HISTOIRE DE LA MAISON DE POLIGNAC

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1 HISTOIRE DE LA MAISON DE POLIGNAC avec les généalogies et armes / de la plupart des illustres familles / qui y ont été alliées Le tout divisé en XI livres / et deux discours et justifié / par titres, actes et authorit / és de graves autheurs et / fidèles historiens. par Gaspar CHABRON Docteur et / Avocat en la Sénéchaussée et si/ ège Présidial d'auvergne à / Riom et juge de la vicomté / de Polignac [vers 1625] [transcrit et enregistré sur Macintosh par F.H. FORESTIER au château d'adiac (43) et à CALUIRE (69) de septembre à décembre 2000, sur le manuscrit C appartenant à la Sté Académique du Puy Collationné sur le manuscrit B du duc de Polignac le octobre 2001 Nota : La copie que possède M. le Duc de Polignac [manuscrit B] a appartenu au marquis d'aubais [ex libris armorié au verso du 1er plat de la reliure et cachet ovale : Bibliotheca Albassiana, sur la page de titre] - 1 -

2 2 INTRODUCTION L Histoire généalogique de la Maison de Polignac, par Gaspard Chabron (1570-après 1638) est le premier ouvrage historique consacré à une famille dans le territoire de la Haute-Loire. Les Polignac y sont étudiés et glorifiés depuis l antiquité légendaire jusqu à l extrême fin du XVIe siècle. L auteur l a rédigée juste après, dans la première moitié du XVIIe siècle. Elle est resté manuscrite et, bien que célèbre, très peu diffusée jusqu à nos jours. Témoin caractéristique de l historiographie d Ancien Régime avant les Mauristes, avec ses mérites et ses outrances, c est aussi une source historique importante, car elle a utilisé un grand nombre de documents disparus depuis ; son intérêt n est pas uniquement généalogique, et dépasse le cadre strict du Velay, les Polignac s étant trouvé possessionés ou actifs hors des limites de cette petite province. Le lecteur trouvera ici la transcription intégrale réalisée par François-Hubert Forestier, professeur émérite de l Université de Nantes. Il l a établie d après le meilleur et plus ancien manuscrit connu, celui qui provient de la bibliothèque d un grand érudit d Ancien Régime, le marquis d Aubais, et qui est possession de l actuel duc de Polignac, lequel a bien voulu autoriser ce travail. A partir de la transcription qui est aujourd hui livrée, M. Forestier termine une publication scientifique complète de l ouvrage pourvue d index et d autres éléments déjà réalisés, mais non insérés ici. Il publie en 2007 une première étude de l histoire des manuscrits subsistants (Cahiers de la Haute-Loire, livraison 2007, voir le résumé sur ce même site). Martin de Framond, le 25 octobre 2007.

3 3 [PRÉAMBULE.] A MONSEIGNEUR Messire Gaspar-Armand, vicomte de Polignac marquis de Chalancon, seigneur et baron de Solignac Randon, Randonat, la Voute, St Paulhen, Ceissac, 1 et autres places, chevalier des ordres du roy, Conseiller en ses conseil d'état et privé, capitaine de cent hommes d'armes de ses ordonnances Gouverneur de la ville du Puy et Commandant pour le service de sa Majesté dans la province d'auvergne. Monseigneur, Le lustre de la noblesse vraie mère nourrice de l'honneur et de la vertu ne relève pas davantage le gentilhomme par dessus le vulgaire que l'anciennetté de la meme noblesse le rend excellent par dessus ses compagnons ou que par dessus cette antiquité le met hors de pair la valeur et prouesse de ses ancêtres secondée par sa propre et particulière vertu. Car tout ainsi que la noblesse est une marque qui sert de signal à une ame généreuse pour etre reconnue parmi les coeurs lasches et roturiers, de meme l'antiquité sert au noble pour importer le privilège de préséance par dessus ses compagnons. Et la vertu pour faire connoitre que c'est à meilleur titre que tout autre qu'il jouit de la faveur de noblesse et du passedroit de son antiquité. D'où l'on peut voir quel partage méritent ceux-là aux honneurs et louanges que par une singulière faveur et influence non commune du ciel semblent avoir combatu avec le temps à qui mieux feroit ou celuy-ci rendant vénérable leur noblesse par une longue trame, non d'années mais de siècles, ou ceux-là par leurs rares et signalés exploits l'affermissant qur le perron d'une constante vertu. Que si ce gentil poète a dit vrai parlant d'une simple noblesse : Que tous lodz et honneur par noblesse comence Tout ainsi que le fruit ressort de sa semence que faudroit-il dire d'une noblesse avouée par l'antiquité qui, selon un ancien proverbe, a crédit d'autoriser le droit de noblesse à toute chose et sans laquelle le noble n'est qu'à deux doigts du roturier? Si l'on ne veut mettre en vogue l'opinion des Egyptiens donnant à tous une égale noblesse, ou cette loi dénaturée qui n'a pu trouver place que chez les bouviers sortis de Scythie 2, je veux dire les Turcs près desquels celui-la est le plus noble et le plus avancé aux honneurs qui le moins de tous sait de quel père et mère il est issu auquel selon tout droit le noble sorti d'un estoc ancien pourra dire ce que disoit ce grand Agammemnon chez Homère : Et qu'il ne soit sujet d'autant que plus grand roy Je suis et moins ancien en l'estime que moy Et quoi, si la majesté de cette ancienne noblesse porte au front gravée la beauté de la vertu, ne faudra-t-il pas confesser que c'est le noble des nobles et par conséquent la fleur et crème de tous les honneurs lui 1 Chalancon (commune de St-André de Chalencon, 43), Solignac (commune de Solignac sur Loire, 43), Randon (commune de Châteauneuf-Randon, 48), Randonat (région de Luc, 48), la Voute (commune de Lavoûte sur Loire, 43), St Paulhen (St-Paulien, chef-lieu de canton, 43), Ceissac (commune de Ceyssac, 43) 2 peuples nomades de Russie méridionale, implantés au N de la mer Noire, célèbres par leur orfévrerie.

