Georges Perec - L'homme qui dort



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Transcription:

Georges Perec - L'homme qui dort Dès que tu fermes les yeux, l'aventure du sommeil commence. Dans la pénombre de ta chambre, ta mémoire se souvient mille fois De choses aussi indifférentes les unes que les autres et auquel ta passivité Prend sa place pour te donner du monde une succession d'images Auquel tu ne portes pas plus d'intérêt qu'à l'endroit où tu vis, là, ici, tant bien que mal. Parfois, tu regardes autour de toi, mais ta fenêtre est trop opaque Pour y voir l'extérieur que tu imagines grisâtre, déformé, Au point de non-retour à la normale, et d'ailleurs qu'y a-t-il de normal? Ton corps est mou, blanc comme un cachet d'aspirine, telle une planche Lorsqu'elle est inutile sauf à servir de support à un matelas pour dormir, s'y allonger Et éviter l'inévitable : les maux de tête. Tu es assis, vêtu d'un pantalon de pyjama Torse nu dans ta chambre de bonne avec un livre posé sur tes genoux. Tu es fatigué, las, sans muscle, sans os, le soleil tape et tu as chaud. Dans la chambre voisine, quelqu'un va et vient, tousse, traîne les pieds, Il fait du bruit comme tout le monde. Dehors, c'est Paris. Tu es trempé de sueur, tu te lèves, tu vas à la fenêtre et tu la fermes, Tu passes un gant de toilette humide sur ton front, tu te couches. Le jour de ton examen arrive, mais tu n'y vas pas. Tu es bloqué, Tu ne bouges plus malgré les préparatifs que tu as faits pour te réveiller. Rien n'y fait, partout les bruits crépitent de toute part, ça te paralyse. Sans le vouloir, tu vas te dédoubler, tu te lèves, te laves, te rases, te vêts, Et puis tu t'en vas, mais où? Les regards inquiets de tes amis convergent vers ta place restée vide. Tu ne diras pas ce que tu sais, ce que tu penses sur les hommes, tous les hommes, De la manière dont on les manipule pour les aliéner avec des cols blancs Et de lourds manteaux noirs, ce que tu penses sur Marx et les autres Dont tu as lu tous les livres. Au fond, tout t'indiffère, Tu ne feras plus d'études, tu ne veux penser à rien, tu ne te laves pas, t'en as pas envie, Heureusement tu mets à tremper tes chaussettes sales dans une bassine en plastique Avec un peu d'eau à l'intérieur. Tu ne vas plus au café voir tes amis. L'un d'eux d'ailleurs va gravir les six étages qui mènent à ta chambre, Et toi, tu ne lui répondras pas.

Il reviendra plus tard, glissera un mot sous la porte. Tu ne veux voir personne. À force, tu constates une évidence : tu ne sais pas vivre. Le soleil continue à taper fort, la chaleur dans la pièce devient insupportable. Tu ne lis plus, tu fumes. En toi, quelque chose s'est cassé, pourtant tu avais tout pour réussir, Mais tout, le passé, le présent, l'avenir se confondent dans ton esprit fragile Dans cette mansarde de cinq mètres carrés. Tu restes dans cet espace clos sans manger, sans bouger Tu regardes dans le vide ce qui t'entoure, tu fais le bilan de ton premier quart de siècle, Et même ton courrier, tu ne descends pas pour aller le chercher, tu fais le mort. Comme les rats, la nuit, tu traînes dans les rues, tu marches, tu es un somnambule. La vie moderne n'apprécie pas de tels comportements. Pour être un homme, un vrai, Il te faudrait fixer l'horizon, être tenace et avoir envie de marquer ton existence Pour ne pas devenir un laissé-pour-compte, un gars qui arrive toujours trop tard. Toi, tu es cassé d'avance, cassé, tu n'as plus besoin de rien, même tes amis se sont lassés, Ils ne frappent plus à ta porte. Tu ne veux pas être confronté à eux, À quelque niveau que ce soit, tu te protèges de tout affect, de toutes difficultés En te repliant dans ce vase clos où la nuit tu restes étendu à regarder le plafond Juste avant de sortir comme un zombi pour te mêler à la foule des Grands Boulevards, Pour marcher, ne faire que cela, marcher. Ta métamorphose n'a rien à voir Avec celle de Kafka. Tu as l'impression d'avoir toujours été ainsi, Tu te regardes dans la glace, tu es nu. Qu'ai-je vécu? Cette question tourne dans ta tête avec les images de ton passé, Pourtant tu n'es pas un vieil homme à la veille de sa mort, tu démissionnes. Tu démissionnes avec l'espoir de trouver un calme et tu rêves de province, De villages déserts, de maisons aux volets clos et aux portes de cimetières À tout moment ouverts. Tu n'es qu'une ombre de toi même, indifférent à tout. Ton voisin dort de l'autre côté du mur, tu t'en fous. Tu t'obsèdes sur ces cartes que tu veux mettre en ordre, Mais de quel ordre il s'agit dans ta tête? Tu les compares à des foules d'hommes Qui montent et descendent les marches de l'escalier menant au métro, Et donc au travail, à l'ordre normal des choses de la vie. Tu sors

