Verbatim de la table ronde «Dépense juridique : frein ou levier de la performance»

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1 Verbatim de la table ronde «Dépense juridique : frein ou levier de la performance» Le contexte économique fluctuant contraint les directions juridiques en entreprise à maîtriser la gestion de leurs budgets annuels et à démontrer de plus en plus leur valeur ajoutée. Longtemps considérés comme un centre de coût, ils entrent progressivement dans une logique de rentabilité. Réussir leur planification budgétaire ne relève plus d un simple processus de prévision comptable mais d une véritable stratégie de création de valeur opérationnelle, éminemment complexe. Les intervenants d Entreprise (AFJE), Pierre Charreton est également Chevalier de l Ordre National du Mérite. Nathalie Alzac est Directrice Juridique Interpublic Group France Nathalie Alzac est Directrice Juridique de la holding du Groupe Interpublic en France qu elle a rejoint en 2001 pour créer «ab initio», le département juridique. Elle supervise l ensemble des affaires juridiques relatives aux filiales françaises et à leurs activités principalement centrées sur la communication publicitaire & digitale, le marketing, le conseil et l achat d espace, les relations publiques, le design de marques etc. Après des études et un magistère en droit spécialisé dans les médias et les nouvelles technologies, elle a rejoint le monde de la publicité à une époque où «les juristes n existaient pas». Elle affectionne particulièrement cet univers créatif qui se tient à la frontière des différentes disciplines du droit et en concentre les énergies. Stéphane Baller est associé du cabinet EY Société d Avocats Stéphane Baller est depuis 2002 associé du cabinet EY Société d'avocats qu'il a rejoint en 2001 pour mettre en place un processus marketing et développement lors de la fusion avec les équipes Archibald Andersen et de la mise en place de la Loi de Sécurité Financière. Ce travail sur "les clients de demain" l'a amené à concevoir la série des Observatoires (Politiques Budgétaires et Fiscales, Directions Fiscales, Directions Juridiques, Formations Juridiques et Fiscales) pour proposer des outils de mesure de l'évolution des grandes tendances du marché du droit. Pierre Charreton est Secrétaire Général AREVA Pierre Charreton est depuis juin 2011 Secrétaire Général du groupe AREVA. Titulaire d une licence en droit privé (Orléans 1973), son parcours professionnel est celui d un manager de la fonction juridique au sein de grands groupes industriels français largement déployés à l international. Après des débuts au sein du Cabinet FIDAL, il a dirigé au cours des 25 dernières années les équipes juridiques des groupes FRAMATOME (secteur de l énergie), THALES (secteur de la défense, aéronautique, spatial), FRANCE TELECOM / ORANGE (secteur des télécommunications) avant d occuper le poste de Directeur Juridique du groupe AREVA en Président d Honneur de l Association Française des Juristes Catherine Maguire-Vielle est Vice-Président & Assistant de General Counsel Carlson Wagonlit Travel Après des études de droit à l université de Sheffield et au York College of Law, Catherine Maguire-Vielle intègre en tant qu avocate le cabinet anglais Clifford Chance LLP en 1999, 5 ans à Londres et 2 ans en France. En 2006, elle rejoint la direction juridique de Carlson Wagonlit Travel, où elle occupe successivement les postes de Senior Corporate Counsel, d Associate General Counsel et, depuis 2014, le poste de Vice President & Assistant General Counsel EMEA. Legal Suite Verbatim de la table ronde «Dépense juridique : frein ou levier de la performance» 10 décembre

