Mark Rudkin. Portrait d un paysagiste d aujourd hui. Art des Jardins

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1 Art des Jardins Portrait d un paysagiste d aujourd hui Mark Rudkin 20 JARDINS DE FRANCE MARS 2007 En exclusivité pour les lecteurs de Jardins de France, l un des grands paysagistes d aujourd hui s exprime sur la naissance de sa vocation et les plus belles de ses réalisations. Deux personnalités du monde des jardins ont bien voulu y joindre leurs propres témoignages.

2 Enfant, je rampais avec joie sur les gazons, j adorais chaque brin d herbe, chaque petit insecte ailé, tous aussi envoûtants qu un papillon. Nous habitions une grande propriété à la campagne. Ma mère s occupait des jardins à fleurs, mon père des arbres et des arbustes : il avait planté mille pommiers. En grandissant, je commençais à partager leurs passions : j avais un petit jardin à moi, pas vraiment beau, mais avec le temps j ai pu en acquérir une meilleure compréhension. Un de mes frères avait épousé une jeune fille dont la mère était une paysagiste réputée. Je l estimais énormément, et entre seize et dix-huit ans j ai beaucoup travaillé avec elle. Elle disposait par ailleurs d une grande influence sur mes parents, et elle leur a permis d améliorer les plantations autour de notre résidence. C est ainsi que j ai emprunté tout doucement un itinéraire de jardinier et de paysagiste. En France où je suis venu vivre dans les années 1950, j ai visité nombre de parcs et jardins, appréciant beaucoup l architecture classique et celle du Moyen Âge. Puis je suis parti découvrir l Autriche, l Angleterre, l Irlande, le Maroc et d autres pays où je continuais à apprendre. En 1967, j ai acquis deux hectares de sous-bois à l est de la vallée de Chevreuse. Il y avait de beaux arbres : châtaigniers, chênes, bouleaux, et un sol acide. J ai commencé par planter quantité de rhododendrons et de camellias, et avec les années tout s est fortement développé. Puis mes voisins en bas du sous-bois ont pris leur retraite et m ont vendu leur terrain. Il était plat alors que mon domaine était très en pente. J ai pu créer un jardin dessiné avec des haies de buis, de charmes et de cyprès de Lawson. Ce n est pas un espace à la française, plutôt un mélange de sensibilités internationales, fruit de mes voyages, de mes livres pleins d illustrations et de mon enfance. Il fut souvent photographié et fit l objet de plusieurs recensions. Accédant au Bois du Fay par le haut de la propriété, le visiteur descend vers la vallée en découvrant des paysages de plus en plus saisissants. MARS 2007 JARDINS DE FRANCE 21

3 En 1992 Jack Lang, alors ministre de la Culture, m a proposé de reprendre les jardins du Palais-Royal. Peu après, je me suis investi dans ceux du château de Blérancourt, le musée de la coopération franco-américaine. Depuis, j interviens chaque année au Palais-Royal, et à Blérancourt de temps en temps. Daniel Terra m a demandé ensuite de réaménager l espace en façade du Musée d art américain de Giverny. Plus récemment, Félix Rohatyn, ambassadeur des États-Unis en France, a voulu que j intervienne pour rénover les espaces extérieurs de sa résidence, et nous avons tout refait. J ai également réalisé quelques petits jardins privés à Paris. Peut-être en ferai-je d autres? Mark Rudkin Les jardins du Palais-Royal, redéfinis par Mark Rudkin. MARK RUDKIN Un Américain à Paris Paula Deitz Mark Rudkin apporte une nouvelle touche aux jardins, avec un style flamboyant qui met l accent sur de généreuses plantations en camaïeu. Enfant, il exerça ses talents à Fairfield dans le Connecticut, en cultivant des bordures aux côtés de sa mère Margaret Rudkin, fondatrice de la célèbre entreprise de biscuits Pepperidge Farm (qui tire son nom de l arbre à gomme poivrée qui poussait sur leur terrain). À la suite de ses études universitaires, il apprit la danse