Prévention des risques dans les unités mettant en œuvre des nanomatériaux Objet de la note Cette note décrit les recommandations devant être mises en œuvre par les directeurs d unité pour la maîtrise de l exposition des personnels aux nanomatériaux. Elle a été élaborée sur la base des connaissances actuelles et sera donc révisable. Contenu I. Problématique I.1. Contexte. I.2. Repérage des situations. II. Démarche de maîtrise globale du risque II. 1. Dispositions à prendre lors de la manipulation de tout type de nanomatériaux susceptible de conduire à une exposition. II.2 Dispositions à prendre lors de la manipulation de formes sèches dispersables, en cas de formation d aérosols et en cas de doute. II.3. Traçabilité et suivi médical. Annexe I - PROBLEMATIQUE I.1. Contexte Les nanosciences et les nanotechnologies représentent une priorité pour le CNRS en tant que facteur déterminant de développement de connaissances et d innovations et connaissent une accélération forte. Près de 200 laboratoires sont concernés dans tous les départements scientifiques. Si les perspectives ouvertes tant en recherche que dans l industrie sont immenses, l exposition des personnels aux nanomatériaux doit être maîtrisée. Cette exigence est d autant plus nécessaire que l incitation faite aux laboratoires de travailler dans ce domaine est forte. Le CNRS en tant qu employeur a donc le devoir de prendre en compte le danger potentiel que présentent la fabrication, l utilisation ou la mise en œuvre de nanomatériaux dans ses laboratoires. L élaboration d une politique et de pratiques pertinentes en la matière est toutefois rendue difficile par plusieurs facteurs dont: - L état embryonnaire des connaissances sur les risques et l efficacité des moyens de protections: données toxicologiques peu nombreuses et parfois contradictoires. - La très grande variété des situations rencontrées : nature des nanomatériaux, quantités utilisées, modes d obtention ou de production, applications - Les difficultés de caractérisation et de métrologie de l exposition. Dans toute activité nouvelle, il faut prendre en compte le risque dès lors qu il existe une indication de son existence 1, même en l absence de réglementation spécifique 2. De nombreux groupes ou programmes ont été créés pour étudier ce risque tant au niveau international (ISO) qu européen (Nanosafe 2) et français (Ecrin, ECCO). Le CNRS est associé à certains d entre eux (Nanosafe, Ecrin). Les éléments de maîtrise des risques professionnels présentés ici pourront évoluer pour tenir compte du développement des connaissances. 1 Rapports publiés : http://www.cnrs.fr/fr/presentation/ethique/comets/docs/ethique_nanos_061013.pdf http://www.afsse.fr/index.php?pageid=690&newsid=105&mdlcode=news http://www.ecologie.gouv.fr/article.php3?id_article=6041 2 Les ministères du travail et de l environnement ont diligenté des études auprès de l INRS et de l AFSSET afin de disposer d éléments pour adapter la réglementation. Document élaboré par un groupe de travail dans le cadre de la CNPS. (Février 2007) 1
Cette note ne prend pas en compte les éventuels effets des nanomatériaux sur l environnement ou la santé publique. Ce sujet de préoccupation est traité par ailleurs au CNRS dans le cadre approprié. I.2. Repérage des situations Il appartient aux directeurs d unités de déterminer si les activités menées sous leur responsabilité relèvent de cette note. Un élément essentiel du repérage est de pouvoir caractériser, par une métrologie adaptée, les nanomatériaux rencontrés car leur toxicité éventuelle en dépend (voir annexe). Un autre élément est l étude des différentes étapes des protocoles expérimentaux qui devra prendre en compte les expositions. La pénétration se fait principalement par les voies respiratoires et cutanéo-muqueuses. L ingestion directe est une voie accidentelle. Bien qu il existe peu de données sur la toxicologie, les études chez l animal et in vitro mettent en évidence des effets sur le système respiratoire, le système cardiovasculaire et le système nerveux central. Les effets sur le système immunitaire sont en cours d étude. Ces études portent sur les catégories de particules les plus utilisées au niveau industriel. Enfin, il convient de ne pas oublier l inflammabilité et l explosivité de certains