L étoile de l aube Ou la fille au ruban rouge



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Transcription:

1 L étoile de l aube Ou la fille au ruban rouge Mohsen Yalfani Traduite et adaptée du persan par Tinouche Nazmjou Tu sais si tu regardes trop longtemps une photo elle s efface elle disparaît mais tu ne le sais pas comment le saurais-tu crois-moi je t ai toujours dit la vérité il suffit que tu te penches et que tu regardes d un peu plus près alors tu verras que les couleurs ne sont plus les mêmes souviens-toi comme les couleurs étaient vives les premiers jours quand pour la première fois tu l as mise dans ce cadre avec tout le soin du monde tu n arrêtais pas de te moucher de pencher ta tête en arrière pour que tes larmes retournent dans tes yeux comme si une larme versée pouvait revenir en arrière

2 je ne te fais pas marcher je ne plaisante pas je te dis que si tu continues à fixer cette photo elle s effacera disparaîtra comme le givre mais tu ne me crois pas tu ne m as jamais cru si quand je te disais que j étais fatiguée ou que j avais faim tu me croyais tu me laissais m asseoir quelque part me reposer sur un banc ou tu me donnais quelque chose à grignoter mais les choses importantes que je disais les choses essentielles tu ne les as pas cru tu es indifférent mais avec toi je n ai jamais manqué de rien tu fais tout pour que je sois bien tout je sais bien mais moi je t ai brisé le cœur quand même parce que tu le méritais bien

3 mais toi depuis ce jour devant l entrée du parc où tu as posé ton bras autour de mon cou tu as du même coup partagé ta vie avec moi tu ne l as pas partagée tu me l as offerte tu m en as fait le don tu aurais bien voulu presser dans ton poing comme une grappe de raisin chaque instant de ta vie et en déverser le nectar dans ma gorge ou sur ma tombe d ailleurs quelle importance pour toi tu ne pouvais pas t empêcher tu n as jamais pu t empêcher satisfaire toutes mes caprices même s il fallait décrocher la lune mais tu ne fais jamais ce que je te demande de faire une vraie tête de mule si tu savais comme ça m énerve seulement pour montrer que même si je suis tout pour toi c est encore TOI pour qui je suis tout comme quand je suis partie en voyage et que tu n es pas venu pourquoi juste pour m énerver je t ai dit au moins toutes les nuits où je ne suis pas là regarde la lune et moi aussi je la regarderai comme si nous étions ensemble on se verrait on s entendrait on se parlerait mais quand je suis revenue tu m as dit que tu n as pensé qu à moi que pas un instant tu n as cessé de penser à moi mais que tu avais complètement oublié de regarder la lune même à la pleine lune tu n avais pas regardé ce gros machin là-haut tu avais complètement oublié ta promesse quel genre d amoureux tu es

4 je ne t avais pourtant pas demandé la lune je t avais juste demandé de la regarder c est pourtant toi-même qui me parlait toujours de la clarté de la pureté du ciel des cumulus tout là-haut que tes yeux toujours sortis de leurs orbites s en remplissaient de larmes je veux que tu m écoutes quand je te parle comme quand tu écoutes les autres tes oreilles se dressent tes sourcils se lèvent et tu hoches la tête mais quand je te parle tu me regardes seulement tu me regardes comme si c était la première fois que tu me voyais mais tu n écoutes pas tu n en fais qu à ta tête si tu savais comme je hais ta tête de mule comme j ai envie de te mettre deux claques quand je te vois te conduire avec moi comme avec un enfant tu n es pas mon père et je ne suis pas ta fille je te l ai dit dès le premier jour je t ai dit que c est une autre histoire nous deux et tu n as pas le droit de me prendre pour ta fille tu as bien compris ce que je te disais

5 et ce n est pas la peine de faire cette tête de te sentir offusqué c est pour toi que je dis ça pour que tu arrêtes de te torturer à cause de tout ce que tu fais ou que tu veux faire ou que tu ne fais pas ou que tu ne veux pas faire un pas en avant un pas en arrière monsieur «mais-que-vais-je-bien-pouvoir-faire» que tu puisses t accepter enfin tel que tu es bon ou mauvais faible ou fort trouillard ou audacieux travailleur ou fainéant quand vas-tu comprendre que le problème des gens ce n est pas ce qu ils sont c est qu ils veulent donner l impression d être ce qu ils ne sont pas et toi tu avais tort de faire semblant d être mon père tu n étais pas mon père sinon tu n aurais jamais mis ton bras autour de mon cou devant tous ces gens quand nous étions dans le parc je savais que ça t avait échappé que tu ne l avais pas fait exprès si tu avais pris le temps de peser le pour et le contre si tu t étais rappelé qu auparavant tu avais dit que j étais ta fille si tu savais où ce simple geste allait te mener les implications et moi je t ai bien réglé ton compte j ai pris ton bras je l ai serré fort et je l ai retourné j ai tellement enfoncé mes ongles dans la lunule de tes ongles que ça t a mis hors de toi tellement tu m avais énervé à l avoir fait si tard ce geste et même que si ça ne t avait pas échappé tu ne l aurais jamais fait ou Dieu sait quand tu l aurais fait

