PRÉSENTATION DE L AUTEUR

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PRÉSENTATION DE L AUTEUR www.franceinter.fr/personne-marie-darrieussecq Consulté le 17 septembre 2013 Marie Darrieussecq est née le 3 janvier 1969 à Bayonne et reste attachée au pays basque de son enfance. Après des études de lettres, elle enseigne à Lille avant de se consacrer à l écriture. En 1988 elle reçoit le prix du jeune écrivain de langue française pour la nouvelle La Randonneuse. En 1996, son premier roman Truismes, qui raconte l histoire d une esthéticienne qui se transforme progressivement en truie, est un immense succès médiatique. Roman provocant, plein d humour ce récit évoque La métamorphose de Franz Kafka. L écriture de Marie Darrieussecq s attache à décrire le corps et ses sensations. La relation mère-fille, cruelle le plus souvent, les limites de l identité, l errance, la solitude, la présence de fantômes sont des thèmes fréquents dans ses romans. Le bébé est quant à lui directement autobiographique. Plusieurs de ses romans ont été mis en scène au théâtre. Bibliographie (sélection) : 1995, Truismes 1998, Naissance des fantômes 1999, le mal de mer 2001, Bref séjour chez les vivants 2002, Le bébé 2003, White 2005, Le Pays 2007, Tom est mort 2011, Clèves 2013, Faire de son mieux, photographies Gilbert Garcin 2013, Il faut beaucoup aimer les hommes 2

REVUE DE PRESSE www.lepoint.fr/livres/rentree-litteraire-2013-marie-darrieussecq-l-amour-au-coeur-destenebres-20-07-2013-1706664_37.php Paru le 20 juillet 2013 Consulté le 17 septembre 2013 Rentrée littéraire 2013 - Marie Darrieussecq, l'amour au coeur des ténèbres Chaque jour, Le Point.fr vous fait découvrir le meilleur de la rentrée littéraire. Aujourd'hui, "Il faut beaucoup aimer les hommes" de Marie Darrieussecq. Marie Darrieussecq publie chez P.O.L "Il faut beaucoup aimer les hommes". Yann Diener/P.O.L / Montage Le Point.fr Ça ressemble à une bête histoire d'amour. "Une femme rencontre un homme. Coup de foudre. L'homme est noir, la femme est blanche. Et alors?" annonce d'ailleurs laconiquement la quatrième de couverture d'il faut beaucoup aimer les hommes. Une bête histoire d'amour, puisque la littérature parcourt ad libitum la gamme des passions contrariées. Une bête histoire d'amour comme elles le sont toutes, prise dans la nécessaire idiotie des premiers élans. 3

Il y a de cela dans le roman de Marie Darrieussecq. La Solange de Clèves est partie faire carrière à Hollywood ("You're wild, Solange!"). Elle y rencontre Kouhouesso, camerounais d'origine, canadien d'adoption. Un acteur cantonné aux seconds rôles, et qui nourrit une "Grande Idée" : adapter au Congo Au coeur des ténèbres, de Conrad, dans un film terrible et beau, clinquant, hollywoodien, africain. "Un certificat de non-racisme" Il faut beaucoup aimer les hommes est le récit de l'amour univoque de la petite actrice blanche pour le somptueux réalisateur noir, qui ne lui dispense guère qu'une tendresse distraite. L'histoire d'une attente infinie, nourrie de questions sans réponses sur sa négritude à lui et sa demande à elle de ce qu'il appelle un "certificat de non-racisme", pleine de silences mâchés et remâchés et du fantasme un peu vain de devenir "La Promise" du film, l'égérie de Kouhouesso. Car enfin, elle l'a dans la peau, y compris au sens littéral du terme : chaque nuit, les tresses de son amant s'impriment en creux sur son visage. "Il faut beaucoup aimer les hommes", dit Solange à Kouhouesso en citant Duras. "Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela ce n'est pas possible, on ne peut pas les supporter." Marie Darrieussecq, ici, décrit moins le désir qu'elle n'en fait la matière même d'un roman qui interroge, le temps de l'enfantement d'un film, l'exotisme terrible des amours qui débutent. Une bête histoire d'amour au plus noble