Une vie prodigieuse Alfred Hajós ( )

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1 Une vie prodigieuse Alfred Hajós ( ) premier champion olympique hongrois en 1896 par Mihály Kocsis De nationalité. hongroise, M. Mihály Kocsis, après avoir réussi le professorat d Education Physique et Sportive, se dirigea tout naturellement vers la pédagogie et devint notamment directeur de I Ecole Centrale des Sports de son pays. Ayant pris sa retraite, il décida de se consacrer entièrement au service du Mouvement Olympique. «Cette décision, nous écrit-il, m a été inspirée par mes expériences de conférencier à I Académie lnternationale Olympique, par le comportement généreux des dirigeants du CIO, et par l activité olympique efficace de mon cher confrère le docteur Arpad Csanadi, membre du ClO pour la Hongrie et secrétaire général du CNO de ce pays.» Ainsi, pour montrer à la jeunesse la véritable nature d un olympionique, M. Kocsis s est attaché à retracer I histoire exemplaire de la vie d Alfred Hajós, champion Olympique en Nous le remercions d avoir confié à la «Revue Olympique» la publication de cette étude. Le sport olympique constitue le mouvement de masse le plus démocratique du monde. Les gestionnaires de ce mouvement moral sont des institutions dont les membres, disparus ou actuels, contribuent par leurs exemples au progrès de I Olympisme. De grands sportifs du passé, grâce à leurs carrières exemplaires, peuvent-ils encourager les jeunes d aujourd hui? La réponse, à mon avis, est affirmative. Pour étayer cette thèse, je vous presente la vie d un sportif hongrois étonnant. Son nom: Alfred Hajós, le premier champion olympique de son pays en natation, mais également le seul dans I histoire des Jeux Olympiques contemporains à détenir également une médaille dans les concours d art. 320 Alfred Hajós, champion d Europe de natation en 1895 à Vienne (Autriche).

2 Dès la convocation des premiers Jeux Olympiques de I ère moderne, Férenc Kémeny ¹, le collaborateur hongrois du baron de Coubertin, publie une proclamation relative à cet événement ². Alfred Hajós, alors jeune étudiant de I Université Polytechnique de Budapest, est grandement impressionné par cette nouvelle. II pratique la natation depuis I âge de quatre ans et demi et se trouve être I un des nageurs les plus réputés de la capitale. Assidu à l entrainement, c est à pied qu il se rend à I université ou à la piscine couverte de la ville; il réussit cependant à concilier études et sport. Finalement, il est retenu pour participer aux premiers Jeux Olympiques de notre époque. Lorsqu il se présente devant le ¹ Ferenc Kémeny ( ). Directeur d école, membre-fondateur du CIO, pionnier de I Olympisme en Hongrie. ² Le périodique sportif «Sport-Vilag» a lancé un appel dans son numéro du 24 juillet 1895 en vue d une participation aux Jeux Olympiques. Le quotidien «Pester Lloyd» a publié I article de Ferenc Kemény sous le titre «Olympia Rediviva» dans le numéro du 7 août Le périodique «Sport-Vilag» a réimprimé cet article en langue hongroise le 1er juillet doyen de sa Faculté pour lui demander une autorisation d absence, il est reçu très froidement et s entend signifier: «Seules des personnes frivoles pratiquent le sport au lieu d étudier...» Malgré tout, présent à Athènes, le jeune homme y remporte deux titres olympiques ³. Dans la baie de Zea, il se classe premier des 100 et 200 m. nage libre. Akropolis, le journal de la ville, le surnomme «le dauphin hongrois». De retour, le champion se présente avec fierté devant son doyen. Ce dernier demeure ferme en précisant: «Vos médailles m indifférent, mais je suis impatient d entendre vos réponses lors de votre prochain examen!» Deux mois plus tard, après avoir réussi de façon étonnamment brillante ses ³ Palmarès hongrois aux Jeux Olympiques de m. nage libre (1 22 2): champion olympique Alfred Hajós; 1200 m. nage libre ( ): champion olympique Alfred Hajós; 800 m. plat (2 11 8): 2e place Nándor Dáni; 100 m. plat (12 6): 3e place Alajos Szokolyi; triple saut (12 m. 30): 4e place Alajos Szokolyi; marathon (3 h ): 3e place Gyula Kellner. Les athlètes hongrois participant au 1er Jeux Olympiques. Alfred Hajós est assis en tenue de ville.

