available at journal homepage:

Documents pareils
Carte de soins et d urgence

Le traitement du paludisme d importation de l enfant est une urgence

LE POINT TOX. N 7 - Juillet Bulletin du réseau de toxicovigilance de La Réunion L ÉVOLUTION TEMPORELLE DU NOMBRE D INTOXICATIONS

GUIDE D INFORMATIONS A LA PREVENTION DE L INSUFFISANCE RENALE

Le déficit en MCAD. La maladie. Déficit en acyl-coa déshydrogénase des acides gras à chaîne moyenne MCADD. Qu est-ce que le déficit en MCAD?

INTERET PRATIQUE DU MDRD AU CHU DE RENNES

I - CLASSIFICATION DU DIABETE SUCRE

COMMISSION DE LA TRANSPARENCE AVIS. 19 octobre 2011

INSUFFISANCE CARDIAQUE «AU FIL DES ANNEES»

E04a - Héparines de bas poids moléculaire

PLAC E DE L AN ALYS E TOXIC OLOG IQUE EN URGE NCE HOSP ITALI ERE

PRISE EN CHARGE DES PRE ECLAMPSIES. Jérôme KOUTSOULIS. IADE DAR CHU Kremlin-Bicêtre. 94 Gérard CORSIA. PH DAR CHU Pitié-Salpétrière.

COMMISSION DE LA TRANSPARENCE. Avis. 3 septembre 2008

COMMISSION DE LA TRANSPARENCE AVIS DE LA COMMISSION. 10 octobre 2001

La migraine. Foramen ovale perméable. Infarctus cérébral (surtout chez la femme)

Intoxication par les barbituriques

L APS ET LE DIABETE. Le diabète se caractérise par un taux de glucose ( sucre ) trop élevé dans le sang : c est l hyperglycémie.

Prise en charge du nouveau-né prématuré «attendu» atteint d un syndrome de Bartter

CLINIMIX AVIS DE LA COMMISSION DE LA TRANSPARENCE

Activité 38 : Découvrir comment certains déchets issus de fonctionnement des organes sont éliminés de l organisme

La prise en charge de l AVC ischémique à l urgence

UTILISATION DES C.C.P DANS LES HEMORRAGIES SOUS AVK ET SOUS NACO : RECOMMANDATIONS DE L HAS COPACAMU 2014

Utilisation des substrats énergétiques

Diabète de type 1 de l enfant et de l adolescent

Pseudotumor cerebri. Anatomie Le cerveau et la moelle épinière baignent dans un liquide clair, appelé le liquide céphalo-rachidien (LCR).

Leucémies de l enfant et de l adolescent

Association lymphome malin-traitement par Interféron-α- sarcoïdose

Hémochromatose génétique non liée à HFE-1 : quand et comment la rechercher? Cécilia Landman 11 décembre 2010

HVC CHRONIQUE MOYENS THERAPEUTIQUES ET BILAN PRE-THERAPEUTIQUE CHAKIB MARRAKCHI.

Réflexions sur les possibilités de réponse aux demandes des chirurgiens orthopédistes avant arthroplastie

e-santé du transplanté rénal : la télémédecine au service du greffé

Ordonnance collective

ÉVALUATION DE LA PERSONNE ATTEINTE D HYPERTENSION ARTÉRIELLE

Don de moelle osseuse. pour. la vie. Agence relevant du ministère de la santé. Agence relevant du ministère de la santé

Observation. Merci à l équipe de pharmaciens FormUtip iatro pour ce cas

27 ème JOURNEE SPORT ET MEDECINE Dr Roukos ABI KHALIL Digne Les Bains 23 novembre 2013

Item 182 : Accidents des anticoagulants

Les Jeudis de l'europe

B06 - CAT devant une ischémie aiguë des membres inférieurs

Prise en charge de l embolie pulmonaire

Les nouveaux anticoagulants oraux, FA et AVC. Docteur Thalie TRAISSAC Hôpital Saint André CAPCV 15 février 2014

ORDONNANCE COLLECTIVE


LIGNES DIRECTRICES CLINIQUES TOUT AU LONG DU CONTINUUM DE SOINS : Objectif de ce chapitre. 6.1 Introduction 86

sous-estimée et sous-diagnostiquée

Maladies neuromusculaires

ANNEXE IIIB NOTICE : INFORMATION DE L UTILISATEUR

French Version. Aciclovir Labatec 250 mg (For Intravenous Use Only) 02/2010. Product Information Leaflet for Aciclovir Labatec i.v.