sens du terme, et du meilleur calibre. P.O.L, 320 pages, 18 euros. À paraître le 22 août. DÉCOUVREZ - un extrait d'"il faut beaucoup aimer les hommes" (p. 47 à 54) : Rendez-vous sur l'autre rive Phrases. Elle se souvenait de ses phrases comme s'il les soufflait brûlantes entre ses seins. Laisse-moi t'embrasser, t'embrasser encore, j'aime t'embrasser, j'aime le goût de tes lèvres. Je ne veux pas que le jour se lève. Mais il n'est plus là. Mais il n'a pas appelé. Let me kiss you, let me kiss you again, I love to kiss you, I love the taste of your lips. I don't want the day to break out. Ça se passait en anglais. En français, peut-être, ça ne se serait pas inscrit avec une telle force, enfin, elle ne sait pas. La phrase surtout qui lui revient sans cesse, cette voix bouleversée, ç'aurait pu être n'importe quelle phrase mais c'étaient ces mots-là dits de cette voix-là : I want to stay inside you for ever. Comment dirait-on une phrase pareille en français? Je veux rester à l'intérieur de toi pour toujours? Elle court dans le vacarme des balles et de ses hauts talons, et elle n'entend que ces phrases, et elle ne ressent que le choc dans son ventre de chaque phrase qui l'atteint. Chaque séquence de souvenir la rattrape, et le but - l'angle de toile verte où elle doit s'effondrer, d'où Matt Damon doit surgir - cet angle est un repos, sa pensée s'arrête, son cerveau asphyxié et ses jambes martelées réclament un peu d'attention brute, physique, et elle reprend son souffle en jouant l'agonie. Les phrases, des bribes, des mantras. Et la nuit la reprend, une seule nuit beaucoup plus grande qu'elle. Le metteur en scène la trouve "wild, sublime, you're sublime, Solange, you're wild". Il s'était endormi d'un coup, profondément. Elle ne dort pas souvent avec quelqu'un, elle n'avait pas prévu de dormir avec lui. Elle le regardait. Elle pouvait le regarder, avec le soupçon qu'il détesterait ça. Son profil long et fin. Son visage de face, étonnamment large. Pas le même homme de face et de profil. 4

Elle avait envie d'embrasser ses lèvres, son nez, la racine de ses cheveux, les petits triangles étranges creusés dans ses tempes. Son cou large et doux, la peau un peu plissée. L'attache solide des clavicules, la rondeur dure des épaules, des bras, du torse. La peau souple, élastique, lisse, épaisse, sculptant parfaitement ses courbes, ses muscles, ses tendons, sauf dans le cou tendre où se devinait son âge. Un homme endormi dans sa force, épousé par sa peau. Quelques minutes avant, elle lui disait elle aussi une phrase, elle lui disait : "I love your skin." J'adore ta peau, et c'était vrai, elle l'adorait, elle l'embrassait et la caressait, épaisse, souple, lisse, cette phrase de sa bouche un baiser se posant, un papillon. Il avait eu un frisson brusque ; s'était dégagé, reculé d'un rien mais c'était une grande distance, une grande distance de sa peau à la sienne. Il avait dit : "I know nothing about skin." De la peau je ne sais rien. "Skin is contact" : elle parlait de ça, c'est tout. La douceur de leurs deux peaux l'une à l'autre frottées, appariées : ce contact. Il l'avait reprise, absoute, embrassée comme s'il estimait sa réponse valide. Et il s'était endormi (elle est empoignée par Matt Damon qui écrase son genou entre ses seins et le sang gicle), et elle pouvait le regarder. Le contempler. Il était brun cuivre, chocolat, le creux du cou presque noir, l'intérieur des mains presque rouge, la plante des pieds orange ; et elle était beige pâle, bleutée aux poignets, rose pâle aux seins, brun mauve aux aréoles, un hématome un peu vert au sternum. Elle était blanche et elle ne le savait pas. On la refait, on la refait tout de suite, on reprend, Matt et Solange, la coulée de sang, Hollywood, elle dit sa phrase, accent français exagéré : "See you on the other side." Sa seule