Ouvrir la CMU-C pour les jeunes

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1 Ouvrir la CMU-C pour les jeunes Par Etienne GRASS, Enseignant à l Institut d Études Politiques, Chaire Santé Etienne GRASS est, depuis le 1 er décembre 2014, directeur de cabinet de Nicolas REVEL, directeur général de la Caisse Nationale de l Assurance Maladie des Travailleurs Salariés. Membre de l Inspection Générale des Affaires Sociales, il a mené à ce titre plusieurs missions sur la gestion du risque maladie. Etienne GRASS a été membre du cabinet de Martin HIRSCH, haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, où il a occupé successivement les fonctions de chargé de mission puis de directeur adjoint de cabinet. Entre 2009 et 2012, il a été chef du service des affaires sociales de la Représentation permanente de la France auprès de l Union européenne. De mai 2012 à août 2014, il a dirigé le cabinet de Najat VALLAUD-BELKACEM, alors ministre des Droits des Femmes, puis ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports. Il existe peu de mesure de nature à favoriser l autonomie des jeunes qui ne coûte rien et aient un impact réel sur leur situation. Ouvrir la Couverture Maladie Complémentaire (CMU-C) à tous les jeunes de moins de vingt-cinq ans, quelle que soit leur situation professionnelle ou leur revenu, mais en contrepartie d une cotisation forfaitaire pourrait être de celle-là. Les jeunes renoncent plus que les autres aux soins pour des raisons financières. Les différentes enquêtes sur le renoncement convergent sur ce point : selon les données de l enquête de l IRDES (ESPS, 2012), ce renoncement concerne 5,3 % des ans, contre 4,7 % des ans et 3,2 % des plus de 65 ans ; selon l enquête SRCV, le taux de renoncement observé dans la tranche d âge 2029 ans excède de quatre points celui mis en évidence chez les 70 ans et plus (5,8 % contre 1,4 %) 1. On peut voir les choses de deux façons, soit en soulignant un problème d accès aux droits pour les jeunes, soit en ne s attardant pas sur la situation des jeunes en considérant leur taux de renoncement aux soins comme l envers d un décor qui aurait tout pour satisfaire. Le système de protection sociale couvre mieux les personnes âgées, car il couvre mieux les malades. Voici précisément ce qu on peut attendre de lui. Il n en reste pas moins que les jeunes ne sont épargnés ni par les maladies, ni a fortiori par le risque. Ils sont concernés par quelques maladies chroniques, principalement les allergies (15,8 %), les lombalgies ou autres atteintes dorsales (11,4 %) et l asthme (7,9 %) 2. Dans le dentaire 3, le renoncement des jeunes aux soins est un contre-sens sanitaire et économique, qui aura des conséquences pénalisantes sur l ensemble du cycle de vie : les soins auxquels les jeunes renoncent aujourd hui (le plus souvent des soins conservateurs), sont autant de soins plus lourds et plus coûteux qu il faudra prendre en charge plus tard. 1 Sabine CHAUPAINGUILLOT, Olivier GUILLOT et Éliane JANKELIOWITCHLAVAL, «Le renoncement aux soins médicaux et dentaires : une analyse à partir des données de l enquête SRCV», Économie et statistique, N , 2014, p 169 s. 2 Chiffres ESPS, ,9 % des ans déclarent avoir renoncé à des soins dentaires pendant les douze derniers mois. 131

2 Les jeunes supportent un reste à charge après remboursement par les régimes obligatoires en moyenne plus faible que le reste de la population, de l ordre de 200 euros par an (y compris hospitalisation), mais derrière cette moyenne se trouvent des situations diverses, marquées par une forte dispersion. 10 % des jeunes (- de 20 ans) ont un reste à charge de 710 euros par an, soit 60 euros par mois, ce qui ampute lourdement leur budget 4. Gardons également à l esprit que les jeunes sont plus urbains que le reste de la population. Ils sont plus que les autres empêchés d accéder aux soins par les dépassements d honoraires. 4 Caisse Nationale d Assurance maladie des Travailleurs Salariés. 132 N 48 octobre 2015