Des murs de ta chambre où aucune femme ne vit, tu te souviens de mille souvenirs T'apparaissant perdus dans un amas de repères à retrouver. Tu émets quelques hypothèses au hasard des mots te venant comme ça, Ils s'embrouillent, tournent en rond autour de toi. Tu dois te ressaisir, être précis, Logique, prendre tes marques dans ce crâne qui perd pied, se noie. Il faut t'accrocher à un fil, aussi mince soit-il ; tu retrouves ton esprit, Mais il est lourd à porter chaque jour, tu as encore sommeil. À peine réveillé, des images Insolites te viennent par paquets et comme les cartes, tu ne sais comment les classer, Elles sont floues, tu penses à les laver avec du savon, quelle drôle d'idée. Ta peau fine Est tendue, posée à même l'oreiller, recroquevillée sur ta personne au point de t'y perdre Avec des considérations à faire frémir le quidam traversant la rue, et puis, te dis-tu, Ma conscience qu'a-t-elle à se reprocher? Ce n'est pas la première fois Que tu te trouves dans cette situation, tu cherches un endroit, un lac, Une rivière ou n'importe quoi de liquide. Seulement, il n'y a rien Sinon un gros coussin étouffant cet intellectuel que tu penses être. Tu as dormi, et dans le fond tu n'as pas sommeil, tu cherches derrière toi Ce qui a pu se passer. À l'horizon tu vois, tu crois voir, Mais il est trop tard, comme toujours, on ne refait pas deux fois la même prise. Mais cette remarque n'est pas de toi, elle te revient d'un autre temps, tu n'as pas la force, Le courage d'y aller voir de quoi il en retourne au juste, pourquoi aujourd'hui et Pas hier, et toujours ce pourquoi donnant le vertige, tu ne sais pas y donner une réponse Pouvant calmer tes sens raisonnablement, assez pour ne pas remettre ta tête À l'horizontale et dormir, effacer ta mémoire. Tu quittes Paris pour aller dans l'yonne voir tes parents. Là-bas, Ils sont heureux avec leurs habitudes, leurs rites quotidiens, toujours les mêmes, Ils s'enchantent de tout, du château du village, de l'église et d'un arbre Plusieurs fois centenaire. Tu as décidé d'y rester longtemps, tu écoutes les informations, Tu joues avec eux aux jeux radiophoniques... Tu te couches très tôt et tu n'attends pas La venue de ta mère dans ta chambre pour trouver le sommeil, tu lis parfois toute la nuit Des livres de ta jeunesse retrouvés dans une armoire. Ce sont Alexandre Dumas, Jules Vernes et bien d'autres... Tu les reprends, les redécouvres

