prolifération spatiale? L'hypothèse selon laquelle il existerait une prolifération spatiale, entendue comme une utilisation du développement de lanceur spatial aux fins de développement de capacités balistiques notamment IRBM et ICBM, se doit d'être examinée à l'aune d'une part des enseignements de l'histoire des liens entre lanceurs de satellite et missiles balistiques et d'autre part des théories sur la prolifération. En effet, dès l'apparition de la notion de prolifération nucléaire et dans le cadre d'une vertu anticipatrice, les théoriciens de la prolifération se sont intéressés aux facteurs pouvant favoriser l'acquisition des vecteurs des armes de destruction massive. Les préoccupations liées aux filiations possibles entre véhicules lanceurs de satellites et missiles balistiques ont alors émergé avec la crainte que, sous couvert de programme spatial, un pays ne se dote en réalité d'une capacité balistique de longue portée donnant naissance par glissement sémantique à la notion de prolifération spatiale. L'objectif de cette partie est d'interroger la pertinence et d'évaluer l'efficacité de la notion de prolifération dans le champ spatial en regardant l'articulation de la théorie avec la réalité de la scène internationale. 3.1 Sur le plan théorique : de la prolifération nucléaire à la prolifération spatiale Les réflexions sur le développement, les usages et les conséquences de la technologie ont toujours accompagné les études en relations internationales. Mais, la notion de prolifération nucléaire s'est imposée comme un thème essentiel et occupe une position dominante. Cela s'explique en grande partie par la place importante qu'occupe le courant réaliste et néo-réaliste dans les International Relations Studies. En effet, ce courant n'a traité de la technologie qu'en la rapportant presque exclusivement au nucléaire. Certes, ce terme de prolifération nucléaire, repris par les principales écoles du champ, donne un cadre de compréhension mais comme l ont souligné des membres de la communauté euxmêmes, il masque mal le peu d effort conceptuel s y rapportant. Les travaux à son sujet ont souvent été réduits à des analyses technologiques ou géopolitiques tout à fait classiques 63. Ainsi, la plupart des analyses se donnent pour objet d une part les menaces de prolifération incluant les questions de transfert de technologies, les coopérations, la dualité possible de certains matériels, les conséquences sur la sécurité internationale (bien souvent entendu comme la 63 Intervention de Bernard Sitt (CESIM), Table ronde n 1 : les motivations de la prolifération, Séminaire de la délégation aux Affaires Stratégiques «2040 : Un regard prospectif sur la prolifération», Paris, 12 juin 2008 (ENSTA). 63

64 sécurité des pays occidentaux) et, d autre part, la façon dont on peut contrôler, réguler, prévenir cette menace (particulièrement par l élaboration de normes) 64. Cette approche reste majoritaire encore aujourd'hui. Cependant, depuis quelques années, certains chercheurs réfléchissent sur ce que véhicule l'emploi du terme prolifération. Métaphore issue de la biologie, appliquée à l'arme nucléaire et à sa multiplication, elle fut introduite par Albert Wohlstetter, en Or qu'est-ce qu'une prolifération en biologie? C'est une division incontrôlée et excessive de cellules échappant au contrôle de l'organisme. Cette conception transposée au fait nucléaire n'est pas neutre et engendre des représentations "opiniâtres", inscrivant toute analyse dans un cadre amont de préconceptions globales que l'on peut résumer comme suit 66 : le fatalisme : le sens de l'histoire irait vers une augmentation toujours plus importante des proliférants que l'on pourrait appeler «loi de l augmentation du nombre d acteurs dotés» (fatalité de l'augmentation du nombre d'états dotés) ; une «automatisation» du processus découle de ce fatalisme qui peut amener alors soit à ne pas tenir compte des objectifs des proliférants, soit à leur en attribuer un d'office 67 ; une approche souvent plus quantitative que qualitative du phénomène ; une incertitude se transformant automatiquement en soupçon. Cette déconstruction de l'emploi du terme prolifération avertit des limites et dangers conceptuels et met en garde sur les implications politiques qu une telle représentation engendre. Elle invite à réfléchir sur les effets du paradigme sur les analyses des experts et les études des théoriciens. Or, il n'existe toujours pas de modèle ou théorie permettant d'expliciter de manière satisfaisante le fait nucléaire dans son ensemble. Pour autant, la puissance symbolique de la métaphore a été telle qu'il s'est opéré tout naturellement un glissement sémantique vers le champ balistique dès la prise de conscience de l'importance des technologies balistiques pour la mise au point d'armes nucléaires opérationnelles. En effet, ce qui est apparu véritablement significatif sur le plan militaire, ce n'est pas tant la détention de l'arme nucléaire seule que la possession du couple complet vecteur-charge. Partant de ce constat, les États-Unis convainquent alors la plupart des puissances alliées disposant de capacités technologiques applicables au domaine balistique (incluant donc les technologies spatiales) d encadrer leur commercialisation par un régime de contrôle spécifique. La mise en 64 Voir à ce sujet l article de Michel Fortmann, «La prolifération nucléaire : une relecture théorique», Études internationales, vol. 24, n 2, 1993, pp Bien qu il soit daté, il reste encore d actualité en de nombreux points. 65 Albert Wohlstetter, «Nuclear Sharing: NATO and the N + 1 Country», Foreign Affairs, vol. 39, n 3, April 1961, pp Pour une explication détaillée voir l'article de Benoit Pelopidas, «Du fatalisme en matière de prolifération nucléaire : retour sur une représentation opiniâtre», Swiss Political Science Review, 2009, 15(2): pp Par exemple, et cité par B. Pelopidas, à travers l'idée de la désirabilité intrinsèque de la bombe (p. 291). 64

65 place du MTCR en 1987, première norme internationale finalisée, valide officiellement ce processus. Il s agit néanmoins d une approche endogène, qui vise de prime abord à limiter la diffusion des technologies des pays occidentaux vers des pays tiers, sur une base initialement mal définie. Si l ensemble des pays fondateurs du MTCR s accorde sur la restriction au transfert ou à la commercialisation des systèmes d armes en tant que tels, il faudra de longues années pour déterminer une approche commune sur les restrictions à la vente des technologies, qui, progressivement, représente l un des axes fondamentaux de la prolifération. En effet, l'analyse géostratégique faite par les États-Unis ne correspondait pas nécessairement à celles de l'urss et de la Chine. Au cours des années 1990, la chute de l URSS et l intégration de la Russie et de la Chine à l économie mondiale vont alors offrir aux États-Unis deux leviers pour convaincre Moscou et Pékin de l existence d un risque proliférant et de la nécessité pour eux de limiter les transferts de systèmes balistiques vers des pays tiers, donnant au MTCR une dimension plus globale. La reconnaissance par ces États de l existence d un phénomène proliférant va toutefois être longue, les missiles balistiques représentant pour eux une source de revenus mais aussi d influence stratégique. Au cours des années 1990, la pression constante des États-Unis va cependant permettre de les intégrer au MTCR (la Chine n étant pas membre, mais ayant progressivement mis en place une législation s en approchant), mais également de les conduire à admettre le caractère déstabilisant de transferts incontrôlés. Cette acceptation, incomplète mais tangible, va à son tour favoriser la transcription de la norme générale du MTCR, limitant les exportations des missiles balistiques et des technologies associées en fonction de la portée et à la charge d emport minimale 68 de l arme, dans le droit international. En parallèle, suite à l expérience traumatisante des tirs de Scud lors du conflit Iran-Irak (septembre 1980 à août 1988), puis lors de la première guerre d Irak ( ) où la volonté de l Irak d exploiter ces vecteurs avec des ADM est clairement mise en évidence, le Conseil de sécurité passe une première résolution identifiant les missiles balistiques comme vecteurs privilégiés des ADM. La résolution 687 du 8 avril 1991 établit formellement un premier lien entre les deux en proposant une zone exempte d armes de destruction massive et de leurs vecteurs pour le Moyen-Orient et alors que la résolution 707 interdit à l Irak de fabriquer et de posséder des vecteurs de plus de 150 km de portée 69. Dès lors cette tendance se confirme au fil du temps, le Conseil de sécurité établissant en 2004 un lien strict entre les deux dans la résolution 1540 en s affirmant décidé «à prendre des mesures efficaces et appropriées face à toute menace contre la paix et la sécurité internationales causée par la prolifération des armes nucléaires, chimiques ou biologiques ou de leurs vecteurs» La portée, 300 km, est définie comme minimale pour une arme pouvant avoir une vocation stratégique pour des petits États, la charge d emport, 500 kg, correspond au poids minimal estimé d une arme nucléaire simple, de première génération. 69 S/RES/707, 15 août La résolution 707 n inclut pas de spécification relative à la charge d emport, tous les missiles d une portée de 150 km et plus devant être détruits qu ils soient à capacité nucléaire ou non. 70 Conseil de sécurité, S/RES/1540, 27 janvier

66 Les résolutions adoptées pour juguler les programmes d armes de destruction massive nordcoréen et iranien confirment cette tendance, en associant systématiquement ADM et missiles balistiques (résolution 1695 du 15 juillet 2006, 1718 du 14 octobre 2006 ou encore 1929 du 9 juin 2010). Depuis la fin des années 1990, les essais de ces deux pays ont ainsi largement contribué à ce que la prolifération balistique devienne un point focal du fait nucléaire, impliquant de fait une double dynamique : montée en puissance du paradigme de la prolifération balistique et banalisation du processus. Notions historiques sur la prolifération balistique 71 Si les missiles balistiques ont toujours été considérés comme des armes stratégiques, la notion de prolifération balistique est relativement récente. Dès les années 1960, les États- Unis qualifient le phénomène et le surveillent, tentant de déterminer les facteurs pouvant conduire à l émergence de nouvelles puissances balistiques. Jusqu aux années 1980, les transferts et exportations sont réalisés dans une logique de renforcement des capacités militaires d États alliés ou d influence politique. Les deux principaux pourvoyeurs sont les États-Unis et l URSS, qui fournissent technologies et systèmes d armes, la France et sur une brève période l Allemagne, qui fournissent des technologies. Du fait du caractère éminemment stratégique des armes balistiques, seuls les États les plus proches des puissances balistiques existantes ont bénéficié de transferts de systèmes d arme complets, parfois associés à des transferts industriels. Contrairement à l idée reçue, les États-Unis représentent, jusque dans les années 1980, l État qui réalise les transferts les plus stratégiquement significatifs, notamment dans le cadre des accords passés avec la Grande- Bretagne sur les SLBM Polaris puis Trident (début des années 1960 et début des années 1980), mais également dans le cadre des transferts des SRBM Pershing 1A à la République Fédérale d Allemagne ou des Battlefield Short Range Ballistic Missile (BRSRBM) Lance à Israël. L URSS, qui exerce un contrôle étroit sur ce type de technologie, ne consent de son côté qu à des transferts plus restreints, notamment vers la Chine (R-1 et R-2) dans les années 1950), puis vers l Égypte, la Syrie, l Irak et la Libye notamment (SS-1c (Scud) et SS-21 dans les années 1970 et 1980). Des transferts ont également lieu au sein du Pacte de Varsovie, mais uniquement sur des vecteurs courte portée, sans transferts industriels. La localisation de certaines entreprises stratégiques dans les républiques soviétiques, plus particulièrement en Ukraine, permettra à certaines d entre elles de disposer de capacités plus ou moins évoluées après 1991, seule l Ukraine disposant d une capacité réelle. En dépit de leur importance, ces transferts ne sont pas qualifiés de proliférants, essentiellement parce que la notion de prolifération balistique est certes déjà identifiée, mais pas encore normée. Il faudra attendre la mise en place du MTCR, à la fin des années 1980, pour qu'une première norme soit finalisée. 71 Extrait du rapport intermédiaire. 66

67 Figure n 9 : ARBRE DE LA PROLIFÉRATION BALISTIQUE Source : Jürgen Scheffran, «Les missiles dans les conflits : la question des missiles dans toute sa complexité», Forum du Désarmement, UN, 2007, p. 13. Dès les années 1990, l'application de la notion de prolifération au champ balistique et aux technologies duales a eu un impact direct sur le champ spatial par une simple translation du paradigme. La métaphore pénètre ainsi le domaine des applications spatiales et particulièrement celui des lanceurs 72, essentiellement pour deux raisons. La première s'inscrit dans une logique déjà ancienne qui trouve son origine dans le lancement du premier Spoutnik par l'urss le 4 octobre Au-delà de la démonstration par l'union soviétique de ses capacités technologiques, elle prouve qu'elle peut désormais atteindre le territoire américain 73. Cela établit, dans l'esprit de tous, une assimilation tacite entre missile balistique et lanceur de satellite et incite les 72 Voir par exemple : Benefits Of Commercial Space Launch For Foreign Icbm And Satellite Programs, Hearing before the Subcommittee On International Security, Proliferation, And Federal Services of the Committee On Governmental Affairs, United States Senate, One Hundred Fifth Congress, Second Session, May 21, 1998, p.15. Bob Preston, Plowshares and power: the military use of civil space, National Defense University Press Publications, 1994, p.13. S. Dhawan, Space And Foreign Policy, Text of the K.P.S. Menon Memorial lecture, at Andhra Bhavan, New Delhi, 29 October 1988, p.13. Major Mark S. Peecook, Ground/Space-Based Defense Offering Security In An Unstable, Multipolar And Volatile World, USMC, CSC «Space Proliferation Worries DoD», Military Space, March 26, 1990, pp «By successfully launching Sputnik, the Soviet Union had given proof of the advanced state of it's longrange missile technology. Thus, the West had to reckon with a new, ominous strategic threat, in addition to the soviet challenge to its technology primacy.», Paul Kecskemeth, «Outer Space and World Peace», in Outer Space in World Politic, sld Joseph M. Glodsen, New York, Praeger, Voir aussi G. Le Guelte, Histoire de la menace nucléaire, ed. Hachette, 1997, p

68 experts à suivre une logique très simple : «derrière tout lanceur, peut se cacher un missile». Cette logique trouve son application, notamment, au travers des normes édictées par la communauté internationale (MTCR, HCoC pour la plus récente) qu'elles soient contraignantes ou non. La deuxième raison se retrouve plutôt du côté des théoriciens. En effet, comme on l'a vu précédemment, les théoriciens des Relations Internationales et des rapports technologie/politique ont largement délaissé les aspects autres que nucléaire depuis son apparition. Les réflexions et études sur les technologies spatiales, leur développement, usages et conséquences sont ainsi longtemps restées circonscrites à l'intérieur de trois grandes communautés : la communauté spatiale elle-même ; la communauté militaire et stratégique notamment en raison de la dualité civilomilitaire des applications spatiales ; la communauté juridique, notamment du droit international, l'objectif principal étant alors la codification de l'usage de la technologie spatiale. Le cadrage théorique en matière spatiale reste quasi absent des études académiques (même les sujets autour de la sécurisation de l'espace sont des débats majoritairement intra communauté spatiale). La nature ayant horreur du vide, selon l'aphorisme aristotélicien, c'est alors tout naturellement que les technologies spatiales glissent dans le champ de la prolifération lorsque par le biais de la filiation potentielle des lanceurs spatiaux avec les vecteurs des armes de destruction massive, elles intègrent la discipline académique des relations internationales 74. Cette évolution se fait sans questionner la validité du transfert de paradigme dans le champ spatial. Sur le plan purement abstrait, il y a effectivement des similitudes et le développement d'un lanceur peut contribuer au développement d'un missile. Donc une multiplication des lanceurs pourrait induire, dans l'absolu, un accroissement d'états dotés de capacités balistiques intercontinentales 75, même si la faisabilité demande à en être prouvée. L'emploi du terme de prolifération peut alors se valider dans l'absolu en matière spatiale. Nous devons, cependant, prendre garde aux limites conceptuelles dégagées lors de l'étude de la prolifération nucléaire. Bruno Tertrais les résume dans ces quelques lignes 76 : On note de manière générale, un pessimisme voire un catastrophisme excessif en ce qui concerne l avenir de la prolifération nucléaire, souvent présentée comme un phénomène mécanique, animée par une logique d inévitabilité. (Ce travers n est pas propre aux prévisions gouvernementales : on l observe également chez les analystes 77 ). De ce fait, on relève également une récurrence de la métaphore de 74 De fait avec une vison/représentation restreinte du champ spatial. 75 C'est notamment la position des États-Unis. 76 B. Tertrais, «Peut-on prévoir la prolifération nucléaire?», Document n 622/FRS/PPP, Rapport final, CSFRS, 21 novembre Il serait erroné de mettre un tel point de vue sur le compte d un tropisme typiquement américain. En France, l idée selon laquelle la prolifération nucléaire est «inévitable» était très répandue dans les années 1960, notamment dans les cercles dirigeants, y compris au plus haut niveau de l État. De même certains analystes français (y compris le pilote de cette étude) n ont pas été toujours exempts d un certain catastrophisme dans ce domaine. Cette question est bien abordée par Benoît Pelopidas in «Du fatalisme en matière de prolifération nucléaire : Retour sur une représentation opiniâtre», Swiss Political Science Review, vol. 15, n 2, 2009, et «The Oracles of Proliferation: How Experts Maintain a Biased Historical 68

69 l enchaînement ou de la «cascade» : l émergence d un nouvel État nucléaire est généralement présentée comme risquant presque inévitablement d en entraîner d autres à sa suite, au point même peut-être de susciter une «réaction en chaîne», c est-à-dire un phénomène à caractère exponentiel. Le mécanisme de l enchaînement est présenté comme particulièrement prégnant pour ce qui concerne les pays en développement, notamment après l essai indien de Or le phénomène de cascade est resté très limité et l immense majorité des candidats à l atome identifiés comme tels dans les analyses des années 1960, 1970 et 1980 n a jamais franchi le seuil. Pour autant, la pertinence de l'utilisation du terme de prolifération se doit d'être confirmée à l'aune de la réalité, et donc d'être analysée à l'épreuve des faits. 3.2 La prolifération spatiale à l'épreuve des faits L'étude des publications parlant de la filiation missile lanceur comme représentant une menace pour la communauté internationale est indispensable pour comprendre les postulats de départs. D'une part, celles-ci tendent à ne pas séparer dans leurs analyses la direction de la filiation, c'est à dire soit du missile vers le lanceur, soit du lanceur vers le missile. Ceci a pourtant des implications bien différentes en termes de prolifération et par suite de sécurité internationale. Un raisonnement sophiste 78 peut alors être induit, parce qu'accordant la même valeur aux deux énonciations 79. D'autre part, pour la majorité d'entre elles, elles ne reposent pas sur un argumentaire puisant aux sources technologiques. Par ailleurs, elles s'inscrivent majoritairement dans des approches traditionnelles de la prolifération. Elles souffrent ainsi des limites identifiées plus haut. De plus, leurs auteurs se trouvent largement influencés par leurs propres représentations de la situation. En effet, leurs processus d'objectivation d'une situation se confrontent de fait à leurs constructions mentales inconscientes. Comme l'a brillamment démontré Vincent Eiffling, dans son article sur l'approche cognitive de la position américaine sur les aspects sécuritaires de la question nucléaire iranienne 80, elles s'établissent tout au long de la vie et forment le système de référence qui participe de la construction de la grille de lecture avec laquelle toute personne envisage une situation 81. Par ailleurs, l'informé passant toute information Reading that Limits Policy Innovation», Nonproliferation Review, vol. 18, n 1, mars Voir également Francis J. Gavin, «Same As It Ever Was: Nuclear Alarmism, Proliferation, and the Cold War», International Security, vol. 34, n 3, hiver Parmi les rares visions prospectives non catastrophistes de la prolifération on peut citer George H. Quester, The Politics of Nuclear Proliferation, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1973 ; et Lewis A. Dunn, Controlling the Bomb: Nuclear Proliferation in the 1980s, New Haven, Yale University Press, Un sophisme, ou argumentation à la logique fallacieuse, est un raisonnement qui cherche à apparaître comme rigoureux mais qui en réalité n'est pas valide au sens de la logique (quand bien même sa conclusion serait pourtant vraie). 79 Un missile donne un lanceur donc un lanceur donne un missile. 80 V. Eiffling, «Approche cognitive de la position américaine sur les aspects sécuritaires de la question nucléaire iranienne», Note d Analyse 9, octobre 2010, Chaire InBev Baillet-Latour, programme «Union européenne-chine» de l Université Catholique de Louvain (UCL). 81 «... le comportement [d'une personne] dans une situation donnée est dictée par sa représentation de la dite situation. Cette représentation, intrinsèquement subjective, constitue en fait une construction mentale inconsciente, laquelle intègre un ensemble de valeurs, d émotions, de comportements et de croyances qui 69

70 reçue au filtre de cette grille de lecture, la question de son interprétation mérite d'être également posée. Si l'on adapte le travail de Vincent Eiffling à notre cadre d'analyse, nous pouvons donc conclure à l'influence des perceptions d'un expert ou chercheur en tant qu'elles : «(1) reconfigurent la réalité, en la simplifiant, en la faussant ; (2) tendent à trouver une cohérence entre les informations reçues et le système de référence des décideurs ; (3) peuvent mener jusqu à l adoption d une interprétation qui assimile de manière cohérente des intentions diverses et contradictoires, en fonction du système référentiel des décideurs ; (4) situent, enfin, un problème en fonction d analogies personnelles ou historique.» Au final, plusieurs auteurs dans les relations internationales signalent qu'il y a des biais, dans toutes analyses, constitutifs à l'analysant 82. Ils peuvent être exploités de la même façon quant à la question traitée dans l'étude. Prenons, par exemple, les analyses au sujet de la Corée du Nord. Jugée comme pays "hostile", toute tentative d'accès à l'espace sera de fait envisagée comme proliférante sans que ne soit même questionné son éventuel intérêt réel pour une utilisation pacifique de l'espace. De même, l'adhésion au principe de la prolifération, sans questionnement du terme et de son arrière-plan, amène bien souvent l'indifférenciation de la direction du couple missile/lanceur, car s'inscrivant dans un cadre théorique de "fatalisme de la prolifération" comme appelé par B. Pélopidas. Dit plus simplement, les auteurs partent du principe que 1/ il est possible de passer d'un lanceur à missile 2/ cela va se faire. Ils cherchent donc ensuite à faire coïncider la réalité avec ces énoncés quitte à la distordre quelque peu. Nous ne pouvons, dans le cadre de cette étude, faire la liste et l'analyse de toutes ces publications. Nous avons donc choisi de nous arrêter sur l'une d'entre elles, Ballistic Missile and Space Launch Vehicles in Regional Powers parue dans Astropolitics, de Dinshaw Mistry et Barath Gopalaswamy, universitaires américains. En effet, elle illustre selon nous très précisément cette tendance. Elle est, par ailleurs, très récente puisque datant de juillet Si le travail opère la distinction de filiation du lanceur vers le missile/par rapport à celle du missile vers le lanceur et semble donc éviter le piège décrit plus haut, le postulat de départ pose que «One particular concern on the missile nonproliferation agenda is that of space launch vehicles (SLVs). Though satellites launched into space have many civilian applications they are used for communications, weather forecasting, and earth observation the rockets that launch satellites can also be used ont été adoptés et assimilés au fil des années et qui constituent le système de référence de l individu. Le comportement n est donc pas simplement dicté par les connaissances et/ou expériences immédiates, il est également le fruit de certains événements formateurs, (formatives events), lesquels créent des images stables des faits...» qui se conjugue à «la difficulté beaucoup moins consciente de l assimilation de l information. Ce processus se retrouve en effet confronté à la nature du système psycho-cognitif humain dont la tendance est au rejet des informations contredisant ses structures référentielles. Toute information perçue est ainsi interprétée selon une échelle de croyances «belief-disbelief» : plus ces croyances sont dites centrales dans le système de référence de l individu, plus celui-ci aura tendance à réfuter toute information dissonante et, in contrario, une information en concordance avec les croyances centrales aura tendance à être rapidement assimilée», cf. V. Eiffling pp. 8 et Voir à ce sujet, R. Jervis, «Perception and Misperception in International Politics», Princeton, Princeton University Press, 1976 ou encore Y. Vertzberger, «Mispercetions in Foreign Policy-making: The Sino-India Conflict, », Boulder, Colorado, Westview Press, 1984, et T. Struye de Swielande, «L influence de la variable cognitive dans le processus décisionnel de l administration Bush ( )», in Les cahiers du RMES, Vol. 4, n 1, été Dinshaw Mistry et Barath Gopalaswamy, «Ballistic Missile and Space Launch Vehicles in Regional Powers», Astropolitics, Volume 10, Issue 2,

71 to deliver WMD payloads». Pour justifier cette assertion, les auteurs, s'appuient sur le Code de Conduite de la Haye (HCoC) et sur les réactions internationales lors du tir nord-coréen d'avril Il ne s'agit donc pas d'une conclusion mais d'une position initiale. Mistry et Gopalaswamy basent en fait leurs réflexions sur la constitution d'un tableau (voir ci-après) posant deux catégories de filiations considérées comme avérées : L'analyse du tableau concernant le glissement de compétence du lanceur vers le missile, montre que les auteurs identifient cinq pays Pakistan, Argentine, Brésil, Inde, Taïwan qui auraient développé un missile à partir d'un lanceur ou d'une fusée-sonde. Le premier point ambigu est 84 «The Hague Code of Conduct against Ballistic Missile Proliferation, which was established in November 2002 and signed by over 100 countries, highlights this concern. It notes that states should not be excluded from utilizing the benefits of space for peaceful purposes, but that, in reaping such benefits and in conducting related cooperation, they must not contribute to the proliferation of Ballistic Missiles capable of delivering weapons of mass destruction. The code explicitly mentions that Space Launch Vehicle programmes should not be used to conceal Ballistic Missile programmes. International responses to North Korea s and Iran s missile programs have also stressed this concern. In April 2012, world leaders strongly condemned North Korea s launch of a long-range rocket, with the United Nations (UN) Security Council issuing a statement that: This satellite launch, as well as any launch that uses ballistic missile technology, even if characterized as a satellite launch or space launch vehicle, is a serious violation of Security Council resolutions». 71

72 sûrement l'assimilation fusée-sonde/lanceur implicitement opérée. Pourtant, les différences technologiques sont considérables, ne serait-ce qu'en matière de capacité, de puissance ou de précisions dans l'injection. La filiation fusée-sonde missiles balistiques de grande portée ne peut donc s'opérer directement, au mieux nous pouvons évoquer une fertilisation éventuelle pour des missiles de courtes portées. À noter d'ailleurs que, dans chacun des cas envisagés par l'article, il ne s'agit pas d'icbm ou IRBM alors même qu'ils sont la cible principale des efforts de la communauté internationale, avec au premier rang, les États-Unis. Le deuxième point problématique est le caractère tranché de l'analyse qui conduit à modéliser une filiation fusée-sonde/missile pour des pays dont l'examen approfondi montre une réalité bien plus complexe. Le cas de l'inde et de l'accusation du développement de son programme de missiles IGMDP à partir de son premier petit lanceur le VLS-3 a déjà été évoquée dans la première partie à laquelle nous renvoyons. Il reste à étudier précisément les autres pays cités, le Pakistan, l'argentine, le Brésil et Taiwan pour lesquels il ne semble pas faire de doute pour les auteurs que ces derniers ont directement dérivé des missiles de leurs fusées sondes. Le Pakistan Le Pakistan entame un programme de fusée-sonde dès les années 1960 avec un premier tir, une Rehbar-1, adaptée d'une Nike-Cajun (États-Unis), suivi d'un second tir Rehbar-2 en Le programme se poursuit notamment dans le cadre d'un accord de coopération avec la France, signé en 1964, qui prévoit du matériel français pour le centre de Sonmiani ainsi que la licence de fabrication des fusées-sondes Centaure. Après une première campagne française de tir en 1967, une première Centaure pakistanaise est tirée en mai Il est courant de trouver dans la littérature que le Pakistan a dérivé de son programme de fuséesonde son missile Hatf-1(SRBM). Pour autant c'est oublier que Nike-Cajun comme Centaure sont elles-mêmes inscrites au moins en partie dans une filière missiles. La fusée Nike-Cajun se constitue d'un premier étage, propulsion solide, Nike, issu du programme de développement d'un missile anti-aérien, et d'un second étage Cajun, fusée-sonde développée dans les années De même, Centaure est développé par Sud-Aviation mandaté par le CNET, capitalisant sur son expérience de développement des missiles sol-air et sol-sol et porteur du projet SSBT 85. Nous sommes plutôt dans un cas de filiation inverse à celui qui nous préoccupe (missile vers lanceur). Par ailleurs, la date de mise en service du premier Hatf-1, 1989, pondère aussi la filiation entre les fusées-sondes et le missile ; l'écart de vingt ans entre la première fusée-sonde pakistanaise et Hatf-1tend à indiquer que la fertilisation, même si elle était escomptée, a rencontré de nombreux obstacles 86. L'institutionnalisation du spatial au Pakistan a également contribué à brouiller les cartes entre missiles et lanceurs, applications civiles et militaires. En effet, la SUPARCO 87, qui a développé 85 À savoir aussi que Sud-Aviation exportait une version de Centaure. 86 Pour une présentation des transferts de technologies de la France et de la Chine dont aurait bénéficié le Pakistan voir annexe. 87 Suparco travaillait sur les aspects moteurs (propulsion solide). 72

73 avec le Khan Research Laboratories (KLR) 88 le missile Hatf-1, est directement issue de la Pakistan Atomic Energy Commission (PAEC) et est établie en 1961 en tant que division de la PAEC. En 1966, un décret l'institue en tant qu'organisme distinct sous le contrôle de la Division Recherche et Scientifique du gouvernement pakistanais. Pour autant, les scientifiques et techniciens travaillant pour la SUPARCO sont presque tous issus de la filière des technologies nucléaires et sont mobilisés autour du projet de bombe nucléaire pakistanaise. Les objectifs sont clairement définis et le Pakistan ne prétexte pas un programme spatial pour travailler sur du balistique. Au point qu'à la fin des années 1970 et au début des années 1980, le programme spatial du Pakistan est quasiment au point mort. Un manque de détermination du gouvernement et une pénurie de matière grise (scientifiques et techniciens) 89 en sont les principales raisons. Nous sommes donc là, encore une fois, à l'inverse d'un programme spatial qui aide un programme missile. Bien que le Pakistan cherche à développer un lanceur depuis la fin des années 1990, aujourd'hui encore, l'aspect missile prime 90. Les dernières rumeurs font état comme lanceur potentiel d'une éventuelle adaptation soit du missile Taimur (ICBM) 91, supposé en développement, soit du missile Shaheen III (IRBM) 92. L'Argentine Premier pays latino-américain à lancer sa propre fusée-sonde en , l Argentine démarre un programme de missiles dès la fin des années 1950 et le début des années Dès les origines, la Comision Nacional de Investigaciones Espaciales, (CNIE créée en 1960) travaille avec l Instituto de investigaciones Aeronauticas y Espaciales (IIAE), appartenant aux forces aériennes. Le démarrage conjoint des deux programmes entraîne une certaine confusion aux yeux des observateurs étrangers. Confusion entretenue par l Argentine espérant dissimuler son programme missile derrière le programme spatial sans que ce dernier n y contribue réellement. Les décalages importants entre les dates de lancement des premières fusées-sondes et les dates des premiers essais de missile (25 ans) tendent à le démontrer. Le programme Alacran est celui qui a interpellé les observateurs à cette époque. Il est présenté, encore aujourd hui, comme un missile balistique SRBM dérivé du Condor-1 présenté, lui, comme un petit lanceur de satellite. Il est permis de douter de cette filiation. Il semblerait que Condor-1 soit en fait réellement un missile que l on aurait uniquement présenté dans les discours comme un lanceur afin de se trouver dans une approche "diplomatiquement correcte". Nous ne sommes donc pas dans le cadre d'une prolifération spatiale au sens strict du terme. Et, si les 88 Du nom d Abdul Qadeer Khan, reconnu comme le "père de la bombe pakistanaise". 89 En 1984 de nombreux scientifiques sont même transférés "de force" au sein de la PAEC et du KLR afin d'aider au développement du programme nucléaire. Voir à ce sujet S. Siddiqui, «Lagging behind: 2040 Pakistan s space od[d]yssey», The Tribune Express, 1 er Août Voir à ce sujet James Clay Moltz, Asia's Space Race: National Motivations, Regional Rivalries and International Risks, Columbia University Press, New York, Site du pakistan Space Science Club sur Facebook 93 Entre 1963 et 1975, la CNIE et l IIAE développent les fusées-sondes Centauro Alpha, Beta, et Gamma, Orion II, Castor, Canopus I et II, Rigel, et Clag I and II. 73

74 expérimentations de fusées-sondes effectuées par l Argentine ont sûrement contribué au design du missile, celui-ci n a pu être développé que grâce à l aide étrangère. En 1979, devant son incapacité à développer par elle-même Condor-1, l Argentine met en place un consortium sous l'autorité de la Fuerza Aéra Argentina (FAA), qui comprend la société allemande Messerschmidtt-Bölkow-Blohm (MBB), mais aussi des compagnies italiennes (SNIA- Pbd pour la motorisation), françaises (Sagem pour le système de guidage), espagnoles, suisses, suédoise (Saab-Scania) et autrichienne 94. L'essor du programme Condor coïncide avec la montée du militarisme en Argentine et, durant ce qui fut appelé Proceso de Reorganización Nacional, la dictature militaire a ordonné aux ingénieurs civils de la CNIE de travailler dans les institutions militaires afin de promouvoir les projets militaires par rapport aux efforts spatiaux civils 95. On retrouve ici, dans un contexte différent, une situation similaire à celle du Pakistan. Cela prouve encore une fois que l'objectif visé est clairement le missile et qu'il ne s'agit pas de développer d'abord un lanceur pour ensuite développer un missile. Suite à la guerre des Malouines en 1982, la FAA décide d'abandonner le programme Condor-1 en faveur d'un missile de plus longue portée capable d'atteindre les îles Falklands depuis le continent (Condor-2, IRBM). Le montage financier de ce programme est intéressant puisqu'il comprend des fonds provenant de l'égypte et de l'irak. Ce dernier amenant les 3/4 du financement, l'égypte agissant en tant qu intermédiaire en exploitant ses relations avec les États- Unis. L'Argentine, quant à elle, fournit le réseau européen de Condor-1 pour développer une technologie de propulsion solide pour Condor-2 et les infrastructures de test. Le programme Condor-2 est arrêté en 1991, suite aux pressions américaines. Néanmoins, la question de son exploitation dans le cadre du futur lanceur argentin annoncé en développement reste présente. L'organisation d'un programme de lanceur se définit en 1998 avec la décision du président Menem d'établir une compagnie dédiée, VENG 96. En 2000, la CONAE qui gère la compagnie VENG, démarre la planification du financement et du développement technique du lanceur. Appelé Tronador, ce nouveau lanceur est censé être un projet purement civil. Toutefois, l'implication dans ce projet de l'instituto Balseiro, à l'origine des premières recherches sur Condor-II et des anciens programmes d'armes nucléaires, amène à la prudence sur les futures applications potentiellement militaires du Tronador. En tout état de cause, ce programme bénéficie des recherches entreprises pour Condor-II. Un prototype Tronador-1, fusée d'un étage à propulsion liquide, est testé en En 2010, la CONAE officialise son programme de lanceur spatial Tronador-2 et prévoit son utilisation dès 2013 depuis la base militaire de Puerto Belgrano. Cette seconde version se compose de deux étages et serait capable de mettre en orbite un satellite de 250 kg à une altitude de 400 km. Compte tenu du retard pris sur le programme, le premier prototype du 94 R.C. Harding, Space Policy in Developing Countries: The Search for Security Need and Development on the Final Frontier, ed. Routledge, 2013, p Idem note Pour l'acronyme en espagnol de Nouvelle Génération de Lanceur Spatial. 74