2 Première partie : évaluer son budget Selon les indicateurs 2014 de la cartographie des Directeurs Juridiques, le budget Juridique générique représente 0,17% du CA des entreprises en France et est resté constant depuis Aux USA, selon le rapport HBR Consulting, 0,38% du CA est consacré aux dépenses juridiques. Vos budgets sont-ils plus proches des chiffres français ou américains? Nathalie Alzac: En France nous nous situons plus à 0,17%. Je n ai pas les chiffres de ma maison mère américaine. Catherine Maguire-Vielle : Nous sommes plus à 0,55% avec un pourcentage plus élevé aux USA qu en Europe. Pierre Charreton : Nous sommes à 0,40%. Stéphane Baller : 100% puisque c est notre activité. 35% de nos 164 millions de CA sont en droit social et le reste en fiscal. Si l on se penche sur le ratio coût interne / externe, les Directions Juridiques françaises externalisent 40% de leurs coûts juridiques. C est le ratio contraire en Amérique du Nord, qu en pensez-vous Stéphane Baller? Stéphane Baller : C est une question d éducation et de familiarité avec l externalisation et également une question d internationalisation ; en dehors de la clientèle nord-américaine et française, on observe en Asie et au Brésil qu il y a une tendance à déléguer aux professionnels du droit quand on a pas les moyens d investir dans des équipes de juristes locaux, durs à former et à recruter. En conséquence les tickets sont tout de suite élevés! Nathalie Alzac : la part de coûts externes représente 25% du coût total de la Direction Juridique France. On constate parfois que le budget des directions juridiques est financé par les différentes entités opérationnelles.- Nathalie Alzac, vous qui avez créé le Département juridique d Interpublic en France et qui êtes confrontée à ce cas au sein du groupe. Quels sont les avantages et les inconvénients de ce processus? Nathalie Alzac : Dans notre groupe les services juridiques sont centralisés au sein d une holding qui refacture l ensemble de ses coûts aux sociétés opérationnelles. La facturation des coûts est différente selon que l on parle de coûts internes ou externes. Les coûts internes sont facturés sur la base de la marge brute mais en comptabilité américaine elles n impactent pas les indicateurs de performance des sociétés opérationnelles. C est un choix fait à la fois pour des raisons fiscales mais aussi pour internaliser les ressources juridiques et encourager nos Legal Suite Verbatim de la table ronde «Dépense juridique : frein ou levier de la performance» 10 décembre

3 sociétés opérationnelles à faire appel à nos services. Quand elles font appel à des sociétés extérieures, cela affecte leurs indicateurs de performance. Nous, juriste en interne, nous avons des règles de conduite (mission statement) qui définissent ce que nos partenaires peuvent attendre de nous en matière de service et de réactivité ; nous sommes garants des dépenses externes qui sont faites ; nous devons répondre de leur efficacité, de leur efficience et aussi de leur intelligence car nous ne pouvons pas engager des dépenses de strict confort. Il faut que cela règle un problème business. Vis à vis de nos partenaires externes, nous avons mis en place des «outside counsel guidelines» qui définissent ce que nous attendons de nos conseils externes. Il y est rappelé qui nous sommes, la qualité du conseil et les expertises poussées que nous attendons. Cela nous a amené à restructurer notre panel d avocats car nous continuons à travailler avec de grands cabinets pour les signatures internationales. Pour les activités de niche nous avons décidé de travailler avec des structures plus modestes mais compétentes sur des problématiques poussées.. Je n y vois que des avantages et cela a permis de bâtir une culture juridique et d améliorer nos relations entre les juristes externes et les juristes internes. Cela peut même constituer un avantage concurrentiel. Catherine Maguire-Vielle quel est le meilleur argument qui vous ait permis d obtenir le budget que vous défendiez? Catherine Maguire-Vielle : Nous avons un budget global et régional et donc chaque année nous devons défendre notre budget pour augmenter celui-ci et avoir plus de juristes. Cette année, nous avons demandé plus de budget pour étendre notre activité et pour l obtenir nous avons du mettre en place plus de surveillance des coûts externes, car nous sommes présents dans 150 pays et avec 44 juristes pour l ensemble du monde nous faisions souvent appel à des cabinets extérieurs ; plus de juristes en interne a permis de réduire les coûts de conseils externes. Il a donc fallu démontrer notre «Return On Investment», et donc que ce que nous avons investi en salaire nous a permis de moins dépenser en externe et de mieux gérer notre activité. Stéphane Baller : Actuellement il y a une tendance nommée «les coûts de transfert», soit comment à l intérieur d une même entreprise, refacturer les prestations. Désormais on va devoir refacturer les prestations en expliquant à quoi elles correspondent et en démontrer leurs bénéfices. On va donc être obligé d objectiver la qualité de cette prestation juridique. Quand on sait la rationaliser, la ressource d'avocats devient alors un service comme un autre auprès du service achat. Dans les arguments pour, on peut reconnaître à cette approche d apporter un élément stratégique pour savoir que l'on crée de la valeur au sein d une Direction Juridique et obtenir des feuilles de route claires pour faire évoluer l organisation. Legal Suite Verbatim de la table ronde «Dépense juridique : frein ou levier de la performance» 10 décembre

