CREATION D UN ACCUEIL DE JOUR COMMENT METTRE EN ŒUVRE DES COMPETENCES DE MANAGEMENT DE PROJET DANS LE DOMAINE SANITAIRE ET SOCIAL

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1 CREATION D UN ACCUEIL DE JOUR COMMENT METTRE EN ŒUVRE DES COMPETENCES DE MANAGEMENT DE PROJET DANS LE DOMAINE SANITAIRE ET SOCIAL Fernez-Walch Sandrine, Fortunat Philippe Création d un accueil de jour IAE de Toulouse, ACSSAD sandrine.fernez-walch@univ-tlse1.fr philippe-fortunat@wanadoo.fr Mots clés : nouveau projet, déroulement, apprentissage, compétences transversales, secteur sanitaire et social clés RESUME L A.C.S.S.A.D. (Association Centre de Soins, de Santé et d Aide à Domicile), association aveyronnaise, a comme mission principale d intervenir dans tous les domaines du soin et de la santé. Face à l augmentation des besoins en matière d accueil et de soin des personnes atteintes de la maladie d Alzheimer, elle a décidé de lancer un projet d accueil de jour. Le projet est l occasion pour le dirigeant de l association d appliquer des connaissances de management de projet récemment acquises. L objet de la communication est de présenter, à travers l analyse du lancement du projet, une réflexion sur les difficultés de mise en œuvre de nouvelles compétences transversales (compétences de management de projet) et de proposer des pistes pour qui aurait à conduire un projet innovant dans un secteur fortement contraint par l environnement institutionnel et réglementaire, les traditions professionnelles (expertises liées au social et à la santé). Fernez-Walch / Fortunat 1 / 12

2 INTRODUCTION La prévalence de la maladie d Alzheimer, cause la plus fréquente de démence, augmente avec l âge. En France, en 2003, on dénombrait personnes de plus de 75 ans atteintes de la maladie d Alzheimer et de troubles apparentés. Ce nombre ne cesse de s accroître. Il est estimé à en Ce phénomène constitue donc un enjeu majeur pour notre société dans les années à venir. Concernant le département de l Aveyron, le recensement au 1er janvier 2002 fait état de personnes âgées de plus de 75 ans. Le schéma départemental des personnes âgées de l Aveyron préconise des adaptations qualitatives liées à la politique de maintien à domicile et à la coordination gérontologique. L objectif du département est clairement énoncé : - anticiper les évolutions qualitatives et quantitatives des capacités d accueil de jour à partir des possibilités d extension des établissements existants ; - privilégier le développement de l accueil de jour et la mise en place de formules de prise en charge innovantes, dans des structures spécialisées, notamment dans l accueil des personnes âgées atteintes de troubles du comportement. L A.C.S.S.A.D. (Association Centre de Soins, de Santé et d Aide à Domicile) est une association «loi 1901», à but non lucratif. Elle est située à Espalion, dans l Aveyron. Sa mission principale est d intervenir dans tous les domaines du soin et de la santé, ceci dans le Nord Aveyron. L analyse de besoins locaux non satisfaits l a conduite à imaginer une nouvelle activité stratégique : créer un accueil de jour destiné aux personnes âgées, et particulièrement celles qui sont atteintes de la maladie d Alzheimer ou de troubles apparentés. C est l occasion, pour le dirigeant de l association, de mettre en œuvre des connaissances acquises sur le management de projet, pour définir le projet, en étudier la faisabilité et en préparer la réalisation. Mais comment transformer des connaissances en savoir-faire dans un contexte fortement contraint par la réglementation, l environnement institutionnel, les traditions professionnelles (expertises liées au social et à la santé)? L objet de la communication est de réfléchir, à travers l analyse du lancement du projet, aux difficultés de mise en œuvre des compétences de management de projet et de proposer des pistes pour qui aurait à conduire un projet innovant dans le domaine sanitaire et social. La première partie relate le déroulement du projet. La seconde partie propose une analyse des dysfonctionnements, mais aussi des facteurs clés de succès rencontrés, couplée avec des pistes de réflexion quant à la stratégie à mener dans ce type de projet. Fernez-Walch / Fortunat 2 / 12