75 Tronador-2, VEX-1, est attendu maintenant pour fin 2013 et la version finale du Tronador pour Par ailleurs, les forces aériennes argentines travailleraient sur un lanceur spécifiquement militaire, le FAS 1500, le programme Orbit aurait été abandonné. Mais il est extrêmement difficile de trouver des informations précises sur ces programmes soumis au plus grand secret. Taiwan À la fin des années 1980, le gouvernement affiche une ambition d'accès à l'espace mais le projet ne dépasse pas le stade du concept en raison des pressions américaines. Les États-Unis craignent justement un détournement possible de la technologie à destination du missile balistique. Par ailleurs, et comme pour le Pakistan, le programme de fusées-sondes démarré en 1998 s'appuie sur un programme de missile Tien Kung, missile sol-air. Le cas de Taiwan est de loin le plus simple. 3.3 Quels enseignements pour le futur? Le raisonnement choisi a été de privilégier une approche chronologique et de décliner les cas en fonction des portées considérées comme la pierre de base des compétences. Si l'on revient au commentaire des auteurs présenté dans les notes de la Table 1 cité plus haut, les résultats obtenus et explicitement indiqués correspondent à différents constats très instructifs que nous allons reprendre. Trente-deux cas ont été considérés : plus du tiers (13) s'inscrivent dans la catégorie des missiles qui ne sont pas utilisés comme lanceurs spatiaux ; plus du quart (9) représentent des missiles convertis en lanceurs spatiaux ou le développement simultané de missiles et de lanceurs. Dans la logique de l'article, le fait de regrouper ces deux cas dans la même catégorie sous-entend une mise en commun de compétences puis une spécialisation. On pourrait aussi voir un développement parallèle et précisément l'ébauche de deux filières distinctes ; plus du cinquième (6) correspondent à des lanceurs ou fusées-sondes qui n'ont pas été convertis en missiles ; la catégorie la plus réduite (5) est donc celle sur laquelle porte théoriquement le cœur de la démonstration, soit les lanceurs ou fusées-sondes convertis en missiles. En réalité, il n'y a pas à proprement parler de lanceur qui figure dans cette catégorie puisque le seul cité, le SLV-3, est déjà hérité d'un programme de fusée-sonde. Dans ces conditions, l'enseignement principal de cette étude serait que les fusées-sondes sont inévitablement à l'origine de tout programme spatial comme balistique, ce qui représente une piste un peu large pour servir de base à des études prospectives. Il faudrait alors distinguer entre les pays qui développent indépendamment toute une filière de fusées-sondes en partant d'un modèle minimal comme l'inde et ceux qui acquièrent des modèles plus élaborés commercialisés. Pour ce dernier cas, on peut s'interroger sur la logique présidant à l'achat de fusées-sondes 75

76 plutôt que de missiles. Certes, le contrôle des missiles est a priori plus strict mais leur large distribution dans le monde montre que les possibilités d'acquisition au moins pour des courtes portées sont nombreuses et que les capacités de contournement existent bien compte tenu du nombre de fournisseurs désormais existants et n'étant pas signataires du MTCR. L'intérêt porté aux fusées-sondes pourrait donc être plutôt le témoignage d'une volonté de maîtrise nationale technologique fondamentale, un aspect non pris en compte par les auteurs de l'article 97. La dimension chronologique est aussi essentielle, ce qui apparaît clairement dans les cas de la Chine et de l'inde synthétisés dans les deux diagrammes ci-dessous. Le premier diagramme appelle l attention sur un certain nombre de points. Dans le cas de la Chine, le transfert de compétences (volet supérieur du graphique) est resté très limité puisque la seule source, l Union soviétique, a rompu les relations dès Le développement des missiles chinois s est donc largement effectué sur une base nationale dans un pays sous-développé, isolé sur le plan international, craignant pour sa sécurité nationale et soumis à des troubles politiques intérieurs multiples. Dans ces conditions, la priorité donnée aux missiles est facile à comprendre mais l ambition spatiale est aussi affirmée très tôt (en fait, dès 1956) avec des préoccupations de reconnaissance internationale mais aussi d acquisition de compétences technologiques modernes à des fins de développement intérieur. La comparaison chronologique entre le volet missile et le volet lanceur montre un schéma plus complexe que l on pourrait initialement le penser. Les séries CZ-1 (Chang Zheng, Longue Marche en chinois) et FB 98 dérivent initialement des missiles DF-2, 3 et 4, mais l on constate une fertilisation croisée particulière dans le cas de DF-5. La filière utilisée est alors celle des ergols liquides, un choix classique dans la tradition du V2 et des missiles russes R-1 et R-2. Dans les années 1960 sont ainsi développés deux modèles (voir figure ci-dessous) ; le CZ-1 et le FB-1/CZ-2C qui deviennent opérationnels dans la première moitié des années Dans sa première version à deux étages utilisant du kérosène et de l oxygène liquide comme ergols, le CZ-1 a assuré deux lancements en 1970 et 1971, avant d être abandonné provisoirement. Mais une version modernisée fonctionnant à l UDMH et à l acide nitrique avec un troisième étage à poudre de fabrication chinoise ou italienne (IRIS) a ensuite été proposée pour des lancements commerciaux. En 1973, le lanceur FB-1 (Feng Bao, Tempête) et, en 1975, le CZ-2C permettent de placer sur orbite basse des satellites d observation récupérables FSW. Les deux lanceurs sont très proches, le FB-1semblant être un CZ-2 à l électronique simplifiée. Le premier étage (L-140) comme le second (L-35) consomment de l UDMH et du tétroxyde d azote. La production du FB-1 a été interrompue en On peut évoquer à ce propos le tir (raté) d'une fusée-sonde Troposphère 5 par la République démocratique du Congo largement popularisé sur you tube Cet essai de 2009 continue à tourner sur la toile trois ans plus tard, mais si la dérision est facile, elle ne doit pas masquer la pérennité de l'argumentaire qui sous-tend l'expérience à savoir la volonté d'acquisition d'une compétence technologique jugée indispensable par les soutiens politiques et militaires au programme. 98 Cette série a finalement été arrêtée en 1981 au profit de la filière CZ. 76

77 CZ-2C, capable de lancer 2,8 tonnes en orbite circulaire à 200 km, est toujours en fonction et peut être lancé de Jiuquan et de Taiyuan. La mise en place progressive de modèles distincts de développement se dessine à partir des années 1980 avec le développement, côté lanceur, du CZ-3 dont le cahier des charges (la mise à poste des premiers satellites géostationnaires) requiert la maîtrise d un étage cryotechnique. Ceci n empêche pas, bien sûr, les échanges de compétences sur différents points clefs autre que la propulsion, comme la stabilisation, l étagement, le guidage... mais les caractéristiques divergent de façon de plus en plus significative et les laboratoires, sinon les capacités industrielles, sont désormais distincts. Le CZ-4, lanceur à 3 étages, permet le lancement de satellites sur orbite héliosynchrone à partir de la nouvelle base de Taiyuan, créée à cet effet. CZ-4 inaugure en 1988 l étage L-180, qui est un L-140 allongé. Le second étage reste le L-35. La Chine a ensuite réalisé cinq nouveaux lanceurs, en combinant aux étages précédemment cités un nouvel étage cryotechnique, le H-18, un second étage L-90, plus puissant que le L-35, et le propulseur LB-40 à ergols liquides. Apparaissent ainsi successivement : le CZ-2E (4 LB-40, L-180, L-90) ; le CZ-2D (L-180, L-35) ; le CZ-3A (L-180, L-35, H-18) ; le CZ-3B (4 LB-40, L-180, L-35, H-18), un CZ-2C allongé dit aussi CZ-2C/ SD (L-140, L-90 ou L-35 allongé) destiné au marché des constellations ; le CZ-4B qui est une évolution du CZ-4 ; Un dernier modèle CZ-3C vient compléter la gamme des lanceurs de satellites géostationnaires CZ-3, dont on connaît les évolutions successives ; Enfin le CZ-2F est un 2E adapté pour les vols habités, avec une coiffe très proche de celle du Soyouz russe. 77

78 Figure n 10 : DIAGRAMME CHRONOLOGIQUE MISSILES-LANCEURS DE LA CHINE Le cas indien évoque une toute autre logique. Le schéma beaucoup plus simple ne mentionne pas les coopérations trop nombreuses et diverses dont l Inde s est inspirée pour construire ses propres programmes. Les principales sources sont en effet essentiellement américaines à l origine, sur le programme de fusées-sondes, puis européennes et russes. Toute la difficulté pour l Agence spatiale indienne a plutôt consisté à construire une base autonome avec des choix dictés à la fois par leur capacité technologique et industrielle et leurs ressources financières. De ce point de vue, les ergols à poudre indiens parfaitement spécifiques sont aujourd hui reconnus pour leur efficacité dans le monde entier. En termes de filiation, les fusées sondes représentent indéniablement le terme technique de référence beaucoup plus que dans le programme chinois. Encore opérationnelles et construites sur un modèle unique qui a évolué en fonction des besoins (météorologie, possédant 1 ou 2 étages ), elles restent le lieu d apprentissage des ingénieurs du spatial. Le choix de la rétroingénierie pour le premier programme de missile Devil a marqué une rupture forte avec cette approche puisqu il s agissait d utiliser une propulsion liquide et non pas solide. L échec et l arrêt de cette filière remplacée par le programme Prithvi coïncident bien avec l acquisition de compétence du lanceur SLV-3. Cependant les huit ans de développement qui ont été nécessaires pour mettre au point le missile Prithvi pourtant considéré comme prioritaire par le gouvernement indien témoignent des différences fondamentales entre les spécifications d un missile et d un lanceur. La volonté de l ISRO de préserver au maximum ses importations de 78

79 technologies pour son programme lanceur a indéniablement aussi joué un rôle. Le poids du MTCR est également souligné par les auteurs indiens dans le ralentissement global de leurs programmes missiles et lanceurs. Ce qui apparaît tout à fait clairement, c est que le programme missile possède sa logique propre et le temps de développement des différents modèles Agni puis Agni-2 s avère beaucoup plus rapide que celui du programme lanceur. Le fait de monter en niveau sans développer de technologies spécifiques nouvelles, car ces missiles ont d abord une valeur de démonstrateur, est sans doute l explication principale. Figure n 11 : DIAGRAMME CHRONOLOGIQUE FUSÉES-SONDES, LANCEURS, MISSILES DE L'INDE Les deux cas présentés ci-dessus doivent toutefois être complétés par une synthèse des convergences et divergences de la prolifération balistique et des technologies spatiales. La question fondamentale est de déterminer si la prolifération balistique, sous quelque forme que ce soit, sera susceptible d exploiter les technologies spatiales à ses fins, et si des programmes balistiques et spatiaux initialement homogènes, car fondés sur des vecteurs issus des mêmes familles, sont susceptibles de diverger. Il s'agit également d évaluer si une puissance balistique se lançant dans des activités spatiales le fait dans un objectif militaire inavoué et si l exploitation des technologies spatiales conduira ou non à la finalisation d un programme balistique. 79

80 Comme nous l'avons montré dans la partie 2, les questions de coûts, rapportées aux objectifs militaires (dans le domaine balistique) et aux objectifs industriels, économiques et stratégiques (dans le domaine spatial), doivent être prises en compte. Si la dualité d un certain nombre de technologies spatiales permet d envisager le développement d un programme spatial pour soutenir le développement d un programme balistique, cette convergence n est ni automatique, ni systématique. Les États confrontés à un schéma de prolifération classique ou de type proliférant/industriel n auront pas accès aux technologies spatiales. Ils seront donc contraints de développer ce type de filière autour de systèmes de propulsion de missiles balistiques existants. Toutefois, les contraintes financières et industrielles auxquelles ils seront confrontés sont telles que les programmes spatiaux ne peuvent être conçus qu en synergie complète avec les programmes militaires. Ainsi, un proliférant classique qui ne serait pas requis, pour assurer sa sécurité, de disposer d une capacité de frappe sur un État géographiquement très distant (les États-Unis dans la majorité des cas) ne gaspillera pas ses ressources financières et industrielles dans un programme spatial dont les retombées militaires seront faibles, eu égard aux investissements consentis. A l inverse, un État cherchant à se doter d une capacité intercontinentale aurait a priori de bonnes raisons de vouloir développer une composante spatiale, qui lui permettra de valider des solutions technologiques et surtout de se livrer à des essais sur une partie du domaine de vol balistique que les essais des missiles de plus courte portée ne permettent pas de vérifier, tout en limitant les conséquences de ceux-ci en termes de violation des régimes ou des sanctions qui lui sont appliquées. Cette coïncidence entre les programmes balistiques et spatiaux ne signifie pas systématiquement que le programme spatial est illégitime le programme de fusée-sonde Kavoshgar iranien étant de ce point vue illustratif mais que celui-ci est conçu comme éminemment dual. La combinaison d ambitions spatiales et balistiques est donc envisageable dans un certain nombre de cas, y compris pour les programmes des États proliférants. Cette logique est d'autant plus vraie que les recherches en la matière s'inscrivent dans un cadre unique regroupant toutes les activités de haute technologie développées à des fins de sécurité nationale. La notion de complexe militaro-industriel dans ses différentes variantes est sans aucun doute un indice fort. Assez paradoxalement, ces États reproduisent donc la logique adoptée par les puissances balistiques et spatiales fondatrices les États-Unis et l URSS pour lesquelles les deux filières étaient étroitement imbriquées avant de diverger. Toutefois, si les filières américaine et soviétique se sont rapidement séparées du fait des spécificités des programmes spatiaux (satellisation de charges lourdes sur différents types d orbites, requérant des vecteurs puissants et des propergols fortement énergétiques mais non stockables), et de la variété des solutions technologiques disponibles pour y répondre, tel ne sera pas forcément le cas des programmes spatiaux des proliférants qui sont développés dans une logique de valorisation des lanceurs plutôt que des plates-formes. On peut noter à ce propos la différence fondamentale entre des États qui ont la capacité de développer de façon autonome les satellites qu'ils souhaitent lancer (Corée du Sud) et ceux qui entament simultanément un programme de satellite et de lanceur (Corée du Nord). Si ces États devaient, pour des raisons civiles ou militaires, souhaiter disposer d une capacité de satellisation plus puissante, ils seraient probablement contraints de se réorienter vers des filières de type LOX par exemple (pour les propulsions liquides). Un tel choix validerait l existence d une filière spatiale authentique. 80

81 Les États se situant dans une logique de prolifération industrielle disposent, du fait de l adhésion de la majorité d entre eux au régime de non-prolifération, d une capacité potentielle plus grande à exploiter une filière spatiale à des fins militaires. Toutefois, comme dans le cas des proliférants classiques, la question de l utilité réelle d une collusion des programmes doit être évaluée avec soin. On note chez les puissances spatiales émergentes une tendance à privilégier les propulsions solides (VSL-1 brésilien, second étage du KSLV sud-coréen, Vega italien), dont les retombées militaires sont évidentes. Toutefois, ce phénomène ne signifie pas que les proliférants industriels, qui axent également le développement de leurs programmes sur les propulsions solides, instrumentaliseront un programme spatial pour valoriser leurs vecteurs militaires. Pour les États n étant pas soumis à un environnement militaire contraint, la question ne se pose pas, le développement d une capacité balistique dérivée d un programme spatial étant économiquement et militairement dénué de sens. Parallèlement, pour les États aspirant à disposer de systèmes de portée moyenne (inférieure à km), la voie du développement balistique pur reste plus logique. Ces États, qui disposent déjà de capacités industrielles avancées, peuvent toutefois envisager des coopérations spatiales sur les lanceurs pour parfaire les outils industriels dont ils disposent. Une logique différente pourrait s appliquer aux États soumis à une menace militaire réelle, à ceci près que ces États, intégrés au régime de non-prolifération, tendent à disposer de facilités pour développer des vecteurs à vocation militaire et n ont nullement besoin d investir dans un programme spatial pour acquérir, de façon indirecte, une telle capacité. Si un État tel que la Corée du Sud a pu concevoir son programme spatial en ces termes à l orée des années 2000, l acceptation par les États-Unis d autoriser Séoul à développer des systèmes balistiques permettant de traiter la quasi-totalité du territoire nord-coréen 99 tend à priver le programme spatial de sa logique potentiellement proliférante. Par ailleurs, si la Corée du Sud exploitera sans doute les retombées technologiques du second étage du KSLV pour mettre au point ses futurs missiles, le développement du lanceur vise plus à permettre à Séoul de disposer d une capacité de lancement nationale y compris pour d'éventuelles missions militaires qu à permettre la mise au point d un vecteur longue portée dont l utilité serait inexistante. Il n en demeure pas moins, comme cela a été souligné, que l utilisation croissante des propulsions solides dans le secteur spatial pose un risque de prolifération réel, en donnant aux États qui les développent une capacité balistique intercontinentale potentielle. Il s agit là d une évolution très notable du phénomène proliférant qui soulève nombre de questions en termes prospectifs. L'étude des nouveaux acteurs : Iran, Corée du Nord et Corée du Sud qui émergent de façon étonnamment groupée après trente ans de stabilité au sein du club spatial, va nous permettre d'analyser plus précisément quelles sont les logiques à l'œuvre dans des États aux profils recouvrant précisément la gamme des figures évoquées. 99 Le 7 octobre 2012, les États-Unis ont autorisé la Corée du Sud à exploiter des technologies d origine américaine pour développer des vecteurs balistiques pouvant atteindre 800 km. 81

82

83 4 L'émergence de nouveaux acteurs 4.1 L'Iran Un triptyque missile-nucléaire-spatial inscrit dans l'histoire de la sécurité nationale iranienne A. Entre 1941 et 1979 : constitution des bases du triptyque La majorité des discours au sujet des ambitions spatiales iraniennes oublie généralement que celles-ci sont loin d'être nouvelles mais s'inscrivent dans l'histoire iranienne dès les origines de la conquête spatiale. Sous le règne de la dynastie Pahlavi, l'intérêt pour l'espace forme avec le nucléaire et ses vecteurs un triptyque dont les objectifs avoués sont de donner l'image d'une nation forte et moderne mais aussi indépendante. Cette recherche de l'indépendance aux fins d'une sécurité renforcée est une donnée fondamentale d'un pays marqué par les rivalités de domination anglo-russes jusqu'à la Seconde guerre mondiale. Entre 1920 et 1940, l'iran réussit progressivement à se dégager, d'une part, de la domination croissante que l'empire russe lui avait imposée depuis et, d'autre part, de la dépendance britannique. Ainsi, dès son arrivée au pouvoir en 1925, Reza Shah accélère la modernisation du pays et forge le mythe du retour à la grandeur passée 101. Cependant, le rapprochement avec l'allemagne nazie, pour consolider son œuvre d'émancipation, cause sa chute. En raison de son refus d'accorder aux Alliés le droit d'opérer une jonction sur son territoire, la Grande-Bretagne et l'union soviétique montent l'opération "Countenance" qui se solde par l'invasion de l'iran le 25 août Reza Chah est forcé d'abdiquer en faveur de son fils Mohammad Reza Pahlavi et s exile en Afrique du Sud. Cette décision des Alliés marque profondément la conscience populaire convaincue désormais que l'iran ne peut résister aux exigences des intérêts de grandes puissances. À l aube des années 1950, la position géostratégique de l'iran la place au cœur des enjeux énergétiques et d'influence, des relations entre la Grande-Bretagne, l Union soviétique et les États-Unis 102. Et si l'iran semble choisir clairement le camp américain, c'est en partie parce que 100 Guerre russo-persane de qui voit la défaite de la Perse et la confiscation des territoires contestés. 101 Officier cosaque issu d une lignée de militaires, il devient successivement commandant suprême des corps armés et chef du gouvernement de l empire perse sous le règne d Ahmed Chah, dernier souverain Qadjar. Le Parlement vote la déchéance du jeune monarque le 12 décembre 1925 en son absence. (Il est en Europe depuis trois ans). Reza Khan est aussitôt élu et intronisé par le Parlement (Majles). Proclamé chahanchah («Roi des Rois»), il est couronné le 25 avril Londres tient absolument à conserver sa maîtrise du Golfe Persique et sa mainmise sur les champs pétrolifères, par le biais de l AIOC. De son côté, Moscou convoite les ressources naturelles de la mer Caspienne et s appuie sur le parti Tudeh pour influencer le cours des événements. Quant à Washington, il n entend plus se laisser damer le pion par les puissances coloniales traditionnelles : il importe désormais 83

84 cela ne modifie guère les données du problème, à savoir la nécessité de manœuvrer deux grandes puissances qui s'opposent sur leur terrain, mais aussi parce que l'accord avec les États-Unis stipule l'envoi de matériels et de missions militaires 103. Car au-delà de la notion d'indépendance, la situation de l'iran vis-à-vis de ses voisins reste très difficile et ce durant toute la Guerre froide. Le pays est, en effet, relativement isolé pour plusieurs raisons : L'existence d'une frontière de près de km avec l'urss alors même qu'elle est une tête de pont américaine dans la région ; La signature du pacte de Bagdad en 1955 qui voit le monde arabe se diviser en deux camps. Aux pays signataires (Irak, Turquie, Pakistan, Iran, Royaume Uni rejoints par les États-Unis en 1958) s'opposent notamment l'égypte et la Syrie mais aussi les partis politiques de gauche qui dénoncent un pacte impérialiste. Suite à la Révolution de 1958, et sous pression de Nasser, l'irak se retire du Pacte. Ce retrait affaiblit les positions occidentales dans la région mais aussi celles de l'iran considéré comme leur allié. Les relations irano-arabes ne cessent de se détériorer particulièrement avec l'égypte, l'irak et la Syrie jusqu'au point culminant de la reconnaissance de facto de l'état d'israël en 1961 par l'iran 104. Ainsi, entre la fin des années 1950 et 1979, peu convaincu de la mise en œuvre d'une intervention américaine d'envergure en cas de conflit régional et soucieuse d'assurer elle-même sa sécurité nationale, l'iran va mener conjointement, bien qu'à des rythmes différents, le développement des trois éléments clefs missile-nucléaire-espace. En premier lieu, l'iran se lance dans un programme d'accroissement et de modernisation militaire du pays, progrès qualifiés à l'époque, déjà, de spectaculaires. Une de ses préoccupations principales est alors de contrer l'irak qui est devenu un acheteur majeur d'équipements soviétiques. Cela suppose d'acheter des missiles et de développer une dissuasion nucléaire 105. Dans le domaine nucléaire, durant toute la première moitié de la décennie 1970, l'iran va multiplier les accords. Avec les États-Unis, vers qui il se tourne dans le cadre du programme "Atome pour la paix" faisant qu'en 1967 un réacteur nucléaire de 5 mégawatts est ainsi opérationnel sur le territoire. En 1976, il requiert de l'administration Ford le transfert des technologies de retraitement qui lui permettraient ainsi non seulement d'extraire le plutonium mais de posséder l'ensemble du cycle nucléaire 106. L'Iran passe également, au milieu des années 1970, un accord "pétrole contre technologies" avec l'afrique du Sud pour les technologies d'enrichissement. d ancrer durablement le modèle américain, tant d un point de vue économique, politique qu idéologique, au cœur du Moyen-Orient. 103 H. Carrêre d'encausse, «L'Iran en Quête d'un Équilibre», Revue française de science politique, Année 1967, Volume 17, Numéro 2, pp M. Mozafari, «Les nouvelles dimensions de la politique étrangère de l'iran», Politique étrangère N 2, 1975, pp R. C. Harding, Space Policy in Developping Countries, the Search for Security and Development on the Final Frontier, Routledge, 2013, p Jahangir Amuzegar, «Nuclear Iran: Perils and Prospects, Middle East Policy», Volume 13, Issue 2, Summer 2006, pp. 90 à

85 Dans ce cadre, il obtient 600 tonnes de yellowcake 107. En 1975, un contrat est signé avec la firme allemande Kraftwerk Union AG pour construire le premier réacteur complet, pour ne citer que quelques exemples. Sur le plan des missiles, l'iran utilise d'autres fournisseurs et passe notamment un accord en avril 1977 avec Israël, après le refus américain de lui vendre des Pershing 108. Il obtient, toujours dans le cadre d'un accord "pétrole contre technologie" 109, l'assistance et le savoir israélien pour construire des missiles balistiques sol-sol. La production conjointe de missile Jericho-2 est aussi évoquée dans ce cadre. Une unité de production de missile est prévue qui démarre par la construction d'une unité d'assemblage près de Sirjan et un centre d'essai près de Rafsanjan. La composante spatiale, quant à elle, nourrit très tôt l'intérêt du Shah qui la voit comme un attribut, à haute valeur ajoutée symbolique, de puissance. L'Iran fait partie des 18 membres fondateurs en 1958 du Comité ad-hoc pour la coopération internationale des Nations-Unies (qui devient en 1959 le Comité pour l'utilisation pacifique de l'espace, COPUOS). Il signe en 1967 le Traité sur l'espace extra-atmosphérique, devient membre en 1970 d'intelsat et en 1971 de l'itu. Parallèlement, très conscient des bénéfices des applications spatiales, notamment de l'observation de la Terre, il démarre, en 1972, la construction d'une station de réception avec l'aide américaine (Mahdasht satellite Receiving Station) qui entre en activité en Il crée en 1974 l'iranian Remote Sensing Center et établit avec les États-Unis des accords de coopérations pour traiter les images Landsat. C'est aussi dans cette première moitié des années 1970 qu'il planifie son premier programme spatial national, le développement du satellite de télécommunication Zohreh et envisage de créer une agence spatiale 110. Le triptyque, qui commence à se dessiner, bénéficie des progrès économiques remarquables de l'iran pendant cette période. Les revenus de l'état provenant de la vente de pétrole ont considérablement augmenté avec la crise de 1973 et l'iran, en 1974, a un taux de croissance de 41% tout en restant, par de nombreux aspects, un pays pauvre soumis à une forte pression sociale. Au seuil de la révolution qui va amener les religieux au pouvoir, l'iran se caractérise ainsi par trois points clefs : une indépendance dans les alliances avec une coopération très diversifiée ; un fort pragmatisme ; une recherche de la puissance comme condition de la sécurité et de la paix. 107 D. Albright, J. Shire, P. Brannan, «Is Iran running out of yellowcake?», ISIS Report, février Voir aussi Elaine Scoliono, «Documents Detail Israeli Missile Deal with the Shah», New York Times, 1 April 1986 cité in R. Harding. 109 Projet militaire commun connu sous le nom de "Project Flower" , voir à ce sujet P. Tarikhi, M. Abbassi, M. Ashrafi, Science and Innovations in Iran: Development, Progress, and Challenges, Ed. par Abdol S. Soofi and Sepehr Ghazinoory, 2013, chapitre 9 : «Iran's Aerospace Technology», p

86 B : une période marquée par le changement de gouvernement et la guerre Irak-Iran La révolution de 1979, qui amène la fondation de la République Islamique d'iran, ne change pas fondamentalement la donne quant aux objectifs prioritaires de la sécurité nationale. La guerre avec l'irak 111 qui se déclenche en 1980, joue le rôle de catalyseur et la nouvelle république accélère le développement de l'ensemble missile-nucléaire-spatial. À ceci deux raisons principales : la qualité des capacités militaires irakiennes, notamment de leurs missiles qui bombardent l'iran et l'utilisation des armes chimiques ; la crainte des dirigeants iraniens d'une tentative américaine de réinstallation du Shah. Les nouveaux dirigeants au pouvoir estiment alors qu'une force de dissuasion est indispensable pour leur garantir la puissance nécessaire à leur sécurité. Entre 1980 et 1986, la part des dépenses militaires est de 30% du budget de l'état. Les missiles sont logiquement les premiers à bénéficier de cet accroissement. L'Iran achète alors des SRBM à la Libye et la Syrie, les grandes puissances comme l'urss, les États-Unis et la France soutenant l'irak de Saddam Hussein espérant une évolution du pays vers la laïcité et le modernisme faisant ainsi à terme contrepoids à l'iran dont le durcissement religieux les inquiète. Un peu plus tard pendant la guerre, l'iran se fournit auprès de la Corée du Nord en Scud B. Un premier accord est signé en 1985 appelant à un échange bilatéral de technologies missiles, un financement iranien du programme nord-coréen et une option d'achat pour des Hwasong-5. En juin 1987, les deux pays concluent un accord qui fournit à l'iran entre 90 et 100 Hwasong-5, les missiles à la base du développement du Shahab Dans le domaine nucléaire, l'ayatollah Khomeiny, Guide Suprême, qui avait suspendu le programme en 1979, accepte la création, en 1982, d'un centre de technologie nucléaire à Ispahan en vue de produire de l uranium enrichi. Cette décision étant largement conditionnée par la guerre en cours. Huit ans de guerre avec l'irak, mais aussi, dans une moindre mesure, la guerre du Golfe de , confirment les perceptions iraniennes quant aux conditions de leur sécurité et l'importance de compter sur ses propres forces pour se doter d'une puissance suffisamment dissuasive. L'Iran poursuit donc ses efforts en matière de missiles et bénéficie de transferts de technologie de la Chine, de la Russie et de la Corée du Nord entre autres. Il se dote d'infrastructures, avec l'aide nord-coréenne, lui permettant d'assembler nationalement les missiles et démarre une production locale 113 de missile Shahab-3 basé sur le No Dong nord-coréen 114. Le parent pauvre de cette période est alors le spatial qui s'efface des préoccupations immédiates. Compte tenu des enjeux financiers, industriels et technologiques qu'il demande, l'attrition de 111 Saddam Hussein, redoutant l'ascension de Khomeini et son regain de popularité dans le monde musulman suite à la révolution de 1979, et souhaitant reprendre le leadership dans la région, attaque l'iran le 22 septembre 1980, au prétexte d'un désaccord frontalier. 112 J. Bermudez, A History of Ballistic Missile Development in the DPRK, Occasional Paper n 2, Center for Nonproliferation Studies, p SA Hildreth, Iran's Ballistic Missile and Space Launch Programs, CRS Report for Congress, Congressional Research Service, 6 décembre 2012, p Premier essai réussi

87 l'iran pendant cette première guerre du Golfe ne permet pas un tel investissement 115. La décennie suivante est celle de la reconstruction de l'économie iranienne, de la poursuite du développement de ses capacités militaires et du renforcement et de la diversification de ses coopérations. C'est le cas par exemple avec la Russie. Les services de renseignements américains notent un changement dans les relations russo-iraniennes dès 1996 et dénoncent des transferts de technologies, notamment dans le domaine des missiles, 116 qui accélèrent le développement du missile Shahab Parallèlement les Occidentaux nourrissent les mêmes inquiétudes au sujet de la Chine 118. Enfin, cette période voit le rapprochement irano-indien en raison de préoccupations communes d'ordre politique et de sécurité, parmi lesquelles l'afghanistan, l'asie centrale, qui concernent la sécurisation des circuits de l'énergie et l'ouverture de relations commerciales 119. Cela débouche entre autres sur un communiqué conjoint et deux protocoles d accord en septembre 1993 portant sur la coopération dans le domaine des sciences et technologies et sur le transport terrestre. C. À partir de 1998, la montée en puissance progressive du spatial iranien 1998 semble être une année charnière dans la progression vers des capacités spatiales iraniennes. D'une part, l'iran prépare un programme de plusieurs satellites de télécommunication. Le premier, s'inspirant du projet Zoreh, est annoncé publiquement en 1999, et l'inde, la Russie et la France sont sollicitées pour le mener à bien. C'est avec la Russie que le contrat est signé. Le second, Mesbah, est un petit satellite de télécommunication planifié pour être développé nationalement avec l'aide de la compagnie italienne Carlo Gavazzi Space. D'autre part, le 22 avril 1998 est signé 115 L Iran estime, à cette époque et officiellement, à 300 milliards de dollars le prix de la reconstruction de son économie. 116 Director of central Intelligence, Report of proliferation-related Acquisition in 1997, Washington DC, cité in Hildreth. 117 Hildreth, p Director of Central Intelligence, «The Acquisition of Technology Relating to Weapons of Mass Destruction and Advanced Conventional Munitions», July December 1996, Washington, DC, June Voir à ce sujet, M.-R. Djalili, T. Kellner, «L Iran et les deux géants asiatiques», Outre-Terre, Revue française de Géopolitique, n 16, Novembre 2006, pp «Ce rapprochement initié dans les années 1990 entre Téhéran et New Delhi s explique par une série de facteurs, parmi lesquels les besoins énergétiques croissants de l Inde et les intérêts économiques des deux parties (importance des marchés réciproques et rôle de l Inde comme fournisseur de technologies pour l Iran). À cela s ajoute l effondrement de l URSS, qui modifie considérablement l environnement régional en Asie occidentale puisque huit États indépendants (cinq en Asie centrale, trois dans le Caucase) apparaissent sur la scène internationale et offre aux deux pays d importantes possibilités de coopération. Sur le plan politique, le renforcement du poids international des États-Unis comme unique superpuissance sans compter, vu de Téhéran, le renforcement de la présence américaine dans le golfe Persique après la guerre de ainsi que la perception des menaces communes pour leur sécurité (risques d instabilité politique en Asie centrale et développement du radicalisme sunnite) contribuent encore à l essor des relations bilatérales. Pour Téhéran, isolé sur la scène internationale, New Delhi est tant un interlocuteur important qu un intermédiaire utile pour relancer le dialogue avec les Occidentaux. Côté indien, le développement de liens avec l Iran permet de contrecarrer dans une certaine mesure le discours anti-indien propagé dans le monde musulman par le Pakistan et d y améliorer son image. Enfin, à partir du milieu des années 1990, des événements régionaux, notamment la montée en puissance, puis l arrivée au pouvoir en Afghanistan des taliban soutenus par le Pakistan et dont le caractère anti chiite virulent inquiète Téhéran, offrent une occasion à l Iran et à l Inde de mieux évaluer leurs intérêts communs», p