4 4 sont dubs parceque la vertu et la noblesse de la noblesse disoit la bouche d'or de Constantinople n'est qu'un fruit léger qu'il n'est pas plutot fait qu'il s'évanouit parmi l'air. C'est la considération de ces belles parties et qualités avec la rencontre et la belle alliance qu'elles font en votre personne Monseigneur, qui m'a mis en grande inquiétude dès lors que le service que j'ay voué à votre grandeur suivant le devoir naturel qui m'y oblige m'a fait naitre le désir de le vous témoigner par les effets, car ce désir industrieux me poussant à faire la recherche des moiens et occasions de l'accomplir m'a fait enfin prendre garde que tout ainsi que le premier degré de la philosophie naturelle, selon l'avis d'un grand et S(avan?)t Docteur, après Platon et Aristote, c'est d'admirer les choses naturelles. De meme par proportion la première marche sur laquelle met le pied celui qui désire se rendre digne et capable serviteur de quelque Grand, doit etre l'admiration de la grandeur de son maitre parceque cette admiration fait naître l'amour qui, ne pouvant etre oisif, anime de près les esprits pour se haster de complaire à celuy duquel l'admiration nous a rendu captifs. Et de fait, s'il est impossible, au dire de Platon, que l'on n'imite ce que l'on aime avec admiration et que l'on admire avec amour, aussi ne se peut-il faire que l'on ne se porte volontiers au service de celuy duquel on aime et admire la grandeur. C'est donc cette votre grandeur qui, me ravissant en admiration, m'a mis en inquiétude me donnant trop de sujet d'admirer et nonobstant quand et quand le moien de pouvoir égaler en services et par mes labeurs représenter ce que je ne puis mieux assez admirer. C'est ce grand éclat, dis-je, et brillement de la splendeur de votre illustre maison qui m'a ébloui la vue sans le pouvoir porter ni arreter sur elle aussi peu que sur les rayons de ce grand luminaire du monde : le soleil. Effets procédant presque d'une meme cause puisque nous voions cette votre maison et cette du tout admirable et vraie merveille de nature votre chateau de Polignac avoir porté de toute ancienneté gravé sur son frontispice le nom d'apollon, le Soleil et que dans iceluy plus solennellement qu'en tout autre lieu des Gaulois le dieu Apollon y étoit adoré. Si qu'étant vray ce que dit Euripide que les dieux aimoient tellement les nobles qu'ils ne les pouvoient non seulement jamais haïr, mais bien encore ils se plaisoient à leur compagnie, leur déportoient toutes graces et faveurs, les remplissoient et combloient de tous honneurs, biens et félicités, ainsi Apollon aiant choisi votre maison comme l'une des plus nobles de la Gaule pour son principal manoir et domicile pour y rendre ses oracles, il laissoit en meme temps rendre participante de sa plus grande splendeur et lumière, remplie et comblée de tant d'heur de grandeur, d'honneur et félicité qu'elle auroit été rendue comme immortelle et par privilège spécial comme exemptée garantie et préservée de cette loi générale de la nature : de l'inconstance, du changement, de la corruption et anéantissement. Mais quoy, faudra-t-il que cette grande splendeur et lumière demeure si long temps invisible, inconnue et comme enserrée dans le pourpris et enceinte de cet inexpugnable chateau, ne se trouvera-t-il pas quelqu'aiglon royal qui à yeux ouvert la puisse si fixement voir qu'il nous en puisse raconter les merveilles, est-il possible que tant de beaux esprits n'en aient pris la connoissance, ou s'ils l'ont prise, qu'ils aient manqué de courage pour la mettre au jour et se défiant de la pouvoir représenter telle qu'ils la voiaient etre, l'aiant mieux aimé délaisser dans cette prison que de l'en sortir moins assortie qu'elle ne méritoit. Certes j'ay bien tant de regret de voir la mémoire d'une si grande ancienneté et noblesse avoir demeuré si, longtemps ensevelie qu'il me semble etre beaucoup meilleur de faillir par trop de courage et plutot s'exposer au danger d'un autre Icare donnant l'essor à ma plume sur un si noble sujet, que de démentir le service que je vous dois par ce trop timide et peu honorable silence. Me voici donc Monseigneur résolu de mettre au jour et produire en public votre Apollon Gaulois portant gravé sur son front majestueux les marques de votre noblesse ancienne, pour faire paroitre à un chacun que ce n'est qu'à bon droit que de tous tems il a fait son Louvre de votre maison et comme s'avouant l'autheur de votre race, lui a laissé son nom pour marque de son être divin. Et de tant que tout ce que l'on peut désirer d'une noblesse du tout point accomplie se doit rapporter à trois chefs parties que l'aristote a compris à la deffinition de la noblesse, quand il dit qu'elle n'est autre chose que des richesses anciennes jointes à la vertu, marquant la noblesse par l'ancienneté, les richesses et la vertu comme par ses naïves couleurs et qu'il me semble pouvoir être ajouté pour une quatrième : les

5 5 dignités et titres d'honneur, ainsi que je l'aprends de l'un de nos jurisconsultes qui dit la noblesse être une profession de richesses avec leurs grades d'honneur et de dignités non sans raison puisque les charges et dignités sont comme le vrai héritage de la noblesse qui ne peut être mieux cultivé que par le propre maître, je veux dire le noble. Ainsi desirè-je Monseigneur raporter à ces quatre chefs ou parties distribuées en XI livres ce que j'ay recueilli de la noblesse et grandeur de votre maison, au premier chef auquel je donne le premier livre je tracerai quelques crayon en termes généraux de l'ancienneté, de l'origine et du nom de Messeigneurs vos ancêtres, au livre second destiné pour le second chef je feray voir les beaux titres et rang d'honneur, les prééminences et prérogatives que ces mêmes seigneurs ont mérité par leur vertu, au troisième et quatrième j'exposeray pour le troisième chef leurs familles, moyens et richesses et au premier de ceux-cy je metray comme en perspective les merveilles de votre château de Polignac, le Temple et Idolle d'apollon, la forme de ses oracles et sacrifices, les peintures et autres antiques étant encore à présent dans icelluy, et au second l'étendue des autres belles terres et seigneuries que vous possédez. L'ancienneté d'aucunes d'icelles avec les prétentions que vous avez sur plusieurs autres, tant dedans que hors le royaume de France; et au quatrième chef qui contiendra tous les autres livres je produiray votre généalogie et exposerai en détail