3 1. LE DEROULEMENT DE LA PHASE DE FAISABILITE ET DE LANCEMENT DU PROJET Entre l initialisation du projet ( 1.1) et la conclusion quant à sa faisabilité, six mois environ se sont écoulés. Le responsable du projet a réalisé une analyse de faisabilité ( 1.2) et construit un cahier des charges fonctionnel ( 1.3). Il a également élaboré un dossier d autorisation dit dossier CROSMS ( 1.4), élément incontournable dans le secteur sanitaire et social L initialisation du projet L ACSSAD est une association qui crée et fait fonctionner tous les services, de soin et de santé, qui sont souhaitables et nécessaires aux besoins des familles, à l aide et au maintien, dans leur milieu naturel de vie, des personnes âgées, des handicapés, et des déficients. Plus précisément, elle a quatre activités : une prestation de soins infirmiers à l acte, un service de soins infirmiers à domicile aux personnes âgées, un service de podologie pédicure, un service de portage de repas. Ces activités sont gérées dans des départements séparés. L association a 26 ans. Elle est composée d un personnel qualifié, diplômé d état dans le domaine du soin et de la santé (infirmières, aides soignantes, pédicure) et de quelques agents administratifs. Elle est dirigée en théorie par le directeur, qui a reçu un mandat du conseil d administration. Dans les faits, le pouvoir de décision est plutôt entre les mains de la directrice adjointe (infirmière de formation et qui n a pas les qualifications requises pour exercer la responsabilité de directrice) et de la présidente de l association. L association est dans un contexte difficile, variable et incertain : concurrence d organisations semblables qui couvrent le même secteur géographique, forte dépendance par rapport aux prescriptions médicales, réglementation et législation (liées à la santé) en constante évolution et soumises aux volontés politiques. En octobre 2003, l ACSSAD est contactée par le Lions Club d Espalion qui lui demande de créer une structure d accueil pour les personnes atteintes de la maladie d Alzheimer. Le bilan financier de l année 2004 s annonçant déficitaire, la nouvelle activité pourrait être une opportunité, à moyen terme, pour relancer l activité. Les membres du Conseil d Administration de l ACSSAD, lors d une réunion en décembre 2004, décident d inclure dans le projet d établissement de l association la création d un service d accueil de jour. La mission du dirigeant de l association est double : - constituer un dossier d autorisation de création d un service d accueil de jour aux personnes atteintes de la maladie d Alzheimer et troubles apparentés ; - mettre en place le service si l autorisation est accordée. Le dirigeant de l association décide, lors de cette mission, de mettre en œuvre, en temps réel, les connaissances sur le management de projet qu il est en Fernez-Walch / Fortunat 3 / 12

4 train d acquérir dans le cadre d une formation continue en gestion. Il réalise une analyse de la faisabilité du projet puis construit un cahier des charges fonctionnel simplifié L analyse de la faisabilité du projet Le responsable du projet lance une étude pour répondre aux questions suivantes. - Quelles sont les attentes des personnes atteintes de la maladie d Alzheimer et de troubles apparentés en matière de soins? - Quelles sont les solutions actuellement mises en œuvre, nationalement, régionalement et dans le département? Ces solutions sont-elles satisfaisantes? - Est-il pertinent de créer un accueil de jour dans le département de l Aveyron? Pour ce faire, il crée un questionnaire visant, par une démarche qualitative, à étudier la faisabilité du concept et les attentes de la population concernée. En parallèle, il interroge d une part des dirigeants d accueils de jour afin d obtenir des témoignages de référence sur les solutions actuellement mises en œuvre dans la région et d autre part des acteurs institutionnels locaux susceptibles de donner un avis pertinent sur la faisabilité du projet Comprendre les besoins de la population visée par le projet d accueil de jour A ce stade du projet, l objectif n est pas de faire une étude quantitative des besoins de la population visée, mais de voir s il existe vraiment un besoin et de comprendre comment il s exprime. Un questionnaire est construit, qui est administré, lors d entretiens réalisés par le dirigeant de l association, non pas