Hémostase et Endocardite Surveillance des anticoagulants. Docteur Christine BOITEUX

chronique La maladie rénale Un risque pour bon nombre de vos patients Document destiné aux professionnels de santé

7- Les Antiépileptiques

HEPATITES VIRALES 22/09/09. Infectieux. Mme Daumas

NOTICE: INFORMATION DE L UTILISATEUR. Immukine 100 microgrammes/0,5 ml solution injectable (Interféron gamma-1b recombinant humain)

Quoi de neuf dans la prise en charge du psoriasis?

Le don de moelle osseuse :

Cordarone et Thyroïde par François Boustani

ANEMIE ET THROMBOPENIE CHEZ LES PATIENTS ATTEINTS D UN CANCER

Le don de moelle osseuse

prise en charge paramédicale dans une unité de soins

Bienvenue aux Soins Intensifs Pédiatriques

CONCOURS DE L INTERNAT EN PHARMACIE

Pathologie VIH. Service maladies infectieuses Archet 1. Françoise ALEXIS, infirmière Monique BORGHI, infirmière 15 octobre 2013

ACTUALITES THERAPEUTIQUES. Dr Sophie PITTION (CHU Nancy) Metz, le 2 Juin 2012

HTA et grossesse. Dr M. Saidi-Oliver chef de clinique-assistant CHU de Nice

Contrôle difficile non prévu des voies aériennes: photographie des pratiques

Informations sur le rivaroxaban (Xarelto md ) et l apixaban (Eliquis md )

admission directe du patient en UNV ou en USINV

LE PSORIASIS ET SES CO-MORBIDITES PARTICULIEREMENT LE DIABETE

Votre guide des définitions des maladies graves de l Assurance maladies graves express

dossier de presse nouvelle activité au CHU de Tours p a r t e n a r i a t T o u r s - P o i t i e r s - O r l é a n s

La Dysplasie Ventriculaire Droite Arythmogène

LE GRAND LIVRE Du. Pr Jean-Jacques Altman Dr Roxane Ducloux Dr Laurence Lévy-Dutel. Prévenir les complications. et surveiller la maladie

Livret des nouveaux anticoagulants oraux. Ce qu il faut savoir pour bien gérer leur utilisation

Une forte dynamique des prescriptions de ces nouveaux anti-coagulants oraux

Aspects juridiques de la transplantation hépatique. Pr. Ass. F. Ait boughima Médecin Légiste CHU Ibn Sina, Rabat

COMMISSION DE LA TRANSPARENCE AVIS. 1 er octobre 2008

1 - Que faut-il retenir sur les anticoagulants oraux?

REPOUSSER LES LIMITES DE LA CHIRURGIE BARIATRIQUE DANS LES OBESITES MASSIVES AVEC COMORBIDITES

I Identification du bénéficiaire (nom, prénom, N d affiliation à l O.A.) : II Eléments à attester par un médecin spécialiste en rhumatologie :

Pharmacovigilance des nouveaux anticoagulants oraux

Qu est-ce que la maladie de Huntington?

INFORMATION À DESTINATION DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ LE DON DU VIVANT

Migraine et Abus de Médicaments

TRAITEMENT DE L ANÉMIE AU COURS DE L INSUFFISANCE RÉNALE CHRONIQUE DE L ADULTE

IMR PEC-5.51 IM V2 19/05/2015. Date d'admission prévue avec le SRR : Date d'admission réelle : INFORMATIONS ADMINISTRATIVES ET SOCIALES

Suivi ambulatoire de l adulte transplanté rénal au-delà de 3 mois après transplantation

1- Parmi les affirmations suivantes, quelles sont les réponses vraies :

HERNIE DISCALE LOMBAIRE

En considérant que l effet anticoagulant du dabigatran débute dans les 2 heures suivant la prise du médicament :

TRAITEMENT DE LA MPOC. Présenté par : Gilles Côté, M.D.

Le Test d effort. A partir d un certain âge il est conseillé de faire un test tous les 3 ou quatre ans.