88 le mémorandum d'entente entre l'iran, la Chine, la Corée du Sud, la Mongolie, le Pakistan et la Thaïlande 120 pour le développement du Small-Multi-Mission Satellite (SMMS) sous les auspices de l'apsco. L'objectif est de développer deux satellites pour la surveillance de l'environnement et l'observation de la Terre est surtout l'année où est testé avec succès le missile MRBM Shahab-3, base du futur lanceur iranien SAFIR. Basé sur le No Dong 1 nord-coréen, sa portée le place dans la limite inférieure des MRBM. L'objectif de l'iran est de l'améliorer pour développer, tester et déployer un missile de plus longue portée. Poursuivant cet objectif, il continue son développement qui aboutit à des missiles comme Ghadr-1. Par ailleurs, l'iran démarre une filière à propulsion solide utilisée pour le missile Seijil/Ashura. L'intérêt opérationnel est clair (voir en infra la partie sur les différents types de propulsion). La question reste de savoir si c'est juste une démonstration de capacités ou s'il y a bien une modernisation très en profondeur de l'arsenal. L'absence d'essai depuis deux ans semble indiquer en tout cas que l'iran n'a pas encore la capacité industrielle adéquate. Dix ans séparent alors ce premier test du premier lancement d'un satellite iranien par un lanceur national, Safir, le 2 février Dix ans pendant lesquels les déclarations tant des Iraniens que des Américains tendent à brouiller l'image du programme spatial. Après 2001 et les déclarations de George Bush sur "l'axe du mal", puis après l'invasion américaine de l'irak en 2003, l'iran désire plus que jamais prouver qu'il est une puissance souveraine et indépendante. Son ministre de la Défense, Ali Shamkani, déclare en janvier 2004 que son pays sera «le premier pays musulman à entrer dans la stratosphère avec son propre satellite et son propre système de lancement national» mais surtout qu'«il fut un temps où le golfe Persique était une menace contre la république islamique mais maintenant avec le pouvoir que nous avons obtenu, la région ne peut plus être utilisée contre nous par une puissance non-régionale» 121. Il indique par ailleurs que les capacités aérospatiales iraniennes sont l'un des moyens principaux de la dissuasion. Cette rhétorique qui peut s'interpréter comme l'exploitation de l'espace pour témoigner d'une compétence technologique et assurer une sécurité nationale, s'inscrit pourtant dans une stratégie visant à équilibrer pragmatisme et idéologie. Mais ce serait omettre une autre dimension du spatial en Iran, et qui rejoint le nucléaire, l'importance de sa puissance symbolique et ses effets sur la scène intérieure et régionale. Le Pakistan avec son essai nucléaire de 1998 pouvait se vanter d'être le premier pays musulman à avoir la bombe. L'Iran voulait être le premier pays musulman à posséder une capacité d'accès à l'espace autonome. 120 Rejoint par le Bangladesh en «Iran will be the first Islamic country to enter the stratosphere with its own satellite and its own, indigenous launch system»... «There was a time when the Persian Gulf was a source of threats against the Islamic republic, but today with the power we have obtained this region can no longer be used against us by any non-regional power», «The aerospace capacity of the Islamic republic is one of the main means of deterrence for the country, and is acquired through cooperation between the defense industries and universities.» In Iran plans to be first Islamic nation to launch its own satellite, 8 janvier

89 Dans ce concours des fiertés nationales, démontrer une compétence scientifique et technologique en matière spatiale participe de la construction d'une légitimité du pouvoir au sein même de la population. À ce titre, le choix de la date du lancement de 2009 pendant les dix jours de célébration des 30 ans de la République Islamique et les déclarations du Président Ahmadinejad, est essentiellement à vocation interne 122. C'est une forme de mise en scène du pouvoir qui utilise la capacité symbolique d'un objet à des fins politiques. Ceci dans un contexte où Ahmadinejad remet en jeu son mandat en juin de la même année et adosse sa campagne électorale sur la modernisation et la croissance économique. L'annonce parallèle d'un plan spatial de douze ans qui inclut un premier vol habité entre 2017 et 2021, participe de la même dynamique Vers un affranchissement du programme spatial iranien? Pour les observateurs occidentaux, et particulièrement américains, l'iran démontre, une nouvelle fois, le 2 février 2009, son ambition balistique de longue portée. Pour autant la réalité semble plus complexe et la distinction entre une filière balistique et une filière lanceur semble s'opérer. Deux axes de réflexion nous amènent à ce constat. Le premier concerne les avancées technologiques en matière spatiale qui peuvent tendre à confirmer que l'espace en tant que tel intéresse les autorités iraniennes. Le deuxième s'enracine dans une réorganisation institutionnelle du secteur qui tend à procurer aux Iraniens une base scientifique, technologique et industrielle autonome qui se distingue de la base dédiée aux missiles balistiques. A. Les avancées technologiques Sur le plan technologique, il est clairement établi que le lanceur iranien s'appuie sur son programme de missile balistique (Ghadr-1), à l'origine également de son programme de fusées-sondes (Nazeat? et Zelzal). En ce sens, l'iran suit l'approche classique et traditionnelle de toutes les grandes puissances. Une différence est à remarquer : le peu d'écart entre le lancement réussi de la première fusée-sonde Kavoshgar-1 (2008) et le premier vol orbital du Safir en Présentée comme une mission préparatoire à la mise en orbite future du satellite Omid, cette fusée-sonde se compose de deux étages à propulsion liquide et serait basée sur le Shahab-3. Elle est lancée depuis le site de Semnan, le jour de son inauguration en tant que centre spatial. Ce site est à quelque 230 km au sud-est de Téhéran et 60 km au sud-est de la ville de Semnan, dans la partie nord du désert Dasht-e-Kevir. Il se trouve à proximité des installations de développement et de test des missiles construites durant la guerre Iran-Irak pour lesquelles l'iran pourrait avoir reçu une aide chinoise. Il comprend un centre souterrain de commande et de contrôle, une station de suivi et un pas de tir circulaire entourés de 4 tours. La filiation avec les compétences missiles se retrouvent donc aussi dans les moyens-sols. 122 «Dear Iranians, your children have put the first indigenous satellite into orbit», «The Islamic Republic of Iran s success in sending a satellite into space is the result of the Supreme Leader s insistence on bravery in innovation and creativity», «The Iranian nation, especially since the Islamic Revolution, has begun speedy and constructive development in scientific areas Of course, Iranian scientists are seeking a science which is the source of peace and would serve brotherhood and progress.» in Tehran Times, 4 février

90 Figure n 12 : INCLINAISON DES TIRS DEPUIS SEMNAN Un deuxième lancement de fusée-sonde, Kavoshgar-2, a lieu le 26 novembre Celle-ci serait une version modifiée de la roquette d'artillerie Nazeat. Peu d'informations ont filtré sur sa mission exacte. Puis, le 2 février 2009, a lieu le premier tir réussi du Safir, emportant le petit satellite expérimental Omid. Formé de deux étages, son premier étage utilise une propulsion liquide héritée du missile Ghadr-1 et son second étage est constitué d'un couple de moteurs verniers SS-N-6 (propulsion liquide). Figure n 13 : CONFIGURATION DU SAFIR Source : Parviz Tarikhi, «Iran's Space Programme: Riding High for Peace and Pride», Space Policy n 25, 2009, pp Les Iraniens mènent alors parallèlement le développement de leurs fusées-sondes (5) et la poursuite de leurs lancements avec Safir (3). L'objectif de ses vols suborbitaux est clairement de mesurer les effets d'un vol cosmique et d'étudier leurs impacts sur les êtres vivants. Pour cela, l'iran procède, le 3 février 2010, au tir 90

91 d'une Kavoshgar-3 qui comprend une "capsule" de vie avec, à son bord, des vers, quelques rongeurs et deux tortues. Puis le 15 mars 2011, nouveau lancement d'une Kavoshgar-4 avec une capsule vide dont les objectifs sont de tester les différents systèmes et sous-systèmes : la plateforme de lancement, le moteur, la télémétrie, la séparation entre le lanceur et la capsule, les stations au sol, l'imagerie et la capsule elle-même 123. Figure n 14 : FUSÉE KAVOSHGAR Enfin, après le lancement raté, en septembre 2011, d'une Kavoshgar-4 avec une capsule habitée par un singe, l'iran annonce le 28 janvier 2013 l'envoi d'une capsule contenant un singe rhésus avec une Kavoshgar-5. La plupart des analyses se sont concentrées sur l identité du singe celui parti en mission ne semblant pas être celui exhibé au retour et non sur la fusée-sonde Kavoshgar-5, dont le tir a été un succès. Le chef de l'organisation Spatiale de l'iran, Hamid Fazeli, s'est par ailleurs enorgueilli de la confirmation du succès par les spécialistes de la NASA 124. Ces trois derniers types de fusée-sonde sont probablement des dérivés du missile Fateh-110, à propulsion solide. Ces derniers développements technologiques tendent à valider l'hypothèse de l'intérêt réel pour les activités spatiales de la part de l'iran. Pour autant, et même si l'iran a indiqué en 2008 et son intérêt pour les vols habités, il ne présage en rien de ses capacités dans ce domaine. Le cas de la Chine l'illustre bien puisqu'elle effectue entre 1964 et 1967 le même type d'essai avec une fusée-sonde exclusivement destinée à des expériences biologiques allant jusqu'à permettre le vol suborbital réussi de deux chiens, mais ce n'est qu'en 2003 qu'elle effectuera le premier vol L'Iran a manifesté pour la première fois son intérêt pour le vol habité durant le sommet irano-soviétique du 21 juin Les deux pays s'étaient accordés sur le principe de conduire conjointement un programme de vol habité vers la station Mir. En raison de la dissolution de l'union Soviétique, ce projet ne fut pas réalisé. En 2008, le directeur de l'organisation des industries aérospatiales iraniennes annonçait que le vol habité serait une des priorités de la prochaine décennie afin de faire de son pays une puissance spatiale régionale de premier plan à l'horizon

92 habité humain avec un lanceur et une capsule totalement différents. Pour l'iran d'aujourd'hui, la dimension scientifique et technologique de ce type de vol est concrète mais sur le plan d'une éventuelle préparation à un vol habité, cela s'apparente à du spectacle. Son intérêt pour la mise en scène du pouvoir iranien auprès de son opinion publique est toutefois réel. La dynamique en œuvre pour les lanceurs indique également que c'est le type de programme que l'on attend de la part d'un pays qui poursuit une logique spatiale. Suite au lancement du satellite Omid en 2009, l'iran a utilisé Safir pour procéder officiellement à deux lancements, celui du 16 juin 2011 emportant le petit satellite expérimental d'observation de la Terre Rasad (75 kg) et celui du 3 février 2012 pour satelliser Navid (50 kg), un microsatellite construit par l'université de la science et de l'industrie d'iran en partenariat avec l'agence spatiale iranienne. Certains observateurs évoquent un troisième lancement aux environs du 23 mai 2012 pour mettre en orbite le satellite Fajr, qui se serait soldé par un échec. Les autorités iraniennes déclarent, quant à elles, que le lancement n'a pas eu lieu en raison d'un report 126. L'annonce du développement d'un nouveau lanceur, Simorgh, en janvier 2010, témoigne là aussi d'une évolution logique des capacités de lancement d'un pays aspirant à l'autonomie en matière spatiale. Peu de détails ont filtré au sujet de ce nouveau lanceur, dont une maquette a été présentée lors des cérémonies célébrant l'anniversaire de la Révolution de Le détail du système de propulsion met cependant en évidence une filiation directe avec les Unha-2 nordcoréennes. Figure n 15 : MAQUETTE DU SIMORGH Source : La même année, des images satellites révèlent la construction d'un second site de lancement, à 4 km au nord-ouest du premier. Sa configuration, proche de celle des bases nord-coréennes de Musudan et Tonghae, suggère une possible implication de la Corée du Nord. L'analyse des images effectuée par le Jane's Defence Weekly indique que ce nouveau pas de tir pourrait être utilisé 126 N. Hansen, «Iran's Rocket Programme», Jane's Intelligence Review, 13 septembre

93 pour des missiles et des lanceurs plus importants que ceux existants et en particulier par le nouveau lanceur Simorgh. Enfin, en 2012, les autorités iraniennes annonçaient la construction d'un nouveau site de lancement. La plupart des rapports indiquent un emplacement au sud-est du pays, près des côtes. Si l'information se révèle exacte, ce nouveau site améliorerait grandement les capacités de lancement. D'une part, sa localisation permettrait une trajectoire en meilleure adéquation avec la rotation de la Terre pour la mise en orbite, d'autre part, en termes de sécurité, les retombées possibles des étages du lanceur (notamment en cas de problème lors du lancement) se produiront dans l'océan plutôt que sur terre (voir figure ci-dessous). Figure n 16 : INCLINAISON DES TIRS DEPUIS LES DIFFÉRENTS SITES DE LANCEMENT 93

94 B. La réorganisation institutionnelle du secteur depuis le début des années 2000 Jusqu'en 2004, le secteur spatial se caractérise par une absence d'autorité centralisatrice. La priorité missile, des deux décennies précédentes, pour les raisons déjà évoquées, absorbaient en grande partie les efforts de la nation. Le volet spatial apparaissait plus comme un succédané, certes présent dans les esprits, mais attendant des jours meilleurs pour se développer, et, en tout cas, amalgamé avec les programmes militaires. Le début des années 2000, avec la reprise en main économique et les avancées en matière balistiques, donne une nouvelle impulsion au secteur spatial et la nécessité de l'organiser de façon plus rationnelle se fait sentir. Le 10 décembre 2003, le Parlement approuve une loi portant sur la mise en place d'une nouvelle organisation pour les questions relatives aux activités spatiales. Son article 9 instaure une agence spatiale nationale sous l'autorité d'un Conseil Supérieur de l'espace (SSC) présidé par le président de la République islamique 127. L'Agence Spatiale Iranienne (ISA) est affiliée au ministère des Télécommunications et des technologies de l'information. Ses principales tâches, telles qu'elles sont annoncées dans ses statuts, sont : réalisation d'études et de recherches, travail de conception et d'ingénierie dans les applications spatiales, renforcer les réseaux nationaux et internationaux ; préparer les plans à moyen et long termes d'exploration spatiale ; conduire les études et recherches sur la conception, la construction et le lancement des satellites. Afin d'accroître encore ses compétences et son efficacité, les autorités iraniennes décident en d'une série de changements qui amènent à une redéfinition de ses statuts. Ces nouvelles dispositions autorisent l'isa à établir des centres de recherches et des entreprises dédiées si besoin. Par ailleurs, elle devient l'autorité responsable du Space Research Center créé en Deux autres instituts passent sous sa tutelle, l'aerospace Research Institute (ARI) établi en 2000 et l'engineering Research Institute 128 (ERI) fondé en Enfin, le 29 septembre 2010, elle est rattachée directement à la Présidence 129. Le tableau ci-dessous présente les différents organismes civils iraniens qui jouent un rôle dans le secteur spatial, en Approbation finale de la loi par le Conseil des Gardiens de la Constitution le 18 juin Anciennement connu sous le nom de l'agricultural Engineering Research Institute (AERI). 129 Parviz Tarikhi, Official Space Research Institutes, 7 juin

95 Tableau n 2 : ORGANISMES IRANIENS JOUANT UN RÔLE DANS LES ACTIVITÉS SPATIALES EN 2009 Source : Parviz Tarikhi, «Iran's Space Programme: Riding High for Peace and Pride», Space Policy n 25, 2009, pp Cette réorganisation qui met en place une agence spatiale directement rattachée aux plus hautes instances de l'état et avec des compétences étendues est un indice notable d'une évolution vers une filière distincte qui tend à s'émanciper de la tutelle militaire et à s'orienter clairement vers des applications civiles. La mise en place, par ailleurs, sur l'agenda du Quatrième Plan Quinquennal , de la question du développement de l'industrie aérospatiale et la formulation en 2010 du Plan Général National Scientifique dans lequel elle devient une priorité dans le développement technologique du pays consolident l'idée d'un développement spatial en tant que tel. La puissance spatiale, sans négliger sa proximité historique avec le nucléaire et la balistique, semble de plus en plus apparaître comme avant tout un vecteur de modernité. Ses bénéfices socio-économiques, incontestables pour un pays aux aléas géographiques nombreux devant relever certains défis de développement, sont une dimension dont les autorités iraniennes semblent avoir largement pris conscience 130. L'intérêt, aujourd'hui, pour l'iran d'avoir un programme spatial recouvrant une réalité balistique semble moindre en regard des avancées effectuées dans ces deux domaines. Une fertilisation croisée est certes toujours, classiquement, en œuvre mais ses effets sont plus à rechercher dans les processus organisationnels des projets de hautes technologies et le management des ressources humaines que dans les technologies du fait de la complexité du passage d'un lanceur à un ICBM. 130 Voir par exemple à ce sujet, National Activities of Iran (Islamic Republic of), International Cooperation in the Peaceful Uses of Outer Space: Activities of member States in 2002, United Nations Office for Outer Space Affairs, qui renforce cette perception. 95

96 4.2 La Corée du Nord En décembre 2012, après plus de deux décennies de développement et, depuis 1998, trois essais manqués, la Corée du Nord réussit finalement à placer en orbite un petit satellite national expérimental, le Kwangmyongsong-3. Ce lancement, comme ceux qui l'ont précédé, fut vigoureusement dénoncé par la communauté internationale qui n'y voit, dans l'ensemble, qu'un paravent pour son programme de missile balistique intercontinental. Énième épisode d'une tension qui caractérise les relations de Pyongyang avec la scène internationale et s'inscrit dans une histoire longue de plus d'un demi-siècle. Cette focalisation sur les intentions balistiques et nucléaires nord-coréennes, bien que compréhensible, conduit, au mieux, à déconsidérer, au pire à oublier, la réalité potentielle des activités spatiales de la Corée du Nord. Or, ses intentions spatiales sont anciennes et, tout comme l'iran, s'inscrivent dans la logique du triptyque missile, nucléaire et espace. Il est donc important de mieux comprendre les dynamiques qui animent Pyongyang en matière spatiale afin de tenter de décrypter d'une part ses intentions et d'autre part d'évaluer la réalité de son programme en regard de la filière balistique Aux origines, un schéma classique de conversion missile lanceur Comme toutes les grandes puissances spatiales excepté l Inde, le programme de lanceur nordcoréen dérive de son programme de missile balistique dont les premiers développements remontent aux années 1960 sous la conjonction de facteurs nationaux et internationaux multiples. A. Des programmes pour asseoir la politique/idéologie du "Juche" La mise en place du régime nord-coréen s'inscrit dans le contexte de la fin de la guerre de La péninsule coréenne, colonisée depuis 1890 par le Japon, qui l'annexe en 1910, est divisée en deux par le face à face soviéto-américain sur le 38 e parallèle suite à la capitulation japonaise du 15 août Après trois ans de vaines négociations, en 1948, la division coréenne est consommée avec la proclamation le 15 août 1948 de la République de Corée au Sud et le 9 septembre celle de la République Populaire Démocratique de Corée. Soutenu par l'union soviétique, Kim Il Sung, qui avait dirigé l'armée révolutionnaire populaire coréenne (ARPC) dans la résistance coréenne à l'occupation japonaise, s'impose comme le principal dirigeant du pays en tant que secrétaire général du Parti des travailleurs de Corée, issu de la fusion du Parti communiste et du Parti néo-démocratique de Corée. Les deux Corée s'opposent immédiatement et une guerre fratricide se déclenche en 1950 qui laissera des séquelles durables. Au nord comme au sud, on construit de l'autre une image d'ennemi mortel 131. Le conflit s'achève par la signature d'un armistice qui ne donna jamais lieu à un traité de paix 132. Les constats pour la Corée du Nord de Kim II Sung au sortir de la guerre sont sévères. Le support de l'urss et de la Chine fut bien en deçà de ce qui était escompté. Bien plus, les deux Corée, qui auraient voulu 131 R. Bleiker, «Négocier avec la Corée du Nord? Question nucléaire et relations intercoréennes», Critiques Internationales, 2010/4 n 49, pp Pour une présentation plus détaillée des enjeux du conflit voir P. Devillers, «L'U.R.S.S., la Chine et les origines de la guerre de Corée», Revue française de science politique, 14e année, n 6, pp

97 poursuivre le combat jusqu'à ce qu'émerge un vainqueur final doivent se plier aux exigences de Washington, Pékin et Moscou désireux de ne pas transformer le conflit en guerre totale. La fin des années 1950 et les années 1960 sont alors marquées pour la Corée du Nord et Kim II Sung par un sentiment d'insécurité grandissant résultant de plusieurs facteurs : le coup d'état militaire en 1961 en Corée du Sud et la mise en place d'un gouvernement fortement anti-communiste ; la crise des missiles de Cuba dont le règlement pour la Corée du Nord s'apparente à une allégeance de l'union soviétique aux États-Unis ; les tensions sino-soviétiques ; le renforcement des liens trilatéraux entre Séoul, Tokyo et Washington et la normalisation des relations entre le Japon et la Corée du Sud à partir de 1965 ; la guerre du Vietnam ; le sentiment d'un caractère fragile de leurs alliances impliquant une crainte d'un "abandon" soviétique ou chinois ; la perception d'une menace existentielle 133 américaine : à partir de 1958, les États- Unis installent des armes dotées de têtes nucléaires en Corée du Sud et visant la Corée du Nord. Ces deux décennies sont marquées, par ailleurs, par la mise en place et la consolidation du pouvoir totalitaire de Kim II Sung. Pour asseoir sa légitimité, contrer les attaques des factions rivales et s'émanciper de la dépendance vis-à-vis tant de l'urss que de la Chine, il met en place une doctrine d'état basée sur l'idéologie du "Juche" qui signifie littéralement "autonomie". Concept ambigu, il englobe de manière large nationalisme dur et rejet du colonialisme et de la servilité et devient l'arrière-plan de toute la politique nord-coréenne. Son application est directe dans la doctrine militaire de Kim II Sung basée sur la recherche de l'autosuffisance, en matière de défense, liée aux impératifs de sécurité nationale dans un monde perçu comme globalement hostile. En décembre 1962, lors de la 5 ème assemblée plénière du comité central du Parti des travailleurs, la Corée du Nord adopte quatre directives pour renforcer les capacités militaires du pays 134 : Armer tout le peuple ; Fortifier l'ensemble du pays ; Former tout le personnel militaire et les cadres ; Moderniser l'armée. Cela inscrit de manière officielle les efforts déployés depuis le milieu des années 1950 et le début des années 1960 dans le domaine nucléaire et balistique. 133 Au sens littéral du terme. Pour Pyongyang, la survie de la Corée du Nord est en jeu. 134 D. Pinkston, «The North Korean Ballistic Missile Program», Strategic Studies Institute, United States Army War College, Février 2008, p

98 B. Premiers développements En matière nucléaire, l'institutionnalisation commence en 1952 avec l'établissement de l'institut de Recherche sur l'énergie Atomique et de l'académie des sciences. En 1956, Pyongyang signe avec l'urss la charte fondatrice de l'institut Commun Soviétique pour la Recherche Nucléaire et envoie des scientifiques et des techniciens se former en Union Soviétique. En 1959, les deux pays signent un accord sur les utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire qui inclut des dispositions pour l'établissement d'un complexe de recherche nucléaire à Yongbyon, province nord de Pyongan 135. À la suite de cet accord, l'urss fournit l'assistance technique requise pour la construction de ce complexe qui inclut un réacteur de recherche nucléaire, l'irt Parallèlement, suite à l'essai nucléaire chinois de 1964, Kim II Sung sollicite Pékin afin d'obtenir un transfert de technologie concernant les armes nucléaires, mais il essuie un refus. Au début des années 1970, Pyongyang acquiert, toujours auprès de l'urss, les technologies de retraitement du plutonium. Pour autant, en 1974 elle rejoint l'aiea et signe en 1977 un accord trilatéral avec l'aiea et l'urss qui place le réacteur IRT-2000 et les infrastructures de Yongbyon sous garantie de l'aiea. En matière de missile, Pyongyang acquiert tout au long des années 1960 des roquettes auprès de l'urss (Frog-5 par exemple). Pour autant, la dégradation progressive des relations soviétocoréennes en raison du soutien de Pyongyang à la Chine entraîne la suspension de toutes négociations sur une future aide militaire. Si l'union soviétique honore les accords déjà signés (cf. nucléaire), elle refuse notamment de lui fournir les missiles balistiques que la Corée du Nord cherche à obtenir entre 1963 et Corollairement, Kim II Sung pose les premières infrastructures missiles avec l'établissement en 1965 de l'académie Militaire de Hamhung, sous l'autorité du ministère de la Défense. Son objectif est clairement établi 136 : «Si la guerre éclate, les États-Unis et le Japon seront également impliqués. Afin de se prémunir contre leur engagement, nous devons être en mesure de produire des roquettes pouvant atteindre le Japon. Par conséquent, c'est le mandat de l'académie Militaire d'éduquer les personnes qui seront en capacités de développer des missiles moyenne et longue portées.» Le refus soviétique de doter la Corée du Nord d'une filière balistique, qui s'assortit d'un refus de modernisation des armes déjà délivrées, pousse celle-ci à se tourner vers la Chine. Un accord est signé en septembre Il inclut l'acquisition par Pyongyang de missiles chinois, le transfert de technologies de recherche et développement en matière de missile et la formation de personnel. Elle cherche par ailleurs à mettre à niveau ses roquettes Frog. Bénéficiant du déclin des relations entre l'égypte et l'urss et de son soutien à Sadate pendant la guerre de 1973, elle obtient le transfert d'un petit nombre de Frog-7B vendus à l'égypte par l'urss «If war breaks out, the US and Japan will also be involved. In order to prevent their involvement, we have to be able to produce rockets which fly as far as Japan. Therefore it is the mandate of the Military Academy to nurture those personnel which are able to develop mid- and long-range missiles», cité in J. S. Bermudez, «A History of Ballistic Missile Development in the DPRK», Occasional Paper No. 2, Monterey, Center for Nonproliferation Studies, November 1999, p

99 Toutefois, les premières bases réelles d'un programme de missiles balistiques se posent en Plusieurs facteurs se conjuguent pour l'expliquer : L'instabilité continue dans les relations avec l'urss ; La consolidation d'une part de la doctrine du Juche comme doctrine d'état, qui devient un élément central de la Constitution révisée de 1972 et d'autre part de la politique de défense (les quatre lignes directrices adoptées en 1962) ; L'accroissement de la puissance économique et militaire de la Corée du Sud. Elle démarre un programme de missile balistique courte portée (Paekom), lui-même en réponse à la menace des Frog-5 nord-coréens, première étape d'un phénomène d'enchainement qui ne cessera de se produire entre les deux Corée ; L'exemple de l'égypte qui utilise les premiers missiles Scud pendant la guerre d'octobre En avril 1975, Kim II Sung se rend à Pékin et le résultat de la visite se solde par la conclusion d'un accord de coopération pour un développement conjoint du missile DF-61, missile balistique tactique à propulsion liquide. La mesure réelle de l'implication des Nord-coréens dans ce programme reste difficile encore aujourd'hui 137. L'annulation en 1978 du programme par les Chinois est un sérieux revers pour Pyongyang. La Corée du Nord n'a plus qu'une seule alternative : développer par elle-même son programme balistique. C : la montée en puissance des capacités nucléaires et balistiques Pour autant, la Corée du Nord fait face à de nombreux obstacles dans son chemin vers une indépendance de développement et de production. Les plus importants sont sans doute le manque de main d'œuvre qualifiée et la difficulté de conception des technologies. Pour les dépasser, elle se tourne de nouveau vers l'égypte et conclut une série d'accords pour coopérer dans le développement de missiles. L'intérêt de l'égypte rejoint celui de la Corée du Nord. Sadate, depuis la défaite de 1973, désire aussi se doter de missile balistique longue portée. La Corée du Nord aurait possiblement reçu également une assistance de la Chine. En , l'égypte transfère à la Corée du Nord quelques missiles soviétiques R-17E (SS-1c Scud). Pyongyang démarre alors un programme de rétro-enginering (très probablement soutenu par une assistance directe de l URSS puis de la Russie) qui donnera naissance aux missiles Hwasung-5/6, premiers missiles balistiques nord-coréens réellement produits nationalement (respectivement 1984 et 1985). Dès 1986, la Corée du Nord semble produire à grande échelle et commence à exporter ses missiles, notamment vers l'iran (à l'origine du programme Shahab). C'est aussi à cette période qu'elle construit son site de lancement de Musudan-Ri (voir plus bas). 137 S. Bermudez, «A History of Ballistic Missile Development in the DPRK», Occasional Paper No. 2, Monterey, Center for Nonproliferation Studies, November 1999, p

100 En 1989, plusieurs raisons vont alors présider à la poursuite d'un programme dont l'objectif devient clairement la distance de frappe. Citons, parmi elles : la volonté de Pyongyang de pouvoir atteindre l'ensemble du territoire sud-coréen, les bases américaines japonaises, le territoire américain ; ambitions résumées dans le tableau ci-dessous : l'accroissement du prestige international donné à l'acquisition et à la production de missiles balistiques. Les débuts du programme No Dong-1(Rodong-1) qui se situent a priori vers 1988, sont à replacer dans cette conjoncture. Bien que basées sur une évolution du Hwasung-6, la conception et la construction de ce missile représentaient un défi de taille pour la Corée du Nord. Il semble presque impossible qu'elle ait pu réussir sans assistance extérieure, notamment de la Russie, de l'ukraine et de la Chine 138. En 1990, les services de renseignements américains observent ce qui serait le premier prototype No Dong sur la base de Musudan-Ri, un essai est mentionné par certains auteurs en Au début des années 1990, la Corée du Nord démarre le programme Taepo-Dong reposant en partie sur l'expérience acquise et les technologies employées dans le développement et la production du No Dong et du Hwasung-6. Ce programme développe deux systèmes de missiles balistiques, Taepo-Dong-1, un IRBM, et Taepo-Dong-2, un ICBM. 138 S. Bermudez, «A History of Ballistic Missile Development in the DPRK», Occasional Paper No. 2, Monterey, Center for Nonproliferation Studies, November 1999, p. 20 ; et D. Pinkston, «The North Korean Ballistic Missile Program», Strategic Studies Institute, United States Army War College, Février 2008, p S. Bermudez, p

101 À la fin des années 1990, l'arsenal de la Corée du Nord se présente comme dans le tableau cidessous : Tableau n 3 : ARSENAL DE LA CORÉE DU NORD À LA FIN DES ANNÉES 1990 Source : S. Bermudez, p

102 Les années 1990 sont aussi caractérisées par la montée des inquiétudes occidentales face à une Corée du Nord qui multiplie ses exportations de technologies ou de systèmes. Le tableau cidessous en résume les principaux traits : Tableau n 4 : PRINCIPAUX CLIENTS DE LA CORÉE DU NORD PENDANT LES ANNÉES 1990 Pays Dates Objets Iran Syrie mi 1990? Années Missile Hwasong-6 + assistance (pour une production finale nationale, Shahab-2) No-Dong Missile Hwasong-6 L'accord aurait été soutenu financièrement et matériellement par l'iran et la Chine. 10 tonnes de poudre d'aluminium qui auraient été données au Centre des Études et de Recherche Scientifique syrien qui supervise les programmes d'armes chimiques et de missile. Égypte Début des années 1990 Composants Hwasong-6 Vietnam Missile Hwasong-6 Libye Années Achat composants et technologies. Soudan Années 1990 Corée du Nord offre la chaine de production du Missile Hwasong-6. Le statut de cette offre est inconnu. La conjoncture économique désastreuse de la Corée du Nord et les bouleversements stratégiques de la scène internationale pendant les années 1990 sont aussi un facteur explicatif à ces exportations. L effondrement de l Union Soviétique et des États communistes de l Europe de l Est rend la Corée du Nord encore plus isolée politiquement et économiquement. Le milieu des années 1990 marque le début de ce qui sera appelé la «Marche exténuante», une crise générale qui a secoué la société nord-coréenne de 1995 à Résultat d une récession économique grave, elle dure six longues années, pendant lesquelles le régime rencontre beaucoup de difficultés. Vendre des technologies est aussi un moyen de récupérer des ressources financières. Le problème le plus marqué est celui de la famine. Le gouvernement est alors contraint de faire appel à la communauté internationale pour lui venir en aide, une mesure bien inhabituelle pour lui. Pour autant, et parallèlement, la Corée du Nord a poursuivi ses avancées en matière nucléaire. Elle construit des infrastructures minières pour l'uranium, un complexe de fabrication des barres de combustible, un réacteur de 5 MW et démarre la construction d'un réacteur de 50 MW à Yongbyon. Son programme est toutefois largement clandestin et dans le même temps Pyongyang signe, en 1985, le Traité de Non-prolifération Nucléaire. En 1991, George Bush annonce le retrait des armes nucléaires stationnées en Corée du Sud. Le 20 janvier 1992, les deux Corée signent une déclaration commune de dénucléarisation de la péninsule dans laquelle elles s'engagent à ne pas «tester, développer, produire, recevoir, posséder, vendre, déployer ou utiliser d'armes 102