4 Doit-on aller jusqu à faire des feuilles de temps comme dans les cabinets? Cet exercice d objectivation reste quand même intéressant. Pierre Charreton: Sans paraphraser tout ce qui a été dit, mais pour rebondir et alimenter avec des éléments AREVA, on est passé en deux ans d un ratio worldwide coût 2/3 externe - 1/3 interne à 1/3 externe - 2/3 interne tout en réduisant le budget de 33%. En France, nous avons regroupé notre centaine de juristes en une seule communauté. Nous avons pu fluidifier la politique de mobilité interne au sein de notre filière juridique, réorganiser toute la fonction et dégager des économies locales importantes. Je remarque d ailleurs la montée en puissance d'expertises internes avec la tendance à l internationalisation. Pour internaliser, il faut que la qualité interne se rapproche du niveau de la qualité externe. Il y a alors un mouvement mécanique de recherche des meilleures performances en interne pour pouvoir rester dans cette dynamique. Stéphane Baller : Suivant l activité dans laquelle on se trouve, le ratio n est pas le même. Entre le contrat d une centrale et un contrat moins complexe, on ne va pas faire appel de la même manière à l externe. Différencions la prestation cœur de métier qui ne sera jamais externalisable et le reste. Legal Suite Verbatim de la table ronde «Dépense juridique : frein ou levier de la performance» 10 décembre

5 Seconde partie : Performance ou budget? Pensez-vous que votre direction générale vous attende davantage sur le respect du budget que sur la démonstration de votre performance juridique? Nathalie Alzac : La performance est présupposée puisque nous sommes là. Je ne suis pas à l aise avec le terme de performance juridique car selon ce qu on met derrière ce terme cela peut être une vision autocentrée de la performance Pour moi c est la capacité pour nous de déployer des ressources internes ou externes afin de résoudre un problème business en collaboration avec les parties prenantes. C est sur le pilotage et l arbitrage des dépenses internes et externes que nous attend notre Direction Financière. La demande de droit est aussi évolutive et dépend des structures. Si on prend les datas, c était avant tout un problème de stockage. Aujourd'hui c est devenu un problème juridique. Catherine Maguire-Vielle : On nous demande évidemment de faire plus avec moins mais nous sommes vraiment considérés comme stratégiques! Notre Directeur Juridique reporte directement au Directeur Général. Ce qui a des retombées positives sur les Directions Juridiques de chaque région et nous travaillons vraiment en équipe avec le business. Notre équipe est petite mais performante et chacun a comme objectif individuel de réduire les coûts externes. Pierre Charreton : les coûts se voient! Alors que la performance se sent! C est toute la difficulté de l exercice. J aimerais que l on parle du juridique et de la demande de droit. Quand on pense aux autres fonctions support on sait précisément de quoi il s agit. Pour la fonction juridique les choses sont plus floues. Le droit ne se limite pas à un point précis. Le droit est partout et en même temps insaisissable ; selon les cultures juridiques d entreprises la réponse juridique peut être très variable. Il n existe pas de limite à la matière juridique. Il est difficile de la traquer et il est donc difficile d arrêter un périmètre pour la fonction juridique sans être aspiré par sa capillarité. Stéphane Baller, «les coûts se voient, la performance se sent», êtes-vous d accord avec cette expression? Complètement. Aux USA, un patron sur deux sort d une Law School et donc apprend le droit avant de faire des affaires. À l ENA on apprend davantage à nos élites à faire de la politique que du droit. À HEC ou à Polyethnique, on enseigne plus la stratégie et la finance. Legal Suite Verbatim de la table ronde «Dépense juridique : frein ou levier de la performance» 10 décembre