phrase mais c'est le titre du film. Il s'élance vers le tissu vert et vous verrez, au cinéma, ce sera l'entrée fabuleuse d'une faille de l'espace-temps et elle restera allongée sur le seuil, morte. On la refait. Matt se repositionne sur sa poitrine, la balle vient de claquer, elle est mourante, Natsumi arrange un peu sa tenue, elle a le pelvis de Damon exactement devant sa bouche, c'est bizarre mais elle a l'esprit mal tourné, regard pathétique, caméra très proche côté droit, preneur de son idem, elle est entourée de pieds et de genoux, ça tourne : si iou on zi ozer saïde, on se reverra de l'autre côté. Coupez. Il faut qu'elle force encore l'accent, et le souffle, et la fragilité. Elle, elle voulait jouer avec Desplechin, avec Carax, avec Noé, mais aucun ne lui a jamais fait signe, elle se souvient d'attendre après un pseudo-casting alors que les jeux étaient déjà faits, maintenant c'est elle qui dit les titres des grosses machines hollywoodiennes et elle est payée cinquante mille dollars les deux jours de tournage et elle les emmerde. Légère impatience dans les doigts de Damon, elle se concentre. Il y a des femmes qui le trouvent beau, Damon. Elle le trouve blanc. See you on the other side, elle a dit la phrase d'un air de flûte, mélodie ascendante, comme une question : c'est la bonne, le metteur en scène adore. Olga la débarbouille, elles sont lessivées. Natsumi et la maquilleuse sont déjà parties. Deux messages sur son téléphone : un bisou de George, et un coucou de Lloyd, son agent, pour savoir si tout s'est bien passé. C'est gentil. Olga lui masse le visage au gel démaquillant. Miroir. La nuit tombe. "J'ai rencontré quelqu'un." "How nice", dit Olga. Comme c'est chouette. Elles rivalisent d'abord d'exclamations toutes faites, figées et caoutchouteuses comme du fromage à burger. Puis ça fond un peu. Son visage coule sous le gel blanc, ses yeux percent dans le rimmel dilué, sa bouche rouge énonce : "Il ne m'a pas rappelée." Ça fait combien de temps, demande Olga qui l'essuie au coton. Deux jours. Olga sourit : deux jours ce n'est rien, les hommes, les hommes. Mais ce n'est pas ça - elle se débat sous les cotons, se tourne vers elle, Olga, pas son reflet : il s'est vraiment passé quelque chose, une - elle cherche le mot - une connexion. 5

Toutes ces phrases qu'il lui a dites. Elle ne les convoque pas, elle les laisse flotter entre Olga et elle. La gelée de phrases, tremblotante et translucide, à travers laquelle Olga les devine, elle et lui. Les distingue, pris dans l'ambre des phrases, dans la lumière nocturne et dorée. Les voit, pris dans l'amour. Non, il lui manque un élément. "He is black." Il est noir. Olga ne comprend pas. "Il est noir, elle répète, he is a black man." Pourquoi a-t-elle besoin de lui signaler ça, quel rapport avec l'histoire? De quelle nuance elle se mêle, à quoi elle la mêle? Cette gêne dans le corps, dans la gorge ; cette fatigue. Olga recule un peu. Elle revoit Kouhouesso mettant entre elle et lui une petite distance, pas grande, mais mesurable - voilà : c'est cette distance exactement qu'a prise Olga d'instinct, une distance tangible, ça va d'ici à là dans l'espace, longitude latitude, ça se calcule en coordonnées. Comparée à l'océan ou même à la Californie ça n'irait pas bien loin, mais rapportée au corps humain ça s'appréhende, c'est la mesure du blanc au noir, c'est la mesure des lieux communs avec lesquels, depuis deux jours, elle bataille. Olga est asiatique. Ça lui saute aux yeux. Ses yeux, ses cheveux. Une belle tête de Hun. De ce quelque part en Asie où les noms sont en -stan, de ce gros ventre sous l'oural où on croit encore à l'europe - mais où il y a des déserts et carrément des chameaux. Pourquoi n'a-t-elle pas pris pour confidente, je ne sais pas, Natsumi? Non. Natsumi est jaune elle aussi. Elle a la peau très