3 épreuves, Alfred reçoit de vives félicitations de I intransigeant professeur 4. Depuis lors, Alfred Hajós n a eu de cesse de se consacrer au sport et au travail en faveur de la société. Alfred Hajós évoqua lui-même, en 1954 à I âge de 76 ans, cette anecdote sur sa jeunesse, à I occasion d une enquête organisée dans un club sportif de la plus grande zone industrielle de Budapest. Ce fut, hélas, sa dernière apparition publique. II y souligna avec force que le sport de compétition et I éducation physique n excluent pas, mais au contraire encouragent I activité intellectuelle créatrice. Par son propre exemple, Alfred Hajós a légué la plus belle des leçons aux jeunes sportifs de son pays qui doivent chercher à I imiter. Tentons maintenant I impossible: brosser un tableau synoptique de cette vie riche et intense. Les premières marques de son génie 1882: son père confie I enfant de quatre ans et demi à un maître-nageur. Quelques semaines plus tard, Alfred nage mieux que ses camarades, mais également mieux que son père. Au lycée, il rencontre, par chance, un enseignant de gymnastique moderne s attachant à propager les sports de plein air 5. Malgré ses prouesses dans I eau, Alfred demeure un garçon maigre et assez faible. Par exemple, lors d un cours de gymnastique, il ne réussit pas à grimper à la perche et se trouve écarté de I exercice. II se lance alors avec foi dans la pratique des exercices 4 Lajos llosvay ( ). Professeur de chimie, doyen de I Université Polytechnique de Budapest. Premier président-professeur du club d athlétisme et de football de I Université Polytechnique MAFC. Plus tard, il fut nommé secrétaire d Etat au ministère de la culture. Membre de I Académie Hongroise des Sciences, grand savant de la chimie hongroise. 5 Dr Jozsef Otto ( ). Professeur de gymnastique du lycée du 5e arrondissement de Budapest. Fondateur du club de gymnastique de Budapest BTC. Membre du bureau du premier Comité Olympique Hongrois, éminent spécialiste de I éducation physique. physiques pour devenir plus vigoureux. II s appliquera tant et si bien qu il devient l élève préféré du professeur. De même, la géométrie et le dessin ne constituent pas ses matières de prédilection. Son maître de sport lui en fait reproche et lui demande de les prendre plus au sérieux. Alfred suit ses conseils et, bien sûr, progresse rapidement, de telle sorte que son professeur de géométric suppose même un jour qu il a fait faire son devoir par un bon dessinateur et il refuse de corriger I exercice en réprimandant Alfred. Puis, s apercevant de son erreur, il lui prédit: «Tu deviendras un excellent architecte!» Sa carrière de nageur Les débuts d Alfred Hajós en compétition se situent à I origine de la natation sportive hongroise. Dès la première réunion internationale de I Association Hongroise de Natation en 1895, ses performances attirent I attention. A Vienne la même année, il se classe deux fois premier, une fois second et une fois troisième. A I occasion du premier championnat national à Siofok il remporte le 100 m. nage libre et décroche ainsi le premier titre de champion de Hongrie de natation. II s adjuge également à Vienne le titre de champion d Europe 1895 du 100 m. nage libre et le lendemain, celui de champion d Autriche du 100 m. En 1896, aux Jeux Olympiques d Athènes, il remporte le 100 m. nage libre en , le 11 avril, et le 1200 m. nage libre en Cette année-là, il participe également aux compétitions de Siofok sur 100 yards et aux championnats européens à Vienne sur 100 m., s y classant premier. Cependant il n est que second aux championnats de Hongrie. II met fin alors à sa carrière de nageur pour s intéresser davantage à d autres sports. L athlète polyvalent Au lycée déjà, nous I avons mentionné, Alfred Hajós se préparait pour devenir 322

4 La première équipe hongroise de football (BTC), le 31 octobre 1897, à l occasion de sa rencontre avec l équipe viennoise «Vienna Cricketer and Football Club», Alfred Hajós quatrième à gauche tenant son béret à la main. un athlète «all-around», et ce sur les conseils d un professeur de gymnastique avisé et dans une atmosphère scolaire moderne. De ce lycée d ailleurs sortirent également deux autres champions olympiques: Zoltan Halmay (deux médailles d or en 1904 à Saint- Louis) et Richard Weisz (médaille d or en lutte en 1908, à Londres). Hajós fut champion de Hongrie junior du 100 m. plat et champion national du 400 m. haies et du Iancement du disque en II fut également troisième du pentathlon et membre de l équipe championne du 4 x 100 m. «...J avais la chance de me trouver parmi les pionniers du football hongrois; je fus footballeur actif pendant cinq ans, soit durant toute la période de la vulgarisation de ce sport en Hongrie.»... écrivit Alfred Hajós. Hajós participe, à un poste d avant, à la première rencontre internationale jouée à Budapest entre le «Vienna Cricketer and Football Club» et le «BTC» (Club de gymnastique de Budapest). Avec le BTC, il remporte le titre national en 1901, 1902 et De plus, il Porte trois fois le maillot de l équipe nationale contre les Anglais et les Autrichiens. Le dirigeant sportif A I âge de 24 ans, Alfred Hajós met un terme à sa carrière active d athlète, mais conserve de nombreux liens avec la vie sportive du pays. Au sein du BTC, il est successivement directeur de la section football, puis vice-président et président associé. Au sein de la Fédération Hongroise de Football, après avoir occupé d importantes charges administratives. il devint en 1920 viceprésident et président du comité de sélection. Le journaliste II laisse également son nom dans I histoire de la presse sportive hongroise: de 1902 à 1904, il est le rédacteur responsable, puis rédacteur en chef de «Sport-Vilag» (le monde du sport). Dans le même temps, il rédige la rubrique sportive du grand quotidien de la capitale «Pesti Naglo». Son activité de publiciste est importante et ses écrits de propagande en faveur des sports, innombrables. 323