à New York avec Martha Graham. Le sage conseil que celle-ci lui donna en 1954 il est temps que tu ailles à Paris transforma son existence. Il vit en France depuis cette époque. Il se lança dans la peinture et excella à la fois dans le style figuratif et expressionniste abstrait, mais sa sensibilité fut de nouveau réveillée lorsqu il visita en 1981 le jardin de Sissinghurst en Angleterre. J ai été ébloui par l architecture du site et ses plantations, cela m a donné l envie de créer mon propre jardin. C est ainsi qu il forma le projet du Bois du Fay dans la petite ville du Mesnil-Saint-Denis, au sud-ouest de Paris. Surplombant une vallée tapissée de champs cultivés, les structures du jardin et les espaces boisés à flanc de colline combinent formalisme et luxuriance sauvage. Les pièces de verdure s ouvrent au fil d une allée centrale plantée de charmes. Dans la roseraie, bordée de banquettes de buis sur fond de hêtres bigarrés, s épanouissent aussi des compositions de lilas et de sédums d automne. Dans le jardin blanc, des pavements du XVII e siècle, contenus par des boules de buis, délimitent des parterres de digitales et de roses anciennes. Enfin à l arrière-plan, une clématite s enroule autour d un treillage. Des épis de delphiniums confèrent hauteur et contour au jardin bleu. Sur un terrain en pente boisé de chênes et de marronniers, entremêlés de camellias et de rhododendrons, le sol est tapissé de fougères, de cyclamens et de crocus qui fleurissent au printemps et à l automne. 22 JARDINS DE FRANCE MARS 2007

4 Mark Rudkin, paysagiste La communauté des amoureux de jardins compte en France un petit nombre de créateurs sublimes, paysagistes au double sens du terme, artistes peintres et jardinistes, d autant plus discrets à l égard de leurs réalisations que leur œuvre s inscrit généralement hors des circuits commerciaux : Ferdinand Bac dans l entre-deux-guerres, Mogens Tvede dans les années , Mark Rudkin aujourd hui. Mark Rudkin a réalisé des espaces particulièrement enchanteurs. Son chef-d œuvre au regard de beaucoup demeure sa propriété du Bois du Fay au Mesnil-Saint-Denis dans les Yvelines, qu il ouvre généreusement au public lors des Rendez-vous aux jardins en juin et des Journées du patrimoine en septembre. Le site pouvait apparaître ingrat : un boisement à flanc de collines pentues, donnant sur un plateau modérément étendu. Au cours des années, cet espace va néanmoins se transformer progressivement en une féerie paysagère. Le visiteur, qui accède au Bois du Fay par le haut de la propriété, est invité à prendre un sentier qui descend sur la vallée. Au fil du cheminement s offrent à lui des visions de plus en plus saisissantes. Ce sont tout d abord des arbustes d intérêt par leur port, feuillage, couleurs, etc. étrangers à la végétation locale qu il rencontre sur son itinéraire, puis des percées sur les collines ouvrent sur d autres compositions végétales intégrées dans le boisement. Et tout se multiplie au fil de la descente pour aboutir en éblouissement sur un plateau aménagé en compartiments d une élégance infinie. Un parcours magique! Mark Rudkin, qui ne s était encore jamais exprimé publiquement, a bien voulu accepter de nous confier quelques éléments de réflexion sur son œuvre de paysagiste. Deux autres personnalités du monde des jardins, qui ont pu apprécier depuis de longues années son travail, nous ont également fait l honneur de nous apporter leur concours : Paula Deitz est rédactrice en chef de la Hudson Review, importante revue d art et de littérature. Elle collabore par ailleurs à divers périodiques en matière d architecture, de décoration et d art des jardins, et s exprime régulièrement dans le New York Times. Elle a rédigé plusieurs catalogues d exposition et prépare actuellement un ouvrage sur l itinéraire de Thibaut de Champagne, poète du XIII e siècle. Passionnée d