blanche mais elle n'est pas blanche, elle est japonaise, d'origine japonaise comme on dit en France ; elle y serait plus qu'une Chinoise et beaucoup plus qu'une Arabe mais moins qu'une Espagnole et même moins qu'une Portugaise. Olga regarde Solange et son reflet, chacune à leur tour. Le gel démaquillant a fondu et Solange apparaît nue, transparente, et il lui semble qu'olga devine ses pensées. Qui lui remontent d'elle ne sait où, du fond bourbeux de son village, loin de Los Angeles mais tapies dans l'occiput - et elle voudrait s'excuser, lui dire nous sommes tous pareils. Elle voudrait s'ouvrir la peau pour lui montrer l'universelle couleur Benetton de son sang. Olga sourit mais hésite, apparemment, à poser une question. En cette fin de journée où elles partagent une bouteille de merlot dans la cabine, en cette heure où tout le monde s'en va, même à cette heure : Solange est sa supérieure. C'est Solange à l'écran, c'est gros budget, c'est la Warner, c'est à elle que la star fait des bleus. Olga a une petite moue, mi-réprobation mi-malice : "Did he have a big one?" Elle rit, la main devant la bouche. S'il en avait une grosse. 6

www.telerama.fr/livres/il-faut-beaucoup-aimer-les-hommes,101157.php Paru le 24 aout 2013 Consulté le 17 septembre 2013 Deux amants s'apprivoisent sous le soleil d'hollywood. Un Noir, une Blanche. Sur le thème de l'altérité, un roman brûlant. Elle aime depasser les limites, faire exploser les tabous. Depuis son premier succès, Truismes, en 1996, Marie Darrieussecq est frondeuse, provocante, excessive. Qu'elle embrasse le sexe ou la mort, l'enfance ou l'absence, la solitude et le silence. Avec ses phrases piquantes comme le feu, et cette énergie, cette radicalité parfois proches du fantastique. La quarantaine venant, la pourfendeuse de littérature se cogne aujourd'hui à la passion, au temps soudain désarticulé de la passion, à l'attente de l'autre, à l'obsession de cette attente, à l'horreur et au vide de l'absolu désir. Et c'est son plus beau roman, le plus brûlant, le plus poignant. Avec des accents raciniens, proustiens, durassiens à la fois. Pas mystiques, plutôt sauvagement matérialistes. Le titre de ce treizième livre, Il faut beaucoup aimer les hommes, est d'ailleurs inspiré de la sublime et triviale amoureuse que fut Marguerite Duras : «Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela ce n'est pas possible, on ne peut pas les supporter.» On y retrouve Solange, l'adolescente basque (comme Darrieussecq) de Clèves (le précédent roman). A la trentaine, elle est la vedette frenchie de Hollywood, frayant avec Steven (Soderbergh), George (Clooney), quand elle ne tourne pas avec Matt (Damon). Lors d'une soirée chez George, justement, elle est électrisée par un acteur noir à l'allure mélancolique et altière. D'origine camerounaise, Kouhouesso n'est en Amérique qu'un brillant second rôle, mais rêve de réaliser Au coeur des ténèbres, de Conrad, en Afrique. Il finira par en trouver les moyens, comme il finira par se laisser aimer épisodiquement par Solange. Entre deux éclats contre le racisme ambiant et sa difficulté à trouver ses racines, à comprendre ce que signifie être africain. Histoire d'amour choquante entre une Blanche et un Noir au royaume de l'image et de l'apparence? Racontant Hollywood, puis le tournage façon Apocalypse now, Marie Darrieussecq se joue du roman à clé, mêle fiction et réalité. La fiction domine pourtant. Jusqu'à devenir une espèce de poème suffocant. Ou de tragédie classique. Découpée en cinq actes, et autant de chapitres, telles des scènes, Il faut beaucoup aimer les hommes dépasse les clichés bien-pensants sur l'amour mixte. L'angoisse de blesser l'homme qu'on aime y est juste démultipliée encore. C'est cette angoisse du masculin et ce désir du masculin, toujours si étranger pour une femme, qu'il soit noir ou blanc, qu'explore admirablement la romancière. L'altérité radicale renvoie alors à ce qu'être femme veut dire. Sans désespérance. Solange a déjà traversé trop de deuils, ne souffrant plus d'être mauvaise mère, passable comédienne. Elle se rêvait royale amante d'hollywoodienne légende. Mais on ne peut forcer personne à vous aimer. Fabienne Pascaud 7