6 tu avais peur de me toucher tu ne voulais pas me toucher tu pensais que j allais me briser me fissurer tomber en mille morceaux comme un verre de cristal voilà comment tu étais tu étais juste avec moi toujours tous les jours tu prenais soin de moi tu disais que c était suffisant pour ton bonheur moi aussi j étais contente et on n avait pas d autre souffrance qu une grande souffrance la souffrance de tenir l un à l autre et ne pas savoir que faire l un de l autre du matin jusqu au soir flâner dans les rues et les ruelles cette vieille ruelle cette platane poussiéreuse cette fontaine publique abandonnée le soir le soleil qui sautait d un toit à un autre un rayon perdu qui était tombé sur le panier de raisin de l épicier au coin de la rue cet instant qui ne sera plus jamais cet instant dans un instant et qui ne l a jamais été un instant plus tôt le son du piano qu on entendait de derrière une fenêtre d une des ruelles du vieux quartier de Téhéran à la tombée de la nuit le bus avec tout ce monde tu te tenais sur la marche t accrochant à la barre tournant le dos aux passagers ils avaient beau pousser tu tenais bon tu gardais ta distance avec moi je sentais ton souffle sur ma peau la chaleur de ton corps j étais avec toi juste avec toi qui faisais semblant d accompagner ta fille à la station tu voulais descendre tu étais inquiet tu ne disais rien mais tu avais peur que les voyous me fassent du mal comme si tu pouvais te mesurer à des voyous j ai sorti mon poing américain et je te l ai montré tu as eu peur de l éclat du métal tu as eu peur pour moi mais tu n as rien dit tu aurais voulu me prendre le poing américain tu as pensé que c était dangereux tu as pensé que les voyous me le prendraient et me frapperaient le visage avec mais tu ne l as pas pris tu as juste souri comme le jour où l on t a appris qu on m avait arrêté et emmené tu as encore souri tu n arrivais pas à croire tu ne pouvais pas imaginer qu ils aient pu me faire ça tu ne pouvais pas croire qu ils aient pu me toucher m attraper m emmener que je puisse tomber dans leurs main qu ils aient pu me prendre si facilement le poing américain me pousser dans la voiture m allonger sur le sol et essuyer leur bottes sur mon corps

7 mais ça tu n en es pas vraiment certain tu n es pas certain qu ils aient mis les pieds sur mon corps mais tu n es pas certain qu ils ne l aient pas fait tu n es plus certain de rien tu n es même pas sûr de moi pas sûr de toi tu te souviens juste de cette seule fois où tu as mis le bras autour de mon cou c était la seule fois et encore ça t avait échappé moi je m étais contenté de ça de ton bras autour de mon cou je ne t avais rien demandé d autre tu faisais semblant de tout savoir tout comprendre tu connaissais tous les secrets et les rouages de l affaire pourquoi tu ne disais pas que tu n y connaissais rien que dans ta grosse tête il n y avait rien à part une poignée de mots déformés qui se cognent et font un drôle de bruit dans ton crâne j avais envie de te mettre deux claques tellement tu étais avec moi sans vraiment l être j aurais pu t aider rien que de te dire que moi non plus je n y comprenais rien ça t aurait aidé tu aurais compris ce qui t arrivait et nous aurions su quoi faire rien qu en se parlant comme on se parlait à l époque du matin jusqu au soir et du soir jusqu au matin on se parlait et on n en finissait pas de se parler du temps où parler du ciel du soleil des ombres des étoiles de la terre des murs des oiseaux des soirées de l aube et de dix milles autres choses aussi insignifiants était suffisant pour nous

8 il a fallu combien de temps pour que tu me parles tu sais combien de temps il a fallu pour que tu puisse me parler à nouveau c était longtemps longtemps longtemps après longtemps après qu ils m aient jetés dans la voiture et emmenée avec eux c est longtemps après que tu m as parlé que tu as encadré ma photo et que tu l as mise sur l étagère avec un bouquet de fleurs de ce côté et une tulipe de l autre ta petite chambre mortuaire jusqu au soir où tu es rentré tard après minuit tu as laissé tout éteint tu n avais pas envie de voir ma photo tu n avais juste pas envie pas envie de sentir mon regard sur toi tu as rangé ma photo dans un tiroir sous d autres affaires tu as accroché la nuit étoilée de Van Gogh à la place qui allait justement bien avec ta tronche de constipé comme ça je ne t aurais plus dérangé dans ta solitude plus de questions gênantes l éclat d un regard qui se posait sur toi et te rongeait de l intérieur te bouillonnait le sang ce parfum vif et âcre dont tu connaissais la provenance et ce qu il pouvait te faire et jusqu où il pouvait t emmener rien ni personne n aurait pu t empêcher d y arriver d y aller de t y perdre