103 nucléaires» 140. L'accord prévoit également un régime bilatéral d'inspection, mais aucun accord ne sera trouvé pour le mettre en place. Malgré ces progressions, une première crise nucléaire avec la communauté internationale éclate en 1994 causée par le refus de Pyongyang de laisser les inspecteurs de l AIEA visiter son site de Yongbyon. La Corée du Nord se retire de l'aiea et menace de quitter le TNP. Un accord est finalement trouvé avec les États-Unis (sous la présidence de Bill Clinton). Pyongyang s'engage à geler son programme nucléaire militaire en échange de réacteurs civils à eau légère et de la fourniture de pétrole. Le projet de centrale à eau légère n'aboutira pas. Mais 1994 est aussi une date qui signe une nouvelle ère en Corée du Nord. Le 8 juillet 1994, Kim II Sung meurt. Démarre alors une période de transition car, son successeur désigné, Kim Jong Il, ne prend pas officiellement le pouvoir mais se contente de diriger la Corée du Nord en tant que commandant en chef de l armée. C'est la révision de la Constitution le 5 septembre 1998 qui marque l'accession officielle de Kim Jong Il à la présidence. Conjointement, Kim Jong Il prône une nouvelle doctrine d'état basée sur la construction d'un pays fort et puissant qui s'inscrit dans la lignée du Juche, basé sur trois piliers : l'idéologie politique, les capacités militaires et les capacités économiques. Il met par ailleurs en place une politique dite "Military First" ou politique de Songun, doctrine donnant la priorité à l'armée dans la construction du socialisme nord-coréen et qui subordonne les besoins civils aux besoins militaires 141. C'est dans ce contexte que s'inscrit le premier essai d'un tir d'un Taepo-Dong, le 31 août 1998, que la Corée du Nord n'aura de cesse de présenter comme lanceur spatial censé mettre en orbite un petit satellite expérimental Kwangmyongsong Le temps du spatial : réalité ou dessein manipulatoire? L'Occident semble découvrir à cette occasion les intentions spatiales de la Corée du Nord qu'il s'empresse alors de nier, ne retenant de cet essai qu'un essai balistique. Pour autant certaines prémisses existaient en Corée du Nord quant à son intérêt dans l'espace. Dans les années 1980, elle met en place le Korean Committee of Space Technology (KCST) et, en 1993, Kim II Sung déclare officiellement que les développements relatifs à l'espace sont maintenant "désirables" 142. Le spatial, objet de fierté nationale et base du développement scientifique et technologique. Depuis les débuts de la République Démocratique Populaire de Corée, les programmes nucléaire et missile n'ont pas été uniquement des piliers fondamentaux de sa politique de défense mais aussi utilisés comme symboles de premier plan du nationalisme scientifique en direction notamment de la scène politique intérieure. Le spatial s'inscrit directement dans cette puissance 140 Joint Declaration Of South And North Korea On The Denuclearization Of The Korean Peninsula, article 1 : «South and North Korea shall not test, manufacture, produce, receive, possess, store, deploy or use nuclear weapons». Voir le texte du traité au complet sur le site R.C. Harding, Space Policy in Developping Countries, the Search for Security and development on the final frontier, Routledge, 2013, p Harding, p

104 symbolique, utilisé universellement, pour montrer les accomplissements scientifiques et technologiques d'un pays. En Corée du Nord, l'accès à l'espace devient l'expression d'un nationalisme coréen au même titre que le nucléaire ou le missile 143. Et les effets attendus auprès de l'opinion publique étaient au moins équivalents à ceux escomptés sur la scène internationale. Ce n'est pas un hasard si Pyongyang déclare que ce petit satellite devait diffuser des chants patriotiques louant Kim II Sung et Kim Jong Il et si sa date de lancement coïncide avec le 50 ème anniversaire du pays. D'autres signes indiquent cette utilisation du symbole en direction du peuple. Par exemple, en 1999, un timbre célébrant l'essai de 1998 est édité. Par ailleurs, il ne faut pas négliger l'importance que les succès spatiaux de la Corée du Sud ont pu avoir dans cette montée en puissance de la place du spatial en Corée du Nord (cf. infra pour les développements du spatial en Corée du Sud). Une atmosphère de mini-space race imprègne la péninsule 144. Mais, c'est surtout à la suite du lancement de 2012, réussi pleinement 145, avec la mise en orbite du satellite Kwangmyongsong-3, que Kim Jong Un, nouveau dirigeant de la Corée du Nord depuis le décès de son père fin 2011, érige le spatial comme le symbole fort du pays. Lors de son allocution du 1 er janvier 2013 délivrée auprès du parti des Travailleurs, il définit le succès du lancement comme un modèle de construction économique et la métaphore de la conquête spatiale devient un slogan : «Our reliable scientists and technicians successfully launched the artificial earth satellite Kwangmyo ngso ng 3-2, carrying out the instruction of the General with credit and fully demonstrating the high level of space science and technology and overall national power of Chuch e Korea. That we successfully manufactured and launched the scientific and technological satellite by entirely relying on our own efforts, technology and wisdom was an event of national jubilation that raised the dignity and honor of the Sun s nation onto the highest level and a great event which inspired all the service personnel and people with confidence in sure victory and courage and clearly showed that Korea does what it is determined to do... In the same manner as we demonstrated the dignity and might of Military-First (So ngun) Korea through the manufacture and launch of the Juche-based application satellite, the entire Party, the whole country and all the people should wage an all-out struggle this year to effect a turnaround in building an economic giant and improving the people s standard of living. Let us bring about a radical turn in the building of an economic giant with the same spirit and mettle as were displayed in conquering space! this is the fighting slogan our Party and people should uphold this year D. Pinkston, «Domestic Politics and Stakeholders in the North Korean Missile Development Program», the Nonproliferation Review, été 2033, p Harding, p Et avant la Corée du Sud! 104

105 The industrial revolution in the new century is, in essence, a scientific and technological revolution, and breaking through the cutting edge is a shortcut to the building of an economic giant. Like the satellite scientists who conquered outer space we should wage a dynamic campaign to push back the frontiers of science and technology so as to develop the country s overall science and technology to the world standards as soon as possible. All sectors of the national economy should direct primary efforts to the development of science and technology, bring science and technology into close combination with production in order to boost production by relying on domestic resources and technology, and introduce computer numerical control (CNC) technology in equipment and production lines and achieve their full automation in the long run...» 146 Cette thématique de la conquête spatiale est alors immédiatement reprise dans le quotidien Rodong Sinmun (Journal des Travailleurs) qui est l'organe officiel du Parti du travail de Corée 147. Son éditorial du 4 janvier appelle chaque citoyen à devenir un conquérant spatial! L'accès à l'espace, dans les discours, devient alors bien plus qu'un objet de fierté, le fondement même d'une économie basée sur la science et la technologie comme facteur de développement et de croissance. A. Essai de missile ou lanceur spatial? Savoir si le programme spatial nord-coréen abrite en fait un programme de missile est devenue l'une des interrogations centrales agitant la communauté internationale depuis De plus, l appréhension de la communauté internationale à l égard du potentiel des missiles nord-coréens est d autant plus grande que la Corée du Nord va continuer à améliorer ses capacités nucléaires. Chronologie des événements La Corée du Nord accepte un moratoire sur ses missiles en septembre Pour autant, la crise nucléaire qui se déclenche en 2002 ravive au plus haut point les inquiétudes. Le 29 janvier, le discours, traditionnel, de George Bush sur l'état de l'union introduit le principe de "l'axe du mal" dans lequel il inclut la Corée du Nord. En décembre 2002, la Corée du Nord annonce la reprise de son programme nucléaire et expulse les inspecteurs de l AIEA. En janvier 2003, elle annonce qu'elle se retire du TNP. La tension ne fait que croître jusqu'en 2006 où deux événements importants se déroulent. Le 4 juillet, elle procède à sept tirs d'essai de missiles dont le Taepo-Dong 2 et, le 9 octobre, à un essai nucléaire. Deux résolutions du Conseil de sécurité de l'onu sont votées. La résolution 1695, du 15 juillet, comporte des mesures "contraignantes" pour Pyongyang et lui demande la suspension de toutes ses activités relatives aux missiles balistiques. La résolution 1718, du 14 octobre, renouvelle la résolution 1695 et impose un régime de sanction. Le Conseil de sécurité de l'onu décrète un embargo sur les armes, les matériels liés à la technologie nucléaire ou à celle des missiles, ainsi que sur les produits de luxe à destination de la Corée du Nord. 146 KJU Delivers New Year s Day Address, North Korea Leadership Watch, janvier

106 Fin 2006, début 2007, Pyongyang accepte la reprise des discussions dans le cadre de pourparlers à six (Corée du Nord, Corée du Sud, États-Unis, Chine, Japon, Russie). Les années 2007 et 2008 voient plusieurs cycles de négociations multilatérales se tenir avec quelques avancées, notamment normalisation des relations avec l'aiea et la fermeture en juillet 2008 de la centrale de Yongbyon. Pour autant, la situation se dégrade à nouveau lorsque la Corée du Nord annonce fin août avoir suspendu le démantèlement de ses installations atomiques à la suite du piétinement des négociations. En septembre, elle annonce un processus de réactivation de la centrale de Yongbyon à la suite, officiellement, du refus des États-Unis de la retirer de sa liste des États soutenant le terrorisme. C'est chose faite le 11 octobre C'est dans ce contexte qu'a lieu le 4 avril 2009 le lancement d'une Unha-2, censée mettre en orbite de nouveau un petit satellite, Kwangmyongsong-2, malgré les mises en garde de la communauté internationale. Annoncé le 24 février, ce lancement suit la signature, en mars, par la Corée du Nord, du traité sur l'espace extra-atmosphérique. Elle avait par ailleurs avertit préalablement l'organisation Internationale de l'aviation Civile (ICAO) et l'organisation Maritime Internationale, suivant en cela les procédures classiques d'un lancement spatial. Ce tir est suivi d'un nouvel essai nucléaire le 25 mai. Cet enchainement est peut-être à rechercher dans l'intransigeance de la communauté internationale, qui, une fois encore, réagit en s'élevant contre ce qu'elle perçoit comme un essai de missile balistique. La logique en œuvre de systématiquement ne pas croire la Corée du Nord (dont elle est largement responsable par ailleurs) est un paramètre qui peut avoir son importance. Bien évidemment, une nouvelle résolution est adoptée par le Conseil de sécurité en juin. La résolution 1874 alourdit les sanctions et installe un système renforcé d'inspection des cargaisons aériennes, maritimes et terrestres à destination ou en provenance de Corée du Nord, y compris en haute mer, et un élargissement de l'embargo sur les armes. Le texte prévoit aussi un alourdissement des sanctions financières à l'encontre de Pyongyang, l'allongement d'ici 30 jours de la liste des entités nord-coréennes frappées d'un gel de leurs avoirs financiers à l'étranger et l'inclusion d'individus sur cette liste. Cela n'empêche pas la Corée du Nord de prévoir un lancement pour le 13 avril 2012, en pleine célébration du 100 ème anniversaire de la naissance de Kim II Song. La procédure cette fois se veut complètement transparente et le KSCT convie des reporters américains, japonais, européens, russes et chinois à visiter les infrastructures nord-coréennes de lancement avant le lancement. Le lancement échoue. Enfin, le 12 décembre 2012, elle réussit un lancement avec mise en orbite du satellite Kwangmyongsong-3-2 depuis le site de Sohae. Le 22 janvier 2013, elle enregistre son satellite auprès des Nations unies conformément aux engagements pris lors de sa signature en 2009 de la Convention sur l'enregistrement des objets lancés dans l'espace. Ce même jour (!), le Conseil de sécurité vote une nouvelle résolution 148 qui condamne l'utilisation par la Corée du Nord de technologies de missile balistique en violation des résolutions 1718 et Le 12 février 2012, la Corée du Nord répond à cette résolution par un troisième essai nucléaire. Le Conseil de 148 Résolution n

107 sécurité impose de nouvelles sanctions, notamment financières, au régime de Pyongyang. En réaction, ce dernier annonce l'abrogation des accords de non-agression entre le Nord et le Sud et menace de frapper son voisin et les États-Unis. Deux conceptions du droit s'opposent sur ce sujet. En effet, la Corée du Nord fait valoir son droit, reconnu par la loi internationale, et spécifiquement par le traité sur l'espace de 1967, d'une part à s'engager dans des activités spatiales pacifiques et d'autre part à la liberté d'accès à l'espace. Les Américains et une partie de la communauté internationale font valoir, quant à eux, que les actions de Pyongyang sont contraires aux résolutions du Conseil de sécurité, résolutions qu'ils estiment supérieures en droit au Traité sur l'espace. Au-delà de voir des essais balistiques dans les lancements officiellement spatiaux de la Corée du Nord, ils considèrent que, dans tous les cas, la filiation lanceur-missiles est telle que in fine un lancement peut servir à valider des composants balistiques. Analyse des tirs Il s'agit ici de procéder à une analyse technologique des différents essais afin d'évaluer leur crédibilité spatiale. L'essai de 1998/ Paektusan : À la surprise des Américains qui s'attendaient à voir un missile à deux étages 149, l'essai de 1998 s'effectue avec un système à trois étages lancé depuis Musudan-Ri. En effet, les analyses radars ultérieures rapportent l'existence d'un petit troisième étage, a priori à propulsion solide 150. Bien que sa trajectoire puisse être cohérente avec un lancement spatial, son plan de vol passait audessus du territoire du Japon. Par ailleurs, avec cet essai, les experts relevaient que certains aspects importants pour le développement d'un ICBM avaient pu être testés comme : la séparation des étages, le guidage, la propulsion. Enfin, il permettait de valider les deux premiers étages du Taepo-Dong L'essai du 5 avril 2009/Unha-2 Le 24 février 2009, le KSCT annonce qu'il prépare le lancement d'une fusée Unha-2 afin de mettre en orbite un satellite. À la différence du précédent tir, le gouvernement nord-coréen diffuse une vidéo 152 de la mise à feu qui révèle pour la première fois des informations sur la configuration de la fusée et certaines de ses caractéristiques. 149 M. Elleman, «Prelude to an ICBM? Putting North Korea's Unha-3 Launch Into Context», Mars 2013, Arms Control Association Into-Context 150 S. Hildreth, «North Korean Ballistic Missile Threat to the United States», 24 février 2009, CRS Report for the Congress, Congressional Research Service. 151 Bermudez, p Consultable sur youtube, 107

108 Figure n 17 : CONFIGURATION D'UNHA-2 Source : FRS La propulsion du premier étage est assurée très probablement par un assemblage de quatre moteurs Nodong, ce que confirme cette autre image. Source : FRS Les analyses menées par la FRS à l'époque de ce tir indiquent qu'il semble probable que ce vecteur soit à vocation spatiale, même si cela n'exclut pas que son développement et sa mise en œuvre nourrissent le programme balistique. Arguments en faveur du spatial : Le système présente un étagement apparemment optimisé pour une mise en orbite ; Son intégration, qui dure plusieurs jours, se fait sur un pas de tir en surface, d où s effectue également le tir ; Il ne semble guère envisageable que cet engin puisse être tiré clandestinement, par exemple à partir d'un véhicule mobile. 108

109 Facteurs inquiétants du point de vue balistique : Ce vecteur valide l'étagement, ce qui confirme la levée du verrou technologique correspondant, survenue en 1998 avec le tir du Taepodong-1. Ce vecteur valide le propulseur de forte poussée utilisé sur le premier étage. Ce propulseur peut être éventuellement détourné au profit d un système plus opérationnel. Cette mission a permis de valider des procédures de mesures très diverses (trajectoires, télémesure...) très utiles pour les développements balistiques. Ce vecteur a été tiré de la côte est, depuis le site de Musudan-Ri, à partir d'un point pour lequel il est totalement impossible de respecter des conditions de sauvegarde de base, c'est-à-dire de ne pas survoler de zones habitées durant les phases critiques. On note qu'un tir effectué de la côte ouest, sur laquelle un autre site de lancement est par ailleurs en cours de construction aurait, lui, permis de respecter ces conditions de sauvegarde. On en déduit que le recours à ce site, supposant un survol implicite du Japon, est en lui-même provocant et constitue un signe particulier. Pour autant, ces différentes étapes ne suffisent pas encore à valider totalement une capacité ICBM, même sommaire, car ce type de portée suppose la maîtrise de la conception du véhicule de rentrée, lequel se trouve exposé à des environnements particulièrement sévères aux plans mécaniques et thermiques. C'est une étape très importante, imposant un effort particulièrement intense en matière de développement. L'essai du 13 avril 2012/Unha-3 Bien que des journalistes aient été conviés avant le lancement, aucun étranger n'assista au lancement depuis la base de Sohae. Selon certains analystes, le lanceur aurait été victime de la pression dynamique qui s'est produite après moins d'une minute et demie de vol. Sa partie supérieure, au niveau du troisième étage et du satellite, se serait brisée pour se détacher de façon inopinée des deux premiers étages. Ceux-ci auraient poursuivi leur trajectoire, sous l'action du premier qui aurait apparemment rempli sa mission. On ne peut dire si le deuxième étage s'est allumé 153. L'analyse du lanceur, pour le sujet qui nous intéresse, à savoir la filiation potentielle avec un missile balistique, révèle que la conception de l'unha-3, différente apparemment de l'unha-2, répond aux besoins d'un lanceur de satellite, mais amoindrit sa capacité en tant que missile balistique. De ce fait, penser que ce lancement dissimule un test de missile balistique serait inexact (voir ci-dessous l'encadré explicatif de ce constat). 153 Wallonie espace Infos, n 61, mars-avril

110 Figure n 18 : MARKUS SCHILLER AND ROBERT SCHUMECKER'S ASSESSING THE SUCCESSFUL NORTH KOREAN SATELLITE LAUNCH 154 Here is a summary of some of his main points 155 : (1) The first stage has now been shown, as expected, to use Scud fuel kerosene and nitric acid. It uses a cluster of four Nodong engines, each with a thrust of about 27 tons. The body is made of a lightweight aluminum-magnesium alloy. Steering engine recovered from Uhna-3 (2) The South Korean analysis of debris from the launcher showed that the first stage also included four small steering engines. South Korea s assessment is that each of these four engines can deliver a thrust of 3 tons. While these look similar to the small engines of the Iranian Safir satellite launcher s upper stage, Markus Schiller notes that close examination shows they are entirely different in design and construction. While he does not have enough information about these engines to estimate their thrust, he believes the way they are connected to the fuel feed system could allow them to each deliver a thrust of 3 tons. (Note that this is a different conclusion than reported previously.) He also points out that steering engines have been used in missiles for more than 50 years so it s not surprising that North Korea would have developed them for this launcher. (3) Markus Schiller and Robert Schmucker s analysis of the second stage is the most interesting. Based on the amount of fuel, the burntime of the stage, and the launcher s trajectory, they believe it also uses Scud technology, burning kerosene and nitric acid rather than more advanced propellants. More surprisingly, they find it is powered by a small engine similar to a Scud engine with a relatively low thrust of 13 to 14 tons, rather than a larger Nodong engine. This finding is particularly interesting for two reasons: - Claims that the second stage of the Unha is based on the Soviet SSN-6 missile appear to be completely wrong. Ted Postol and I made this claim after the 2009 Unha-2 launch, based on the size of the stage and our computer modeling, which used information available at the time. Based on new information we no longer believe this stage was related to the SSN-6. This is an important change because it means that, despite speculation for many years about North Korea acquiring SSN-6 missiles or production equipment from the Soviet Union/Russia, North Korea has still not flight tested such a missile. While the Unha third stage and Iranian Safir second stage use small engines that appear similar to SSN-6 steering engines, there is no physical evidence that North Korea or Iran have acquired or can build the SSN-6 main engine. - Markus Schiller points out that a low-thrust, long-burntime second stage is exactly what you would design for a satellite launcher, since you want a long boost phase to allow the satellite to reach high altitude before inserting the satellite into orbit. For a ballistic missile, on the other hand, such a design would cost you more than 1,000 km in range compared to using a Nodong engine in this stage. If you were designing a ballistic missile, you would therefore Korean-Satellite-Launch.shtml

111 build it with a high-thrust, short-burntime second stage to maximize its range with a given payload. (4) The third stage uses more advanced fuels UDMH and NTO. While this stage looks similar to the upper stage on Iran s Safir, there are differences in the details of the two stages, so they are not identical. The origin of the small engines in this stage is not known. While they may be components from a Soviet SSN-6 missile, these engines are simple enough that Markus thinks it is also possible that North Korea and/or Iran could have built and possibly designed them. So they may not be evidence of the transfer of SSN-6 missiles to Iran and North Korea. More information is needed to pin this down. Markus Schiller and Robert Schmucker are developing range-payload curves that should be available soon. Given the low thrust of the second stage, the ranges may be significantly shorter than some current estimates. Based on their analysis Markus notes that in designing the Unha, North Korea made choices that are useful for a satellite launcher but decrease its ability as a ballistic missile. So while developing and testing the Unha gives North Korea experience with technology that can be used for a ballistic missile, reports that the launch was really a ballistic missile test parading as a satellite launch are not true. La figure ci-dessous présente une comparaison des trajectoires entre l'essai de 2009 et celui d'avril 2012, tel qu'il était prévu. La différence de trajectoire peut indiquer dans le même état d'esprit que la Corée du Nord tient à démontrer qu'il s'agit bien d'un tir spatial. Figure n 19 : UNHA-2/UNHA-3 TRAJECTOIRES Source : 111

112 En effet, les tirs depuis Sohae utilisent un couloir vers le sud qui ne survole ni la Corée du Sud, ni le Japon, ce qui peut être vu comme un souci d'apaisement. La difficulté est qu il faut un guidage précis ce qui peut poser problème, car en cas de dérive, il faut détruire la fusée. Par ailleurs, cette trajectoire ne règle pas le problème de la chute du premier étage dans une zone dense. Figure n 20 : LES TRAJECTOIRES ESPÉRÉE ET RÉELLE DE L'UNHA-3, AVRIL 2012 Le lancement du 12 décembre 2012/Unha-3 L'Unha-3 présente la même configuration que lors de l'essai d'avril Elle a réellement mis en orbite un satellite. Figure n 21 : COMPARAISON DES TRAJECTOIRES UNHA-3/UNHA-2 Source : Voice of America, 112

113 B. Les sites de lancement nord-coréen Compte tenu de la faible superficie de son territoire, la Corée du Nord présente donc l'originalité de posséder deux bases, l une à l est, Musudan-ri, utilisée pour les tirs de 1998, 2006 et 2009, l autre à l ouest, Sohae utilisée en La construction d'un nouveau pas de tir à l est de Musudan-ri (Tonghae) montre que la situation n'est pas encore tranchée définitivement. Figure n 22 : NOUVEAU PAS DE TIR La base de Musudan-ri présente l avantage classique d un tir vers l est (vitesse supplémentaire donnée par la rotation de la Terre) mais en direction du Japon... Centre de lancement de Sohae (Tongchang-ri) [Localisation: 39 39' 49" N, ' 13" E] Sohae, connu aussi sous le nom de Tongchang-ri Missile and Space Launch Facility, est le centre de lancement le plus moderne et le plus récent de la Corée du Nord. Il se situe dans la région de Cholsan, province de Pyongan Nord, proche de la côte dans la partie nord-ouest de la Corée du Nord. La construction aurait démarré en 2001, mais aucune mention n'apparaît dans la littérature ouverte avant 2008, et elle s'est achevée en La question de savoir pourquoi la Corée du Nord aurait besoin de deux sites reste ouverte, même si l'on peut dire que Sohae présente l'avantage par rapport à Tonghae de pouvoir lancer vers le sud ce qui réduit le survol au-dessus du Japon et de la Corée du Sud, lors de la phase de propulsion et permet à tous les débris de retomber dans l'océan. Enfin, une explication peut être trouvée dans la position géophysique de la base qui se trouve entourée et par suite masquée par des collines empêchant l'observation directe par air ou mer. Sa proximité avec la frontière chinoise rend de même l'observation aérienne plus difficile. À noter que le complexe nucléaire de Yongbyon et le 113

114 laboratoire de recherche en armement de Sanem-dong se trouvent à moins de 80 km. Les installations dépendraient du Second Institut des Sciences Naturelles, sous autorité du Second Comité Économique de la Commission de Défense Nationale, bien que le programme de missile dépende probablement d'une unité spéciale de test et d'évaluation de missile. Figure n 23 : CENTRE DE LANCEMENT DE SOHAE (TONGCHANG-RI) Source : DigitalGlobe 156 D'une surface de 12 km 2, le site comprend un building d'assemblement, un pas de tir avec une plate-forme de lancement mobile, une unité de stockage des combustibles, et une zone de test des moteurs. Les différents étages des lanceurs arrivent par chemin de fer du centre de recherche militaire situé à Sanumdong, à quelque 22 km au nord de Pyongyang. La tour de lancement est haute d'environ 50 m ce qui laisse supposer qu'elle a été construite pour des lanceurs futurs bien plus gros que la série actuelle des Unha (environ 30 m de haut avec la plate-forme de lancement). Cette hypothèse est renforcée par la présence à proximité des bâtiments de stockage des combustibles qui couvrent une surface de 300 m 2, quand les bâtiments de stockage des combustibles des Unha-2, sur le site de Musudan-ri, n'ont une surface que de 50 m 2. Figure n 24 : RAMPE DE LANCEMENT AVRIL Le lanceur Unha-3 est sur le pas de tir avant la tentative de lancement du 13 avril 2012 (DigitalGlobe Inc). 114

115 On suppose que la Corée du Nord a conduit des tests à Sohae en mai-juin Deux lancements ont été effectués à ce jour, celui d'une Unha-3 en avril 2012 qui n'a pas réussi à mettre en orbite son satellite, et celui de décembre Centre de lancement de Musudan-ri [Localisation: 40 51' N, ' E] Jusqu'à aujourd'hui, Tonghae est le premier site de lancement nord-coréen, sur la côte nord-est du pays, dans la province du Hamgyong Nord, à environ 30 km au sud-est de la ville de Kilchu et à 45 km au nord-est de la ville portuaire de Kimchaek. L'ensemble de lancement, qui abrite neuf installations autour des villages de Musudan, Nodong et Taepodong, a été utilisé pour des essais en vol d'une grande variété de missiles et des lanceurs de satellites. Tonghae aurait été construit dans le milieu des années 1980 et dépendrait lui aussi du Second Institut des Sciences Naturelles, sous autorité du Second Comité Économique de la Commission de Défense Nationale, bien que le programme de missile dépende lui, probablement, d'une unité spéciale de test et d'évaluation de missile. Figure n 25 : CENTRE DE LANCEMENT DE MUSUDAN-RI Source : GeoEye Le site couvre 9 km 2 et est composé de quatre zones principales : une tour ombilicale de 33 m et son pas de tir, un bâtiment d'assemblage de missile, un centre de contrôle et un groupe de 4 ou 5 petits bâtiments dont les fonctions incluraient une unité de stockage des combustibles. Trois tentatives de lancement ont eu lieu depuis Tonghae : le premier, le 31 août 1998, avec comme charge utile le satellite Kwangmyongsong-1 et un lanceur Taepodong-1 (Paektusan-1) ; en juillet 2006, un test d'un Unha à deux étages (Taepodong-2) aurait échoué ; enfin le 4 avril 2009, le 115

116 lancement d'un satellite Kwangmyongsong-2 avec un lanceur trois étages Unha-2 aurait également échoué à placer le satellite sur orbite. Figure n 26 : TIR DU 29 AOUT 2012 Les images satellites prises le 29 août 2012 par Digital Globe montrent une rénovation probable en cours de la plate-forme mobile de lancement pouvant indiquer une préparation à de futurs tests du lanceur Unha. Par ailleurs, un second complexe de lancement serait actuellement en construction 157. Quelques indicateurs laissent à penser que ce nouveau complexe serait destiné à des engins plus imposants que le lanceur trois étages Unha-3, soit des lanceurs spatiaux à propulsion liquide, soit des missiles de portée intercontinentale. 157 Voir l'image satellite présentée prise le 15 avril 2012 par le satellite GeoEye

117 Enfin, une autre construction, démarrée fin 2011, serait en œuvre qui concernerait un probable bâtiment d'assemblage de missile. Ce bâtiment serait bien plus grand que ceux existants déjà à Tonghae et Sohae. Une comparaison de la surface au sol de la zone d'assemblage des étages montre une surface deux fois plus importante que les installations similaires de Tonghae et de Sohae. Il est à noter que cette nouvelle installation présente des similitudes avec la récente construction du bâtiment d'assemblage iranien sur le site de Semnan. D'autres images, prises le 29 août 2012, montrent également le démarrage de la construction d'un probable nouveau centre de contrôle. A priori, Musudan-ri peut apparaître comme possédant une identité plus spatiale que Sohae qui semble plus intégré dans le complexe des installations missiles. Toutefois, Sohae présente une localisation plus intéressante pour du lancement spatial. Figure n 27 : LES ZONES D'INSTALLATIONS MISSILES L'analyse conduite sur la Corée du Nord dans cette étude conduit à penser qu'elle tend à vouloir réellement se doter de capacités spatiales ce qui peut représenter un bonus par rapport aux développements antérieurs. Sur le plan institutionnel, les derniers événements dont l'établissement d'un Bureau d'état du Développement Spatial ainsi que le vote d'une loi sur le développement spatial confirment la place grandissante, au moins symbolique, que prend le secteur pour Pyongyang 158. Le communiqué d'état annonçant la nouvelle institution, le 1 er avril 2013, réaffirme 158 State Space Development Bureau Established, April 2,

118 le droit de la Corée du Nord à utiliser l'espace de manière pacifique et son importance pour le développement économique du pays 159. Les réactions occidentales peuvent ainsi apparaître aux yeux d'une opinion publique fortement contrainte comme la preuve d'un refus de laisser la Corée se développer et contribuer à la paranoïa nationale. Le programme spatial nord-coréen est donc devenu bien plus qu'une couverture pour son programme balistique. Comme dans le cas de l'iran, une fertilisation croisée peut s'effectuer mais d'une part les différences entre les deux systèmes sont telles que l'intérêt de travailler sur un lanceur pour améliorer un missile est très limité et on rappellera que la tendance générale est d'opérer une filiation dans le sens inverse (voir partie 3). D'autre part, la Corée du Nord a montré à de nombreuses reprises qu'elle n'hésitait pas à faire des essais de missiles présentés comme tels. Si, effectivement des doutes subsistent sur l'essai de 1998, les derniers tirs semblent lever les incertitudes. Le recul historique pris dans cette étude et l'analyse des cas indien et chinois montrent bien que les efforts civils en matière spatiale n'ont jamais joué un rôle décisif dans le développement d'un ICBM. Un tir de lanceur ne peut jamais être un substitut total à un essai de missile balistique. Le développement d'un système balistique nécessite pour être opérationnel toute une série de tests spécifiquement dédiés. La réalité de la fréquence des tirs spatiaux annoncée par le régime permettra de voir si cette voie est effectivement poursuivie. Vu de Pyongyang, il y a un intérêt évident à jouer sur la dualité supposée des deux systèmes. Le fait que ses trois derniers tirs spatiaux aient été suivis par un essai nucléaire tend à accréditer la thèse que la Corée du Nord souffle le chaud et le froid à des fins de politique étrangère mais aussi de politique interne. La mainmise idéologique sur le peuple nécessite d'être alimentée pour perdurer. Un lancement peut envoyer un double message, comme on l'a vu avec Spoutnik en 1957, mais ce message reste du domaine du symbole et de son utilisation, à des fins internes ou externes indépendamment de sa réalité technologique. C'est donc plutôt la question des exportations de technologies missiles et nucléaires qui reste au cœur du danger représenté par la Corée du Nord vis-à-vis de la communauté internationale. 4.3 La Corée du Sud La Corée du Sud représente un type nouveau de puissance spatiale dans la mesure où c est au travers d une capacité scientifique et technique progressivement acquise dans le domaine de la fabrication de satellites nationaux qu elle a graduellement construit sa politique spatiale depuis les années La notion d excellence et de développement technologique est au cœur des ambitions coréennes ce qui n exclut pas des préoccupations plus classiques de souveraineté. 159 «The DPRK is a full-fledged satellite manufacturer and launcher. It is an invariable stand of the DPRK to develop the country into a world-class space power by exercising its legitimate right to space development for peaceful purposes. To step up economic construction and improve the people s standard of living by radically developing the space science and technology of the country and guide and manage all the space activities of the DPRK in a uniform way, the SPA decides as follows: The DPRK State Space Development Bureau shall be set up. The bureau is a state central institution which guides and manages the supervision and control over the working out of a space development program and its implementation and space development work in a uniform way. The Cabinet of the DPRK and other institutions concerned shall take practical measures to implement this decision. KCNA, April 1, 2013». 118

119 Ce ne sera pourtant qu en janvier 2013 soit un mois et demi après le premier lancement réussi de la Corée du Nord qu elle réussit sa première satellisation depuis la base nationale de Naro avec le lanceur KSLV dont le premier étage est russe. Pour autant, même si la Corée du Sud ne figure que dans la troisième vague des pays membres du club spatial, son intérêt pour l espace remonte à bien plus loin : le développement technologique pour la croissance économique En 1953, à la fin de la guerre sur la péninsule, la Corée est exsangue. Avec l aide des fonds américains, la Corée du Sud tente de reconstruire son économie et commence à investir dans le développement technologique. Pour le Président Syngman Rhee, il est aussi essentiel que le pays soit capable d'assurer sa sécurité face à la Corée du Nord. En 1957, il obtient des États- Unis le déploiement de pièces d'artillerie et de fusées Honest John dont il entreprend de développer une version autonome. C'est dans ce cadre qu'est créée en 1958 au sein du National Defense Scientific Research Institute (NDSRI) une équipe constituée d'experts en ingénierie souvent formés aux États-Unis qui réussit en juillet 1959 le lancement d'une fusée à deux étages 67-ho et d'une fusée à trois étages 556-ho 160. Parfois présentés comme de premiers travaux sur les fusées-sondes, le programme est fortement soutenu par le Président Rhee qui se déclare prêt à tous les sacrifices 161, mais son régime est renversé en La nouvelle junte militaire arrivée au pouvoir en 1961 et présidée par Park Chung Hee donne la priorité, via la mise en place de Plans quinquennaux, au développement d'une base industrielle solide 162 considérée comme indispensable pour pouvoir ultérieurement construire un outil de défense. Pour Park, si les mots d ordre ne sont pas forcément différents en matière de sécurité nationale, ses ambitions sont limitées par la faiblesse de ses ressources et le poids de la diplomatie américaine soucieuse de juguler les revendications militaires coréennes, ce qui se traduit par la disparition du NDSRI privé de budget. La doctrine Nixon de de réduction de l'engagement militaire américain dans le monde conduit la Corée à s interroger sur la possibilité de posséder à terme une capacité nucléaire et balistique mais elle doit accepter la limitation de la portée de ses missiles à 180 km pour pouvoir se fournir aux États-Unis. La période se caractérise par le développement d une capacité missile à des fins explicites d autodéfense dans le cadre d'un renforcement du pouvoir autocratique de Park. Le contexte général est celui d une attention forte portée à la science et à la technologie comme «le facteur décisif pour conduire le changement économique et social». Soucieux de garantir sa sécurité indépendamment du soutien américain jugé de moins en moins solide, le régime envisage le développement de capacités nucléaires avant d'y renoncer sous la pression des États-Unis et signer le TNP en avril En revanche, le programme missile mis en place en 1972, sous l'égide de l'agence pour le Développement de la Défense (ADD) créée deux ans plus tôt, acquiert 160 Les deux utilisent un propellant appartenant initialement à l'air Force. 161 «Si c'est faisable, nous devons le faire, quitte à vendre nos terres» cité dans «Seeking independance in Space ; South Korea space Program », Hyoung Joon An, Quest, Vol 20 Number 2, Industrie légère dans les années 1960, puis industrie mécanique et lourde (automobiles, acier) dans les années Aussi connue comme discours de Guam. 119