Point d Information. Le PRAC a recommandé que le RCP soit modifié afin d inclure les informations suivantes:

CONVULSIONS DE L ENFANT Item 190 JP. CARRIERE

CRITERES DE REMPLACEMENT

PROGRESSEZ EN SPORT ET EN SANTÉ. Mieux vivre avec ma maladie chronique, Me soigner par l activité physique Programmes Santé

Cibles Nouveaux ACO AVK. Fondaparinux HBPM HNF. Xarelto. Eliquis Lixiana. Pradaxa PARENTERAL INDIRECT ORAL DIRECT. FT / VIIa.

Nouveaux anticoagulants oraux : aspects pratiques

prise en charge médicale dans une unité de soins

RÉSUMÉ DES CARACTÉRISTIQUES DU PRODUIT. Bisolax 5 mg comprimés enrobés contient 5 mg de bisacodyl par comprimé enrobé.

Innovations thérapeutiques en transplantation

Transcription:

Réanimation 16 (2007) 337 342 available at www.sciencedirect.com journal homepage: http://france.elsevier.com/direct/reaurg/ CAS CLINIQUES COMMENTÉS Maladies héréditaires du métabolisme vitaminosensibles chez l adulte. Implications diagnostiques et thérapeutiques Managing vitamin-dependent hereditary metabolic diseases in the adult patient V. Valayannopoulos a, *, S. Romano a, F. Fakhouri b, F. Sedel c, D. Rabier d, I. Runge e,1, J.-L. Dubost f,1, A. Tabah g,1, P. De Lonlay a a Unité de métabolisme, hôpital Necker Enfants-Malades, 149, rue des Sèvres, 75015 Paris, France b Service de néphrologie, hôpital Necker Enfants-Malades, 149, rue des Sèvres, 75015 Paris, France c Fédération de neurologie, centre de référence et de traitement des maladies lysosomales à expression neurologique, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 75013 Paris, France d Laboratoire de biochimie B, hôpital Necker Enfants-Malades, 149, rue des Sèvres, 75015 Paris, France e Service de réanimation médicale polyvalente, CHR d Orléans, 45067 Orléans, France f Centre hospitalier Pontoise René-Dubos, 95301 Pontoise, France g Service de réanimation, groupe hospitalier Paris-Saint-Joseph, 75014 Paris, France Disponible sur internet le 14 juin 2007 MOTS CLÉS Déficit en holocarboxylase synthétase ; Biotine ; Hydroxocobalamine ; L-carnitine Résumé Au cours de ces dernières années, des progrès considérables ont été faits en matière de prise en charge et de traitement des maladies héréditaires du métabolisme. Certaines d entre elles ont d ailleurs des complications facilement réversibles grâce à des traitements spécifiques ou une vitaminothérapie ciblée. De ce fait, il devient extrêmement important que ces maladies pour lesquelles des traitements d urgence sont disponibles ne soient pas méconnues des médecins réanimateurs. Pour cela, nous présentons trois cas cliniques de maladies héréditaires du métabolisme vitaminosensibles avec une présentation clinique très bruyante mettant en jeu le pronostic vital. Dans le premier cas, l identification rapide de la maladie et la mise en place immédiate de la vitaminothérapie ont permis une récupération rapide sans aucune séquelle. Dans le deuxième cas, la méconnaissance de la maladie métabolique a eu comme conséquence une iatrogénie croissante qui a abouti à une décompensation métabolique pourvoyeuse de séquelles neurologiques sévères. Dans le troisième cas, le retard diagnostique a abouti à une décompensation sévère qui a conduit au décès du patient malgré une réanimation lourde. Nous présentons un schéma diagnostique simple pour les maladies * Auteur correspondant. Adresse e-mail : vassili.valaya@nck.aphp.fr (V. Valayannopoulos). 1 Ces auteurs ont contribué de manière égale à ce travail. 1624-0693/$ - see front matter 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2007.05.015