auprès de la population atteinte par la maladie d Alzheimer mais auprès de leurs «aidants». Les «aidants» sont les personnes auxquelles revient la prise en charge quotidienne du patient : soins d hygiène, préparation des repas, stimulation intellectuelle, incitation à la marche, aménagement de l environnement, prévention des accidents, surveillance, motivation. Le patient ne reconnaît pas qu il est malade ; cette méconnaissance l empêche de comprendre l intérêt de se soigner et de participer à un accueil de jour. La méthode employée lors des entretiens est de type semi-directif (questions ouvertes). Elle permet aux personnes interrogées de s'exprimer spontanément à l'intérieur d un cadre prédéterminé et créé à cette occasion. Les personnes interrogées structurent leur réponse autour de thèmes choisis, mais ne sont pas enfermées dans des réponses toutes faites. Il faut prendre garde cependant à ce que l interviewer influence le moins possible les réponses des «aidants» et que l interprétation des discours ne soit pas trop subjective. Le questionnaire est construit autour des thèmes suivants : le profil des malades, celui des aidants et leur conception d un accueil de jour. Il s agit de vérifier quel stade d évolution de la maladie permet aux malades de fréquenter l accueil de jour ; de recueillir de l information sur le quotidien des «aidants» et leurs difficultés Fernez-Walch / Fortunat 4 / 12

5 de prise en charge enfin de créer un service qui répondra le plus possible aux besoins exprimés. La pertinence des questions (tant sur le fonds que sur la forme) est testée auprès de 5 personnes choisies au hasard parmi la clientèle de l association. Suite à ces entretiens, le questionnaire est modifié puis présenté à quinze autres aidants. La moitié est sélectionnée parmi la clientèle de l ACSSAD, l autre moitié parmi les «aidants» de l antenne locale Alzheimer 12. Il ressort des entretiens que l accueil de jour doit être un service de proximité, conçu comme une «halte garderie», où les «aidants» peuvent amener leur parent, en moyenne deux fois par semaine, selon leur disponibilité et leur emploi du temps. L accueil de jour permettra de «garder» la personne malade tout en rassurant les «aidants» le temps de leur absence. L aidant veut pouvoir rencontrer des professionnels de santé afin de mieux comprendre le comportement de leur parent, trouver un lieu d écoute, d échange et surtout un moment de répit (toutes les personnes interrogées présentent des symptômes d épuisement) Analyser les solutions existantes La visite de plusieurs accueils de jour en région Midi-Pyrénées et les entretiens téléphoniques avec des responsables d établissements ont permis de mettre en évidence des facteurs clés de succès ou d échec, qui sont pris en compte dans une analyse de risques. Par exemple, la montée en régime du service d accueil est montrée comme une période critique, difficile. Il ne suffit pas d avoir de la place pour faire venir les patients. Parmi les facteurs explicatifs : des problèmes de transport entre le domicile et le lieu d accueil, des freins psychologiques (les «aidants» ont des réticences à officialiser la maladie de leur proche) Rencontrer des acteurs susceptibles d émettre un avis sur la pertinence du concept Si de nombreux acteurs (Président de l Association Alzheimer Aveyron, spécialistes en gérontologie, Lions Club) s accordent à dire que le concept est pertinent et qu il y a un réel besoin d accueil de jour, si des allocations personnalisées, versées directement aux personnes malades ou aux structures professionnelles, peuvent être envisagées pour financer une partie de l accueil de jour, il faudra plusieurs mois pour apprendre que le département ne dispose que de 21 places au total d accueil de jour dont 17 sont déjà distribuées, les 4 restantes étant à coup sûr attribuées à l hôpital qui a déposé le dossier de demande d autorisation. Aucun budget supplémentaire n est prévu pour Fernez-Walch / Fortunat 5 / 12

