Sommaire. Fais tomber mes murs... 5 Je n avais pas prévu de mourir aujourd hui Une journée dans La Ruche Le trou de l ozone...

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3 Sommaire Fais tomber mes murs... 5 Je n avais pas prévu de mourir aujourd hui Une journée dans La Ruche Le trou de l ozone

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5 Fais tomber mes murs Tu vois Lydie, aujourd hui tout s est bien passé. J ai pas eu mal à la tête. Ou alors pas beaucoup. Tellement pas beaucoup que je n y ai pas pensé. C était «insignifiant» comme dit papa. Mon mal était insignifiant parce que toi tu étais là. Toute la journée. C est pour ça. Je n ai pas dit que tu étais là. Je risquais pas. Je sais que c est pas bien de mentir mais si j avais dit que tu étais là, papa et maman m auraient grondé. Alors j ai rien dit parce que j aime pas quand ils me grondent. Et puis quand tu es là et que je ne le dis pas, ma tête elle peut rester ronde plus longtemps. Toute ronde. Comme un ballon de foot. Comme mon ballon de foot. Mon ballon de foot je l aime bien parce qu il reste toujours rond. Mais ma tête non. Hier tu n es pas venue. Pourquoi? Tu es fâchée? J ai fait quelque chose de mal? Je me pose des tas de questions. Je suis toujours en train de me poser des tas de questions quand tu viens pas. C est que j ai toujours peur de te fâcher. Je voudrais que tu sois jamais fâchée. Comme tu n es pas venue j ai pas pu te parler. Et ça me manque. Ma tête battait comme un tambour. Boum, boum, boum, partout à l intérieur. Ça fait boum boum 2 5

6 à l intérieur mais on ne voit rien à l extérieur. Et quand ma tête fait comme ça, je bafouille, je peux à peine ouvrir les yeux, même je bave. Maman dit que je suis «en crise». C est comme ça qu elle dit. Et quand je suis en crise, maman elle me quitte pas d une semelle et je peux pas te voir ni te parler. C est peut-être pour ça que tu n es pas venue. Tu te méfies. Tu viens toujours quand je suis seul. C est mieux quand je suis seul. Mais si tu étais venue ma tête n aurait pas fait boum boum boum. Tu le sais bien. Tu aurais dû venir. Des fois je t en veux quand tu viens pas. Et puis je me dis qu il faut pas parce que tu risquerais de plus venir. Alors j arrête de t en vouloir. Papa et maman se fâchent tout rouge quand je leur parle de toi. Je crois bien qu ils ne t aiment pas. Et pourtant je sais que si je pouvais te parler quand ma tête est serrée entre ses quatre murs, tellement serrée que je crois qu elle devient de plus en plus petite, comme une balle de tennis, tu pourrais tout arranger. Tu saurais comment faire pour desserrer mes murs et les faire tomber. Rien qu en me regardant. Rien qu en me souriant. Je le sais. Je le sens. Mes murs s écrouleraient. Et ma tête respirerait comme il faut qu une tête respire. Je le dis au docteur. Celui que je vais voir. Il ne vient jamais à la maison. C est maman qui m accompagne. Mais quand je rentre dans son cabinet, maman reste dehors. Son cabinet il ne ressemble pas à un cabinet de docteur. Il ressemble à un salon. Sans la télévision. Je me demande si c est bien un docteur. Mais il paraît que oui. Il faut que je lui parle. Que je lui explique tout. Où j ai mal. Quand j ai mal. Comment j ai mal. Il ne se fâche pas tout rouge quand je lui parle de toi. Il m écoute. Il me regarde et il m écoute. Et puis il m explique des choses. Il dit qu il ne peut pas encore 26

7 tout m expliquer. Mais ce qu il m explique me fâche parce que j aime pas ce qu il m explique. Ça m énerve. Et mes murs reviennent. Parfois ils me prennent par les joues, de chaque côté. Et ma tête s étire vers le haut. Et vers le bas aussi. Elle devient mince, mince, aussi mince qu une crêpe. Mais ça ne se voit pas à l extérieur. Parfois ils me prennent par le menton et le haut du crâne et ma tête s aplatit. Mes yeux rejoignent ma bouche. Et je ne peux plus y voir, et je ne peux plus parler. Mais quand ils sont quatre, c est là que ça fait le plus mal. Mais mal! Ma tête devient petite comme une balle de tennis. Et même plus petite. Je sais pas si ça existe une balle plus petite qu une balle de tennis. Moi j en ai jamais vu. Mais ma tête elle doit être comme ça. Je crie. Je pleure. Quand je suis dans le cabinet du docteur, il fait rentrer maman. Elle me berce. Mais rien n y fait. Ni le docteur. Ni maman. Toi tu pourrais. * * * Je chuchote. Tu sais pourquoi je chuchote. Il faut que personne ne m entende. Il faut qu on reste que tous les deux. Rien que toi et moi. L un en face de l autre. J aime quand tu viens t asseoir dans mon petit fauteuil rouge. Celui du Père Noël. Il est doux. C est de la peluche, comme mon nounours. Mais mon nounours il est pas rouge. Ce serait rigolo un nounours rouge! Mais il est blanc. Enfin quand il est propre! Il faut dire que je le traîne partout. C est le remplaçant de mon fauteuil. Comme je ne peux pas emporter mon fauteuil, j emporte mon nounours. Mais je préfèrerais emporter mon fauteuil, tu penses 2 7