3 Les règles d affiliation des moins de 25 ans à la Sécurité Sociale Les jeunes de moins de 25 ans n ont aujourd hui accès à la CMUC ou à l ACS que s ils ont des enfants, s ils bénéficient d une aide d urgence du CROUS ou s ils cumulent trois conditions fixées par voie réglementaire (R861-2 CSS) : Ne pas habiter chez leurs parents ; Ne pas figurer sur la dernière déclaration de revenus de leurs parents ; Ne percevoir aucune pension alimentaire de leur part. Depuis la loi MORICE (loi du 23 novembre 1948) de moins de 28 ans sont obligatoirement affiliés via le Régime Étudiant de Sécurité Sociale. Les étudiants de plus de 28 ans (le plus souvent des doctorants) peuvent également être affiliés au RSSE sous conditions. Les modalités d affiliation varient en fonction de l âge : Les jeunes de 16 à 19 ans sont considérés comme ayant droit de vos parents. À ce titre, leur affiliation à la Sécurité sociale étudiante est obligatoire et gratuite. Les jeunes de plus de 20 ans ne sont plus ayant droit de leurs parents : l affiliation à la Sécurité Sociale est donc obligatoire et payante, selon une cotisation dont le montant est prélevé au moment du versement des frais universitaires puis reversé à l URSSAF. Cette cotisation est identique, quel que soit le centre de gestion choisi par l étudiant. Cette gestion est assurée par une mutuelle étudiante. Dans ces conditions, la stratégie qui a consisté depuis 2013 à cibler prioritairement les salariés et les personnes âgées pour favoriser l accès à une complémentaire santé a manqué une cible pourtant formulée comme prioritaire. Les jeunes sont moins couverts par une complémentaire santé que le reste de la population jeunes de moins de 18 à 25 ans (7,5 %) n ont pas de couverture complémentaire santé. Rien n est véritablement prévu pour ces jeunes dans la loi du 14 juin 2013, qui organise la généralisation de la couverture complémentaire santé, pour les salariés, à l horizon du 1 er janvier La loi transpose l équilibre trouvé par les partenaires sociaux interprofessionnels dans leur accord du 11 janvier Elle pose une obligation pour les employeurs d assurer aux salariés qui n en bénéficient pas déjà, une couverture collective minimale des frais de santé (ticket modérateur, forfait journalier hospitalier, soins dentaires, forfait optique...). L employeur doit en financer la moitié du coût, quelle que soit la taille de l entreprise, et bénéficie pour cela des déductions fiscales et sociales prévues pour les contrats collectifs. Cette obligation concerne en principe tous les salariés, mais l entreprise ou la branche peuvent prévoir des dispenses d adhésion pour les salariés en CDD ou apprentis titulaires d un contrat de moins de douze mois 2. Cette dernière disposition concernera principalement les jeunes, dont 86 % des embauches se font en CDD et qui risquent fréquemment de refuser de prendre en charge la moitié du coût d une complémentaire collective, dont le tarif est fixé sans différenciation de l âge contrairement à la pratique des contrats individuels 3. 1 Absence de couverture complémentaires pour 7,5 % des ans contre 3,4 % entre 40 et 60 ans (enquête ESPS, 2012) 2 Décret n du 8 juillet 2014 relatif au caractère collectif et obligatoire des garanties de protection sociale complémentaire. 3 La DREES a montré que les contrats d assurance en particulier, pratiquent une tarification convexe en fonction de l âge : Vincent 133