6 1.3. La rédaction du cahier des charges fonctionnel Le cahier des charges fonctionnel a été construit en utilisant le modèle simplifié de l AFNOR proposé par S. Fernez-Walch (Management de nouveaux projets, AFNOR, 2000). Il comprend les rubriques suivantes : le concept général du produit, les utilisateurs du produit et leurs principales attentes, l état des lieux sur les services d accueil existants, les origines et enjeux du projet, le cadre de déroulement du projet, les contraintes, les fonctions de service et les fonctions contraintes Elaboration du dossier CROSMS Tout nouveau projet de création, de transformation, d extension des établissements ou de services sociaux et médico-sociaux doit faire l objet d une approbation par le Comité Régional de l Organisation Sociale et Médico-Sociale. Le dossier présenté au Comité doit être rédigé conformément aux dispositions du Code de l Action Sociale et des Familles et notamment l article R ; les demandes d autorisation ne peuvent être examinées que si elles sont accompagnées d un dossier justificatif complet. En juin, le dossier a été rédigé selon les normes réglementaires et a été envoyé aux autorités compétentes. En juillet, le responsable du projet conclut à la faisabilité du projet : bonne adéquation stratégique du concept, existence de besoins non encore satisfaits, rentabilité de l activité. Il prévoit également des difficultés qu il s agira d aplanir ou de prévenir : problème de la montée en régime, freins psychologiques des «aidants» et surtout financements à rechercher pour faire fonctionner la structure. 2. COMMENT CONDUIRE UN PROJET DANS LE SECTEUR SANITAIRE ET SOCIAL : QUELQUES PISTES DE REFLEXION Il s agit, dans cette partie, de présenter une analyse du déroulement du projet (problèmes rencontrés mais aussi facteurs clés de succès) et de proposer des pistes de réflexion pour qui souhaiterait conduire un projet innovant dans une entreprise sanitaire et sociale. Dans un premier temps, nous confirmons l intérêt de mettre en place des compétences transversales de management de projet dans un secteur fortement contraint par les textes et les traditions professionnelles ( 2.1). Nous montrons ensuite les enseignements tirés de l analyse des besoins : pouvoir répondre aux attentes d une population parfois incapable de les exprimer, ceci en tenant compte des exigences de la réglementation ( 2.2), se demander à qui le service est réellement destiné ( 2.3), impliquer au plus tôt les partenaires du projet et faire du marketing de projet ( 2.4), préparer la montée en régime dès le début de la réalisation du projet ( 2.5). Fernez-Walch / Fortunat 6 / 12

7 2.1. Mettre en place des compétences transversales de management de projet Lorsque le projet a démarré, le manager du projet avait pour mission (voir plus haut) : - de constituer un dossier d autorisation de création d un service d accueil de jour aux personnes atteintes de la maladie d Alzheimer et troubles apparentés ; - de mettre en place le service si l autorisation était accordée. La mission était formulée en termes d objectifs de résultats sans aucune indication sur la démarche à utiliser. Lors de la décision du Conseil d Administration, le manager du projet n avait pas encore reçu une formation en management de projet et l association qu il dirigeait n avait pas de savoir-faire dans ce domaine. Ce projet était une démarche complètement nouvelle pour l association et son dirigeant. Le projet a donc été géré au départ, non pas selon une logique transversale par rapport aux différentes expertises, mais selon une logique «métier», ici celle d un expert du domaine sanitaire et social. Les termes de la mission étant flous quant à la démarche à utiliser, le manager du projet, auquel on n avait alloué aucune ressource, a dû assumer toutes les responsabilités et effectuer toutes les tâches du projet ; ceci en continuant à exercer ses responsabilités de directeur de l association. Il a été à la fois maître d ouvrage, maître d œuvre et bien souvent réalisateur. Il a en même temps dirigé et géré (selon les termes de l AFNOR) les moyens humains, techniques et financiers. Il ne pouvait pas faire autrement que de rencontrer des problèmes récurrents dans les projets, de respect des délais, de non implication du conseil d administration, de manque de motivation du personnel. Dès que possible, le responsable du projet a mis en œuvre des compétences transversales de management de projet : diagramme de Gantt ( 2.1.1), cahier des charges fonctionnel ( 2.1.2). Il aurait aimé constituer un groupe de projet pour impliquer des acteurs internes (experts de différentes