Une histoire non officielle Par Christine Pouliot, trad. a.



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Transcription:

Une histoire non officielle Par Christine Pouliot, trad. a. - Je n en peux plus! s écria l auteur de cette histoire. Mes personnages ne cessent de me faire faux bond. C est décidé : j abandonne! Les personnages crièrent victoire et applaudirent à tout rompre. - Allez! C est ça! Dégage! Écrivain du dimanche! - Hé! Ho! Attendez un peu, me récriai-je. Vous n y allez pas de main morte! Qu est-ce qu il a bien pu vous faire, cet auteur? - Il refuse de nous décrire tels que nous sommes! s évertua une telle. - Il ne fait que nous enliser dans des putains de clichés, s exclama un autre. - Mais tentai-je, ne fait-il pas que son boulot? - Ouais, mais alors il le fait mal, très mal. C est un mauvais écrivain, s esclaffa Mario, le personnage qui donnait le coup d envoi de l histoire. D abord, il s est entêté à vouloir m appeler Gino, alors que tout le monde sait que je m appelle Mario. Du coup, le lecteur risquait de se mêler les pinceaux avec deux noms différents. - Et c était comme ça avec les autres? m enquis-je. - Moi, il m appelait Ginger, fit Marianne. - Et moi Benoît, dit Patrick. - Moi, il n a même pas pris la peine de me donner un nom, s indigna Daniel, le père de famille. Je veux bien croire que je suis quasi absent de son histoire, mais cela reste un point de vue! Il se trouve que je suis souvent au travail, à devoir piocher sur des heures supplémentaires. Évidemment, il n y a pas grand-chose à raconter d un type agent de bureau qui doit finaliser des tonnes de dossiers. On a vite fait le tour de l idée. Mais ceci dit, j ai quand même une vie propre!

Je travaille comme un forcené et cet imbécile d écrivain fait exprès pour m exclure de son point de vue de l histoire. Non mais, quelle injustice! - OK, OK. On va tenter de mettre de l ordre dans tout ça, répondis-je, afin de les calmer un peu. Je dois d abord lire le début de son manuscrit, d accord? - Vas-y, sers-toi. Par un beau samedi après-midi de printemps, Gino, n y tenant plus, se décida. Il venait de se balader dans le parc boisé du village, non loin de chez lui, pour cogiter. Le soleil irradiait et les arbres bourgeonnaient. Les oiseaux, multicolores, piaillaient. Gino ne cessait de penser à la belle Ginger. Ses longs cheveux blonds, ses yeux bleu doux, sa bouche pulpeuse. Ginger n était pas mariée. - C est le moment ou jamais, se dit Gino. Il hâta le pas vers chez lui. - Ouais, fis-je. C est assez ordinaire. - C est pourri, oui! pesta Mario. L auteur présente Marianne comme une espèce de cliché hollywoodien, alors que ça ne lui ressemble pas du tout! En fait, Marianne, elle est plutôt du genre «kick-ass girl», tu vois? - D autant plus qu il a fallu que je me coltine une putain de perruque blonde! Je déteste le blond! Je préfère garder mes cheveux roux au naturel, protesta Marianne. - Et ça, c est sans parler du gros orteil que je me suis pété en devant rentrer chez moi au galop, poursuivit Mario. - Je vois. N avez-vous pas essayé de négocier avec lui?