http://app.letemps.ch/page/uuid/f365efa8-0a6a-11e3-91a3-925d4a0a340f/marie_darrieussecq_saventure_au_c%c5%93ur_battant_des_t%c3%a9n %C3%A8bres Paru le 24 aout 2013 Consulté le 17 septembre 2013 Genre: Roman Qui? Marie Darrieussecq Titre: Il faut beaucoup aimer les hommes Chez qui? P.O.L, 320 p. Depuis Truismes, paru en 1997, 30 000 exemplaires vendus, véritable phénomène littéraire, météorite pleine d esprit et d humour qui creusa immédiatement un trou dans le terreau des lettres françaises, Marie Darrieussecq, née en 1969, fait jouer, souvent avec brio, son imaginaire. Après avoir inventé cette femme qui se transforme en truie, elle n a cessé d explorer de nouveaux mondes: la famille, les ancêtres, les lieux de l enfance dans Naissance des fantômes ou dans Le Pays, la maternité heureuse ou dévastée avec Le Bébé ou Tom est mort, l adolescence et la découverte de la sexualité dans Clève. Il faut beaucoup aimer les hommes, son nouveau roman, affiche un titre emprunté à Marguerite Duras, laquelle ajoute à cette première injonction (Marie Darrieussecq fait figurer l extrait choisi en exergue du roman) «sans cela ce n est pas possible, on ne peut pas les supporter». Ce titre indique, bien sûr, un programme amoureux. On retrouve dans ce nouveau roman Solange, l adolescente de Clève. Solange a grandi. Elle travaille en toute simplicité à Hollywood où elle est actrice. Elle croise un acteur. Coup de foudre. A sens unique? Presque. La suite de cette histoire d amour longues heures passées à déchiffrer les silences du monsieur, se nourrir chichement de textos laconiques «Ciao ma belle», tentatives de profiter à plein des accès de passion aussi fugaces que rares, désillusions en série démontrera, en effet, qu «il faut beaucoup aimer les hommes» pour pouvoir aimer celui-là. «L homme est noir, la femme est blanche. Et alors?» dit la quatrième de couverture. «Et alors?» se demande aussi le lecteur, puisque ce décalage de couleur de peau, présenté pourtant comme une sorte de curiosité, ne donne pratiquement lieu à aucune réflexion. En revanche, ce qui pose vraiment problème à l héroïne, et explique les éclipses de l amoureux, c est sa passion propre: tourner un film à partir de Au cœur des ténèbres de Conrad, en tournant en Afrique même, au bord du fleuve, au cœur même des ténèbres. Obsédé par la réalisation de ce film, l homme est bien peu disponible pour l amour. Et voilà. Moralité: «Il faut beaucoup aimer les hommes.» Les chassés-croisés entre amants au début du roman n emportent guère difficile de vraiment s installer dans ce Hollywood de fiction où sont répétés comme des mantras des prénoms et des noms de stars George, Gwyneth, Vincent Cassel, Eva Green, etc. Le roman se densifie en revanche lorsque Solange débarque en Afrique où la moiteur, l inconfort, la magie viennent perturber encore un peu plus ses amours difficiles. Le tournage de «Au cœur des ténèbres», le gigantisme du projet donne quelque chose de beau, de grand, d un peu fêlé au personnage de l amoureux-réalisateur, nommé Kouhouesso. Et puis Rien. Les histoires d amour finissent mal, en général. 8

On retrouve avec plaisir dans Il faut beaucoup aimer les hommes la langue de Marie Darrieussecq. Une langue à elle, charnue, chargée de visions, ciselée avec art, souvent sensuelle, puissante et drôle. C est son atout: «Le creux doux du cou de Kouhouesso, ce creux large comme la pulpe des doigts, rond comme des lèvres jointes: le temps, dans ce creux, s enroulait.» Mais on se dit aussi, avec regret, qu elle n a pas su cette fois nourrir cette langue d assez d images, que son récit tourne un peu à vide. Il y a de l écriture, mais la matière manque. Marie Darrieussecq possède une puissance propre de romancière, on se réjouit qu elle la retrouve et la fasse chanter de nouveau. 9

