Maïti Goldman. Merci Blaise! et autres nouvelles

Transcription

1 Maïti Goldman Merci Blaise! et autres nouvelles 2

2 Du même auteur : L Amour à point d âge, Édilivre 2009 Femmes, femmes, femmes, Édilivre 2011 La veuve d Arcachon, Édilivre 2011 Couleur bleu lavande, Édilivre 2012 Photo de couverture : Françoise Gautier (Détail de la tombe de Blaise Cendrars au Tremblay sur Mauldre, Yvelines) 2

3 Sommaire Merci Blaise!... 7 J irai fleurir votre tombe Le long voyage d Arnaud Rendez-vous Le Sapin à deux Têtes Arrêt sur image

4 24

5 Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, C est doux, la nuit, de regarder le ciel. Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry 2 5

6 26

7 Merci Blaise! Aujourd hui, à quatorze ans, Clémence se souvient parfaitement des obsèques de son père. Elle se rappelle avec précision chaque détail du déroulement de cette journée. Elle n avait pas quitté Maman pendant une seconde, et dans la voiture qui roulait très lentement, elle s était littéralement collée contre elle. Au cimetière, ils avaient tous les trois marché derrière le cercueil, Maman tenant Thibault et elle par la main. Elle se souvient de ce trou, qui lui avait semblé affreusement profond, dans lequel on descendait le cercueil, et elle entend encore le cri de grand-mère hurlant le prénom de son fils. Maman n avait pas bougé, serrant juste un peu plus fort la main de Clémence, et probablement celle de Thibault aussi. Alors que les gens jetaient des roses dans ce trou profond, une grosse pluie d orage d été s était abattue sur eux. Immédiatement des parapluies s étaient ouverts, et quelqu un en avait tenu un au-dessus de leurs trois têtes. La pluie était tombée avec une telle force qu instantanément les cheveux de Maman avaient été détrempés, et ses nattes à elle aussi. Ils étaient restés tous les trois au 2 7

8 bord de la tombe, cependant que le cercueil se couvrait de roses, jusqu au départ de la toute dernière personne, hormis les employés des pompes funèbres. Puis Maman s était retournée brusquement pour partir, elle aussi, et avait heurté la personne qui tenait le parapluie au-dessus de leurs têtes, et failli perdre l équilibre et basculer dans le grand trou noir. Clémence ne se rappelle plus qui tenait ce grand parapluie noir. Maman les avait tirés assez brusquement, comme si quitter cet endroit était devenu très urgent. Ils étaient remontés tous les trois dans la voiture des pompes funèbres, qui les avait reconduits jusque devant la porte de leur maison. En rentrant dans le hall, Clémence avait immédiatement réalisé le vide qui désormais régnait dans cette maison, et elle avait voulu faire le vide dans sa tête aussi. Oublier cette journée, oublier ce trou noir, oublier cette pluie qui les avait trempés jusqu aux os. Elle avait couru vers sa chambre, ouvert l armoire et sorti des vêtements secs. Puis, dans la salle de bains, après s être bien frictionnée, comme le lui avait appris Maman, elle s était rhabillée. Elle avait mis des habits gais, qui n avaient rien à voir avec cette journée sombre. Elle avait jeté avec rage ses vêtements mouillés dans la corbeille. Plus jamais elle ne voudrait les remettre. Elle avait retrouvé Maman et Thibault dans la cuisine. Maman s était contentée de se sécher les cheveux, ainsi que ceux de son frère, qui étaient restés en bataille. Il était trop petit pour s en soucier. Maman l avait regardée avec un peu d étonnement, mais sans faire aucune remarque sur sa nouvelle tenue. «Je prépare une tartine pour Thibault, tu veux aussi manger quelque chose?» 28

9 Clémence s était coupé un bout de baguette et avait commencé à le beurrer, puis elle avait sorti une bouteille de lait du frigo. «J aimerais boire un chocolat chaud». «Bonne idée, dit-maman, je vais en faire pour nous trois». Et elle avait versé le lait dans les bols et les avait réchauffés au four à micro-ondes. Grand-mère, que des voisins avaient ramenée un peu plus tôt, se reposait sur le canapé du salon. Dès le lendemain Clémence était retournée à l école. Ses camarades l avaient accueillie avec des cris de joie, heureux de la retrouver après plusieurs jours d absence. La maîtresse avait été très gentille et prévenante. Mais Clémence avait décidé de se conduire comme d habitude, elle avait décidé de tout oublier et de reprendre sa vie comme avant. Sa vie d avant la maladie de Papa. Papa, c avait été les jeux, les rires, la course à travers le jardin, la maison, des vacances à la mer ou à la montagne. Parfois il essayait d être sévère, mais il n y arrivait pas trop. Il faisait crier Thibault quand il faisait semblant de ne pas arriver à l attraper, avant qu il se réfugie dans les jupes de Maman. «Il court trop vite ce petit, je n y arriverai jamais», disait-il. Et Maman, en riant, entourait Thibault de ses bras, comme pour le protéger d un grand danger. Clémence, elle, savait qu il n y avait là aucun danger. Papa pourrait attraper Thibault aisément s il le voulait. Elle se souvenait vaguement qu il en avait fait autant avec elle avant. Puis, Maman avait commencé à rire plus rarement ; elle semblait préoccupée. Papa courait moins souvent après Thibault. Clémence entendait ses 2 9