fonctions) et externes (partenaires financiers potentiels) à l association ( 2.1.3) Le diagramme de Gantt, un outil de réflexion utile pour définir les actions pertinentes du projet L utilisation d un diagramme de Gantt très simple, réalisé sur un tableur de type Excel, a permis de mieux contrôler les délais. Mais il a été également l occasion de réfléchir aux tâches pertinentes à mener dans ce type de projet. La réflexion a été menée en terme de processus et non d expertises métier. Dix tâches ont été recensées : définition du concept général du produit et des enjeux du projet, étude de l adéquation stratégique du projet, analyse des risques, enquête auprès des «aidants», recherche sur la maladie d Alzheimer et le rôle des «aidants», étude de services d accueil existants, analyse fonctionnelle, construction d un cahier des charges fonctionnel simplifié, rédaction du dossier d autorisation, recherche de partenaires financiers. Fernez-Walch / Fortunat 7 / 12

8 Le cahier des charges fonctionnel, outil de formalisation du processus de décision Le responsable du projet, en construisant un cahier des charges fonctionnel simplifié, a pu définir clairement les enjeux du projet, vérifier l adéquation du concept par rapport à la stratégie de l association, exprimer précisément les attentes de la population puis les décliner en fonctions de service. Mais le cahier des charges a joué un rôle également pour clarifier le processus de décision dans le projet. En effet, le fait de le présenter au Conseil d Administration de l association oblige celui-ci à exercer réellement son rôle de maître d ouvrage, et à s impliquer autrement que par des mots dans le projet. Cela évite également des prises de décision informelles pouvant remettre en cause à tout moment le déroulement du projet Mettre en place un groupe de projet pour décloisonner les expertises et impliquer le personnel et les partenaires Le manager du projet aurait souhaité mettre en place un groupe de projet, même réduit (deux à trois personnes) mais le Conseil d Administration souhaitait que le directeur travaille seul ; la raison évoquée était d ordre financier. Créer une équipe projet aurait permis de mieux utiliser les moyens humains, techniques ou financiers et d avoir une approche plus objective sur le déroulement des actions menées ou qui sont à mener. En intégrant dans le groupe projet un membre de chaque catégorie professionnelle, toutes les fonctions, toutes les compétences peuvent être représentées et cette diversité permet d assurer une meilleure efficacité des travaux à mener. De plus, l intégration de personnes extérieures à l association permet de faire connaître le projet et de créer un réseau de travail indispensable dans un contexte fortement contingent. Par exemple, établir un partenariat avec le spécialiste de gérontologie le plus proche permet de diminuer en partie les effets d une forte dépendance par rapport aux prescriptions médicales. Cela aurait permis également d impliquer au plus tôt le personnel susceptible de travailler dans le futur service d accueil de jour, de l inscrire dans une dynamique collective d apprentissage de compétences transversales. En effet, le projet n est pas seulement innovant par le service conçu. Il implique forcément, à terme, des changements organisationnels et des changements de mentalités (voir plus loin le paragraphe sur la montée en régime) Répondre aux attentes d une population parfois incapable de les exprimer, ceci en tenant compte des exigences de la réglementation La population visée par le projet (les utilisateurs principaux si on se réfère à l analyse fonctionnelle) est constituée de personnes atteintes de la maladie d Alzheimer, de stade d évolution 1et 2, c'est-à-dire jusqu au moment où elles ne peuvent plus exécuter les tâches de la vie quotidienne comme s habiller, se préparer un repas ou que leurs facultés de penser, de se souvenir, de comprendre, de Fernez-Walch / Fortunat 8 / 12