120 progressivement des compétences propres, le Centre de Taejon abritant près de 500 scientifiques et ingénieurs chargés de mettre au point une version indigène du missile Nike Hercules testé avec succès en La mort de Park et l'arrivée au pouvoir du Général Chun Doo-hwan après un coup d'état militaire entraînent la suspension de la poursuite du programme en échange du soutien américain au nouveau régime. Le programme missile ne reprendra qu'à la suite de l'attaque terroriste nord-coréenne de 1983 avec le test en 1987 du missile Hyounmu, une version améliorée du Paekkom. Durant ces trente premières années, la perception de la maîtrise de l espace s inscrit dans l aspiration profonde de tout le pays à accéder à la modernité. Dès 1958, les journaux coréens insistaient sur la nécessité pour la Corée de participer au programme de fusées sondes. Le lancement par l Inde de ses premières fusées renforce cette volonté de la Corée du Sud de ne pas rester à l écart d une technologie qu elle considère comme un marqueur de toute future puissance, parlant ouvertement de compétition pour la science. L ambition spatiale reste toutefois jugée prématurée et posée comme un objectif à atteindre et un symbole fort d accession au statut de pays développé : l espace pour la stabilité économique et sociale L espace revient sur le devant de la scène en 1985 comme un des domaines de mise en œuvre du "Plan de long terme de développement de la science et de la technologie d'ici l'an 2000". L'objectif affiché est de faire de la Corée un des dix pays développés dans le domaine de la technologie. La décision en 1981 de confier à Séoul les Jeux Olympiques de 1988 conduit à l'étude d'un système de télécommunications spatiales finalement non décidé, mais marque le début d'un mouvement d'intérêt croissant pour le spatial à des fins scientifiques et d'applications comme l océanographie. L ambition coréenne est de former des spécialistes de haut niveau qui profitent de bourses pour l étranger, principalement les États-Unis et l Europe. Ils vont constituer le cœur d une communauté qui se situe à l interface des développeurs et des utilisateurs confirmés. La Corée du Sud démarre réellement son investissement dans les technologies spatiales avec la promulgation de son Aerospace Industry Development Promotion Act (1987), la création du Korea Aerospace Research Institute KARI (1989), et l'établissement du Satellite Technology Research Center (1990, SaTReC) au sein du Korea Advanced Institute of Science and Technology (KAIST). Bien que les réalisations coréennes dans ce secteur ne soient pas négligeables, les ambitions affichées dans les différents "Plan National de Programme Spatial" de 1996 (révisé en 1998 et 2005) et actualisé en 2011, notamment en termes de lanceurs, ne cachent pas dans la réalité certaines fragilités limitant le développement des compétences spatiales. Parmi celles-ci, nous pouvons citer l'immaturité des entreprises spatiales et particulièrement l'absence de firmes capables d'être maître d'œuvre, comme un déficit de communication entre l'industrie et les chercheurs, et une concentration peut-être excessive des projets au sein du principal institut de recherche, le KARI. 120

121 A. L'organisation du spatial sud-coréen La politique spatiale sud-coréenne se base sur le Plan National pour un Programme Spatial (NSP) et sur trois actes juridiques que sont : l'aerospace Industry Development Promotion Act de 1987, le Space Development Promotion Act of 2005, et le Space Damage Compensation Act of L'arrivée au pouvoir de Kim Dae-jung, vainqueur des élections présidentielles de l'hiver 1997, confirme le renouveau d'intérêt pour les activités spatiales figurant dans le groupe des "6T" (Information Technology, Bio Techno, Nano-Techno, Technos de l'environnement, Technos de la culture et Technos spatiales). Le tir en août 1998 du Taepo-Dong par la Corée du Nord va accélérer la volonté de se doter de moyens spatiaux autonomes dans le domaine de l'observation mais aussi du lancement, désormais clairement identifié comme un élément de l'indépendance et de la fierté nationale. Figure n 28 : ÉLABORATION DU PROGRAMME SPATIAL NATIONAL (NSP) De façon globale, les institutions en charge du spatial s'organisent selon le schéma ci-dessous 164 : 164 Source Ministère de l'éducation, de la science et de la technologie : 121

122 Le National Space Committee est placé sous l'autorité directe du Président et discute des dispositions à prendre en matière de développement spatial. Il est présidé par le ministre de l'éducation, de la Science et de la Technologie et comprend neuf membres issus de différentes agences administratives et de quatre experts civils. La mise en œuvre du programme spatial sud-coréen est principalement portée par le Korea Aerospace Research Institute (KARI), institut de recherche sous l autorité du ministère des Sciences et technologies (MEST) qui aujourd'hui emploie environ 670 personnes. Figure n 29 : ORGANISATION DU KARI 165 Aujourd'hui, le SaTReC est responsable du développement des satellites scientifiques (STSAT et antérieurement Kitsat), tandis que le KARI est en charge de tous les autres aspects du développement spatial civil comme l'indique la figure ci-contre 166 : 165 Source KARI. 166 Source : présentation du SaTReC, «Korea s First Satellite for Satellite Laser Ranging»

123 B. Le développement de satellites, première étape Les ambitions coréennes se déclinent d'abord sur une large gamme de satellites destinés à satisfaire des besoins tant civils que militaires. Parmi ceux-ci, on peut noter le développement d une famille de satellites à haute résolution, Kompsat, fonctionnant dans le domaine optique et radar. La question de la sécurité, au cœur du programme, devenue encore plus sensible à la suite du tir du Taepo Dong en 1998, est désormais en passe d'être résolue. C. Le programme de lanceurs Figure n 30 : DÉVELOPPEMENT DES CAPACITÉS LANCEURS D. Les relations civilo-militaires Sur le plan militaire, comme dans beaucoup d'autres pays, ce sont les forces aériennes qui ont la responsabilité des programmes spatiaux. La ROKAF (South Korean Air Force) crée en 1998, au sein de sa direction des systèmes d'armes, une direction de l'armement spatial afin de mettre en place une force aérospatiale qui utiliserait tant les moyens aériens que spatiaux. En 2001, la ROKAF publie son propre "plan de développement à long terme pour l'espace". La ROKAF, parallèlement, siège au National Space Committee afin de participer aux discussions présidant à l'élaboration des politiques de développement. En septembre 2007, est créée la Direction du développement spatial qui vient remplacer la direction de l'armement spatial. Un accord est alors signé avec le KARI pour renforcer la coopération et la collaboration entre les deux organisations. La ROKAF soutient dès lors la construction du Naro Space Center entamée en 2000 et le projet d'astronaute coréen. En dépit de ces avancées, les composantes civile et militaire du programme spatial coréen ont du mal actuellement à collaborer pleinement. En témoigne, notamment, le NSP où les intérêts 123

124 militaires sont très peu représentés en dépit de la présence du ministre de la Défense aux réunions du National Space Committee qui est présidé par le ministre de l'éducation, des Sciences et de la Technologie. Mais aussi un certain manque d'intérêt de la part du ministère de la Défense lui-même. Une des explications semble résider dans la réforme, en cours, de la défense nationale et qui doit s'achever en De surcroît, la question sensible du transfert de technologie contribue à ce que le gouvernement coréen établisse une barrière visible entre son programme civil et son programme militaire, beaucoup plus facilement limité par des restrictions. Budget : Si le KARI dispose d'un budget relativement stable d'environ 360 millions de dollars/an 168, la composante militaire du programme spatial coréen est en revanche moins bien servie. Ainsi, en 2010, le budget de la défense nationale n'a augmenté que de 3,8% par rapport à 2009 alors qu'il était attendu par le ministère une augmentation de 7,9%. De ce fait de nombreux programmes ont été annulés ou reportés dont la prochaine génération d'un système militaire de communication par satellite. Par ailleurs, le SaTReC dispose d'un budget annuel d'environ 8 millions de dollars 169. La figure ci-contre reprend l'évolution du budget gouvernemental spatial coréen et montre une croissance constante depuis 1996, date du premier NSP. L'augmentation importante entre 2005 et 2006 pourrait traduire la volonté affichée en 2005, avec la mise en place du Space Development Promotion Act, de faire de l'espace un des points clefs du développement coréen. Ressources industrielles : L'industrie sud-coréenne, en matière spatiale, reste concentrée au sein des institutions gouvernementales, le KARI en tête. En 2009, environ 300 personnes seulement travaillaient dans l'industrie spatiale. Le nouveau NSP, publié en décembre 2011, témoigne d'une volonté de changement, mais beaucoup reste à faire pour que cela dépasse le stade de la déclaration d'intention et l exemple de l industrie indienne comme celui de l industrie japonaise rappellent, pour des raisons différentes, qu il s agit d un sujet complexe sur lequel l unanimité est loin d être acquise au sein du gouvernement comme de la communauté spatiale. En 2012, Korea Aerospace Industries Ltd (KAI) est la première industrie aérospatiale coréenne. Fondée en 1999, à la demande du gouvernement, elle est le résultat de l'intégration de Samsung 167 Voir à ce sujet l'article «South Korea's space policy and its national security implications», Tae-Hyung Kim, The Korean Journal of Defense Analysis, vol.22, n 4, Décembre 2010, pp Source : KARI, Source : International Astronautical Federation

125 Aerospace, Daewoo Heavy Industries et Hyundai Space and Aircraft Company. Par ailleurs, le gouvernement lui a accordé les droits exclusifs pour toute la logistique militaire et les projets spatiaux. En 2000, le gouvernement coréen la désigne comme constructeur des avions militaires et KAI devient le moteur du développement de l'industrie aérospatiale coréenne. Ses produitsphares sont le KF-16, KT-1, T-50/A-50, les hélicoptères SB427 et le programme KOMPSAT. Les principales industries spatiales sud-coréennes sont listées dans le tableau ci-dessous 170 : Figure n 31 : Partage du marché des industries coréennes 171 Le tableau suivant présente le ratio de la production domestique de technologies participant au développement du programme spatial Source : «Space policy for late comer countries: a case study of South Korea», Joosung J. Lee, Seungmi Chung, Space Policy 27, 2011, pp Idem. 172 Source : Ministère de l'éducation, de la Science et de la Technologie,

126 La Corée du Sud a annoncé dès son intention de développer un lanceur de petits satellites basé en partie sur la technologie développée pour la fusée sonde KSR III et en a même avancé le premier test à 2005, cinq ans plus tôt qu'il n'était initialement prévu. En parallèle, la Corée essaye de renégocier l'accord de 1979 avec les États-Unis limitant la portée de leurs missiles à 180 km pour des charges d'un maximum de 500 kg. La négociation se terminera par la signature en 2001 par la Corée du Sud de l'accord du MTCR. Pour autant, en grande partie parce que les États-Unis ont exprimé à plusieurs reprises leurs préoccupations sur la transformation possible de la technologie à des fins militaires et refusé toute ouverture sur une coopération possible en matière de lanceur avec Séoul, la Corée du Sud s'est tournée vers la Russie comme partenaire. Après de nombreuses négociations, notamment le prérequis à la signature du contrat qui était l'adhésion de la Corée du Sud au MTCR 174, le 26 octobre 2004 est signé avec Khrunichev un contrat de 200 millions de dollars pour la construction du premier étage du KSLV à comburants liquides, le second étage, à comburants solides, étant fabriqué à partir des technologies sud-coréennes (KSR III). Pour autant, la fourniture à la Corée du Sud des éléments du premier étage va subir un certain retard en raison des préoccupations liées à la prolifération des ADM dans la région. Suite à la visite d'une délégation américaine en Russie en octobre 2006 qui déclare expressément que «toute technologie transférée à la Corée du Sud doit être sous stricte surveillance pour être certain qu'elle ne sera utilisée qu'à des fins pacifiques» 175, Vladimir Nesterov, directeur du centre Khrunichev, assure le 23 octobre 2006 qu'il n'y aura pas de transfert de technologie, a contrario de ce qui avait été prévu dans le contrat initial. Ceci est suivi le 26 octobre par un accord de sauvegarde technologique entre la Corée du Sud et la Russie qui ne sera effectif qu après ratification de toutes les parties concernées en La coopération peut alors véritablement démarrer. Si le KSLV-1 a bien été lancé pour la première fois en 2009, cela s'est soldé par un échec, qui s'est 173 Basic Plan on Mid-to-Long-Term National Space Development, paru en septembre Effectif en Dennis Gormley, Missile Contagion: Cruise Missile Proliferation and the Threat to International Security Westport, CT: Praeger Security International, 2008, p

127 renouvelé en En cause, à chaque fois, le deuxième étage de la fusée, de conception sudcoréenne, le premier étage, russe, basé sur le développement du lanceur Angara fonctionnant sans problème. Un troisième essai, prévu initialement le 26 octobre 2012, a été reporté à minovembre. Ce report était dû à une fuite de carburant du premier étage russe. Parallèlement au développement de son lanceur national, la Corée du Sud a construit un site de lancement, le Naro Space Center localisé sur l'île d'oenaro, dans la province de Go-Hung, dont la construction, entamée en 2002, s est achevée en 2009 et qui est exploité par le KARI. Une coopération indispensable et diversifiée : Le gouvernement sud-coréen met en avant une politique de coopération active en matière spatiale, comprenant tant des préoccupations de politique étrangère que de transfert de technologies. Elle prend ainsi part, depuis 2007, au projet à initiative japonaise "Sentinel Asia", conduit par l'asia-pacific Regional Space Agency Forum (APRSAF) depuis 2005, en soutien à la gestion des catastrophes naturelles. Cette plate-forme d'échange et de partage des données utilise les satellites Theos (Thaïlande), Alos et Winds (Japon), Kompsat (Corée du Sud), Resourcesat-1 et Cartosat-1 (Inde) et Formosat-2 (Taiwan). Dans le domaine des lanceurs, c est la coopération avec la Russie qui est au cœur des réalisations avec l utilisation pour le premier étage du moteur de la future fusée Angara. Cette coopération s est effectuée dans le cadre des relations finalement assez étroites que la Corée entretient avec la Russie sur le plan industriel et qui concerne aussi bien l implantation d entreprises coréennes en Sibérie que des projets de haute technologie. Elle tient aussi aux réticences des puissances occidentales dans le développement d une capacité coréenne autonome dans le domaine des lanceurs et enfin à l incapacité de la Corée à investir les sommes demandées par les industriels occidentaux dans le cadre d achats de technologies lanceurs. Le tableau ci-dessous présente les principales coopérations et leurs champs d'application. États-Unis Russie France TRW : Développement de Kompsat-1 NASA : PSIM : Payload Support & Interface Module, 2000 SMMD : Space Mass Measuring Device, 2004 ISS : Sleep Study Experiment, 2008 ILN : International Lunar Network, 2008 Déclaration d'intention de coopération en matière d'espace et d'aéronautique civil (octobre 2008) KSLV Naro Space Center Entraînement des astronautes coréens Accord intergouvernemental Corée-Russie pour la coopération dans l'espace (2004) Accord de sauvegarde technologique pour la coopération technologique en matière spatiale signé avec la Russie, octobre 2006 Protocole d'entente avec le CNES signé en 2007 concernant l'observation de la Terre, les composants spatiaux et l'utilisation de l'iss EADS Astrium : Développement du satellite COMS satellite multimissions en orbite géostationnaire (Communication, Ocean and Meteorological Satellite) lancé en Consultance du CNES pour le développement du Naro Space Center 127

128 Allemagne Italie Japon Protocole d'entente avec le DLR signé en 2003 concernant la coopération en matière de l'utilisation des données satellitaires et un programme d'échange de chercheurs Astrium Allemagne consultant sur Kompsat-2 Astrium GmbH et DLR : Développement de Kompsat-3 Alcatel Alenia Space : développement de Kompsat-5 Protocole d'entente avec la JAXA : observation, communication et navigation, utilisation de l'iss, entraînement des astronautes Ukraine Accord de coopération signé en 2006 Thailande Protocole d'entente entre le KARI et GISTDA signé en 2003 Mongolie Protocole d'entente entre le KARI et le NRSC en 2007 et La Corée du Sud, nouvelle puissance spatiale L année 2013 représente un tournant décisif puisque désormais la Corée du Sud a atteint le but fixé en 1958, devenir une puissance spatiale à part entière, membre du club. Il lui reste cependant encore du chemin à parcourir pour disposer d un lanceur à la hauteur de ses ambitions et s affranchir d une coopération avec la Russie qui, même si elle semble devoir être reconduite, ne lui donne pas véritablement toute satisfaction du fait de l absence de transfert des technologies contrairement à ce que la Corée avait initialement espéré. La figure ci-dessous officielle récapitule les différentes réalisations coréennes déjà développées ou en projet. 128

129 Dans le domaine de l'observation de la Terre, la Corée du Sud dispose aujourd'hui des satellites Kompsat. Kompsat-1, développé avec TRW, a terminé sa mission en Kompsat-2, développé avec Astrium, permet de recevoir des images d'un mètre de résolution en panchromatique et 4 mètres en multispectral. Kompsat-3 176, mis en orbite le 17 mai 2012, affine encore cette capacité avec 0,7 m en panchromatique et 2,8 m en multispectral. Quant à Kompsat-3A, initialement prévu pour un lancement en 2013, il serait doté d'une capacité infrarouge. Le premier satellite radar sud-coréen développé nationalement, Kompsat-5, attendu pour 2010, devrait être lancé d'ici à la fin de l'année Sont aussi en projet pour 2015, Kompsat-6 satellite radar, pour 2017 Kompsat-7, optique avec une résolution de 0,5 m, pour 2020 Kompsat-8 satellite radar, pour 2022 Kompsat-9 optique avec une résolution de 0,3 m. En matière de télécommunications, la Corée du Sud possède la série des Koreasat dont seul Koreasat-5, lancé en 2006, dispose de capacités duales, civiles et militaires. Basé sur la plate-forme Spacebus-4000C1 Alcatel Alenia Space, il comprend également certaines des nouvelles technologies développées pour Syracuse 3. La volonté de la Corée du Sud d accéder à l espace n a officiellement pas posé de problème à la communauté internationale et les États-Unis ont même pris bien soin de distinguer la légitimité des tirs de chacune des Corée. Dès le lendemain du tir de Séoul, Nuland, porte-parole du Département d État, soulignait la transparence des autorités à propos d un programme développé dans la durée. À une question de la presse coréenne s inquiétant de savoir si la DPRK était aussi désormais pour Washington membre du club spatial, la réponse a été faite en deux temps : la DPRK a violé lors du tir de décembre 2012 l interdiction formulée par l ONU et elle ne peut être membre de quelque chose qui n existe pas, la notion de club spatial étant purement rhétorique. Cette approche positive n est pas totalement unanime. L annonce du développement d un lanceur avec l intégration de technologies russes a suscité différentes analyses sur les implications de la politique spatiale de Séoul et ses implications sur la sécurité nationale 177. Les objectifs et la stratégie de la Corée du Sud tels qu ils sont présentés par les acteurs euxmêmes mettent toutefois clairement en avant la forte liaison entre la sécurité nationale et l avancement de l économie qui sous-tend toute sa politique spatiale. Les quatre objectifs poursuivis se déclinent en : Devenir une puissance spatiale forte en se dotant d une capacité indépendante de développement des moyens spatiaux. Ce premier objectif se manifeste clairement dans plusieurs documents établissant au fil du temps le ratio de l autosuffisance de la Corée par grands ensembles satellites et lanceur comparé à celui des premières puissances spatiales. Or le taux le plus élevé, au-delà de 80%, concerne principalement les structures soit un domaine qui n est pas le plus technologiquement avancé. On arrive en revanche à un taux faible (20%) pour des éléments cruciaux comme la 176 Développé lui aussi avec Astrium. 177 Tae-Yung Kim, «South s Korea space policy and its national security implications», The Korean Journal of Defense Analysis, vol. 22, n 4, décembre 2010, pp

130 charge utile des satellites ou le test de propergols sachant que la maîtrise des moteurs à propulsion liquide est de l ordre de 50%. Contribuer au développement de l économie par une entrée de l industrie spatiale nationale sur le marché international. Cet objectif semble en réalité surtout déclaratoire et destiné à pondérer le précédent. Améliorer la qualité de la vie en assurant la sécurité du milieu spatial et des applications. L influence américaine sur cet objectif est patente. Inspirer la fierté nationale au travers des succès de la Corée dans l espace. Centre spatial Naro (Naro Space Centre) Parallèlement au développement de son lanceur national, la Corée du Sud a construit un site de lancement, le Naro Space Center, localisé sur l'île d'oenaro, dans la province de Go-Hung dont la construction, entamée en 2002, s est achevée en 2009 et qui est exploité par le KARI. Situé à 485 km au sud de Séoul, il a servi pour sa première mission de lancement le 25 août 2009 avec le tir de Naro-1. Le site comprend, entre autres, une rampe de lancement, une tour de contrôle, des installations d'assemblage et de test des fusées, des équipements pour les tests de contrôle des satellites, et une centrale électrique. Depuis 2002, quatre phases de développement du centre ont été prévues, la quatrième qui devrait se finir en 2015, verrait une surface total du Naro Space Centre de m 2 et inclurait entre autres deux pas de tirs, un bâtiment de test de combustion, un centre radar, une tour d'observation, un centre de contrôle de tir, et une surveillance radar. Figure n 32 : NARO SPACE CENTRE 130

131 4.4 Le Brésil Pour l'iran et la Corée du Nord, les considérations sécuritaires ont été largement à l origine de leurs programmes stratégiques nucléaires, missiles et spatiaux. A contrario, le Brésil, depuis les années 1960, évolue dans un environnement sécuritaire, tant sur le plan interne qu'externe, parmi les plus stables au monde. Pour autant, dès la fin de la Seconde guerre mondiale, les dirigeants brésiliens ont cherché à accroître leur autonomie dans différents secteurs considérés comme cruciaux en termes d image de puissance parmi lesquels le nucléaire, l'armement et l'espace. L'originalité réside alors dans la conception de programmes inspirés par des militaires à des fins civiles de reconnaissance et influence internationales Contexte de mise en place des programmes brésiliens : des années 1950 au années 1970 A. Motivations et acteurs Les objectifs brésiliens sont d'ordre pragmatique, «une stratégie visant l'augmentation de la puissance nationale chaque fois que les circonstances internes et externes le permettent» 178. L'arrivée au pouvoir des militaires en 1964 ne change rien à ce modèle de développement, mais plutôt le renforce au moins pour une part. En tant que nouveaux dirigeants, les militaires vont avoir prioritairement comme but le maintien du régime, au moins jusqu'à ce qu'une transition méthodique vers un gouvernement civil puisse être organisée. Le régime militaire va ainsi chercher une légitimité en proposant une doctrine "développement et sécurité" qui s'appuie sur les travaux de l'ecole supérieure de Guerre dans les années 1950 et Cette doctrine met l'accent sur le fait que la sécurité dépend principalement du contrôle des menaces internes et de l'accroissement du développement économique. Par suite, elle met en avant les technologies militaires comme moyen de développement. Ces idées satisfont aussi les opposants et la communauté civile scientifique et technique partisane d'une idéologie de la nondépendance. Pragmatiques, ils sont prêts à travailler avec les militaires, les compagnies étrangères, bref, avec tous ceux qui peuvent leur apporter le soutien nécessaire pour développer une autonomie technologique. Le développement de projets soutenus par l'état, la protection des technologies nationales, l'appropriation des technologies étrangères sont donc accueillis favorablement et participent de sa légitimation. Le soutien des entreprises privées est aussi un déterminant important. Elles voient leurs intérêts renforcés par l'orientation export favorisée notamment dans le secteur de 178 A. C. Peixoto, «La montée en puissance du Brésil : concepts et réalités», Revue Française de Science Politique, vol.30n 2, 1980, pp S.M. Flank, Reconstructing rockets: the politics of developing military technology in Brazil, India, and Israel, Thesis, Massachusetts Institute of Technology. Dept. of Political Science, 1993, 350p, p

132 la défense. Le rôle de la FINEP 180 vis-à-vis de ces compagnies est notamment remarquable par les financements qu'elle procure chaque année à de multiples projets de R&D. Paradoxalement, c'est l'institution militaire qui émet le plus de critiques car dans ce processus d'utilisation de la recherche pour asseoir sa légitimité, les militaires en tant que gouvernants deviennent moins enclins à allouer des fonds aux dépenses militaires. Ces dernières se retrouvent à cette époque parmi les plus basses au monde. Au point qu'une grande partie de l'institution militaire estime nécessaire d'abandonner le pouvoir afin de survivre en tant qu'institution. C'est l'une des dynamiques qui sera d'ailleurs supposée être en œuvre lors de la sortie volontaire des militaires dans les années La mise en place des programmes nucléaires, missiles et spatiaux du Brésil résulte alors bien plus d'un environnement propice à créer temporairement une ouverture que d'une vision stratégique et militaire de long terme. Par ailleurs, ces développements s'inscrivent également dans la continuité de la politique étrangère brésilienne. Le désir du Brésil d'obtenir un siège au Conseil de sécurité de l'onu et l'objectif d'arriver à un leadership régional stimulent des programmes symboliquement prestigieux 182. Au-delà de l'environnement, et comme souvent dans un système technologique, la composante humaine est fondamentale 183. Au centre des programmes brésiliens missile, nucléaire et spatial, se trouvent trois hommes dont l'interaction va permettre leur émergence. Le premier de ces hommes est Jayme Boscow, de l'iae 184. Depuis le début des années 1960, il est le concepteur des fusées-sondes brésiliennes. La construction et le perfectionnement de ses systèmes deviennent sa vie. Il démontre, par ailleurs, un talent certain pour s'entourer des meilleurs et trouver les sponsors et commanditaires nécessaires. Ses travaux ont des implications tant dans le domaine des fusées-sondes que dans l'artillerie, le futur lanceur ou les missiles balistiques projetés ultérieurement. 180 FINEP : Agence de l'innovation brésilienne est une société publique liée au MCTI. Elle a été créée le 24 juillet 1967, pour institutionnaliser le Fonds de financement pour l'étude des projets et programmes, mis en place en Par la suite, la FINEP a remplacé et élargi le rôle exercé jusqu'ici par la Banque nationale de développement économique et social (BNDES) et le Fonds pour l'assistance technique scientifique (Funtec) établi en Le 31 Juillet 1969, le gouvernement crée la FNDCT Fonds national pour le développement scientifique et technologique, pour financer l'expansion du système S&T, et la FINEP en devient le secrétariat exécutif à partir de Dans les années 1970 la FINEP anime une intense mobilisation de la communauté scientifique, finance le déploiement de nouveaux groupes de recherche, la création de programmes thématiques, l'expansion des infrastructures S&T et la consolidation institutionnelle de la recherche et de l'enseignement supérieur. Elle stimule également l'articulation entre les universités, les centres de recherche, les cabinets de conseil et les compagnies privées A. Stepan, Rethinking Military Politics : Brazil and the Southern Cone, Princeton, University Press, 1988, 167 pages. 182 Harding, p En Inde, par exemple, il s'agit de Vikram A. Sarabhai, comme vu précédemment. 184 Le secteur aérospatial comme composante majeure du développement est identifié dès les années 1940 avec la mise en place du Centro Técnico de Aeronáutica (CTA, actuellement Centro Técnico Aeroespacial) en 1946 et la création en 1950 de l'instituto Tecnologico de Aeronautica (ITA) lui étant directement rattaché. En 1969, est créé l'iae (Instituto de Aeronautica e Espaço) sous l'égide du CTA, dépendant du Ministère de la Défense. 132

133 Le second est le général Hugo de Oliveira Piva, surnommé le Von Braun brésilien, directeur du CTA entre 1984 et 1989, et fervent défenseur du programme nucléaire brésilien 185 dont il sera en charge. Enfin mentionnons le Général Moreira Lima, ministre de l'aéronautique de 1985 à Par ailleurs, trois institutions sont au cœur des développements de ces programmes : L'INPE, créé en 1971 sous l'autorité du ministère des Sciences et de la Technologie, dont la mission est de développer des satellites et les infrastructures y afférentes (stations sols, banc de test, par exemple) 186. L'IAE, créé en 1969, dont les activités se regroupent autour des travaux de Boscov et de son équipe, et donc du développement des fusées-sondes et des missiles, affilié au CTA. Le CTA, créé en 1946, principal centre de recherche de l'armée de l'air. Une partie de sa mission concerne le développement de l'industrie de l'armement des hautes technologies. Il s'occupe plus particulièrement du développement des moteurs et des techniques de production des combustibles, du développement des nouveaux matériaux et de l'importation des technologies étrangères. Son objectif est de transférer les résultats obtenus aux entreprises privées dans la lignée de la promotion du "made in Brazil", déterminant important de la politique brésilienne. Deux entreprises bénéficient directement de ce transfert de technologie : Avibras et Orbita, qui vont jouer toutes les deux un rôle prééminent dans les programmes missiles et lanceur qui seront envisagés (voir plus bas). B. Institutionnalisation du spatial et premiers développements Les années 1960 sont marquées par l'émergence d'acteurs du développement technologique mais aussi par la création d'un mécanisme de coordination spatiale censé articuler les dimensions militaire et civile des différentes composantes du secteur. C'est la mise en place du Grupo de Organização da Comissão Nacional de Atividades Espaciais (GOCNAE) devenu en 1961 la Comissão Nacional de Atividades Espaciais (CNAE), d'inspiration civile. Dès le départ des difficultés surviennent en raison de l'existence de cultures organisationnelles profondément différentes avec le CTA, militaire. Cette commission, proposée par des scientifiques, n'a alors jamais pu réellement fonctionner et assurer son rôle de coordonateur 187. Elle disparait en 1971, remplacée par la Comissão Brasileira de Atividades Espaciais (COBAE), sous l'autorité du Conseil National de 185 Voir à ce sujet l'article, «A Developing Nation on the Frontiers of Space», Brazsat Space News, 7 Nov. 1999, ; mais aussi, Scott D. Tollefson, Brazilian Arms Transfers, Ballistic Missiles, and Foreign Policy: The Search for Autonomy, John Hopkins University, 1991, 529 pages. 186 L'INPE sera sous l'autorité du Conseil National de la Recherche de 1971 à 1984, puis sous l'autorité du Ministère de la Science et de la Technologie jusqu'à aujourd'hui. Cf. Costa Filho, Politica espacial Brasileira, Editora Revan, 2002, 190 pages, p E. Costa Filho, p

134 Sécurité, dirigé par le Chef d'état-major des forces armées (EMFA), de composition civilomilitaire mais avec une prédominance nette du militaire sur le civil. Malgré cela, le programme de fusées-sondes brésilien démarre au début des années 1970, Sonda-I (1965, 2 étages) et Sonda-II (1970, 1 étage) sont validées. Ce programme bénéficie directement d'un transfert de technologie américaine. Le modèle de Sonda I repose en grande partie sur la petite fusée-sonde météorologique ARCAS américaine 188. Les États-Unis jouent un rôle central à cette époque en soutenant financièrement et technologiquement les efforts brésiliens 189. L'objectif des Américains est politique : renforcer les liens entre les deux pays. Le CTA collabore ainsi avec la NASA. Figure n 33 : SONDA I ET SONDA II Sonda II Source : Ce programme illustre parfaitement l'application des objectifs brésiliens en matière de transfert de technologie vers les industries nationales pour développer du "Home-made". Avibras est sous contrat avec l'iae pour développer et produire les premières fusées-sondes brésiliennes. Un des effets de ce contrat sera le développement du missile Astros II, considéré comme la version militaire de Sonda III (1976, 2 étages) 190. En 1974, démarre la conception de Sonda IV utilisant le premier étage de Sonda III comme deuxième étage, avec un premier étage propre. 188 Costa Filho, p S. Tollefson, Brazil, The United States, and the Missile Technology Control Regime, Naval Postgraduate School, Monterey, mars 1990, 102 p., p.29 et s. 190 S.M. Flank, p

135 Figure n 34 : SONDA III Figure n 35 : SONDA IV Parallèlement, la filière nucléaire se développe. La recherche nucléaire brésilienne est facilitée, au cours des années 1940, par le transfert de technologies et de combustible d'uranium en provenance des États-Unis. Le Conseil National de la Recherche (CNPq) est établi en 1951 pour consolider le contrôle de l'état sur les activités nucléaires. En 1953, le Brésil conclut un accord secret avec l'allemagne de l'ouest pour l'achat de trois centrifugeuses pour enrichir l'uranium. En 1957, dans le cadre du programme "Atoms for Peace", il acquiert deux réacteurs nucléaires de recherche et du combustible d'uranium auprès des États-Unis. Après la construction de la centrale nucléaire Angra 1, en 1971, par la compagnie américaine Westinghouse, entre Rio de Janeiro et Sao Paulo, et, devant le refus de Washington de poursuivre les transferts, le Brésil se tourne à nouveau vers l'allemagne de l'ouest et signe le 22 juillet 1975 un accord sur le nucléaire. Qualifié de ce qui devrait être le "plus grand transfert de technologie jamais effectué envers un pays en voie de développement" 191, il comprend la construction de huit centrales nucléaires pour la production d'électricité, et un transfert de technologies sur le cycle de production du combustible nucléaire 192. Cet accord suscita de vives réactions au Brésil. D'une part la communauté des chercheurs le percevait comme empêchant le développement de technologies nationales, d'autre part les industriels voyaient des commandes leur échapper, enfin les tenants du maintien d'une option 191 In E. Adler, «State Institutions, Ideology, and Autonomous Technological Development: Computers and Nuclear Energy in Argentina and Brazil», Latin American Research Review, Vol. XXIII, No 2, 1988, p B. Muxagato, «Les relations Brésil/Iran et la question du nucléaire», Politique Etrangère, 2010, n 2, pp