Comme pour la première fois. Tu parles peu à tes vieux, sauf aux repas. Le matin, tu traînes au lit, tu les entends vivre, aller, venir, S'activer à l'entretien de la maison, partout ça bouge, partout ça fait du bruit, Et toi tu es allongé dans ce lit, sur cet édredon de plume que tu aimes pour sa douceur, Elle te rappelle la peau d'une femme, alors tu regardes le plafond, les solives Et tu rêves... Tu as dormi tout habillé sans même t'en rendre compte, C'est le matin, tu es assis à la table de la cuisine. Sur la toile cirée, ta mère pose Les ingrédients habituels de ton petit déjeuner et te donne les nouvelles du jour. Tu es un gentil garçon, tu vas aux courses et ne déranges personne. Tu ouvres les yeux sur ce microcosme, tu le vois comme une parcelle du monde, Cette idée te plait, pourquoi ne pas lister ces menus détails de la vie de ces gens-là, Faire un inventaire, des fiches à trier peut-être, mais des fiches à trier dans quel sens? L'après-midi tu fais des promenades, tu cherches sans même t'en rendre compte À te perdre, et s'il t'arrive de te ressaisir, tu ouvres grands les yeux sur tout, Tu vois alors le village tel qu'il est, dans sa réalité... Et puis, il y a les champs et ses paysans qui n'ont jamais connu Paris, Et sous ses toits, les chambres de bonnes, les chambres d'étudiants... Sans écrire, tu es un poète, rêvant avec des mots. Harmonieusement, Tu entends des bruits provenant d'une nature loin de Paris, c'est la campagne, Les oiseaux piaillent, les arbres frémissent, tu es heureux, là, loin du bruit, Loin des hommes et de tout ce qu'il y a à faire pour survivre... Tu te laisses aller, tu es allongé sur l'herbe, tu regardes, tu ne fais que cela, Autour de toi il ne se passe rien sinon le temps tournant sans relâche, Sans pendule, sans réactions de ta part. Rien. Il ne se passe rien ni dans ta tête, Ni dans ton corps, tes yeux sont ouverts sur cet arbre, planté ici depuis toujours, Tu le connais bien, il t'a vu grandir. Tu as l'impression de l'aimer Pour sa ténacité à tenir debout inexorablement, tu voudrais être comme lui, Indifférent à tout, il vit tout simplement, saison après saison. Tu imagines ses racines, les devines en observant le tronc, les branches, les feuilles, Tu l'étudies en peintre du regard, sans toile ni couleurs, tu détailles les contours De ces lignes offertes, de cette nature si parfaite, tu en élabores des listes sans fin,

Car un arbre c'est bien plus qu'un arbre... Tu aimerais lui ressembler, Tenir bien droit comme lui, la tête au vent et aux difficultés de ce monde, Mais tu n'es pas un arbre et cela te désole, t'écroule dans ton lit. Tu n'es pas à l'école non plus, pourtant tu vois des bons points calmant ton désir De reconnaissance sous tes airs d'eau qui dort au fond de petits sentiers. Tu regardes toujours cet arbre, il t'impressionne au point de rester debout Envers et contre tout, tu aimerais être lui avec sa peau d'éléphant, Ses bras de danseurs et ses doigts d'enfants. Tu le regardes, Tu voudrais être transparent, invisible, pas être comme un chien Toujours à vouloir qu'on joue avec... Les hommes ne te sont jamais tout à fait indifférents, c'est pourquoi tu les évites, Pour ne pas avoir envie à commercer avec eux, avoir un vague début relationnel... L'arbre ne te demande rien, il est même probable qu'il ne te voit pas, Ton rêve à toi est d'être son clone, un point c'est tout! Ta distance vis-à-vis des hommes peut s'expliquer, mais tu n'as pas le courage D'y aller voir en quoi ils sont la cause de ton mal de vivre, Peut-être n'en as-tu pas la compétence non plus... Et puis, il y en a trop Là dedans, ça boue, ça déborde tant il y a de tentations illusoires, de propositions Inutiles et dérisoires à tes yeux ouverts sur ce monde en décrépitude, De ces enfermements identiques pour tous, mais la majorité se tait Afin de continuer coute que coute cette route en dérive dont Marx ton ami À longtemps fait ses choux gras dans Le Capital que personne n'a lu. C'est une machine infernale à produire, à broyer, à engloutir la masse humaine Sans relâche, ni le Sabbat, ni le Dimanche. Tu n'as que vingt-cinq ans et déjà tout est dit, tout est fini, tu restes silencieux Face au monde, face à toi-même. Tu sens ta vie inscrite d'avance par tes parents Et aussi par ta propre histoire avant ce jour. Rien de ce que tu pourrais faire ne réveillera la conscience de personne, Tu le sais et ça t'accable, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie. Tu pourrais sortir dehors ou rester chez toi, c'est du pareil au même, Et si tu décidais de te foutre de la tête des gens dans la rue, de n'importe qui,