nanomatériaux. II - DEMARCHE DE MAITRISE GLOBALE DU RISQUE Le processus de maîtrise globale du risque tel que décrit dans le code du travail s applique à ce risque comme à tous les autres 3. Plus précisément et en absence de réglementation spécifique, celle relative aux produits dangereux fournira une base de travail 4. La démarche décrite dans ce document s en inspire. II. 1. Dispositions à prendre lors de la manipulation de tout type de nanomatériaux susceptible de conduire à une exposition Information L ACMO est destinataire de l information sur ce risque. Dans le cadre de sa mission, il veillera à sensibiliser les personnes manipulant des nanomatériaux et à les informer régulièrement l évolution des connaissances sur ce risque. Le directeur d unité doit informer systématiquement l ACMO de tout projet incluant des nanomatériaux. Hygiène Les mesures générales d hygiène devront être respectées. Identification des produits et de leurs propriétés Un inventaire des nanomatériaux rencontrés dans l unité sera établi sous la responsabilité de son directeur, en concertation avec l ACMO, dans le cadre de la réglementation du risque toxique. Il permettra d identifier les conditions et situations de production de nanomatériaux ainsi que les quantités engagées. 3 Extrait de l article L230-2 du Code du Travail a) Eviter les risques ; b) Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; c) Combattre les risques à la source ; d) Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail ( ); e) Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ; f) Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ; g) Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail,( ); h) Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ; i) Donner les instructions appropriées aux travailleurs 4 Articles R231-54 et R231-56 du code du travail et application de la note «Maîtrise du risque toxique lié aux produits chimiques» Document élaboré par un groupe de travail dans le cadre de la CNPS. (Février 2007) 2
Evaluation du risque d exposition et mise en place de mesures correctives Une évaluation des risques doit être faite avant démarrage de tout projet avec les nanomatériaux. Elle associera l ACMO et les expérimentateurs. On s attachera à repérer les situations où des nanomatériaux peuvent pénétrer dans l'organisme par voie respiratoire ou cutanée. Une analyse pertinente du risque ne peut être menée que par une étude au poste de travail, en examinant chaque opération unitaire du protocole ou du mode opératoire (élaboration, stockage, mise en œuvre, transfert au sein du laboratoire, échange avec autres laboratoires, fin de vie). Une attention toute particulière sera portée aux phases de mise en suspension dans l air (changement de contenant, nettoyage). Le risque de contamination de surface sera aussi pris en compte. A partir de l évaluation du risque, le chercheur, avec l aide de l ACMO, établit une procédure de sécurité validée par le responsable d équipe ou directeur d unité. Si nécessaire, l IRPS et le médecin de prévention peuvent être associés à la démarche. Les résultats de cette évaluation et les procédures de sécurité seront intégrés dans le document unique. Accès Si l évaluation met en évidence un risque d exposition, l'accès aux locaux de travail où sont utilisés des nanomatériaux doit être limité aux personnes dont la mission l'exige. Ces locaux font l'objet d'une signalisation faisant apparaître la mention «risque d exposition aux nanomatériaux» et rappelant l'interdiction d'y pénétrer sans motif de service. En cas d intervention de personnel extérieur (maintenance), un plan de prévention écrit sera établi. Nettoyage et décontamination Le nettoyage des surfaces de travail et des équipements ou contenants potentiellement contaminés sera effectué par le personnel de l unité et non par le personnel de l entreprise de ménage). Ces surfaces seront facilement lavables. Stockage des produits Les poudres et suspensions seront stockées dans des contenants étanches et dans un meuble ou local dédié. Déchets et effluents Les déchets seront traités comme déchets dangereux. La présence de nanomatériaux dans les effluents liquides et gazeux doit être limitée par une filtration adaptée à leur taille. Les entreprises d enlèvement de