136 nucléaire militaire se sentaient dépossédés par l'application des garanties de l'aiea aux transferts ouest-allemands 193. Ce serait l'une des raisons qui poussèrent le gouvernement, a priori en 1979, à entamer parallèlement un programme secret visant la complète maîtrise du cycle de combustible nucléaire Les années charnières : A. La mise en place des programmes missiles et lanceurs Cette évolution du Brésil et sa progression dans les domaines d'intérêt stratégique font naître des inquiétudes dans la communauté internationale, particulièrement aux États-Unis, notamment sur la question nucléaire et ses vecteurs associés, les missiles balistiques. Le refus brésilien de signer le Traité de Non-prolifération Nucléaire de peur que cela ne consolide le monopole de certaines puissances, son interprétation large du Traité de Tlatelolco (1967) 195, son annonce en 1977 de l'ambitieux programme Missiào Espacial Completa Brasileira (MECB) et l'abrogation de son accord d'assistance militaire conclu avec les États-Unis en , participent largement de ces appréhensions. Le MECB prévoit de doter le Brésil de toute la chaîne du spatial, développer, lancer et opérer de petits satellites d applications. Deux institutions publiques créées précédemment sont alors affectées à cette tache : l IAE (Instituto de Aeronautica e Espaço) dépendant du ministère de la Défense pour les aspects lanceurs et l INPE (Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais) pour les aspects satellites. L'objectif du MECB est double : le développement des activités spatiales certes, mais favoriser aussi l'intégration des acteurs civils et militaires T. Riga, «Une approche coopérative de la non-prolifération nucléaire: l'exemple de l'argentine et du Brésil», Travaux de recherche de l'unidir n 29, 1994, 100 pages. 194 Riga, p Le Brésil a signé le traité, mais a affirmé son interprétation selon laquelle l'article 18 du traité donnait aux pays signataires de l'accord le droit de faire des expériences et même des explosions nucléaires, (avec des engins similaires aux engins militaires) dans le but d'utiliser l'énergie nucléaire à des fins pacifiques. Voir à ce sujet Paiva Leite C., «Constantes et variables de la politique étrangère du Brésil», Politique étrangère N 1, 1969, pp Le président Ernesto Geisel dénonce cet accord en réaction aux pressions de l'administration Carter sur les droits de l'homme au Brésil, mais aussi face aux restrictions sur les transferts mises en place à la suite de l'accord de 1975 avec l'allemagne. Voir à ce sujet, M.J. Collins, Evaluating the Military Potentiel of a Developing Nation's Space Program: a case Study of Brazil, Thesis, Naval Postgraduate School, 1991, 94 pages. 197 Costa Filho. 136

137 Figure n 36 : ORGANISATION DU SECTEUR SPATIAL SOUS LA COBAE Sous l'impulsion du MECB, un programme lanceur débute avec une première décision d'importance pour la COBAE entre deux options. La première est une proposition française pour un développement commun d'un lanceur avec un premier étage à propulsion liquide (premier étage de la fusée Diamant) et un deuxième étage à propulsion solide de conception brésilienne. La seconde est une proposition de l'iae pour développer un lanceur entièrement national à propulsion solide. Selon Marco Antonio Raupp, le projet franco-brésilien aurait été rejeté pour les raisons suivantes 198 : Incertitudes sur les transferts de technologie français notamment sur la propulsion liquide ; Inadaptation technologique de la propulsion liquide pour un missile balistique ; Faible capacité de l'industrie brésilienne à participer au développement d'un étage à propulsion liquide, car technologie non développée au Brésil ; Le coût des contrats d'échange que la coopération suppose. Le choix d'une filière solide, à cette époque, repose en grande partie sur l'absence de filière liquide au Brésil. Cette absence s'explique par la domination de Boscov et de ses équipes sur les projets de fusées qui ont bâti tout leur système sur du solide, mais aussi par la difficulté du défi représenté par la filière liquide en termes de conception tant des chambres à combustion que des vannes et tuyaux. Par ailleurs, le Brésil, en 1977, a entrepris un vaste effort pour se doter d'une filière entièrement nationale pour produire son combustible. Les procédés technologiques furent à la base développés par le CTA qui les transféra aux entreprises concernées : Petroflex, 198 Cité in Flanck, p

138 une filiale de Petrobras, fut en charge de développer le polybutadiène 199 et Construtora Andrade Gutierrez de la production de perchlorate d'ammonium 200. L'IAE est donc responsable de la conception d un lanceur national, dont la configuration retenue est présentée dans la figure suivante. Figure n 37 : CONFIGURATION DU VLS 199 Les propergols composites sont formés par un combustible, généralement un sel minéral, finement disséminé dans la masse de comburant, souvent du perchlorate d'ammonium. Ainsi, L'ensemble est lié et stabilisé par un liant organique, tel que le polybutadiène ou le chlorure de vinyle. 200 En 1990, l'entreprise était créditée de la production de 50 tonnes de Perchlorate d'ammonium par an. Tollefson, p

139 C'est un lanceur de quatre étages dont les deuxième et troisième reposent sur une version modifiée de Sonda IV. Il utilise les moteurs S-40 et S-44 validés respectivement en 1984 et 1989 par Sonda IV. Mais, surtout, ce qui est important pour notre étude, la configuration adoptée semble particulièrement éloignée d'une solution qui aurait une utilité militaire ultérieure, notamment dans le développement d'un missile balistique (par exemple dans les technologies privilégiées en matière de guidage, du vecteur de contrôle de la poussée, etc.) 201. Par ailleurs, démarre, en 1982, la construction du centre de lancement d'alcantara, second site dédié après celui de Barreira do Inferno (CLBI) 202. L'impossibilité d'expansion du CLBI en raison de la croissance urbaine au Natal a été l'un des facteurs qui ont conduit à des études pour définir un emplacement plus approprié pour la construction d un nouveau centre de lancement. Le 1 er mars 1983, le noyau dur du centre est activé dans l objectif de fournir un soutien logistique pour l infrastructure locale et d assurer la sécurité pour effectuer les travaux nécessaires au développement du centre. Situé dans la péninsule d'alcantara, État de Maranhao, à seulement 2 18' sud de l'équateur (et 44 22' de longitude ouest), il s étend sur 520 km 2. Sa position privilégiée permet de profiter au maximum de la rotation de la Terre, ce qui engendre une économie de carburant (estimée à un avantage compris entre 13% et 31% par rapport à Cap Canaveral ou Baïkonour, par exemple). Mais ce qui inquiète surtout les Américains, c est la volonté du Brésil de développer une filière balistique à partir de Sonda IV au milieu des années Avibras, qui a été impliqué dans tout le développement de la filière Sonda, s'engage sur le missile balistique avec le projet d'une série de missiles : SS-150, SS-300 et potentiellement un MRBM SS-1000 en partenariat avec le CTA. De façon presque concomitante, la frustration des forces armées augmentant devant les délais du développement de missiles auto-guidés, une nouvelle entreprise est formée, en 1987, en charge de coordonner le programme missile brésilien. Résultant d'un partenariat entre Engesa, Embraer, Esca, Imbel et Parcom, elle hérite du projet de missile MB/EE-150 d'engemissil, filiale d'engesa. Le programme prévoit une déclinaison jusqu'à un IRBM (MB/EE-1000) 203. Orbita est aussi la compagnie en charge de construire Alcantara et est appelée à prendre un rôle de premier plan dans la conception et le développement du lanceur national. L'inquiétude des Américains porte essentiellement sur deux points. Le premier concerne bien évidemment la capacité brésilienne à devenir un État nucléaire potentiellement menaçant, surtout s'il est doté de missiles balistiques longue portée. Le second, et peut être le plus important, concerne la menace de prolifération qui monte en puissance au Moyen-Orient. Or, le Brésil dans les années 1980 a atteint son apogée en matière d'exportations militaires. Considéré comme le cinquième exportateur mondial de matériels conventionnels, 50% de ses exportations sont pour 201 Pour une présentation détaillée des technologies utilisées dans le VLS et leurs faiblesses dans le cas d'une volonté de développement d'un missile balistique s'appuyant sur lui, voir Flanck, p. 92 et suivantes. 202 Le site du Barreira do Inferno (CLBI) a été créé par l'ordonnance n S-139/GM3 du 12 octobre Tollefson, pp

140 le Moyen-Orient 204. Si le Brésil arrive à rendre opérationnel des missiles balistiques, le risque leur paraît grand qu'il n'en vende et alimente de fait le phénomène de prolifération en œuvre. Le Brésil a par ailleurs refusé de signer le MTCR entré en vigueur en B. Les limites et obstacles au développement balistique et spatial À la fin des années 1980, nous avons deux programmes qui n'existent en grande partie que virtuellement. Leur évolution est largement obérée par toute une série de facteurs tant institutionnels que techniques. Sur le plan des technologies, le Brésil fait face, à cette époque, à deux obstacles majeurs : le niveau de développement technologique et la restriction aux exportations depuis la mise en place du MTCR. D'une part, des verrous technologiques sont rencontrés dans les catégories suivantes : la réentrée atmosphérique, les dispositifs de séparation des étages, la télémétrie et peut-être le plus important, les systèmes de guidage. D'autre part, au niveau du lanceur, des ingénieurs et techniciens de l'iae déplorent, dans les médias brésiliens, dès 1989, des "erreurs techniques". Notamment le choix de s'appuyer trop fortement sur les technologies disponibles de la série de fusées-sondes Sonda 205. Le premier étage du VLS, composé de quatre propulseurs, est considéré comme trop lourd, avec comme conséquence de nécessiter beaucoup plus d'acier (trois fois plus que prévu) et donc, par suite, de combustible. Une des raisons de ces choix techniques non-efficients s'inscrit dans les contraintes budgétaires de la fin des années En janvier 1989, par exemple, le budget du VLS fut coupé de 55% 206. En outre, les États-Unis, traditionnel fournisseur de technologies du Brésil, ont considérablement réduit leurs exportations de technologies sensibles depuis la signature du MTCR en 1987 que les Brésiliens ont refusé. L'effet a été immédiat ; les Américains refusent désormais tout transfert dans le domaine du guidage, de la réentrée, des dispositifs de séparation des étages, par exemple. Ils demandent par ailleurs à leurs partenaires de s'abstenir également de tout transfert. C'est ainsi, notamment, que l'administration Bush dissuade la France d'approuver un transfert de la compagnie Arianespace au Brésil sur une technologie de motorisation pour le VLS 207. Autre exemple, le lancement d'une Sonda 4 prévu en décembre 1988 a dû être reporté car le système de navigation inertiel était tombé en panne. Acheté antérieurement aux États-Unis, ces 204 J. M. Bohou, Géopolitique et projection de puissance du Brésil au XXIème siècle, L'Harmattan, 2007, 368 pages. 205 Voir à ce sujet, Tollefson, p. 50 ; Flanck, p. 97 ; Costa Filho, «Obstacle to VLS Development Reviewed», Folha de Sao Paulo, 14 juillet Idem note précédente. 207 W. Q. Bowen, «Brazil's Accession to the MTCR», The Nonproliferation Review, Printemps Eté 1996, pages

141 derniers bloquèrent la réparation nécessaire. Les Brésiliens durent se tourner vers les Anglais 208. En Août 1989, le journal brésilien, Folha de Sao Paulo, résumait ainsi l'impact des restrictions sur le lanceur : «Le boycott américain a été si intense que même les équipements non-sensibles ont été refusés à l'iae pour l'aéronautique. Mais ce qui a été le plus préjudiciable au développement du VLS a été d'interdire les composants électroniques pour le contrôle des véhicules et les services d'ingénieries. Développer les composants qui manquent dans le pays va prendre du temps et demander beaucoup d'argent.» 209 La restriction aux exportations s'est déroulée à un moment critique du développement des technologies spatiales et missiles du Brésil. Par ailleurs, sur le plan institutionnel, le conflit larvé entre les organisations civile et militaire, plus clairement entre l'inpe et le CTA, éclate au grand jour. À la fin des années 1980, les deux institutions sont clairement dans une position asymétrique. L'INPE dispose d'une plus grande capacité institutionnelle, en raison notamment d'un nombre élevé de personnels qualifiés, mais aussi de son caractère civil qui lui permet de nouer plus facilement des coopérations. Le CTA quant à lui, même s'il dispose d'un centre de formation, ce qui lui permet un succès relatif en matière de recherche, son caractère militaire le soumet directement aux effets des restrictions de transferts. Cette situation a pesé sur les capacités de la COBAE à remplir efficacement sa mission 210. C'est alors que Marco Antonio Raupp, directeur de l'inpe, demande en 1988 à pouvoir lancer des satellites au moyen de lanceurs étrangers. Selon lui, le Brésil ne peut plus se permettre d'attendre encore trois ou quatre ans (délais prévus à l'époque) pour mettre en orbite des satellites. Les militaires rétorquent que c'est contraire à la mission du MECB et la COBAE recommande au Président Sarney de refuser. Il est même envisagé, un temps, de transférer l'inpe sous autorité de l'armée de l'air 211. Finalement, seul Raupp sera licencié en Pour autant, la question avait été posée, et les menaces d'une rupture entre les deux organisations avaient été suffisamment inquiétantes pour les programmes pour que la philosophie du MECB évolue vers une prise en compte accrue des possibilités de coopération étrangères. Dans les années 1980, il faut mentionner, également, au nombre des obstacles, la crise économique traversée par le pays, ainsi que la discontinuité de la politique du gouvernement dans le domaine spatial. Les changements successifs politiques en sont en partie responsables. Le retour au pouvoir des civils, en 1985, amène des stratégies différentes dont le programme spatial est victime R. Lopes, «Ministry Announces Sonda-4 rocket Launch Delay», Folha de Sao Paulo, 24 novembre 1988, cité in Tollefson, p Cité in Tollefson, p Costa Filho, p Tollefson, p. 35 et Flanck, p.117 et s. 212 Costa Filho, p.173 et s. 141

142 C. Le tournant des années 1990 Au début des années 1990, plusieurs constats sont amers pour le Brésil. Avibras est en situation de banqueroute et tous ses programmes sont suspendus. Orbita est dans la même situation. Le VLS programmé depuis 1979 n'a encore fait aucun vol d'essai. Sur le plan nucléaire, en 1987, le Président Sarney avait officialisé le programme secret brésilien et en 1988 le Congrès approuve une nouvelle Constitution qui mentionne explicitement le caractère désormais pacifique des activités dans ce secteur. En 1991, le Brésil signe avec l'argentine l'accord de Guadalajara dans lequel ils s'engage à n'utiliser l'énergie nucléaire que pour des activités pacifiques. Pendant longtemps, l'option nucléaire brésilienne se trouvait motivée par une imbrication de logiques mêlant développement économique, indépendance nationale et maîtrise des technologies de pointe. En somme, la maîtrise complète de l'énergie nucléaire «était en mesure d'apporter des solutions à tous les problèmes immédiats de dépendance énergétique, économique, scientifique, technologique tout en ouvrant la voie de ce qui apparaissait alors comme la garantie ultime de la sécurité et de l'indépendance l'armement nucléaire» 213. Cependant, les conditions favorables au développement du nucléaire ont complètement disparu au début des années Les restrictions budgétaires, les difficultés en matière de transfert de technologie créent un environnement favorable à son inflexion qui se matérialise par la signature du TNP en Une bonne partie des raisons avancées pour le nucléaire se retrouve sur les programmes balistiques qui sont définitivement clos à l'orée des années Un premier signal fort pour la communauté internationale est la création de l'agence Spatiale Brésilienne (AEB), sous autorité du Ministère des Sciences et de la Technologie. Purement civile, elle se substitue à la COBAE et devient responsable de la politique spatiale brésilienne. Dans l acte de création de l Agence spatiale brésilienne, lui sont assignées la préparation et la mise à jour du Programme national d'activités spatiales PNAE. Le 8 décembre 1994, le décret n approuve une Politique Nationale pour le Développement de l'espace PNDAE qui stipule que le PNAE a une portée large, et se compose de programmes de nature scientifique, applicatifs et de formation technique, ainsi que des activités visant à la mise en œuvre, la maintenance et l'expansion des infrastructures et le soutien opérationnel pour la recherche et le développement en matière spatiale. Sa naissance se conjugue donc avec la mise en place d'un système national de développement des activités spatiales (SINDAE) qui remplace de fait le MECB. 213 Riga, p

143 Figure n 38 : LA NOUVELLE ORGANISATION DU SPATIAL AU BRÉSIL Le Brésil signe alors en 1995 le MTCR. Il ne reste alors au Brésil qu'une filière de lanceur spatial. Pour autant le programme va souffrir de retard, non encore comblé aujourd'hui. D'une part, en raison de l'inadéquation des budgets avancés face à un tel développement, notamment la chute brutale du budget alloué au lanceur en 1989 et qui ne sera jamais revu à la hausse tel que le présente la figure ci-dessous (courbe verte). Figure n 39 : ÉVOLUTION HISTORIQUE DES RESSOURCES DESTINÉES AUX PROGRAMMES DE SATELLITES, DE LANCEURS ET DES INFRASTRUCTURES ASSOCIÉES 143

144 D'autre part, la nouvelle instance civile privilégie une nouvelle configuration. Les changements technologiques les plus importants se retrouvent notamment sur la question de la propulsion car le Brésil décide de se doter également d'une filière liquide. L'objectif est double. D'une part, il s'inscrit dans le processus de se doter de nouvelles technologies aux fins du développement du pays et de son autonomie ; d'autre part, il s'agit, à terme de faire évoluer la filière lanceur vers une capacité d'emport et d'orbite plus importante. L'INPE teste avec succès un micropropulseur avec comme monergol l'hydrazine, avec application aux systèmes de contrôle des satellites en 1984, première étape concrète vers la propulsion liquide. En 1991, il réussit à produire du peroxyde d'azote afin de l'employer avec de l'hydrazine pour des moteurs biergols, et l'inpe teste là aussi avec succès un premier moteur à propulsion liquide biergol. Le milieu des années 1990 est consacré à des études sur le sujet qui marque la volonté désormais affichée de développer une filière liquide pour le développement des futurs lanceurs brésiliens 215. Le 2 novembre 1997 a lieu un premier essai du VLS pour mettre en orbite le petit satellite SCD-2A construit par l'inpe. Il se solde par un échec. Un deuxième essai en 1999 connait la même issue. Cependant c'est l'essai de 2003 qui va dramatiquement retarder le programme brésilien. L'explosion sur le pas de tir du VLS décime certes les infrastructures, mais tue surtout 22 ingénieurs et techniciens. Le programme est atteint en son cœur puisqu'avec le pas de tir disparaissent les hommes qualifiés en charge du projet. La reconstruction d une maîtrise lanceur a été longue et difficile d autant plus que les financements sont restés limités et qu aucune nécessité politique ne se faisait sentir. Ainsi, même si l'agence spatiale brésilienne (AEB) et le Centre technique Aéronautique (CTA) annoncent le 24 octobre 2005 le programme des lanceurs Cruzeiro do Sul qui se base sur un développement du lanceur VLS, il faut attendre 2008 pour que l autorisation soit donnée de débuter les travaux de construction de la nouvelle tour mobile d intégration (TMI) du VLS suite à la destruction du pas de tir en 2003, et 2010 pour que ce programme Cruzeiro do Sul démarre réellement. À ce jour, aucun essai n'a eu lieu. 215 NIWA, Mario, Seleção de propelentes nacionais. Relatório Técnico (RT 081/ASE-P/94). São José dos Campos: CTA/IAE, 1994 ; Niwa Mario, Programa de capacitação em propulsão líquida. Relatório Técnico (RT 086/ASE-P/94). São José dos Campos: CTA/IAE, 1994 ; Niwa Mario, Propulsão Líquida no Brasil e no exterior: um paralelo. Relatório técnico. São José dos Campos: Centro Técnico Aeroespacial, A coordonné le premier groupe d'experts brésiliens sur la question et a supervisé le développement des infrastructures pour le développement et le test d'un moteur de fusée à propergol liquide. 144

145 4.4.3 La stratégie actuelle d'accès à l'espace A. Les capacités lanceurs Aujourd hui, la stratégie d accès à l espace du Brésil a été programmée par les autorités compétentes afin d atteindre l objectif d une capacité de lancement nationale en Figure n 40 : STRATÉGIE D ACCÈS À L ESPACE 216 Cette stratégie se fonde sur une évolution du lanceur VLS-1. Avec quatre phases de vol, le VLS-1 est un lanceur classique, qui utilise un combustible solide décliné dans le programme Cruzeiro do Sul. Il se compose de cinq nouveaux lanceurs, nommés d'après les étoiles de la Croix du Sud : VLS ALFA, VLS BETA, VLS GAMA, VLS DELTA, VLS EPSILON. 216 Source : Instituto de Aeronáutica e Espaço,

146 Figure n 41 : PROGRAMME CRUZEIRO DO SUL Source : CTA/IAE/AVE Par ailleurs, la stratégie nationale pour la science, la technologie et l innovation proposée par la Présidente Dilma Roussef début 2012 vient d actualiser le programme de lanceurs brésiliens comme le présente la figure ci-dessous : Figure n 42 : PRÉSENTATION DU PROGRAMME DE LANCEUR DANS LA STRATÉGIE NATIONALE DE SCIENCE, TECHNOLOGIE ET D INNOVATION POUR LA PÉRIODE

147 En novembre 2012, le CTA annonçait un programme révisé de lanceurs, figure ci-dessous : Figure n 43 : PROGRAMME CRUZEIRO DO SUL RÉVISÉ Ainsi, une nouvelle phase semble commencer qui correspond à une tentative de développement de lanceurs en coopération ou avec partenariat étranger. Elle est caractérisée par le développement d un lanceur pour microsatellite VLM-1 et du lanceur VLS-Alpha, version modifiée du VLS-1, de trois étages et utilisant la propulsion liquide. Quelques questions subsistent et restent actuellement sans réponse 217 : Le moteur P50 cité dans le cadre de la première étape de la VLS-Alpha 2, Beta 1 et Bêta 2, serait-il un moteur à propergol solide de 50 tonnes de poussée? Quel pourrait être le moteur Z23 cité dans le tableau (VLS-bêta-1)? Serait-il un moteur d'origine italienne ou même russe? Le moteur L300 est-il une évolution du moteur L75? 217 Voir à ce sujet l'article de Duda Falcão, «DCTA Revisa Programa Cruzeiro do Sul, Será?», 14 janvier

148 Parallèlement, les embryons de partenariat avec la Russie témoignent des hésitations entre une filière nationale longue et difficile à développer et un nouveau changement de cap en recourant à des technologies étrangères. Si la Russie, depuis les débuts des volontés brésiliennes en matière de lanceurs, a toujours été un partenaire potentiel, ce n est, par exemple, qu en 2009 qu un accord de sauvegarde des technologies satisfaisant les deux pays a pu être signé. Par ailleurs, le Brésil tend à vouloir nationaliser certains composants afin de s assurer une plus grande autonomie comme le système inertiel de navigation, utilisé pour guider la trajectoire de la fusée dans l'espace et la stabilisation des satellites en orbite 218. Aujourd'hui, selon l'iae, quatorze entreprises brésiliennes participent à la construction du quatrième prototype du VLS-1. En matière de partenariat, l exemple de l Ukraine est aussi très instructif. Faute d un investissement suffisant, les partenariats pour le développement de la base d Alcantara n ont guère avancé 219. Un pas de tir est en construction pour le lanceur ukrainien Tsyklon-4 par l entreprise ukraino-brésilienne Alcantara-Cyclone-Space, qui a lancé des travaux de prospection et de forage à Alcantara en août Elle produit en outre les équipements terrestres pour le lanceur lourd Tsyklon-4 dont le premier tir depuis le site brésilien est programmé entre 2014 et Cette opportunité semble toutefois connaître aussi quelques retards. Les difficultés sont sans doute accusées par la complexité des relations bilatérales entre la Russie et l Ukraine. Les efforts récents de la Russie pour permettre un rapprochement se sont traduits par des propositions de participation ukrainienne au développement du nouveau site de lancement que la Russie développe en Sibérie à Vostotchny, ce qui peut tenter la partie ukrainienne pénalisée par la faiblesse des investissements disponibles et de toute façon encore très interdépendante de l industrie spatiale russe pour ses moteurs. Par ailleurs, on assiste à une tendance à la commercialisation de la base d Alcantara qui intéresse, entre autres, Israël dans la mesure où cela pourrait permettre de sécuriser la filière du lanceur Shavit indépendamment des très lourdes contraintes de la base nationale de Palmahim 221. Enfin, en octobre 2011, des discussions ont eu lieu pour une coopération possible avec l'italie, basée sur les développements technologiques de Véga 222. Sur le plan des essais, quelques avancées sont à noter. Le 25 juin 2012, les structures du lanceur VLS sont arrivées à Alcantara pour une mission test de préparation et d intégration de la nouvelle tour d intégration mobile (TIM) du nouveau pas de tir. Quant au projet d un lanceur de petits satellites, le VLM (Veículo Lançador de Microsatélites), il est actuellement en phase de conception. Prévu à l'origine pour 2002 et développé par l'institut aéronautique de l'espace (IAE), en partenariat avec le Centre aérospatial allemand (DLR), ce 218 Fernando "Nunão" De Martini, «País retoma desenvolvimento de nova família de foguetes», 4 mars Selon une déclaration du responsable de l Agence spatiale ukrainienne Youry Alekseyev, faite en avril 2011, «around $280 million has been spent and around $260 million more will be required». 220 Entretien le 27 septembre 2013 avec Oleksandr Serdyuk, directeur général pour l'ukraine de ACS lors de la mission Chine pendant le Congrès de l'iac à Pékin mai A. Mileski, «Lançadores: Itália quer cooperar com o Brasil», 6 octobre

149 programme a pour objectif un petit lanceur de microsatellites. Il se base sur la configuration de la famille de fusées VSB-30, certifiées pour une utilisation commerciale. Sa configuration de base serait de trois étages avec une évolution prévue vers quatre étages. D'une masse de 16 tonnes au lancement, le lanceur serait guidé au niveau du premier étage par un système à biergol liquide suivant une trajectoire balistique avant la combustion du quatrième étage, comme le VLS-1. Le VLM-1 devrait être utilisé notamment pour le projet Shefex 3 de la DLR. Figure n 44 : PROGRAMME SHEFEX 3 À terme, tous les composants électroniques des premiers étages seront produits dans le pays, y compris la plate-forme inertielle et l'émetteur de télémétrie. Il est prévu de nationaliser toute l'électronique développée par le DLR pour l'étage supérieur. L'objectif est de promouvoir les produits d'ingénierie brésiliens à fort contenu technologique 223. En bref, le projet VLM-1 a pour objectif l'accès à l'espace grâce à une forte réduction de la complexité et à l'établissement de partenariats internationaux. Il a des objectifs commerciaux clairement établis qui se fondent sur une vision brésilienne de l expansion d un marché encore sous-estimé selon eux, et sur l apport d un avantage compétitif personnalisé pour chaque client. Il s'agit essentiellement d'une répétition de la stratégie visant à commercialiser l'avion Bandeirante dans les années 1960 qui a abouti à la création d'embraer menée par le DCTA

150 B. Les infrastructures de lancements Centre de lancement Barreira do Inferno (CLBI) [Localisation : 05º 55'S / 035º09'W] Historiquement premier site de lancement brésilien dont la construction a été décidée en 1965, il est actuellement dédié uniquement aux tirs de fusées-sondes. Il est situé à proximité de la ville de Parnamirim, près de Natal, la capitale de l'état du Rio Grande do Norte. Depuis 1979, suite à un accord entre l'esa (European Space Agency) et le gouvernement brésilien, les installations de lancement ont été améliorées afin de permettre au CLBI d'apporter un support au programme Ariane (activité de suivi de vol). L'impossibilité d'expansion du CLBI en raison de la croissance urbaine au Natal a été l'un des facteurs qui ont conduit à des études pour définir un emplacement plus approprié pour la construction d un nouveau centre de lancement. Figure n 45 : CENTRE DE LANCEMENT BARREIRA DO INFERNO (CLBI) Centre de lancement d'alcântara (CLA) [Localisation: 2 28'S/44 38'W] Le CLA est le site de lancement spatial brésilien. Situé dans la péninsule d'alcântara, État de Maranhao, à seulement 2 18' sud de l'équateur (et 44 22' de longitude ouest), il s étend sur 520 km 2. Sa position privilégiée permet de profiter au maximum de la rotation de la Terre, ce qui assure une réelle économie de carburant (estimée à un avantage compris entre 13 % et 31 % par rapport à Cap Canaveral ou Baïkonour, par exemple). Décidé en 1990, il est opérationnel en Le Brésil et l'ukraine développent depuis 2010, sur le site d'alcantara, le complexe de lancement de Cyclône 4 au moyen de la joint-venture Alcantara Cyclone Space. Budgété au départ à hauteur de 488 millions de dollars, début 2012, la société Alcantara Cyclone Space annonçait que le projet nécessitait un financement supplémentaire de 400 millions de dollars. Après de difficiles négociations, l'ukraine et le Brésil ont décidé de financer à 50/50 ce surcoût et les travaux ont pu reprendre afin que le site soit prêt pour les tests de vol entre 2013 et Figure n 46 : CENTRE DE LANCEMENT D'ALCÂNTARA 150

151 Parallèlement, le Brésil termine la reconstruction de son pas de tir détruit en août 2003 par l'explosion du troisième prototype du VLS sur la rampe de lancement et qui a causé la mort de 22 ingénieurs et techniciens travaillant sur le projet. Cette reconstruction, décidée en 2008, avec l'autorisation signée par le Commandant Général du CTA pour débuter les travaux de construction de la nouvelle tour mobile d intégration (TMI) du VLS, a permis en septembre 2010 l'inauguration du nouveau pas de tir du VLS à Alcantara. Figure n 47 : TOUR D INTÉGRATION MOBILE L'étude du Brésil dans le cadre qui est le nôtre montre finalement un cas plus simple que l'iran ou la Corée du Nord dans la mesure où aujourd'hui il n'existe plus qu'une seule filière, celle du lanceur. Historiquement, à la différence de ces deux derniers pays, le Brésil ne s'est pas appuyé sur une capacité de missile mais sur une filière de fusées-sondes qui a soutenu elle-même une filière balistique potentielle puisque celle-ci n'est jamais passée en phase de production. Par ailleurs, le Brésil poursuit un modèle d'activités spatiales largement orienté vers les développements socio-économiques. Il suit en cela l'exemple indien. À titre d'exemple, la série de satellites CBERS développés en coopération avec la Chine ont comme mission, entre autres, l'observation et la surveillance de la forêt amazonienne. 151

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153 5 Penser la dissémination spatiale à l'horizon 2030 La cinquième partie montre, à l issue de ce panorama, la diversité de fait des indicateurs qui doivent être pris en compte dans l analyse des développements balistiques et spatiaux. L analyse des grands déterminants montre la complexité des schémas et la difficulté à proposer des modèles de prolifération. On peut en revanche proposer un modèle d analyse utile pour penser chacun des cas particuliers classés selon une typologie synthétique. 5.1 Quels déterminants prendre en compte pour évaluer une possibilité de prolifération spatiale? Si l'on s'interroge sur la possibilité qu'un pays disposant ou voulant disposer d'un lanceur de satellite se dote d'une filière IRBM ou ICBM en tirant partie de ses développements en matière spatiale, c'est aussi parce qu'en arrière-plan se profile la référence à la prolifération nucléaire et à sa dynamique. L'analyse des causes de ce processus a fait l'objet de nombreux travaux qui ont traditionnellement abordé la question soit au travers du filtre des théories réaliste ou néoréaliste qui considèrent le besoin de sécurité des pays concernés, soit autour des trois modèles élaborés par Scott Sagan 224 : security model : motivation principale : les menaces internationales (URSS) ; domestic politics model : rôle des acteurs locaux (Inde, Afrique du Sud) ; norms model : symbolique du nucléaire (grandeur, prestige) et identité nationale (France, Ukraine). Une autre partie des travaux sur la prolifération repose sur l'analyse des capacités techniques pour tenter de prévoir les évolutions en cours ou à venir. Quel bilan tirer de ces différentes approches? Selon Bruno Tertrais, l'évaluation rétrospective des prévisions de la prolifération nucléaire montre de nombreuses erreurs couramment commises : La récurrence de la métaphore de l'enchainement ou de la "cascade" chez les analystes ne repose sur aucun fait concret historique 225. La majorité des candidats à l'arme nucléaire identifiés comme tels dans les analyses des années 1960, 1970 et 1980 n'a jamais franchi le seuil. 224 S. Sagan, «Why Do States Build Nuclear Weapons? Three Models in Search of a Bomb», International Security, vol. 21, no 3, hiver Cf. les analyses à la suite de l'essai indien de 1974 qui, dans leur majorité, prédisaient ce phénomène d'enchainement. 153