horticulture, Paula Deitz connaît bien notre pays, ses fêtes des plantes et nos jardins. Judith Pillsbury vit en France. Bien connue des historiens d art, des conservateurs de musée et des grands amateurs, pour animer une librairie spécialisée dans l estampe ancienne, elle est devenue propriétaire du domaine de La Louve dans le Luberon, qui lui a été cédé dans ses derniers jours par une grande dame de l art des jardins en Provence, Nicole de Vésian. Cet espace est régulièrement ouvert au public lors des Journées du patrimoine. Judith Pillsbury est par ailleurs membre fondateur de l Association des parcs et jardins de Paca. À tous trois, nous exprimons notre plus chaleureuse gratitude pour avoir permis à Jardins de France de réunir ces contributions. Norbert Parguel Section Art des Jardins AGNES JEANJEAN Les jardins du château de Blérancourt. MARS 2007 JARDINS DE FRANCE 23

5 De longues promenades au sein des bordures colorées des parcs parisiens notamment à l époque dans les jardins du Luxembourg ainsi qu à travers les champs de fleurs de Provence, ont contribué au style unique de Mark Rudkin. Dans les jardins clos du Musée franco-américain du château de Blérancourt, près de Compiègne, il a tapissé les parterres de plantes des Amériques, usant d une palette d été finissant, avec des couleurs lavande et dorées. À l instar d une peinture abstraite, on y trouve des interventions surprenantes, par exemple lorsque dans un aplat monochrome se dresse une plante d une couleur différente. Au pied d un rideau de peupliers d Italie, une cabane de jardinier adossée au mur fournit un environnement accueillant pour des plantations de tournesols et de cosmos orange, séparées de vagues d asters de toutes tonalités, par des thuyas. Travailler près du jardin de Claude Monet pour le Musée américain de Giverny représenta aux yeux de Mark Rudkin une sorte de couronnement. Le long de la rue principale, une série de jardins clos rappelle les espaces fleuris des maisons du village. Édifié sur une terrasse à flanc de colline, le bâtiment bas du musée en pierre calcaire forme un contrepoint aux arches en treillage métallique sur lesquelles grimpent des glycines et des belles-de-jour. Les plates-bandes alternées de lavande et de santoline apportent un complément à la fois architectural et agraire. Le jardin aboutit à deux champs fleuris de cosmos blancs, Au Bois du Fay, les structures du jardin et les espaces boisés combinent formalisme et luxuriance sauvage. Le Bois du Fay fut particulièrement apprécié des spécialistes. Dans un premier temps, des amis firent appel aux conseils de Mark Rudkin, puis quelques commandes officielles arrivèrent, parmi lesquelles celle de redéfinir les espaces fleuris du jardin du Palais-Royal, négligés depuis longtemps. Pas de plantes rares ou chères indiqua-t-il pour la restauration de ce jardin, établi sur un plan conçu en 1730 par le fils du duc d Orléans. Il apparaissait inutile de transformer les parterres historiques, mais l idée fut de planter des massifs irréguliers de plantes annuelles formant une unité de couleur avec de subtiles différences de tons. Contenus par des tilleuls profilés et de petites barrières couvertes de lierres et de chèvrefeuilles, les parterres surélevés furent ornés de nicotianas, pétunias, verveines et héliotropes, disposés autour d une pelouse centrale. Un autre été, des nuances de bleus le cédèrent au jaune et au blanc. et des graminées ont été plantées pour border un pré dans le paysage environnant. Ces jardins, conçus par Mark Rudkin pour un musée dédié aux Impressionnistes américains qui travaillèrent avec Monet, forment une nouvelle marque d admiration d un artiste du Nouveau Monde au maître de Giverny. [Traduction Emmanuelle Ertel] 24 JARDINS DE FRANCE MARS 2007