déchets seront informées de la nature des produits, conformément à la réglementation. Transport Les envois contenant des nanomatériaux seront réalisés par le biais d un transporteur agréé pour le transport de produits dangereux et de façon à éviter toute dissémination, et contiendront les recommandations de sécurité à l'usage des destinataires. Sécurité explosion incendie Le risque d auto-inflammation présenté par certaines nanopoudres sera pris en compte (les placer sous atmosphère inerte par exemple). Situations accidentelles Des consignes seront rédigées pour faire face aux situations accidentelles telles que des ruptures de confinement. Document élaboré par un groupe de travail dans le cadre de la CNPS. (Février 2007) 3
II.2 Dispositions à prendre lors de la manipulation de formes sèches dispersables, en cas de formation d aérosols et en cas de doute Les situations suivantes sont concernées (liste non exhaustive) : Manipulation de poudres ou fibres (ex. : nanotubes de carbone, fullerènes, nanoparticules métalliques, nanoparticules d oxydes). Risque de formation d aérosols : o manipulation d agglomérats secs o broyage o agitation de suspension o usinage de matériaux massifs o combustions diverses ou pyrolyse o remise en suspension de contamination de surface o manipulation de déchets. Réduction du risque A chaque fois que c est possible, les formes non dispersables dans l air seront préférées : granulés, suspensions, mélanges-maîtres... A cette fin, il sera demandé aux fournisseurs de livrer les nanomatériaux sous une forme qui réduise le risque d exposition (emballage approprié, mise en suspension ). Une fiche de données de sécurité sera systématiquement demandée. Si le projet comporte des suspensions, les dépôts de surface qui pourraient constituer des sources d émission secondaire seront nettoyés dans les plus brefs délais. Les opérations de transfert d un contenant dans un autre seront effectuées dans un système clos limitant le rejet de nanomatériaux au poste de travail et dans l environnement, et de préférence dans un local dédié à cet usage. Mesurages Dès que des méthodes seront validées, des mesurages seront effectués afin d obtenir un ordre de grandeur de la granulométrie et de la concentration. Les relations envisagées avec certains organismes (cf. annexe métrologie) seront mises à profit en ce sens. Mesures de protection Protection collective L usage de systèmes clos doit être envisagé en première intention. Certains dispositifs expérimentaux sont clos par nature (dans le domaine de l électronique en particulier). Si tel n est pas le cas, des dispositifs du type boite à gants sont recommandés afin d assurer un confinement. Lorsqu un système clos n est pas envisageable, du fait des équipements et/ou du procédé, un dispositif de captage permettant de limiter la concentration en nanomatériaux dans l air environnant sera étudié. Protection individuelle En cas de risque d exposition cutanée, les opérateurs devront porter des gants à usage unique et des vêtements de travail couvrants, avec de longues manches. En absence de données sur leur efficacité, les gants seront choisis épais et résistants aux solvants. Ils seront traités en déchets dangereux. En cas d insuffisance de la protection collective vis-à-vis de l inhalation, une protection respiratoire de type FFP3 sera nécessaire. En cas d empoussièrement élevé, les expérimentateurs porteront un équipement respiratoire autonome. Décontamination Les plans de travail, les surfaces du local et les appareils peuvent être contaminés par dépôt de nanomatériaux. Des procédures de décontamination doivent être écrites. Les opérations conduites en vase clos pour la protection des personnes ou pour des raisons techniques (ex. dépôt de couches en électronique) nécessitent une décontamination manuelle par voie humide (chiffons imbibés ). Ces chiffons et autres consommables seront traités comme des déchets dangereux. Document élaboré par un groupe de travail dans le cadre de la CNPS. (Février 2007) 4