Messeigneurs vos ancêtres, leurs gestes et faits valeureux, leurs belles actions et alliances. Et à tout cecy seront aioutés deux discours, l'une des armes ou armoiries anciennes, devises et grands seels de votre maison de Polignac et de celle de Chalancon, Randon et Solignac y annexées et le dernier qui devoit marcher en teste et précéder tous les autres, mais transmis pour les raisons que nous y déduirons, sera de leur piété et dévotion de leurs oeuvres pies, de leurs bâtiments et fondations de Monastères, Couvents, Eglises, Chapelles et hopitaux, de leur charité et aumônes moiens par lesquels vos majeurs les seigneurs et Dames de Polignac de tous tems et ancienneté ont attiré et fait verser sur eux les plus grandes grâces et bénédictions du ciel, en quoi vous les imitez si bien, voir les surpassez, que votre illustre maison est aujourd'hui véritablement reconnue comme elle a esté toujours, pour un vray sein d'abraham, où tous les religieux pauvres et affligés trouvent des repos et du secours en toutes leurs nécessités ou bien peut-on dire de votre maison plus à propos et méritoirement que ne faisoient de leur pays les Etiopiens Macrobies au rapport d'hérodote, que l'on y trouve les tables du Soleil chargées de toutes sortes de viandes prêtes et assaisonnées pour y rassasier à plaisir tous les pauvres et souffreteux. Ainsi vois-je les mêmes faveurs du ciel se pendre [pencher?] sur votre lignée que vous avez heureusement provignée par ces deux beaux fleurons que la divine providence vous a donné, ces deux petits mignons nourrissons et faveur d'apollon, ces deux enfants du Soleil qui dejà à meilleur titre que les enfants légitimes du roy des oiseaux regardent fixement, font teste et tiennent leur vue ferme sans bressillier à l'aspect de l'astre qui éblouit tous les autres regards, qui voient déjà et penchent tous petits et duvetés qu'ils sont, ce que les autres plus hardis et généreux oiseaux n'osent aborder en la force de leurs plumes, qui ont tant de belles inclinations et dispositions à toutes les nobles et généreuses actions qu'ils promettent non seulement de ne dégénérer, mais bien d'atteindre, voire de donner à la poussière de leurs ancêtres. Fasse le Ciel Monseigneur que vous puissiez voir cette belle votre géniture florissante et croissante jusques à la quatrième génération, et puisse la postérité voir continuer et perpétuer ce mien ouvrage de votre généalogie par cette votre belle lignée et descendants d'elle, tant que le soleil, ce bel oeil, et le plus grand flambeau du ciel et de la terre, dominant de toute ancienneté dans votre maison de Polignac, par sa route et ronde incessante continuera à éclairer l'univers. Fasse encore le Ciel que je puisse à suffisance continuer mes labeurs et travaux entrepris, voués et destinés pour la seule recherche, renouvellement, conservation et augmentation des honneurs, droits et revenus à vous appartenant, ainsi que je m'en ressens infiniment rehaussé et accroître le courage par le continuel aspect et influence favorables de ces deux belles lumières par vous produits et à nous envoyer d'en haut, avec ce mien contentement particulier que je vois d'ici à l'oeil ceux qui a longues années pourront connoître, se servir et prévaloir de mes labeurs que je dédie et consacre à vous et à eux, de telle affection que je n'ose dire comme je suis véritablement...

6 6 HISTOIRE DE LA MAISON DE POLIGNAC Livre premier De l'ancienneté et origine de cette maison et de l'étymologie de son nom Première partie du manuscrit C (paginée [1] à [204] contenant les livres I à VI

7 7 [3] De l'ancienneté de la maison et famille des Vicomtes de Polignac Chap. I Après que j'ay fait une bien exacte recherche de l'ancienneté de la maison et famille des vicomtes de Polignac, je trouve d'abord leur race si haut montée que, ne pouvant découvrir de trace de son premier point, je suis presque contraint de dire des seigneurs de cette illustre maison ce que disoient les Athéniens d'eux-memes, à savoir qu'ils sont "autochtones", c'est à dire selon que l'interprete le prince des orateurs : "naiz [nés] d'eux-memes, enfantés et nourris de leur propre terre" et que par conséquent, à memes droits que les Athéniens, ils peuvent porter sur leur tetes de[s] cigales d'or entrelassées à leurs cheveux pour marque de leur antiquité. Mais ne me contentant de cette vanterie Grégeoise [grecque] et voulant venir aux preuves qui fassent toucher au doigt l'ancienneté de cette belle lignée, il faut que soudain je recoure à cette commune plainte des François qui, connaissant par expérience combien peu honorable leur est de voir les plus signalés exploits de leurs ancetres, ou etre du tout ensevelis dans le sépulchre double, ou bien si outrageusement déguisés et débités par plusieurs plumes envieuses et ennemies de leur gloire, à faute de quelque fidèle historien qui en fit part à la postérité. Se sentant beaucoup désobligés des anciens druydes qui étant trop ahurtés [attachés], pour je ne sais quel prétexte, à la culture de la mémoire, non seulement ne nous ont rien laissé par écrit des choses de leur temps, ains [mais] encore ont transmi comme héréditaire à leurs successeurs cette mauvaise coutume jusques à ce que, fait sages par leur propre domage, ils commencèrent à la quiter mais bien tard, et nous pouvons bien dire jusques à nos jours seulement en ce qui regarde ce pays de Velay, pays le plus stérile de toute la France et des Gaules en écrivains et le plus fertile abondant en des personages, le moins curieux à vouloir faire savoir à la postérité ce qui étoit de leurs privées et publiques actions et de celles de leurs ancetres. Et il n'en faut point d'autre preuve et expérience que le peu de curiosité que les gens de ce meme pays ont eu d'écrire ou d'envoier des mémoires de ce qui [se] seroit passé chez eux pendant ces derniers troubles des ligues et faction aux historiens de ce temps qui n'en font aucune mention, bien que d'ailleurs ils aient été grandement curieux de raporter tout ce qui s'est passé dans toutes les autres provinces de ce royaume. Et néantmoins c'est chose véritable que pendant ces troubles, à les prendre depuis le commencement jusques à la fin, la guerre a été aussi forte, violante et animée en ce pays et qu'il y a eu autant de beaux et vaillants capitaines, de soldats, autant de sièges, d'assauts, prises, surprises et reprises des villes et chateaux, de rencontres, de charges et défaites, de beaux stratagèmes