4 Au global, cette généralisation de la complémentaire santé ne bénéficiera quasiment pas aux jeunes à la fois parce que près des deux tiers d entre eux ne sont pas en emploi 4, parce que parmi les jeunes en emplois sont souvent en dehors du champ des dispositions de l ANI 5 et que ceux qui seront dans le champ de l ANI auront intérêt à ne pas avoir recours aux droits qu il confère. Plus fondamentalement, la solidarité entre les générations qui préside à l organisation du marché de la complémentaire santé ne devrait pas faire obstacle au développement de solutions adaptées aux jeunes non couverts. Notre système butte à cet égard sur plusieurs problèmes de cohérence : Les étudiants, lorsqu ils s affilient à la Sécurité sociale, sont spontanément orientés vers les organismes complémentaires adossées au Régime étudiant de sécurité Sociale (RESS), mais ils ne sont que 15 % à y adhérer en raison de la faiblesse de ces contrats 6 ; plus encore, parmi les jeunes concernés (1,7 M chaque année), ils sont 15 % à renoncer à s assurer auprès d un organisme ; Les jeunes perdent la qualité d ayant droit du contrat de leur parent entre 16 ans et 18 ans (prolongé jusqu à 20 ou 21 ans selon les contrats lorsqu ils poursuivent des études 7 ) ; Ils n ont pas le bénéfice à titre personnel de la CMU-C ou de l ACS car ils sont rattachés jusqu à l âge de 25 ans au foyer de leur parent pour l examen de ces droits 8. Pour corriger ces difficultés, on peut proposer permettre aux jeunes de moins de 25 ans d adhérer à titre personnel à la CMU-C, dès lors qu ils sont affiliés en leur nom au régime obligatoire. Les jeunes bénéficieraient ainsi d une complémentaire santé de qualité, avec pour contrepartie le versement d une cotisation mensuelle forfaitaire. On peut envisager de fixer ce montant afin d assurer que la mesure soit à coût nul pour les finances publiques. Il se situerait alors dans une fourchette comprise entre 10 et 20 euros 9. Cette estimation suffit à montrer que le dispositif serait très attractif pour les jeunes. LE PALUD (DREES), Comment les organismes complémentaires fixent leurs tarifs, Études et résultats n 850, septembre ,2 % des ans sont en emploi, 10 % au chômage et 54,7 % sont inactifs (dont 47,1 % encore en scolarité parmi les jeunes en emploi, DARES, Tableau de bord, Activité des jeunes et politiques d emploi, juillet 2015). 5 En particulier 27 % des jeunes sont en emploi (dont 28,7 % sous la forme d un emploi aidé). 6 IGAS-IGF, les coûts de gestion de l Assurance maladie, 2013, Annexe II. 7 La condition minimale fixée par l ANI du 11 janvier pour définir la qualité d ayant droits est 16 ans (21 ans pour les jeunes qui poursuivent des études) ; à 22 ans, les jeunes perdent par ailleurs la possibilité d être rattachés au régime de sécurité social de leurs parents. 8 Les jeunes de moins de 25 ans n ont aujourd hui accès à la CMU-C ou à l ACS que s ils ont des enfants, s ils bénéficient d une aide d urgence du CROUS ou s ils cumulent trois conditions fixées par voie réglementaire (R861-2 CSS) : - Ne pas habiter chez leurs parents ; - Ne pas figurer sur la dernière déclaration de revenus de leurs parents ; - Ne percevoir aucune pension alimentaire de leur part. 9 La dépense moyenne annuelle par bénéficiaire de la CMU-C est de 446 euros, soit 37 euros par mois. On sait que les décomptes moyens sont, pour le régime obligatoire, sept fois moins importants pour les étudiants consommant des soins que pour le reste de la population (474 euros par an contre 3376 euros) ; 20 % des jeunes ne consomment aucun soins dans l année (contre 5 % dans le reste de la population). 134 N 48 octobre 2015

5 Le potentiel de jeunes concernés par cette mesure est important, environ individus 10. La mesure bénéficierait principalement aux jeunes qui sont affiliés le plus tôt au régime obligatoire : jeunes exerçant de faibles activités professionnelles, jeunes suivis par les missions locales, inactifs Elle permettrait aux jeunes de bénéficier des tarifs opposables associés à la CMU-C, notamment en dentaire (prothèses et soins conservateurs) et en optique. Elle les prémunirait contre les dépassements d honoraires en ville et contre les risques de séjour hospitalier prolongé. Cette mesure présente l avantage de pouvoir être adoptée sans modifier le régime de sécurité sociale étudiant, sans pour autant laisser tant de jeunes prisonniers d une couverture complémentaire de mauvaise qualité. 10 Il s agit de personnes de moins de 25 ans, sans revenus propres et qui sont aujourd hui rattachées au foyer de leur parent au sens de la CMU-C. 135