De tirer la langue ou de pincer les fesses des passants, rien n'y ferait, Tu n'existerais pas plus pour autant, à la limite on te mettrait tout attaché Dans un hôpital psychiatrique urbanisé, aseptisé, sécurisé. Tu es un poète maudit divagant dans les eaux troubles des humains, Trop humains disait un autre débile à la parole facile, et que tu sois encore vivant Cela relève du miracle de l'assomption, oh, misérable jeune homme! Tu es un Rimbaud inconnu, comme lui, tu as écrit des poèmes. Dans tes contradictions, tu te débats entre ta voie sociale tracée, Et celle que tu veux, que tu ne veux pas. Tu es le spectateur privilégié De ta vie à venir. Sans concession tu regardes ébahi, hébété, Défiler les différentes étapes de ce qui t'attend comme dans un rêve, un film, En couleur, en technicolor, si aujourd'hui cela est encore d'actualité. Tes sentiments émoustillés par ta seule pensée se réveillent, tes élans de coeur, Ta générosité naturelle, ta colère, ton désespoir, viennent tout démonter, Te décourageant à tout jamais. Tu déprimes mon grand, tu déprimes grave, Il est temps de te ressaisir, de retrouver un semblant de force Tu ne vendras pas ton âme au diable, tu n'iras pas en enfer... Dehors, Tout est prêt pour te voir disparaitre, personne ne te pleurera, Tu es profondément seul, et cette solitude est un tsunami. Il faudrait partir, faire un voyage, te sortir de ce trou, de cette tourmente, Te jeter dans l'etna n'arrangera rien à la marche du monde, Il te faudra trouver autre chose. À ces mots, tu te dis à quoi ça sert De faire des efforts, où cela me mènera que je ne connaisse déjà, Au mieux, au pire, j'écrirais plus tard l'histoire de ma vie, mais enfin, Quelle importance tout cela, sinon de se caresser dans le sens du poil Avant de vieillir, avant de mourir. Lecteur, vois dans quel état je suis, Imagine le désespoir dans lequel mon âme effondrée s'accable elle-même, De tout et de rien, sans raison, sans passion poussant à aimer, à haïr un autre soi, Un double, un chien, un âne... Non, rien n'y fait, tu n'as plus d'énergie, Tu ne sais plus comment c'est de vivre tout simplement, au quotidien, Pourquoi bouger, tendre le bras pour prendre quoi,

Pourquoi ferais-tu semblant de vivre? Mal en point, tu penses et ta pensée te dévore, te dirige en des lieux Communs à tous ceux qui comme toi connaissent le désarroi. Bien entendu, les images défilent, ton père, ta mère, pour qui tu as été L'enfant prodige sur qui ils peuvent compter pour leur survivre, Et puis tous les autres, les amis, les cousins, les cousines, Pour qui tu étais une sorte d'idéal : un gendre parfait. Ton avenir est inscrit sur des tablettes d'une logique implacable, Ta réussite incontournable ne fait aucun doute, elle fera de toi celui Qu'on attend de voir jouer un rôle dans la société, un masque comme au théâtrre Voilà ton seul lendemain pour assurer à chacun une tranquillité Proche d'une bonne assurance vie. Petit à petit, tu tendras à être au bon niveau, Tu auras réussi socialement, et de surcroit tu resteras libre De faire des choix te convenant le mieux, mais toujours avec chemise, cravate Et costume bien repassé. Avec le temps, ta personnalité s'étoffera de manies, Peut-être pas obséquieuses, mais des manies tout de même, des trucs à soi, Portés contre notre gré, mais qui nous caractérisent implacablement. Dans vingt ans, sur un piano désaccordé, joueras-tu "Au clair de la lune..." Pour faire sourire tes enfants, ou pire, tes petits enfants, et pour te venger De cette vie monotone, tu fumeras comme un pompier des cigares de havanes Offert généreusement par des multinationales auxquels tu auras, Dans le cadre de ton travail, accordé quelques miettes de ton pouvoir. Tu seras donc un homme heureux d'avoir, quant au être, Rien n'est assuré d'avance, cela va de soi. Toutes ces idées vont et viennent dans ta tête fragile. Sur ton lit étroit, Ton corps est allongé, tu dis non à ce jeu aliénant, débile, cette fête artificielle, Menant la tête la première dans une impasse à nulle autre pareille. Tu dis non à tout et il est inutile de chercher le bon mot, la bonne phrase, Le meilleur des proverbes pour te donner le punch te manquant, Le mal est plus profond, il est consubstantiel à ta personne, Tout remède est un poison auquel tu te refuses,