de guerre, des faits et gestes malheureux, louables et mémorables, autant d'actes héroïques et perfides, de massacres et de toute autre sorte d'hostilité (méritant bien que la mémoire en fut laissée à la postérité) qu'en toute autre province de [4] ce royaume, et quoy [que] les deux chefs des deux partis en ce pais et gouverneur d'iceluy, signalés par leur valeur et belles charges [aient été] emportés par la violance de ces troubles, deux cents quatrevingt quatorze ou seigneurs gentilshommes capitaines ou gens de commandement demeurés étendus morts sur la place en une seule occasion, tant de nobles citoyens envelopés dans ces malheurs, tant de centaines ou plutot de milliers de braves soldats et capitaines qui ont rougi de leur sang tous les terroirs de la ville du Puy, des chateaux de Polignac ou d'hispali 3, à un quart de lieue l'un de l'autre mais particuliers et bandés les uns contre les autres, aussi bien que tout le reste de ce royaume de France par la permission de Dieu irrité contre le général par les pechés de tous les ordres et etats d'iceluy demeureront en oubli et ne se trouvera personne qui veuille les faire voir et les transmettre à la postérité, de crainte qu'elle ne s'en prévaille ou devienne sage par l'expérience, par l'exemple, et au dépens meme des siens. J'estime pour moy qu'il importe grandement de remarquer les actes tragiques de nos ancetres et dernières guerres civiles pour représenter à nos nepveux le malheur qu'ils ont causé, à ce que par la connoissance du passé ils prévoient l'avenir et se gardent de tomber en de si dangereux simptomes. Mais comment est ce que les gens de ce pays auroient eu des soins et de la curiosité pour faire voir au public leurs actions civiles et mondaines, qu'ils n'en ont pas eu seulement à faire voir le jour aux grands dons, faveurs, graces spéciales et bénédictions qu'ils ont receu miraculeusement de la main toute libérale et toute puissante de Dieu par l'intercession de la sacrée Vierge mère, bien qu'elle ait voulu gratifier ce 3 aujourd'hui commune d'espaly-st-marcel

8 8 meme pays d'une sienne église autant célèbre, vénérable, visitée et remplie de miracles, qu'aucune autre de presque toute la chrétienté? Dans quel historien je vous prie, ancien ou moderne jusques à nos jours, trouverez vous etre faite mention de tant de belles et rares choses, de tant de grands et beaux miracles qui ont été faits dans ce pays depuis la miraculeuse construction de cette église jusques à maintenant? Dans quels autheurs de légendes et chronologies trouverez vous marquées les vies de tant de Saints confesseurs et martyrs qui les premiers ont planté la foi en ce pays? Et toutefois, non obstant cete nonchalance et incuriosité, deffaut et manquement d'historiens et d'autres personnes privées qui aient eu le soin de rédiger par écrit leurs actions particulières et publiques, nous espérons produire l'histoire généalogique des vicomtes de Polignac et marquer leur suite sans aucune interruption depuis sept siècles entiers et le commencement du règne de Hugues Capet, premier roy de la 3e lignée de nos roys de France, qui fut environ l'an 987, auquel tems vivoit Armand ou Hermand vicomte de Polignac, ayeul de ce pieux, vaillant et brave cavailler [chevalier] Héracle aussi vicomte [5] de Polignac qui, s'étant enrollé avec Geoffroy de Bouillon et autres princes et seigneurs pour la conquête de la Terre Sainte, eut l'honneur de porter la bannière ou étendart de ce grand personage tant loué par les histoires : Adhémar ou Aymar éveque du Puy légat et grand vicaire en cette armée de notre St Père le pape Urbain II, qui enfin mourut en cette grande bataille donnée au devant de la ville d'antioche, la veille de St Pierre et St Paul 1098, navré [blessé] au visage d'un trait de flesche mortel pendant que des premiers il enfonçoit et terrassoit courageusement les escadrons des Infidèles. Que si nous ne pouvons conduire cette généalogie de plus haut, à deffaut de trouver des titres et papiers plus anciens en ce pais par le moien des quels nous puissions marquer la piété des générations de ces vicomtes, il ne faudra pas pourtant inférer qu'il n'y ait eu des vicomtes de Polignac avant ce règne, parceque nous en trouvons bien de plus anciens et aussi grands et puissants que ceux-cy que nous venons de nommer leurs successeurs, témoin celuy duquel est fait mention dans le martyrologe de l'église St Georges de la ville du Puy en la narration qui y est faite de la translation du corps de St Georges premier éveque du Puy par Norbert l'un de ses successeurs qui vivoit du tems de Charles le Chauve roy de France et empereur, petit-fils de Charlemagne et fils de Louis le Débonnaire, cent ans avant le règne de Hugues Capet, narration marquant bien la grandeur et puissance des vicomtes de Polignac de ce tems là, ce vicomte aiant contraint cet éveque, quoique favorisé du roy et assisté du duc d'aquitaine son frère, de luy demander la paix. Et non seulement nous trouvons des vicomtes de Polignac durant le règne de nos rois de la seconde lignée des Carlovingiens, mais encore de la première des Mérovingiens du tems de Clovis, le 1er roy de France chrétien, ainsi que nous le déduirons au chapitre suivant. Il y a plus, que dans l'ancienne histoire de l'édification miraculeuse de l'église Notre Dame du Puy 4 y est faite mention d'une dame issue de la maison de Polignac, de laquelle la sacrée Vierge se servit pour faire avancer le batiment de son église environ l'an de notre salut 221 il y a 1400 ans, et c'étoit avant que la maison et chateau de Polignac fut honoré de la dignité de vicomté, comme nous le dirons maintenant (datte remarquable pour l'ancienneté d'une maison) et si est ce qu'il ne faut pas croire que la maison de Polignac commençat par cette dame puisqu'elle étoit issue d'un seigneur de cette maison et par ainsi qu'elle venoit de plus haut, et de là encore nous pouvons tirer cette conséquence et former cette conclusion que la maison de Polignac aiant duré tant de siècles et s'étant toujours conservée en sa grandeur, elle a tiré infailliblement son origine de quelque grande et illustre noblesse, à la source de laquelle si nous ne pouvons parvenir c'est par ce seul manquement ou négligence des historiens, ou par leur incuriosité jà remarquée, ou par la perte des titres ou mépris de la garde et conservation d'iceux pour la postérité [6] 4 P. Odin ou Mathurin des Roys voir Charles Rocher, Les veilles histoires...