9 prendre des décisions sont trop entravées. Les personnes n ont plus les capacités à analyser les informations du monde extérieur et à les utiliser de façon adaptée. En construisant les questionnaires, le dirigeant de l association s est heurté à un problème majeur : comment définir les attentes d une population parfois incapable de les exprimer étant donné son état mental et de santé? Le problème n est pas spécifique à ce projet, il est souvent rencontré par les gestionnaires d entreprises du secteur sanitaire et social : quel service d accompagnement et de réinsertion pour des personnes en détresse, marginalisées? Quel type d activité et quel mode d hébergement pour des personnes handicapées mentalement? Il ne s agit pas ici d un problème de formulation des besoins (transformation de besoins implicites en besoins explicites), comme c est souvent le cas dans le secteur privé, particulièrement dans les secteurs business to business. Ce n est pas non plus un problème de recueil des informations (comme c est le cas dans les secteurs business to market, les méthodes d analyse des besoins faisant l objet de nombreuses critiques). Il s agit de se mettre à la place d une population ne pouvant exprimer ses besoins, de telle façon à lui offrir un service de qualité ; ceci dans un contexte très contraint par la réglementation, comme en témoignent les nombreux décrets et circulaires d application : décret n du 17 mars 2004 relatif à la définition et à l organisation de l accueil temporaire des personnes handicapées et des personnes âgées dans certains établissements et services mentionnés au I de l article L et à l article L du code de l action sociale et des familles ; décret du 10 février 2005 relatif aux modalités de médicalisation et de tarification des prestations de soins remboursables aux assurés sociaux dans les établissements mentionnés au II de l article L du code de l action sociale et des familles et modifiant ce code ; circulaire DHOS/O2/DGS/SD5D/DGAS/SD2C/DSS/1A/2002/222 du 16 avril 2002 relative à la mise en oeuvre du programme d actions pour les personnes souffrant de la maladie d Alzheimer ou de maladies apparentées ; circulaire n DGS/SD5D/DHOS/02/DGAS/SD2C/2005/172 du 30 mars 2005 relative aux modalités d application du plan Alzheimer et maladies apparentées ; circulaire DHOS/02/DGSSS/SD5D/DGAS /SD2C/DSS/1A n du 16 avril 2002, prévoyant le versement d un forfait journalier de soin. Les solutions face à ce problème sont soit l observation directe des personnes atteintes de la maladie (ce qui est très fastidieux), soit de passer par des tiers, naturellement en position d observateur. Ceux-ci sont alors jugés comme étant aptes à exprimer ce qui est «bien», «juste» pour les utilisateurs. Dans le cadre du projet, ce sont les «aidants» qui ont été interrogés. Mais les témoignages de dirigeants de services d accueil de jour, de représentants de la profession médicale ont également enrichi l analyse. Dans d autres types de projets, se pose la question de la légitimité du tiers : un médecin, un psychologue peut-il représenter son patient? 2.3. Se demander à qui le service est réellement destiné Au démarrage du projet, le concept général du produit avait été défini comme suit : «un accueil de jour destiné aux personnes atteintes de la maladie d Alzheimer et de troubles apparentés». Fernez-Walch / Fortunat 9 / 12

10 Le concept général du produit a par la suite été modifié. En effet, en administrant les questionnaires, en recueillant les témoignages des dirigeants de services d accueil similaires, le manager du projet s est aperçu que le service, qui accueille des malades, doit aussi recevoir leur entourage. Prendre soin d une personne atteinte de la maladie d Alzheimer s avère une tâche complexe et difficile. Les «aidants», d après l étude Pixel, menée en 2001 par Novartis en collaboration avec France Alzheimer et coordonnée par le Docteur Philippe Thomas, gériatre au Centre Hospitalier Esquirol à Limoges, ont exprimé un besoin de soutien, d être soulagés des difficultés de cette prise en charge qui peut être déroutante, épuisante émotionnellement et physiquement. Par conséquent, le concept a été reformulé comme suit : «une réponse pour le maintien à domicile des personnes atteintes de la maladie d Alzheimer et troubles apparentés et un soutien aux familles ; il permettra de retarder l entrée en institution». Le service d accueil est : - un espace convivial avec une équipe formée, disponible et à l écoute, dans des locaux adaptés et sécurisants et des activités variées et stimulantes, dans le respect du rythme et des goûts de chacun ; - un lieu de rencontre et