338 V. Valayannopoulos et al. héréditaires du métabolisme de l adulte traitables par les vitamines et proposons un «cocktail vitaminique» qui doit être disponible dans chaque service de réanimation. 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Holocarboxylase synthase deficiency; Biotine; Hydroxocobalamine; L-carnitine Abstract Recent advances have allowed to better manage metabolic orphan diseases. Some diseases are sensitive to vitamin therapy and may therefore be highlighted because of quick reversibility. We report three cases of metabolic hereditary diseases with life threatening conditions. 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Introduction Au cours de ces dernières années, des progrès considérables ont été faits en matière de prise en charge et de traitement des maladies héréditaires du métabolisme. Certaines d entre elles ont d ailleurs des complications facilement réversibles grâce à des traitements spécifiques ou une vitaminothérapie ciblée. De ce fait, il devient extrêmement important que ces maladies pour lesquelles des traitements d urgence sont disponibles, ne soient pas méconnues des médecins réanimateurs. Pour cela, nous présentons trois cas cliniques de maladies héréditaires du métabolisme vitaminosensibles avec une présentation clinique très bruyante mettant en jeu le pronostic vital. Dans le premier cas, l identification rapide de lamaladieetlamiseenplaceimmédiatedelavitaminothérapie ont permis une récupération rapide sans aucune séquelle. Dans le deuxième cas, la méconnaissance de la maladie métabolique a eu comme conséquence une iatrogénie croissante qui a abouti à une décompensation métabolique pourvoyeuse de séquelles neurologiques sévères. Dans le troisième cas, le retard diagnostique a abouti à une décompensation sévère qui a conduit au décès du patient malgré une réanimation lourde. Nous présentons un schéma diagnostique simple pour les maladies héréditaires du métabolisme de l adulte traitables par les vitamines et proposons un «cocktail vitaminique» qui doit être disponible dans chaque service de réanimation. Cas Cliniques Cas n o 1 Mme L., est une jeune femme de 27 ans porteuse d un déficit en holocarboxylase synthétase (HCS). Sa maladie a été découvertedanslapremièreannéedelavieàl occasion d un coma avec acidose lactique. Le diagnostic a été porté devant un profil caractéristique des acides organiques urinaires montrant des métabolites intermédiaires des carboxylases : acide 3-hydroxyisovalerique, 3-méthylcrotonylglycine, acide 3- hydroxypropionique et acide méthylcitrique. Un traitement symptomatique et surtout un traitement spécifique par biotine et L-carnitine ont permis d améliorer rapidement l état clinique de la patiente. Le diagnostic a été confirmé par des dosages enzymatiques appropriés sur culture de fibroblastes. Le traitement par biotine a été maintenu avec une quasinormalisation du profil des acides organiques urinaires et une absence de récidive de la symptomatologie révélatrice. Àl âgeadulte,lesuivispécialiséaétéconfiéàsonmédecin traitant avec comme consigne de ne jamais interrompre le traitement par biotine. Un document «d urgence» lui a été remis expliquant sa maladie ainsi que les mesures à prendre en cas de signes de décompensation de sa maladie. Elle a néanmoins décidé spontanément d interrompre son traitement. Une dizaine de jours plus tard, elle a été amenée aux urgences par son conjoint devant une altération de conscience et une polypnée évoluant en contexte fébrile. Son état clinique s est rapidement dégradé avec installation d un coma nécessitant intubation et ventilation mécanique avec une acidose métabolique sévère et une hyperammoniémie (ph : 6,76 ; HCO3 : 2,5 meq/l ; lactate : 14,5 mmol/l ; ammoniémie : 280 μmol/l). À la lecture de son «document d urgence» et après concertation avec notre service une perfusion de sérum glucosé et de L-carnitine ainsi que l administrationimmédiatedebiotineontétéinitiéesaveccomme consigne de recourir à l épuration extrarénale en cas d aggravation. L amélioration a été spectaculaire avec une normalisation de la conscience et des paramètres biologiques en moinsde48heures.elleaprésentéunesériedecomplications respiratoires, rénales et infectieuses nécessitant une ventilation mécanique de 25 jours et deux séances d hémodialyse pour une insuffisance rénale secondaire à une tubulopathie. Mme L., a complètement récupéré sans aucune séquelle et la nécessité d observer le traitement par biotine lui a été réexpliquée. Cas n o 2 M. A., est un jeune homme de 20 ans chez qui a été porté le diagnostic d acidurie méthylmalonique (AurieMM) à l âge de trois mois devant un coma acidocétosique et hyperammoniémique. Il a reçu une perfusion glucidolipidique avec un traitement par L-carnitine et vitamine B2 qui a permis une récupération clinique et biologique rapide. Ses taux d AMM sont restés très bas malgré une réintroduction des protéines confirmant une forme d AurieMM sensible à la vitamine B12. Il a été prescrit un régime hypoprotidique modéré et une supplémentation quotidienne en vitamine B12. Malheureusement, le suivi de ce patient n a pas été très rigoureux