II 3 Traçabilité et suivi médical La traçabilité des expositions et le suivi médical seront effectués conformément aux dispositions sur les produits dangereux. 5 En particulier, une fiche d exposition individuelle sera établie par le directeur d unité pour toute personne exposée ou potentiellement exposée comprenant : o o La nature du travail effectué, les caractéristiques des produits, les périodes d'exposition Les dates et les résultats des contrôles de l'exposition au poste de travail ainsi que la durée et l'importance des expositions accidentelles. Chaque personne concernée est informée de l'existence de sa fiche d'exposition et a accès aux informations la concernant. Le double de cette fiche est transmis au médecin de prévention. 5 cf. note «Maîtrise du risque toxique lié aux produits chimiques» Document élaboré par un groupe de travail dans le cadre de la CNPS. (Février 2007) 5
ANNEXE Typologie Dans cette note, seront considérés comme nanomatériaux ceux dont une dimension au moins est comprise entre quelques nanomètres et quelques centaines de nanomètres. La typologie des nanomatériaux est fondée sur des caractéristiques telles que leurs dimensions, leurs propriétés physico-chimiques, le mode d obtention, le type d application..., et conduire à des appellations telles que : o nanoparticules naturelles : ex. poussières volcaniques, o nanoparticules fortuites : ex. produits de combustions diverses (transport, production d énergie, chauffage, industries), o nanoparticules manufacturées : ex. noir de carbone, silice, alumine, dioxyde de titane, nanotubes, surfaces nanostructurées, nanomachines Des caractéristiques additionnelles telles que, pour les nanoparticules, libres ou incluses, enrobées ou non, doivent également être prises en compte. Les nanomatériaux intégrés à une structure macroscopique présenteront d autant moins de risque qu ils seront fortement liés à cette structure. Toutefois, des opérations telles que l usinage ou le polissage peuvent conduire à la production et à l émission d entités nanométriques (composés nanoporeux ). Devront donc être considérés par risque croissant d émission : o les produits massifs (nanostructurés, pouvant libérer des nanoparticules lors de leur élaboration ou utilisation (ex. : poudres micrométriques nanostructurées), o les suspensions dans un liquide, o les formes sèches dispersées : poudres ou fibres (ex. : nanotubes de carbone, fullerènes, nanoparticules métalliques, nanoparticules d oxydes). Métrologie La métrologie dans le domaine nanométrique (morphologie, distribution granulométrique) est beaucoup moins avancée que dans le domaine micrométrique. Il convient de pouvoir mesurer ces nanoparticules et de les distinguer des nanoparticules d origine naturelle (pollens par exemple) présentes dans l atmosphère du laboratoire. L INRS et l INERIS développent des techniques de mesure d atmosphère adaptées. Dans ce cadre, certains laboratoires du CNRS ont engagé des collaborations avec l INRS, faisant l objet, pour quelques-uns, de programmes clairement identifiés (exemple programme EXPAU). Un partenariat entre l'inrs et le CNRS est en cours d'étude pour mettre à disposition des unités, des méthodes de mesures, Spécificité de la toxicité des nanomatériaux La toxicité de ces nanomatériaux varie fortement selon leurs caractéristiques dimensionnelles et physicochimiques. La surface spécifique joue manifestement un rôle déterminant, d autant plus qu elle peut avoir été au préalable fonctionnalisée. Cette fonctionnalisation peut également évoluer au cours de l exposition de la nanoparticule à différentes atmosphères. La présence «d impuretés» telles que les résidus de catalyseurs pour les nanotubes de carbone peut avoir un effet important sur la toxicité. Les nanomatériaux les plus étudiés sont les nanoparticules 6 et les nanotubes de carbone. Ainsi des études chez le rat ont mis en évidence l effet de la surface spécifique des nanoparticules sur la toxicité (développement de cancers) pour des substances dont la molécule est considérée comme faiblement toxique (carbone, TiO 2, talc). Des études chez la souris portant sur les nanotubes de carbone ont mis en évidence la prolifération anormalement rapide de tissus fibreux dans les alvéoles pulmonaires. Le mécanisme soupçonné serait du type inflammatoire. 6 Particules ultra-fines et santé au travail - Caractéristiques et effets potentiels sur la santé, INRS, O.WITSCHGER, J-F. FABRIESND2227-199-05, 2005, Document élaboré par un groupe de travail dans le cadre de la CNPS. (Février 2007) 6