5 L architecte A I âge de vingt ans, Alfred Hajós devient architecte diplômé de I Université Polytechnique de Budapest. En cinquante ans de travail il sera le créateur de nombreuses réalisations sportives: le stade d Ujpest à Budapest, le vélodrome Millénaire de Budapest, les stades d Ujszeged, de Miskolc, de Pàpa et de Kaposvar, le stade nautique de Csaszarfürdo (Budapest), les piscines de Miskolc, de Györ, de Szeged, de Balassagrarmat, de Monor, de Kisvarda; le stade nautique de I lle Marguerite, les plages d Ujpest, Megyeriut, du Mont Szabadsag et de Pünkösdfürdö. II déploie également ses activités à l étranger; nous lui devons en particulier les stades nautiques de Bartfa en Tchécoslovaquie et de Lodz en Pologne. N omettons pas par ailleurs les nombreuses écoles, hôtels (ainsi I hôtel Arany Bika à Débrecen, célèbre dans le pays), banques, usines, églises, théâtres, cinémas, entièrement conçus, dessinés et réalisés par lui-même. Plaçons en exergue son activité intense déployée pour la réalisation d un stade national. En 1913, il présente pour Budapest, un vaste projet de complexe sportif, comportant un stade principal susceptible de contenir spectateurs, une piscine de compétition de 50 m, une école supérieure d éducation physique ainsi qu une piscine couverte et un palais des sports. En 1924, il présente l étude d un stade, réalisée en collaboration avec Dezso Lauber, athlète également célèbre, au concours d art des Jeux Olympiques à Paris. Le premier prix d architecture ne fut pas décerné, mais avec la médaille d argent, il devance treize autres participants. Vingt-huit ans après sa médaille d or de natation, Alfred Hajós renouait avec les lauriers olympiques. En 1929, il remporte le Grand Prix de I Association Hongroise des Architectes L Hôtel Arany Bika (Taureau d Or) de Debrecen. Architecte: Alfred Hajós. Le stade nautique de I île Marguerite. Entrée du stade de l étude primée lors des Jeux Olympiques de Paris (1924). 324

6 et des lngénieurs grâce à une étude de piscine. C est en 1930 qu il réalisa son chefd œuvre: le stade nautique de I lle Marguerite. Les solutions techniques, d avant-garde à cette époque, qu il propose soulèvent des louanges dans les périodiques spécialisés hongrois, tchécoslovaques, américains, allemands, italiens, anglais, autrichiens, suédois, espagnols et japonais. Cette année-là, la Fédération Hongroise des Architectes lui décerne le titre de «Maitre» pour «ses extraordinaires créations!» Après la deuxième guerre mondiale, la construction d un stade national est à nouveau envisagée, et cette fois-ci I ancien rêve d Alfred Hajós se réalise à I endroit même qu il avait proposé quarante ans plus tôt. II participe comme conseiller à l étude et à la réalisation du Stade Populaire de Budapest. En 1949, il reçoit le diplôme d or de I Université Polytechnique de Budapest, honorant sa carrière d architecte. A I âge de 75 ans, il se voit attribuer le Diplôme Olympique du Mérite par le Comité International Olympique et il reçoit la médaille d or hongroise pour mérites sportifs. Voici une courte confession tirée de ses mémoires: «Je dois mes succès tant sportifs que professionnels à ma volonté inflexible de transformer mes expériences pratiques en une valeur.» A la demande de ses amis il a en effet rédigé une succincte autobiographie 6 où il apparaît passionné par I activité sociale. II y est bref et modeste. Les souvenirs de sa carrière, de ses succès demeurent vivaces dans le pays tout entier. Une «Salle du souvenir Hajós» est aménagée dans son ancien appartement. 6 «Je suis devenu ainsi champion olympique», par Alfred Hajós, Igy lettem olimpiai bajnok, édition Sport-lap és könyvkiadó, Budapest 1956, 96 p., 24 illustrations. Alfred Hajós à sa table de travail. A I lle Marguerite, une «Promenade Hajós» évoque le constructeur du stade nautique. Des compétitions de natation commémorant Hajós y sont organisées périodiquement... petits tributs de piété... Mais son souvenir doit être implanté dans les cœurs de tous les jeunes sportifs. Conclusion Je pense que chaque nation affiliée au mouvement olympique a vu s épanouir de telles personnalités. II serait bon que leur vie soit connue, afin que leur exemple contribue à l éducation de la jeunesse sportive mondiale. Un capital moral très important et précieux s est ainsi accumulé dans I histoire du sport moderne. Bien qu il façonne sans cesse I image du mouvement sportif, il ne se traduit que par une puissante activité souterraine, «tectonique» pour ainsi dire. II conviendrait peut-être de chercher les lois de cette action et de dégager plus clairement les valeurs qui s y cachent. L action du ClO en ce domaine (peut-être par la creation d un moderne «Panthéon) pourrait ainsi servir à I édification des jeunes sportifs du monde. M. K. 325