Maladies héréditaires du métabolisme vitaminosensibles chez l adulte. Implications diagnostiques et thérapeutiques 339 entre autres en raison d une pathologie psychiatrique sousjacente, et il a été perdu de vue depuis l âge de 16 ans, hormis une prise en charge psychiatrique. Il aurait notamment interrompu son traitement par vitamine B12. À l âge de 20 ans, il a été opéré d une scoliose sévère en milieu médical adulte. Lors de la consultation préopératoire, le patient a signalé avoir eu une maladie métabolique, mais ne plus avoir de traitement depuis trois-quatre ans et aller très bien sur ce plan. Aucune précaution particulière n a donc été prise. Les suites opératoires immédiates ont été simples jusqu au dixième jour, date à laquelle il a présenté des vomissements répétés, attribués à un phénomène mécanique de «pince mésentérique» lié à l intervention, qui seront rapportés a posteriori à un signe de décompensation de sa maladie métabolique. Aucune mesure spécifique n a été prise et devant l intolérance digestive une nutrition parentérale a été débutée (a posteriori hyperprotidique). À j15 postopératoire, il a présenté une cécité brutale et un coma. Une acidose métabolique lactique (17 mmol/l) et une hyperammoniémie (130 μmol/l) ont été mises en évidence. Il a été transféré en réanimation après intubation et ventilation et après concertation avec notre équipe, il a été décidé de démarrer une épuration extrarénale par hémodialyse relayée un traitement par hydroxocobalamine IV, L-carnitine, vitamine B12 et nutrition parentérale glucidolipidique. Quarante-huit heures après, il était noté une disparition de l acidose lactique et de l hyperammoniémie. En revanche, la récupération neurologique a été mauvaise avec persistance de la cécité, apparition d un tremblement extrapyramidal et des troubles de déglutition nécessitant une trachéotomie et une nutrition entérale exclusive contrôlée en protéines (environ 50 g/jour). L IRM cérébrale a mis en évidence des lésions bilatérales des putamens, des capsules externes et un œdème cortical occipital avec une suspicion d atrophie du nerf optique. Actuellement, sa situation clinique est toujours préoccupante malgré une récupération partielle de la vue, mais le tremblement extrapyramidal persiste et il bénéficie d une rééducation de la marche. Les anomalies IRM des noyaux gris ont persisté alors que l œdème cortical a régressé. Cas n o 3 M. F., était porteur d une AurieMM B12-sensible (groupe cbla) diagnostiqué à six mois de vie dans des circonstances similaires que le patient précédent. Son suivi, à partir de l âge de 18 ans a été assuré par son médecin traitant, qui pratiquait régulièrement une surveillance de sa fonction rénale et de sa NFS. Vraisemblablement, il y avait une très bonne observance du traitement par L-Carnitine et vitamine B12. Il observait un régime hypoprotidique aux environs de 50 g/jour. Dans l histoire récente, on note une perte de poids de 10 kg en 2005, en l espace d un mois et demi. Il a été trouvé une hyperparathyroïdie qui a été traitée chirurgicalement. Depuis cette hospitalisation, la reprise pondérale était satisfaisante, jusqu en décembre 2006, où il a présenté une baisse brutale d acuité visuelle qui a été interprétée comme une névrite optique rétrobulbaire. Il a bénéficié de plusieurs bolus de corticoïdes et une corticothérapie au long cours, mais qui n a pas eu d effet notable sur son acuité visuelle. Par ailleurs, un amaigrissement très rapide a été noté à nouveau. L histoire qui a abouti à son décès a débuté par un tableau de diarrhée avec des vomissements qui sont apparus 24 heures avant son hospitalisation. Il s est présenté aux urgences pour dyspnée, où devant une suspicion d embolie pulmonaire, une scintigraphie a été réalisée qui était normale. Il est retourné néanmoins à l hôpital pour une aggravation de sa dyspnée trois jours après, où il est noté une déshydratation avec une insuffisance rénale, une acidose métabolique majeure avec des bicarbonates à 4 mmol/l et une altération de la conscience avec un discours inadapté. Devant cette grande acidose métabolique, il a été transféré en réanimation, où il a été mis en évidence une acidose lactique sévère (10 mmol/l ; ph : 7,23 ; pco 2 : 13 mmol/l ; base excess : 21), une insuffisance rénale avec urée à 16 mmol/l, créatininémie : 179 μmol/l, une altération de la fonction hépatique avec TP à 65 %, TCA à 52 secondes. Après concertation avec notre service, il est décidé de mettre en place une épuration extrarénale par hémofiltration ainsi qu un soutien calorique par perfusion de glucosé et de lipides, et une supplémentation vitaminique du groupe B (B1, biotine et B12) et L-Carnitine. Sous hémofiltration, l acidose a initialement régressé puis dans les heures suivant l admission, une dégradation s est installée avec une défaillance cardiaque. Ce tableau s est compliqué d une oligoanurie, d une majoration de la défaillance hépatique et l apparition à nouveau d une acidose lactique avec au maximum 19 mmol/l de lactate et un ph à 6,93. M. F. est décédé dans un tableau de défaillance multiviscérale. Sur le résultat de la chromatographie pratiquée peu avant la mise en place de l hémofiltration, on a retrouvé une excrétion d acide méthylmalonique très modérée dans le plasma et les urines. En revanche, sur la chromatographie des acides aminés, on retrouvait un profil de grande acidose lactique. Discussion La première maladie héréditaire du métabolisme traitable, la phénylcétonurie a été décrite, il y a environ 50 ans. Depuis un demi-siècle beaucoup de nouvelles maladies ont été décrites et beaucoup de nouveaux traitements ont été employés. Plusieurs d entre eux sont maintenant validés et sont salvateurs. D autres restent encore expérimentaux. Le caractère vitaminosensible rend la prise en charge de certaines de ces maladies héréditaires du métabolisme beaucoup plus aisée. Le principe de la sensibilité aux vitamines repose sur le fait que la vitamine joue le rôle de coenzyme, ce qui permet de restaurer l activité de l apoenzyme. Dans le premier cas, c est la formation de l holocarboxylase synthétase (HCS) qui est déficitaire [1], en raison d une diminution de l affinité de l enzyme pour la biotine, ce qui conduit à une activité déficitaire de quatre carboxylases importantes (propionyl CoA carboxylase, méthylcrotonyl Co A carboxylase, pyruvate carboxylase et acétyl CoA carboxylase (Figs. 1a et 1b)). Le début de la maladie est variable de la période néonatale jusqu à la première enfance. Le tableau clinique associe des signes d acidose métabolique sévère avec dyspnée de Kussmaul. Une acidocétose sévère et une hyperammoniémie responsable d un coma complètent la présentation et font

