Sigismondo D India à la cour de Turin. Musique, mécénat et identité nobiliaire

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1 Sigismondo D India à la cour de Turin. Musique, mécénat et identité nobiliaire Jorge MORALES (dir. Raphaëlle LEGRAND, Université de Paris-Sorbonne et Massimo PRIVITERA, Universités de Rome et de Palerme) 1

2 Position de thèse Sigismondo D India à la cour de Turin Notre mémoire de master 2, intitulé Sigismondo D India entre monodie et polyphonie, nous a conduit à considérer que seule une thèse permettrait de mesurer à sa juste valeur le compositeur italien Sigismondo D India (1582?-1629?). Ce contemporain de Monteverdi est en effet une figure incontournable du XVII e siècle et l un des pères fondateurs de la musique moderne. Nous entendons, dans cette thèse, le situer dans un contexte qui nécessite d être mis à jour, celui de la cour de Turin, où le musicien s est établi de 1611 à 1623, période la plus fructueuse de sa carrière musicale. En effet, il s agit de l époque où D India, bien qu installé à la cour de Savoie, entretient des liens avec d autres mécènes comme la famille Malaspina di Edifizi, originaire de la campagne de Parme, la famille Landi Barattieri de Plaisance, l archevêque Marco Sittico Altemps de Salzbourg, l abbé Odoardo Farnèse de Rome, l ambassadeur d Angleterre à Venise Sir Henry Wotton, le duc Alfonso III de Modène, la reine de France Marie de Médicis, le comte Federico Rossi de San Secondo de Parme et l archiduc Charles d Autriche. Nous avons également examiné et retracé le contexte de l arrivée de D India à la cour de Turin en menant des recherches archivistiques en Sicile, mais aussi les circonstances de son départ en nous intéressant aux séjours que le compositeur a réalisés à Modène et à Rome au service de deux grands mécènes italiens de cette époque : le duc Alfonso III d Este et le cardinal Maurice de Savoie. Ce prélude et ce postlude éclairent la période turinoise. L objet de cette thèse n est pas d écrire une biographie de Sigismondo D India, même si les éléments biographique sont loin d être absents car importants, mais de composer un itinéraire musical, historique et culturel à travers l œuvre du compositeur, chaque chapitre étant construit comme un madrigal dans un contrepoint de musique et d histoire en faisant fond sur nos recherches archivistiques que nous avons tenté de rendre le plus harmonieux possible. La thèse comprend quatre parties, la première et la dernière sont le prélude et le postlude que nous venons d évoquer. La première partie porte donc sur les premières recherches systématiques sur les origines siciliennes du compositeur ainsi que sur le contexte politique et artistique de la cour de Turin lors de son arrivée. Elle tente de donner un nouvel éclairage sur les origines et la formation musicale de D India (dont on ne sait pratiquement 2

3 rien), mais aussi sur les conditions de son arrivée en Savoie. Les deuxième et troisième parties correspondent au corpus de la thèse. L organisation de chaque chapitre suit l ordre chronologique des différents livres de musique que le compositeur a publiés pendant son séjour de douze ans à Turin en les dédiant aux mécènes déjà cités. Enfin, la quatrième partie, se relie aux deux précédentes autant qu elle s en sépare. Les séjours du compositeur à Modène et à Rome à la fin de sa vie sont en effet à la fois une période différente et une continuation sur un autre mode de son activité musicale à Turin. Chaque chapitre traite donc une problématique différente qui suit le cheminement artistique du compositeur et à travers lequel se dessinent les trois axes énoncés dans le titre de la thèse : la musique, le mécénat et l identité nobiliaire. Musique Cet axe de recherche comprend la circulation de musiciens, artistes, imprimeurs et sources musicales mais également l analyse de certaines œuvres de D India. Nous avons voulu, d une part, retracer les influences musicales reçues par le compositeur, reconstituer les milieux et l entourage artistiques dans lesquels il a évolué au long de sa carrière à la cour de Turin, et, d autre part, analyser la manière dont les déplacements du musicien lui-même ainsi que la circulation de sa musique s insèrent dans un réseau complexe qui dépasse les frontières de la cour de Savoie et même celles de l Italie, et participent à l évolution musicale de l époque. Quant à l analyse musicale, nous avons voulu étudier différents aspects de ses œuvres afin d en dévoiler l éclectisme stylistique et poétique, les différents transferts stylistiques, la manière dont le musicien réélabore un héritage pour mieux se placer dans une perspective d innovation, mais aussi éclairer la difficile question des rapports entre la musique et la poésie, examen qui montre non seulement l intelligence dramatique du compositeur lors de la construction d un discours musical mais encore la conscience qu il a de sa propre modernité. Nous avons choisi d étudier des partitions qui n ont encore jamais fait l objet d analyse dans le but de prolonger et approfondir, même modestement, la connaissance de sa musique. Ainsi, D India, chanteur, guitariste, compositeur et poète, apparaît comme l un des compositeurs les plus audacieux et les plus singuliers de son temps. 3