6 Témoignage Judith Pillsbury J e connais Mark Rudkin depuis mon arrivée à Paris en 1965, il y a donc plus de quarante ans. En 1973, mon mari et moi avons acquis rue du Bac un appartement en rez-de-chaussée avec, par bonheur, un jardin de plus de 400 m2. Cet espace en contrebas de la cour de l immeuble, demeuré longtemps à l abandon, conservait quelques forsythias, des aucubas, des bordures de buis, des fougères, cinq grands érables, un magnifique figuier et beaucoup de gravier. Il était ombragé et donnait sur un mur élevé couvert de lierre, ce qui lui conférait un aspect relativement privé. Outre le figuier, l élément le plus intéressant résidait dans un bel escalier descendant de la cour de l immeuble ; aussi l endroit était-il par ailleurs protégé du vent. Le terrain s ouvrait à son extrémité sur une enfilade de jardins apportant de la clarté en hiver, du mystère en été. Quand Mark vit la propriété pour la première fois durant l hiver 1973, il travaillait déjà au Bois du Fay son propre jardin et apprécia ma chance de pouvoir disposer d un si bel espace. Il m encouragea à visiter les expositions florales de la RHS à Vincent Square (les manifestations comme celles de Courson et S a i n t - J e a n - d e - Beauregard n existaient pas à l époque, le seul diffuseur de plantes rares en France était alors Léon Goarant, dont le bureau se trouvait près de la gare du Nord). En 1974 nous effectuâmes un voyage de deux jours en Angleterre pour visiter Wisley, propriété de la RHS, et Sissinghurst. C est au cours de ce séjour que je compris qu un jardin pouvait être comparable à une œuvre d art. Entre-temps, j avais commencé à redonner vie à mon domaine : le gravier avait été retiré et une écurie démolie. Les pierres de récupération servirent à l aménagement de chemins, puis d une terrasse. Connaissant enfin mieux les nécessités du sol pour les plantes, je fis procéder à un apport important de terre de bruyère dans une partie du jardin. Dans les années 1980, Mark avait fait la connaissance de Michel Boulcourt, alors attaché au Jardin des Plantes. Ils commencèrent à travailler ensemble, et leurs réalisations faisaient mon admiration. Ayant compris combien les aspects architecturaux étaient importants, mon mari et moi demandâmes à Mark et Michel de bien vouloir nous aider. Nous voulions créer une composante aquatique, harmoniser les aspects du jardin avec la disposition de l immeuble, et conférer à l espace une sorte de géométrie tempérée par la végétation. L élément minéral étant déjà présent en abondance (le haut mur derrière le figuier, la voie d accès à l ancienne écurie), nous décidâmes d introduire des traverses de chemin de fer, le bois apparaissant comme un matériau plus doux. Vis-à-vis du terrain long et étroit, une différenciation fut effectuée en réalisant un compartiment carré, centré sur le figuier et un bassin-miroir, puis un espace rectangulaire en pelouse de façon à créer un salon d extérieur. Ces deux structures devaient enfin être soutenues et valorisées par des massifs arbustifs élevés : camellias, viornes, houx, mahonias, et plus tard hydrangeas et cornouillers du Japon. L apport le plus marquant de Mark Rudkin résida dans son sens des volumes. Il groupa des camellias par gammes de coloris, utilisa des fougères pour délimiter certaines zones et unit les parterres en une bordure unique longeant le sentier de la pelouse. Chaque plante conservait sa forme, tout en se fondant parmi les autres. Le jardin présentait enfin l avantage d être facile à entretenir et se révélait attractif tout au long de l année. L œuvre accomplie faisait penser à une sculpture de Henry Moore. Cet espace aménagé il y a vingt ans perdure merveilleusement. Certaines plantes changent, d autres s ajoutent, mais la finesse de conception du dessin demeure. [Traduction Emmanuelle Ertel] Aquarelle de Fabrice Moireau, représentant le jardin de Judith Pillsbury, rue du Bac à Paris. MARS 2007 JARDINS DE FRANCE 25