9 9 En quel tems les seigneurs de Polignac ont été honorés de la dignité de vicomte et que cette dignité étoit héréditaire en leur maison avant le règne de Hugues Capet. Chap. II Quelqu'un pourroit dire et avec belle apparance que la vicomté de Polignac est du nombre de ces anciennes vicomtés qui, de meme que les anciens duchés, comtés et marquisats, n'étoit donnés qu'à tems, comme sont les gouvernements des provinces d'aujourd'huy, furent laissés et rendus, par succession de tems, patrimoniaux et héréditaires par la tolérance et libéralité de nos rois et principalement de Hugues Capet qui, pour reconnoitre et récompenser les plus grands de la noblesse françoise qui l'avoient élevé au trone royal, à l'exclusion de Charles duc de Lorraine, rendit héréditaire aux grands seigneurs les duchés, comtés et vicomtés par eux lors possédées à tems seulement et sous le bon plaisir de nos rois. Mais pour moy je pense qu'il la faut prendre de plus haut, puisqu'il n'en manque pas de preuves pour lesquelles mieux assurer et par icelles mieux établir la grandeur et noblesse ancienne de la maison de Polignac. Il faut que je traverse beaucoup de siècles jusques à ce tres noble, très illustre, très docte, très éloquent et très saint personage St Apollinaire Sidoine, pour montrer que c'est de sa maison que celle de Polignac est issue, ou plutot que la sienne et celle de Polignac ne sont qu'une meme maison, ce que je promet de prouver si clairement que personne, pour peu capable de raison qu'il soit, n'en doutera. En premier lieu c'est le commun consentement des historiens françois, vieux et modernes, lesquels parlant de ce saint personage et de son fils, ou l'avouent par parolles expresses sorti de la maison de Polignac, ou rendent son nom latin Apollinaris de Polignac, c'est ainsi qu'en parle Pascal Robin en la vie de St Melaine éveque de Rennes, décrivant la bataille que Clovis Ier roy de France chrétien eut contre Alaric roy des Visigots auprès de Poitiers, en ces termes : "Clovis aiant traversé Loire et la Tourène, parvenu au fond du Poitou vainquit Alaric et Apollinaris (ou de Polignac) son lieutenant, comte ou gouverneur d'auvergne", c'étoit Apollinaris fils de St Sidoine ainsi que l'assure St Grégoire de Tours, disant que les premiers de la noblesse d'auvergne avec une grande multitude de peuple du meme pais aiant suivi et accompagné cet Apollinaire finirent leurs jours en cette bataille que quelques-uns apellent de Voilade, de Voile ou Vouillé. 5 Le Président Fauchet, parlant de ce comte Apollinaire et de cette sienne bataille gagnée par le roy Clovis, ajoute à la fin ces mots : il y a grande apparance [7] que (de) ce comte qu'emile appelle parent de l'éveque Sidoine, ceux de la maison de Polignac soient issus. Le Sr Dupleix, celuy qui de nos jours a donné de la poussière à tous nos autres historiens françois, en la vie de Clovis racontant la meme bataille dit : "Qu'en cette meme journée furent défaites de grandes familles qu'apollinaire avoit mené d'auvergne au secours d'alaric à cause que ces seigneurs relevoient du royaume d'aquitaine, il étoit proche parent du docte Apollinaire ci devant allégué qui fut gendre de l'empereur Avitus et après la mort de sa femme, élu éveque de Clermont en Auvergne et de cette très illustre et très antique maison se glorifiant etre extraits les seigneurs de Polignac, non sans beaucoup de preuves". Mais il se méconte en ce qu'il dit que ce ne fut qu'après la mort de sa femme qu'apollinaire fut fait éveque, l'aiant été du vivant d'elle, ainsi que nous le disons en son lieu. Paradin en son Histoire de Lyon récite que la ville de Lyon aiant été ruinée, brulée et détruite par Attila fut restaurée par l'empereur Majorian à la requete et instante prière que luy en fit Sidoine Apollinaire éveque de Clermont, de la maison de Polignac et c'est la prière qui se trouve à la fin du panégire fait par le meme St Sidoine à l'honneur de cet empereur. St Julien de Baleurre, en son livre De l'origine des Bourgongnons raporte avoir apris par un manuscrit d'une vieille Histoire des Auvergnats que cette nation étant en délibération d'élire un comte d'auvergne, 5 Vouillé, chef-lieu de canton, Vienne (86)

10 10 fut touchée d'un si grand zèle pour la religion chrétienne et respecta tant St Sidoine de Polignac son éveque qu'elle le fit comte : ce que depuis la plupart des autres cantons imitèrent, faisant leurs éveques leurs seigneurs, mais de peur que les affaires séculières ne divertissent par trop les éveques du principal de leur devoir, Sidoine commença par faire le seigneur de Polignac ou pour parler selon le latin : d'apollinar son frère, vicomte de Velay qui étoit alors un pais uni à l'auvergne, et de cette façon procédèrent les vicomtes, dits ainsi parcequ'ils étoient lieutenants des comtes. Voila les propres paroles de cet autheur, sans y rien ajouter ni diminuer. Le docte Chopin en la 3e édition de son livre : De domanio Franciae, parlant de l'ancienneté des vicomtes de Polignac ajoute ces mots à la marge : Polignac cujus pro comite genus suum referunt ad comitem Arverniae ejusque fratrem Arvernorum pontificem Sidonium Apollinarem. Janus Gruterus en ses inscriptions antiques suit la meme opinion en ces termes : fertur etiam ex familia dominorum vicecomitum huiusce castri Polliniaci seu Apolloniaci C. Sollium Sidonium Apollinarem originem traxisse. Le sr Favin en son Théatre d'honneur parlant de la maison et vicomté de Polignac dit que de cette illustre et ancienne maison étoit seigneur Sidonius Apollinaris éveque d'auvergne, sénateur romain et gendre de l'empereur Avitus. [8] Et l'autheur moderne de l'histoire de l'église Notre Dame du Puy [Odo de Gissey] suit la meme commune et véritable opinion, disant que de la noble maison de Polignac est issu il y a plus de 1200 ans le docte St Sidonius Apollinaris, aussi bien que ce grand capitaine Apollinaris lieutenant du roi Goth Alaric. Mais en vain emprunte-je et recherche des autheurs étrangers pour montrer que St Apollinaire a esté et doit etre mis au nombre des ancetres des seigneurs de Polignac puisque luy meme fait assez de foy de cette vérité au 4 livre de ses Epitres p. 6 où il marque la maison et chateau de Polignac pour sa maison paternelle, ainsi que le Sr Savaron, très digne président aujourd'huy dans la ville de Clermont en Auvergne, en ces doctes commentaires qu'il a fait sur les livres de ce saint, explique très élégament le lien marqué en cette épitre de la maison et chateau de Polignac duquel il recommandoit la garde à son parent Apollinaire par Faustin éveque du pays de Velay son grand ami et voisin. Ce qui est bien à noter pour l'éclaircissement de ce passage et pour montrer qu'il ne se peut entendre que de la maison et chateau de Polignac duquel, dis-je, St Sidoine recommandoit à son parent la garde comme d'une place jusqu'alors imprenable et inexpugnable, ainsi qu'elle est encore à présent, hors de prise et surprise, aiant toujours été la terreur, la merveille et l'étonnement de ses ennemis, comme l'asile et le refuge assuré de ses amis et dont l'ancienne splendeur, beauté et forteresse admirable dure toujours en son entier et ne se gate et consomme par aucune longue vieillesse ni durée de siècles et d'années et retient encore aujourd'huy le nom de ces Apollinaires. C'étant donc chose bien avérée et laquelle nous vérifierons bien plus amplement ès chapitres suivants que les seigneurs de Polignac tirent leur extraction de la maison de St Apollinaire 6. J'ajoute maintenant pour reprendre mes brisées que ces memes seigneurs tiennent encore de ce grand personage l'érection de leur vicomté car, suivant ce que j'ay rapporté ci-dessus du Sr de St Julien tiré d'une vieille Histoire d'auvergne, ce fut St Sidoine Apollinaire qui, aiant été fait comte d'auvergne du commun consentement des Auvergnats, pour se soulager fit son frère le seigneur de Polignac vicomte de Velay, pais lors uni à l'auvergne et par conséquent à la comté, ce que le meme St Julien répète parlant des Antiquités de Chalons en ces termes : comme doncques à ces fins le bon et St éveque Sidonius fut fait chef des Auvergnats et que pour le maniement des affaires qu'on leur pourroit susciter au fait des armes (si étoit forcé y venir) il fit son frère le Sr de Polignac son lieutenant et vicomte, qui est la cause pourquoy le meme autheur traitant des Antiquités de l'abbaye de Turnus [Tournus] l'apelle Armand le sieur de Polignac vicomte du Velay. Le Sr Président Savaron fait mention de cette vieille Histoire et aporte le témoignage du vénérable Pierre d'auvergne pour meme fin en ses commentaires sur l'épitre dernière du 7e livre en laquelle notre Sidoine est apellé Comte par l'empereur Majorian. [9] 6 Est-il besoin de rappeler que l affirmation de Chabron est complètement abandonnée de nos jours, à placer au rang des légendes.