www.rts.ch/espace-2/programmes/entre-les-lignes/5129138-entre-les-lignes-du-27-08-2013.html Paru le 27 aout 2013 Consulté le 17 septembre 2013 Marie Darrieussecq : "Il faut beaucoup aimer les hommes" Marie Darrieussecq [Yann Diener - DR] Depuis "Truismes", son premier roman, Marie Darrieussecq surprend par son insistance à traquer les idées reçues et les fausses vérités. "Il faut beaucoup aimer les hommes" propose un regard aiguisé sur les stéréotypes liés à la société et la culture africaines. A travers la relation amoureuse de deux stars d Hollywood. Elle se nomme Solange. Elle était déjà la protagoniste de Clèves, précédent roman de l auteure, alors qu elle s initiait crûment à la sexualité au cours des années 1980. Depuis, Solange s est émancipée de ses origines provinciales. Elle est devenue actrice et travaille pour l usine à rêves hollywoodienne. Lui se nomme Kouhouesso Nwokam. Né au Cameroun, de nationalité canadienne, il s est aussi imposé comme acteur à succès, entre longs-métrages et séries télévisées. Solange et Kouhouesso se rencontrent lors d une soirée sélecte chez George (Clooney!). Un couple se forme : il est noir de peau. Elle est blanche. Ce contraste de couleur et la difficulté à le surpasser sous-tendent le roman de Marie Darrieussecq. Avec, comme une trouble rengaine, des fragments du discours de Dakar prononcé par Nicolas Sarkozy en 2007 : "Le drame de l Afrique, c est que l Homme africain n est pas assez entré dans l Histoire. ( ) Le problème de l Afrique, c est qu elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l enfance." En écho à cette vision compassée de l Afrique, vient s ajouter le projet fou de Kouhouesso : tourner dans la forêt africaine une adaptation du célèbre roman de Joseph Conrad : Au cœur des ténèbres. Bien loin de la transposition très personnelle de Coppola. Une histoire d amour impossible, une réflexion acérée sur les relents post-colonialistes, le makingof d un tournage épique au cœur de l Afrique il y a tout cela dans ce roman au titre durassien. Il faut beaucoup aimer les hommes, une injonction qui diffuse lentement son parfum d ironie Par Jean-Marie Félix Lectures : Sabrina Martin A lire : Marie Darrieussecq : Il faut beaucoup aimer les hommes, Editions P.O.L. Clèves, Editions P.O.L. 2011 10

www.franceinfo.fr/livre/la-culture-et-vous/il-faut-beaucoup-aimer-les-hommes-de-mariedarrieussecq-1127223-2013-09-02 Paru le 2 septembre 2013 Consulté le 17 septembre 2013 "Il faut beaucoup aimer les hommes," de Marie Darrieussecq La rentrée littéraire est déjà bien entamée, les ventes sont bonnes même s'il y a moins de livres cette année, 555 romans contre 646 en 2012. Parmi les auteurs confirmés de la rentrée, Marie Darrieussecq. Le titre de son 14e roman ne peut pas laisser indifférent : Il faut beaucoup aimer les hommes. P.O.L Le titre du nouveau roman de Marie Darrieussecq est emprunté à Marguerite Duras qui poursuivait : "sans cela ce n'est pas possible, on ne peut pas les supporter". L'héroïne de Marie Darrieussecq, Solange, est une belle actrice française vivant à Los Angeles, pas une star, mais elle vit bien jusqu'à sa rencontre avec Kouhouesso Nwokam, chez Goerge Clooney. Kouhouesso est un acteur camerounais, naturalisé canadien, il est sublime, magnétique, Solange est foudroyée, et cette passion va la consumer. On est happés par cette addiction ravageuse. Lui éprouve certes des sentiments, mais il a une obsession, réaliser l'adaptation cinématographique de Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad. Un projet fou, qui va virer au cauchemar. Marie Darrieussecq n'épargne rien à son personnage. L'autre thème de ce roman c'est la différence, elle est blanche, il est noir et ce n'est pas simple. Marie Darrieussecq y trouve une belle matière littéraire et a l'idée redoutable de ressortir le fameux discours de Dakar sur l'homme africain de Nicolas Sarkozy. Il faut beaucoup aimer les hommes, de Marie Darrieussecq, est publié chez P.O.L 11