6 Quand on a demandé dans notre dernier Observatoire aux Directeurs Juridiques d indiquer les indicateurs de performance, 52% ont indiqué en priorité le coût des prestataires externes. Le deuxième est le nombre de consultations internes et le troisième le nombre de contrats gérés. Toujours dans l Observatoire, nous avons demandé d indiquer quels étaient leurs propres indicateurs de la performance vis-à-vis de leur Direction : la satisfaction du Comité Exécutif, l absence de sinistres et le respect du budget sont les 3 réponses par ordre d importance. Legal Suite Verbatim de la table ronde «Dépense juridique : frein ou levier de la performance» 10 décembre

7 Troisième Partie : Appui de la technologie pour maîtrises ses dépenses juridiques Catherine Maguire-Vielle, avez-vous trouvé dans l informatique juridique un appui? Catherine Maguire-Vielle : on a récemment produit un système basé sur un outil bureautique pour rentrer tous les conseils externes et partager nos informations mais il devient indispensable d avoir un outil informatique dédié Pierre Charreton : Je crois qu on a assisté au développement d outils très intéressants. Beaucoup de directions sont encore à un état balbutiant. On est encore au début et la démarche de LEGAL SUITE qui en est à son commencement et est promise à un bel avenir. Les directions vont devoir s équiper car il y a une complexité croissante. Nous devons tous faire un effort d investissement. Il y aussi un temps d apprentissage. Le coût n est pas seulement le problème mais aussi de mobiliser les équipes pour qu elles apprennent à utiliser l outil et qu elles gagnent en efficacité et en fiabilité. Ces outils sont très adaptés aux équipes dispersées géographiquement. Ces pratiques vont certainement être développées plus largement. Nathalie Alzac : Chez nous l introduction d un logiciel de gestion des contrats a permis de revoir les process internes et de travailler de manière plus collaborative et de permettre aux juristes de suivre toute la vie du contrat et d élever le niveau des prestations fournies. On gagne en productivité et en valeur ajoutée compte tenu des budgets investit. Stéphane Baller : Il faudrait que l informatique soit enseignée dans les facultés de droit. Il y a eu un progrès dans la puissance des outils et dans leur efficacité. On est aux balbutiements mais il y a des choses intéressantes. Les administrations fiscales et celles de la concurrence nous poussent d'ailleurs à nous équiper pour nous demander des reportings que seuls ces outils peuvent nous fournir.. Conclusion Patrick Deleau : Il me paraît bien loin le temps où un responsable juridique n osait se risquer à remettre en cause les notes d honoraires de ses plus grands avocats. Désormais, la pratique du droit n échappe plus à la logique économique de l entreprise et bien avisés sont les responsables juridiques qui ont su prendre aussitôt la mesure de cet enjeu. Il reste que cette contrainte de rigueur budgétaire nouvelle ne doit pas pour autant nous écarter de notre expertise première. Legal Suite Verbatim de la table ronde «Dépense juridique : frein ou levier de la performance» 10 décembre

8 Et c est, une fois encore, le rôle et le renfort des technologies que de nous libérer des astreintes de comptabilité au profit de notre véritable métier. Piloter la dépense juridique ne relève plus de l imaginaire. La technologie l offre Legal Suite en témoigne lui a donné toute sa puissance pour en faire un autre levier de performance juridique. À ce prix, nous pouvons, juristes et responsables juridiques, revenir à l essence de notre métier, à notre raison d être et au plaisir que nous avons, je crois, à pratiquer le droit au service de nos organisations. Écoutez le podcast de la table ronde «Dépense juridique : frein ou levier de la performance?» Cliquez-ici Legal Suite Verbatim de la table ronde «Dépense juridique : frein ou levier de la performance» 10 décembre