4 Mécénat Le mécénat artistique accompagne la carrière musicale du compositeur puisqu il favorise ses déplacements, relie artistiquement les différentes villes où se trouvent le musicien et ses dédicataires et facilite l émulation créatrice. Nous avons voulu montrer, à travers les livres de musique que D India a adressés aux différents personnages nobles pendant sa période turinoise et parfois au-delà, l hétérogénéité du phénomène du mécénat. Nous retrouvons cette hétérogénéité dans la carrière du compositeur qui nous montre qu un musicien peut servir plusieurs patrons en même temps, mais aussi dans la multiplicité de types, mécanismes et habitudes de mécénat et de protection liée à la personnalité des dédicataires, aux différents buts politiques qu il poursuivent et aux tendances artistiques locales. L étude du mécénat à travers la production musicale de D India dévoile aussi la complexité des rapports et des échanges entre protection et prestige entre le musicien et ses patrons. Cette relation n est pas à sens unique puisque le compositeur contribue à renouveler voire à forger le goût de ses mécènes. Enfin, l étude du mécénat artistique permet de mieux comprendre l histoire des institutions musicales, le collectionnisme, les stratégies de carrière du compositeur ou les passions et les intérêts intellectuels et artistiques, parfois même scientifiques, de ses dédicataires. Nous avons voulu partir des dédicaces de chaque recueil en les prenant au sérieux, c est-à-dire en essayant de dépasser leur caractère flatteur, répétitif et apparemment superficiel afin de comprendre leur véritable message qui nous renseigne sur le système complexe du mécénat. Ces dédicaces sont révélatrices tant de la vie politique et musicale des cours que des comportement nobiliaires et composent un contrepoint entre style, goût, vie spirituelle, renommée et art de gouverner. Identité nobiliaire Enfin, par identité nobiliaire nous entendons étudier la manière dont le musicien contribue à la construction de l identité culturelle d une cour en même temps qu il construit son propre statut de noble ; les identités nobiliaires s emboîtent les unes dans les autres dans un jeu de miroirs de statuts. L identité nobiliaire peut être ainsi considérée comme un préalable de l identité nationale. En effet, Sigismondo D India, qui commence sa carrière comme «noble palermitain», 4

5 devient chevalier de Saint-Marc et enfin gentilhomme du cardinal de Savoie. Cette progression montre sa volonté d appartenir à un système nobiliaire à la fois artistique et intellectuel et d affirmer un statut de noblesse égalant celui du mécène dans «l exercice commun de la vertu». Nous avons voulu montrer que le compositeur remplissait parfaitement le rôle de musicien-gentilhomme et que sa musique en était l autoportrait. Les liens culturels entre les duchés participent également à la construction de l identité nobiliaire de la cour qui les reçoit autant qu ils transforment celle de la cour d origine ; la diplomatie musicale seconde en même temps qu elle fait écho à la diplomatie politique. C est donc par l organisation d événements politico-culturels que se construit l identité nobiliaire du duché de Savoie. De la sorte, le compositeur collabore à la mise en scène du pouvoir de la cour, à son rayonnement culturel et politique, à travers le spectacle et la musique de chambre, aussi bien pour les célébrations publiques que lors des fêtes privées organisées par les Savoie. C est une époque où la ville de Turin se transforme sur les plans urbanistique, politique et artistique et construit sa propre identité hybride en mettant en valeur son image publique. Le faste politique, les lieux du pouvoir ainsi que les allégories et les mythes qui forgent l imaginaire culturel et l identité de la cour se reflètent dans la musique de D India. Sa musique participe ainsi à la construction d un modèle d urbanité. Conclusion Nous avons consulté de nombreux fonds jusqu alors, pour la plupart, inexploités, aux Archives d État de Turin, Modène, Milan, Rome, Venise, Parme et Plaisance, et, plus précisément, à l Archivio capitolino de Rome, aux Archives secrètes du Vatican, à la Bibliothèque apostolique et dans d autres bibliothèques historiques des villes mentionnées. Nous avons recensé également presque huit cents références bibliographiques toutes intégralement examinées. Nous avons tenté d appliquer à ce travail une méthode réellement pluridisciplinaire, cherchant à lier le plus sérieusement possible la démarche historique, l histoire des idées, le travail archivistique, la traduction et l analyse musicale, afin de placer la musicologie dans une perspective large tout en demeurant dans un cadre scientifique. Si trop de documents manquent encore pour rendre le parcours de D India dans le détail, c est grâce à la reconstitution et à l analyse du contexte dans lequel il a vécu que nous pouvons nous rapprocher de lui. 5