www.parismatch.com/chroniques/valerie-trierweiler/un-amour-a-fleur-de-peau-526993 Paru le 9 septembre 2013 Consulté le 17 septembre 2013 Le regard de Valérie Trierweiler Un amour à fleur de peau Le 09 septembre 2013 Mise à jour le 09 septembre 2013 Marie Darrieussecq Patrick Fouque Coup de foudre à Hollywood pour Solange, l héroïne de Marie Darrieussecq, qui s éprend d un réalisateur noir. Et éprouve les vertiges de la différence. Marie Darrieussecq se serait-elle assagie? Ou plutôt son héroïne, Solange, aurait-elle été rattrapée par la maturité? Solange, celle-là même qui, adolescente, nous faisait presque rougir par le récit cru de ses découvertes et exploits sexuels. C était dans «Clèves», le précédent roman de Darrieussecq paru en 2011. Solange est devenue femme et vedette de cinéma. Une de ces Françaises qui voit, non sans fierté, son nom en bas des affiches de films hollywoodiens. Même pour des seconds rôles, ça vaut toujours mieux que de rester coincée dans un village du Pays basque. La belle Solange fréquente les soirées de Los Angeles où circulent les joints, les limousines et les aspirants aux studios de cinéma. Là où les contacts se nouent, là encore où s entremêlent les cultures et l entresoi. Les rêves et les cauchemars. Kouhouesso, elle le remarque tout de suite. Son magnétisme, sans doute. Ils embarquent l un avec l autre pour une première nuit d amour. Une nuit à peine achevée que l attente commence. Un écrivain engagé 12

La mécanique amoureuse est enclenchée, l écrivain en démonte le mouvement. Dans le même temps se bousculent les questions sur leur différence. Elle est blanche, il est noir. Solange ne cesse de s interroger sur ce qui, dans leur relation, relève de cette dissemblance. Est-ce parce qu il est noir qu il n aurait pas le même rapport au temps et qu il ne la rappelle pas? Le téléphone affiche désespérément zéro message. Un, deux, trois, dix jours et elle se morfond. Soumise. Les questionnements n en finissent pas. Ne pas être raciste est-ce aimer un homme parce qu il est noir ou ne pas voir qu il est noir? Est-il avec elle uniquement pour sa peau diaphane? Parce qu ils sont beaux surprennent et attirent tous les regards? Elle court après lui et lui après son rêve, adapter le roman de Joseph Conrad «Au cœur des ténèbres». Pour elle, c est une façon d aller au bout des clichés. C est risquer de soulever la question du racisme pour le justifier. Mais que connaît-elle, elle, de l Afrique, autre que ces images d enfants faméliques et d éléphants? Que peut-elle comprendre de celui qu elle croit aimer? La voilà naviguant sur Wikipédia à la découverte de ce Congo dont il l abreuve, celui de Kinshasa et du Kivu. Lui, son pays c est le Cameroun. Elle ne fait aucune distinction. C est aussi la question des origines que soulève l auteur. L acteur n était donc pas américain comme Solange le pensait. Pas même canadien, comme il le prétendait. Kouhouesso lui donne son corps, pas son esprit. Il reste entièrement focalisé sur la réalisation de son film. En compensation, il lui offrira un rôle, celui de la «promise». Le tournage peut commencer sur une bande de territoire coincée entre le Cameroun et la Guinée équatoriale. Lui devient un Noir parmi les Noirs, tandis qu elle n est que la Blanche, qui finira par être coupée au montage. La question de l altérité devient cruciale. Comme celle du couple. En sont-ils un? Ou ne sont-ils que l addition de l un et de l autre? L un, non pas à la recherche de l autre, mais chacun en quête de soi-même. Marie Darrieussecq surprend avec ce roman plus sentimental que les précédents. Mais elle reste un écrivain engagé et le prouve. 13