- Pas vraiment En fait, un peu, mais Ça n a pas été vraiment concluant. Il m a bien demandé si j étais amoureux de Marianne, fit Mario, timide, et j ai répondu évidemment, que je suis amoureux d elle! Elle est super canon, en fait. Mais pourquoi vouloir la changer? - Et alors? - Alors, il a dit que ça, c était plus mes oignons, et qu il se chargerait du reste. Visiblement, lui, aime bien les blondes. Mais moi, je devais alors inviter à dîner une pauvre femme qui n est plus vraiment mon genre, qui n est plus vraiment elle-même, et qui se sentait triste de devoir arrêter de faire de la boxe française. - Elle fait de la boxe? m écriai-je avec surprise. - Ah ça, oui! Hein Marianne, que t aimes la boxe française? lui demanda-t-il en lui donnant un petit coup de coude. - J en fait depuis que j ai 15 ans, s empressa-t-elle de me dire. Ça a commencé quand un espèce de disjoncté a voulu m attaquer et me violer derrière chez lui. - Oh, je dis, embarrassé. - Te fais pas de bile pour moi, ça va, dit-elle. Le disjoncté, c était mon voisin. Il a fini par déménager. - Ah? J étais encore plus étonné. D habitude, ce n est pas si facile que ça d arriver à se protéger de son agresseur, non? - Eh ben pas cette fois, qu elle dit. Quelques mois après m être entraînée comme une forcenée, je suis entrée chez lui avec mes trois copains qui étaient de vrais durs à cuire, en plus du pit-bull à l un d eux. Les gars ont tenu le mec pendant que je le saignais. Il a dû se sentir tellement humilié de se faire taper par une fille devant d autres mecs Et ça, c est sans parler des menaces que mes amis lui ont faites. Puis il est parti. Mais assez parlé de moi, fit-elle. Continuons l histoire.

- D accord. Alors que s est-il passé ensuite? - J ai donc appelé Marianne, alias Ginger, enchaîna Mario. Je ne sais même pas comment j ai pu obtenir son numéro de téléphone, dit-il, mais en tout cas je l avais. Ça, je dois dire que c est tout un avantage d être un personnage fictif! Je n ai pas eu à me casser la tête pour arriver à lui soutirer les dix chiffres chanceux! Si c était comme ça dans la vraie vie soupira-t-il. Bref, voilà. On finit par dîner, et tout et tout, mais quand l auteur s est arrêté d écrire, après une partie de jambes en l air qui fut tout de même très chouette, je dois avouer, eh bien c est là que Marianne m a déclaré qu elle voyait quelqu un d autre et - Je vais continuer, le coupa Marianne. OK. Mais oui. Je voyais Patrick en cachette. Personne n était censé le savoir, mais là, je n ai pas eu le choix d en avertir Mario; je m en serais voulu de lui avoir caché ça. C est tout de même un bon mec! D autant plus qu il ne pouvait pas deviner que je sois avec quelqu un puisque je ne porte pas d alliance. Mais voilà que cet imbécile d auteur fait passer Patrick pour l idiot du village! Humiliation suprême! Ouais, OK, il a un déficit d attention et il est parfois paranoïaque, mais ça ne fait pas de lui un idiot! Et du village, en plus! On vit dans une ville, bordel! Une putain de ville de 12 300 et quelque habitants, et lui se borne à appeler ça un village! Pardon, fit Marianne en contenant sa colère. Mais tout ça me met en rogne. C est plus fort que moi. - Il ne connaît visiblement rien en psychologie, cet auteur, s exclama Patrick. Il pourrait au moins faire un minimum de recherche! C est moi qui suis censé être le débile dans l histoire et j en connais tout un rayon de plus que lui sur le sujet! Eh ben! On n a plus les cons qu on avait! Les autres pouffèrent de rire. - Et si j étais si idiot que ça, reprit-il, comment je ferais pour prendre soin de mon bébé, hein?

- Vous avez eu un bébé avec Marianne? m enquis-je. Toutes mes félicitations à vous deux! - Euh, c est pas tout à fait ça, avoua-t-il. C est bien moi le père, mais la mère, c est c est Brigitte. Brigitte, alias Pauline pour l auteur, regardait ses pieds sans parler. Puis elle releva la tête doucement, avec courage. - C est vrai. C est moi la mère du petit Frédéric. Elle jeta un œil en direction de Daniel, son mari, qui serrait les dents. Elle poursuivit : - Moi et Patrick nous sommes fréquentés pendant environ un an et demi, jusqu à ce que je tombe enceinte. Au début, on ne savait pas trop quoi faire, d autant plus que j ai vraiment été surprise de tomber enceinte à nouveau, à mon âge Elle fit une pause, puis reprit : - J avais déjà deux beaux enfants : une fille de 13 ans, Jasmine, et un garçon de 10 ans, Christophe. - Salut, dit Christophe. - Salut, fit Jasmine. - Salut! leur répondis-je. - Moi, j aime bien jouer au Guitar Hero, enchaîna Christophe, et la chanson que je joue le mieux, c est Are you Gonna Go My Way de Lili Kravitz! - C est pas Lili Kravitz, grosse nouille, objecta sa sœur. C est Lenny Kravitz. Mais tu embêtes tout le monde, là, avec tes trucs! Laisse les grands parler ensemble, tu vois pas que c est plus important que ton Guitar Hero? Christophe, ignorant superbement bien Jasmine, poursuivit : - Et vous savez qu est-ce que l écrivain a voulu que je joue, à la place? - Non, dis-moi, qu est-ce qu il voulait que tu joues?