11 11 Mais je veux parler bien plus clairement car non seulement je dis que lors St Sidoine Apollinaire étoit comte d'auvergne et son frère le Sr de Polignac vicomte du Velay, ains encore plus que ces comtés et vicomtés étoient héréditaires à leur maison, puisqu'il apert par ce que dessus que St Sidoine étant créé comte, du commun consentement des Auvergnats, fit son frère vicomte de Velay, résigna sa comté à son fils Apollinaire et iceluy à Arcade son fils, tous trois étant mis au nombre des comtes d'auvergne et que nous trouvons des vicomtes de Polignac tels que nous les avons raportés ci-dessus long temps avant le règne de Hugues Capet qu'on dit seulement avoir rendu les comtés, vicomtés et autres dignités héréditaires. Je scay bien que je trouveray peu de gens qui avouent avec moi qu'il y eut des comtes héréditaires de ce temps là, et entr'autres je sçay que le Sr de Belleforets est contraire à mon opinion touchant St Sidoine lorsque parlant de son fils Apollinaire en la vie de Clovis I : "plusieurs, dit-il, se sont trompée sur ce qu'en l'histoire cet Apollinaire est appelé comte et pensent que jà de ce temps là il y eut des comtes héréditaires en Auvergne, mais ils ne regardent pas qu'en cette saison les Goths étoient seigneurs souverains de ce pays et que ce mot de comte emportoit gouvernement et lieutenant du roy et non pas héritage." Mais, ne luy en déplaise, cet argument n'a point de force en aucune de ses parties car en premier lieu il se trompe en ce qu'il nie qu'en ce temps là il n'y eut aucunes comtés héréditaires, vu comme le Sr Fauchet a pertinemment remarqué du temps des roys Mérovingiens les comtes de Bretagne, à savoir de St Malo, de Rennes et de toute la basse Armorique étoient héréditaires, comme de meme il avoue y en avoir eu durant la première race des rois en Aquitaine et Gascogne, jusques à ce que Charles Martel, Pépin et Charlemagne eurent chassé ou fait mourir Eudes dernier duc d'aquitaine, Gayfre et Hunault ses enfants. En second lieu, en ce qu'il dit que ces comtes n'étoient lieutenants des Goths, il s'abuse car St Sidoine étoit déjà comte et en portoit le nom comme il le signifie en l'une de ses Epitres lorsque les Gots, non seulement n'avoient rien en Auvergne, ains étoient leurs mortels ennemis et avoient-ils deffaits par le vaillant cavailler Hecdicius ou Dicius fils de l'empereur Avitus, beau-frère de St Sidoine, jusques à ce que leur roi Evarix ayant long temps tenu assiégé la capitale d'auvergne la prit par composition, sort désagréable à St Sidoine et à tous les citoyens, ce qu'arriva ce saint ayant été déja élu Comte et chef des Auvergnats, et cette élection ne pouvoit aussi avoir été faite par les Auvergnats qu'avant qu'ils eussent perdu leur liberté oppressé par les Gots. Tellement qu'il étoit aisé à voir de là que, si le fils de St Sidoine sous Alaric roi des Gots portoit le titre de comte, ce n'étoit pour lieutenance qu'il eut de luy, mais par cession que luy en avoit fait son père et le meme nous pouvons dire d'arcade petit fils de St Sidoine que nous trouvons pourveu de la meme comté et appelé Comte par plusieurs autheurs. [10] Par nous raportés ailleurs, ce que je dis de cette comté d'auvergne le meme je dois croire de la vicomté de Polignac, en cela plus heureuse qu'elle a continué jusques à présent en vigueur et que l'autre, manquant par les puissances des rois et grandes factions des Gaules, toute la maison de St Sidoine s'y est retirée et perpétuée jusques à nous. Que la vicomté de Polignac fut héréditaire avant le règne de Hugues Capet (que nous avons dit avoir rendu la plupart des duchés, comtés et vicomtés héréditaires) en voicy deux arguments fort preignants : le premier, que nous trouvons des seigneurs de la maison de Polignac qualifiés vicomtes de Polignac cent ans avant que Hugues Capet vint à la couronne, nommément du règne de Charles dit le Chauve roy de France et empereur, comme nous l'avons dit ci-dessus et le verrons en la généalogie de cette maison. Et l'autre, que nous ne trouvons pas que ces seigneurs vicomtes aient fait aucune reconnoissance et relief de foy et homage de leur vicomté, non pas meme de leur chateau de Polignac, à Hugues Capet ni à ses successeurs rois de France et encore moins à ses devanciers, ce qu'ils eussent fait infailliblement si cette vicomté leur eut été rendue héréditaire par leur libéralité et octroy, nous dirons ailleurs les causes, le temps, et à qui les vicomtes de Polignac ont fait homage de leur chateau et vicomté. Voilà les preuves très preignantes qui me survienent de mettre au rang des prédécesseurs de Messeigneurs de Polignac le grand St Sidoine Apollinaire et le faire le premier autheur et électeur du titre de vicomte que porte cette illustre maison, laquelle a bien juste occasion de se glorifier d'un tel autheur à quelle grandeur qu'elle soit, car c'est celuy que St Grégoire de Tours avoue avoir été des premiers sénateurs de France, à cause de quoy Paradin, au livre qu'il a fait des Annales de Bourgogne, a bien eu occasion de

12 12 dire "qu'il étoit non seulement l'un des plus grands sénateurs, du plus noble sang des princes de la Gaule, mais encore sans comparaison beaucoup plus noble et plus grand en scavoir et sainteté de vie." Car pour déduire ce qu'ils ont mis en bloc, et que nous dirons ailleurs en particulier au discours de la généalogie, ce grand personage environ l'an 458 étant grand partisan des affaires de l'empire romain contre les Gots, Visigots, et autres nations élevées en ce tems là contre cet Empire, avoit obtenu, couru et passé par toutes les dignités romaines jusques à la Consulaire, et outre celle de Sénateur, la Prétorienne et Patricienne après l'honorable mariage avec Madame Papianille fille de l'empereur Avitus avoit été encore honoré de celle de Comte par l'empereur Majorian et par le commun consentement des Etats d'auvergne (éleu et fait comte du pays comme j'ay déja dit après en avoir été éleu éveque) pour sa sainteté de vie et singulière érudition, voire plus lui-meme témoigne que son père ayeul et bisayeul avoient passé par les memes dignités, lorsqu'il dit ne devoir etre estimé ambitieux d'avoir obtenu la dignité de Préfet de la ville [11] de Rome puisque cela lui étoit advenu comme par droit héréditaire et successif et que s'il ne l'eut recherché il eut semblé dégénérer de ses pères, ayeul et bisayeul qui tous en avoient été honorés