340 V. Valayannopoulos et al. Figure 1a Localisation des carboxylases biotine sensibles du métabolisme intermédiaire : ACC : acétyl-coa carboxylase ; PC : pyruvate carboxylase ; PCC : propionyl-coa carboxylase ; OAA : oxaloacétate ; PYR : pyruvate. Les déficits enzymatiques sont indiqués par des barres noires. Sur le schéma figure également le métabolisme de l acide méthylmalonique avec ses précurseurs (acides aminés et acides gras à nombre impair de carbone). Le cofacteur de la méthylmalonyl-co A mutase adénosyl cobalamine (synthétisée à partir de la vitamine B12 ou hydroxocobalamine) est également schématisé. Figure 1b Le cycle de la biotine. La biotine alimentaire sous l action de la biotinidase est libérée des protéines, pour synthétiser grâce à l holocarboxylase synthétase (HCS) les holocarboxylases (PCC, MCC, PC, ACC Fig. 1a). Leur dégradation produira de la biocytine qui sous l action de la biotinidase sera transformée à nouveau en biotine.

Maladies héréditaires du métabolisme vitaminosensibles chez l adulte. Implications diagnostiques et thérapeutiques 341 toute la sévérité de la maladie. Des formes moins sévères ont été rapportées qui se résument à des accès d acidocétose avec acidurie organique typique ou des formes plus progressives avec retard mental, alopécie et anomalies cutanées eczématiformes [2]. Une acidurie organique caractéristique (3- hydroxyisovalérique, 3-méthylcrotonylglycine, méthylcitrate, 3-hydroxypropionate, propionylglycine, tiglylglycine) liée au déficit des quatre carboxylases est l élément caractéristique du déficit en HCS. La concentration de biotine plasmatique est normale, ce qui la différencie du déficit en biotinidase, une autre maladie traitable avec une présentation clinique très similaire et un traitement identique par la biotine. Récemment, il a été décrit une forme clinique d encéphalopathie avec atteinte des noyaux gris centraux traitable par la biotine et qui serait liée à un défaut du transport intracérébral de la biotine [3]. La confirmation du diagnostic se fait par la mesure de l activité enzymatique des carboxylases sur lymphocytes et fibroblastes. Le diagnostic moléculaire est disponible avec des mutations fréquentes sur le site de liaison de la biotine [4]. Le traitement repose sur l administration quotidienne de biotine orale. La dose doit être définie pour chaque patient en fonction de son déficit enzymatique. Des doses de 10 à 20 mg/j donnent de bons résultats cliniques pour la majorité des patients, bien que parfois de plus fortes doses jusqu à 100 mg/j peuvent être nécessaires. Le pronostic global est bon pour les patients qui ont une bonne réponse clinique et biochimique, bien que quelques cas de patients avec retard mental et difficultés cognitives aient été rapportés [1, 5,6]. Dans les deuxième et troisième cas, le déficit porte sur le métabolisme des cobalamines et est responsable d une acidémie méthylmalonique sensible à l administration de vitamine B12 [7]. Leursymptomatologieserapprochedudéficit en méthylmalonyl CoA mutase (dont la vitamine B12 est le cofacteur) sur la voie de dégradation des acides aminés ramifiés (Fig. 1b). La majorité des patients se présentent avec un accès aigu de coma