- Il a dit que je devais apprendre le violon! C est un vrai barjo, ce mec! C est dur, le violon! Et ça prend des années et des années! Et de toute façon, tous mes amis jouent à Guitar Hero. Vous auriez imaginé leur tête quand ils auraient appris que je joue du violon, à la place? Je crois qu il aurait fallu que je change carrément d amis! Tout le monde rit. - Et tu ne lui as pas dit tout ça, à l écrivain? - Ben non, mais on voyait que son idée était faite d avance. Même si maman et papa disaient que d acheter un violon, c est foutrement cher! - Christophe! Surveille ton langage, s il te plaît! le réprimanda sa mère. - Pardon. Que c était très cher. Il disait que ça faisait class. Mais moi je m en foutais, de la classe. Je préfère de loin mon Guitar Hero. Un jour, je voudrais devenir comme Slash le guitariste! - D accord, mon chéri. On parlera de tout ça une autre fois, d accord? intervint Brigitte, qui désirait poursuivre son histoire. - Je te l avais dit, espèce de cruche! grogna Jasmine. - Cessez de vous chamailler, tous les deux! s énerva la mère de famille. Puis, s adressant à moi : - Excusez-les. Ce n est pas tous les jours facile d élever deux jeunes adolescents! Elle redevint sérieuse. - Quand Daniel a su que j étais enceinte, il a été très compréhensif. On voyait des larmes perler sur le bord de ses yeux. Néanmoins, elle ajouta : - Il a dit que je pourrais avoir ce bébé, que la décision finale me revenait, bien qu il désapprouve mon geste de l avoir triché et de lui avoir menti pendant tout ce temps. Elle pleurait maintenant à chaudes larmes.

- Je suis sincèrement désolée, Daniel. Je n ai jamais voulu te faire tout ce mal. Puis, s adressant plus directement à moi : - Notre couple battait de l aile depuis longtemps. Daniel travaillait sans arrêt, et moi, je me morfondais de plus en plus. Puis, j ai rencontré Patrick par hasard, dans un café. Il m a plu, et je lui ai plu. Ça s est fait comme ça, tout bonnement. Rapidement. Elle marqua une nouvelle pause, puis : - La condition pour accoucher de ce bébé était que je ne devais pas en avoir la garde. Patrick devait l élever seul. Je ne vois pas comment j aurais pu protester, étant donné la situation dans laquelle je m étais empêtrée. Personne n osait plus parler. Finalement, je demandai : - Et la version de l auteur, dans tout ça? - Lui, s offusqua Patrick, alias l idiot du village, il tenait illico à faire croire que le père du bébé était Daniel, et Frédéric se serait donc retrouvé le troisième de leur famille. Il n aurait jamais été question que je puisse le voir. En fait, il voulait que je sois stérile! fustigea Patrick. Ce con est un enfoiré de castrateur! Parce que j étais catalogué d idiot, il était donc hors de question que je puisse procréer! Heureusement pour lui que je ne puisse pas lui péter la gueule, parce qu en plus, je lui aurais fait bouffer les siennes, de couilles! Et les autres d acquiescer en chœur. - OK, OK, du calme, s il vous plaît. S il vous plaît. Lorsqu ils furent un peu plus détendus, Mario demanda : - Et là, on fait quoi, maintenant? Les autres devinrent pensifs. Puis :

- Oh! J ai une super idée, s exclama Marianne. Étant donné que toi, tu nous écoutes et que maintenant tu comprends si bien nos vies et nos situations, tu pourrais peut-être l écrire, notre histoire?