devant luy. Ce qu'il raporte encore plus particulièrement de son ayeul en l'epitre 12 du 3e livre et en l'epitaphe qu'il dressa sur le tombeau de son ayeul Apollinaire qui fut le premier de la lignée de Messieurs de Polignac chose digne de remarque qui quitta et abjura l'idolatrie fut le premier chrétien de cette maison environ l'an 400. Meme témoignage donne le meme St Sidoine [à] son fils Apollinaire lorsque, aiant été contraint par ses mérites et sainteté de vie d'accepter la dignité épiscopale d'auvergne en la ville de Clermont, il remit quelque tems après à son fils toutes ces dignités mondaines, meme celle de comte d'auvergne, dignité que nous trouverons avoir été continuée à Arcade petit-fils de St Sidoine Apollinaire, tous trois mis au nombre des comtes d'auvergne, ainsi que nous avons dit ci-dessus. De sorte que je pouvois monter l'ancienneté et généalogie de Messeigneurs de Polignac jusques au bisayeul de St Sidoine et toutefois ce ne sera etre parvenu à la source et origine de cette illustre maison car autrement la noblesse de St Sidoine, si haut louée par tous nos historiens, ne seroit si grande si elle n'avoit commencée par son bisayeul et que nous avons déjà trouvé et parlé d'une dame issue de cette maison, laquelle vivoit en l'an 221 de notre salut, mais le bisayeul de St Sidoine sera le premier lequel par bons actes et titres nous montrerons avoir été honoré de belles charges et honneurs en cette maison environ l'an 300, avant meme que la première race des roys de France eut pris pied ès Gaules depuis 1300 ans qui est la plus haute et remarquable suite d'années que l'on puisse désirer à une illustre maison, d'où je conclus que si l'antiquité donne quelque lustre à la noblesse, ainsi que je l'ay montré ci-dessus, celle de Messeigneurs de Polignac en a par dessus toutes sans en excepter aucune. De l'etymologie du nom de Polignac. Chap. III Je pensois être déjà arrivé assez heureusement, sans aucun mauvaise rencontre et par un beau chemin bien bati, tout plain, paisible et asseuré sur la fin des preuves de l'ancienneté des vicomtes de Polignac quand Monseigneur le vicomte de Polignac, à son retour des Etats généraux de France tenus à Paris auxquels il assista comme député de la Noblesse du pais du Velay, me donna avis qu'il avoit rencontré dans ce petit monde certain personage d'une bien grande doctrine et religion 7, qui luy avoit voulu faire accroire que tout autant d'autheurs que j'ay allégué ci-dessus et autres que j'ay obmis [12] pour brièveté et moy avec eux, nous nous trompions et abusions grandement de raporter l'étimologie du nom et maison de Polignac à Apollon Dieu des Gentils et encore plus de soutenir que ce chateau ait apartenu et eut été la maison paternelle des anciens Apollinaires. Proposition que je trouvais si nouvelle et hors de toute aparance de raison, que de premier abord je voulus croire qu'elle avoit été avancée par son autheur à dessein et seulement par forme de dispute, de déguisement et de contradiction, affin qu'il fut mieux éclairci de la vérité à l'exemple de Socrate qui disoit 7 Nous n'avons pu découvrir l'identité de ce personnage. Chabron fit un voyage à Lyon en 1605, est-ce à cette occasion qu il découvrit la publication de son contradicteur?

13 13 que la vérité de toutes choses passant par les nuages de la dispute éclatoient plus brillament, et cette créance me dura jusques à ce qu'aiant depuis fait un voiage en la ville de Lion je trouvais que ce personage avoit déjà fait voir le jour et produit en public cette sienne censure et proposition. Censure que j'ay estimé ne pouvoir etre par moy ni passée sous silence puisqu'elle portoit sa visée directement pour renverser l'une des principales bases et piedestal que j'ay posé pour marquer la grande antiquité et noblesse de la maison de Polignac. Il importe donc grandement que nous examinions exactement et déployons tout de son long et du large cette censure en la raportant de mot à mot, tirée des Annotations que ce personage a fait le dernier sur le meme St Sidoine Apollinaire en l'epitre 6 du 4 livre ci-dessus allégué et sur ces mots : solidae domus ad hoc aevi in concussa securitas, lesquels mots j'ay dit après le Président Savaron marquer et se devoir entendre du chateau de Polignac, et au contraire cet autheur : cave, dit-il, ad arcem Poliniacam cum viro docto referas aut de arce illa tibi persuadeas vel Apollinarium olim fuisse vel nomen ab Apolline derivasse quod Gabriel Simeonius homo Hetruscus ingenioso commento sibi visus est divinasse. Cette glose n'est de celle d'orléans, elle est si claire qu'elle découvre ouvertement l'intention de son autheur qui reprend ledit Sr. Savaron d'avoir entendu les mots du texte du chateau de Polignac et creu que ce chateau eut été la maison paternelle des Apollinaires, mais pour ce dernier il devoit dire : cum viris doctis, le Sr. Savaron n'étant pas seul en cette opinion, mais tout le commun des autheurs, ainsi que je l'ay montré ci-dessus et montreroy encore plus amplement, reprend aussi ce grand antiquaire Gabriel Siméon florentin, d'avoir raporté l'étimologie du nom de Polignac à Apollon autrefois adoré en ce chateau et démentie bon homme quoique tout véritable suposant qu'il s'est feint et imaginé dans le chateau l'idole du meme Dieu Apollon, en quoy il dément tout le reste des hommes qui ont veu et visité, voient et visitent journellement dans le chateau de Polignac la meme idole exposée à la veue de tout le monde. Or voions les raisons arguments et démonstrations [13] que cet autheur prend pour reprendre et censurer tant de doctes et laborieux personages : Nam vetus, dit-il, nomen arcis Podomniacus quod passim legere est tam in aliis antiquis monumentis, tam in litteris Urbani V papae ad Carolum regem pro Armando vicecomite domino loci, parceque dit-il l'ancien et vieux nom de cette forteresse et chateau de Polignac est : Podomniacus et non Poliniacus ainsi qu'il dit l'avoir lu en un rescrit du pape Urbain V au roi de France Charles V dit le Sage en faveur de Armand vicomte de Polignac. C'est la vérité que tout à la fois une si grande confusion de raisons et de témoignages se présentent à moi pour réfuter et reprendre cet autheur en toutes les parties de la glose, que je ne sais bonnement par où comencer ni ce de quoy je dois faire choix pour ne me rendre trop prolixe et ennuyeux en une chose si claire et notoire. Mais pour