acidocétosique et hyperammoniémique à lanaissanceouàlapremièreannéedevie.lasymptomatologie comprend des vomissements, une déshydratation, une polypnée sine materia d acidose, un retard de croissance et psychomoteur avec hypotonie et encéphalopathie. L AMM est toxique pour la moelle osseuse et est responsable d une anémie macrocytaire, d une leucopénie et d une thrombopénie. Dans le déficit en cbl A, on retrouve une acidurie méthylmaloniqueleplussouventsensibleàlavitamineb12.eneffet, l administration parentérale d hydroxocoblamine (OHCbl) permet de diminuer de manière drastique l excrétion d acide méthylmalonique. Le diagnostic de certitude est porté par la mise en évidence d unediminution del incorporation du propionate marqué sur fibroblastes qui s améliore après adjonction d OHCbl [8]. Le diagnostic moléculaire est possible. Le traitement repose sur le traitement par l OHCbl : 1 mg per os tous les jours ou une injection intramusculaire hebdomadaire. Une restriction protidique modérée est nécessaire également ainsi qu une supplémentation en L-carnitine. Dans le premier cas, la connaissance de la maladie métabolique de la patiente et la disponibilité immédiate de la biotine ont été salvateurs. En revanche, si sa pathologie était méconnue et la vitaminothérapie non disponible, la patiente risquait le décès ou des séquelles graves. Dans le deuxième cas, la méconnaissance de la maladie du patient a empêché de prévenir une décompensation métabolique qui aurait pu être évitée si le traitement par la vitamine B12 avait été poursuivi. La connaissance de la maladie Tableau 1 Traitements pour les maladies héréditaires du métabolisme vitaminosensibles et principales présentations cliniques et biologiques Traitement Voies Dose Maladie Présentation clinique et biologique Biotine Hydroxocobalamine (vitamine B12) L-carnitine Pyridoxine (vitamine B6) Riboflavine (vitamine B2) p.o. i.m. p.o., i.v. p.o. p.o. 5 20 mg/j en 2 prises 1 mg/j en une injection 100 400 mg/kg par jour en 4 prises p.o. continu 50 100 mg en 2 prises p.o. ou une injection i.v. 100 mg/j en 2 3 prises Déficit multiple en carboxylases (déficit en biotinidase ou en holocarboxylase synthétase), déficit présumé en transporteur [3] Acidémie méthylmalonique et anomalies de synthèse et transport des cobalamines Déficits primitifs en carnitine, déficits de l'oxydation des acides gras, aciduries organiques Convulsions pyridoxinosensibles Acidurie glutarique I, déficit en ETF/ETF-DH, acidose lactique primitive Thiamine (vitamine B1) p.o. 50 500 mg/j Leucinose, déficit en PDH (formes B1 sensibles), déficit en complexe I de la chaîne respiratoire mitochondriale Coma, dyspnée de Kussmaul, acidose métabolique, hyperlactatémie, hyperammoniémie Coma acidocétosique, hyperammoniémie, hyperlactatémie Cardiomyopathie dilatée, hypoglycémie, syndrome de Reye, coma acidocétosique, hyperammoniémie, hyperlactatémie Convulsions avec tracé discontinu (burst-suppression) Macrocrânie dystonie, hypoglycémie, syndrome de Reye, acidose lactique Coma hypertonique avec mouvements anormaux ; acidose = 0 ; odeur caractéristique (sirop d'érable) ; retard psychomoteur, épilepsie, acidose lactique, acidose lactique ; atteinte multiviscérale