Regardant les arbres, l'air hébété, le visage dans les nuages. Dehors il pleut, tu n'as plus envie, plus la force de sortir de chez toi, Tu lis à voix haute sans te soucier si cela agace tes voisins, De toute façon, ils sont accrochés à leur poste de radio à entendre Les dernières nouvelles du monde. Et puis, Ta façon de lire ressemble à celle d'un gosse de six ans Et non à ce qu'ils ont l'habitude d'écouter, à la vitesse d'un coureur cycliste, Un dimanche matin, loin de la ville. Le soir venant, le chaos m'oppresse, me paralyse et, Me viennent, dans ce silence que je m'impose involontairement, Les bruits de la maison, la toux de mon père au loin et le bruit de la pluie, Toujours là, accompagnant le poète, le prisonnier que je suis. Dehors les autos continuent leurs parcours incessants et le car passant Au bas de mon immeuble vient ramasser les rares travailleurs consciencieux Voulant encore aller à leur travail sans se poser de question existentielle, Et puis même s'ils s'en posaient, au pire ils seraient dans ma position... Tout autour, plus aucun touriste n'est là pour animer un tant soit peu notre campagne Maintenant déserte, le village n'a plus que ses chiens pour aboyer à la mort Au passage du quidam comme moi, s'aventurant à sortir de chez lui. Mais ne reste sur les murs publicitaires de notre petit coin de France Que des restes des fêtes de l'été présentement obsolètes et à recouvrir De nouvelles affiches pour les prochaines élections municipales. Malgré mon état de santé mentale, je continue mes promenades, toujours les mêmes, Je n'aime pas changer mes habitudes actuellement, elles me rassurent En me protégeant de je ne sais quels maux dont la terre est si fertile. Je traverse les champs sans me soucier de l'état de mes souliers, Unefois rentré chez moi, le ciel est gris, les nuages aussi, Ils recouvrent le paysage et mon âme avec eux s'assombrit Nniquement du fait des caprices de cette terrifiante météo. Au loin tu regardes Un peu hébété la fumée sortir des cheminées, tu as envie d'allumer une cigarette Car tu as froid dans ton corps et pour le réchauffer tu accélères le pas,

Tu débordes les limites de ton village, tu en sors, et la route les dirige vers D'autres lieux identiques, rien ne te surprend, mais tu auras au moins parcouru Des champs entiers et des bois que tu ne connaissais pas encore. Tu finis par arriver devant une épicerie buvette comme il en existe partout, Tu entres, tu es le seul client de cette salle, tu commandes une boisson bien chaude Tu regardes autour de toi pour apprivoiser l'endroit. Tout te parait triste, Aucun objet posé sur les étagères de ce commerce n'attire ton attention Et si l'on achète ici c'est plus par habitude, parce qu'il faut se nourrir pour survivre, À la campagne cette impression vous imprègne plus que dans les grandes villes, À Paris par exemple. J'ai tout vu et rien vu à la fois, Tout m'indiffère tellement, j'ai le profond sentiment de ne pas exister, Suis-je mort déjà ou seulement à côté de la vie, en dehors où les oiseaux dans le ciel Et le canal de l'yonne continue à servir de lit aux chalands À la coque d'un bleu métallique, c'est la nuit...