mieux racourcir ce discours il me semble que le meilleur sera de saper du premier coup si bien le fondement sur lequel cet autheur a bati son opinion que je le fasse renverser en ruine et tomber de fond en comble. Car si je montre que le nom de Polignac est Polignacum en langage françois, ce latin est autant voire le plus ancien nom de ce chateau, le primitif, le moins vicié et corrompu, le plus usité et pratiqué de toute ancienneté par tous les doctes et savans et écrit aux plus anciens titres, documens et actes juridics [sic] de cette maison et que le nom de Podomniacum ou Podemniacum, outre ce qu'il est du tout corrompu et ressentant son barbarisme, a encore pris son étimologie du meme Dieu Apollon adoré en ce chateau, ne faudra-t-il pas confesser que cette censure est peu sensée, voire injurieuse. Le pape Urbain V dans le rescrit duquel cet autheur dit avoir leu le mot Podomniacum tint le siège pontifical en Avignon depuis l'an 1363 jusques en l'an 1371 ou environ. Et en l'an 1364 il écrivit le bref à Charles V dit le sage roy de France en faveur d'armand vicomte de Polignac, celuy qui pour ses hauts faits a mérité et emporté le nom de Grand et nous l'appelons d'ordinaire le Grand Armand en ces termes : Cum dilectus filius nobilis vir Armandus vicecomes Podomniaci miles, Mimatensis diosoesis vassallus tuus, a quo dilectus filius nobilis vir Guilielmus de Grisaco, miles dictae dioecesis genitor noster, pro majore parte terram suam tenet, procertis suis negociis ad tuam praesentiam dirigat personaliter gressus suos serenitatem tuam ostendose rogamus quatenus eumdem vicecomitem in suis agendis nostri consideratione habeas regia benignitate ac favoribus in justicia commendatum, datum Avenione XVI Kal. decembris, anno 3

14 14 Or j'ay en main une centaine de titres et contrats fort authentiques, plaidoyers et écritures en latin et en françois plus anciennes de cent et deux cents ans que ce rescrit auxquels le nom de Polignac et Poliniacum seroient écrits en belles et grosses lettres. [14] D'un si grand nombre je n'en prendray que trois ou quatre des plus authentiques et irréprochables, faits et passés dans le pays d'auvergne et entre les plus grands seigneurs d'iceluy meme entre les Dauphins comtes de Clermont et les comtes d'auvergne, lesquels aiant rendu avec le tems ces comtés héréditaires en leurs maisons après que les Apollinaires en la personne d'arcade, petit-fils de St Sidoine, en furent dépouillés, ont retenu néantmoins une si particulière affection envers Messeigneurs de Polignac anciens seigneurs et premiers possesseurs de ces comtés, qu'ils ont contracté depuis avec eux plusieurs alliances, se trouvant trois filles des comtes de Clermont ou d'auvergne mariées en la maison de Polignac et les deux maisons etre quelquefois en meme tems alliées et pris des femmes en meme maison ainsi que nous le déduirons particulièrement au discours de la généalogie des alliances de cette maison, ce qui auroit donné sujet à plusieurs contrats et quelquefois aussi fait naitre de grands procès entre ces deux maisons en tous lesquels contrats et procès les mots de Podemniacum, Poliniacum et Polignac se trouvent écrits et prononcés en présence de ces seigneurs contractans qui devoient avoir plus grande connoissance de ceux qui étoient descendus et conservoient le nom des Apollinaires. Le premier sera pris des archives de l'église Notre Dame de Clairmont et du contrat d'accord fait entre le chapitre de cette église et les habitants de la ville de Montferrand en l'année 1165 auquel tems les parties aiant donné leur différend à vuider au comte de Clairmont, ce comte prit avec soy comme pour assesseurs et adjoints arbitres Archambaud seigneur de Bourbon et Héracle vicomte de Polignac qui décidèrent le différent et voicy comment le vicomte de Polignac est nommé dans ce contrat : "Antedictus comes conjuncto sibi Archimbaudo forti domino Borboni et Heraclio vicecomite de Polemniaco cum magna procerum caterna compositis praeliis in beatae Mariae capitulo, etc... et ainsi le nom latin de Polemniacum se trouve avoir été en usage il y a près de 500 ans, et 200 ans avant le rescrit du pape Urbain V ce vicomte de Polignac étoit beau-fils du comte de Clermont. Ce meme nom de Polemniacum se trouve par plusieurs fois écrit aux anciens titres de l'abaye de Pébrac et par exprès au livre-terrier où sont dénombrés les abbés et églises dépendants de cette abbaye : Anno domini 1062 dominus Petrus de Chanaco primus concionator institutor piperacensis congregationis venit in istum locum et multas ecclesias monasterio acquisivit videlicet Ricomagensem ecclesiam Vetulae Brivatae, villae sancti Boniti [Ste Bonnette d'alvier?], Taillaci, de Aurato, Flagiaci, Vallis visseris sancti Marii [la Besseyre St Mary], Polemniaci, Sancti Poncii [St Poncy], sancti Laurentii [La Chapelle Laurent], et un peu après : inspirante dono Jesse qualiter de ecclesia Polemniaci sancti ac beatissimi Andeoli 8 paractum est pronotare cupimus, etc... Quand au mot Poliniacum, le premier sera pris de la donation faite de la terre de Salezuit par le Dauphin comte de Clermont son oncle ou plutot ayeul maternel en l'an 1198 [15] tiré des archives de Polignac où pend encore le grand sceau et contre sceau de ce Dauphin comte de Clermont : Nos Delphinus comes Claromontensis notum facimus universis praesentes litteras inspecturis quod nos gratis et spontanea voluntate nostra nulla vi coacti, nullo dolo vel fraude inducti nec in aliquo seducti, donamus, tradimus et cedimus nepoti nostro inter vivos tibi Poncio vicecomiti Polliniaci et suis haeredibus, jure praefatae donationis in perpetuum castrum de Salzuit quod est in dioecesis Claromontensi cum omnibus, etc... Dans ce titre le mot Polliniacum se trouve écrit il y a 420 ans et 165 avant la lettre du pape Urbain V alléguée. De sorte que je ne me puis assez assurer et suis marry [contrarié] qu'aucun homme si religieux, si docte, judicieux et considéré se soit laissé emporter facilement à l'esprit de contradiction et pour un si faible sujet et argument tel que le sien, se départir de la commune opinion formant une nouvelle opinion contraire à tout ce qui a été de tout tems et ancienneté creu, tenu, écrit, traduit et transmis de père en fils jusques à nous de l'étimologie du nom du chateau de Polignac. 8 La chapelle du château de Polignac était dédiée à Saint-Andéol, comme celle de Chapteuil.