www.lefigaro.fr/livres/2013/09/12/03005-20130912artfig00505-marie-darrieussecq-solange-aucoeur-des-tenebres.php Paru le 12 septembre 2013 Consulté le 17 septembre 2013 Marie Darrieussecq, Solange au cœur des ténèbres Sébastien Lapaque Mêlant l'amour, Hollywood et l'afrique, Marie Darrieussecq à l'inspiration papillonnante tient son sujet dans son roman Il faut beaucoup aimer les hommes. PAUL Otchakovsky-Laurens, fondateur des Éditions POL, en veut au Figaro littéraire. À ses yeux, nous sommes coupables d'avoir fait manquer le prix Goncourt à Tom est mort de Marie Darrieussecq en 2007. Par quel truchement? En rappelant que, depuis Truismes, dont l'argument était emprunté à Truie de Thomas Owen, la romancière avait tendance à pondre ses œufs dans le nid des autres. Nous nous sommes autorisés à entendre la colère de Paul Otchakovsky-Laurens et à nous accorder l'influence qu'il nous prêtait. Hélas, il y a fort à craindre qu'il se soit illusionné: la toute-puissance de la techno-science-économie ne laisse aucune chance d'être entendus à ceux qui s'expriment au nom de l'art et de la pensée. La communication et le commerce ont pris l'avantage ; plus personne ne considère la valeur d'usage des livres ; chacun ne veut peser que leur valeur d'échange. Afin de pouvoir donner un fondement scientifique à cette certitude, faisons cependant l'expérience inverse. Célébrons cette année le travail de Marie Darrieussecq. Si elle obtient le Goncourt en novembre, cela prouvera que Paul Otchakovsky-Laurens avait raison: c'est Le Figaro littérairequi fait le prix! Il faut beaucoup aimer les hommes démarre doucement, mais de manière ensorcelante. C'est une audacieuse envie qu'a eue Marie Darrieussecq, Basque de Bayonne, de célébrer le potentiel érotique de l'homme noir. À notre goût, elle l'a fait avec art, malgré quelques insupportables manies durassiennes, une écriture blanche qui a viré depuis longtemps à l'académisme et un usage grotesque du name-dropping lorsque les personnages qu'elle met en scène évoquent George (Clooney) Steven (Soderbergh), Matt (Damon) ou Vincent (Cassel). Car l'histoire commence à Hollywood, chez les heureux du monde, où Solange s'est éprise de Kouhouesso. Ils sont acteurs l'un et l'autre, mais lui, «second rôle peu connu», en veut plus: il rêve de devenir metteur en scène, veut tourner Au cœur des ténèbresen Afrique. Ni lieu assigné, ni terroir désigné Nous ne joindrons pas notre voix au chœur de ceux qui reprochent à Marie Darrieussecq d'avoir situé la première partie de son roman à Los Angeles afin de pouvoir singer les écrivains américains du cru. À l'époque d'internet et des compagnieslow-costs, le roman n'a plus ni lieu assigné ni terroir désigné. Adieu Faulkner, Sciascia, Giono. Il est non seulement permis, mais recommandé aux littérateurs d'aujourd'hui de mêler les langues - ici le français et l'anglais - et les paysages - les États- Unis, la France, le Cameroun. 14

Après 150 pages américaines, l'imagination de Marie Darrieussecq se délocalise et l'histoire se poursuit à Paris puis au Cameroun, où Kouhouesso a commencé le tournage de son film sur les rives du fleuve Ntem. Les pages africaines d'il faut beaucoup aimer les hommes(pp.203-295) sont les plus belles. On y voit la fièvre et la folie s'emparer de l'équipe du film, comme à l'occasion des tournages amazoniens de Werner Herzog. De bout en bout, l'histoire d'amour de Solange et Kouhouesso est âpre et prenante. C'est dépaysant, tout public, snob mais pas trop. Le Goncourt, on vous dit. 15