342 V. Valayannopoulos et al. aurait également pu faire éviter l iatrogénicité d une nutrition parentérale hyperprotidique. Dans le troisième cas, les premiers symptômes d une décompensation métabolique ont été méconnus entraînant un retard à la prise en charge du patient qui est finalement décédé malgré une prise en charge réanimatoire optimale. Les patients 1 et 3 étaient tous les deux porteurs de documents d urgence décrivant les signes de décompensation métabolique de leur maladie, la conduite à tenir en urgence et les numéros de téléphone à appeler pour conseil, ce qui n était pas le cas du patient 2. Nous avons résumé dans le Tableau 1 les maladies héréditaires du métabolisme qui peuvent se voir à l âge adulte, traitables par les vitamines, avec leurs manifestations cliniques principales ainsi que les principaux traitements qui doivent être idéalement disponibles dans toute pharmacie hospitalière. Par ailleurs, nous recommandons vivement devant toute situation clinique faisant suspecter une maladie métabolique devant un coma inexpliqué ou une acidose métabolique de réaliser en urgence des examens simples comme l ammoniémie et le dosage du lactate plasmatique, et de ne pas hésiter d initier un traitement par un cocktail vitaminique comprenant les vitamines du groupe B (B1, B2, B6, biotine, B12) et la L-carnitine. Conclusion Les médecins en général, et les réanimateurs en particulier, doivent connaître les principales manifestations cliniques ainsi que les traitements spécifiques des maladies héréditaires du métabolisme. En effet, certaines de ces maladies peuvent se voir à l âge adulte, leur connaissance pourrait permettre d éviter la décompensation aiguë de ces maladies et une morbidité et une mortalité importantes chez des patients qui ont été en général préservés grâce à des mesures et traitements pendant leur enfance. Références [1] Baumgartner ER, Suormala T. Multiple carboxylase deficiency: inherited and acquired disorders of biotin metabolism. Int J Vitam Nutr Res 1997;67(5):377 84. [2] Nyhan WL. Inborn errors of biotin metabolism. Arch Dermatol 1987;123(12):1696 1698a. [3] Zeng WQ, Al-Yamani E, Acierno Jr. JS, Slaugenhaupt S, Gillis T, MacDonald ME, et al. Biotin-responsive basal ganglia disease maps to 2q36.3 and is due to mutations in SLC19A3. Am J Hum Genet 2005;77(1):16 26. [4] Aoki Y, Suzuki Y, Sakamoto O, Li X, Takahashi K, Ohtake A, et al. Molecular analysis of holocarboxylase synthetase deficiency: a missense mutation and a single base deletion are predominant in Japanese patients. Biochim Biophys Acta 1995; 1272(3):168 74. [5] Sakamoto O, Suzuki Y, Li X, Aoki Y, Hiratsuka M, Suormala T, et al. Relationship between kinetic properties of mutant enzyme and biochemical and clinical responsiveness to biotin in holocarboxylase synthetase deficiency. Pediatr Res 1999;46 (6):671 6. [6] Wolf B, Hsia YE, Sweetman L, Feldman G, Boychuk RB, Bart RD, et al. Multiple carboxylase deficiency: clinical and biochemical improvement following neonatal biotin treatment. Pediatrics 1981;68(1):113 8. [7] Rosenblatt DS, Cooper BA. Inherited disorders of vitamin B12 metabolism. Blood Rev 1987;1(3):177 82. [8] Cooper BA, Rosenblatt DS, Watkins D. Methylmalonic aciduria due to a new defect in adenosylcobalamin accumulation by cells. Am J Hematol 1990;34(2):115 20.