154 On peut repérer des phénomènes d'enchainements d'un programme 226 à l'autre, ils restent toutefois complexes et limités, ni linéaires, ni déterministes. La prévision d'une date à laquelle tel ou tel pays serait en mesure de se doter de l'arme nucléaire reste très difficile en raison souvent d'une surestimation ou d'une sous-estimation des activités nucléaires d'un pays 227. Enfin, on retrouve des erreurs quant au type de filière prévu pour se doter de la bombe 228. Ces erreurs se retrouvent aussi dans le domaine de la prolifération balistique, notamment dans le cas de l'iran et de la Corée du Nord. En particulier les délais indiqués comme probables pour que ces pays disposent d ICBM se sont toujours révélés bien trop proches par rapport à la réalité. La cause principale de ces erreurs de prévision, relevées par Bruno Tertrais, résulte en grande partie des limites du cadre théorique employé : les biais cognitifs et le problème du mindset (état d'esprit) mais aussi celui du belief system (système de pensée/croyance) 229. L'exercice de la prospective est-il voué à l'échec? La réponse est clairement non, car en dépit des erreurs susmentionnées, nous constatons que : les pays qui se sont dotés de l'arme nucléaire ont tous été identifiés à un moment ou un autre comme faisant partie des candidats ; une majorité des pays ayant été candidats potentiels dans les listes établies par les analystes ont sérieusement envisagé un programme nucléaire 230. Il y a cependant besoin d'une méthodologie d'analyse plus fine, transdisciplinaire et multisectorielle. La prolifération, dans toutes ses dimensions 231, s'inscrit dans une conjugaison de causes complexes liées à des considérations de type sécuritaire et de perception de la notion de puissance. Elle fait aussi intervenir des dimensions culturelles, historiques, sociologiques et psychologiques. Ce qui fait qu'un leader décide ou non de se doter de capacités nucléaires, balistiques ou spatiales fait appel à des dynamiques qui se doivent d'être étudiées dans un cadre méthodologique interdisciplinaire et multisectoriel. 226 Les motivations principales étant celles de la protection et de l'imitation. Cf. B. Tertrais, «Peut-on prévoir la prolifération nucléaire?», Rapport final, étude CSFRS, 21 novembre Cf. les erreurs au sujet de l'urss (plus rapide que prévu), de la Chine (sous-estimation), de l'inde (surprise). 228 Cf. la Chine qui teste en 1964 une arme à l'uranium enrichi alors que les services de renseignements prédisaient une filière plutonium. À l'inverse, le cas de la Syrie, que l'on attendait sur de l'uranium enrichi, et qui avait construit un réacteur plutonigène. 229 T. Ogilvie-White, «Is there a Theory of Nuclear Proliferation? An Analysis of the Contemporary Debate», The Non-Proliferation Review, vol.4, n 1, autumn B. Tertrais, «Peut-on prévoir la prolifération nucléaire?», Rapport final, étude CSFRS, 21 novembre Nucléaire, balistique, spatial, biologique ou chimique. 154

155 La nature même de la prolifération spatiale permet ce rapprochement avec une méthodologie de la prolifération nucléaire. Dans les deux cas, il faut des compétences financières, industrielles, techniques, scientifiques de très haut niveau ; des enjeux de puissance, de sécurité et de prestige leur sont associés ; leurs technologies du fait de leur caractère dual sont soumises aux normes et réglementations nationales et internationales. À ce titre, la méthodologie développée par l'équipe de recherche pour l'étude Les motivations des pays proliférants 232 nous a semblé incontournable de par la nouvelle compréhension "géo-socio-psycho-politique" (GSPP) qu'elle offre pour qui veut sérier des déterminants pertinents. En effet, l'objectif de cette étude est, entre autres, de : mais aussi : «réduire la marge d empirisme des approches existantes et aller au delà des travaux de référence» 233, «d améliorer la compréhension des motivations et des processus décisionnels des pays proliférants, et de rechercher des universaux, c est-à-dire des paramètres à la fois structurants et génériques intervenant dans ces processus quels qu en soient les modalités et le contexte» 234. Nous reprenons donc les déterminants qu'elle a identifiés, en ce sens qu'ils : «constituent la manière la plus exhaustive et la mieux rationalisée de prendre en compte l ensemble du donné objectif et subjectif du pouvoir politique, les contraintes internationales («exogènes») ou internes («endogènes») de toute nature qui s exercent sur lui et qui conditionnent l éventuelle prise de décision, et les capacités matérielles et immatérielles nationales, développées en interne ou importées, sur lesquelles ce pouvoir s appuiera pour prendre sa décision et la mettre en œuvre». en les adaptant à la notion de prolifération spatiale 235 et en les complétant au besoin. Ainsi, huit catégories de facteurs ont été distinguées comme présenté ci-dessous et peuvent servir de grille pour mesurer le degré potentiel de prolifération spatiale d'un État. Les facteurs endogènes sont en bleu et les facteurs exogènes sont en rouge. 232 Bernard Sitt, Étude n 2004/086, Rapport final, 2006, au profit de la délégation aux Affaires Stratégiques. 233 P. 8, op. cit. 234 P. 67, op. cit. 235 Pour une analyse détaillée des raisons présidant au choix de ces déterminants, nous renvoyons les lecteurs à l'étude que l'on trouve en ligne : 155

156 Tableau n 5 : DÉTERMINANTS D'UNE CAPACITÉ DE LANCEMENT DÉVELOPPÉE OU EN COURS DE DÉVELOPPEMENT POTENTIELLEMENT PROLIFÉRANTE 156

157 Le déterminant ressources nationales est celui qui se décompose en le plus grand nombre d'indicateurs mais, c'est aussi celui sur lequel repose quelque part toute analyse ultérieure. En effet, il peut servir de "filtre en amont" car, en l'absence totale de ressources nationales, il parait difficilement envisageable de développer un lanceur comme tout autre programme de très haute technologie. À ce titre, pour identifier un pays potentiellement proliférant, il est une condition sine qua non. À noter qu'un pays aux ressources limitées, mais qui les concentre toutes vers la réalisation d'un objectif national, peut arriver à développer un programme 236. Des pays considérés dans l'étude, tous disposent d'un minimum de capacités nationales comme montré ci-contre : 236 Voir à ce sujet l'étude sur les motivations des pays proliférants qui montre par exemple que le Pakistan a des «ressources économiques limitées, mais toutes orientées vers la réalisation de l objectif national (principe d économie des forces et de masse critique). Tout autre objectif cède devant l enjeu nucléaire. «S il le faut nous mangerons de l herbe et des pierres!» (Ali Bhutto). Les ressources techniques seront trouvées grâce au technicien pakistanais, le Dr. Abdul Qadeer Khan qui, employé en Hollande, apporte avec lui les premiers éléments techniques dérobés. Il met ensuite en place un gigantesque réseau de récupération technologique qui se redéploiera par la suite en un réseau clandestin d exportation de technologies vers les pays proliférants. Les aides chinoise (pour le nucléaire) et nord-coréenne (pour le balistique) furent déterminantes.», p

158 Le déterminant Type de régime politique distingue classiquement en sciences politiques trois types : démocratique, autoritaire et dictatorial. Bien évidemment une analyse fine doit compléter cette typologie avec la constitution d'indicateurs tenant compte des variantes comme, par exemple, dans un régime démocratique le fait qu il s'agisse d un régime parlementaire, présidentiel ou pour chaque régime, de la place éventuelle du religieux. À ce titre, l'iran est un cas complexe, car il est considéré en sciences politiques comme une république théocratique (primauté du religieux sur le politique) dans un système d'élection au suffrage universel du président. Le schéma ci-dessous explicite cette complexification. Source : Le tableau ci-dessous reprend ce déterminant pour les pays considérés dans l'étude. 158

159 Le déterminant suivant est celui des caractéristiques du dirigeant/leader. Il prend en compte les travaux de Jacques Hymans 237 approfondis par l'étude de Bernard Sitt et de son équipe qui conjugue la psychologie, la psychosociologie, la psychiatrie et les influences de l'environnement culturel et stratégique pour rendre compte le plus précisément possible du mode de fonctionnement d'un leader. Pour élaborer cette approche en toute rigueur, ils utilisent les modèles cliniques classiques de la psychologie 238. Si l'on comprend bien les raisons qui poussent à descendre dans ce degré de précision en ce qui concerne la prolifération nucléaire étant donné les conséquences immédiates sur la sécurité internationale de la décision de se doter de la bombe, il ne nous a pas semblé nécessaire pour la prolifération spatiale de le reprendre à notre compte. En revanche, nous avons décliné trois indicateurs : la formation, l'expérience et le vécu du dirigeant. La mise en scène du pouvoir est le déterminant qui vise à expliciter la façon dont les détenteurs du pouvoir politique donnent à voir la nature de ce pouvoir aux yeux de ceux qu'ils gouvernent, de leurs pairs ou leurs rivaux. Ce déterminant nous a paru nécessaire en raison de la forte propension symbolique de l'accès à l'espace 239. Il s'appuie notamment sur les travaux de Georges Balandier 240 mais aussi de Philippe Braud 241 ou Lucien Sfez 242 et cherche à identifier comment le développement d'un lanceur participe ou non de ce que Balandier appela la Theâtocratie étant entendu avec Bronislaw Bacsko 243 que : «Tout pouvoir cherche à monopoliser certains emblèmes et à contrôler, sinon gérer l'usage d'autres. L'exercice du pouvoir, notamment du pouvoir politique, passe ainsi par l'imaginaire collectif. Exercer un pouvoir symbolique, ce n'est guère ajouter de l'illusoire à une puissance réelle, mais doubler et renforcer une domination effective par l'appropriation des symboles, par la conjugaison des rapports de sens et puissance.» Le déterminant suivant est celui qui a pour objectif de caractériser les élites et médiateurs de pouvoir intérieur afin de connaître leurs origines, leur importance et leur organisation afin de mesurer leur capacité à influencer ou non le pouvoir en place mais aussi d évaluer leur coexistence, ou leur confrontation. Le dernier déterminant endogène identifié est celui des opinions publiques qu il faut appréhender à travers sa capacité à influencer le pouvoir, ou à être influencée. Nous avons donc repris les trois indicateurs distingués par l'étude sur les motivations des pays proliférants, à savoir : passivité, opinion publique "objet", et opinion publique "influente". Nous entendons par "objet", une opinion publique manipulée au service du leader ou du dirigeant. Ils sont présentés ci-dessous. 237 Jacques E. C. Hymans, The Psychology of Nuclear Proliferation: Identity, Emotions, and Foreign Policy, Cambridge University Press, Étude n 2004/086, Rapport final, 2006, p Voir à ce sujet F. Gaillard-Sborowsky, «La construction symbolique de l'espace européen», in L'espace, enjeux politiques, Hermès n 34, G. Balandier, Le pouvoir sur scène, Balland, Paris, P. Braud, L'émotion en politique, Paris, Presse de Science Po, L. Sfez, La politique symbolique, PUF, Paris, Bronislaw Bacsko, Les Imaginaires sociaux, mémoires et espoirs collectifs, Paris, Payot,

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161 Parmi les facteurs exogènes présidant à la détermination d'un degré potentiel de prolifération spatiale, nous avons retenu l'histoire et le contexte stratégique/géopolitique du pays et sa position sur la scène internationale. En effet, dans le cas d'une velléité de développer un lanceur ou de passer par le développement d'un lanceur aux fins de développement d'un missile type ICBM ou IRBM, ces deux facteurs semblent fondamentaux. Dans les deux cas, ces déterminants font participer des éléments de contexte qui peuvent intervenir très directement dans la volonté politique d'un pays à se doter ou non de capacités spatiales à finalité balistique. 161

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163 La mise en place de ces déterminants amène à deux points clefs, selon nous, pour toute analyse ultérieure : La complexité des déterminants mis en cause suppose des compétences extrêmement diverses afin de pouvoir constituer des filtres performants, au point qu il y a peu de chances de pouvoir les maîtriser, sauf à construire un très lourd réseau de recherche. Si aucun des déterminants pris isolément ne se montre décisif quant au choix d un pays de proliférer ou non, tous les déterminants retenus n'ont évidemment pas la même valeur heuristique. À ce titre, si nous devions opérer une hiérarchisation et distinguer les déterminants clefs dans le cadre d'étude qui est le nôtre, nous retiendrions : les ressources nationales comme explicité plus haut, l'histoire et le contexte stratégique du pays (caractérisation des menaces en direction du pays notamment), les types de régime et les caractéristiques de leurs élites. Le degré de prolifération d'un État peut s'évaluer à l'aune du schéma ci-dessous : Acquisition légale de technologies Dissémination Prolifération Dans le cadre de l étude, c est donc bien de dissémination qu il peut aujourd hui être question, et encore faut-il noter qu elle n est amenée qu à toucher un nombre très restreint de pays. 5.2 Puissances potentiellement proliférantes Les exercices de prospective sont toujours dangereux du fait des basculements possibles d un paramètre dont l instabilité n était pas apparue aux observateurs. L effondrement de l Union soviétique fait partie de ces événements qui avaient été pris en compte trop précocement et qui faute de ne pas s être produits avaient fini par ne plus être envisagés. Ce problème n est pas propre aux sciences humaines et sociales qui, d une façon générale, détestent précisément la prospective. L accident de Fukushima a également rappelé que les analyses de risques, aussi fouillées soient-elles, pouvaient faire l impasse sur des facteurs pourtant identifiables. C est pourquoi nous avons choisi d appuyer cette partie de l étude sur un certain nombre de cartes récapitulant les données de base. La première carte indique les capacités existantes en matière de lanceurs et de missiles dans le monde. Nous avons également fait figurer la possession d ICBM et IRBM opérationnels afin d éliminer les pays possédant d entrée une double compétence. En revanche, nous n avons délibérément pas mentionné les États dont les préoccupations de sécurité s inscrivent dans un champ purement régional, ce qui exclut la nécessité de développer un vecteur de moyenne ou longue portée. 163

164 Ce dernier point amène à prendre en compte un élément particulier sur lequel la littérature spécialisée reste très discrète, à savoir l apparition d une classe particulière de petits lanceurs destinés spécifiquement à de petits satellites. On peut ainsi envisager dans cette rubrique qu'un pays comme Taïwan soit intéressé pour acquérir une autonomie d information par le biais de petits satellites dédiés. Le graphique ci-dessous montre la capacité potentielle d'un petit lanceur s'il devait remplir une mission balistique ballistic payload vs range for micro launcher versions lifting 100 kg and 250 kg in SSO 250kg SSO 100 kg SSO ballistic payload (kg) ballistic range (km) Il faut cependant pondérer ce type de ressemblance par les inconvénients potentiels que représente le développement d'un lanceur tels la visibilité du programme, sa durée de développement, les types d'infrastructures au sol et surtout le coût... Par ailleurs, le petit lanceur reste incapable de fournir et tester les capacités indispensables à un missile comme le corps de rentrée, la nécessité d'un déploiement rapide et discret... Finalement, là encore c'est plutôt le schéma inverse qui est pertinent avec la conversion en petits lanceurs d'anciens missiles (voir annexe 3). La deuxième carte représente les puissances nucléaires actuelles et les pays qui tentent de le devenir. Elle est complétée par une mention particulière pour les États ayant signé le MTCR et le TNP. La comparaison des trois cartes permet d'identifier les pays qui se retrouvent de fait hors champ de notre étude comme proliférants potentiels. 164

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167 5.3 Modèles/typologie de prolifération balistique liée à la prolifération spatiale Une présentation récapitulative des moyens spatiaux et balistiques nationaux est présentée dans les tableaux de l'annexe 4. L analyse des cas historiques (Chine, Inde) montre l acquisition et le développement d une double compétence (simultanée ou décalée) sur une durée de plus de vingt ans avec la mise en place de filières séparées. Les cas brésilien ou sud-coréen montrent que le contrôle des transferts de technologies, qui est l objet du MTCR et d initiatives comme HCoC, n est pas forcément dénué d efficacité pour limiter l acquisition d une compétence missile. Il reste à évaluer les choix futurs d acquisition ou non de compétences balistiques une fois les compétences spatiales acquises, en fonction des conditions régionales de sécurité. De fait, le positionnement sur la scène internationale et le poids des alliances jouent un rôle crucial dans les cheminements nationaux, mais les modèles de référence Chine (développement autonome) versus Inde (capitalisation sur la coopération et acquisition progressive de capacités nationales) restent a priori d actualité. Si la Corée du Nord ou l Iran se retrouvent dans le premier cas de figure et en sont à la phase de capitalisation sur un tronc commun de compétences, cela ne préjuge pas pour autant de la suite de l histoire dans la mesure où les besoins nationaux et le statut régional sont différents. En parallèle, la Corée du Sud et le Brésil s'inscrivent clairement dans le schéma indien. L'usage des indicateurs clefs déterminants dans les choix nationaux permet d'approfondir les exemples étudiés et de proposer des matrices d analyse intégrant les aspects techniques, politiques et économiques aux différentes échelles géographiques et historiques afin de servir à une grille de lecture des ambitions spatiales des futurs pays candidats. Si l'on s'attache pour des raisons de clarté à trois catégories de déterminants majeurs : le degré d'autoritarisme, le niveau de ressources et l'appréhension par chacun des pays de la menace dont ils se sentent l'objet, on peut représenter une répartition schématique des différents cas étudiés. Le graphique ci-dessous a été construit en reprenant pour chaque axe une progression croissante sur lesquels ont été placés les différents pays qui méritent une attention particulière en regard de leur position par rapport à la prolifération nucléaire comme balistique. Le procédé est schématique et pourrait être amélioré en pondérant certains des déterminants par rapport à d'autres comme le degré de menace perçu par rapport au niveau de ressources ou d'autoritarisme. Il permet néanmoins de dégager des groupes d'états dont certains ne sont pas spontanément évidents. Afrique du Sud, Argentine et Brésil représentent un groupe distinct. Si l'on prend en considération leurs ambitions spatiales, elles sont en effet du même ordre mais à différents niveaux, les trois États ayant été respectivement soit tentés de développer une capacité lanceur, soit envisageant de le faire, soit étant presque sur le point d'y parvenir. Le modèle de développement est clairement de type indien avec une forte affirmation d'un spatial distinct d'une filière balistique 167

168 Corée du Nord, Pakistan, Arabie Saoudite, Chine et Iran constituent un autre groupe. Du point de vue des capacités spatiales, c'est l'hétérogénéité qui l'emporte. On peut toutefois s'interroger sur de possibles futures ambitions du Pakistan comme de l'arabie Saoudite. Il reste à envisager quelle filière chacun des deux pourrait être amené à choisir sachant que l'environnement international risque d'être déterminant. Corée du Sud, Algérie représentent un cas intermédiaire auquel on peut adjoindre la Turquie. C'est sans doute le groupe le plus lâche avec celui de l'égypte et de l'inde qui affichent une relative proximité. Japon et Israël représentent un cas à part, leur proximité tenant à leur niveau de ressource et à leurs types de régime politique. Tous deux sont effectivement des puissances spatiales. 168

169 C O N C L U S I O N Cette étude montre que la notion de prolifération spatiale est très largement construite dès lors que l on ne peut trouver aucun véritable cas de développement d une capacité balistique directement à partir de technologie spatiale. L acquisition d une compétence spatiale répond à des argumentaires particuliers, dans un contexte donné, avec des moyens et des ambitions spécifiques. Les plus fréquemment cités sont : L idée que la compétence spatiale participe directement de la sécurité nationale au travers des programmes de surveillance de la Terre en particulier. L image que le pays veut donner de lui-même à des fins aussi bien de fierté nationale que d influence à différentes échelles régionale et internationale. La maîtrise de technologies considérées comme indispensables à l indépendance nationale. L intérêt de la recherche et développement dans le domaine spatial afin de favoriser l innovation. L apport des outils spatiaux au développement économique du pays et au rattrapage de la modernité dans un domaine de haute technologie, pour les pays émergents. La maîtrise de l accès à l espace représente le seul moyen pour un État de profiter de ces différents volets de l activité spatiale puisqu elle lui permet d être autonome. L état du marché international du lancement laisse penser que l offre étant bientôt supérieure à la demande, tout pays pourra s assurer du lancement d un satellite dès lors qu il est prêt à payer. Pour autant la dépendance demeure dans son principe même. Un pays qui envisage l usage intensif de satellites se doit donc de mettre en place sa propre filière lanceur. Alors que le contexte international a profondément changé par rapport au temps de la Guerre froide au début de la conquête spatiale, on ne peut qu être frappé par le parallélisme entre le développement des capacités spatiales chinoises il y a plus de cinquante ans et celui de la Corée du Nord depuis une dizaine d années. On peut ainsi souligner l importance de l engagement personnel d un dirigeant affirmant que la sécurité du pays est menacée et qu elle ne pourra être garantie que par le développement d une compétence dans les domaines du nucléaire, du balistique et du spatial, ce dernier étant vu plus comme un moyen de surveillance que comme un multiplicateur direct de forces. La faiblesse des ressources et la décision d en consacrer une part non négligeable au programme spatial se retrouvent également dans les deux cas, de même que la permanence de l ambition sur la durée, car le temps de développement d une compétence réelle se compte en dizaines d années. Cela suppose une implication politique partagée et une mobilisation des ressources intellectuelles, les transferts de technologies étant toujours inférieurs aux espoirs initiaux. La perception du spatial comme un moteur du développement scientifique et technique se retrouve dans ce trait particulier qui contribue aussi à la fierté nationale. Cette acquisition de compétences 169

170 nationales peut s effectuer au travers de la copie de modèles prêtés ou acquis ou passer par un apprentissage pas à pas. Dans les deux cas, le temps est long entre la décision initiale et le résultat, et les forces mobilisées en particulier en hommes sont significatives. L organisation administrative du secteur spatial témoigne de la mise en place de filières spécifiques et de l apparition d une autonomie éventuelle du civil sur le militaire. La bifurcation entre deux filières, quand elles existent, se produit généralement dans les dix ans qui suivent les premières réalisations. Une base industrielle demeure commune ainsi que les moyens d infrastructure sols, les missiles disposant le plus souvent de leurs propres installations. Tous ces points se retrouvent finalement avec parfois des déclinaisons différentes dans tous les cas d accession au statut de puissance spatiale. La fierté nationale qui s exprime lors d un premier tir réussi capitalise sur un sentiment de reconnaissance, de retard rattrapé, d humiliation comblée selon un schéma qui renvoie à l histoire propre de chaque État. Les principales différences sont plutôt à trouver du côté du traitement politique : les aléas de la technologie spatiale rendent en effet les démocraties nettement plus vulnérables comme en témoigne la couverture médiatique qui peut être faite des échecs. À l issue de ce rapide descriptif, il apparaît que les risques de prolifération sont extrêmement limités sinon nuls. Une filiation lanceur missile n a guère de sens au XXIème siècle à cause des possibilités d acquérir directement ce dernier, et du coût et des délais engendrés par un programme spatial dont les spécifications techniques ne correspondent pas, et de loin, à toutes celles requises pour un missile. Si l on parle non plus de prolifération, mais de dissémination, terme indéniablement plus approprié, la question ne change finalement guère sur le fond. Il existe bien des formes de coopération spatiale allant de l échange de technologies sans échanges de fonds à la soustraitance. Les accords sont souvent pragmatiques d où le rôle particulier dévolu à la Russie. Le facteur de blocage est indéniablement celui du transfert de technologie qui reste le maillon faible. Au vu de ce rapide bilan, la question se pose de la pertinence des approches pour penser le développement des capacités d accès à l espace dans une perspective de sécurité internationale que l on retrouve dans les outils diplomatiques et juridiques comme le HCoC. Les outils de contrôle MTCR, règles ITAR considèrent la diffusion des technologies pour les missiles comme pour les lanceurs, ce qui au vu de l'étude posent problème. En effet, ils ne règlent pas les coopérations solidaires Sud-Sud et faussent les analyses en sous-estimant la spécificité des motivations spatiales. 170

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173 Annexe 1 HISTORIQUE DU MTCR ET ENJEUX LIÉS À SON ÉVOLUTION (Extrait de Stéphane Delory, «Non-prolifération des missiles : une approche alternative», Recherche et Documents, 2/2011, FRS, 2011) Le MTCR reste donc perçu par la plupart des États occidentaux comme la pierre d angle de tout futur instrument de contrôle. À l origine, il est conçu par les États-Unis comme un outil de restriction de la diffusion des technologiques balistiques, incluant très spécifiquement les technologies spatiales. Il vise non seulement à limiter la prolifération des armes en tant que telles mais également à détruire les programmes potentiellement proliférants ou à prévenir leur émergence. La NSDD-70 précise ainsi : «development of nuclear-capable missiles is possible through a dedicated military program or an ostensibly civil space launch vehicle program. Recognizing that such a development could provoke regional instability or ultimately threaten the United States or its allies, it is the policy of the United States to hinder the proliferation of foreign military missile systems capable of delivering nuclear weapons. The United States will: prohibit exports of equipment and/or technology that make a contribution to foreign country s strategic program. Exempt on a case by case basis certain U.S. friends and allies from this policy, subject to appropriate non-transfer assurances and Presidential approval that such transfers promote U.S. foreign policy and national security objectives». En arrièreplan, la perception américaine est que la stratification technologique doit permettre aux puissances industrialisées de conserver un avantage qualitatif, que l association entre vecteurs et armes nucléaires symbolise, mais qui, dans les faits, recouvre tout équipement militaire suffisamment avancé susceptible de remettre en question cette prééminence 244. Cette politique s est appliquée avec une certaine rigueur à l encontre de l Égypte, de Taiwan ou encore de l Inde, mais c est en Corée du Sud qu elle prend sa forme la plus aboutie. Ainsi, alors que dans les années 1970, les États-Unis avaient toléré la naissance d une capacité industrielle embryonnaire en Corée du Sud en autorisant le rétro-engineering des missiles Nike Hercule (programme Paekgom/Hyunmo développés dans une logique identique à celle adoptée par la Chine dans le développement du CSS-8/M-7, dérivé du SA-2), ils exigent de Séoul dès 1979 l engagement que la portée des vecteurs en développement n excédera pas 180 km pour 300 kg de charge et interdisent aux Coréens de rechercher l acquisition de technologies non américaines. Tout au long des années 1980, les États-Unis se sont mis en mesure de faire respecter ces engagements en adaptant la garantie de sécurité offerte à la Corée du Sud et en exerçant des pressions ponctuelles, limitant les aspirations de celle-ci à développer une capacité autonome. En 1986 Washington obtient la confirmation de l accord de 1979 et la limitation à 12 unités de la production des missiles Hyunmo 2 en échange de garanties militaires et du redéploiement de missiles Lance. Surtout, en application directe de la NSDD-17 et du MTCR, les Américains obtiennent en 1990 que la Corée du Sud ne développe pas de vecteurs de portée 244 Voir sur ce sujet Janne E. Nolan, Trappings of Powers: Ballistic Missiles in the Third World, Brookings Institution, Cette perception se retrouve paradoxalement parmi les nombreux analystes qui ont travaillé sur le renforcement des normes de non-prolifération balistique, la plupart d entre eux insistant sur le caractère déstabilisateur des vecteurs balistiques, du fait de leur vitesse, de leur portée et de la quasi impossibilité de s en protéger. Voir par exemple Mark Smith, «On Thin Ice, First Steps for the Ballistic Missile Code of Conduct», Arms Control Today, juillet août

174 supérieure à 180 km «regardless of its usage whether it is for military or commercial use or scientific research» et obtiennent un droit d inspection sur la production des Hyunmo en échange d une reprise des coopérations technologiques sur les programmes balistiques 245. Une politique plus contraignante encore est appliquée à l Argentine, les États-Unis obtenant le démantèlement de la quasi-totalité des infrastructures du programme Condor 2 et la réforme du système de contrôle aux exportations 246. Ils inhibent ainsi durablement la renaissance du programme spatial argentin et contraignent Buenos Aires à s aligner sur leur politique de nonprolifération. En 1993, alors que l Argentine entre dans le MTCR, les États-Unis autorisent à nouveau les transferts technologiques avancés à partir de leur territoire 247. Toutefois, dès sa mise en place, l application de la NSDD-70 (comme du MTCR par la suite) a souffert d aménagements qui, de proche en proche, conduisent à une redéfinition de la norme de non-prolifération balistique. Les tentatives de rapprochement entre les États-Unis et l Irak avant le conflit de 1991 avaient ainsi conduit l administration à ignorer les nombreux avertissements sur la dangerosité de certaines exportations vers l Irak et le Département d État à rejeter «many of the Commerce Department s objections to specific export licenses» 248. En 1992, l administration Bush adopte des sanctions contre la société d armement sud-africaine ARMSCOR afin d étouffer le programme de lanceur spatial entamé par Pretoria, mais épargne les sociétés israéliennes pourtant directement impliquées dans les transferts technologiques avec l Afrique du Sud. Dans une logique très similaire à celle adoptée plus tard par l administration Clinton, l administration Bush prétend exempter Israël afin de l inciter à respecter le MTCR, 245 Dinshaw Mistry, Containing Missile Proliferation: Strategic Technology, Security Regimes, and International Cooperation in Arms Control, University of Washington Press, 15 mars La terminaison du programme Condor a d ailleurs été considérée comme l un des plus grand succès de la politique de non-prolifération exercée dans le cadre du MTCR, du fait de la qualité du missile mais également de la nature des transferts industriels opérés vers l Égypte et l Irak, les infrastructures vendues étant identiques à celles construites en Argentine. Voir Robert Walpole, Foreign Missile Developments and the Ballistic Missile Threat to the United States Through 2015, Testimony before the Senate Foreign Relations Committee, 1999 ( et Nuclear Threat Initiative (chronologie du programme Condor Nathaniel C. Nash, «Argentina Signs Technology Pact», New York Times, 13 février 1993, p C.H. Farnsworth, «Military Exports to Iraq come under Scrutiny», New York Time, 25 juin Ces transferts ont notamment porté sur des systèmes informatiques avancés exploités dans la recherche nucléaire et balistique : «Most is known about U.S. high-tech exports to Iraq, although the United States was bottom on the list of Iraq's Western suppliers (a situation set to change had Iraq not invaded Kuwait). This is because intense pressure from the press and Congress forced the U.S. government to release detailed lists of export licenses requests for Iraq. An analysis of Department of Commerce records shows that in the United States alone, Iraq received a total of 354 export licenses for computers and advanced scientific analysis equipment from May 1985 through August 1990, worth a total of $113,760,714. Of these licenses, at least 157, worth $57,792,275, were for advanced computing systems. The most widely selling item were VAX machines from Digital Equipment Corp. Other frequently sold items included high-speed oscilloscopes, radio-spectrum analyzers, integrated circuits, gas chromatography equipment, spectrophotometers, and a wide range of electronics manufacturing and test equipment. All were used in Iraqi weapons plants, many in the manufacture of ballistic missiles and in nuclear weapons research and development. Typical purchasers were the Iraqi Ministry of Industry, the Ministry of Defense, and weapons establishments including Saad, Huteen, Badr, and Nassr». La Grande-Bretagne a également adopté une attitude ambiguë, notamment dans les exportations de machines-outils, soumises à des restrictions sur les exportations et pour lesquelles le Département du commerce n a pas fait de déclarations exhaustives. Voir Kenneth R. Timmerman, Iraq Rebuilds Its Military Industries, The Iran Brief, 29 juin 1993 et Exports to Iraq: Minutes of Evidence, House of Commons, Trade and Industry Committee, 26 novembre

175 engagement qui est d ailleurs pris par Tel Aviv en 1992 mais qui reste longtemps libéralement interprété. En effet, la décision israélienne est avant tout conditionnée par les exigences de Washington, qui requiert un respect du Régime dans le cadre de la poursuite de coopérations d intérêt stratégique pour Israël (dans ce cas précis le financement du programme Arrow) et non par une adhésion sincère de la part des autorités et des industries aux normes de nonprolifération balistiques. Les pressions réitérées des États-Unis pour forcer Israël à réformer son régime national de contrôle des exportations, qui culminent au milieu des années 2000, suite aux échanges réitérés avec la Chine et l Inde (notamment sur les UAV, mais aussi suite aux tentatives de transfert de technologie Arrow) 249 illustrent d ailleurs les divergences de perceptions majeures qui séparent les deux alliés sur le champ d application du régime. Au-delà de l exemple israélien cependant, ces aménagements annoncent une évolution inéluctable, l application de la norme de non-prolifération devant nécessairement s adapter dès lors qu elle prend en compte des États disposant déjà d une capacité technique minimale. La fin de la Guerre froide marque en effet l arrivée sur le marché international d acteurs non contraints par le MTCR mais désormais accessibles à sa logique (plus particulièrement la Russie) ou, à l inverse, susceptibles de permettre à des États proliférants soumis à des sanctions américaines d y échapper (Russie à nouveau, Chine). La prise en compte de ces acteurs ainsi que la perception de plus en plus aiguë des risques de pertes de parts de marché du fait d une interprétation trop stricte du régime conduisent les États-Unis (et d autres) à modifier leur perception du rôle de celui-ci. Dès 1993, l administration Clinton annonce une modification substantielle de la politique d exportation américaine destinée à combiner une plus grande souplesse dans l exportation des équipements et services de défense à des contrôles plus ciblés sur les technologies et «to strengthen U.S. economic growth, democratization abroad and international stability, we actively seek expanded trade and technology exchange with nations, including former adversaries that abide by global non-proliferation norms» 250. Dans le domaine de la prolifération des missiles, cette réorientation implique une extension progressive et mesurée du MTCR afin d y intégrer les États partageant la même conception de la non-prolifération et qui renoncent à leurs programmes militaires. L omission partielle des technologies spatiales 251 marque une réorientation qui permet désormais d instrumentaliser le MTCR pour inciter des États comme l Argentine ou le Brésil à y adhérer 252. Dès lors le régime est conçu par l administration américaine comme un régime d exclusion et d intégration, visant à exclure les proliférants et à contrôler les autres États, par la combinaison de mesures incitatives et coercitives 253. Cette logique préside à 249 David Ruppe, «India: Washington Considers Allowing Transfer of Arrow Interceptor», Global Security Newswire, 30 juillet Defense Trade News and Export Policy Bulletin, U.S. State Department, Bureau of Political-Military Affairs, vol. 1, n 5, janvier La position américaine est de ne pas encourager les programmes économiquement non viables et de limiter les transferts aux États membres. Voir White House, Office of the Press secretary, Washington DC, 27 septembre 1993, disponible dans Defense Trade News and Export Policy Bulletin, op. cit. 252 L Argentine adhère en 1993 et le Brésil en L admission du Brésil est conditionnée à l abandon de ses activités balistiques mais pas à celui de ses activités spatiales. 253 W. Q. Bowen, op. cit. Noter néanmoins que des approches incitatives à l égard de la Chine sont déjà très présentes au sein de l administration Bush, qui s oppose à deux reprises aux demandes d abrogation de la clause de la nation la plus favorisée faite par la Chambre des Représentants, qui invoque (entre autres) les activités proliférantes de la Chine. Alors que l administration a adopté un train de sanction contre Great Wall Industry Corporation et la CPMIEC, elle justifie son refus d adopter des mesures plus contraignantes 175