de vie. La personne atteinte de la maladie d Alzheimer pourra développer ses capacités et conserver ou retrouver son autonomie grâce à l accompagnement de professionnels et de bénévoles compétents. Le service de jour apportera à «l aidant» un moment de répit, l aidera à accepter une situation nouvelle sans culpabilité et à s informer sur les aides, les droits, les offres et autres services. Les fonctions de service du produit ont été déclinées à partir de ces deux types d attente. Par exemple : rompre l isolement, sortir la personne malade de chez elle, préserver ou permettre de retrouver une vie sociale, maintenir un certain bienêtre, restaurer l autonomie dans les gestes de la vie quotidienne ; mais aussi : faciliter et réorganiser le soutien de son parent, lui permettre des temps de répit. En particulier, le responsable du projet s est aperçu qu une fonction importante était le transport des personnes atteintes. Certains dirigeants d accueils de jour ont en effet déclaré connaître une situation difficile, car ils n avaient pas prévu de moyen de transport et que de nombreux aidants étaient effrayés et découragés par la distance, le manque de moyens de déplacement entre le lieu d hébergement et le service d accueil. Les personnes malades sont âgées (76 ans en moyenne dans l Aveyron) ou en incapacité de conduire du fait de l évolution de la maladie. Les aidants, dans deux cas sur trois, sont les épouses ; dans les autres cas les enfants, qui exercent une activité professionnelle Impliquer au plus tôt les partenaires du projet et faire du marketing de projet Si l on se réfère au plan national Alzheimer et maladies apparentées , celui-ci est doté d un budget d environ 110 millions d euros et le nombre de places d hébergement temporaire et d accueil de jour devrait passer de 2378 en 2004 à en Une des actions prioritaires du plan régional de santé public de Midi-Pyrénées est de développer des centres d accueil de jour et des capacités d accueil temporaire. Le schéma départemental des personnes âgées préconise des Fernez-Walch / Fortunat 10 / 12

11 adaptations qualitatives. Toutes ces mesures vont dans le même sens qui est d améliorer la qualité de vie et de prise en charge des personnes âgées. Dans les faits, il vaut mieux partir du constat que les organismes financeurs n ont pas de budget malgré les effets d annonce. Il faut rappeler que l association a ouvert un service d accueil de jour pour personnes âgées dépendantes en 1999 ; ce service a fonctionné pendant deux ans grâce à la participation financière des familles et aux fonds propres de l Association. Sans budget de fonctionnement de la part des collectivités territoriales et locales et un bilan financier déficitaire en 2000, l Association a été contrainte malgré une fréquentation régulière de fermer ce service d accueil de jour. Le budget d une entreprise sociale étant limité, le projet ne peut être autofinancé. Le manager a intérêt à rechercher au plus tôt des partenaires financiers et à les impliquer dans le projet. Ici, l association France Alzheimer est un partenaire auquel on pense immédiatement. Mais le responsable du projet, en creusant le problème des moyens de transport, s est rendu compte qu un organisme privé de transport local avait des difficultés à maintenir la rentabilité de certaines de ses activités et pouvait donc être intéressé par le transport des personnes malades vers le service d accueil. L analyse fonctionnelle, avec des méthodes comme l analyse de l environnement du produit, l analyse du cycle de vie, peut être utilisée non seulement pour décliner les fonctions de service mais également pour détecter tous les acteurs de l environnement du produit susceptibles d être en interaction avec lui à un moment de son cycle de vie et donc d être des partenaires financiers potentiels. Par ailleurs, le marketing de projet est essentiel sur un projet innovant dans le domaine sanitaire et social et repose sur «le bouche à oreille». Il fera, dès le départ, connaître le service aux différents partenaires et aux futurs utilisateurs Préparer la montée en régime Lors du recueil de témoignages, le responsable du projet a effectué un constat alarmant sur les services d accueil qu il a visités : - accueil de Figeac (Ouverture le 1er juillet 2001) : capacité d accueil : 12 