9 tu ne prenais jamais l initiative tu attendais qu elles fassent le premier pas et tu étais trop bon pour te refuser leur briser le cœur tu ne voulais pas les gâcher tu en avais déjà gâché une autrefois c était suffisant avec ton humeur tes maladresses tu voulais juste me dire que c était pour moi que c était avec moi que tu allais au septième ciel que tu m emmenais avec toi des profondeurs de la terre au sommet du septième ciel mais tout ce qui restait c était le regret le souvenir de moi qui te brûlait le cœur comme le soir où à minuit tu m as montré l étoile du berger tu me l as décrit en détail l avant dernier sur la constellation du grand-ours tu avais tout lu tout ça lu dans des livres et tu savais que c était là et toute ta description correspondait moi je l ai vu pourtant tu n as rien vu ni cette nuit-là ni aucune autre nuit ni plus jamais

10 au fond tu les avais appris et bien appris c était de belles paroles à apprendre de belles paroles à dire et moi je les ai cru comme une petite fille qui croit aux fées et finalement tu es parti chercher ma photo dans le tiroir sous les affaires tu l as mise sur l étagère avec tout le soin du monde le bouquet de fleurs d un côté la tulipe et la bougie de l autre et un ruban rouge sur le côté du cadre tu t es encore penché en arrière pour que tes larmes retournent dans tes yeux et tu y crois tu crois vraiment que tu voulais t empêcher de pleurer et que tu n as pas pu tu t es assis devant la photo et tu as pleuré à chaudes larmes petit filou tu crois que je n ai pas compris que c est pour toi-même que tu pleurais

11 plus besoin de faire semblant plus la peine de pencher ta tête pour que tes larmes reviennent en arrière te voilà avec toi-même aujourd hui avec ces épaules cambrés ces bras en tiges ces cuisses maigrichonnes ces doigts calleux ces ongles longues et jaunâtres ton souffle qui s essouffle au pas de chaque escalier il n y a plus personne à part moi comme à l époque comme au temps où tu étais avec moi du matin au soir et du soir au matin avec moi sans être avec moi comme au temps où tu pensais tellement à moi que tu oubliais notre rendez-vous sous la pleine lune tu m as toujours voulu ainsi tu voulais que je ne sois pas là pour être avec moi comme tu en avais envie vivre avec mon souvenir t était plus facile que de vivre avec moi-même tu ne comprenais rien à moi-même je te déroutais mais détrompe-toi je ne t ai jamais offert mon souvenir le poing américain c était il y a longtemps quand je n étais encore qu un enfant à l époque où tu pouvais vraiment être mon père à l époque je ne savais pas ce que ça voulait dire quand ils attrapaient quelqu un qu ils le poussaient dans leur voiture de patrouille qu ils le couchaient sur le sol toi tu m as laissé seulement le regret de cette nuit de pleine lune des nuages de papier comme si tu pouvais tendre les mains pour les caresser et sentir la fraicheur des gouttes de pluie du bout de tes doigts voilà ce que j attendais de toi toutes ces choses qui étaient à ta portée et tout ce blablablabla qui s est soudain arrêté juste avant qu on entende le cliquetis sec et perçant des fusils qu on n a d ailleurs pas entendu tu ne sais pas si on l a entendu ou pas dos au mur en rang avec une petite fille toute fragile à côté de moi je l ai prise sous les épaules elle allait s évanouir tellement elle était faible elle s était fait pipi dessus mais toi tu n en sais rien quoique tu fasses tu n en sauras jamais rien c est trop loin de toi plus loin encore que les cumulus plus loin que la lune encore ou les étoiles de la grande-ours tu ne sais même pas si le ciel était étoilé ou gris et bas tu ne peux que l imaginer je me suis collée à la fillette et je lui ai parlé des étoiles qui nous coulaient dessus du fond de la nuit comme si le ciel était entrain de nous tomber sur la tête tellement il y avait d étoiles de lumières ou peut-être il n y avait aucune étoile aucune lumière juste un ciel bas et gris et humide et obscure avec un quinquet dans une camionnette qu ils avaient garée de l autre côté et qui reflétait une lumière opaque et crasse il y avait une bouilloire où ils se servaient du thé on les entendait faire de grands bruits avec leur bouche en ingurgitant leur thé ils évitaient de nous regarder

12 le corps de la fillette était collé à mon corps si je la lâchais elle se saurait effondré par terre elle se tenait à moi je lui ai dit de ne pas penser aux nuages de penser à l autre côté des nuages à un ciel étoilé à la constellation du grand-ours elle regardait le ciel comme s il n y avait pas de nuages comme si le ciel n était pas si bas si humide et mouillé froid et glacé comme l éclat du métal des fusils qu ils ont pris dans la camionnette et se sont dirigés vers nous j ai eu beau me forcer je n ai pas pu m empêcher de regarder dans le canon des fusils pourtant on n y voyait rien rien qu un éclair froid avec un noir une obscurité qu on ne pouvait pas ne pas s empêcher de regarder avec un claquement sourd qui en sort et qu on ne sait pas si on entend vraiment ou si on n entend pas on ne sait jamais ce genre de choses