176 l admission de la Russie et aux politiques de coopération avec la Chine, lesquelles vont puissamment contribuer à affaiblir le Régime mais également, paradoxalement, à lui permettre d exercer une influence déterminante sur ces pays. La prise en considération de la Russie et de la Chine : une évolution majeure du rôle du MTCR À partir de 1993, le MTCR tend donc à devenir un instrument technico-politique, l alignement sur ses normes et sur les engagements de non-prolifération qui s y attachent induisant une certaine libéralisation des échanges technologiques. Certains ont vu dans cette évolution une atténuation de son potentiel de non-prolifération, l adhésion, voire la simple observation de ses règles favorisant la diffusion des technologies duales et le risque de commerce proliférant 254. Il est cependant probable que ce n est pas tant la diffusion des technologies entre les membres que l inclusion de membres sur lesquels des pressions ne peuvent être exercées de telle manière qu ils soient contraints d en respecter les règles qui est à la source de la modification profonde de la nature du régime et de l atténuation de sa portée. Parallèlement à l adhésion du Brésil, qui voit l administration renoncer au principe d un abandon préalable des programmes spatiaux pour autoriser l admission au sein du régime et ne plus conditionner celle-ci qu à l abandon des programmes balistiques et au respect des engagements de non-prolifération, une négociation parallèle se poursuit avec la Russie pour tenter de la convaincre d adhérer aux normes de non-prolifération occidentales. L intégration de la Russie dans le MTCR représente un exercice autrement plus complexe que celle du Brésil ou de l Argentine, essentiellement parce qu il s agit d une puissance balistique et spatiale disposant d un savoir-faire propre et d un marché export particulièrement développé. La maintenir à l écart du régime revient à l encourager à développer ces marchés alors que l y admettre permet d envisager une mise aux normes plus rapide de sa politique d exportation, associée il est vrai au risque de voir le MTCR se dénaturer. Encouragés par les Européens, les États-Unis choisissent d adopter avec la Russie une approche différente de celle retenue pour la Chine et, par un processus de sanctions et d incitations, de l y inclure. Le processus d adhésion de la Russie fait suite à la prise de sanctions américaines contre Glavkosmos (qui commercialise alors la technologie spatiale russe) dans le cadre d un accord de coopération passé avec l ISRO (Indian Space Research Organisation) en 1991, portant sur la fourniture de moteurs cryogéniques pour le GSLV (Geosynchronous Satellite Launch Vehicle) indien, mais également des technologies et des expertises associées. Combinant sanctions et propositions d ouverture du marché spatial américain en échange d une adhésion aux principes du MTCR, les États-Unis concluent en 1993 un premier accord limitant les coopérations potentiellement proliférantes de la Russie (accord Gore Tchernomyrdine de septembre 1993) qui prélude à l adhésion de la Russie au régime en A. Pikayev souligne que la combinaison de manœuvres coercitives et incitatives adoptées dans le cadre de l affaire Glavkosmos-ISRO par la nécessité de maintenir une politique d engagement actif pour conduire la Chine à un comportement plus responsable et cite à titre d exemple le rapprochement de la Chine par rapport au MTCR. Voir plus généralement Wyn Q. Bowen, The Politics of Ballistic Missile Nonproliferation, St Martin s Press, Brian G. Chow, Emerging National Space Launch Programs: Economics and Safeguards, Rand Corporation,

177 représente l élément le plus déterminant dans la décision de la Russie de réformer son système d exportation 255. Ces réformes ont cependant été insuffisantes pour prévenir, à court terme, les comportements proliférants des industries et administrations russes. Si la complexité du système de contrôle et l effondrement des relais de contrôle au sein des administrations au cours des années 1990 expliquent cet échec, l absence de bénéfices immédiatement tangibles après l accession au MTCR représente également un élément explicatif majeur. La seule ouverture du marché spatial américain (et européen) ne pouvait en effet compenser le renoncement aux marchés alors couverts par la Russie, autant en termes politiques que financiers, induisant le maintien d exportations désormais définies comme proliférantes. L admission au sein du Régime d un État tel que la Russie présente donc de nombreuses difficultés, puisqu elle ne permet pas de mettre en œuvre de sanctions réellement efficaces les industries locales n étant pas dépendantes des technologies des États membres pas plus qu elle ne permet de compenser la disparition des anciens marchés par l ouverture de nouveaux marchés dont les apports financiers et politiques seraient au moins équivalents. Dès lors que ce type d État s engage à respecter le MTCR et obtient l adhésion, il bénéficie des avantages qui y sont liés (ouverture des marchés spatiaux et facilitation des échanges technologiques) alors que, du fait même de l adhésion, les moyens de pressions pouvant s exercer à son encontre diminuent tendanciellement et limitent l intérêt d une application stricte des engagements pris. Dans ce sens, en admettant en son sein des États potentiellement proliférants, le Régime se prive de tout instrument d influence déterminant 256, sans aucune garantie que la norme de nonprolifération sera pleinement appliquée. L allégement des restrictions sur les importations et les exportations comme la garantie d un accès au marché international limitent mécaniquement les incitations que les administrations ont à se réformer et à appliquer les nouvelles règles, générant des frictions avec les autres États membres et une victimisation de l État ciblé. Tel a été le cas pour la Russie où la perception du MTCR par les administrations en charge des exportations comme par les industriels est restée pour le moins ambiguë. Les différentes sanctions prises par les États-Unis contre les entreprises russes au cours des années 1990 y ont renforcé l idée d un régime discriminatoire destiné à éliminer la Russie de ses marchés et non comme la conséquence d un non-respect des engagements pris. Par ailleurs, pour de nombreux responsables administratifs et industriels, les exportations de haute technologie ont primé sur toute idée de non-prolifération, autant pour des questions de prestige que pour des raisons plus strictement économiques A. Pikayev insiste sur les effets positifs des mesures incitatives dans le cadre des rapport de forces entre les organes en charge des exportations et de leurs soutiens politiques : «More broadly, the commercial opportunities the Clinton administration created for the Russian space industry considerably altered the balance of power within the top Moscow bureaucracy. Despite generally negative domestic feeling towards further rapprochement with the West in 1993 and 1994, the prospect of financial benefits from future US- Russian space cooperation helped to consolidate the positions of those decision-makers in favour of accepting the restrictions imposed by the international missile nonproliferation regime», Alexander Pikayev et al., «Aftermath, in Rusia, The U.S. and the Missile Technology Control Regime», Adelphi Papers, vol. 38, n o 317, 1998, pp Voir sur cette approche Henry Sokolski, America s Campaign against Strategic Weapons Proliferation, Praeger, Londres, A. Pikayev, op. cit. ; Voir également Victor Mizin, «The Evolution of the Russian Approach to the MTCR: the end of a chapter?», Journal of Military and Strategic Studies, vol. 8, n 1,

178 Les résultats sont cependant plus positifs qu ils n y paraissent. Car si certaines entreprises russes sont soupçonnées d avoir alimenté les programmes iraniens, avec le soutien possible d une partie de l administration et bien après l adhésion de la Russie, et ont parfois été prises en flagrant délit de violation dans certains transferts à destination de l Irak 258, il n est pourtant pas à exclure que les risques les plus importants aient été jugulés. Ainsi, en dépit d allégations d importations de technologies de SS-4 et SS-5 (moteurs RD-214/RD-216, plus adaptés à la production de MRBM et prétendument associés au développement du Shahab-4/5) 259, l Iran ne semble pas avoir obtenu de résultats probants dans ses tentatives de sortie de la filière Scud/No Dong. Les différentes évaluations réalisées par les agences de renseignement américaines sur l achèvement des programmes Shahab-3 et Shahab-4 autour de ce type de technologie se sont, rétrospectivement, avérées exagérées 260, laissant supposer que si des transferts ont eu lieu, leur ampleur n est en rien comparable avec des cas antérieurs (prolifération du bureau d étude Makeiev vers la Corée du Nord par exemple) 261. Toutefois, si la Russie applique les normes générales du MTCR avec une plus grande rigueur depuis la décennie 2000, les retombées économiques d une application complète ont été très insuffisantes pour la convaincre de revenir sur des violations évidentes mais ne tombant pas dans le champ des transferts de catégorie I 262. L incapacité des États-Unis à prévenir les coopérations sur le BrahMos tend à soutenir cette conclusion. De ce point de vue, l inclusion au sein du MTCR de puissances balistiques autonomes, disposant de leur propre savoir-faire industriel et de marchés ne permet pas d envisager de juguler ces comportements à brève échéance, faute d incitations économiques suffisantes à le faire. La solution adoptée dans le cas de la Chine est-elle meilleure? Plutôt que d intégrer la Chine au MTCR, les États-Unis, par un processus de sanctions et de levée de sanctions visant les académies et les entreprises impliquées dans des transferts de biens ou de technologies balistiques, mais aussi par l adoption de mesures incitatives plus globales (élargissements des transferts de technologies duales), ont conduit Pékin à limiter ses transferts proliférants et à adapter sa législation pour qu elle se rapproche des normes occidentales. Paula de Sauter (Assistant Secretary for Verification and Compliance, Département d État) décrit cette relation de la façon suivante : «China made its first missile nonproliferation commitment to the United States in March This commitment was the direct result of the United States' imposition of sanctions in June 1991 on two Chinese entities the China Great Wall Industry Corporation (CGWIC) and the China Precision 258 Vente de gyroscopes par le Research and Testing Institute of Chemical and Building Machines (NIIKhSM) de Moscou prélevés sur des SLBM (ou sur des SS-18 selon d autres sources) en attente de démantèlement. Voir Vladimir Orlov, «New Details of "The Gyroscope Deal" Investigation: More than 800 Missile Components Were Transferred From Sergiev Posad, Moscow Region, to the Middle East» PIR Arms Control Letters, PIR Center, avril 1998 et Victor Mizin, op. cit. 259 Robin Wright, «Russia Warned on Helping Iran Missile Program», Los Angeles Times, 12 février 1997 ; Stuart D. Goldman et al., Russian Missile Technology and Nuclear Reactor Transfers to Iran (Congressional Research Service, décembre 14, 1998). 260 Ces dernières sont résumées dans Stuart D. Goldman et al., Russian Missile Technology and Nuclear Reactor Transfers to Iran, op. cit. 261 Voir sur le cas Makeiev, Daniel A. Pinkston, The North Korean Ballistic Missile Program, Strategic Studies Institute, février Victor Mizin, «The Evolution of The Russian Approach to the MTCR: The End of a Chapter?», Journal of Military and Strategic Studies, vol. 8, n o 1, automne

179 Machinery Import-Export Corporation (CPMIEC) in connection with the sale of M-11 missiles to Pakistan. In return for the U.S. ending sanctions on these two entities, China provided a written commitment in March 1992 to then-secretary of State Baker that it would abide by the original "guidelines and parameters" of the Missile Technology Control Regime, which the United States publicly stated were indeed applicable to both the M-9 (CSS-6) and M-11 (CSS-7) missiles. Despite this commitment, Chinese entities transferred M-11 missiles to Pakistan. In response to U.S. complaints, China indicated that the M-11 missile was not covered by the MTCR and that it was still fully adhering to its 1992 pledge. In 1993, the United States imposed sanctions on the Chinese Ministry of Aerospace Industry, CPMIEC, and the Pakistani Ministry of Defense for their roles in the transfer. In return for the lifting of these 1993 sanctions, China agreed in October 1994 in a Joint Statement with the United States that it would not transfer ground-to-ground missiles "inherently capable of reaching a range of at least 300 km with a payload of at least 500 kilograms." Nevertheless, in the years following this 1994 commitment, Chinese entities continued their missile-related sales to Pakistan and provided significant assistance to Iran and Syria in contravention of their commitments to the United States. China declared in October 1996 that its previous agreements did not cover items contained on the MTCR Annex. Following additional negotiations, in June 1998, China in a Joint Statement reaffirmed that its policy was "to prevent the export of equipment, materials, or technology that could in any way assist programs in India or Pakistan, for nuclear weapons or for ballistic missiles capable of delivering such weapons." However, despite even these assurances, Chinese missile-related transfers continued. In response to the continuing transfers, the U.S. engaged in extensive negotiations to obtain yet another nonproliferation commitment from China. These efforts culminated in a November 2000 commitment wherein China pledged not to assist "in any way, any country in the development of ballistic missiles that can be used to deliver nuclear weapons (i.e., missiles capable of delivering a payload of at least 500 kilograms to a distance of at least 300 kilometers)." In addition, China agreed to enact and publish comprehensive missile-related export controls "at an early date." In exchange for China's further promise, the United States agreed to waive sanctions that were required by United States law for past assistance by Chinese entities to the Iranian and Pakistani missile programs. New concerns soon arose with respect to China's compliance with its November 2000 commitment. A shipment of missile-related technology to Pakistan in contravention of the 2000 commitment prompted the United States to impose sanctions in September 2001 on the China Metallurgical Equipment Corporation (CMEC). In response, the Chinese Government denied that its company had shipped missile-related items to Pakistan. The Chinese Foreign Ministry, for instance, publicly stated that "[i]n-depth investigations by the Chinese side indicate that [CMEC] has never engaged in any activities as alleged by the United States and the U.S. allegation is groundless." In subsequent conversations with the Chinese on this issue, however, we have had more forthcoming exchanges on the question of CMEC and its activities» 263. La description faite par les différentes analyses américaines de la relation entre les États-Unis et la Chine sur la non-prolifération balistique au cours des années 1990 tend à démontrer que Pékin a été particulièrement sensible aux sanctions et aux restrictions de transferts technologiques adoptés à la suite d affaires de prolifération balistique et nucléaire récurrentes mais nettement moins sensible aux sanctions ciblées touchant plus spécifiquement les entreprises, les avantages économiques induits par la levée de ces dernières étant insuffisants pour entraîner une modification de la perception chinoise du phénomène proliférant. La restauration de relations 263 Paula A. DeSutter, China 's Record of Proliferation Activities, Testimony Before the U.S.-China Commission, Washington, D.C., 24 juillet

180 économiques normalisées après la fin de chaque crise semble ainsi avoir convaincu la Chine que des modifications formelles portant sur les engagements de non-prolifération balistique suffisaient à garantir la poursuite des échanges économiques et technologiques, quitte à ce que ceux-ci souffrent ponctuellement des crises de prolifération. D un autre côté, si certains aspects de la politique américaine peuvent apparaître contestables, la levée des sanctions étant liée à des engagements presque immédiatement violés, les pressions américaines continues ont favorisé l acceptation par Pékin de normes minimales, très imparfaitement mises en œuvre mais globalement convergentes avec l esprit du MTCR. Ainsi, certaines coopérations entre le Pakistan et la Corée du Nord (autour de l acquisition des technologies du No Dong) semblent avoir été motivées par la volonté explicite de la Chine de ne pas contrevenir ouvertement au MTCR en transférant des technologies de vecteurs à moyenne portée à son allié 264. L annulation du transfert des M-9 et des M-11 vers la Syrie et vers l Iran représente également un succès, même si certains transferts technologiques et industriels semblent s être maintenus, plus particulièrement vers l Iran. De même, le refus opposé par la Chine au remplacement (et au maintien en conditions opérationnelles) des CSS-2 saoudiens pourrait avoir été motivé par son adhésion de principe au MTCR et par les pressions exercées par le ministère des Affaires étrangères chinois, plus sensible que les autres administrations à l impact négatif d un nouveau contrat 265. Dans l ensemble, Pékin semble avoir plus ou moins systématiquement contourné le MTCR pour poursuivre ses activités proliférantes (voir infra), mais la nature de celles-ci a néanmoins considérablement évolué, les transferts de catégorie I s atténuant au profit des transferts de catégorie 2. La comparaison entre le cas chinois et le cas russe démontre que tendanciellement, le cadre normatif du MTCR, associé à l activisme de la politique américaine, permet la résorption des phénomènes proliférants les plus marqués, à l égard des États membres comme vers les États non membres. S il est difficile d évaluer dans quelle mesure la formule de l adhésion pourrait être préférable à la politique d alignement (Israël, Chine), les cas russe et chinois illustrent l impossibilité de leur appliquer le régime sur une base technique, dépolitisée. Tout au contraire, l existence dans ces deux États d une base industrielle relativement indépendante des bases industrielles occidentales exige que la mise en œuvre optimale du MTCR soit étroitement liée à une politique d incitation ou de rétorsion plus vaste, qui implique une appréciation politique des règles à appliquer pour obtenir un résultat globalement positif. L interprétation politique du régime par l administration américaine apparaît ainsi très clairement lors du veto opposé par le président Clinton au Iran Missile Sanctions Act adopté par la Chambre des Représentants en 1997, qui se proposait d accentuer le régime de sanctions bilatérales à l encontre des États proliférant avec l Iran, la Russie et la Chine étant les principaux visés. Dans une lettre adressée à la chambre, le président américain fait observer : «Such indiscriminate sanctioning would undermine the credibility of U.S. nonproliferation policy without furthering U.S. nonproliferation objectives. Indeed, the sweeping application of sanctions likely would cause serious friction 264 «Dr Abdul Qadeer Khan Discusses Nuclear Program in TV Talk Show», Karachi Aaj News Television (in Urdu) 1400 GMT 31 Aug 09, SAP , Open Source Center. Voir également Joseph S. Bermudez J., qui émet cette hypothèse dès («DPRK Pakistan Ghauri Missile Cooperation», note disponible sur le site de la Federation of American Scientists, 21 mai 1998). 265 Niels Aadal Rasmussen, Chinese Missile Technology Control Regime or No Regime?, DIIS Brief, Danish Institute for International Studies, février

181 with many governments, diminishing vital international cooperation across the range of policy areas -- military, political, and economic -- on which U.S. security and global leadership depend» 266. Le cas chinois est cependant assez indicatif des limites de ce type d approche, qui vise à établir un équilibre entre rétorsion et incitation mais qui se justifie également par une volonté de ne pas faire exagérément peser les politiques de non-prolifération sur les intérêts économiques et commerciaux du ou des États appliquant les pressions. L incapacité des États-Unis à maintenir des sanctions contre des entreprises chinoises multirécidivistes, dont il est connu qu elles sont associées aux organes d État (voir infra), s explique ainsi par l impossibilité de poursuivre dans le temps un régime de sanctions efficace face à un État qui dispose lui-même de capacités de représailles (fermeture de son propre marché) et qui se montre surtout réceptif à une alternance de sanctions élargies (restriction des échanges technologiques) et d incitations ou de compensations (levée de sanction, intensification des échanges commerciaux et technologiques). Dans ce sens, la question n est pas tant de savoir si la pondération politique du MTCR, qui induit une certaine tolérance pour des phénomènes proliférants identifiés, voire répétitifs, est efficace ou non, mais s il est possible de faire autrement. De ce point de vue, l entrée ou non de certains États potentiellement proliférants dans le MTCR, ou à l inverse, le maintien de leur exclusion, relèvent d une appréciation globale des avantages particuliers que ces solutions peuvent apporter, mais n induisent pas, comme cela est le cas pour des États dépendants des technologies des États déjà membres, de suspension immédiate de leurs échanges proliférants. Cette atténuation inéluctable des capacités de contrainte du MTCR est d ailleurs perceptible dans la définition qui en est désormais faite par l administration américaine qui estime que «the function of the Missile Technology Control Regime is to facilitate ad hoc coordination of export controls among likeminded exporters who desire to keep militarily sensitive technologies out of the hands of dangerous states» 267. Les aspects économiques liés à la mise en œuvre des contrôles Des divergences d interprétation substantielles sont également très perceptibles entre États partageant, a priori, la même approche des questions de non-prolifération dès lors que les problématiques économiques entrent en considération. Celles-ci sont pourtant présentes dès la naissance du MTCR. Pour les États-Unis, l objectif endogène du régime vise non seulement à harmoniser les politiques d exportations pour prévenir la prolifération, mais également à forcer cette harmonisation pour éviter les distorsions de concurrence entre puissances balistiques. Les impératifs économiques ont cependant conduit à de réels affrontements entre États membres. La France et les États-Unis ont ainsi longuement discuté des conditions de la vente de missiles de croisière aux Émirats Arabes Unis dans les années 1990 et des dossiers identiques continuent à opposer Américains et Russes 268. Le MTCR tente de concilier les impératifs 266 Statement by The President, Veto of H.R. 2709, the «Iran Missile Proliferation Act of 1998», To the House of Representatives, The White House, Office of the Press Secretary, 23 juin 1998 (déclaration en deux parties, la seconde étant adressée à la Chambre, disponible sur le site de la FAS Ballistic Missile Defense Review report, Department of Defense, L une des rares manifestations de ce débat apparaît de manière «semi officielle» dans le rapport Rumsfeld, au titre des documents de travail fournis par les experts. Denis Gormley y écrit ainsi : «Confusion over the MTCR's lack of precision in determining cruise missile range may explain France's recent decision 181

182 commerciaux des puissances dotées d industries missiles et les nécessités de la non-prolifération en autorisant la mise sur le marché de systèmes et sous-systèmes non détournables, ceux-ci n étant pas considérés comme exploitables pour un transfert sur d autres équipements ou dans le cadre de programmes de rétro-ingénierie 269. Dans ce contexte, les États-Unis (comme d autres États c est le cas de la France avec les lois sur l exportation des matériels de guerre) disposent d outils de pression complémentaires au MTCR, la stricte application des ITAR leur permettant d interférer avec la mise sur le marché de la plupart des équipements occidentaux de haute technologie. Les réglementations de la plupart des États occidentaux leur permettent de faire de même, bien que l absence de moyens réduise considérablement leur capacité à faire respecter le bon usage des licences. Les divergences d approche deviennent cependant inconciliables entre États à la recherche de marchés potentiellement proliférants mais disposant d un savoir-faire technologique les sanctuarisant de toute politique de pressions ou de sanctions. Les coopérations russo-indiennes sur le BrahMos entrent par exemple dans le domaine du MTCR au niveau de nombreux systèmes et soussystèmes sans que les États-Unis ne puissent efficacement s y opposer : les composants sont spécifiquement russes (dérivés du SS-N-26 Yakhont), limitant les effets des mesures de rétorsion bilatérales. Le problème se pose dans les mêmes termes pour les coopérations sino-turques sur le programme balistique J-600 T, le missile étant dérivé d un B-611 chinois, délibérément conçu pour ne pas dépasser les limites du MTCR (280 km pour 450 kg de charge utile), mais entrant, dans sa composition, dans les critères du régime (éléments de guidage, de propulsion, éléments structurels, etc.). Les cas russe, français et, à moindre égard, chinois mettent en exergue la difficile compatibilité du MTCR avec la logique d entreprise poursuivie par certains États pour garantir le développement de leurs industries aérospatiales, développement dépendant de contrats militaires potentiellement proliférants. Il est d ailleurs possible que les appétits économiques conduisent les États-Unis à éliminer les limites les plus sévères imposées par leur propre législation afin de restaurer leur compétitivité sur certains marchés critiques. Alors qu ils avaient tenté d imposer un certain nombre de contraintes à l Inde lors de la négociation des premiers grands contrats militaires (tentative de End-User Verification Agreement en puis évocation d une VEU indienne), la perspective de ventes massives sur le marché indien combinée au refus réitéré de New Delhi de subir des contrôles ont conduit les États-Unis à abandonner toute prétention de contrôle. En janvier 2011, toutes les entreprises indiennes liées au développement du secteur spatial et balistique présentes to offer the Apache air-launched cruise missile to the United Arab Emirates, despite strong protest by the United States. Under development since 1989, the Apache is modular in design and will be produced in several variants, all of which use the same airframe. The short-range variant, which is the apparent export version, has a nominal range of 140 km with a payload of 520 kg, which seems to place it under the MTCR's 300-km-range/500-kg-payload threshold. But by taking advantage of a higher flight altitude for a portion of its overall flight, Apache's short-range variant appears readily capable of comfortably exceeding a range of 300 km with its 520 kg payload, which would make Apache a Category 1 missile». Commission to Assess the Ballistic Missile Threat to the United States, Appendix III: Unclassified Working Papers, Dennis M. Gormley, «Transfer Pathways for Cruise Missiles», Voir par exemple l introduction de l annexe du MTCR (MTCR/TEM/2010/Annex/002, 11 th June 2010), ou encore le second paragraphe des directives du Régime. 182

183 sur l entity list du département du Commerce 270 ont été retirées 271, et l Inde placée sur le groupe des États préférentiels de l Export Administration Act (groupe A2), qui jusqu alors ne contenait que des États membres du MTCR 272. Sans surprise, Washington soutient désormais l adhésion de l Inde au Régime (que l Inde observe de manière unilatérale depuis ), adhésion qui permettra de lever toutes les ambiguïtés soulevées par l actuel «assouplissement». Il n en demeure pas moins que les ressorts de l économie, qui incitent les États à se ménager certaines libertés, peuvent remarquablement renforcer les effets du MTCR. Le développement des programmes spatiaux et balistiques des États émergeants est économiquement plus tolérable lorsqu ils bénéficient d un accès au marché international. Les contraintes économiques pesant sur ce type d activités ont été mises en évidence dans le cas du Brésil, la capacité de celui-ci à développer un programme spatial national à un coût acceptable, étroitement lié à son accès aux technologies étrangères. Le programme spatial brésilien (Veículo Lançador de Satélite VLS), initié dans les années 1960, avait pris un tour ouvertement proliférant dans le cadre de la compétition militaire avec l Argentine. Très tôt placé sous l autorité des armées par l intermédiaire de la CoBAE (Comissão Brasileira de Atividades Espaciais), le programme avait immédiatement été axé sur l acquisition de technologies civiles à des fins duales, les activités balistiques l emportant sur les activités spatiales 274, avec de fortes tentations proliférantes. La dépendance des industries locales à l égard du marché international et l insuffisance des financements nationaux ont en effet rapidement incité les industries brésiliennes (au même titre que les industries argentines dans le cadre du programme Condor) à rechercher des financements extérieurs, les principaux clients étant à l évidence les États proliférants 275. L atténuation de la compétition avec l Argentine et le sous-financement des industries combinés aux pressions exercées par les États-Unis par l intermédiaire du MTCR ont cependant conduit à une rapide asphyxie de l industrie missilière brésilienne puis au rapprochement avec le MTCR. Le cas du Brésil démontre non seulement l utilité du régime face aux puissances balistiques émergentes dépendantes du marché international, mais également la justesse de l instrumentalisation politique du régime dans ce type de configuration. En effet, il eut été probablement moins productif d appliquer au Brésil une lecture restrictive du MTCR et d exiger un renoncement complet aux activités spatiales que d accepter le maintien 270 «The Export Administration Regulations (EAR) contain a list of names of certain foreign persons including businesses, research institutions, government and private organizations, individuals, and other types of legal persons that are subject to specific license requirements for the export, reexport and/or transfer (in-country) of specified items. These persons comprise the Entity List, which is found in Supplement No. 4 to Part 744 of the EAR. On an individual basis, the persons on the Entity List are subject to licensing requirements and policies supplemental to those found elsewhere in the EAR». Définition de l entity list, donnée par BIS, disponible sur Soit les entreprises Armament Research and Development Establishment (DRDO) ; Defense Research and Development Lab (DRDO) ; Hyderabad Missile Research and Development Complex (DRDO) ; Solid State Physics Laboratory (DRDO) ; Liquid Propulsion Systems Center (ISRO) ; Solid Propellant Space Booster Plant (SPROB) (ISRO) ; Sriharikota Space Center (ISRO) ; Vikram Sarabhai Space Center (ISRO) ; Bharat Dynamics Limited Plenary Meeting of the Missile Technology Control Regime, Madrid, Spain, September Développement de missiles SS-150/300/1000, dérivés de la sonde Sonda IV, par le groupe Avibrás Indústria Aeroespacial S.A (Avibrás). 275 Dans le cas du Brésil, l arrestation en Irak de l un des pères du programme militaire, Hugo de Oliveira Piva, a mis en évidence l aspect étatique de la prolifération balistique. 183

184 d une filière spatiale civile, sous peine de le voir refuser tout compromis. A titre de comparaison, si une telle déstructuration a pu être obtenue de l Argentine, les pressions américaines pour démanteler le centre de Falda del Carmen (site de production du Condor), qui, du point de vue argentin devait permettre une relance des activités spatiales, s étaient heurtées à une fin de nonrecevoir systématique 276. Toutefois, alors que certains estimaient que l intégration du Brésil au MTCR en tant que puissance spatiale accentuait mécaniquement le risque de développement d une composante balistique et donc le risque proliférant (approche alors défendue par les administrations Reagan et Bush) 277, l atténuation des pressions de sécurité justifiant le développement d une capacité nationale (fin de la compétition avec l Argentine), l étroitesse du marché balistique légal, les retombées économiques évidentes liées au respect du MTCR et les risques économiques et politiques liés à la prolifération ont conduit l industrie brésilienne à se spécialiser sur des niches (lance-roquettes de type Astros II) plutôt qu à développer de manière autonome des activités duales. Si le Brésil dispose encore d un secteur spatial, le risque proliférant posé par celui-ci est désormais relativement faible, le programme étant très dépendant de l assistance internationale. Il existe néanmoins et, de ce point de vue, il est indéniable que l approche non coercitive du MTCR favorise l émergence d acteurs industriels multiples disposant d un potentiel proliférant réel. Ce potentiel est toutefois très contraint par les législations nationales (mises à niveau dans le cadre de l adhésion et périodiquement révisées), par les coopérations internationales avec les États occidentaux (notamment les États-Unis) et par les contraintes qui peuvent être attachées à l inclusion de technologies d origine occidentale soumises à des impératifs de non-réexportation. Ce risque se trouve démultiplié lorsque les industries des États membres ne sont pas intégrées dans un tissu industriel plus vaste lui-même fortement contraint par des normes non-proliférantes, c'est-à-dire dans un tissu soumis aux réglementations ITAR américaines. Tel est le cas pour la Russie, dont la plupart des missiles sont encore développés sur une base nationale, sans licences américaines. Dans ce cas de figure particulier, les difficultés qui découleraient de l exclusion de la Russie du MTCR ou celles liées au fait de lui imposer un régime de sanctions destiné à juguler ses activités proliférantes conduit la logique de soutien du secteur industriel par l exportation, dont la Russie ne peut se passer, à entrer directement en conflit avec les engagements du MTCR, sans que des moyens de pressions parallèles puissent être utilement appliqués. En 1997, soit deux ans après que la Russie ait été admise au sein du MTCR, Alexander Pikayev (alors conseiller de la Commission de défense de la Douma) annonçait ainsi déjà ce que serait l approche russe dans les années à venir : «Regarding the MTCR, there are several issues which threaten to undermine Russia's adherence. One problem lies in the fact that MTCR restrictions have significantly altered traditional Russian missile export policy. The reorientation of Russian export controls was a very difficult task, and, of course, it was not surprising that there were some major difficulties in modifying the rules of Russian missile exports, notably the cryogenic missile deal with India in This reorientation 276 Janne E. Nolan rappelle le caractère symbolique et non rationnel des programmes spatiaux et balistiques des puissances émergentes (J.E. Nolan, Trappings of Power, op. cit.). De ce fait, le maintien de capacités symboliques, qui permet d envisager la continuation de programmes civils et la possible résurgence de programmes militaires indépendamment de considération économiques, est également un élément important. 277 Brian G. Chow, Emerging National Space Launch Programs: Economics and Safeguards, op. cit. ; Heny Sokolski, Amercica s Campaign against Strategic Weapons Proliferation, op. cit. 184

185 is especially important, because the Russian missile industry is perhaps the only industrial sector which possesses high technology and technological competitiveness in international markets. In Russia's current economic situation, missile exports are considered to be critical to the survival of this industry and to the survival of Russia's high-tech capability» 278. Dix ans plus tard le constat reste le même 279 et s applique probablement avec autant de force à l Ukraine 280. Le problème est amené à s étendre, l industrie européenne tentant de s affranchir de l ITAR sur certains secteurs stratégiques (phénomène «ITAR free» dans le domaine satellitaire par exemple) et certains industriels élaborant des solutions exploitant systématiquement des composants civils. Du point de vue américain, le phénomène ITAR free a déjà un impact tangible en termes de non-prolifération, le programme Blue Lantern 281 montrant depuis 2009 un accroissement spectaculaire du non-respect des ITAR avec les entreprises européennes appliquant des programmes ITAR free et un accroissement du commerce d équipements jugés comme stratégiques vers la Chine. Certes, les ITAR ne peuvent être reconnues comme un étalon international en matière de non-prolifération, mais la coïncidence des deux phénomènes (ITAR free relance du commerce stratégique avec la Chine) est néanmoins notable 282, tout comme le refus croissant des industries européennes de coopérer avec les États-Unis dans le cadre de Blue Lantern et leur volonté de gérer leur commerce suivant les règles de non-prolifération moins contraignantes pour elles. Si cette tendance risque de n avoir qu un impact négligeable dans le domaine balistique, elle pourrait affecter plus nettement les technologies des missiles de croisière et des UAV. 278 Intervention de Alexander Pikayev, dans la seconde table ronde (Countaining Missile Proliferation) du séminaire de la Carnegie Endowment for Peace, Strategic Arms Control Moment of Decision?, 11 juin 1997 ( 279 «The defense industry complex is perhaps the only sector that could help Russia effectively integrate into the global economy. The defense industry complex (DIC) has survived and continues to exist mainly thanks to the export of arms and military equipment. The perceived profitability of this export sector, however, is exaggerated. The profitability of the export of arms and military equipment today is contingent on the zero cost of production assets inherited from the Soviet Union; the work force trained in the Soviet era, and the stock of completed research projects awaiting application that are not included into production costs. Yet, in launching new products, DIC enterprises will have to pay for R&D projects, new equipment, and personnel training. This will sharply reduce the competitiveness and economic efficiency of the export of arms and military equipment. Hence the need for a far-reaching reform of the entire complex» Vladimir Rubanov, «On the Cooperation with NATO in Defense Industry», International Affairs, n 6, Au-delà des trafics supposés avec l Iran et la Chine (Kh-55), Kiev montre des réticences évidentes à appliquer le Régime, les États-Unis l accusant de se livrer à des transferts de catégorie I. Voir par exemple WikiLeaks Cablegate: Ukraine ignores US objection on missile technology transfer to India et document Wikileaks sur : html 281 Programme portant sur la vérification de la bonne application des ITAR pour les entreprises exploitant des licences américaines. 282 Voir pour plus de détail le End-Use Monitoring of Defense Articles and Defense Services Commercial Exports FY 2009 Directorate of Defense Trade Controls, U.S. Department of State. 185

186

187 Annexe 2 PAKISTAN : INPUTS DERIVED FROM FRENCH AND CHINESE TRANSFER OF TECHNOLOGY Source : Rajaram Nagappa, An Assessment of Ballistic Missile Production Capacity in Pakistan, National Institute Of Advanced Studies,

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