places ; taux de fréquentation : 20 % ; - accueil de Mazamet (Ouverture du service : 1998) : capacité : 12 places ; taux d occupation : 100% en Tous les dirigeants des services d accueil consultés affirment qu il faut en moyenne 5 à 6 ans pour atteindre un taux de fréquentation de 100% et pour que le service devienne rentable. Aucun n a prévu la durée de la montée en régime et le regrette. Pour pallier cette difficulté temporaire de rentabilité du service, les associations travaillent à moyens constants. Les directeurs des associations détachent du personnel des activités existantes, réorganisent les plannings des salariés en attendant des jours meilleurs. Il convient donc de préparer la montée en régime dès le début de la réalisation du projet (feu vert pour l autorisation d ouverture). Un examen exhaustif de la littérature montre qu il existe peu de réflexions conceptuelles ou de témoignages sur cette période de transition cruciale. Des discussions avec les responsables d établissement, le responsable du projet a tiré deux enseignements qu il s agirait maintenant de creuser et de mettre en pratique : organiser le fonctionnement du service au fur et à mesure de la montée en régime afin de ne pas trop modifier le planning des salariés, gérer la résistance du personnel au changement. Fernez-Walch / Fortunat 11 / 12

12 - Pour pallier les difficultés temporaires de rentabilité, c est à dire jusqu au moment où le service sera autonome financièrement, il peut être envisagé de travailler à moyen constant ; c est à dire détacher du personnel des autres services de soins et réorganiser les plannings au fur et à mesure que le taux de fréquentation va se modifier. Un planning fixe ne sera établi qu à partir du moment où le seuil de rentabilité sera atteint. - Gérer la résistance du personnel au changement, c est analyser et contrôler ses attitudes de retrait ou d opposition par rapport à ce qu il perçoit comme inquiétant, nuisible ou contraire à ses intérêts. Certaines des résistances ont des causes rationnelles car il faudra que le personnel s adapte aux modifications de l emploi du temps, accepte d aller en formation ; d autres ont des peurs émotionnelles dues à la peur de l inconnu, à un manque de confiance dans les décideurs. CONCLUSION : DES PROBLEMES D APPRENTISSAGE, DE PERTINENCE ET DE CONTINGENCE L analyse du déroulement du projet montre que l application d outils et principes dans un contexte nouveau, ici le secteur sanitaire et social, et, par là même, la construction de compétences nouvelles, nécessite trois types de réflexion : - Comment transformer des connaissances en compétences? - Quels principes et outils (ceux du management de projet) pertinents pour le manager d un projet dans le domaine sanitaire et social? - Comment intégrer les facteurs de contingence du secteur sanitaire et social dans une dynamique d apprentissage des compétences de management de projet? Un état de la littérature a montré qu il existe peu de témoignages sur la conduite de projets innovants à l aide du management de projet dans le secteur sanitaire et social. Pour le dirigeant de l association, le projet était donc une démarche «essai-erreur» visant à s approprier et à appliquer des outils et principes théoriques sans référentiel, impliquant un processus individuel complexe d apprentissage, de transformation de connaissances en savoir-faire. Quel service peuvent rendre les outils et méthodes du management de projet pour qui aurait à conduire un projet dans le domaine sanitaire et social? Sont-ils tous pertinents? Peuvent-ils être appliqués concrètement? Si oui, comment les adapter? Comment les utiliser? Quelles difficultés peut-on rencontrer? Le cahier des charges fonctionnel (difficile à mettre en œuvre pour un non initié) et le Gantt (très simple au contraire) se sont révélés utiles au responsable du projet mais pas seulement pour leur usage principal. La notion de contingence renvoie aux spécificités du secteur sanitaire et social qui créent des contraintes dans le management du projet : nécessité de satisfaire les attentes d une population parfois incapable de les exprimer, remplir un service de qualité, tout en respectant les textes et circulaires, un risque crucial, celui d échouer lors de la montée en régime. Fernez-Walch / Fortunat 12 / 12