8 bien. Mais je peux pas. Je te le prête mon fauteuil. Je suis content de te le prêter. Et toi aussi tu es contente que je te le prête. Tu me souris tout le temps. Et ton sourire me calme. Il me remplit la tête de bulles légères, légères Comme les bulles de savon que je fais quand je souffle dans le petit appareil exprès. Mais les tiennes sont de toutes les couleurs. Et plus grosses. De grosses bulles rouges, vertes, bleues. Celles que je préfère c est les jaunes. Mais il n y en a pas tous les jours. C est dommage. Tu devrais en apporter plus souvent. Mais peut-être qu elles sont rares les jaunes. Mais elles sont si belles! Comme des soleils. Elles me réchauffent. Elles m éclairent. Elles me font cligner des yeux. C est beau toutes ces bulles. Elles flottent derrière mes yeux, mes oreilles. Elles naviguent légèrement. Toujours à l intérieur. Sans bruit. Elles passent derrière mes oreilles et font une petite musique toute douce. Je les sens qui me chatouillent le nez. Et je ris. Et puis elles éclatent. Et pourtant je fais attention. Et quand elles éclatent tu t en vas et la douleur et les murs reviennent. Insupportables. Et je crie. Et je pleure. Et maman me berce. Et je t appelle. Maman me gronde. Il ne faut pas que je t appelle, que je te voie. Papa et maman disent que si je suis malade, c est à cause de toi. Ils ne t aiment pas. Le docteur dit que tu m empêches de guérir. Qu il faut que «je coupe le lien». C est comme ça qu il dit. Je trouve que c est compliqué. Au début, il me questionnait. Quel âge a-t-elle? Mon âge. Elle a toujours mon âge. On grandit ensemble. Quand c est mon anniversaire, c est le sien aussi. Comment est-elle habillée? Comme une princesse. D ailleurs tu es une princesse. Ses vêtements brillent, tout brille quand elle est là, on dirait que sa lumière 28

9 vient de l intérieur. C est pas la même lumière que celle des ampoules. Et elle entourée de bulles multicolores qui entrent dans ma tête et qui enlèvent ma douleur. Et ma tête reste ronde et je suis content. Qu est-ce qu elle te dit? Rien. Rien? Non. Elle ne parle pas. Elle sourit et m envoie ses bulles. Et ma tête les avale. Elles rentrent par mes yeux, mon nez, mes oreilles. J ouvre grand la bouche et je les bois. Je suis bien. Elles me lavent tout l intérieur. Elles enlèvent tout ce qui est pas beau. Tout ce qui fait mal. Et mes yeux sont plein d étoiles. Quand il y a les jaunes je suis encore plus content. Mais les jaunes, elles sont pas là tous les jours. C est dommage. Quand vient-elle te voir? Quand je n ai pas mal. Elle est toujours là quand je n ai pas mal. Et quand elle part, j ai mal. Parce que les bulles éclatent. Et tout ce qui est laid revient. Et ça fait mal à l intérieur. Et les murs arrivent. Toujours. Ils viennent quand les bulles ne sont plus là. Ils en profitent. C est Lydie qui me protège et qui fait tomber mes murs. Pourquoi est-ce que tu l appelles Lydie? Parce que c est son nom. Est-ce que tu connais une autre Lydie? Non. Elle est toute seule. Il ne peut pas y avoir une autre Lydie. Tu en es vraiment sûr? Oui parce que c est une princesse et il n y a pas deux princesses. Une princesse elle est unique. Pourquoi? Parce que c est une princesse. Une princesse elle est rare sinon elle ne serait pas une princesse. Tu es sûr que tu ne connais pas une autre Lydie? Oui. Sûr sûr? Oui. Sûr sûr. Tu ne me mentirais pas n est-ce pas? Non. Croix de bois croix de fer! Oh alors! Combien de temps reste-t-elle? Ça dépend. Des fois longtemps, elle reste même la nuit. Quand je me réveille elle est là assise et elle me regarde. Et je suis bien. Et ma tête reste ronde. Et 2 9

10 papa et maman croient que les remèdes «font effet». Ils sont contents et moi aussi. Des fois pas longtemps. Des fois elle ne s assoit pas sur mon fauteuil rouge du Père Noël et je suis triste. Pourquoi est-ce qu elle ne s assoit pas? Je sais pas. Je voudrais bien le savoir. Je le lui demande mais elle ne parle jamais J aimerais bien qu elle parle. Elle ne doit pas pouvoir. Comment on appelle les gens qui ne peuvent pas parler? Ils sont muets. Vous croyez qu elle est muette? Je ne sais pas. Qu est-ce que tu en penses? Une princesse, elle devrait pas être muette. Moi je pense qu elle peut parler mais qu elle est fâchée contre moi. Et pourtant je fais attention. Tu fais attention à quoi? Au fauteuil. C est son fauteuil. Il doit être toujours à la même place. Je vérifie. Mais des fois elle reste quand même debout. Elle paraît fâchée? Elle fronce les sourcils? Non. Elle me regarde. Sa robe de princesse est longue et elle touche le parterre. C est beau. Mais comme elle reste debout je sais que les bulles ne vont pas flotter longtemps, qu elles vont éclater et que j aurai mal. Et maman dira qu il va falloir «changer le traitement», «trouver autre chose». Les bulles éclatent toujours quand elle s en va? Oui. Tant qu elle est là, ses bulles me protègent. J aimais quand il me posait ces questions parce que j aime parler de toi. Maintenant il ne me questionne plus. Il me dit qu il faut trouver une solution. Et il m explique, comme papa et maman, que tu m empêches de guérir. Je croyais qu il t aimait. Mais il ne t aime pas. * * * 210